T-196-86
Fairway Life & Marine Insurance Limited, fai-
sant également affaire sous la raison sociale Fair
way Insurance Services (demanderesse)
c.
Le navire de pêche Susan Darlene, ses propriétai-
res, ses affréteurs et toutes les autres parties
intéressées, y compris Savories Fisheries Ltd.
(défendeurs)
RÉPERTORIÉ: FAIRWAY LIFE & MARINE INSURANCE LTD. C.
SUSAN DARLENE (LE)
Division de première instance, protonotaire-chef
adjoint Giles—Toronto, 17 juin 1986.
Compétence de la Cour fédérale — Division de première
instance — Action in rem intentée contre un navire en vue d'un
remboursement de primes — La Cour a compétence — L'art.
42 de la Loi sur la Cour fédérale fait en sorte que le droit
maritime canadien existant avant le le' juin 1971 reste en
vigueur — Discussion des origines du droit maritime canadien
— Au Bas-Canada, les litiges en matière d'assurance mari
time ont été tranchés en vertu du droit maritime — Le Code de
1866 disposait qu'il y a privilège sur les bâtiments pour le
paiement des primes d'assurance — Si le droit maritime
reconnaît l'existence d'un privilège pour le paiement d'une
prime d'assurance, une telle prime d'assurance constitue une
obligation qui peut faire l'objet d'une action in rem — Loi sur
la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 2,
22(2)r), 42, 43(2) — Code civil du Bas-Canada, art. 2383.
Droit maritime — Assurance — La question se pose de
savoir si un droit d'action in rem existe lorsqu'il s'agit de
primes d'assurance impayées — Les art. 22(2)r) et 43(2) de la
Loi sur la Cour fédérale ne sont pas concluants — Discussion
des origines du droit maritime canadien — Il faut tenir compte
du Code civil du Québec de 1866 parce qu'il établit l'existence
d'un droit maritime préexistant — L'art. 2383 disposait qu'il y
a privilège sur les bâtiments pour le paiement des primes
d'assurance — Une prime d'assurance peut faire l'objet d'une
action in rem — Un courtier, qui est personnellement respon-
sable du paiement des primes pour tout contrat d'assurance
négocié avec l'assureur, est investi du droit d'intenter une
action in rem — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e
Supp.), chap. 10, art. 2, 22(2)r), 42, 43(2) — Code civil du
Bas-Canada, art. 2383.
Il s'agit d'une requête en jugement par défaut dans une
action in rem intentée contre un navire de pêche. On y réclame
des primes exigibles en vertu d'une police d'assurance. Il y a
deux questions à trancher: la Cour est-elle compétente pour
connaître de l'affaire et existe-t-il un droit d'action in rem.
Jugement: la requête devrait être accueillie.
Bien que l'alinéa 22(2)r) de la Loi sur la Cour fédérale, qui
attribue compétence relativement à toute demande née d'un
contrat d'assurance maritime, puisse confirmer la compétence
de la Cour à l'égard de la demande en cause, il ne confère pas
nécessairement un droit d'action in rem. Le paragraphe 43(2)
n'apporte pas non plus de solution au problème. Il prévoit que
la compétence conférée à la Cour par l'article 22 peut être
exercée en matière réelle pour toute demande relative à un
navire, mais on peut se demander si la demande est relative à
un navire. Il semble que ce soit une action en remboursement
de sommes avancées.
L'article 42 fait en sorte que le droit maritime canadien
existant avant le le' juin 1971 reste en vigueur. L'article 2
définit le droit maritime canadien comme étant le droit dont
l'application relevait de la Cour de l'Échiquier du Canada, en
sa juridiction d'Amirauté. Il s'agit de découvrir ce qu'était et ce
qu'est le droit maritime en matière d'assurance au Canada.
