T-1232-84
T-1235-84
Apple Computer, Inc. et Apple Canada Inc.
(demanderesses)
c.
Mackintosh Computers Ltd., Compagnie d'Élec-
tronique Repco Ltée/Repco Electronics Co. Ltd.,
Maison des Semiconducteurs Ltée/House of
Semiconductors Ltd., Chico Levy, Joseph Levy,
Nat Levy, Micro Computer Syncotech Systems
Ltd., Roman Melnyk, Gary Grecco, Richard
Wichlacz, Robert Pelland faisant affaires sous la
dénomination sociale de Centre du Hobbie Enr.,
Éric-Pierre Durez et Serge Pelletier faisant affai-
res sous la dénomination sociale de Pro-Micro
Enr., Claude Denise Bérubé Villeneuve faisant
affaires sous la dénomination sociale de Ville-
neuve Électronique Enr., Daniel Renaud faisant
affaires sous la dénomination sociale de Microbit
Enr., Hastings Leasing (Belleville) Limited, Wil-
liam George Knight, Evelyn Gwendelyn Knight,
Glen Martin Sargent, Mohamed Nath000 Gulam-
husein faisant affaires sous la dénomination
sociale de Compu-Sys, Tempo Audivision Incorpo
rated, Leslie David Graham Newton, Unitron
Computer Corporation, Robert A. Hubbell, Ace
Computer Supplies Inc., George Yin Kit Poon,
Simon Yin On Poon, Mang Chi Ly, Nu Mini
Yung, Sabtronic Systems Ltd., Bernard Allan
Sabiston et Madeleine Irene Sabiston (défen-
deurs)
et
Apple Computer, Inc. et Apple Canada Inc.
(demanderesses)
c.
115778 Canada Inc., faisant affaires sous la déno-
mination sociale de Microcom et James Begg et
131375 Canada Inc. (défendeurs)
RÉPERTORIE: APPLE COMPUTER INC c. MACKINTOSH COM
PUTERS LTD.
Division de première instance, juge Reed—
Toronto, 21, 22, 23, 24, 28, 29 et 31 janvier, 3, 4,
5, 6, 7 et 10 février; Ottawa, 29 avril 1986.
Droit d'auteur — Programmes informatiques inscrits sur
des microplaquettes de silicium faisant l'objet d'un droit d'au-
teur — En vertu de l'art. 3 de la Loi, le droit d'auteur
comprend le «droit exclusif de produire ou de reproduire une
oeuvre sous une forme matérielle quelconque» — La portée de
l'art. 3 est assez large pour comprendre les nouvelles technolo
gies — La forme hexadécimale du programme en code source
est une traduction de l'oeuvre originale et non une oeuvre
littéraire différente — L'expression «sous une forme maté-
rielle quelconque+ vise le programme des demanderesses ins-
crit sur la microplaquette ROM — L'argument selon lequel
puisque le programme des demanderesses présente une fusion
de l'idée et de l'expression de celle-ci, il n'est donc pas
susceptible d'être protégé par le droit d'auteur, n'est pas
convaincant — Le fait qu'un programme peut être écrit sous
diverses formes, que le support choisi pour inscrire ce pro
gramme n'est pas pertinent et qu'il est impossible pour le
programmeur d'écrire le programme de la même façon deux
fois de suite fait échec à l'argument de fusion — Rejet des
considérations de caractère politique — Responsabilité per-
sonnelle des défendeurs — La connaissance signifie «une prise
de conscience des faits à partir desquels une personne raison-
nable conclurait à la contrefaçon du droit d'auteur» — La
seule connaissance des faits ne suffit pas à établir la responsa-
bilité quant à la contrefaçon du droit d'auteur — Il est
nécessaire de prouver que les défendeurs ont autorisé la perpé-
tration de l'acte reproché au sens de l'art. 3 ou ont participé
aux activités interdites par l'art. 17(4) — Remise et calcul des
profits ordonnés — Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970,
chap. C-30, art. 2, 3, 4(3), 17(1),(4), 25, 45, 46 — Loi sur le
droit d'auteur, S.R.C. 1952, chap. 55, art. 2v) — An Act to
amend the Law of Copyright, 5 & 6 Vict., chap. 45 (R.-U.) —
Copyright Act, 1911, 1 & 2 Geo. 5, chap. 46, art. 1(2)a),d),
19(1) (R.-U.) — Loi sur les dessins industriels, S.R.C. 1970,
chap. 1-8 — Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, chap. P-4, art.
28(3).
Pour ce qui est des faits de l'espèce, il y a lieu de se référer à
la note de l'arrêtiste infra.
Jugement: Il sera rendu une ordonnance enjoignant la remise
de tous les dispositifs contenant le programme, de toutes les
copies du programme et de tous les dispositifs contenant cel-
les-ci, ainsi qu'un calcul des profits tirés par les défendeurs
grâce à la vente d'ordinateurs et de composantes d'ordinateurs
portant atteinte aux droits d'auteur d'Apple Computer.
L'argument des défendeurs selon lequel le droit d'auteur
n'accorde aucune protection à la forme hexadécimale du pro
gramme en code source parce qu'il ne s'agit pas d'une «traduc-
tion» de l'oeuvre mais bien d'une oeuvre littéraire différente, ne
saurait être accueilli. La conversion d'un code à un autre est
visée par la définition du terme anglais «translation» dans The
Concise Oxford Dictionary: «exprime le sens ... dans une autre
forme de représentation». Le support choisi pour inscrire le
programme conserve le caractère de l'oeuvre originale. La
forme hexadécimale du programme ne constitue pas une oeuvre
littéraire différente, mais bien une traduction de l'original.
N'est pas convaincant l'argument selon lequel puisqu'il ne
peut y avoir qu'une seule façon de structurer la microplaquette
ROM (mémoire morte) afin de lui permettre de reproduire le
programme, ce dernier présente une fusion de l'idée et de
l'expression de celle-ci à laquelle la Loi sur le droit d'auteur ne
saurait s'appliquer. Les affaires Cuisenaire, Hollinrake et
Moreau ne semblent pas confirmer l'argument avancé par les
défendeurs selon lequel en cas de fusion, l'oeuvre ne peut être
protégée par le droit d'auteur. La portée exacte de cette règle,
s'il en est, n'est pas claire. Plusieurs œuvres qui sont suscepti-
bles d'être protégées par le droit d'auteur, telles que des
poèmes, des pièces de théâtre, des tableaux, présentent une telle
fusion. Le mot «idée» lui-même peut être défini de façon très
variée. C'est seulement lorsque l'idée transmise par le mot est
décrite d'une façon très abstraite que l'on peut dire qu'il n'y a
pas de fusion. Dans un arrêt rendu en 1879, la Cour Suprême
des États-Unis a statué que lorsque la technique utile ne peut
être employée qu'en utilisant les formules ou les schémas qui
ont servi à l'expliquer, ces derniers ne sont pas protégés par le
droit d'auteur. Cet arrêt, qui a été critiqué, n'a pas été suivi au
Canada. En fait, la Cour d'appel fédérale semble l'avoir impli-
citement rejeté.
