A-514-85
Brian James Dempsey (appelant)
c.
Procureur général du Canada, Solliciteur général
du Canada et Commissaire aux services correc-
tionnels (intimés)
RÉPERTORIÉ: DEMPSEY C. CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)
(C.A.F.)
Cour d'appel, juges Pratte, Urie et Hugessen-
Ottawa, 19 février et 26 mars 1986.
Justice criminelle et pénale - Emprisonnement - L'art.
659(2) du Code confère-t-il à un détenu purgeant une peine
dans un pénitencier fédéral pour une infraction au Code crimi-
nel le droit à ce que des mandats de dépôt non exécutés relatifs
à des infractions provinciales soient reçus par les autorités
pénitentiaires et le droit de purger sur place ses peines impo
sées relativement à des infractions provinciales? - Les peines
imposées pour des infractions provinciales et pour des infrac
tions prévues au Code criminel peuvent-elles être purgées
concurremment? - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34,
art. 658, 659 (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 93, art. 79;
1976-77, chap. 53, art. 13) - Loi sur la libération condition-
nelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2, art. 2 (mod. par S.C.
1976-77, chap. 53, art. 17(1); 1980-81-82-83, chap. 110, art.
77) - Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23, art. 27(2)
- Loi d'interprétation, R.S.O. 1980, chap. 219, art. 23 - Loi
sur les infractions provinciales, R.S.O. 1980, chap. 400, art. 65
- Acte pour mieux proportionner le châtiment à l'Offense, en
certains cas, S.C. 1842, chap. 5, art. III - Acte pour mieux
régler et administrer le pénitentiaire provincial, S.C. 1851,
chap. 2, art. II - Acte concernant la Procédure dans les
causes criminelles ainsi que certaines autres matières relatives
à la loi criminelle, S.C. 1869, chap. 29, art. 96.
Pénitenciers - En vertu de l'art. 659(2) du Code criminel,
un détenu purgeant une peine dans un pénitencier fédéral a
droit à ce que les mandats de dépôt non exécutés relatifs à des
infractions provinciales soient reçus par le Service correction-
nel du Canada et dûment exécutés, et à ce que toutes les peines
qui lui ont été imposées pour des infractions provinciales ainsi
que les peines qu'il purge pour des infractions au Code crimi-
nel soient purgées consécutivement - Code criminel, S.R.C.
1970, chap. C-34, art. 658, 659 (mod. par S.C. 1974-75-76,
chap. 93, art. 79; 1976-77, chap. 53, art. 13) - Loi sur la
libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2,
art. 2 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 17(1); 1980-81-
82-83, chap. 110, art. 77) - Loi d'interprétation, S.R.C. 1970,
chap. I-23, art. 27(2) - Loi d'interprétation, R.S.O. 1980,
chap. 219, art. 23 - Loi sur les infractions provinciales,
R.S.O. 1980, chap. 400, art. 65 - Acte pour mieux propor-
tionner le châtiment à l'Offense, en certains cas, S.C. 1842,
chap. 5, art. III - Acte pour mieux régler et administrer le
pénitentiaire provincial, S.C. 1851, chap. 2, art. II - Acte
concernant la Procédure dans les causes criminelles ainsi que
certaines autres matières relatives à la loi criminelle, S.C.
1869, chap. 29, art. 96.
Droit constitutionnel — Partage des pouvoirs — Il découle
de la compétence législative que possède le Parlement relative-
ment aux pénitenciers que l'art. 659(2) du Code s'applique
validement aussi bien aux peines imposées pour des infractions
à des lois provinciales qu'à des peines reliées à des infractions
à des lois fédérales — La question de savoir si les peines
doivent être purgées concurremment ou consécutivement res-
sortit au calcul de la durée des peines - Cette question relève
de la législature provinciale — La règle ontarienne veut que
les peines soient purgées consécutivement à moins qu'il ne soit
ordonné autrement — Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31
Vict., chap. 3 (R.-U.) (S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5] (mod.
par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, n° 1), art. 91(27),
(28), 92(6) — Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art.
658, 659 (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 93, art. 79;
1976-77, chap. 53, art. 13) — Règles de la Cour fédérale,
C.R.C., chap. 663, Règle 1101 — Charte canadienne des droits
et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle
de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.), art. 7, 9, 15 — Acte pour mieux proportionner le
châtiment à l'Offense, en certains cas, S.C. 1842, chap. 5, art.
III — Acte pour mieux régler et administrer le pénitentiaire
provincial, S.C. 1851, chap. 2, art. II — Acte concernant la
Procédure dans les causes criminelles ainsi que certaines
autres matières relatives à la loi criminelle, S.C. 1869, chap.
29, art. 96.
L'appelant, un détenu purgeant dans un pénitencier fédéral
des peines imposées pour des infractions au Code criminel,
sollicite un jugement déclaratoire portant qu'il a droit, en vertu
du paragraphe 659(2) du Code, à ce que les mandats de dépôt
non exécutés qui ont été délivrés contre lui relativement à des
contraventions à des règlements municipaux soient acceptés par
le Service correctionnel du Canada et que les peines imposées
pour ces contraventions, qui totalisent 85 jours de prison, soient
purgées concurremment avec les peines que l'appelant purge
actuellement dans le pénitencier. Il s'agit d'un appel interjeté
de la décision de la Division de première instance rejetant son
action.
Arrêt (le juge Pratte dissident): l'appel devrait être accueilli.
Le juge Hugessen: Le système de justice criminel de chaque
province du Canada est fondamentalement unitaire. Aucune
disposition législative n'indique la distinction à établir entre le
sens du terme prison et celui du terme pénitencier, qui figurent
aux paragraphes 91(28) et 92(6) de la Loi constitutionnelle de
1867. Historiquement, on entendait par pénitencier une prison
à laquelle étaient envoyées les personnes purgeant des peines de
deux ans ou plus. Ni le genre de l'établissement ni la nature des
infractions criminelles que sanctionnait la peine ne servait à
déterminer quels prisonniers seraient envoyés au pénitencier. Il
est évident que le paragraphe 659(2) du Code s'applique parfai-
tement aux faits de l'espèce. Rien dans ce paragraphe lui-même
ou dans le contexte historique et constitutionnel n'indique que
le champ d'application de cette disposition se limite aux peines
imposées pour des contraventions à des lois fédérales. Une
interprétation restrictive de celui-ci contrecarrerait et irait
même jusqu'à nier l'ensemble du régime fédéral des libérations
conditionnelles et de la surveillance obligatoire. Le sort des
personnes à qui ont été infligées à la fois des peines fédérales et
des peines provinciales serait réglé par le hasard ou, pis encore,
par un exercice arbitraire d'autorité.
