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A-514-85
Brian James Dempsey (appelant) c.
Procureur général du Canada, Solliciteur général du Canada et Commissaire aux services correc- tionnels (intimés)
RÉPERTORIÉ: DEMPSEY C. CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL) (C.A.F.)
Cour d'appel, juges Pratte, Urie et Hugessen- Ottawa, 19 février et 26 mars 1986.
Justice criminelle et pénale - Emprisonnement - L'art. 659(2) du Code confère-t-il à un détenu purgeant une peine dans un pénitencier fédéral pour une infraction au Code crimi- nel le droit à ce que des mandats de dépôt non exécutés relatifs à des infractions provinciales soient reçus par les autorités pénitentiaires et le droit de purger sur place ses peines impo sées relativement à des infractions provinciales? - Les peines imposées pour des infractions provinciales et pour des infrac tions prévues au Code criminel peuvent-elles être purgées concurremment? - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 658, 659 (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 93, art. 79; 1976-77, chap. 53, art. 13) - Loi sur la libération condition- nelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2, art. 2 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 17(1); 1980-81-82-83, chap. 110, art. 77) - Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23, art. 27(2) - Loi d'interprétation, R.S.O. 1980, chap. 219, art. 23 - Loi sur les infractions provinciales, R.S.O. 1980, chap. 400, art. 65 - Acte pour mieux proportionner le châtiment à l'Offense, en certains cas, S.C. 1842, chap. 5, art. III - Acte pour mieux régler et administrer le pénitentiaire provincial, S.C. 1851, chap. 2, art. II - Acte concernant la Procédure dans les causes criminelles ainsi que certaines autres matières relatives à la loi criminelle, S.C. 1869, chap. 29, art. 96.
Pénitenciers - En vertu de l'art. 659(2) du Code criminel, un détenu purgeant une peine dans un pénitencier fédéral a droit à ce que les mandats de dépôt non exécutés relatifs à des infractions provinciales soient reçus par le Service correction- nel du Canada et dûment exécutés, et à ce que toutes les peines qui lui ont été imposées pour des infractions provinciales ainsi que les peines qu'il purge pour des infractions au Code crimi- nel soient purgées consécutivement - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 658, 659 (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 93, art. 79; 1976-77, chap. 53, art. 13) - Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2, art. 2 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 17(1); 1980-81- 82-83, chap. 110, art. 77) - Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23, art. 27(2) - Loi d'interprétation, R.S.O. 1980, chap. 219, art. 23 - Loi sur les infractions provinciales, R.S.O. 1980, chap. 400, art. 65 - Acte pour mieux propor- tionner le châtiment à l'Offense, en certains cas, S.C. 1842, chap. 5, art. III - Acte pour mieux régler et administrer le pénitentiaire provincial, S.C. 1851, chap. 2, art. II - Acte concernant la Procédure dans les causes criminelles ainsi que certaines autres matières relatives à la loi criminelle, S.C. 1869, chap. 29, art. 96.
Droit constitutionnel Partage des pouvoirs Il découle de la compétence législative que possède le Parlement relative- ment aux pénitenciers que l'art. 659(2) du Code s'applique validement aussi bien aux peines imposées pour des infractions à des lois provinciales qu'à des peines reliées à des infractions à des lois fédérales La question de savoir si les peines doivent être purgées concurremment ou consécutivement res- sortit au calcul de la durée des peines - Cette question relève de la législature provinciale La règle ontarienne veut que les peines soient purgées consécutivement à moins qu'il ne soit ordonné autrement Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1), art. 91(27), (28), 92(6) Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 658, 659 (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 93, art. 79; 1976-77, chap. 53, art. 13) Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 1101 Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7, 9, 15 Acte pour mieux proportionner le châtiment à l'Offense, en certains cas, S.C. 1842, chap. 5, art. III Acte pour mieux régler et administrer le pénitentiaire provincial, S.C. 1851, chap. 2, art. II Acte concernant la Procédure dans les causes criminelles ainsi que certaines autres matières relatives à la loi criminelle, S.C. 1869, chap. 29, art. 96.
L'appelant, un détenu purgeant dans un pénitencier fédéral des peines imposées pour des infractions au Code criminel, sollicite un jugement déclaratoire portant qu'il a droit, en vertu du paragraphe 659(2) du Code, à ce que les mandats de dépôt non exécutés qui ont été délivrés contre lui relativement à des contraventions à des règlements municipaux soient acceptés par le Service correctionnel du Canada et que les peines imposées pour ces contraventions, qui totalisent 85 jours de prison, soient purgées concurremment avec les peines que l'appelant purge actuellement dans le pénitencier. Il s'agit d'un appel interjeté de la décision de la Division de première instance rejetant son action.
Arrêt (le juge Pratte dissident): l'appel devrait être accueilli.
Le juge Hugessen: Le système de justice criminel de chaque province du Canada est fondamentalement unitaire. Aucune disposition législative n'indique la distinction à établir entre le sens du terme prison et celui du terme pénitencier, qui figurent aux paragraphes 91(28) et 92(6) de la Loi constitutionnelle de 1867. Historiquement, on entendait par pénitencier une prison à laquelle étaient envoyées les personnes purgeant des peines de deux ans ou plus. Ni le genre de l'établissement ni la nature des infractions criminelles que sanctionnait la peine ne servait à déterminer quels prisonniers seraient envoyés au pénitencier. Il est évident que le paragraphe 659(2) du Code s'applique parfai- tement aux faits de l'espèce. Rien dans ce paragraphe lui-même ou dans le contexte historique et constitutionnel n'indique que le champ d'application de cette disposition se limite aux peines imposées pour des contraventions à des lois fédérales. Une interprétation restrictive de celui-ci contrecarrerait et irait même jusqu'à nier l'ensemble du régime fédéral des libérations conditionnelles et de la surveillance obligatoire. Le sort des personnes à qui ont été infligées à la fois des peines fédérales et des peines provinciales serait réglé par le hasard ou, pis encore, par un exercice arbitraire d'autorité.
