T-2726-85
Electrohome Limited, Mitsubishi Electric Sales
Canada Inc., Hitachi (H.S.C.), Canada Inc., Mat-
sushita Industrial Canada Limited, RCA Inc. et
Sanyo Industries Canada Inc. (requérantes)
C.
Sous-ministre du Revenu national pour les doua-
nes et l'accise, Daewoo Electronics Company Ltd.
et Goldstar Co. Ltd. (intimés)
RÉPERTORIÉ: ELECTROHOME LTD. c. CANADA (SOUS-MINIS-
TRE DU REVENU NATIONAL, DOUANES ET ACCISE)
Division de première instance, juge Rouleau—
Ottawa, 10, 17 et 31 janvier 1986.
Interprétation des lois — Sens du mot «peuvent» figurant à
l'art. 84(3) de la Loi sur les mesures spéciales d'importation
— Le sous-ministre a refusé de communiquer certains rensei-
gnements confidentiels — L'art. 84(3) confere au sous-ministre
le pouvoir discrétionnaire de communiquer ou non les rensei-
gnements confidentiels — Il faut interpréter la Loi comme un
tout — Le législateur a reconnu que certaines catégories de
renseignements devaient rester confidentielles — Interpréter
l'art. 84(3) comme exprimant une obligation rend futiles les
dispositions portant sur la désignation des renseignements
confidentiels — Emploi du terme «shall» dans d'autres dispo
sitions — Rien dans le contexte ne donne au mot «peuvent» un
sens autre que le sens facultatif que lui attribue la Loi
d'interprétation — Loi sur les mesures spéciales d'importa-
tion, S.C. 1984, chap. 25, art. 2(1), 8, 31(1), 38(1),(2)b),
41(1),(2)b), 42(1), 43(1), 83, 84(1),(3), 85(1) — Loi antidum-
ping, S.R.C. 1970, chap. A-15 — Loi d'interprétation, S.R.C.
1970, chap. 1-23, art. 28.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Obligation
d'agir équitablement — Requête en ordonnance de certiorari
qui annulerait le refus de communiquer certains renseigne-
ments confidentiels fournis sous le régime de la Loi sur les
mesures spéciales d'importation, en ordonnance de mandamus
qui enjoindrait de communiquer les renseignements demandés
et en ordonnance de prohibition qui interdirait de tenir une
enquête — Lorsque le sous-ministre mène son enquête afin de
calculer la valeur normale, le prix à l'exportation et la marge
de dumping, il recourt à un «moyen de recueillir des rensei-
gnements sur des faits», moyen dont la nature est administra
tive — La classification des fonctions est nécessaire pour
définir la teneur de l'obligation d'agir équitablement dans une
situation de fait donnée — Aucune preuve de traitement
injuste — La common law ne confere pas aux requérantes le
droit aux renseignements, et ces dernières n'ont pas non plus le
droit de forcer le sous-ministre à leur demander assistance
dans l'exécution de son obligation légale — Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2e, Supp.), chap. 10, art. 18.
Antidumping — La requête en ordonnance de certiorari qui
annulerait le refus parle sous-ministre de communiquer cer-
tains renseignements confidentiels est rejetée — L'art. 84(3)
confere au sous-ministre le pouvoir discrétionnaire de commu-
niquer ou non les renseignements confidentiels — La commu
nication de renseignements ne doit pas se faire sans assurer les
sociétés étrangères que les renseignements confidentiels ne
seront pas révélés sur demande — Interpréter le mot «peuvent»
figurant à l'art. 84(3) comme exprimant une obligation ren-
drait nulles les dispositions relatives à la confidentialité — Loi
sur les mesures spéciales d'importation, S.C. 1984, chap. 25,
art. 84(3).
Il s'agit d'une requête en ordonnance de certiorari qui annu-
lerait le refus par le sous-ministre du Revenu national pour les
douanes et l'accise de communiquer certains renseignements
confidentiels, en ordonnance de mandamus qui le forcerait à
communiquer des renseignements et en ordonnance de prohibi
tion qui lui interdirait de tenir son enquête sous le régime de la
Loi sur les mesures spéciales d'importation.
Le sous-ministre a rendu une décision provisoire de dumping
concernant des téléviseurs couleur coréens, compté tenu du
calcul de la «valeur normale» des marchandises, de leur «prix à
l'exportation» et de la «marge de dumping». Ces calculs ont été
effectués sur la base des renseignements fournis par toutes les
sociétés participant à la vente ou à la fabrication de téléviseurs
couleur. L'article 83 de la Loi sur les mesures spéciales
d'importation prévoit que toute partie à une procédure a droit,
sur demande, de consulter les renseignements fournis dans le
cadre d'une procédure prévue par la Loi, à moins qu'ils n'aient
été désignés comme confidentiels en vertu du paragraphe 84(1).