Lorsque les cours coloniales d'Amirauté ont exercé leur compé-
tence dans les colonies, elles ont exercé la compétence de la
Cour d'amirauté anglaise. Dans les colonies où la common law
d'Angleterre était en vigueur, les affaires ayant trait à l'assu-
rance maritime étaient tranchées en vertu de la common law,
selon la pratique d'Angleterre, ce qui n'était pas le cas dans les
colonies où la common law n'était pas en vigueur. Au Bas-
Canada, les litiges en matières d'assurance maritime ont été
tranchés en vertu du droit maritime. Le droit maritime a été
codifié dans le Code de 1866 qui contenait un article portant
sur l'assurance maritime. Il faut tenir compte du Code parce
qu'il établit l'existence d'un droit maritime préexistant. L'arti-
cle 2383 disposait qu'il y a privilège sur les bâtiments pour le
paiement des primes d'assurance pour le dernier voyage. Si le
droit maritime reconnaît l'existence d'un privilège pour le
paiement d'une prime d'assurance, une telle prime d'assurance
constitue une obligation qui, de par sa nature même, peut faire
l'objet d'une action in rem.
Il reste à déterminer qui peut intenter une action in rem. La
demande est faite par le courtier, qui représente l'assuré. Le
courtier était personnellement responsable du paiement des
primes envers l'assureur pour tout contrat d'assurance qu'il a
négocié. Il est donc investi du droit reconnu à l'assureur
d'intenter une action in rem pour le paiement desdites primes.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Sailing Ship «Blairmore» Company Limited and others
v. Macredie, [1898] A.C. 593 (H.L.); DeLovio v. Boit et
al., 7 Fed. Cas. 418 (Mass. 1815) (No. 3776); Provincial
Insurance Company v. Joel Léduc (1874), L.R. 6 P.C.
224; Smith v. Robertson (1814), 2 Dow 474; 3 E.R. 936
(H.L.).
AVOCAT:
Tosh Hayashi pour la demanderesse.
Personne n'a comparu pour le compte des
défendeurs.
PROCUREUR:
Metcalf, Holm, Halifax, pour la demande-
resse.
Personne n'a comparu pour le compte des
défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE PROTONOTAIRE-CHEF ADJOINT GILES: La
requête dont je suis saisi vise à obtenir un juge-
ment par défaut vu l'omission de déposer une
défense dans l'action in rem intentée contre le
navire de pêche Susan Darlene. La demanderesse
est un courtier d'assurance maritime qui réclame
des primes exigibles en vertu d'une police d'assu-
rance relative au Susan Darlene. Les primes
auraient été versées par le courtier aux différents
assureurs qui sont affiliés à la Lloyd's de Londres.
Il est de plus allégué que les primes et les frais de
gestion ainsi que les honoraires d'experts devaient
être payés au courtier en plusieurs versements qui,
s'ils n'étaient pas faits, portaient intérêt au taux de
2 % par mois ou de 24 % par année.
J'ai d'abord été saisi de cette requête au mois de
mars dernier et j'ai alors refusé de me prononcer,
les sommes réclamées à titre d'intérêt ne pouvant
être justifiées par les allégations contenues dans la
déclaration. Par la suite, j'ai demandé au greffe
d'informer les avocats que je leur serais reconnais-
sant de formuler des observations sur la compé-
tence de la Cour et, advenant que cette question
soit réglée, sur l'existence d'un droit d'action in
rem. Les avocats ont subséquemment attiré mon
attention sur l'alinéa 22(2)r) de la Loi sur la Cour
fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10] qui
reconnaît la compétence de la Cour relativement à
«toute demande née d'un contrat d'assurance mari
time ou y relative».
Bien que cet alinéa dispose ou confirme que la
Cour est compétente, relativement à la demande
en cause, cette seule attribution ou confirmation de
compétence ne confère pas nécessairement un droit
d'action contre le navire assuré in rem en ce qui
concerne les primes impayées. Les avocats ont
également porté à mon attention le libellé du
paragraphe 43(2) de la Loi sur la Cour fédérale
qui prévoit notamment que «Sous réserve du para-
graphe (3), la compétence conférée à la Cour par
l'article 22 peut être exercée en matière réelle pour
toute demande relative à un navire...»