La compétence législative que possède le Parlement relative- ment aux pénitenciers implique le pouvoir de définir ce qui constitue un pénitencier. Le terme «pénitencier», depuis les époques les plus anciennes, a été défini en fonction de la durée de la peine à être purgée, sans égard à l'origine législative des dispositions en vertu desquelles cette peine a été imposée. De plus, la définition fédérale d'un pénitencier n'est pas incompati ble avec la législation ontarienne qui s'applique en la matière.
Finalement, aucune décision publiée ne conclut que les lois fédérales relatives à l'incarcération des prisonniers dans les pénitenciers visent uniquement les personnes purgeant des peines qui sanctionnent des infractions à des lois fédérales.
La demande de l'appelant de purger ses peines provinciales concurremment avec ses peines fédérales soulève un problème qui ressortit au calcul de la durée des peines, une question qui relève de la législature provinciale. En Ontario, la règle relative aux peines multiples veut qu'elles soient purgées consécutive- ment à moins qu'il ne soit ordonné autrement.
Le juge Urie: La conclusion que tire le juge Hugessen aux termes de son analyse du paragraphe 659(2) est à la fois logique et obligatoire. Cette interprétation ne peut toutefois prévaloir que si le Parlement possède la compétence constitu- tionnelle pour régir la manière dont seront purgées les peines qui sanctionnent les condamnations visant des infractions pré- vues dans les lois provinciales. Bien que le pouvoir du Parle- ment de légiférer en ce qui concerne les pénitenciers n'implique pas nécessairement celui de définir ce qui constitue un péniten- cier, il implique le pouvoir de déterminer quels détenus y seront emprisonnés et ce, sans égard à l'origine législative des disposi tions en vertu desquelles leur peine a été imposée. Le champ de compétence fédéral s'étend au contrôle et au traitement de toutes personnes purgeant une peine dans un pénitencier. Il en découle donc une obligation d'accepter les mandats de dépôt relatifs aux peines d'emprisonnement sanctionnant des infrac tions aux lois provinciales.
Le juge Pratte (dissident): L'appel devrait être rejeté. Les injustices résultant d'une interprétation stricte du paragraphe 659(2) ne doivent pas entrer en ligne de compte puisqu'il est évident que cette disposition ne s'applique qu'aux peines impo sées pour des infractions fédérales. L'article 659 fait partie du Code criminel, qui a été adopté par le Parlement conformément au paragraphe 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867; il doit s'appliquer aux peines imposées en vertu de ce Code pour des infractions qu'il prévoit. Seul un libellé très précis permet- trait d'étendre l'application des dispositions du Code relatives à la détermination de la peine aux sentences imposées en vertu de textes législatifs provinciaux. Qui plus est, la Constitution n'a pas conféré au Parlement le pouvoir de déterminer de quelle façon et à quel moment une peine d'emprisonnement imposée en vertu d'une loi provinciale doit être purgée. Ce pouvoir est accessoire au pouvoir que possèdent les provinces d'adopter des mesures législatives sanctionnant la violation de leurs lois.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
In re New Brunswick Penitentiary (1880), [1875-1906] Cout. S.C. 24; Canadian Pioneer Management Ltd. et autres c. Conseil des relations du travail de la Saska- tchewan et autres, [1980] 1 R.C.S. 433.
DISTINCTION FAITE AVEC:
R. c. Hauser, [1979] 1 R.C.S. 984; Procureur général du Canada c. Transports Nationaux du Canada, Ltée et autre, [1983] 2 R.C.S. 206.
DÉCISIONS CITÉES:
Bedard c. Directeur du Centre de Détention de Montréal (jugement en date du 2 novembre 1983, Cour supérieure du Québec, 500-36-525-835, non publié); Durand c. Forget (1980), 24 C.R. (3d) 119 (C.S. Qc); Bedard c. Service correctionnel du Canada, [1984] 1 C.F. 193 (l'° inst.).
AVOCATS:
Ronald R. Price, c.r., pour l'appelant. Brian J. Saunders pour les intimés.
PROCUREURS:
Ronald R. Price, c.r., Kingston, pour l'appe- lant.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE (dissident): L'appelant est un détenu purgeant dans le pénitencier de Kingston, un établissement fédéral, des peines de prison d'une durée totale de 12 ans qui lui ont été infli- gées conformément au Code criminel [S.R.C. 1970, chap. C-34]. À différentes reprises, peu de temps avant et peu de temps après son incarcéra- tion, il a été condamné à des peines d'emprisonne- ment d'une durée totale de 85 jours relativement à des contraventions aux règlements de la ville de Toronto touchant le stationnement. Il croyait avoir le droit de purger ces dernières peines à l'intérieur du pénitencier, concurremment avec ses peines imposées en vertu du Code criminel; en consé- quence, il a pris des arrangements pour que les mandats de dépôt qui avaient été lancés relative- ment aux infractions touchant le stationnement soient signifiés aux fonctionnaires du Service cor- rectionnel du Canada affectés au pénitencier de Kingston. Ces fonctionnaires ont toutefois refusé de les accepter. Cela a amené l'appelant à intenter une action devant la Division de première instance, action dans laquelle il sollicitait un jugement déclaratoire portant qu'il avait le droit de purger ces peines au pénitencier en même temps que les
peines qui lui avaient été imposées en vertu du Code criminel: L'appel en l'espèce est interjeté du jugement du juge Rouleau [[1986] 1 C.F. 217] qui a rejeté cette action.
Les parties s'entendent pour dire que les peines dont il est question en l'espèce doivent, selon les lois de l'Ontario, être purgées dans un établisse- ment correctionnel provincial plutôt que dans un pénitencier. L'appelant soutient que, nonobstant les lois de l'Ontario, le paragraphe 659(2) du Code criminel [mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 93, art. 79] ordonne que ces sentences soient purgées dans le pénitencier à l'intérieur duquel il est déjà incarcéré.
L'interprétation du paragraphe 659(2) doit tenir compte de son contexte [659 mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 13]:
658. Quiconque est déclaré coupable d'un acte criminel pour lequel il n'est spécialement prévu aucune peine, est passible d'un emprisonnement de cinq ans.