Une personne qui fournit des renseignements au sous-ministre a
le droit de les faines désigner comme confidentiels. Même si des
renseignements ont été désignés comme confidentiels, le Minis-
tre peut les communiquer en conformité des conditions énon-
cées au paragraphe 84(3). Le sous-ministre a refusé de commu-
niquer certains renseignements confidentiels, disant que le
Ministère avait pour politique de ne pas considérer les plai-
gnants dans une affaire d'antidumping comme des parties aux
procédures. La requérante fait valoir que tout ce que le sous-
ministre a le pouvoir de faire lorsqu'une demande est présentée,
c'est d'assujettir la communication à certaines conditions. Sub-
sidiairement, il est allégué que le sous-ministre n'a pas exercé
son pouvoir discrétionnaire ou l'a exercé de manière arbitraire
en ce qu'il a fondé sa décision sur le fait qu'il ne considère pas
les requérantes comme des «parties à ces procédures». Les
requérantes soutiennent en dernier lieu que si elles ne savent
pas de quelle façon le sous-ministre a utilisé les renseignements
confidentiels, elles ne sont pas à même de déterminer si toutes
les conditions de la Loi et des règlements ont été respectées. Les
intimés font valoir que lorsque le sous-ministre rend une déci-
sion provisoire en vertu de la Loi, il rend une décision de nature
administrative. Par conséquent, il n'a pas à se conformer aux
règles de justice naturelle encore qu'il ait l'obligation d'agir
équitablement. Ils soutiennent que rien n'indique que les requé-
rantes ont été traitées injustement.
Il s'agit de déterminer le sens du mot «peuvent» employé au
paragraphe 84(3), eu égard au contexte de la Loi prise dans son
ensemble, et la nature du pouvoir décisionnel conféré au sous-
ministre et de l'obligation d'agir équitablement qui en découle.
Jugement: la requête devrait être rejetée.
Les requérantes sont parties à «toute procédure prévue à la
présente loi qui en découle» et à ce titre, elles pourraient avoir
droit aux renseignements confidentiels. Le paragraphe 84(3)
confère au sous-ministre le pouvoir discrétionnaire de commu-
niquer ou non les renseignements confidentiels. Il ne suffit pas
d'examiner les dispositions qui portent sur la communication
des renseignements confidentiels; il faut également prendre en
considération les articles qui autorisent une personne fournis-
sant des renseignements à les désigner comme confidentiels.
Bien que le législateur ait voulu une communication plus
grande des renseignements recueillis que celle qui était permise
en vertu de la législation antérieure, il a également reconnu que
certaines catégories de renseignements devaient demeurer con-
fidentielles. La communication de certaines données en matière
de spécialité ou de commerce pourrait mettre en péril les
intérêts de la personne qui les fournit si elles étaient révélées à
un concurrent. La communication de renseignements ne doit
pas se faire sans assurer, dans une certaine mesure, les sociétés
étrangères que les renseignements confidentiels fournis ne
seront pas révélés. Si on interprète le paragraphe 84(3) comme
exprimant une obligation, il ne servirait pas à grand-chose
qu'une société étrangère désigne les renseignements qu'elle
fournit comme confidentiels.
Bon nombre de dispositions de la Loi enjoignent au sous-
ministre de prendre certaines mesures par l'emploi, dans le
texte anglais, du terme impératif «shall». Comme on doit
donner aux mots le même sens dans toute la Loi, le législateur
n'aurait pas utilisé le mot «peuvent» s'il avait voulu rendre
obligatoire la communication des renseignements confidentiels.
Rien dans le contexte ne donne au mot «peuvent» un sens autre
que le sens facultatif que lui attribue l'article 28 de la Loi
d'interprétation. La présente affaire ne donne pas lieu à l'appli-
cation du principe selon lequel des termes accordant une faculté
peuvent être interprétés comme créant un devoir s'ils confèrent
un pouvoir dont l'exercice est nécessaire pour donner effet à un
droit.
Lorsque le sous-ministre mène son enquête afin de calculer la
valeur normale, le prix à l'exportation et la marge de dumping,
il recourt à un «moyen de recueillir des renseignements sur des
faits», moyen dont la nature est administrative. La classifica
tion des fonctions vise à définir la teneur de l'obligation d'agir
équitablement ainsi qu'elle est appliquée à une situation de fait
donnée. Les requérantes n'ont pu rapporter aucune preuve de
traitement injuste. Elles n'ont pu produire quelque élément de
preuve indiquant que le sous-ministre a pu utiliser des rensei-
gnements inexacts. Les requérantes cherchent à faire imputer
la décision du sous-ministre pour la seule raison qu'elles dési-
rent obtenir les renseignements confidentiels afin de s'assurer
que le sous-ministre s'est convenablement acquitté de son obli
gation légale en déterminant la valeur normale, le prix à
l'exportation et la marge de dumping en découlant. Ni la Loi ni
la common law ne confèrent aux requérantes le droit aux
renseignements confidentiels, et celles-ci n'ont pas non plus le
droit de forcer le sous-ministre à leur demander assistance dans
l'exécution de son obligation légale.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Maple Lodge Farms Ltd. c. R., [1981] 1 C.F. 500
(C.A.); confirmée [1982] 2 R.C.S. 2; Mitsui & Co. c.
M.R.N.; Okura & Co. c. Ministre du Revenu (1977), 2
B.L.R. 281 (C.F. I" inst.); Inuit Tapirisat of Canada c.
Le très honorable Jules Léger, [1979] 1 C.F. 710 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINEES:
Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of
Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; Bates v.
Lord Hailsham of St. Marylebone, [1972] 1 W.L.R.
1373 (Ch. D.); Martineau c. Comité de discipline de
['Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; Ministre
du Revenu national c. Coopers and Lybrand, [1979] I
R.C.S. 495.
AVOCATS:
Thomas A. McDougall, c.r. et Anne Macta-
vish pour toutes les requérantes.
Donald Kubesh pour Hitachi (H.S.C.)
Canada Inc. et Sanyo Industries Canada Inc.,
requérantes.