Le fait qu'un programme peut être écrit sous une variété de
formes, que le même programmeur n'écrirait pas le programme
de la même façon deux fois de suite, que le support pour
inscrire ce programme n'est pas pertinent, tout cela indique
que, pour les programmes informatiques, on ne peut faire
exception en invoquant le principe de fusion (s'il existe).
La question de savoir si les premiers mots de l'article 3—
« "droit d'auteur" désigne le droit exclusif de produire ou de
reproduire une oeuvre, ou une partie importante de celle-ci, sous
une forme matérielle quelconque»—visent l'inscription du pro
gramme des demanderesses sur la microplaquette ROM doit
recevoir une réponse affirmative. La prétention des demande-
resses selon laquelle l'article 3 a été rédigé intentionnellement
de façon assez générale pour comprendre les technologies nou-
velles était bien fondée. Sur le plan matériel, il n'existe aucune
différence entre un disque qui «comprend» une œuvre musicale
grâce aux sillons qui y sont gravés et une microplaquette ROM
qui «comprend» un programme grâce au système d'alternance
des zones de conductivité et de non-conductivité qui la caracté-
rise. Quant au critère de la «lisibilité» ou de la «perception
visuelle» discuté dans la jurisprudence, il doit y avoir simple-
ment une façon de comparer visuellement l'œuvre apparem-
ment protégée par le droit d'auteur et l'œuvre qui est censée la
contrefaire, afin de déterminer s'il y a eu plagiat. Puisque le
programme peut être «lu» à partir de la microplaquette ROM et
comparé aux autres, ce critère est donc présent en l'espèce.
Les défendeurs soutiennent que l'objet ultime de la reproduc
tion doit être de communiquer l'œuvre aux êtres humains. On
peut semble-t-il, trouver le fondement de cette exigence dans le
texte des dispositions législatives pertinentes qui doivent être
interprétées par rapport aux exemples précis qui suivent chaque
cas. L'expression «sous une forme matérielle quelconque» figu-
rant à l'article 3 répond à cet argument. Elle vise expressément
le programme inscrit sur la microplaquette ROM. Il n'y a rien
dans l'article 3 qui permette de tirer une conclusion différente.
Est fondé l'argument selon lequel, peu importe l'interpréta-
tion donnée aux premiers mots de l'article 3, la microplaquette
ROM est visée par l'alinéa 3(1)d) en tant qu'organe au moyen
duquel l'oeuvre peut être débitée. Le programme peut être
exécuté sur l'écran du moniteur ou sur une impression destinée
aux êtres humains.
Les arguments de caractère politique invoqués par les défen-
deurs pour prétendre qu'il n'y a pas lieu à protection conférée
par le droit d'auteur, à savoir des restrictions éventuelles du
commerce et un chevauchement possible avec les règles portant
sur les brevets, ne sauraient être accueillis. Les propositions de
révision de la Loi mentionnées par les défendeurs ne sont pas
pertinentes. La Cour doit appliquer la loi telle qu'elle existe.
Compte tenu de la preuve, on ne saurait conclure que les
défendeurs n'étaient pas au courant de l'acte de plagiat qui
était commis. Dans toute affaire, c'est la déduction tirée des
faits qui permet de savoir s'il y a connaissance ou non. Les
défendeurs avaient plus que remarqué des faits qui auraient
poussé une personne raisonnable à comprendre qu'il y avait
contrefaçon du droit d'auteur. Cependant, la seule connaissance
des faits ne suffit pas à donner lieu à une responsabilité pour
contrefaçon du droit d'auteur. Les défendeurs doivent partici-
per à des activités qui les assujettiraient à l'article 3 en autori-
sant la reproduction de ]'oeuvre ou au paragraphe 17(4) qui fait
état des activités interdites. «Autoriser» signifie «consentir,
approuver et encourager». De plus, l'inactivité ou l'indifférence
au risque de contrefaçon serait telle qu'on devrait déduire qu'il
y a eu autorisation.
En achetant de la publicité dans les journaux, les défendeurs
ont «commercialement offert en vente» les articles contrefaits
(une activité interdite au sens de l'alinéa 17(4)a). Participer à
des expositions et à des points de vente revient à «exposer
commercialement en public» lesdits articles (alinéas 17(4)a) et
c)).
L'action intentée contre Joseph Levy, l'un des particuliers
défendeurs, est rejetée. Garantir des crédits pour l'importation
des articles contrefaits, tout en sachant qu'un tel acte était
commis, n'est pas visé par le paragraphe 17(4) ni par l'article 3,
soit l'autorisation de la production ou de la reproduction du
programme des demanderesses.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Thrustcode Ltd. v. W.W. Computing Ltd., [1983] F.S.R.
502 (Ch.D.); Apple Computer Inc v Computer Edge Ply
Ltd (1984), 53 ALR 225 (F.C.); infirmant (1983), 50
ALR 581 (F.C.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Cuisenaire, Georges v. South West Imports Ltd., [1968]
1 R.C.E. 493; (1967), 37 Fox Pat. C. 93; confirmée par
[1969] R.C.S. 208; (1968), 40 Fox Pat. C. 81; Cuisenaire
v. Reed, [1963] V.R. 719 (S.C.); Schlumberger Canada
Ltd. c. Le commissaire des brevets, [1982] 1 C.F. 845;
(1981), 56 C.P.R. (2d) 204 (C.A.), demande de permis
sion d'appel devant la Cour suprême du Canada rejetée
(1981), 63 C.P.R. (2d) 261.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Hollinrake v. Truswell, [1894] 3 Ch. 420 (C.A);
Moreau, Alfred v. St-Vincent, Roland, [1950] R.C.E.
198; Baker v. Selden, 101 U.S. 99 (1879); Bulman Group
Ltd. (The) c. Alpha One -Write Systems B.C. Ltd. et
autre (1981), 54 C.P.R. (2d) 179 (C.A.F.); Bulman
Group Ltd. (The) c. «One Write» Accounting Systems
Ltd., [1982] 2 C.F. 327; 62 C.P.R. (2d) 149 (1" inst.);
Boosey v. Whight, [1899] 1 Ch. 836; confirmée par
[1900] 1 Ch. 122 (C.A.); Sega Enterprises Limited v.