La compétence législative que possède le Parlement relative-
ment aux pénitenciers implique le pouvoir de définir ce qui
constitue un pénitencier. Le terme «pénitencier», depuis les
époques les plus anciennes, a été défini en fonction de la durée
de la peine à être purgée, sans égard à l'origine législative des
dispositions en vertu desquelles cette peine a été imposée. De
plus, la définition fédérale d'un pénitencier n'est pas incompati
ble avec la législation ontarienne qui s'applique en la matière.
Finalement, aucune décision publiée ne conclut que les lois
fédérales relatives à l'incarcération des prisonniers dans les
pénitenciers visent uniquement les personnes purgeant des
peines qui sanctionnent des infractions à des lois fédérales.
La demande de l'appelant de purger ses peines provinciales
concurremment avec ses peines fédérales soulève un problème
qui ressortit au calcul de la durée des peines, une question qui
relève de la législature provinciale. En Ontario, la règle relative
aux peines multiples veut qu'elles soient purgées consécutive-
ment à moins qu'il ne soit ordonné autrement.
Le juge Urie: La conclusion que tire le juge Hugessen aux
termes de son analyse du paragraphe 659(2) est à la fois
logique et obligatoire. Cette interprétation ne peut toutefois
prévaloir que si le Parlement possède la compétence constitu-
tionnelle pour régir la manière dont seront purgées les peines
qui sanctionnent les condamnations visant des infractions pré-
vues dans les lois provinciales. Bien que le pouvoir du Parle-
ment de légiférer en ce qui concerne les pénitenciers n'implique
pas nécessairement celui de définir ce qui constitue un péniten-
cier, il implique le pouvoir de déterminer quels détenus y seront
emprisonnés et ce, sans égard à l'origine législative des disposi
tions en vertu desquelles leur peine a été imposée. Le champ de
compétence fédéral s'étend au contrôle et au traitement de
toutes personnes purgeant une peine dans un pénitencier. Il en
découle donc une obligation d'accepter les mandats de dépôt
relatifs aux peines d'emprisonnement sanctionnant des infrac
tions aux lois provinciales.
Le juge Pratte (dissident): L'appel devrait être rejeté. Les
injustices résultant d'une interprétation stricte du paragraphe
659(2) ne doivent pas entrer en ligne de compte puisqu'il est
évident que cette disposition ne s'applique qu'aux peines impo
sées pour des infractions fédérales. L'article 659 fait partie du
Code criminel, qui a été adopté par le Parlement conformément
au paragraphe 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867; il
doit s'appliquer aux peines imposées en vertu de ce Code pour
des infractions qu'il prévoit. Seul un libellé très précis permet-
trait d'étendre l'application des dispositions du Code relatives à
la détermination de la peine aux sentences imposées en vertu de
textes législatifs provinciaux. Qui plus est, la Constitution n'a
pas conféré au Parlement le pouvoir de déterminer de quelle
façon et à quel moment une peine d'emprisonnement imposée
en vertu d'une loi provinciale doit être purgée. Ce pouvoir est
accessoire au pouvoir que possèdent les provinces d'adopter des
mesures législatives sanctionnant la violation de leurs lois.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
In re New Brunswick Penitentiary (1880), [1875-1906]
Cout. S.C. 24; Canadian Pioneer Management Ltd. et
autres c. Conseil des relations du travail de la Saska-
tchewan et autres, [1980] 1 R.C.S. 433.
DISTINCTION FAITE AVEC:
R. c. Hauser, [1979] 1 R.C.S. 984; Procureur général du
Canada c. Transports Nationaux du Canada, Ltée et
autre, [1983] 2 R.C.S. 206.
DÉCISIONS CITÉES:
Bedard c. Directeur du Centre de Détention de Montréal
(jugement en date du 2 novembre 1983, Cour supérieure
du Québec, 500-36-525-835, non publié); Durand c.
Forget (1980), 24 C.R. (3d) 119 (C.S. Qc); Bedard c.
Service correctionnel du Canada, [1984] 1 C.F. 193 (l'°
inst.).
AVOCATS:
Ronald R. Price, c.r., pour l'appelant.
Brian J. Saunders pour les intimés.
PROCUREURS:
Ronald R. Price, c.r., Kingston, pour l'appe-
lant.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE (dissident): L'appelant est un
détenu purgeant dans le pénitencier de Kingston,
un établissement fédéral, des peines de prison
d'une durée totale de 12 ans qui lui ont été infli-
gées conformément au Code criminel [S.R.C.
1970, chap. C-34]. À différentes reprises, peu de
temps avant et peu de temps après son incarcéra-
tion, il a été condamné à des peines d'emprisonne-
ment d'une durée totale de 85 jours relativement à
des contraventions aux règlements de la ville de
Toronto touchant le stationnement. Il croyait avoir
le droit de purger ces dernières peines à l'intérieur
du pénitencier, concurremment avec ses peines
imposées en vertu du Code criminel; en consé-
quence, il a pris des arrangements pour que les
mandats de dépôt qui avaient été lancés relative-
ment aux infractions touchant le stationnement
soient signifiés aux fonctionnaires du Service cor-
rectionnel du Canada affectés au pénitencier de
Kingston. Ces fonctionnaires ont toutefois refusé
de les accepter. Cela a amené l'appelant à intenter
une action devant la Division de première instance,
action dans laquelle il sollicitait un jugement
déclaratoire portant qu'il avait le droit de purger
ces peines au pénitencier en même temps que les
peines qui lui avaient été imposées en vertu du
Code criminel: L'appel en l'espèce est interjeté du
jugement du juge Rouleau [[1986] 1 C.F. 217] qui
a rejeté cette action.
Les parties s'entendent pour dire que les peines
dont il est question en l'espèce doivent, selon les
lois de l'Ontario, être purgées dans un établisse-
ment correctionnel provincial plutôt que dans un
pénitencier. L'appelant soutient que, nonobstant
les lois de l'Ontario, le paragraphe 659(2) du Code
criminel [mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 93, art.
79] ordonne que ces sentences soient purgées dans
le pénitencier à l'intérieur duquel il est déjà
incarcéré.
L'interprétation du paragraphe 659(2) doit tenir
compte de son contexte [659 mod. par S.C.