Le paragraphe susmentionné n'apporte pas de
solution au problème mais en soulève tout simple-
ment un autre, c'est-à-dire celui d'établir si la
demande est «relative à un navire». À première
vue, il semble que ce soit une action en rembourse-
ment de sommes payées par un courtier à un
assureur relativement à des primes d'assurance
exigibles aux termes d'une police d'assurance,
c'est-à-dire une action en remboursement de
sommes avancées par la demanderesse. Or, je ne
crois pas que le paragraphe 43(2) est concluant
quant à la question de savoir si un droit d'action in
rem existe lorsqu'il s'agit de primes d'assurance
impayées.
L'article 42 de la Loi sur la Cour fédérale fait
en sorte que le droit maritime canadien existant
avant le ler juin 1971 reste en vigueur; or il
convient de préciser qu'il s'agit du droit maritime
canadien et non de la juridiction d'amirauté. Par
ailleurs, l'article 22 habilite la Cour fédérale à
connaître de toute demande faite en vertu du droit
maritime canadien. Celui-ci est défini à l'article 2
de la Loi sur la Cour fédérale comme étant «le
droit dont l'application relevait de la Cour de
l'Échiquier du Canada, en sa juridiction d'ami-
rauté, en vertu de la Loi sur l'Amirauté ou de
quelque autre loi, ou qui en aurait relevé si cette
Cour avait eu, en sa juridiction d'amirauté, compé-
tence illimitée en matière maritime et d'amirauté,
compte tenu des modifications apportées à ce droit
par la présente Loi ou par toute autre loi du
Parlement du Canada». Je suppose que s'il est
précisé que la compétence est illimitée c'est à
cause du fait que pendant plusieurs années, l'accès
aux cours d'amirauté d'Angleterre était en prati-
que restreint par les cours de common law ainsi
que par diverses lois adoptées sous les règnes de
Richard II et d'Henri IV pendant lesquels les
cours de common law avaient compétence notam-
ment en matière d'assurance. Celles-ci appli-
quaient la common law et non le droit maritime.
Qu'en est-il alors du droit maritime canadien que
la Cour fédérale applique en matière d'amirauté,
et quelle en est sa source?
Le droit maritime canadien tire ses origines du
droit maritime anglais, et, pour ce qui concerne les
domaines dans lesquels le droit maritime s'appli-
quait en Angleterre, les règles de droit peuvent,
dans une large mesure, être déterminées à partir
de la jurisprudence des tribunaux britanniques.
L'assurance maritime était un domaine dans lequel
ceux-ci appliquaient la common law et non le droit
maritime. Il est cependant nécessaire d'examiner
d'autres sources que la jurisprudence britannique
récente, pour définir le droit maritime.
Je constate qu'en Angleterre le droit maritime
n'a pas été abrogé en ce qui concerne les domaines
dans lesquels les tribunaux appliquaient la
common law. Ce sont en fait l'accès aux cours
d'amirauté et le droit d'invoquer le droit maritime
qui étaient niés. Le fait que le droit maritime
anglais s'appliquait en matière d'assurance mari
time ressort du document de nomination du der-
nier juge de l'Amirauté, Sir Robert Phillimore, où
il est fait mention de l'assurance que l'on considère
comme un domaine sur lequel il avait compétence.
Lors d'un discours prononcé devant la Chambre
des lords et portant sur l'affaire Sailing Ship
«Blairmore» Company Limited and others v.