Dogan Akman et K. Wayne MacLean pour le
sous-ministre du Revenu national pour les
douanes et l'accise, intimé.
Darrel H. Pearson et Peter Kirby pour Gold-
star Co. Ltd., intimée (intervenante).
Simon V. Potter et Pierre Bienvenu pour
Daewoo Electronics Company, Ltd., intimée
(intervenante).
PROCUREURS:
Perley-Robertson, Panet, Hill & MacDou-
gall, Ottawa, pour toutes les requérantes.
Stikeman, Elliott, Ottawa, pour Hitachi
(H.S.C.) Canada Inc. et Sanyo Industries
Canada Inc., requérantes.
Le sous-procureur général du Canada pour le
sous-ministre du Revenu national pour les
douanes et l'accise, intimé.
Gottlieb, Kaylor and Stocks, Toronto, pour
Goldstar Co. Ltd., intimée (intervenante).
Ogilvy, Renault, Montréal, pour Daewoo
Electronics Company, Ltd., intimée (interve-
nante).
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE ROULEAU: Les requérantes se fondent
sur l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale
[S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10] pour introduire
la présente requête en vue d'obtenir une ordon-
nance de certiorari qui annulerait le refus par le
sous-ministre du Revenu national pour les douanes
et l'accise de communiquer certains renseigne-
ments confidentiels à leurs avocats, ainsi qu'une
ordonnance de mandamus qui forcerait le sous-
ministre à communiquer les renseignements confi-
dentiels et une ordonnance de prohibition qui lui
interdirait de tenir son enquête sous le régime de la
Loi sur les mesures spéciales d'importation [S.C.
1984, chap. 25] tant qu'il n'aurait pas communi-
qué les renseignements confidentiels en question.
La présente affaire est d'abord venue à audience
le 19 décembre 1985, date à laquelle elle a été
ajournée du consentement des parties. Je l'ai par la
suite entendue les 10 et 17 janvier 1986, les requé-
rantes et le sous-ministre ayant alors consenti à ce
que Daewoo Electronics Company Ltd. et Gold-
star Co. Ltd. soient autorisées à intervenir et à être
constituées intimées aux présentes procédures.
En l'espèce, il s'agit de déterminer si les requé-
rantes ont droit, conformément aux dispositions de
la Loi sur les mesures spéciales d'importation, à
la communication de certains renseignements con-
fidentiels se trouvant en la possession des intimés.
Le 3 septembre 1985, le sous-ministre du
Revenu national pour les douanes et l'accise a
ouvert une enquête sur le dumping au Canada de
certains téléviseurs couleur provenant de la Répu-
blique de Corée ou exportés depuis ce pays. La
décision de tenir l'enquête a été prise en vertu du
paragraphe 31(1) de la Loi sur les mesures spé-
ciales d'importation à la suite d'une plainte de
l'industrie de la télévision couleur canadienne. En
l'espèce, les requérantes ont fourni au sous-minis-
tre des éléments de preuve établissant qu'il y a eu
perte de ventes et d'une part du marché, érosion
des prix et arrêt de leur progression, chute de la
rentabilité, retard sensible, baisse de la production,
accroissement des stocks et diminution de l'utilisa-
tion de la capacité de production. Le sous-ministre
s'est dit convaincu que les éléments de preuve
produits indiquaient de façon raisonnable que les
importations prétendument sous-évaluées cau-
saient un préjudice sensible aux producteurs
canadiens.
Le 29 novembre 1985, le sous-ministre a rendu,
conformément au paragraphe 38 (1) de la Loi sur
les mesures spéciales d'importation, une décision
provisoire de dumping concernant les téléviseurs
couleur.
Pour déterminer s'il y a eu dumping de mar-
chandises il faut calculer la «valeur normale» des
marchandises en question, leur «prix à l'exporta-
tion» et la «marge de dumping». Voici comment
sont définies ces expressions au paragraphe 2(1) de
la Loi:
2. (I) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente
loi.
«marge de dumping» L'excédent de la valeur normale de mar-
chandises sur leur prix à l'exportation.
«prix à l'exportation» Le prix établi conformément aux articles
24à30.
«valeur normale» La valeur, établie conformément aux articles
15 23, 29 et 30.
Afin d'effectuer ces calculs, le ministère du
Revenu national, douanes et accise, a demandé à
tous les fabricants connus et à toutes les sociétés
participant à la vente de téléviseurs couleur prove-
nant de Corée ou exportés depuis ce pays de
fournir au sous-ministre certains renseignements
pour la période allant du 1e` juillet 1984 au 31 août
1985. Ces renseignements ont permis au sous-
ministre de déterminer la valeur normale des mar-
chandises, leur prix à l'exportation et la marge de
dumping en découlant, s'il en est. En l'espèce, on a
conclu que des marchandises examinées, 69,82
pour cent ont été sous-évaluées suivant des marges
oscillant entre 0,20 22,14 pour cent, la marge
moyenne pondérée s'établissant à 8,22 pour cent.
Le sous-ministre s'est dit convaincu que les élé-
ments de preuve indiquaient de façon raisonnable
un préjudice sensible à la production canadienne.
Aux termes de l'alinéa 38(2)b) de la Loi, dès
que le sous-ministre rend une décision provisoire
de dumping, il doit déposer un avis de la décision
auprès du Tribunal canadien des importations. Dès
réception d'un tel avis, le Tribunal doit faire
enquête relativement aux questions énumérées au
paragraphe 42(1). À la suite de la décision provi-
soire de dumping, le sous-ministre poursuit son
enquête en vue de rendre une décision définitive.