659. (1) Sauf lorsqu'il y est autrement pourvu, une personne qui est condamnée à l'emprisonnement
a) à perpétuité,
b) pour une durée de deux ans ou plus, ou
e) pour deux périodes ou plus de moins de deux ans chacune, à purger l'une après l'autre et dont la durée totale est de deux ans ou plus,
doit être condamnée à l'emprisonnement dans un pénitencier.
(2) Lorsqu'une personne condamnée à l'emprisonnement dans un pénitencier est, avant l'expiration de cette sentence, condamnée à un emprisonnement de moins de deux ans, elle doit être condamnée et purger cette dernière sentence dans un pénitencier, mais si la sentence antérieure d'emprisonnement dans un pénitencier est annulée, elle doit purger l'autre confor- mément au paragraphe (3).
(3) Lorsqu'une personne est condamnée à l'emprisonnement et qu'il n'est pas requis de la condamner comme le prévoit le paragraphe (1) ou (2), elle doit, à moins que la loi ne prescrive une prison spéciale, être condamnée à l'emprisonnement dans une prison ou autre lieu de détention de la province elle est déclarée coupable, autre qu'un pénitencier, la sentence d'emprisonnement peut être légalement exécutée.
(4) Lorsqu'une personne est condamnée à l'emprisonnement dans un pénitencier pendant qu'elle est légalement emprisonnée dans un autre endroit qu'un pénitencier, elle doit, sauf lorsqu'il y est autrement pourvu, être envoyée immédiatement au péni- tencier et y purger la partie inexpirée de la période d'emprison- nement qu'elle purgeait lorsqu'elle a été condamnée au péniten- cier, ainsi que la période d'emprisonnement pour laquelle elle a été condamnée au pénitencier.
(5) Lorsque, à un moment quelconque, une personne qui est emprisonnée dans une prison ou un lieu de détention autre qu'un pénitencier est condamnée à purger, l'une après l'autre, deux ou plusieurs périodes d'emprisonnement, chacune de
moins de deux ans, et que l'ensemble des parties non expirées de ces périodes à ce moment est de deux ans ou plus, elle doit être transférée dans un pénitencier pour purger ces périodes; mais si l'une ou plusieurs de ces périodes sont annulées et si l'ensemble des parties non expirées de la ou des périodes qui restaient le jour la personne a été transférée en vertu du présent article était de moins de deux ans, elle doit purger cette période ou ces périodes en conformité du paragraphe (3).
(6) Aux fins du présent article, lorsqu'une personne est condamnée à l'emprisonnement pour une période déterminée suivie d'une période indéterminée, une telle sentence est censée être pour une période de moins de deux ans et seule la période déterminée de cette sentence doit être considérée pour détermi- ner si la personne sera condamnée à l'emprisonnement dans un pénitencier ou sera envoyée ou transférée dans un pénitencier en vertu du paragraphe (5).
(6.1) Lorsque, avant ou après l'entrée en vigueur du présent paragraphe, une personne a été condamnée à l'emprisonnement, envoyée ou transférée dans un pénitencier, autrement qu'en vertu d'un accord conclu conformément au paragraphe 15(1) de la Loi sur les pénitenciers, toute partie indéterminée de sa sentence est, à toutes fins, censée ne pas avoir été imposée.
(7) Pour l'application du paragraphe (3), le terme «péniten- cier» ne comprend pas, avant une date à fixer par proclamation du gouverneur en conseil, le pénitencier mentionnné à l'article 82 de la Loi sur les pénitenciers, chapitre 206 des Statuts révisés du Canada de 1952.
Selon l'avocat de l'appelant, le paragraphe 659(2) s'applique non seulement aux peines infli- gées en vertu du Code criminel et d'autres lois fédérales, mais encore aux peines imposées en vertu de dispositions adoptées par les provinces. Il s'ensuit, selon lui, que l'appelant doit, lorsqu'il se trouve à l'intérieur du pénitencier, purger toutes ses peines en même temps.
L'avocat de l'appelant a présenté plusieurs argu ments au soutien de cette interprétation large du paragraphe 659(2). Tout d'abord, il s'est appuyé sur deux jugements de la Cour supérieure du Québec qui ont adopté une telle interprétation'. En second lieu, il a invoqué des [TRADUCTION] «motifs reliés à la politique générale et à la prati- que en matière correctionnelle», motifs qui appelle- raient une interprétation large de ce paragraphe. Troisièmement, il a souligné qu'une interprétation restrictive du paragraphe 659(2) entraînerait de nombreuses anomalies. Finalement, il a fait réfé- rence à la Loi sur la libération conditionnelle de
Bedard c. Directeur du Centre de Détention de Montréal (jugement en date du 2 novembre 1983, Cour supérieure du Québec, 500-36-525-835, non publié); Durand c. Forget (1980), 24 C.R. (3d) 119 (C.S. Qc).
détenus [S.R.C. 1970, chap. P-2], prétendant qu'elle établissait clairement que les règles appli- cables aux peines imposées en vertu d'une loi provinciale et celles imposées en vertu d'une loi fédérale n'étaient pas entièrement distinctes.
Ces arguments ne me semblent pas bien fondés.
À mon avis, les deux jugements de la Cour supérieure invoqués par l'appelant sont des précé- dents peu convaincants. Ils contredisent la décision portée en appel ainsi qu'une autre décision de la Division de première instance, rendue dans l'af- faire Bedard c. Service correctionnel du Canada'. Qui plus est, le seul motif qu'ont donné les juges qui ont prononcé ces jugements à l'appui d'une telle interprétation du paragraphe 659(2) est qu'une interprétation différente conduirait à des résultats injustes. Ce genre d'argument, comme celui qui est fondé sur la politique générale invo- qué par l'appelant, pourrait entrer en ligne de compte dans l'interprétation de ce paragraphe si celui-ci était réellement obscur. Toutefois, ainsi que je le dirai un peu plus loin, ce n'est pas le cas.
Quant aux anomalies qui découleraient, selon l'avocat de l'appelant, d'une interprétation restric tive de ce paragraphe, elles ne résulteraient pas d'une telle interprétation mais plutôt de sa thèse en vertu de laquelle le paragraphe 659(4) devrait, en tout état de cause, s'appliquer aussi bien aux peines de nature fédérale que provinciale. Je reconnais que, si l'on donne au paragraphe 659(4) cette interprétation large, l'on doit interpréter le paragraphe 659(2) de la même façon. Toutefois, à mon avis, les deux paragraphes doivent être inter- prétés de façon stricte, c'est-à-dire comme ne s'ap- pliquant qu'aux peines imposées en vertu de la législation fédérale.