Macredie, [1898] A.C. 593, lord Watson a fait
remarquer que, en Écosse, la Cour d'amirauté
avait continué d'exercer sa compétence en matière
d'assurance maritime jusqu'à l'époque victorienne
et que le droit appliqué par ce tribunal était le
droit maritime. Malheureusement, on ne m'a cité
aucune affaire écossaise permettant de déterminer
si on peut intenter une action in rem pour réclamer
le montant de primes d'assurance maritime
impayées. Dans l'affaire DeLovio v. Boit et al., 7
Fed. Cas. 418 (Mass. 1815) (No. 3776), on a
procédé à une étude du droit maritime anglais tel
qu'il existait à ses origines. Cette affaire, qui a été
tranchée par le juge Story du Massachusetts, en
1815, fait l'historique du droit maritime anglais en
remontant à ses origines et analyse le différend qui
opposait les avocats de common law à ceux qui
étaient spécialisés en droit maritime. Il a été statué
dans cette affaire que la compétence d'amirauté
pouvait être exercée dans les cas d'assurance mari
time. Il ressort de l'affaire DeLovio que le droit
maritime anglais tire ses origines des Rôles d'Olé-
ron. Ceux-ci auraient été rédigés sur l'ordre
d'Aliénor d'Aquitaine et introduits en Angleterre
en diverses occasions par son fils Richard I ou par
Edouard III et divers autres souverains ayant
régné avant celui-ci. Il convient de préciser que
l'édit d'Edouard III n'a pas adopté les Rôles d'Olé-
ron, mais il a habilité l'amirauté anglaise à les
appliquer tout en lui donnant les instructions
nécessaires à cette fin. L'examen des Rôles d'Ole-
ron fait dans l'édition du Black Book of Admiralty
rédigée par Sir Travis Twiss, permet de constater
qu'il s'agit non pas d'un recueil de lois mais d'un
ensemble de décisions rendues dans diverses affai-
res. Il ressort du même ouvrage que le Livre
pourpre de Bruges était également constitué d'un
ensemble de décisions, qui étaient probablement
les mêmes que celles qui figuraient dans les Rôles
d'Oléron. Le droit maritime des diverses villes
baltes, que l'on trouve également dans le Black
Book, consiste aussi, en bonne partie, en un recueil
de jugements. Il appert dès lors que le droit mari
time, et en particulier le droit maritime anglais,
était non pas une codification figée, mais un sys-
tème de droit en constante évolution. Le fait que le
droit maritime anglais était clairement apparenté
à celui des autres pays est corroboré par l'opinion
incidente faite par lord Watson à la page 606 de
l'affaire Sailing Ship «Blairmore» Company
Limited and others [précitée]; il a en effet déclaré
qu'il n'aurait pas été disposé à trancher un point
de droit maritime à l'égard duquel il n'existait
aucune jurisprudence écossaise récente, en l'ab-
sence de plaidoiries portant sur des arrêts autres
qu'anglais et écossais et [TRADUCTION] «adhérant
à des raisonnements sur lesquels se fondent la
pratique et les décisions d'autres pays qui n'ont pas
adopté le droit anglais». Il s'agit donc de détermi-
ner ce qu'était et cé qu'est le droit maritime en
matière d'assurance au Canada. Je note que lors-
que les cours coloniales d'Amirauté ont commencé
à exercer leur compétence dans les diverses colo
nies, elles ont en fait exercé la compétence de la
Cour d'amirauté anglaise. Dans les colonies où la
common law d'Angleterre était en vigueur, les
affaires ayant trait à l'assurance maritime étaient
tranchées en vertu de la common law, ce qui
n'était pas le cas dans les colonies où la common
law n'était pas en vigueur.
Au Bas-Canada, les litiges en matière d'assu-
rance maritime semblent avoir été tranchés en
vertu du droit maritime, lequel aurait découlé des
lois de Bordeaux qui, elles, tiraient leur origine des
Rôles d'Oléron. Il semble donc possible de connaî-
tre l'état du droit maritime à cette époque à partir
des lois relatives à l'assurance maritime en vigueur
au Bas-Canada. Le droit maritime du Bas-Canada
a été codifié en même temps que les autres lois du
Bas-Canada. Un article du Code civil de 1866
porte sur l'assurance maritime. Même si les diver-
ses dispositions de ce Code constituaient le droit
alors en vigueur, ce n'est pas pour cette raison qu'il
faut s'en remettre audit Code. S'il faut en tenir
compte, c'est parce qu'il établit l'existence d'un
droit maritime préexistant et qu'il s'agit peut-être
du document le plus concluant quant à l'existence
du droit maritime au moment où le Code civil a
été rédigé. Il semble que, lorsqu'il a tranché l'af-
faire Provincial Insurance Company v. Joel Léduc
(1874), L.R. 6 P.C. 224 en 1874, le Comité judi-
ciaire du Conseil privé ait considéré le Code civil.