Dans les quatre-vingt-dix jours suivant sa décision
provisoire de dumping, le sous-ministre est tenu de
rendre une décision définitive en conformité du
paragraphe 41(1). Dès que le sous-ministre rend
une décision définitive de dumping, il doit, confor-
mément à l'alinéa 41(2)b), en déposer avis auprès
du Tribunal canadien des importations. Il incombe
alors au Tribunal de rendre une ordonnance ou des
conclusions à l'égard des marchandises visées par
la décision. Le paragraphe 43 (1) de la Loi prévoit
que ces ordonnances ou conclusions doivent être
rendues dès réception de l'avis de la décision défi-
nitive mais, au plus tard, dans les cent vingt jours
après avoir reçu l'avis de la décision provisoire
rendue par le sous-ministre.
En l'espèce, le sous-ministre doit rendre une
décision définitive de dumping au plus tard le 27
février 1986. Par la suite, le Tribunal est tenu de
rendre une ordonnance ou des conclusions à
l'égard des marchandises en question. Si le Tribu
nal rend une ordonnance ou des conclusions por-
tant que le dumping de marchandises cause, a
causé ou est susceptible de causer un préjudice
sensible à la production de téléviseurs couleur, ou
un retard sensible dans la mise en production au
Canada de marchandises similaires, les droits anti-
dumping ou compensateurs provisoires imposés en
vertu de l'article 8 de la Loi deviennent alors
définitifs, et l'assujettissement aux dispositions
concernant les droits antidumping et compensa-
teurs prévues aux articles 3 à 7 de la Loi s'applique
à l'importation des marchandises en question.
Les articles 82 88 de la Loi sur les mesures
spéciales d'importation portent sur la communica
tion de renseignements qui ont été fournis au
sous-ministre dans le cadre d'une procédure prévue
par la Loi. L'article 83 prévoit que toute partie à
une procédure a droit, sur demande, de consulter
les renseignements à moins qu'ils n'aient été dési-
gnés comme confidentiels en vertu du paragraphe
84(1). Une personne qui fournit des renseigne-
ments au sous-ministre a le droit de les faire
désigner comme confidentiels. Le paragraphe
85(1) de la Loi est ainsi rédigé:
85. (1) La personne qui fournit des renseignements au sous-
ministre dans le cadre d'une procédure prévue par la présente
loi, et qui désire que tout ou partie de ces renseignements soient
gardés confidentiels doit, au moment où elle les fournit,
soumettre:
a) d'une part une déclaration précisant quels renseignements
elle désire ainsi désigner, explication à l'appui;
b) d'autre part, soit un résumé des renseignements ainsi
désignés en termes suffisamment précis pour faire compren-
dre assez clairement l'essentiel des renseignements, soit une
déclaration, accompagnée d'une explication destinée à la
justifier, énonçant, selon le cas,
(i) qu'il est impossible de faire ce résumé,
(ii) qu'un résumé communiquerait des faits qu'elle désire
valablement garder confidentiels.
Le sous-ministre doit alors examiner si cette
désignation est légitime et s'assurer que la per-
sonne qui fournit les renseignements et qui désire
les désigner comme confidentiels se conforme à
l'alinéa 85(1)b). Même si des renseignements ont
été désignés comme confidentiels, le sous-ministre
peut les communiquer en conformité des condi
tions énoncées au paragraphe 84(3) de la Loi.
84....
(3) Nonobstant le paragraphe (1), les renseignements aux-
quels ce paragraphe s'applique peuvent être communiqués par
le sous-ministre à l'avocat d'une partie à la procédure pour
laquelle ils ont été fournis ou à toute procédure prévue à la
présente loi qui en découle; l'avocat ne peut les utiliser que dans
le cadre de ces procédures, sous réserve des conditions que le
sous-ministre juge indiquées pour empêcher que les renseigne-
ments ne soient divulgués, sans le consentement de la personne
qui les a fournis, de manière à pouvoir être utilisés par:
a) toute partie à ces procédures, y compris celles qui sont
représentées par avocat;
b) tout concurrent de la personne à l'entreprise ou aux
activités de laquelle ils se rapportent.
C'est cette disposition de la Loi qui est en litige
dans le présent cas. Le 2 décembre 1985, les
avocats des requérantes ont rencontré deux fonc-
tionnaires du ministère du Revenu national, doua-
nes et accise, et leur ont demandé des copies des
renseignements confidentiels fournis au sous-
ministre par les exportateurs et importateurs en
cause dans l'enquête. On a informé les avocats
qu'on leur fournirait les renseignements non confi-
dentiels soumis au sous-ministre mais que, les
fonctionnaires n'étaient pas autorisés à fournir des
renseignements confidentiels. Le 4 décembre 1985,
conformément à l'article 83 de la Loi, les avocats
des requérantes ont reçu copie des renseignements
non confidentiels fournis au sous-ministre au cours
de son enquête. Toutefois, on n'a pas fourni aux
avocats les renseignements confidentiels visés par
le paragraphe 84(1). Le 6 décembre 1985, les
avocats des requérantes ont écrit au sous-ministre
pour demander la communication des renseigne-
ments confidentiels conformément au paragraphe
84(3). Dans une lettre en date du 30 décembre, le
sous-ministre a avisé les avocats que leur demande
était rejetée.