1976-77, chap. 53, art. 13]:
658. Quiconque est déclaré coupable d'un acte criminel pour
lequel il n'est spécialement prévu aucune peine, est passible
d'un emprisonnement de cinq ans.
659. (1) Sauf lorsqu'il y est autrement pourvu, une personne
qui est condamnée à l'emprisonnement
a) à perpétuité,
b) pour une durée de deux ans ou plus, ou
e) pour deux périodes ou plus de moins de deux ans chacune,
à purger l'une après l'autre et dont la durée totale est de deux
ans ou plus,
doit être condamnée à l'emprisonnement dans un pénitencier.
(2) Lorsqu'une personne condamnée à l'emprisonnement
dans un pénitencier est, avant l'expiration de cette sentence,
condamnée à un emprisonnement de moins de deux ans, elle
doit être condamnée et purger cette dernière sentence dans un
pénitencier, mais si la sentence antérieure d'emprisonnement
dans un pénitencier est annulée, elle doit purger l'autre confor-
mément au paragraphe (3).
(3) Lorsqu'une personne est condamnée à l'emprisonnement
et qu'il n'est pas requis de la condamner comme le prévoit le
paragraphe (1) ou (2), elle doit, à moins que la loi ne prescrive
une prison spéciale, être condamnée à l'emprisonnement dans
une prison ou autre lieu de détention de la province où elle est
déclarée coupable, autre qu'un pénitencier, où la sentence
d'emprisonnement peut être légalement exécutée.
(4) Lorsqu'une personne est condamnée à l'emprisonnement
dans un pénitencier pendant qu'elle est légalement emprisonnée
dans un autre endroit qu'un pénitencier, elle doit, sauf lorsqu'il
y est autrement pourvu, être envoyée immédiatement au péni-
tencier et y purger la partie inexpirée de la période d'emprison-
nement qu'elle purgeait lorsqu'elle a été condamnée au péniten-
cier, ainsi que la période d'emprisonnement pour laquelle elle a
été condamnée au pénitencier.
(5) Lorsque, à un moment quelconque, une personne qui est
emprisonnée dans une prison ou un lieu de détention autre
qu'un pénitencier est condamnée à purger, l'une après l'autre,
deux ou plusieurs périodes d'emprisonnement, chacune de
moins de deux ans, et que l'ensemble des parties non expirées
de ces périodes à ce moment est de deux ans ou plus, elle doit
être transférée dans un pénitencier pour purger ces périodes;
mais si l'une ou plusieurs de ces périodes sont annulées et si
l'ensemble des parties non expirées de la ou des périodes qui
restaient le jour où la personne a été transférée en vertu du
présent article était de moins de deux ans, elle doit purger cette
période ou ces périodes en conformité du paragraphe (3).
(6) Aux fins du présent article, lorsqu'une personne est
condamnée à l'emprisonnement pour une période déterminée
suivie d'une période indéterminée, une telle sentence est censée
être pour une période de moins de deux ans et seule la période
déterminée de cette sentence doit être considérée pour détermi-
ner si la personne sera condamnée à l'emprisonnement dans un
pénitencier ou sera envoyée ou transférée dans un pénitencier
en vertu du paragraphe (5).
(6.1) Lorsque, avant ou après l'entrée en vigueur du présent
paragraphe, une personne a été condamnée à l'emprisonnement,
envoyée ou transférée dans un pénitencier, autrement qu'en
vertu d'un accord conclu conformément au paragraphe 15(1)
de la Loi sur les pénitenciers, toute partie indéterminée de sa
sentence est, à toutes fins, censée ne pas avoir été imposée.
(7) Pour l'application du paragraphe (3), le terme «péniten-
cier» ne comprend pas, avant une date à fixer par proclamation
du gouverneur en conseil, le pénitencier mentionnné à l'article
82 de la Loi sur les pénitenciers, chapitre 206 des Statuts
révisés du Canada de 1952.
Selon l'avocat de l'appelant, le paragraphe
659(2) s'applique non seulement aux peines infli-
gées en vertu du Code criminel et d'autres lois
fédérales, mais encore aux peines imposées en
vertu de dispositions adoptées par les provinces. Il
s'ensuit, selon lui, que l'appelant doit, lorsqu'il se
trouve à l'intérieur du pénitencier, purger toutes
ses peines en même temps.
L'avocat de l'appelant a présenté plusieurs argu
ments au soutien de cette interprétation large du
paragraphe 659(2). Tout d'abord, il s'est appuyé
sur deux jugements de la Cour supérieure du
Québec qui ont adopté une telle interprétation'.
En second lieu, il a invoqué des [TRADUCTION]
«motifs reliés à la politique générale et à la prati-
que en matière correctionnelle», motifs qui appelle-
raient une interprétation large de ce paragraphe.
Troisièmement, il a souligné qu'une interprétation
restrictive du paragraphe 659(2) entraînerait de
nombreuses anomalies. Finalement, il a fait réfé-
rence à la Loi sur la libération conditionnelle de
Bedard c. Directeur du Centre de Détention de Montréal
(jugement en date du 2 novembre 1983, Cour supérieure du
Québec, 500-36-525-835, non publié); Durand c. Forget
(1980), 24 C.R. (3d) 119 (C.S. Qc).
détenus [S.R.C. 1970, chap. P-2], prétendant
qu'elle établissait clairement que les règles appli-
cables aux peines imposées en vertu d'une loi
provinciale et celles imposées en vertu d'une loi
fédérale n'étaient pas entièrement distinctes.
Ces arguments ne me semblent pas bien fondés.
À mon avis, les deux jugements de la Cour
supérieure invoqués par l'appelant sont des précé-
dents peu convaincants. Ils contredisent la décision
portée en appel ainsi qu'une autre décision de la
Division de première instance, rendue dans l'af-
faire Bedard c. Service correctionnel du Canada'.
Qui plus est, le seul motif qu'ont donné les juges
qui ont prononcé ces jugements à l'appui d'une
telle interprétation du paragraphe 659(2) est
qu'une interprétation différente conduirait à des
résultats injustes. Ce genre d'argument, comme
celui qui est fondé sur la politique générale invo-
qué par l'appelant, pourrait entrer en ligne de
compte dans l'interprétation de ce paragraphe si
celui-ci était réellement obscur. Toutefois, ainsi
que je le dirai un peu plus loin, ce n'est pas le cas.