Contrairement à ce qu'a affirmé l'avocat de l'appelant, les dispositions de la Loi sur la libéra- tion conditionnelle de détenus n'appuient pas son interprétation. Celui-ci a en effet tenu pour acquis que la Loi sur la libération conditionnelle de détenus s'appliquait aux détenus purgeant des
2 [1984] 1 C.F. 193 (1fe inst.).
[TRADUCTION] «peines provinciales» dans des pénitenciers fédéraux. Toutefois, cette présomp- tion, en plus de ne tenir aucun compte de la définition du terme «détenu» contenue dans cette Loi', se fonde sur une autre supposition injustifiée voulant que le paragraphe 659(4) s'applique à la fois aux peines provinciales et aux peines fédérales.
Je suis d'avis que le paragraphe 659(2) est clair et doit être interprété comme ne s'appliquant qu'aux peines imposées en vertu des lois fédérales. J'appuie cette conclusion sur deux motifs: tout d'abord, l'article 659 fait partie du Code criminel; et, en second lieu, cet article a été adopté par un Parlement dont la compétence législative est limitée.
L'article 659 fait partie du Code criminel, dans lequel le Parlement, dans l'exercice du pouvoir que lui confère le paragraphe 91(27) de la Loi consti- tutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1)], a défini les différentes infractions criminelles et prévu les sanctions auxquelles elles donneront lieu. Il est logique qu'une disposition qui, comme l'article 659, traite de la détermination de la peine, s'applique aux peines imposées en vertu du Code pour des infractions prévues à ce Code. Il est vrai que, en vertu du paragraphe 27(2) de la Loi d'interprétation'', les dispositions du Code sont applicables aux actes criminels créés par d'au- tres textes législatifs fédéraux; toutefois, seul un libellé très précis permettrait d'étendre l'applica- tion des dispositions du Code relatives à la déter-
3 Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2, art. 2 [mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 17(1); 1980-81-82-83, chap. 110, art. 77]:
2. Dans la présente loi ...
«détenu» désigne une personne condamnée à une peine d'em- prisonnement en vertu d'une loi du Parlement à la suite d'un outrage au tribunal en matière pénale ...
4 Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23, art. 27(2): 27... .
(2) Toutes les dispositions du Code criminel relatives aux actes criminels s'appliquent aux actes criminels créés par un texte législatif, et toutes les dispositions du Code criminel relatives aux infractions punissables sur déclaration som- maire de culpabilité s'appliquent à toutes les autres infrac tions créées par un texte législatif, sauf dans la mesure ce dernier en décide autrement.
mination de la peine aux sentences imposées en vertu de textes législatifs provinciaux. En l'absence de ces termes clairs, je ne puis interpréter l'article 659 autrement que comme ne s'appliquant qu'aux peines prononcées en vertu du Code criminel ou d'autres lois fédérales. Je souscris entièrement à l'opinion exprimée par le juge de première instance sur ce point.
Toutefois, la raison fondamentale pour laquelle, à mon avis, l'interprétation que donne l'appelant au paragraphe 659(2) doit être rejetée est que le pouvoir de déterminer de quelle façon et à quel moment une peine d'emprisonnement imposée en vertu d'une loi provinciale doit être purgée n'a pas été conféré au Parlement par la Constitution. En vertu des articles 91 et 92 de la Loi constitution- nelle de 1867, les législatures provinciales, aussi bien que le Parlement, possèdent le pouvoir d'adopter des mesures législatives sanctionnant la violation de leurs lois respectives. Ce pouvoir com- prend celui de prévoir des peines d'emprisonne- ment et de déterminer de quelle façon et à quel moment ces peines seront purgées. Selon moi, le pouvoir du Parlement de déterminer de quelle façon les peines d'emprisonnement seront purgées est accessoire à son pouvoir d'adopter des lois prévoyant de telles peines. Il s'ensuit que le Parle- ment ne peut pas plus régir la façon dont une peine d'emprisonnement imposée en vertu d'une loi pro- vinciale sera purgée qu'il ne peut imposer de peine pour la violation d'une telle lois.
5 Le juge Rouleau, traitant de l'aspect constitutionnel de cette affaire, a exprimé l'avis que le Parlement pouvait valide- ment régir la manière dont les «peines provinciales» devaient être purgées pourvu qu'une telle intrusion dans le domaine de compétence des provinces soit «vraiment nécessaire pour la création d'un système de règles cohérent, juste et efficace régissant des peines purgées dans les pénitenciers fédéraux». Je ne puis souscrire à cette opinion puisqu'il m'est impossible de concevoir que le Parlement doive régler la façon dont les «peines provinciales» doivent être purgées afin de régler de manière complète la manière dont les «peines fédérales» doivent être purgées.
Si, dans cette analyse, je n'ai pas mentionné le paragraphe 91(28) de la Loi constitutionnelle de 1867, qui confère au Parlement le pouvoir exclusif de légiférer relativement à «l'éta- blissement, le maintien et l'administration des pénitenciers», c'est parce qu'il me semble clair que le Parlement ne peut, en vertu de cette compétence, décider que des peines imposées en vertu de lois provinciales seront purgées dans des pénitenciers fédéraux plutôt que dans des prisons provinciales établies con- formément au paragraphe 92(6) de la Loi constitutionnelle de 1867.
L'avocat de l'appelant a également soutenu en appel un argument qu'il n'avait pas présenté en première instance. Il a invoqué la Charte cana- dienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)], prétendant que le paragraphe 659(2), interprété comme il l'est par la Division de pre- mière instance, viole les droits que garantissent à l'appelant les articles 7, 9 et 15 de la Charte. Cet argument était toutefois fondé sur la supposition voulant que le paragraphe 659(4) s'appliquât à la fois aux peines «fédérales» et aux peines «provincia- les». Ayant déjà dit que cette supposition n'était pas justifiée, il n'est pas nécessaire que j'examine davantage cet argument.