du Québec ou du Bas-Canada comme la source du
droit maritime en ce qui concerne le délaissement.
Cette affaire portait sur la perte, en décembre
1867, d'un navire assuré le 3 janvier 1867, qui
avait subséquemment été poussé à la côte. La
question du sauvetage a été tranchée par la Cour
d'amirauté à Québec, mais celle de l'interprétation
d'une police d'assurance maritime a été jugée par
la Cour supérieure de la province de Québec. Des
appels furent alors interjetés devant la Cour du
Banc de la Reine de la province de Québec, puis
devant le Conseil privé. Comme je l'ai déjà men-
tionné, cette affaire relative au délaissement, a été
tranchée sur le fondement des articles du Code
civil en la matière. En interprétant l'article 2549,
leurs Seigneuries ont invoqué l'affaire écossaise
Smith v. Robertson (1814), 2 Dow 474; 3 E.R.
936 (H.L.), où le droit maritime de l'Écosse avait
été appliqué. Il ne fait aucun doute que le droit
appliqué en matière d'assurance maritime dans les
pays où la common law n'était pas en vigueur,
était le droit maritime interne. Il appert également
que, selon le point de vue du Conseil privé, les
règles du droit maritime énoncées dans le Code
civil s'appliquaient aux polices d'assurance mari
time en cas de délaissement. L'article 2383 du
Code de 1866 disposait notamment que «Il y a
privilège sur les bâtiments pour le paiement des
créances ci-après: ... 7. Les primes d'assurance
sur le bâtiment pour le dernier voyage...»
S'il existait alors un privilège pour le paiement
des primes d'assurance pour le dernier voyage, il
ne fait aucun doute qu'il existait un droit d'action
in rem à cet égard. En pareil cas, la durée de la
police d'assurance est déterminée en fonction de la
date plutôt que de la durée d'un voyage.
Le Code de commerce français, qui est en bonne
partie à l'origine du Code civil du Bas-Canada, est
publié dans la Petite collection Dalloz, 12° éd.,
Paris, Librairie Dalloz, 1913. Il ressort de cet
ouvrage que l'article 191 du deuxième livre de ce
Code adopté le 15 septembre 1807 et promulgué
le 25 du même mois, dispose qu'il existe un privi-
lège pour le paiement des primes d'assurance pour
le dernier voyage. Voici le texte de la note 4 en bas
de page de cet ouvrage:
4. Le privilège accordé par l'art. 191-10e c. corn., aux assu-
reurs pour la prime d'assurance d'un navire, n'a lieu que pour
la partie de la prime afférente au dernier voyage, c'est-à-dire
pour la période comprise entre le dernier armement et le
désarmement du navire; et il en est ainsi, alors même que
l'assurance a été faite pour une période déterminée pendant
laquelle le navire a réalisé plusieurs voyages.
Ces observations contemporaines précisent que
le privilège était limité à la portion de la prime
afférente au dernier voyage, lorsque celle-ci s'ap-
pliquait à une police prévoyant une plus longue
durée. Toutefois, je cite ce Code non pas pour
déterminer s'il existait, en droit maritime, un droit
de rétention ou un privilège ni, le cas échéant, pour
indiquer l'étendue de l'un ou l'autre, mais afin
d'établir s'il existait de façon générale un droit
d'intenter une action in rem pour le paiement de
primes.