Quant aux anomalies qui découleraient, selon
l'avocat de l'appelant, d'une interprétation restric
tive de ce paragraphe, elles ne résulteraient pas
d'une telle interprétation mais plutôt de sa thèse en
vertu de laquelle le paragraphe 659(4) devrait, en
tout état de cause, s'appliquer aussi bien aux
peines de nature fédérale que provinciale. Je
reconnais que, si l'on donne au paragraphe 659(4)
cette interprétation large, l'on doit interpréter le
paragraphe 659(2) de la même façon. Toutefois, à
mon avis, les deux paragraphes doivent être inter-
prétés de façon stricte, c'est-à-dire comme ne s'ap-
pliquant qu'aux peines imposées en vertu de la
législation fédérale.
Contrairement à ce qu'a affirmé l'avocat de
l'appelant, les dispositions de la Loi sur la libéra-
tion conditionnelle de détenus n'appuient pas son
interprétation. Celui-ci a en effet tenu pour acquis
que la Loi sur la libération conditionnelle de
détenus s'appliquait aux détenus purgeant des
2 [1984] 1 C.F. 193 (1fe inst.).
[TRADUCTION] «peines provinciales» dans des
pénitenciers fédéraux. Toutefois, cette présomp-
tion, en plus de ne tenir aucun compte de la
définition du terme «détenu» contenue dans cette
Loi', se fonde sur une autre supposition injustifiée
voulant que le paragraphe 659(4) s'applique à la
fois aux peines provinciales et aux peines fédérales.
Je suis d'avis que le paragraphe 659(2) est clair
et doit être interprété comme ne s'appliquant
qu'aux peines imposées en vertu des lois fédérales.
J'appuie cette conclusion sur deux motifs: tout
d'abord, l'article 659 fait partie du Code criminel;
et, en second lieu, cet article a été adopté par un
Parlement dont la compétence législative est
limitée.
L'article 659 fait partie du Code criminel, dans
lequel le Parlement, dans l'exercice du pouvoir que
lui confère le paragraphe 91(27) de la Loi consti-
tutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3
(R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5] (mod.
par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de
1982, n° 1)], a défini les différentes infractions
criminelles et prévu les sanctions auxquelles elles
donneront lieu. Il est logique qu'une disposition
qui, comme l'article 659, traite de la détermination
de la peine, s'applique aux peines imposées en
vertu du Code pour des infractions prévues à ce
Code. Il est vrai que, en vertu du paragraphe 27(2)
de la Loi d'interprétation'', les dispositions du Code
sont applicables aux actes criminels créés par d'au-
tres textes législatifs fédéraux; toutefois, seul un
libellé très précis permettrait d'étendre l'applica-
tion des dispositions du Code relatives à la déter-
3 Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C.
1970, chap. P-2, art. 2 [mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art.
17(1); 1980-81-82-83, chap. 110, art. 77]:
2. Dans la présente loi ...
«détenu» désigne une personne condamnée à une peine d'em-
prisonnement en vertu d'une loi du Parlement où à la suite
d'un outrage au tribunal en matière pénale ...
4 Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23, art. 27(2):
27... .
(2) Toutes les dispositions du Code criminel relatives aux
actes criminels s'appliquent aux actes criminels créés par un
texte législatif, et toutes les dispositions du Code criminel
relatives aux infractions punissables sur déclaration som-
maire de culpabilité s'appliquent à toutes les autres infrac
tions créées par un texte législatif, sauf dans la mesure où ce
dernier en décide autrement.
mination de la peine aux sentences imposées en
vertu de textes législatifs provinciaux. En l'absence
de ces termes clairs, je ne puis interpréter l'article
659 autrement que comme ne s'appliquant qu'aux
peines prononcées en vertu du Code criminel ou
d'autres lois fédérales. Je souscris entièrement à
l'opinion exprimée par le juge de première instance
sur ce point.
Toutefois, la raison fondamentale pour laquelle,
à mon avis, l'interprétation que donne l'appelant
au paragraphe 659(2) doit être rejetée est que le
pouvoir de déterminer de quelle façon et à quel
moment une peine d'emprisonnement imposée en
vertu d'une loi provinciale doit être purgée n'a pas
été conféré au Parlement par la Constitution. En
vertu des articles 91 et 92 de la Loi constitution-
nelle de 1867, les législatures provinciales, aussi
bien que le Parlement, possèdent le pouvoir
d'adopter des mesures législatives sanctionnant la
violation de leurs lois respectives. Ce pouvoir com-
prend celui de prévoir des peines d'emprisonne-
ment et de déterminer de quelle façon et à quel
moment ces peines seront purgées. Selon moi, le
pouvoir du Parlement de déterminer de quelle
façon les peines d'emprisonnement seront purgées
est accessoire à son pouvoir d'adopter des lois
prévoyant de telles peines. Il s'ensuit que le Parle-
ment ne peut pas plus régir la façon dont une peine
d'emprisonnement imposée en vertu d'une loi pro-
vinciale sera purgée qu'il ne peut imposer de peine
pour la violation d'une telle lois.
5 Le juge Rouleau, traitant de l'aspect constitutionnel de
cette affaire, a exprimé l'avis que le Parlement pouvait valide-
ment régir la manière dont les «peines provinciales» devaient
être purgées pourvu qu'une telle intrusion dans le domaine de
compétence des provinces soit «vraiment nécessaire pour la
création d'un système de règles cohérent, juste et efficace
régissant des peines purgées dans les pénitenciers fédéraux». Je
ne puis souscrire à cette opinion puisqu'il m'est impossible de
concevoir que le Parlement doive régler la façon dont les
«peines provinciales» doivent être purgées afin de régler de
manière complète la manière dont les «peines fédérales» doivent
être purgées.
Si, dans cette analyse, je n'ai pas mentionné le paragraphe
91(28) de la Loi constitutionnelle de 1867, qui confère au
Parlement le pouvoir exclusif de légiférer relativement à «l'éta-
blissement, le maintien et l'administration des pénitenciers»,
c'est parce qu'il me semble clair que le Parlement ne peut, en
vertu de cette compétence, décider que des peines imposées en
vertu de lois provinciales seront purgées dans des pénitenciers
fédéraux plutôt que dans des prisons provinciales établies con-
formément au paragraphe 92(6) de la Loi constitutionnelle de
1867.
L'avocat de l'appelant a également soutenu en
appel un argument qu'il n'avait pas présenté en
première instance. Il a invoqué la Charte cana-
dienne des droits et libertés [qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap.