Richards and Another, [1983] F.S.R. 73 (Ch.D.); Ment-
more Manufacturing Co., Ltd. et autre c. National Mer
chandise Manufacturing Co. Inc. et autre (1978), 40
C.P.R. (2d) 164 (C.A.F.); C.B.S. Inc. v. Ames Records &
Tapes Ltd., [1981] 2 W.L.R. 973 (Ch.D); Compo Com
pany Ltd. c. Blue Crest Music Inc. et autres, [1980] 1
R.C.S. 357; (1979), 45 C.P.R. (2d) 1.
DÉCISIONS CITÉES:
Newmark v. National Phonograph Company and Edison
Manufacturing Company (1907), 23 T.L.R. 439 (K.B.);
Monckton v. Gramophone Company Limited (1912), 106
L.T. 84 (C.A.); White-Smith Music Publishing Com
pany v. Apollo Company, 209 U.S. 1 (1908); Apple
Computer, Inc. v. Formula Intern., Inc., 562 F.Supp. 775
(U.S. Dist. Ct. 1983); Falcon v. Famous Players Film
Co., [1926] 2 K.B. 474 (C.A.); Chabot v. Davies, [1936]
3 All E.R. 221 (Ch.D); King Features Syndicate, Incor
porated v. Kleeman (O. & M.) Ld., [1941] A.C. 417
(H.L.); Dorling v. Honnor and Another, [1964] R.P.C.
160 (C.A.); Bayliner Marine Corp. c. Doral Boats Ltd.,
[1986] 3 C.F. 346; (1985), 5 C.P.R. (3d) 289 (1re inst.);
Canusa Records Inc. et autres c. Blue Crest Music, Inc.
et autres (1976), 30 C.P.R. (2d) 11 (C.A.F.); R. v.
Budget Car Rentals (Toronto) Ltd. (1981), 31 O.R. (2d)
161 (C.A.); R. v. Philips Electronics Ltd.—Philips Elec-
tronique Ltee (1980), 30 O.R. (2d) 129 (C.A.); Tuck v.
Priester (1887), 19 Q.B.D. 629; Dalton c. Commission
canadienne des droits de la personne, [1986] 2 C.F. 141;
63 N.R. 383 (CA.); Re Application Number 961,392
(1971), 5 C.P.R. (2d) 162 (C.A.B.); Gottschalk, Comr.
Pats. v. Benson, 175 USPQ 673 (S.C. 1972); Dann,
Comr. Pats. v. Johnston, 189 USPQ 257 (S.C. 1976); Re
Bendix Corporation Application (Now Patent No.
1,176,734) (1984), 5 C.P.R. (3d) 198 (C.A.B.); Re
Application for Patent of Dissly Research Corp. (Now
Patent No. 1,188,811) (1984), 6 C.P.R. (3d) 420
(C.A.B.); Diamond, Comr. Pats. v. Diehr and Lutton,
209 USPQ 1 (S.C. 1981); Northern Office Microcompu
ters (Pty) Ltd. v. Rosenstein, [1982] F.S.R. 124 (S.C.
Afr. du Sud); Apple Computer Inc. v. Computermat Inc.
(1983), 1 C.I.P.R. 1 (H.C. Ont.); Apple Computer, Inc.
v. Minitronics of Canada Ltd. et autres (1985), 7 C.P.R.
(3d) 104 (C.F. 1"° inst.); confirmée par (1985), 8 C.P.R.
(3d) 431 (C.A.F.); Société (La) d'Informatique R.D.G.
Inc. v. Dynabec Ltée et al. (1984), 6 C.P.R. (3d) 299
(C.S. Qué.); confirmée par (1985), 6 C.P.R. (3d) 322
(C.A. Qué.); F & I Retail Systems Ltd. v. Thermo
Guard Automotive Products Canada Ltd. et al., Cour
suprême de l'Ontario, rendue le 26 juin 1984, non
publiée; Logo Computer Systems Inc. c. 115778 Canada
Inc. et al., Cour supérieure du Québec, 25 octobre 1983,
non publiée; Nintendo of America, Inc. c. Coinex Video
Games Inc., [1983] 2 C.F. 189 (C.A.); Spacefile Ltd. v.
Smart Computing Systems Ltd. et al. (1983), 75 C.P.R.
(2d) 281 (H.C. Ont.); International Business Machines
Corporation c. Ordinateurs Spirales Inc., [1985] 1 C.F.
190; (1984), 80 C.P.R. (2d) 187 (1"° inst.); Salomon v.
Salomon & Co., [1897] A.C. 22 (H.L.); Visa Inter
national Service Association v. Visa Motel Corporation,
carrying on business as Visa Leasing et al. (1984), 1
C.P.R. (3d) 109 (C.A.C.-B.); RCA Corporation y
Custom Cleared Sales Pty Ltd (1978), 19 ALR 123
(N.S.W.C.A.); Albert v. S. Hoffnung & Co. Ltd. (1921),
22 S.R. 75 (N.S.W.S.C.); Clarke, Irwin & Co. Ltd. v. C.
Cole & Co. Ltd. (1960), 33 C.P.R. 173 (H.C. Ont.);
Simon & Schuster Inc. et al. v. Coles Book Stores Ltd.
(1975), 9 O.R. (2d) 718 (H.C.); Proctor & Gamble Co.
c. Bristol-Myers Canada Ltd. (1978), 39 C.P.R. (2d)
145 (C.F. 1" inst.).
AVOCATS:
Alfred S. Schorr, Ivor M. Hughes et J. I.
Etigson pour les demanderesses.
Robert H. C. MacFarlane pour les défen-
deurs.
PROCUREURS:
Alfred S. Schorr, Toronto, et Ivor M.
Hughes, Concord (Ontario), pour les deman-
deresses.
Fitzsimmons, MacFarlane, Toronto, pour les
défendeurs.