Une observation formulée en 1766 par M. René-
Josué Valin, procureur du roi de la cour de l'ami-
rauté de La Rochelle (dans Nouveau Commen-
taire sur L'Ordonnance de la Marine du Mois
D'Août 1681), relativement aux anciennes ordon-
nances de France et aux us et coutumes de la mer,
précise, à la page 363, que le privilège pour le
paiement des primes d'assurance n'était pas men-
tionné dans ce Code parce qu'il était présumé que
la prime était payée en espèces au moment de la
signature de la police. L'éminent auteur ajoute
que, malgré cela, l'assureur pourrait facilement
faire valoir un privilège sur le navire pour le
paiement de la prime. À la page 364, il déclare que
les autres questions sont tranchées par l'article du
Code «conformément au droit commun, qui règle
l'ordre des privilèges par la nature de la cause de
la créance». (Je tiens pour acquis que les mots
«droit commun» ne désignent pas la common law
d'Angleterre, mais le droit maritime existant avant
le Code.)
Si, comme il va de soi, le droit maritime recon-
naît l'existence d'un privilège établissant une prio-
rité de rang en vue du paiement de tout ou partie
d'une prime d'assurance, alors une telle prime
d'assurance constitue une obligation qui, de par sa
nature même, peut faire l'objet d'une action in
rem.
La deuxième question à trancher est celle de
savoir qui peut intenter une action in rem? Il ne
fait aucun doute que l'assureur possède un tel
droit. En l'espèce, la demande est faite par le
courtier, qui représente non pas l'assureur, mais
l'assuré.
Il a été statué qu'une personne qui paie de son
propre chef les gages d'un marin n'a pas droit de
se substituer au marin et de se prévaloir du privi-
lège de ce dernier pour le paiement desdits gages.
Je prends toutefois note du fait qui m'a été main-
tes fois signalé qu'un courtier qui négocie un con-
trat d'assurance avec les assureurs de la Lloyd's est
personnellement responsable du paiement des
primes envers l'assureur pour tout contrat d'assu-
rance que le courtier a négocié, que l'assuré ait
payé le courtier ou non. Un courtier qui verse des
primes ne le fait donc pas à titre volontaire et, à
mon avis, il est investi du droit reconnu à l'assu-
reur d'intenter une action in rem pour le paiement
desdites primes.
La demanderesse n'ayant pas justifié les sommes
réclamées à titre d'intérêt et ayant renoncé à tous
ses droits à leur égard, je n'ai donc pas à me
pencher sur un quelconque droit contractuel à
l'intérêt. Ce jugement étant rendu en vertu de la
compétence d'amirauté de la Cour, la demande-
resse a droit au versement de l'intérêt à partir de la
date à laquelle les diverses sommes sont devenues
exigibles. Comme aucun élément de preuve ne m'a
été présenté relativement au taux auquel un tel
intérêt devrait être calculé, cet intérêt sera établi
suivant un taux annuel de 5 % à partir des dates
auxquelles les diverses sommes sont devenues exi-
gibles, et ce, jusqu'à la date du jugement.
La déclaration fait état d'une somme de 2 325 $
devenue exigible le 25 juillet 1985 et d'une autre
somme semblable devenue exigible le 25 août
1985; aucune de ces sommes n'a été payée. La
somme due à ce jour s'élève donc à 4 650 $, ce qui
correspond aux arriérés et à l'intérêt au montant
de 199,69 $. Le jugement sera rendu pour la
somme de 4 849,69 $ plus l'intérêt postérieur au
jugement suivant un taux annuel de 5 % et les
dépens taxés de l'action.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demanderesse pourra
recouvrer du défendeur, le navire Susan Darlene,
la somme de quatre mille huit cent quarante-neuf
dollars et soixante-neuf cents (4 849,69 $), plus
l'intérêt au taux annuel de cinq pour cent (5 %)
depuis la date du jugement, conformément à l'arti-
cle 3 de la Loi sur l'intérêt, S.R.C. 1970, chap.
I-18, et les dépens taxés de l'action.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.