Les requérantes font valoir que le sous-ministre
a l'obligation légale de se conformer au paragra-
phe 84(3) de la Loi et de communiquer les rensei-
gnements confidentiels en question. L'exécution de
cette obligation peut être exigée dès qu'une
demande de renseignements est présentée et,
malgré la présence du mot «peuvent» dans ce para-
graphe, le sous-ministre ne dispose pas du pouvoir
discrétionnaire d'en refuser la communication.
Tout ce qu'il a le pouvoir de faire lorsqu'une telle
demande est présentée, c'est d'assujettir la com
munication à certaines conditions pour empêcher
que les renseignements ne soient divulgués à toute
partie à ces procédures ou à tout concurrent de la
personne qui les lui a fournis. Lorsque l'avocat
satisfait à ces conditions, le mot «peuvent» doit être
interprété comme exprimant une obligation plutôt
qu'une faculté.
Subsidiairement, les requérantes font valoir que
si le mot «peuvent» figurant au paragraphe 84(3)
est interprété comme exprimant une faculté, le
sous-ministre n'a pas exercé son pouvoir discré-
tionnaire ou l'a exercé de manière arbitraire, en ce
qu'il a fondé sa décision de ne pas communiquer
les renseignements confidentiels sur le fait qu'il ne
considère pas les requérantes comme étant des
«parties à ces procédures», comme l'exige le para-
graphe 84(3). Dans sa lettre du 30 décembre 1985
aux requérantes, le sous-ministre a dit que le
Ministère avait pour politique de ne pas considérer
les plaignants dans une affaire d'antidumping
comme des parties aux procédures et que, par
conséquent, les avocats de ceux-ci n'ont pas droit
aux renseignements. J'aimerais statuer dès mainte-
nant sur cet argument de la Couronne. Les requé-
rantes soutiennent qu'elles sont parties aux procé-
dures en vertu du texte du paragraphe 84(3) qui
permet de communiquer les renseignements confi-
dentiels fournis au sous-ministre dans la procédure
à «l'avocat d'une partie à la procédure pour
laquelle ils ont été fournis ou à toute procédure
prévue à la présente loi qui en découle». Je suis
d'avis que les requérantes sont parties à «toute
procédure prévue à la présente loi qui en découle»
et qu'à ce titre, elles pourraient avoir droit aux
renseignements confidentiels. L'argument de la
Couronne à cet égard ne peut donc être retenu.
Les requérantes prétendent en outre que si leurs
avocats ne savent pas de quelle façon le sous-
ministre a utilisé et appliqué les renseignements
confidentiels ou encore ne les a pas utilisés ou
appliqués lorsqu'il a établi la valeur normale des
marchandises, leur prix à l'exportation et la marge
de dumping en découlant, ils ne sont pas à même
de soumettre au sous-ministre et à ses fonctionnai-
res des observations significatives en vue de proté-
ger les intérêts de l'industrie intérieure. Les rensei-
gnements demandés sont nécessaires afin de
permettre aux avocats des requérantes de détermi-
ner si toutes les conditions de la Loi et des règle-
ments ont été respectées. Le refus de communiquer
ces renseignements par le sous-ministre constitue
une violation de l'obligation qu'il a, en vertu de la
common law, d'agir équitablement. Ce refus va
non seulement porter atteinte aux intérêts des
requérantes dans l'enquête sur le dumping, mais il
aura aussi une incidence sur l'enquête qui se
déroule devant le Tribunal canadien des importa
tions relativement au préjudice et au retard sensi-
bles. On prive donc les requérantes d'une occasion
raisonnable de corriger ou de contredire quelque
fait allégué par les exportateurs ou les importa-
teurs ou de préparer une réplique significative.
De leur côté, les intimés soutiennent que le
terme «peuvent» utilisé au paragraphe 84(3) con-
fère au sous-ministre le pouvoir discrétionnaire de
communiquer ou non les renseignements confiden-
tiels. Ils prétendent qu'il faut interpréter la Loi
comme un tout, dans son contexte global, pour
faire ressortir l'intention du législateur, ainsi que
l'objet et l'économie de la Loi. Il faut ensuite
interpréter les termes de chacune des dispositions
s'appliquant au cas particulier à l'étude selon leur
sens grammatical ordinaire à la lumière de l'objet
et de l'économie de la Loi prise dans son ensemble.
La Loi renferme un certain nombre de dispositions
impératives obligeant le sous-ministre à prendre
certaines mesures. Le texte anglais des articles 31
à 41, qui traitent de l'ouverture de l'enquête
intiale, de la prise d'une décision provisoire et
d'une décision finale, utilise le terme impératif
«shall» pour enjoindre au sous-ministre d'agir.
Puisqu'on doit donner aux mots le même sens dans
toute la Loi, les intimés soutiennent que si le
législateur avait voulu conférer une obligation au
sous-ministre plutôt qu'un pouvoir discrétionnaire,
il l'aurait indiqué en utilisant le terme impératif
«shall» au paragraphe 84(3).