11 (R.-U.)], prétendant que le paragraphe 659(2),
interprété comme il l'est par la Division de pre-
mière instance, viole les droits que garantissent à
l'appelant les articles 7, 9 et 15 de la Charte. Cet
argument était toutefois fondé sur la supposition
voulant que le paragraphe 659(4) s'appliquât à la
fois aux peines «fédérales» et aux peines «provincia-
les». Ayant déjà dit que cette supposition n'était
pas justifiée, il n'est pas nécessaire que j'examine
davantage cet argument.
Je rejetterais l'appel avec dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE URIE: J'ai eu l'avantage de lire les
motifs de jugement de mes collègues, le juge
Pratte et le juge Hugessen. Je souscris à l'opinion
du juge Hugessen selon laquelle «Si l'on s'en tient
à une interprétation directe de la Loi, sans faire
entrer en jeu les questions de compétence reliées à
l'attribution des pouvoirs législatifs dans notre
régime fédéral, il me semblerait évident que les
dispositions qui précèdent [article 659] s'appli-
quent parfaitement à la situation dans laquelle se
trouve l'appelant.» La conclusion qu'il tire aux
termes de cette analyse est, dans un tel contexte, à
la fois logique et obligatoire. Cette interprétation
ne peut toutefois prévaloir que si le Parlement
possède la compétence constitutionnelle pour régir
la manière dont seront purgées les peines qui sanc-
tionnent les condamnations visant des infractions
prévues dans des lois provinciales.
Je ne suis pas d'avis que le pouvoir du Parlement
de légiférer en ce qui concerne les pénitenciers
implique celui de définir ce qui constitue un péni-
tencier. Par l'effet de la coutume ou de la conven
tion historique, la compétence du Parlement sur les
pénitenciers vise les endroits où sont purgées des
peines de deux ans ou plus. À mon sens, la compé-
tence législative que possède le Parlement relative-
ment aux pénitenciers implique, dans le contexte
de 1867 et encore davantage dans le contexte
actuel, le pouvoir de déterminer quels détenus y
seront emprisonnés et ce, sans égard à l'origine
législative des dispositions en vertu desquelles leur
peine a été imposée.
À cette opinion, j'ajouterai qu'à mon avis la
compétence du Parlement sur les pénitenciers com-
prend, dans le cadre de ses limites, le pouvoir de
légiférer relativement à toute personne incarcérée
dans un pénitencier pour y purger une peine, peu
importe que l'infraction sanctionnée soit d'origine
fédérale ou provinciale. Ce pouvoir doit certaine-
ment s'étendre non seulement à la garde et au
bien-être physiques de cette personne, mais encore
à la capacité et à l'obligation d'accepter les man-
dats de dépôt relatifs aux peines d'emprisonnement
sanctionnant des infractions aux lois provinciales.
Plus simplement, je suis d'avis que le champ de la
compétence fédérale s'étend au contrôle et au trai-
tement de toute personne purgeant une peine dans
un pénitencier.
Je déciderais de cet appel ainsi que le propose le
juge Hugessen dans ses motifs de jugement.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN: Le litige en l'espèce sou-
lève la question générale de savoir si une personne
qui purge une peine dans un pénitencier fédéral
pour une infraction prévue au Code criminel doit
attendre sa mise en liberté du pénitencier pour
purger des peines lui ayant été imposées pour
violation de lois provinciales. De façon plus res-
treinte, il se pose la question de savoir si les
autorités pénitentiaires peuvent refuser d'accepter
les mandats de dépôt relatifs à des infractions
provinciales lancés contre une personne se trouvant
déjà sous leur garde en vertu d'un mandat de dépôt
concernant une infraction criminelle. Que la ques
tion soit formulée de façon large ou restreinte, le
jugement porté en appel a décidé que la réponse
devait être affirmative. A mon avis, cette conclu
sion est erronée.
Les faits peuvent être exposés de façon très
succincte. Le 31 janvier 1980, l'appelant, ayant été
trouvé coupable de plusieurs crimes graves, a été
condamné par la Cour suprême de l'Ontario à des
peines d'emprisonnement d'une durée totale de
douze ans. Conformément à la loi, il a été conduit
dans un pénitencier pour purger ces peines. Avant
l'imposition de ces peines, un juge de paix avait
infligé à l'appelant vingt-quatre peines totalisant
soixante-six jours de prison pour défaut de paie-
ment d'amendes imposées pour contraventions au
règlement sur le stationnement de la ville de
Toronto. Après la date à laquelle les peines relati
ves aux infractions au Code criminel ont été infli-
gées, un juge de paix a imposé à l'appelant huit
autres peines d'une durée totale de dix-neuf jours
qui, elles aussi, se rapportaient au défaut de paie-
ment d'amendes. Pendant que l'appelant purgeait
au pénitencier ses peines imposées en vertu du
Code criminel, un agent de police a tenté d'exécu-
ter les trente-deux mandats de dépôt relatifs au
défaut de paiement des contraventions en question,
mais il s'est heurté au refus des fonctionnaires du
pénitencier de les accepter. L'appelant a alors
intenté la présente poursuite devant la Division de
première instance, pour obtenir un jugement décla-
ratoire portant qu'il avait droit à ce que les man-
dats provinciaux non exécutés soient reçus par les
fonctionnaires du pénitencier afin qu'il puisse
purger à cet endroit les peines qui lui ont été
imposées en vertu de lois provinciales. Il a
demandé également un jugement déclaratoire por-
tant qu'il a le droit de purger les peines qui lui ont
été imposées en vertu de lois provinciales concur-
remment avec les peines imposées en vertu du
Code criminel. L'appel en l'espèce est interjeté du
jugement de la Division de première instance reje-
tant cette action.
Je procède selon la proposition, évidente en soi,
me semble-t-il, qui veut que le système de justice
criminelle de chaque province du Canada soit fon-
damentalement unitaire. Bien que les deux niveaux
de gouvernement puissent créer des infractions et
prescrire des peines, notre police, nos procureurs
de la Couronne, nos tribunaux et nos prisons,
contrairement à ce qui est le cas dans certains
pays, ne relèvent pas de systèmes fédéral et provin-
ciaux distincts, séparés et fonctionnant de façon
parallèle. Les enquêtes portant sur des infractions
criminelles créées par le gouvernement fédéral sont
souvent, et même habituellement, menées par la
police provinciale (ou, ce qui revient au même, par
la police fédérale travaillant à contrat pour une
province), et les poursuites relatives à ces infrac
tions relèvent ordinairement des procureurs géné-
raux des provinces. Les cours de juridiction crimi-
nelle sont toujours établies par les gouvernements
provinciaux, même si certaines de celles-ci sont
présidées par des juges nommés par le gouverne-
ment fédéral. Les agents de probation provinciaux
préparent les rapports pré-sentenciels et voient à
l'application des ordonnances de probation. Les
prisons provinciales sont remplies de détenus pur-
geant des peines imposées pour des infractions
criminelles fédérales. Lorsque ceux-ci sont mis en
liberté conditionnelle ou libérés sous surveillance
obligatoire, c'est aux agents fédéraux de libéra-
tions conditionnelles qu'est confiée leur surveil
lance.