NOTE DE L'ARRÊTISTE
Le Directeur général a choisi de publier les
motifs du jugement (75 pages) sous une forme
abrégée. Les parties suivantes ont été omises: un
examen (22 pages) de la preuve expliquant la
création des programmes informatiques, les lan-
gages informatiques, la mémoire interne de l'ordi-
nateur, le circuit électrique intégré de l'ordinateur,
le fonctionnement d'un ordinateur du point de vue
du programmeur, l'ordinateur comme machine
électrique et l'extraction ou la lecture d'un pro
gramme à partir de la mémoire morte (ROM). Ont
également été omis les points qui ne sont pas en
litige (droit d'auteur sur le programme en code
source, plagiat substantiel et propriété du droit
d'auteur) et certaines parties d'un examen de la
preuve intitulées «Défendeurs qui ne sont pas des
personnes morales», «L'affaire Microcom—La
preuve relative aux activités des défendeurs» et
«L'affaire Mackintosh—La preuve relative aux
activités des défendeurs». Des résumés des por
tions omises ont été rédigés.
Le point en litige porte sur une question limitée
mais importante: un programme informatique ins-
crit sur une microplaquette de silicium dans un
ordinateur peut-il faire l'objet d'un droit d'auteur?
Les demanderesses sont titulaires d'un droit
d'auteur à l'égard de deux programmes informati-
ques: Autostart ROM et Applesoft. Créés pour
être utilisés dans l'ordinateur Apple Il +, les pro
grammes devaient servir de mode d'instruction.
Les témoins experts ont déclaré que la création
d'un programme informatique demande beaucoup
d'ingéniosité et qu'il faudrait des mois de travail
pour écrire des programmes semblables à ceux
en cause. Les programmes informatiques sont
d'une nature très individuelle et il est pratique-
ment impossible que deux programmeurs puis-
sent, sans faire de plagiat, créer des programmes
identiques.
Pourtant, sur les microplaquettes Microcom des
défendeurs, 12 261 des 12 288 octets étaient
identiques aux octets des microplaquettes corres-
pondantes d'Apple U +. Sur les microplaquettes
Mackintosh des défendeurs, il en était ainsi pour
12 277 des 12 288 octets..
La preuve des demanderesses—donnée sur-
tout par des experts en logiciel—a porté sur
l'exploitation d'un ordinateur selon /e point de vue
du programmeur. La preuve des défendeurs a
porté sur l'exploitation d'un ordinateur sous l'an-
gle du matériel—le fonctionnement de la machine
comme système complexe de circuits électriques
intégrés. Pour l'avocat des défendeurs, un pro
gramme ne constitue que de simples spécifica-
tions pour les pièces d'une machine. Cette des
cription n'a pas été retenue. Le programmeur qui
écrit un programme ne fournit pas des spécifica-
tions au fabricant de microplaquettes de mémoire
morte (ROM). Il pense plutôt aux instructions qu'il
doit donner à l'ordinateur afin de transférer l'infor-
mation entre certains registres et d'accomplir cer-
taines opérations là-dessus. Les programmes
sont conçus pour des fins de communication
avec les ordinateurs et utilisés pour porter l'ordi-
nateur à accomplir certaines opérations (effectuer
des calculs, extraire certaines données d'une
banque de données). Ce pouvoir de déclencher
des opérations nous fait sortir des notions con-
ceptuelles normalement associées à la nature
d'un texte écrit. Cet aspect unique est au cour
même du différend sur l'existence d'un droit
d'auteur.
Il est très difficile, sans copier les programmes
Autostart ROM et Applesoft, de créer un autre
système informatique qui peut utiliser le logiciel
(programmes d'application) conçu pour fonction-
ner sur Apple ll +. C'est ce facteur économique
qui est à l'origine du présent litige.
Les défendeurs ne contestent pas le fait que
les versions des programmes, écrites en langage
d'assemblage, sont visées par la Loi sur le droit
d'auteur. Les programmes n'ont cependant pas
été copiés dans leur forme écrite mais directe-
ment à partir des microplaquettes.
Les défendeurs ne contestent pas le point sui-
vant: si l'on conclut que le fait de copier des
microplaquettes de mémoire morte (ROM) revient
à copier le programme en code d'assemblage, il y
a alors plagiat substantiel de ce programme.
Enfin, les défendeurs renoncent â toute contes-
tation de la propriété du droit d'auteur par les
demanderesses.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE REED:
Le point en litige
Le point en litige se résume à la question sui-
vante: un programme informatique qui provient
d'un texte écrit, dans le sens normal et habituel de
ces termes, mais qui a une dimension qui n'est pas
traditionnellement liée à ces textes, continue-t-il
d'être protégé par le droit d'auteur lorsqu'il est
converti en sa version code électrique ou, de façon
plus précise en l'espèce, lorsqu'il est inscrit dans un
dispositif conçu pour fournir une réplique de ce
code.
L'argument des défendeurs selon lequel la pro
tection du droit d'auteur ne s'étend pas à cette
forme comporte plusieurs facettes: (1) la version
du programme en code hexadécimal n'est pas une
traduction de la version en code source; (2) puis-
qu'il y a une relation univoque entre le programme
en code source et son inscription dans la micropla-
quette, il y a fusion de l'idée et de l'expression de
l'idée, fusion que le droit d'auteur ne couvre pas;
(3) le libellé de la Loi sur le droit d'auteur
[S.R.C. 1970, chap. C-30] ne couvre pas les pro
grammes informatiques sous leur forme gravée sur
microplaquettes; ( 4) il existe des principes impé-
rieux de politique appuyant le refus d'étendre la
protection du droit d'auteur en l'espèce, notam-
ment en raison des restrictions possibles au com
merce et d'un chevauchement possible avec la loi
sur les brevets.
Le code hexadécimal constitue-t-il une traduction?
Les défendeurs prétendent que le droit d'auteur
n'accorde aucune protection à la forme hexadéci-
male du programme en code source parce qu'il ne
s'agit pas d'une traduction de l'oeuvre, mais bien
d'une oeuvre littéraire différente. La conversion du
code d'assemblage en code hexadécimal, voire de
tout langage informatique (code) à tout autre, est
appelée «traduction» par les programmeurs infor-
matiques. Je conviens qu'il ne s'agit pas là d'un
facteur pertinent. Il s'agit de savoir si la version en
code hexadécimal est une traduction de la version
originale en code d'assemblage, aux termes de la
Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, chap. C-30.
Dans l'affirmative, le droit d'effectuer une telle
traduction appartient exclusivement au titulaire du
droit d'auteur sur l'oeuvre originale:
3. (1) Pour les fins de la présente loi, le «droit d'auteur» ...
comprend, ... le droit exclusif
a) de produire, reproduire, représenter ou publier une traduc-
tion de l'oeuvre; [C'est moi qui souligne.]