En outre, les intimés font valoir que lorsque le
sous-ministre rend une décision provisoire en vertu
de la Loi, il rend une décision de nature adminis
trative et non quasi judiciaire. Par conséquent, il
n'a pas à se conformer aux règles de justice natu-
relle encore qu'il ait l'obligation d'agir équitable-
ment. La teneur de l'obligation d'agir équitable-
ment dépend de l'ensemble du contexte législatif
du pouvoir conféré. En l'espèce, les intimés sou-
tiennent que rien n'indique que les requérantes ont
été traitées injustement par le sous-ministre; que le
seul argument invoqué par ces dernières au soutien
de leur plainte de traitement injuste est qu'on
refuse de leur communiquer les renseignements
qu'elles désirent obtenir. Étant donné la nature
administrative de la décision rendue par le sous-
ministre sous le régime du paragraphe 84(3), les
intimés soutiennent que c'est le sous-ministre qui
recherche des renseignements, et que la Cour n'a
pas compétence pour substituer son avis sur une
question relevant du pouvoir discrétionnaire admi-
nistratif du sous-ministre.
De façon générale, la Loi sur les mesures spé-
ciales d'importation vise à protéger les fabricants
et producteurs canadiens contre le dumping de
marchandises sur le marché canadien, dumping
découlant de l'importation de marchandises au
Canada à des prix inférieurs à ceux auxquels elles
seraient vendues sur le marché du pays d'origine.
La Loi protège le marché intérieur si on établit
que les marchandises sous-évaluées ont causé ou
menace de causer un préjudice à la production des
mêmes marchandises au Canada. Des droits anti-
dumping peuvent être imposés sur ces importations
afin de neutraliser l'avantage qu'entraîne le dum
ping quant au prix.
La question générale à laquelle il faut répondre
en l'espèce consiste à déterminer quelle est l'obli-
gation légale qui s'impose au sous-ministre dans
les circonstances particulières du présent cas. Pour
y répondre, il nous faut trancher deux questions,
c'est-à-dire déterminer le sens du mot «peuvent»
employé au paragraphe 84(3), eu égard au con-
texte législatif de la Loi prise dans son ensemble,
ainsi que la nature du pouvoir décisionnel conféré
au sous-ministre et de l'obligation d'agir équitable-
ment qu'il doit en conséquence respecter à l'égard
des requérantes.
Dans l'interprétation d'une loi, il faut donner
aux mots leur sens grammatical ordinaire à moins
que quelque chose dans le contexte ou l'objet de la
Loi n'indique qu'ils ont été utilisés dans un sens
particulier différent de leur sens grammatical ordi-
naire. Si j'examine les dispositions de la Loi sur les
mesures spéciales d'importation dans leur ensem
ble, je suis d'avis que le paragraphe 84(3) confère
au sous-ministre le pouvoir discrétionnaire de com-
muniquer ou non les renseignements confidentiels
qu'il a recueillis au cours de son enquête. Les
avocats des requérantes ont fait valoir que les
dispositions autorisant la communication ne se
trouvaient pas dans la Loi antidumping [S.R.C.
1970, chap. A-15], qui a précédé la Loi dont il est
question en l'espèce. De dire les avocats, je devrais
déduire de ce fait que le législateur a voulu que le
sous-ministre divulgue sur demande des renseigne-
ments confidentiels. Cet argument va toutefois à
l'encontre de règles bien établies d'interprétation
des lois. Les termes d'une disposition particulière
d'une loi ne doivent pas être interprétés dans l'abs-
trait; on doit plutôt les interpréter suivant leur sens
grammatical ordinaire, en tenant compte de l'in-
tention du législateur exprimée dans l'ensemble de
la Loi, ainsi que de l'objet et de l'économie de la
Loi, et si ces termes sont clairs, non équivoques et
en harmonie avec l'intention, l'objet et l'économie
générale de la Loi, il n'y a pas lieu de leur attri-
buer un sens différent.
En l'espèce, il ne suffit pas d'examiner les dispo
sitions qui portent sur la communication des ren-
seignements confidentiels; il faut également pren-
dre en considération les articles de la Loi qui
autorisent une personne fournissant des renseigne-
ments confidentiels au sous-ministre à les désigner
comme confidentiels. Bien qu'il soit évident que le
législateur ait voulu favoriser une communication
plus grande des renseignements recueillis par
Revenu Canada au cours d'une enquête que celle
qui était permise en vertu de la législation anté-
rieure, il est également manifeste que les législa-
teurs ont reconnu que certaines catégories de ren-
seignements devaient rester confidentielles. Le
législateur se trouve ainsi à reconnaître que la
communication de certaines données en matière de
spécialité ou de commerce pourrait mettre en péril
les intérêts de la personne qui les fournit si elles
étaient révélées à un concurrent. La communica
tion de renseignements, qui constitue un élément
essentiel de l'économie et du but de la Loi, ne doit
pas se faire sans assurer, dans une certaine mesure,
les sociétés étrangères que les renseignements con-
fidentiels qu'elles confient à nos fonctionnaires ne
seront pas révélés sur demande. Par conséquent,
même si j'étais convaincu que le mot «peuvent»
employé au paragraphe 84(3) est susceptible de
deux interprétations, il me serait impossible de
conclure qu'il exprime une obligation puisqu'une
telle conclusion ne réaliserait pas l'objectif mani-
feste de la Loi. La Cour doit rejeter toute interpré-
tation qui rendrait la Loi futile, et retenir plutôt
l'interprétation reposant sur le principe que le
législateur ne légifère qu'en vue d'obtenir un résul-
tat utile. Si je devais souscrire à l'argument des
requérantes selon lequel dès qu'une demande de
renseignements confidentiels est présentée, le sous-
ministre ne dispose plus, en la matière, que du
pouvoir discrétionnaire de fixer les conditions de la
communication, je provoquerais la nullité des dis
positions relatives à la confidentialité prévues dans
la Loi. En effet, il ne servirait pas à grand-chose
qu'une société étrangère désigne les renseigne-
ments qu'elle fournit comme confidentiels puisque
le sous-ministre devrait de toute façon les commu-
niquer sur demande.