Je rejetterais l'appel avec dépens.
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Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE: J'ai eu l'avantage de lire les motifs de jugement de mes collègues, le juge Pratte et le juge Hugessen. Je souscris à l'opinion du juge Hugessen selon laquelle «Si l'on s'en tient à une interprétation directe de la Loi, sans faire entrer en jeu les questions de compétence reliées à l'attribution des pouvoirs législatifs dans notre régime fédéral, il me semblerait évident que les dispositions qui précèdent [article 659] s'appli- quent parfaitement à la situation dans laquelle se trouve l'appelant.» La conclusion qu'il tire aux termes de cette analyse est, dans un tel contexte, à la fois logique et obligatoire. Cette interprétation ne peut toutefois prévaloir que si le Parlement possède la compétence constitutionnelle pour régir la manière dont seront purgées les peines qui sanc- tionnent les condamnations visant des infractions prévues dans des lois provinciales.
Je ne suis pas d'avis que le pouvoir du Parlement de légiférer en ce qui concerne les pénitenciers implique celui de définir ce qui constitue un péni- tencier. Par l'effet de la coutume ou de la conven tion historique, la compétence du Parlement sur les pénitenciers vise les endroits sont purgées des peines de deux ans ou plus. À mon sens, la compé- tence législative que possède le Parlement relative- ment aux pénitenciers implique, dans le contexte de 1867 et encore davantage dans le contexte actuel, le pouvoir de déterminer quels détenus y seront emprisonnés et ce, sans égard à l'origine législative des dispositions en vertu desquelles leur peine a été imposée.
À cette opinion, j'ajouterai qu'à mon avis la compétence du Parlement sur les pénitenciers com- prend, dans le cadre de ses limites, le pouvoir de légiférer relativement à toute personne incarcérée dans un pénitencier pour y purger une peine, peu importe que l'infraction sanctionnée soit d'origine fédérale ou provinciale. Ce pouvoir doit certaine- ment s'étendre non seulement à la garde et au bien-être physiques de cette personne, mais encore à la capacité et à l'obligation d'accepter les man- dats de dépôt relatifs aux peines d'emprisonnement sanctionnant des infractions aux lois provinciales. Plus simplement, je suis d'avis que le champ de la compétence fédérale s'étend au contrôle et au trai- tement de toute personne purgeant une peine dans un pénitencier.
Je déciderais de cet appel ainsi que le propose le juge Hugessen dans ses motifs de jugement.
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Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN: Le litige en l'espèce sou- lève la question générale de savoir si une personne qui purge une peine dans un pénitencier fédéral pour une infraction prévue au Code criminel doit attendre sa mise en liberté du pénitencier pour purger des peines lui ayant été imposées pour violation de lois provinciales. De façon plus res- treinte, il se pose la question de savoir si les autorités pénitentiaires peuvent refuser d'accepter les mandats de dépôt relatifs à des infractions provinciales lancés contre une personne se trouvant déjà sous leur garde en vertu d'un mandat de dépôt concernant une infraction criminelle. Que la ques tion soit formulée de façon large ou restreinte, le jugement porté en appel a décidé que la réponse devait être affirmative. A mon avis, cette conclu sion est erronée.
Les faits peuvent être exposés de façon très succincte. Le 31 janvier 1980, l'appelant, ayant été trouvé coupable de plusieurs crimes graves, a été condamné par la Cour suprême de l'Ontario à des peines d'emprisonnement d'une durée totale de douze ans. Conformément à la loi, il a été conduit dans un pénitencier pour purger ces peines. Avant l'imposition de ces peines, un juge de paix avait infligé à l'appelant vingt-quatre peines totalisant
soixante-six jours de prison pour défaut de paie- ment d'amendes imposées pour contraventions au règlement sur le stationnement de la ville de Toronto. Après la date à laquelle les peines relati ves aux infractions au Code criminel ont été infli- gées, un juge de paix a imposé à l'appelant huit autres peines d'une durée totale de dix-neuf jours qui, elles aussi, se rapportaient au défaut de paie- ment d'amendes. Pendant que l'appelant purgeait au pénitencier ses peines imposées en vertu du Code criminel, un agent de police a tenté d'exécu- ter les trente-deux mandats de dépôt relatifs au défaut de paiement des contraventions en question, mais il s'est heurté au refus des fonctionnaires du pénitencier de les accepter. L'appelant a alors intenté la présente poursuite devant la Division de première instance, pour obtenir un jugement décla- ratoire portant qu'il avait droit à ce que les man- dats provinciaux non exécutés soient reçus par les fonctionnaires du pénitencier afin qu'il puisse purger à cet endroit les peines qui lui ont été imposées en vertu de lois provinciales. Il a demandé également un jugement déclaratoire por- tant qu'il a le droit de purger les peines qui lui ont été imposées en vertu de lois provinciales concur- remment avec les peines imposées en vertu du Code criminel. L'appel en l'espèce est interjeté du jugement de la Division de première instance reje- tant cette action.
Je procède selon la proposition, évidente en soi, me semble-t-il, qui veut que le système de justice criminelle de chaque province du Canada soit fon- damentalement unitaire. Bien que les deux niveaux de gouvernement puissent créer des infractions et prescrire des peines, notre police, nos procureurs de la Couronne, nos tribunaux et nos prisons, contrairement à ce qui est le cas dans certains pays, ne relèvent pas de systèmes fédéral et provin- ciaux distincts, séparés et fonctionnant de façon parallèle. Les enquêtes portant sur des infractions criminelles créées par le gouvernement fédéral sont souvent, et même habituellement, menées par la police provinciale (ou, ce qui revient au même, par la police fédérale travaillant à contrat pour une province), et les poursuites relatives à ces infrac tions relèvent ordinairement des procureurs géné- raux des provinces. Les cours de juridiction crimi- nelle sont toujours établies par les gouvernements provinciaux, même si certaines de celles-ci sont
présidées par des juges nommés par le gouverne- ment fédéral. Les agents de probation provinciaux préparent les rapports pré-sentenciels et voient à l'application des ordonnances de probation. Les prisons provinciales sont remplies de détenus pur- geant des peines imposées pour des infractions criminelles fédérales. Lorsque ceux-ci sont mis en liberté conditionnelle ou libérés sous surveillance obligatoire, c'est aux agents fédéraux de libéra- tions conditionnelles qu'est confiée leur surveil lance.