La Constitution partage la compétence relative
aux corrections un peu de la même façon qu'elle le
fait en ce qui concerne les cours, c'est-à-dire de
façon horizontale plutôt que verticale. Le paragra-
phe 28 de l'article 91 permet au Parlement de
légiférer relativement aux «pénitenciers». Le para-
graphe 6 de l'article 92 confère aux provinces le
pouvoir de faire des lois relatives aux «prisons
publiques et ... maisons de correction».
Rien n'indique la distinction à établir entre une
prison et un pénitencier. Le Shorter Oxford Dic
tionary définit le terme «penitentiary» (péniten-
cier) de la manière suivante:
[TRADUCTION] «une maison de réforme; une
maison de correction».
Cette définition, à première vue, semblerait
appuyer l'opinion voulant que nous ayons au
Canada des systèmes de justice criminelle ou, à
tout le moins, des systèmes correctionnels parallè-
les. Il est évident que, si c'était le cas, le Parlement
ne pourrait ordonner que les personnes déclarées
coupables d'infractions criminelles fédérales soient
envoyées dans des prisons provinciales. J'ai déjà
indiqué qu'il en allait tout autrement. En effet, le
pouvoir du Parlement de prescrire que les peines
relatives à des infractions criminelles fédérales
seront purgées dans des établissements provinciaux
a été établi très tôt: voir In re New Brunswick
Penitentiary (1880), [1875-1906] Cout. S.C. 24.
Seule l'histoire peut nous renseigner sur le sens
que les rédacteurs de l'Acte de l'Amérique du
Nord britannique, 1867 prêtaient en 1867 au mot
«pénitenciers». Cette histoire est facile à retracer.
Elle révèle que l'établissement d'un pénitencier par
la Province du Canada remonte à aussi loin que
1842. L'[Acte pour mieux proportionner le châti-
ment à l'Offense, en certains cas, S.C. 1842],
chap. 5, prévoit, à son article III, que pour toute
offense pour laquelle
[III.] ... le délinquant pourra, .. . être puni, sur conviction,
par un emprisonnement pour tel tems que la Cour ordonnera,
ou pour aucun terme excédant deux ans; et si cet emprisonne-
ment est ordonné pour un terme excédant deux ans, ce sera
dans le Pénitencier Provincial.
C'est dans une loi de 1851 ([Acte pour mieux
régler et administrer le pénitentiaire provincial,
S.C. 1851], chap. 2, article II) que l'on trouve le
texte de la période précédant la Confédération qui
se rapproche le plus d'une définition du terme
«pénitencier»:
II.... que le dit pénitentiaire provincial sera maintenu et
considéré comme une prison pour détenir et réformer les mœurs
des hommes et des personnes du sexe qui seront légalement
convaincus de quelque crime devant les tribunaux légalement
constitués de cette province, et condamnés à y être détenus pour
une période de temps de pas moins de deux années; et chaque
fois qu'une personne convaincue de quelque crime, après que
cet acte aura pris force de loi, sera punie de l'emprisonnement,
tel emprisonnement, s'il est pour deux ans ou une plus longue
période de temps, aura lieu dans le pénitentiaire provincial .. .
Une loi immédiatement postérieure à la Confé-
dération, qui figure dans les statuts de 1869 ([Acte
concernant la Procédure dans les causes criminel-
les ainsi que certaines autres matières relatives à
la loi criminelle, S.C. 1869], chap. 29, article 96),
reproduit substantiellement ces mêmes termes:
96. Chaque pénitencier en Canada sera maintenu comme
prison pour détenir et reformer les personnes, hommes et
femmes, légalement convaincues de quelque crime devant les
cours ayant juridiction criminelle dans la province dont il est le
pénitencier, et condamnées à l'incarcération pour la vie, ou
pour une période de pas moins de deux ans; et chaque fois
qu'un délinquant est passible de l'emprisonnement, tel empri-
sonnement, s'il est pour la vie, ou pour deux ans, ou pour un
plus long terme, aura lieu dans le pénitencier ..
Ainsi, au moment de l'adoption de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique, 1867, on enten-
dait par pénitencier une prison à laquelle étaient
envoyées les personnes purgeant des peines de deux
ans ou plus. La durée des peines qui y étaient
purgées constituait le seul critère pertinent; ni le
genre de l'établissement ni la nature des infrac
tions criminelles que sanctionnait la peine d'empri-
sonnement ne servaient à déterminer quels prison-
niers seraient envoyés au pénitencier.
C'est dans un tel contexte que le Parlement a
adopté l'article 659 du Code criminel. Cet article
prévoit:
659. (1) Sauf lorsqu'il y est autrement pourvu, une personne
qui est condamnée à l'emprisonnement
a) à perpétuité,
b) pour une durée de deux ans ou plus, ou
c) pour deux périodes ou plus de moins de deux ans chacune,
à purger l'une après l'autre et dont la durée totale est de deux
ans ou plus,
doit être condamnée à l'emprisonnement dans un pénitencier.
(2) Lorsqu'une personne condamnée à l'emprisonnement
dans un pénitencier est, avant l'expiration de cette sentence,
condamnée à un emprisonnement de moins de deux ans, elle
doit être condamnée et purger cette dernière sentence dans un
pénitencier mais si la sentence antérieure d'emprisonnement
dans un pénitencier est annulée, elle doit purger l'autre confor-
mément au paragraphe (3).
(3) Lorsqu'une personne est condamnée à l'emprisonnement
et qu'il n'est pas requis de la condamner comme le prévoit le
paragraphe (1) ou (2), elle doit, à moins que la loi ne prescrive
une prison spéciale, être condamnée à l'emprisonnement dans
une prison ou autre lieu de détention de la province où elle est
déclarée coupable, autre qu'un pénitencier, où la sentence
d'emprisonnement peut être légalement exécutée.