Si je comprends bien l'argument, même si la
version en code source de langage d'assemblage
peut être décrite comme un ensemble d'instruc-
tions pour l'UCT [unité centrale de traitement]
(une série de mnémoniques ou d'opérations qui
décrivent ce que l'UCT devrait faire), la forme
hexadécimale du programme serait une description
de la microplaquette de mémoire morte (ROM).
L'avocat allègue que ces deux codes peuvent fort
bien être deux descriptions de la même chose, mais
qu'en soi, ils constituent deux oeuvres littéraires
différentes.
Cet argument ne me convainc pas. En premier
lieu, je constate que le terme anglais «translation»
est défini comme suit dans The Concise Oxford
Dictionary (6e éd., 1976):
[TRADUCTION] Exprime le sens (d'un mot, d'une phrase, d'un
discours, d'un livre, d'un poème, ...) dans une autre langue, ou
dans une autre forme de représentation . .. [C'est moi qui
souligne.]
La conversion d'un code à un autre est manifeste-
ment visée par cette définition.
On peut tirer une analogie de la conversion d'un
texte en code morse. Si une personne se met à
convertir un texte en une série de points et de traits
selon le code morse, il serait possible d'alléguer
que la notation qui en résulte consiste en réalité en
des instructions adressées au télégraphiste sur la
façon de transmettre le message. Mais, à mon avis,
le message écrit en code morse conserve toujours le
caractère de l'eeuvre originale. Il ne s'agit pas
d'une oeuvre littéraire différente. De même, on
pourrait décrire un texte écrit en sténographie
comme une description des sons du texte si celui-ci
était lu à haute voix (puisque la sténographie est
fondée sur la phonétique); mais cela n'en ferait pas
une oeuvre littéraire différente de la version
manuscrite.
À mon avis, la conversion d'une oeuvre en code,
ou la conversion en un autre code d'une oeuvre
écrite à l'origine dans un premier code constitue
une traduction pour les fins de la Loi. De plus,
comme nous l'avons souligné plus haut, le pro-
grammeur qui crée un programme ne pense pas
aux spécifications de la microplaquette de
mémoire morte (ROM) lorsqu'il écrit la version en
code d'assemblage, ni au moment où la notation en
code hexadécimal est préparée. Le programmeur
ne se préoccupe aucunement du support qui sera
choisi pour contenir le programme. Par consé-
quent, il m'est difficile d'accepter l'argument de
l'avocat des défendeurs selon lequel la forme hexa-
décimale du programme constitue une oeuvre litté-
raire différente et non une traduction de l'original.
Expression—Idée—Fusion
Il est allégué que le droit d'auteur ne s'applique
pas aux programmes informatiques (1) parce qu'il
protège l'expression d'une idée mais non l'idée
exprimée et (2) parce qu'un programme informati-
que tel qu'il est inscrit sur des microplaquettes
ROM constitue une fusion de l'idée et de l'expres-
sion de cette idée.
L'avocat des défendeurs s'appuie fortement sur
la décision rendue dans Cuisenaire, Georges v.
South West Imports Ltd., [1968] 1 R.C.É. 493;
(1967), 37 Fox Pat. C. 93; confirmée par [1969]
R.C.S. 208; (1968), 40 Fox Pat. C. 81 et dans
Cuisenaire v. Reed, [1963] V.R. 719 (S.C.). Il
s'agissait d'une publication du demandeur (un
livre) qui décrivait une nouvelle méthode d'ensei-
gnement de l'arithmétique, laquelle incluait un
certain nombre de baguettes de bois, de longueurs
et de couleurs différentes, mais ayant toute la
même épaisseur (un centimètre carré). Le livre
comportait une table décrivant le nombre néces-
saire de baguettes, leurs longueurs et leurs cou-
leurs respectives. Rien n'indiquait que le livre con-
tenait des schémas ou des illustrations des
baguettes. Je reproduis une partie de la note de
l'arrêtiste à la page 95 Fox Pat. C.:
[TRADUCTION] Il est à remarquer que ... le demandeur
n'allègue pas que son droit d'auteur relatif à son livre a été
contrefait mais seulement son droit d'auteur relatif à ses
baguettes ... Si lesdites baguettes avaient été copiées à partir
des illustrations qui se trouvent dans le livre du demandeur, le
résultat aurait été différent, car il est notoire qu'il y a contrefa-
çon lorsqu'une oeuvre protégée par le droit d'auteur est repro-
duite «sous une forme matérielle quelconque».
La revendication présentée aux tribunaux cana-
diens portait principalement sur l'alinéa 2v) de la
Loi canadienne [S.R.C. 1952, chap. 55]':
2....
v) «toute oeuvre littéraire, dramatique, musicale et artistique
originale» comprend toutes les productions originales du
domaine littéraire, scientifique et artistique, quel qu'en soit le
mode ou la forme d'expression, telles que les livres, brochures et
autres écrits, les conférences, les oeuvres dramatiques ou dra-
matico-musicales, les oeuvres ou compositions musicales avec
ou sans paroles, les illustrations, croquis et ouvrages plastiques
relatifs à la géographie, à la topographie, à l'architecture ou
aux sciences. [C'est moi qui souligne.]
Le demandeur a prétendu qu'il n'était pas néces-
saire de démontrer que ses baguettes étaient artis-
tiques, littéraires, musicales ou dramatiques, parce
que dans la mesure où elles étaient «des produc
tions originales du domaine scientifique», elles
devaient être considérées comme faisant partie de
la catégorie des oeuvres protégées par le droit
d'auteur. La Cour de l'Échiquier et la Cour
suprême ont toutes deux rejeté cette prétention.
Le demandeur a prétendu que même si les
baguettes ne relevaient pas du champ d'application
de la Loi, en particulier de l'alinéa 2v) précité,
elles étaient néanmoins des oeuvres littéraires ou
artistiques ou des oeuvres artistiques dues à des
artisans. Cette prétention a été rejetée par les deux
cours canadiennes pour le même motif que celui de
la cour australienne dans Cuisenaire v. Reed. Le
' Il n'existe pas de disposition comparable dans la législation
australienne et par conséquent l'affaire Cuisenaire v. Reed a
bien traité de cette question.
juge Noël, en première instance, a cité [aux pages
517 et 518] le jugement rendu par le juge Pape
dans Cuisenaire v. Reed aux pages 735 et 736:
[TRADUCTION] Lorsque, comme en l'espèce, vous avez un droit
d'auteur littéraire relatif à certaines tables ou compilations, à
mon avis, il n'y a pas de contrefaçon du droit d'auteur en ce qui
concerne ces tables ou ces compilations à moins que ce qui est
produit soit lui-même de la nature d'une table ou d'une compi
lation laquelle, qu'elle soit bidimensionnelle ou tridimension-
nelle et quelle que soit sa forme matérielle, reproduit ces
tableaux. N'était-ce la loi, toute personne qui suivrait les
instructions du livre censément protégé par le droit d'auteur
dans l'affaire Meccano Ltd. v. Anthony Hordern and Sons Ltd.