La Constitution partage la compétence relative aux corrections un peu de la même façon qu'elle le fait en ce qui concerne les cours, c'est-à-dire de façon horizontale plutôt que verticale. Le paragra- phe 28 de l'article 91 permet au Parlement de légiférer relativement aux «pénitenciers». Le para- graphe 6 de l'article 92 confère aux provinces le pouvoir de faire des lois relatives aux «prisons publiques et ... maisons de correction».
Rien n'indique la distinction à établir entre une prison et un pénitencier. Le Shorter Oxford Dic tionary définit le terme «penitentiary» (péniten- cier) de la manière suivante:
[TRADUCTION] «une maison de réforme; une maison de correction».
Cette définition, à première vue, semblerait appuyer l'opinion voulant que nous ayons au Canada des systèmes de justice criminelle ou, à tout le moins, des systèmes correctionnels parallè- les. Il est évident que, si c'était le cas, le Parlement ne pourrait ordonner que les personnes déclarées coupables d'infractions criminelles fédérales soient envoyées dans des prisons provinciales. J'ai déjà indiqué qu'il en allait tout autrement. En effet, le pouvoir du Parlement de prescrire que les peines relatives à des infractions criminelles fédérales seront purgées dans des établissements provinciaux a été établi très tôt: voir In re New Brunswick Penitentiary (1880), [1875-1906] Cout. S.C. 24.
Seule l'histoire peut nous renseigner sur le sens que les rédacteurs de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867 prêtaient en 1867 au mot «pénitenciers». Cette histoire est facile à retracer. Elle révèle que l'établissement d'un pénitencier par la Province du Canada remonte à aussi loin que 1842. L'[Acte pour mieux proportionner le châti-
ment à l'Offense, en certains cas, S.C. 1842], chap. 5, prévoit, à son article III, que pour toute offense pour laquelle
[III.] ... le délinquant pourra, .. . être puni, sur conviction, par un emprisonnement pour tel tems que la Cour ordonnera, ou pour aucun terme excédant deux ans; et si cet emprisonne- ment est ordonné pour un terme excédant deux ans, ce sera dans le Pénitencier Provincial.
C'est dans une loi de 1851 ([Acte pour mieux régler et administrer le pénitentiaire provincial, S.C. 1851], chap. 2, article II) que l'on trouve le texte de la période précédant la Confédération qui se rapproche le plus d'une définition du terme «pénitencier»:
II.... que le dit pénitentiaire provincial sera maintenu et considéré comme une prison pour détenir et réformer les mœurs des hommes et des personnes du sexe qui seront légalement convaincus de quelque crime devant les tribunaux légalement constitués de cette province, et condamnés à y être détenus pour une période de temps de pas moins de deux années; et chaque fois qu'une personne convaincue de quelque crime, après que cet acte aura pris force de loi, sera punie de l'emprisonnement, tel emprisonnement, s'il est pour deux ans ou une plus longue période de temps, aura lieu dans le pénitentiaire provincial .. .
Une loi immédiatement postérieure à la Confé- dération, qui figure dans les statuts de 1869 ([Acte concernant la Procédure dans les causes criminel- les ainsi que certaines autres matières relatives à la loi criminelle, S.C. 1869], chap. 29, article 96), reproduit substantiellement ces mêmes termes:
96. Chaque pénitencier en Canada sera maintenu comme prison pour détenir et reformer les personnes, hommes et femmes, légalement convaincues de quelque crime devant les cours ayant juridiction criminelle dans la province dont il est le pénitencier, et condamnées à l'incarcération pour la vie, ou pour une période de pas moins de deux ans; et chaque fois qu'un délinquant est passible de l'emprisonnement, tel empri- sonnement, s'il est pour la vie, ou pour deux ans, ou pour un plus long terme, aura lieu dans le pénitencier ..
Ainsi, au moment de l'adoption de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, on enten- dait par pénitencier une prison à laquelle étaient envoyées les personnes purgeant des peines de deux ans ou plus. La durée des peines qui y étaient purgées constituait le seul critère pertinent; ni le genre de l'établissement ni la nature des infrac tions criminelles que sanctionnait la peine d'empri- sonnement ne servaient à déterminer quels prison- niers seraient envoyés au pénitencier.
C'est dans un tel contexte que le Parlement a adopté l'article 659 du Code criminel. Cet article prévoit:
659. (1) Sauf lorsqu'il y est autrement pourvu, une personne qui est condamnée à l'emprisonnement
a) à perpétuité,
b) pour une durée de deux ans ou plus, ou
c) pour deux périodes ou plus de moins de deux ans chacune, à purger l'une après l'autre et dont la durée totale est de deux ans ou plus,
doit être condamnée à l'emprisonnement dans un pénitencier.
(2) Lorsqu'une personne condamnée à l'emprisonnement dans un pénitencier est, avant l'expiration de cette sentence, condamnée à un emprisonnement de moins de deux ans, elle doit être condamnée et purger cette dernière sentence dans un pénitencier mais si la sentence antérieure d'emprisonnement dans un pénitencier est annulée, elle doit purger l'autre confor- mément au paragraphe (3).
(3) Lorsqu'une personne est condamnée à l'emprisonnement et qu'il n'est pas requis de la condamner comme le prévoit le paragraphe (1) ou (2), elle doit, à moins que la loi ne prescrive une prison spéciale, être condamnée à l'emprisonnement dans une prison ou autre lieu de détention de la province elle est déclarée coupable, autre qu'un pénitencier, la sentence d'emprisonnement peut être légalement exécutée.
(4) Lorsqu'une personne est condamnée à l'emprisonnement dans un pénitencier pendant qu'elle est légalement emprisonnée dans un autre endroit qu'un pénitencier, elle doit, sauf lorsqu'il y est autrement pourvu, être envoyée immédiatement au péni- tencier et y purger la partie inexpirée de la période d'emprison- nement qu'elle purgeait lorsqu'elle a été condamnée au péniten- cier, ainsi que la période d'emprisonnement pour laquelle elle a été condamnée au pénitencier.