(4) Lorsqu'une personne est condamnée à l'emprisonnement
dans un pénitencier pendant qu'elle est légalement emprisonnée
dans un autre endroit qu'un pénitencier, elle doit, sauf lorsqu'il
y est autrement pourvu, être envoyée immédiatement au péni-
tencier et y purger la partie inexpirée de la période d'emprison-
nement qu'elle purgeait lorsqu'elle a été condamnée au péniten-
cier, ainsi que la période d'emprisonnement pour laquelle elle a
été condamnée au pénitencier.
(5) Lorsque, à un moment quelconque, une personne qui est
emprisonnée dans une prison ou un lieu de détention autre
qu'un pénitencier est condamnée à purger, l'une après l'autre,
deux ou plusieurs périodes d'emprisonnement, chacune de
moins de deux ans, et que l'ensemble des parties non expirées
de ces périodes à ce moment est de deux ans ou plus, elle doit
être transférée dans un pénitencier pour purger ces périodes;
mais si l'une ou plusieurs de ces périodes sont annulées et si
l'ensemble des parties non expirées de la ou des périodes qui
restaient le jour où la personne a été transférée en vertu du
présent article était de moins de deux ans, elle doit purger cette
période ou ces périodes en conformité du paragraphe (3).
(6) Aux fins du présent article, lorsqu'une personne est
condamnée à l'emprisonnement pour une période déterminée
suivie d'une période indéterminée, une telle sentence est censée
être pour une période de moins de deux ans et seule la période
déterminée de cette sentence doit être considérée pour détermi-
ner si la personne sera condamnée à l'emprisonnement dans un
pénitencier ou sera envoyée ou transférée dans un pénitencier
en vertu du paragraphe (5).
(6.1) Lorsque, avant ou après l'entrée en vigueur du présent
paragraphe, une personne a été condamnée à l'emprisonnement,
envoyée ou transférée dans un pénitencier, autrement qu'en
vertu d'un accord conclu conformément au paragraphe 15(1)
de la Loi sur les pénitenciers, toute partie indéterminée de sa
sentence est, à toutes fins, censée ne pas avoir été imposée.
(7) Pour l'application du paragraphe (3), le terme «péniten-
cier» ne comprend pas, avant une date à fixer par proclamation
du gouverneur en conseil, le pénitencier mentionnné à l'article
82 de la Loi sur les pénitenciers, chapitre 206 des Statuts
révisés du Canada de 1952.
Si l'on s'en tient à une interprétation directe de
la Loi, sans faire entrer en jeu les questions de
compétence reliées à l'attribution des pouvoirs
législatifs dans notre régime fédéral, il me semble-
rait évident que les dispositions qui précèdent s'ap-
pliquent parfaitement à la situation dans laquelle
se trouve l'appelant. Plus particulièrement, le
libellé explicite du paragraphe 659(2) semblerait
applicable à l'espèce. En effet, l'appelant est une
personne «condamnée à l'emprisonnement dans un
pénitencier»; «avant l'expiration de cette sentence»,
il a été «condamné [...] à un emprisonnement de
moins de deux ans». Ce paragraphe dit qu'il doit
«purger cette dernière sentence dans un péniten-
cier».
Rien n'indique au paragraphe 659(2) que le
champ d'application de cette disposition se limite
aux peines imposées pour des contraventions à des
lois fédérales. D'ailleurs, si l'on interprète ce para-
graphe en tenant compte du contexte historique et
constitutionnel que j'ai tenté de faire ressortir plus
haut, il me semble que sa portée ne peut être
limitée de la sorte. Une telle limitation, fondée sur
ce qui serait l'absence de compétence législative du
gouvernement fédéral à l'égard des personnes pur-
geant des peines provinciales aussi bien que fédéra-
les, conduit à des résultats des plus étonnants.
L'appelant, s'il ne peut purger ses peines provin-
ciales au pénitencier (pour le moment, je laisse en
suspens la question de savoir s'il peut les purger
concurremment avec les peines imposées en vertu
du Code criminel), sera susceptible d'être remis
sous arrêt dès sa mise en liberté du pénitencier en
liberté conditionnelle ou sous surveillance obliga-
toire. On doit présumer qu'il pourrait alors être
conduit dans une prison provinciale. Selon moi,
l'ensemble du régime fédéral des libérations condi-
tionnelles et de la surveillance obligatoire s'en
trouverait contrecarré et même nié.
Si le paragraphe 659(2) ne concerne pas les
infractions provinciales, l'on doit évidemment pré-
sumer qu'il en est de même pour le paragraphe
659(4). Rappelons que certaines des peines infli-
gées à l'appelant pour des infractions provinciales
l'ont été avant la date d'imposition des peines
relatives aux infractions au Code criminel bien
qu'aucun des mandats n'ait été exécuté avant cette
date. Supposons que certains de ceux-ci aient été
exécutés, et que l'appelant ait purgé ses peines
provinciales en même temps qu'il subissait son
procès. Si le paragraphe 659(4) n'était pas appli
cable à ces dernières peines, qu'arriverait-il au
moment de l'imposition à l'appelant des peines
fondées sur le Code criminel? Les autorités provin-
ciales refuseraient-elles de le transférer au péniten-
cier jusqu'à ce qu'elles en aient terminé avec lui?
Si elles ne refusaient pas de le faire, l'application
de la partie des peines provinciales qu'il lui reste à
purger serait-elle en quelque sorte suspendue jus-
qu'à ce que les peines qui lui ont été imposées en
vertu du Code criminel aient été purgées, pour
pouvoir être reprise, plusieurs années plus tard, dès
sa libération du pénitencier? Le dossier ne révèle
pas si l'appelant avait été placé en détention pré-
ventive avant de subir son procès et d'être con-
damné relativement aux infractions fondées sur le
Code criminel. Cette détention préventive est, évi-
demment, autorisée en vertu de la Partie XIV du
Code criminel. Une telle détention aurait-elle aussi
pour effet de suspendre l'application de toute peine
provinciale que l'appelant pourrait être en train de
purger?
Les questions qui précèdent illustrent ce qui
m'apparaît être le vice fondamental d'une interpré-
tation restrictive du champ d'application de l'arti-
cle 659: le sort des personnes comme l'appelant, à
qui ont été infligées à la fois des peines fédérales et
des peines provinciales, serait réglé par le hasard
ou, pis encore, par un exercice arbitraire d'auto-
rité. Les affaires Bedard c. Directeur du Centre de
Détention de Montréal (C.S. du Québec, décision
non publiée en date du 2 novembre 1983, n° de
greffe 500-36-525-835) et Durand c. Forget
(1980), 24 C.R. (3d) 119 (C.S. Qc) constituent à
cet égard de bons exemples. Le litige en l'espèce en
est un autre.