(1918), 18 S.R. (N.S.W.) 606, et construirait un modèle
conformément à ces instructions, porterait atteinte au droit
d'auteur littéraire du demandeur. En outre, comme l'a dit M.
Fullagar, la personne qui ferait une tourte au lapin selon la
recette de Mrs. Beeton's Cookery Book porterait atteinte au
droit d'auteur littéraire de ce livre.
La Cour suprême a confirmé le jugement du
juge Noël essentiellement pour les mêmes motifs.
Elle a souligné, aux pages 211 R.C.S.; 84 Fox Pat.
C., que l'oeuvre originale était le livre du deman-
deur et qu'en essayant de faire valoir un droit
d'auteur sur les baguettes décrites dans le livre,
par opposition au livre lui-même, l'appelant se
voyait appliquer le principe selon lequel un auteur
ne peut se prévaloir d'un droit d'auteur sur les
idées mais seulement sur l'expression de ces idées.
Référence a été faite à l'application de ce principe
dans les affaires Hollinrake v. Truswell, [1894] 3
Ch. 420 (C.A.), à la page 428 et Moreau, Alfred
v. St. Vincent, Roland, [1950] R.C.É. 198, la
page 203.
Dans l'affaire Hollinrake v. Truswell, la partie
a essayé de faire valoir un droit d'auteur sur un
[TRADUCTION] «diagramme pour les manches»
destiné à servir de patron. La Cour a conclu que
[TRADUCTION] «La chose est en réalité un instru
ment de mesure: elle n'est pas plus un diagramme
ou plan au sens de la Copyright Act qu'une règle
graduée» (le lord juge Lindley à la page 425).
Dans l'affaire Moreau v. St. Vincent, le deman-
deur alléguait que le défendeur avait porté atteinte
à son droit d'auteur relatif au «Concours: Recrute-
ment d'Abonnés». Il s'agissait d'un concours heb-
domadaire destiné à augmenter le tirage du jour
nal «L'Information Sportive» du demandeur. La
personne qui achetait le journal devait avoir son
reçu d'abonnement, répondre à un questionnaire
portant sur les sports et respecter les conditions du
concours énoncées dans le journal. Le défendeur a
commencé à publier une brochure hebdomadaire,
les «Mots Croisés», qui comportait un concours
appelé «Quizz général de la publication Loisir
Favori Enrg». La Cour a rejeté la revendication du
demandeur selon laquelle cette activité portait
atteinte à son droit d'auteur. La Cour a statué que
le demandeur s'était mépris sur la nature du droit
d'auteur et essayait en réalité de se protéger d'un
concurrent qui organisait un concours d'une nature
similaire. Il n'y a pas eu plagiat des textes perti-
nents, c'est plutôt l'idée d'organiser un concours
similaire qui était copiée.
Il ressort de ces décisions que la jurisprudence
s'inspire de ce principe, selon lequel le droit d'au-
teur protège l'expression des idées et non les idées
elles-mêmes, dans au moins deux contextes diffé-
rents. Dans des cas comme Hollinrake et Cuise-
naire, ce principe sert à indiquer que «l'oeuvre» que
l'on vise à protéger par le droit d'auteur n'entre
pas dans une catégorie (par exemple littéraire,
artistique) qui relève de la Loi. Dans l'affaire
Cuisenaire v. Reed, le juge a statué que les
baguettes elles-mêmes comme objets matériels
n'étaient pas un type d'oeuvre couvert par la Loi.
Dans des affaires comme Moreau, le principe sus-
mentionné sert à indiquer que les deux oeuvres en
cause ne sont pas en vérité semblables, il n'y a pas
eu de plagiat substantiel. Ainsi, en faisant la tourte
au lapin de Mme Beeton, il n'y a pas de plagiat
substantiel d'un livre de recettes: les instructions
qu'on y trouve ont été suivies mais le livre n'a pas
été copié.
Aucune de ces applications du principe «idée-
expression» ne s'adapte à l'espèce. Le programme,
tel qu'il a été écrit originalement, peut être protégé
par le droit d'auteur. En fait, il y a eu copie—le
code qu'on peut lire à partir des microplaquettes
des défendeurs est le même que celui qu'on peut
lire sur les microplaquettes des demanderesses. Je
ne vois pas comment la décision rendue dans l'af-
faire Cuisenaire peut aider les défendeurs en l'es-
pèce. Le programme informatique, une fois écrit,
est nettement une oeuvre littéraire. De plus, son
inscription sur une microplaquette de silicium con
serve la forme d'expression de l'oeuvre originale.
Le programme, dans sa version code source, peut
être extrait (lu) par un processus de traduction(s)
à partir de la microplaquette ROM. Ce genre de
relation n'existe pas entre les mots contenus dans
le livre «Les Nombres en Couleurs» et les baguettes
contestées dans l'affaire Cuisenaire. Aucune partie
du livre ne pouvait être extraite ou «lue» à partir
des baguettes.
L'avocat prétend qu'en reproduisant ROM, les
défendeurs ne font pas plus que suivre la recette
prescrite dans le programme, c'est-à-dire qu'ils ont
simplement fait la tourte au lapin de Mme Beeton.
À mon avis, il serait plus exact de dire qu'ils ont
copié le livre de recettes.
Que dire donc de l'argument de l'avocat selon
lequel un programme informatique présente une
fusion de l'idée et de l'expression de cette idée et
par conséquent ne peut être protégé par le droit
d'auteur? Il m'est très difficile d'accepter cet argu
ment pour plusieurs raisons. Premièrement, si cet
argument est valable, il est difficile de comprendre
pourquoi il a été admis que la version code d'as-
semblage du programme peut être protégée par le
droit d'auteur. S'il y a fusion de l'idée et de
l'expression, alors elle doit sûrement exister non
seulement dans la version code machine du pro
gramme mais également dans la version écrite du
code d'assemblage. Deuxièmement, la portée pré-
cise du principe (s'il existe) selon lequel en cas de
fusion de l'idée et de son expression, la protection
du droit d'auteur ne s'applique pas, n'est pas du
tout claire. Troisièmement, la preuve qu'il existe
une multitude de formes d'expression pour écrire
un programme donné me semble démontrer qu'il
n'y a pas de fusion de l'idée et de l'expression de
cette idée en ce qui concerne les programmes en
cause.