(5) Lorsque, à un moment quelconque, une personne qui est emprisonnée dans une prison ou un lieu de détention autre qu'un pénitencier est condamnée à purger, l'une après l'autre, deux ou plusieurs périodes d'emprisonnement, chacune de moins de deux ans, et que l'ensemble des parties non expirées de ces périodes à ce moment est de deux ans ou plus, elle doit être transférée dans un pénitencier pour purger ces périodes; mais si l'une ou plusieurs de ces périodes sont annulées et si l'ensemble des parties non expirées de la ou des périodes qui restaient le jour la personne a été transférée en vertu du présent article était de moins de deux ans, elle doit purger cette période ou ces périodes en conformité du paragraphe (3).
(6) Aux fins du présent article, lorsqu'une personne est condamnée à l'emprisonnement pour une période déterminée suivie d'une période indéterminée, une telle sentence est censée être pour une période de moins de deux ans et seule la période déterminée de cette sentence doit être considérée pour détermi- ner si la personne sera condamnée à l'emprisonnement dans un pénitencier ou sera envoyée ou transférée dans un pénitencier en vertu du paragraphe (5).
(6.1) Lorsque, avant ou après l'entrée en vigueur du présent paragraphe, une personne a été condamnée à l'emprisonnement, envoyée ou transférée dans un pénitencier, autrement qu'en vertu d'un accord conclu conformément au paragraphe 15(1) de la Loi sur les pénitenciers, toute partie indéterminée de sa sentence est, à toutes fins, censée ne pas avoir été imposée.
(7) Pour l'application du paragraphe (3), le terme «péniten- cier» ne comprend pas, avant une date à fixer par proclamation du gouverneur en conseil, le pénitencier mentionnné à l'article
82 de la Loi sur les pénitenciers, chapitre 206 des Statuts révisés du Canada de 1952.
Si l'on s'en tient à une interprétation directe de la Loi, sans faire entrer en jeu les questions de compétence reliées à l'attribution des pouvoirs législatifs dans notre régime fédéral, il me semble- rait évident que les dispositions qui précèdent s'ap- pliquent parfaitement à la situation dans laquelle se trouve l'appelant. Plus particulièrement, le libellé explicite du paragraphe 659(2) semblerait applicable à l'espèce. En effet, l'appelant est une personne «condamnée à l'emprisonnement dans un pénitencier»; «avant l'expiration de cette sentence», il a été «condamné [...] à un emprisonnement de moins de deux ans». Ce paragraphe dit qu'il doit «purger cette dernière sentence dans un péniten- cier».
Rien n'indique au paragraphe 659(2) que le champ d'application de cette disposition se limite aux peines imposées pour des contraventions à des lois fédérales. D'ailleurs, si l'on interprète ce para- graphe en tenant compte du contexte historique et constitutionnel que j'ai tenté de faire ressortir plus haut, il me semble que sa portée ne peut être limitée de la sorte. Une telle limitation, fondée sur ce qui serait l'absence de compétence législative du gouvernement fédéral à l'égard des personnes pur- geant des peines provinciales aussi bien que fédéra- les, conduit à des résultats des plus étonnants. L'appelant, s'il ne peut purger ses peines provin- ciales au pénitencier (pour le moment, je laisse en suspens la question de savoir s'il peut les purger concurremment avec les peines imposées en vertu du Code criminel), sera susceptible d'être remis sous arrêt dès sa mise en liberté du pénitencier en liberté conditionnelle ou sous surveillance obliga- toire. On doit présumer qu'il pourrait alors être conduit dans une prison provinciale. Selon moi, l'ensemble du régime fédéral des libérations condi- tionnelles et de la surveillance obligatoire s'en trouverait contrecarré et même nié.
Si le paragraphe 659(2) ne concerne pas les infractions provinciales, l'on doit évidemment pré- sumer qu'il en est de même pour le paragraphe 659(4). Rappelons que certaines des peines infli- gées à l'appelant pour des infractions provinciales l'ont été avant la date d'imposition des peines relatives aux infractions au Code criminel bien qu'aucun des mandats n'ait été exécuté avant cette
date. Supposons que certains de ceux-ci aient été exécutés, et que l'appelant ait purgé ses peines provinciales en même temps qu'il subissait son procès. Si le paragraphe 659(4) n'était pas appli cable à ces dernières peines, qu'arriverait-il au moment de l'imposition à l'appelant des peines fondées sur le Code criminel? Les autorités provin- ciales refuseraient-elles de le transférer au péniten- cier jusqu'à ce qu'elles en aient terminé avec lui? Si elles ne refusaient pas de le faire, l'application de la partie des peines provinciales qu'il lui reste à purger serait-elle en quelque sorte suspendue jus- qu'à ce que les peines qui lui ont été imposées en vertu du Code criminel aient été purgées, pour pouvoir être reprise, plusieurs années plus tard, dès sa libération du pénitencier? Le dossier ne révèle pas si l'appelant avait été placé en détention pré- ventive avant de subir son procès et d'être con- damné relativement aux infractions fondées sur le Code criminel. Cette détention préventive est, évi- demment, autorisée en vertu de la Partie XIV du Code criminel. Une telle détention aurait-elle aussi pour effet de suspendre l'application de toute peine provinciale que l'appelant pourrait être en train de purger?
Les questions qui précèdent illustrent ce qui m'apparaît être le vice fondamental d'une interpré- tation restrictive du champ d'application de l'arti- cle 659: le sort des personnes comme l'appelant, à qui ont été infligées à la fois des peines fédérales et des peines provinciales, serait réglé par le hasard ou, pis encore, par un exercice arbitraire d'auto- rité. Les affaires Bedard c. Directeur du Centre de Détention de Montréal (C.S. du Québec, décision non publiée en date du 2 novembre 1983, de greffe 500-36-525-835) et Durand c. Forget (1980), 24 C.R. (3d) 119 (C.S. Qc) constituent à cet égard de bons exemples. Le litige en l'espèce en est un autre.