À mon avis, une interprétation de la répartition
constitutionnelle des pouvoirs législatifs qui con
duit à de tels résultats alors qu'elle n'est pas
imposée par les termes mêmes de la Loi constitu-
tionnelle et qu'elle va à l'encontre de la pratique
historique, est mal fondée. À mon sens, la compé-
tence législative que possède le Parlement relative-
ment aux pénitenciers implique le pouvoir de défi-
nir ce qui constitue un pénitencier 6 . Cette
définition, depuis les époques les plus anciennes,
s'est faite en fonction de la durée de la peine à être
purgée, sans égard à l'origine législative des dispo
sitions en vertu desquelles cette peine avait été
imposée.
De plus, la définition fédérale d'un pénitencier
n'est pas incompatible avec la législation onta-
rienne qui s'applique en la matière. L'article 23 de
la Loi d'interprétation, R.S.O. 1980, chap. 219, est
ainsi libellé:
23. Quand une loi prévoit l'incarcération ou la détention en
prison, celle-ci se fait à la maison de correction de la localité où
l'ordre d'emprisonnement a été prononcé si la loi n'indique ni
ne prévoit d'autre endroit. En l'absence de maison de correction
dans cette localité, elle se fait à la maison la plus proche. (C'est
moi qui souligne.)
Je ne vois pas pourquoi les termes soulignés ne
pourraient viser une législation fédérale valide
imposant certaines peines devant être purgées dans
un pénitencier.
À cet égard, l'affaire en l'espèce se distingue
nettement de celles où il est question du droit du
gouvernement fédéral de choisir l'autorité qui sera
chargée des poursuites (R. c. Hauser, [ 1979] 1
R.C.S. 984; Procureur général du Canada c.
Transports Nationaux du Canada, Ltée et autre,
[1983] 2 R.C.S. 206). Dans ces affaires, la loi
fédérale attaquée, qui a ultimement été déclarée
valide, cherchait à établir un certain parallélisme à
l'intérieur de notre système de justice criminelle,
dont j'ai déjà dit qu'il était fondamentalement
unitaire. En l'espèce, la loi fédérale et la loi provin-
ciale n'entrent pas en conflit et la première, inter-
prétée littéralement, appuie la thèse du système
b Voir Canadian Pioneer Management Ltd. et autres c. Con-
seil des relations du travail de la Saskatchewan et autres,
[1980] 1 R.C.S. 433, la page 469:
La compétence législative comporte certains pouvoirs de
définition qui ne sont pas illimités mais, selon la façon
particulière dont on les exerce, peuvent toucher à d'autres
domaines de compétence.
Par exemple, le Parlement a une compétence législative
exclusive sur l'établissement, le maintien et l'administration
des pénitenciers en vertu du par. 91.28 de la Constitution et
chaque province a une compétence législative exclusive sur
l'établissement, l'entretien et l'administration des prisons
publiques et des maisons de réforme dans la province, en
vertu du par. 92.6. Jusqu'à présent, la ligne de démarcation
entre les deux semble dépendre en partie de la législation
fédérale, tel l'art. 659 du Code criminel.
unitaire. Bien que cela ne règle aucunement la
question constitutionnelle, il est tout de même
intéressant de noter qu'aucun des procureurs géné-
raux des provinces, à qui pourtant l'avis prévu à la
Règle 1101 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C.,
chap. 663] a été dûment adressé, n'a comparu
pour prétendre que la loi fédérale est ultra vires.
Finalement, en ce qui regarde cet aspect de la
question, je souligne qu'aucune décision que je
connaisse ou que les parties ont pu citer ne conclut
que les lois fédérales relatives à l'incarcération des
prisonniers dans les pénitenciers visent uniquement
les personnes purgeant des peines qui sanctionnent
des infractions à des lois fédérales. Par contre, le
point de vue que j'ai adopté est appuyé par P.W.
Hogg, dans Constitutional Law of Canada,
deuxième édition, 1985, la page 435:
[TRADUCTION] Il est possible qu'une condamnation prononcée
conformément à une loi provinciale entraîne une peine qui doit
être purgée dans un pénitencier fédéral, mais il est inhabituel
qu'une loi provinciale autorise l'imposition d'une peine d'une
durée allant jusqu'à deux ans, et il est rare qu'une telle peine
soit effectivement infligée.
Pour les motifs qui précèdent, je conclus que
l'appelant a le droit de purger dans un pénitencier
fédéral les peines d'emprisonnement qui lui ont été
imposées pour défaut de paiement des amendes
provinciales. Rien dans la législation applicable ou
dans la Loi constitutionnelle elle-même n'autori-
sait les fonctionnaires responsables d'une prison
appartenant à la catégorie des pénitenciers à refu-
ser d'accepter les mandats de dépôt judiciaires
valides que des autorités provinciales compétentes
cherchaient à leur délivrer à l'égard d'une per-
sonne se trouvant légitimement sous leur garde.
Il reste à décider si la demande de l'appelant de
purger ses peines provinciales concurremment avec
ses peines fédérales doit être accueillie. Ce problè-
me ressortit au calcul de la durée des peines plutôt
qu'aux critères servant à déterminer si une per-
sonne purgera sa peine dans un pénitencier. En
conséquence, je suis d'avis que cette question
relève exclusivement de la législature provinciale
qui a créé les infractions concernées et prévu leur
punition. En Ontario, la règle relative aux peines
multiples veut qu'elles soient purgées consécutive-
ment à moins qu'il ne soit ordonné autrement.
L'article 65 de la Loi sur les infractions provincia-
les, R.S.O. 1980, chap. 400, est ainsi libellé:
65. Quiconque doit purger plus d'une peine d'emprisonne-
ment en même temps les purge l'une après l'autre, sauf si la
cour ordonne qu'une peine soit purgée concurremment avec une
autre.
Aucun motif ne me semble justifier de ne pas
donner son plein effet à cet article en ce qui
concerne l'appelant.
J'accueillerais l'appel, j'annulerais le jugement
porté en appel et je déclarerais que l'appelant a
droit à ce que les mandats de dépôt non exécutés
qui ont été délivrés conformément à la loi provin-
ciale soient reçus par le Service correctionnel du
Canada et dûment exécutés, et que toutes les
peines relatives à ces mandats ainsi que les peines
qu'il purge actuellement pour des infractions au
Code criminel seront purgées consécutivement.
J'adjugerais à l'appelant ses dépens devant
toutes les cours.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.