Les affaires Cuisenaire, Hollinrake et Moreau
ne semblent pas confirmer l'argument avancé par
l'avocat selon lequel en cas de fusion de l'idée et de
l'expression, l'oeuvre ne peut pas être protégée par
le droit d'auteur. On ne m'a cité aucune affaire
rendue au Royaume-Uni, en Australie ou au
Canada dans laquelle cette règle a servi de raison-
nement. L'argument de l'avocat en l'espèce semble
être le suivant: il y a fusion de l'idée et de l'expres-
sion parce qu'il ne peut y avoir qu'une seule confi
guration dans la microplaquette ROM, c'est-à-dire
une seule façon de structurer cette microplaquette
afin de lui permettre de reproduire le programme
des demanderesses. Mais il est clair qu'il ne s'agit
pas de fusion rendant impossible la protection par
le droit d'auteur parce qu'il en serait de même
pour tous les disques et toutes les cassettes.
Il m'est très difficile d'appliquer le principe
allégué de la fusion: il me semble que beaucoup
d'oeuvres susceptibles d'être protégées par le droit
d'auteur présentent une fusion de l'idée qu'elles
transmettent et de l'expression de cette idée, par
exemple un poème, une pièce de théâtre, un
tableau, une carte, un diagramme. C'est seulement
lorsque l'idée transmise par ces œuvres est décrite
d'une façon très abstraite, très différente ou en
termes généraux que l'on peut dire qu'il n'y a pas
de fusion de l'idée qu'elles transmettent et de
l'expression par laquelle cette idée est transmise.
En outre, le mot «idée» lui-même peut être défini
de façon très variée 2 .
Les exemples donnés à l'appui de l'application
du principe de fusion sont des formules telles que
E = me 2 , le théorème de Pythagore, ou diverses
preuves algébriques. Il se peut que ces exemples
démontrent simplement que l'idée particulière qui
est exprimée est en vérité un renseignement sur le
monde extérieur (en reconnaissant que E = mc 2 est
en effet une hypothèse) et que les renseignements
basés sur des faits sont quelque chose que le droit
d'auteur ne protège pas. A mon avis, il y a analo-
gie, par exemple, entre une déclaration comme «le
premier ministre du Canada a rencontré le prési-
dent des États-Unis le 17 mars» et «le carré de
l'hypoténuse dans un triangle rectangle est égal à
la somme des carrés des deux autres côtés».
Aucune de ces phrases en tant que telle, extraites
d'un texte où elles peuvent figurer, ne pourrait être
protégée par le droit d'auteur. L'exemple des preu-
ves algébriques conduit, il me semble, à une dis
cussion quasi philosophique sur la nature de la
2 La définition du mot «idée» dans The Concise Oxford
Dictionary (6' éd.) est en partie comme suit:
[TRADUCTION] 1. Archétype, modèle, à distinguer de sa
représentation dans les individus; (philosophie platonicienne)
essence éternelle dont les choses individuelles dans n'importe
quelle catégorie sont des copies imparfaites. 2. Concept, plan
d'une chose que l'on vise, que l'on crée, que l'on découvre,
etc ... 3. Notion conçue par l'esprit ... pensée ... opinion
vague, perspective ... 4. (Descartes, Locke) objet immédiat
de la pensée ou perception mentale; (Kant) concept de
raisonnement transcendant toute expérience; (Hegel) vérité
absolue dont toute existence de phénomène est l'expression.
pensée intellectuelle 3 . C'est une discussion qu'une
cour, d'instance supérieure à la présente, peut
juger nécessaire mais que je trouve suffisante en
elle-même en constatant qu'un programme infor-
matique n'est semblable à aucun des exemples
cités. Il ne s'agit pas d'une déclaration qui rend
compte d'un fait. Ce n'est pas comparable à une
preuve algébrique. C'est une création au même
titre qu'un manuel. Bien que le droit d'auteur
n'empêche pas une personne de faire la tourte au
lapin de Mme Beeton (en fait, c'est pour inviter les
gens à la faire que le livre intitulé Mrs. Beeton's
Book of Household Management a été publié), il
empêche la personne de copier le livre lui-même.
L'ordre dans lequel les recettes sont données, la
forme et l'expression de ces dernières sont à pro-
prement parler l'objet du droit d'auteur. Cet ordre,
cette forme, ce modèle d'expression du programme
des demanderesses se trouvent dans ROM et ils
sont copiés lorsque les défendeurs copient ROM.
Une autre application du principe de fusion a
prévalu aux Etats-Unis et il convient de l'exami-
ner. Cette application semble avoir pris son origine
dans l'affaire Baker v. Selden, 101 U.S. 99 (1879),
citée dans plusieurs décisions rendues au «com-
monwealth» 4 mais sans cependant retenir la portée
globale de l'affaire Baker v. Selden. Celle-ci por-
tait sur le droit d'auteur revendiqué à l'égard d'un
livre qui décrivait un nouveau système de compta-
bilité et en particulier de nouvelles formules de
comptabilité (consistant en certaines lignes et
titres soulignés). La Cour a statué que l'emploi du
livre par le défendeur et la mise au point de
formules propres à lui ne portaient pas atteinte au
droit d'auteur du demandeur, c'est-à-dire qu'il n'y
avait pas de plagiat substantiel. Mais la Cour est
allée plus loin en faisant une distinction entre les
œuvres de science ou d'instruction et les autres
3 Ces preuves sont de nature tautologique, elles fonctionnent
dans un système où la notation ou les termes d'expression
peuvent être complètement définis de façon arbitraire, elles
consistent en énoncés sur la validité des relations qui existent
dans ce système. En effet, on pourrait demander si au lieu de
présenter une fusion de l'idée et de l'expression, les preuves
algébriques ne représentent pas une indépendance des deux.
4 Hollinrake v. Truswell, précitée, p. 184; Cuisenaire v.
South West Imports, précitée, p. 182; Cuisenaire v. Reed,
précitée, p. 182. Voir Harold G. Fox, The Canadian Law of
Copyright and Industrial Designs, 2' éd., 1967, p. 126; James
Lahore, Intellectual Property Law in Australia, 1977, aux pp.
8, 41, 42, 81 et 196.
types d'oeuvres. Elle a affirmé ce qui suit: lorsque
la technique utile ne peut être employée qu'en
utilisant les formules ou les schémas qui ont servi à
l'expliquer, ces derniers ne sont pas protégés par le
droit d'auteurs.