À mon avis, une interprétation de la répartition constitutionnelle des pouvoirs législatifs qui con duit à de tels résultats alors qu'elle n'est pas imposée par les termes mêmes de la Loi constitu- tionnelle et qu'elle va à l'encontre de la pratique historique, est mal fondée. À mon sens, la compé- tence législative que possède le Parlement relative-
ment aux pénitenciers implique le pouvoir de défi- nir ce qui constitue un pénitencier 6 . Cette définition, depuis les époques les plus anciennes, s'est faite en fonction de la durée de la peine à être purgée, sans égard à l'origine législative des dispo sitions en vertu desquelles cette peine avait été imposée.
De plus, la définition fédérale d'un pénitencier n'est pas incompatible avec la législation onta- rienne qui s'applique en la matière. L'article 23 de la Loi d'interprétation, R.S.O. 1980, chap. 219, est ainsi libellé:
23. Quand une loi prévoit l'incarcération ou la détention en prison, celle-ci se fait à la maison de correction de la localité l'ordre d'emprisonnement a été prononcé si la loi n'indique ni ne prévoit d'autre endroit. En l'absence de maison de correction dans cette localité, elle se fait à la maison la plus proche. (C'est moi qui souligne.)
Je ne vois pas pourquoi les termes soulignés ne pourraient viser une législation fédérale valide imposant certaines peines devant être purgées dans un pénitencier.
À cet égard, l'affaire en l'espèce se distingue nettement de celles il est question du droit du gouvernement fédéral de choisir l'autorité qui sera chargée des poursuites (R. c. Hauser, [ 1979] 1 R.C.S. 984; Procureur général du Canada c. Transports Nationaux du Canada, Ltée et autre, [1983] 2 R.C.S. 206). Dans ces affaires, la loi fédérale attaquée, qui a ultimement été déclarée valide, cherchait à établir un certain parallélisme à l'intérieur de notre système de justice criminelle, dont j'ai déjà dit qu'il était fondamentalement unitaire. En l'espèce, la loi fédérale et la loi provin- ciale n'entrent pas en conflit et la première, inter- prétée littéralement, appuie la thèse du système
b Voir Canadian Pioneer Management Ltd. et autres c. Con- seil des relations du travail de la Saskatchewan et autres, [1980] 1 R.C.S. 433, la page 469:
La compétence législative comporte certains pouvoirs de définition qui ne sont pas illimités mais, selon la façon particulière dont on les exerce, peuvent toucher à d'autres domaines de compétence.
Par exemple, le Parlement a une compétence législative exclusive sur l'établissement, le maintien et l'administration des pénitenciers en vertu du par. 91.28 de la Constitution et chaque province a une compétence législative exclusive sur l'établissement, l'entretien et l'administration des prisons publiques et des maisons de réforme dans la province, en vertu du par. 92.6. Jusqu'à présent, la ligne de démarcation entre les deux semble dépendre en partie de la législation fédérale, tel l'art. 659 du Code criminel.
unitaire. Bien que cela ne règle aucunement la question constitutionnelle, il est tout de même intéressant de noter qu'aucun des procureurs géné- raux des provinces, à qui pourtant l'avis prévu à la Règle 1101 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] a été dûment adressé, n'a comparu pour prétendre que la loi fédérale est ultra vires.
Finalement, en ce qui regarde cet aspect de la question, je souligne qu'aucune décision que je connaisse ou que les parties ont pu citer ne conclut que les lois fédérales relatives à l'incarcération des prisonniers dans les pénitenciers visent uniquement les personnes purgeant des peines qui sanctionnent des infractions à des lois fédérales. Par contre, le point de vue que j'ai adopté est appuyé par P.W. Hogg, dans Constitutional Law of Canada, deuxième édition, 1985, la page 435:
[TRADUCTION] Il est possible qu'une condamnation prononcée conformément à une loi provinciale entraîne une peine qui doit être purgée dans un pénitencier fédéral, mais il est inhabituel qu'une loi provinciale autorise l'imposition d'une peine d'une durée allant jusqu'à deux ans, et il est rare qu'une telle peine soit effectivement infligée.
Pour les motifs qui précèdent, je conclus que l'appelant a le droit de purger dans un pénitencier fédéral les peines d'emprisonnement qui lui ont été imposées pour défaut de paiement des amendes provinciales. Rien dans la législation applicable ou dans la Loi constitutionnelle elle-même n'autori- sait les fonctionnaires responsables d'une prison appartenant à la catégorie des pénitenciers à refu- ser d'accepter les mandats de dépôt judiciaires valides que des autorités provinciales compétentes cherchaient à leur délivrer à l'égard d'une per- sonne se trouvant légitimement sous leur garde.
Il reste à décider si la demande de l'appelant de purger ses peines provinciales concurremment avec ses peines fédérales doit être accueillie. Ce problè- me ressortit au calcul de la durée des peines plutôt qu'aux critères servant à déterminer si une per- sonne purgera sa peine dans un pénitencier. En conséquence, je suis d'avis que cette question relève exclusivement de la législature provinciale qui a créé les infractions concernées et prévu leur punition. En Ontario, la règle relative aux peines multiples veut qu'elles soient purgées consécutive- ment à moins qu'il ne soit ordonné autrement. L'article 65 de la Loi sur les infractions provincia- les, R.S.O. 1980, chap. 400, est ainsi libellé:
65. Quiconque doit purger plus d'une peine d'emprisonne- ment en même temps les purge l'une après l'autre, sauf si la cour ordonne qu'une peine soit purgée concurremment avec une autre.
Aucun motif ne me semble justifier de ne pas donner son plein effet à cet article en ce qui concerne l'appelant.
J'accueillerais l'appel, j'annulerais le jugement porté en appel et je déclarerais que l'appelant a droit à ce que les mandats de dépôt non exécutés qui ont été délivrés conformément à la loi provin- ciale soient reçus par le Service correctionnel du Canada et dûment exécutés, et que toutes les peines relatives à ces mandats ainsi que les peines qu'il purge actuellement pour des infractions au Code criminel seront purgées consécutivement.
J'adjugerais à l'appelant ses dépens devant toutes les cours.
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