Je me laisse également convaincre par l'argu-
ment suivant lequel la Loi sur les mesures spécia-
les d'importation renferme bon nombre de disposi
tions enjoignant au sous-ministre de prendre
certaines mesures. Par exemple, les articles 31 à 41
de la Loi qui traitent de l'ouverture de l'enquête
initiale ainsi que de la prise d'une décision provi-
soire et d'une décision finale emploient le terme
impératif «shah». Comme on doit donner aux mots
le même sens dans toute la Loi, il faut se deman-
der pourquoi le législateur a utilisé le terme «peu-
vent» s'il a voulu rendre obligatoire la communica
tion des renseignements confidentiels. Le mot
«peuvent» est employé au paragraphe 84(3), et rien
dans le contexte ne lui donne un sens autre que le
sens facultatif que lui attribue l'article 28 de la Loi
d'interprétation [S.R.C. 1970, chap. I-23]. La pré-
sente affaire ne donne pas lieu à l'application du
principe selon lequel des termes accordant une
faculté peuvent être interprétés comme créant un
devoir s'ils confèrent un pouvoir dont l'exercice est
nécessaire pour donner effet à un droit. La Loi sur
les mesures spéciales d'importation ne crée ni ne
reconnaît de droit strict en faveur des requérantes
à la communication des renseignements confiden-
tiels qui se trouvent en la possession du sous-minis-
tre. Le passage suivant du paragraphe 84(3) «sous
réserve des conditions que le sous-ministre juge
indiquées pour empêcher que les renseigments ne
soient divulgués» ne détermine pas le droit à la
communication des renseignements confidentiels,
mais énonce plutôt les conditions auxquelles peut
être assujettie cette communication. A cet égard,
je fais mien le point de vue adopté par le juge Le
Dain dans l'arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. R.,
[1981] 1 C.F. 500 (C.A.), confirmé par la Cour
suprême du Canada dans [1982] 2 R.C.S. 2.
Je passe maintenant à l'examen de la nature du
pouvoir décisionnel dont est investi le sous-ministre
en vertu de la Loi sur les mesures spéciales d'im-
portation. Cette Cour s'est penchée sur cette ques
tion dans l'affaire Mitsui & Co. c. M.R.N.; Okura
& Co. c. Ministre du Revenu (1977), 2 B.L.R. 281
(C.F. 1" inst.) qui portait sur le rôle du sous-minis-
tre sous le régime de la Loi andidumping. Dans
cette affaire, les requérantes ont prétendu qu'elles
étaient en droit de prendre connaissance des ren-
seignements dont disposait le sous-ministre à la
suite de son enquête. Le juge Cattanach a déclaré
aux pages 290 et 291:
À mon avis, en l'absence d'une obligation expresse ou tacite,
imposée au sous-ministre par la Loi, de révéler des renseigne-
ments aux parties intéressées, et je ne pense pas que la Loi
antidumping prévoie une telle obligation, cette dernière dépen-
drait du fondement administratif ou quasi judiciaire sur lequel
la détermination préliminaire de dumping repose. Si la décision
est de nature administrative, le sous-ministre n'a nullement
l'obligation de révéler les renseignements ou les motifs de sa
conclusion. Par contre, si l'on reconnaît à ladite décision une
nature quasi judiciaire, les principes de justice naturelle s'appli-
quent et la révélation des renseignements devra être faite pour
permettre de répondre.
Pour déterminer dans quelle catégorie tombe la décision du
sous-ministre, il faut examiner exactement le devoir à lui
imposé, et à cet effet il faut examiner l'objet de la Loi et son
but. J'admets que la Loi antidumping vise à protéger le public
canadien contre des marchandises sous-évaluées qui pourraient
causer un préjudice sensible ou retarder la production de
marchandises semblables au Canada. Pour remplir ce but, le
sous-ministre est requis par la Loi de faire une enquête.
[Le sous-ministre] est un agent de direction du gouvernement.
Il est habilité à faire une enquête, à recueillir des renseigne-
ments et sur le fondement de ceux-ci, à faire une détermination
d'abord provisoire, ensuite définitive. L'enquête n'est qu'un
moyen de recueillir des renseignements sur des faits. Il n'y a
pas de quasi-litige devant des quasi-parties.
Pour ces motifs, je conclus que le sous-ministre agit en
qualité purement administrative et qu'aucune partie n'a le droit
d'être mise au courant des documents produits devant lui ou de
se faire entendre relativement auxdits documents.
Je suis d'avis que lorsque le sous-ministre mène
son enquête en vertu de la Loi sur les mesures
spéciales d'importation afin de calculer la valeur
normale des marchandises, leur prix à l'exporta-
tion et la marge de dumping en découlant, il
n'exerce pas une fonction quasi judiciaire, mais
recourt plutôt à un «moyen de recueillir des rensei-
gnements sur des faits», moyen dont la nature est
administrative. Dans l'arrêt Nicholson c. Haldi-
mand-Norfolk Regional Board of Commissioners
of Police, [1979] 1 R.C.S. 311, la Cour suprême a
évité de faire appel à la distinction entre les fonc-
tions judiciaires et administratives aux fins de
déterminer, de façon préliminaire, si quelque obli
gation pouvait être imposée au plan de la procé-
dure. Elle y a néanmoins expressément recouru
afin de différencier la teneur des règles de justice
naturelle de celle de l'obligation d'agir équitable-
ment. Le juge en chef Laskin a accepté comme un
principe de common law l'opinion incidente expri-
mée par le juge Megarry dans Bates v. Lord
Hailsham of St. Marylebone, [1972] 1 W.L.R.
1373 (Ch. D.), à la page 1378, selon laquelle
[TRADUCTION] «dans le domaine de ce qu'on
appelle le quasi-judiciaire, on applique les règles
de justice naturelle et, dans le domaine administra-
tif ou exécutif, l'obligation générale d'agir équita-
blement». Bien qu'elle s'avère un principe judicieux
lorsqu'on l'utilise à titre de guide général, la dis
tinction entre la justice naturelle et l'équité peut
entraîner des résultats insolites. Dans l'arrêt Mar-
tineau c. Comité de discipline de l'Institution de
Mastqui, [ 1980] 1 R.C.S. 602, la page 629, le
juge Dickson, tel était alors son titre, a critiqué le
fait de s'appuyer d'une manière stricte sur la dis
tinction entre ces deux concepts:
En général, les cours ne devraient pas tenter de distinguer ces
concepts l'un de l'autre, car tracer une distinction entre une
obligation d'agir équitablement et celle d'agir selon les règles
de justice naturelle conduit à un cadre conceptuel de manie-
ment difficile.
Toutefois, le recours constant à la classification
des fonctions vise dans les faits à définir la teneur
de l'obligation d'agir équitablement ainsi qu'elle
est appliquée à une situation de fait donnée. La
vaste gamme de pouvoirs exercés par des fonction-
naires ne saurait ni ne devrait faire l'objet d'une
classification rigide. Toutefois, les tribunaux ont
reconnu qu'il est possible de classer les décisions
des organismes administratifs çà et là le long d'un
large spectre délimité par les fonctions judiciaires
et administratives qui exigent divers degrés de
protection au plan procédural. C'est là l'avis qu'a
exprimé le juge Dickson, tel était alors son titre,
dans l'arrêt Ministre du Revenu national c. Coo
pers and Lybrand, [1979] 1 R.C.S. 495, à la page
505. En conséquence, la véritable question qui se
pose à la Cour consiste à déterminer si la procé-
dure suivie est équitable eu égard à la nature du
pouvoir exercé. En l'espèce, les requérantes préten-
dent qu'elle sont traitées injustement du fait du
refus du sous-ministre de leur fournir les rensei-
gnements confidentiels demandés. Cet argument
doit être rejeté. Les requérantes n'ont pu rapporter
à la Cour aucune preuve de traitement injuste;
elles n'ont pu produire quelque élément de preuve
indiquant que le sous-ministre a pu utiliser ou
obtenir des renseignements inexacts au cours de
ses enquêtes. En fait, les requérantes n'ont pas été
en mesure de me fournir aucune raison d'infirmer
la décision du sous-ministre, si ce n'est qu'elles
désirent obtenir les renseignements confidentiels
afin de s'assurer que le sous-ministre s'est acquitté
convenablement de son obligation légale en déter-
minant la valeur normale des marchandises, leur
prix à l'exportation et la marge de dumping en
découlant. A mon avis, ni la Loi ni la common law
ne confèrent aux requérantes le droit aux rensei-
gnements confidentiels, et ces dernières n'ont pas
non plus le droit de forcer le sous-ministre à leur
demander assistance dans l'exécution de son obli
gation légale. Je ne suis pas convaincu que le refus
du Ministre de communiquer les renseignements
confidentiels en sa possession constitue une viola
tion de quelque obligation d'agir équitablement
prévue par la common law. Comme l'a dit le juge
Le Dain dans l'arrêt Inuit Tapirisat of Canada c.
Le très honorable Jules Léger, [1979] 1 C.F. 710
(C.A.), à la page 717:
Il est nécessaire d'examiner le contexte législatif de l'autorité
prise dans son ensemble. Le véritable point en litige est la
question de savoir quelle procédure il convient d'imposer à une
autorité déterminée compte tenu de la nature de cette dernière
et du genre de pouvoir qu'elle exerce, et quelles conséquences
en résulteront pour ceux qui ont à subir ce pouvoir. Il ne faut
pas oublier de maintenir l'équilibre entre les exigences d'équité
et les besoins du processus administratif en cause. [C'est moi
qui souligne.]
Si je devais conclure que le sous-ministre était
tenu de fournir ces renseignements confidentiels
sur demande, il est selon moi inévitable qu'il y
aurait éventuellement paralysie de l'ensemble du
processus législatif lorsque tous les plaignants
demanderaient les renseignements confidentiels
fournis au sous-ministre afin de calculer eux-
mêmes la valeur normale des marchandises, leur
prix à l'exportation et la marge de dumping. Les
avocats des requérantes soutiennent que la Cour ne
peut prendre ce fait en considération puisque
aucune preuve sous forme d'affidavit n'a été sou-
mise pour l'étayer. Toutefois, il s'agit là d'un
argument dénué de sens, puisque, dans toute
affaire mettant en jeu l'interprétation des lois, le
juge doit tenir compte de telles considérations.
Pour les motifs énoncés, la requête présentée par
les requérantes est rejetée.
À mon avis, les circonstances sont telles que je
ne devrais pas adjuger les dépens aux intimés qui
ont gain de cause; les parties devraient plutôt
supporter leurs propres frais.
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