La Cour a donc établi un principe bien plus
large que ne l'imposait le contexte; elle a affirmé
que les formules dans le livre n'étaient pas proté-
gées par le droit d'auteur. Il ne fait nul doute que
cette conclusion a été inspirée en partie par la
législation du Congrès en vertu de la Constitution
des Etats-Unis 6 . Cela a donné à la législation sur
le droit d'auteur aux Etats-Unis une forme et une
évolution qui sont propres à ce pays.
Cependant, l'affaire Baker v. Selden a été criti
quée, même aux États-Unis: Nimmer on Copy
right, volume 1, § 2.18. Ces critiques découlent en
partie du raisonnement suivant: il est simplement
inexact de penser qu'un exposé en science ou en
matière de technique utile exige qu'une formule
particulière fournie dans l'exposé original soit
suivie avant qu'on puisse faire valoir l'«idéeu de
l'oeuvre. Toutes ces oeuvres peuvent être exprimées
sous une variété de formes.
Il me semble que cette évolution de la loi sur le
droit d'auteur n'a pas été suivie au Canada. En
effet, le rejet de cette évolution semble implicite
dans la décision rendue par la Cour d'appel dans
l'affaire Bulman Group (The) Ltd. c. Alpha One -
Write Systems B.C. Ltd. et autre (1981), 54
5 Le juge Bradley (au nom de la Cour) a déclaré ce qui suit
aux pages 103 et 104:
[TRADUCTION] Le but même de la publication d'un livre en
science ou en matière de technique utile est de communiquer
aux autres les connaissances utiles qu'il contient. Mais ce but
serait inutile si la connaissance ne pouvait être employée sans
qu'on soit accusé de piraterie. Et lorsque la technique qu'il
transmet ne peut être employée sans avoir recours aux
méthodes et aux schémas ayant servi à illustrer le livre ou
d'autres qui leur sont semblables, ces méthodes et schémas
doivent être considérés comme accessoires nécessaires à la
technique et doivent donc être fournis en même temps au
public non pas afin qu'ils soient publiés dans d'autres oeuvres
qui expliquent cette technique mais aux fins d'une applica
tion pratique.
Naturellement, ces remarques ne sont pas censées s'appli-
quer à des dessins ornementaux, ni à des illustrations s'adres-
sant au bon goût. On peut dire de ces derniers que leur forme
est essentielle et que leur but est de procurer du plaisir à
celui qui les regarde. [C'est moi qui souligne.]
6 Voir en particulier l'affaire Baker v. Selden, à la p. 105.
C.P.R. (2d) 179, et dans la décision subséquente
de la Division de première instance Bulman Group
Ltd. (The) c. «One Write» Accounting Systems
Ltd., [1982] 2 C.F. 327; 62 C.P.R. (2d) 149. Dans
ces deux affaires, il était question de la possibilité
de protéger des formules comptables par le droit
d'auteur. La revendication du droit d'auteur pour
de telles formules avait été rejetée par la Division
de première instance à la suite d'une demande
d'injonction interlocutoire. La Cour d'appel a
infirmé cette décision en indiquant que l'affaire
était très contestable. À la suite de l'instruction, il
a été statué qu'il y avait droit d'auteur (il n'y eut
pas d'appel à la suite de cette décision).
En tout état de cause, je ne suis pas convaincu
qu'il existe une fusion de l'idée et de l'expression
de cette idée dans un programme informatique. Le
fait qu'un programme peut être écrit sous une
variété de formes, que le même programmeur
n'écrirait pas le programme de la même façon
deux fois de suite, que le support pour inscrire ce
programme n'est pas d'une grande importance
pour le programmeur, tout cela indique que pour
les programmes informatiques, on ne peut faire
exception à la protection du droit d'auteur en
invoquant le principe de fusion (s'il existe).
Loi sur le droit d'auteur—Interprétation de la Loi
Voici un extrait de l'article 3 de la Loi sur le
droit d'auteur:
3. (1) ... «droit d'auteur» désigne le droit exclusif de pro-
duire ou de reproduire une oeuvre, ou une partie importante de
celle-ci, sous une forme matérielle quelconque ... [C'est moi
qui souligne.]
Vient ensuite une liste d'exemples précis (voir à la
page 196 (infra)). Il s'agit donc de déterminer si
les premiers mots de l'article 3 visent l'inscription
du programme des demanderesses sur la micropla-
quette ROM.
Il est entendu que lorsque le Parlement a adopté
la première version de la Loi sur le droit d'auteur
actuelle, en 1921, personne n'avait songé aux pro
grammes informatiques ni prévu s'ils seraient ou
non visés par la Loi. Cette question n'est pas
pertinente puisqu'il faut seulement déterminer s'il
est juste d'affirmer que la Loi, telle que rédigée,
protège les programmes semblables à celui qui est
inscrit sur la microplaquette ROM.
Pour ce faire, il convient de faire appel aux
textes législatifs qui ont précédé l'article 3 de la
Loi sur le droit d'auteur en vigueur. Voici un
extrait de la loi britannique sur le droit d'auteur de
1842 (5 & 6 Vict., chap. 45 [An Act to amend the
Law of Copyright]) qui, à l'époque, s'appliquait
également au Canada:
[TRADUCTION] ... «droit d'auteur» désigne la faculté exclusive
d'imprimer un [livre] ou d'en faire plusieurs copies de quelque
autre façon ...
Selon la loi, [TRADUCTION] «un volume, une
partie ou une division d'un volume, une brochure,
une feuille de texte imprimé, une feuille de musi-
que, une carte, un diagramme ou un plan» sont
compris dans la définition de «livre».
Dans Boosey v. Whight, [1899] 1 Ch. 836,
confirmée par [1900] 1 Ch. 122 (C.A.), il fallait
notamment déterminer si des feuilles perforées
destinées aux pianos mécaniques constituaient des
copies des feuilles de musique en cause, aux fins de
la loi. Le demandeur prétendait que l'on pouvait
prendre les feuilles perforées et transcrire les notes
de musique selon le mode normal de notation
musicale, si l'on comprenait la méthode ou la
façon de perforer les feuilles. Par contre, les défen-
deurs alléguaient que les rouleaux destinés aux
pianos n'étaient pas visés par la loi de 1842, que
les boîtes à musique et les orgues de Barbarie
fonctionnant selon le même principe existaient
depuis longtemps et que le Parlement n'avait pas
eu l'intention d'inclure ce genre d'appareil de
reproduction mécanique de la musique dans la
définition de «feuille de musique». Les tribunaux
ont souscrit à la position des défendeurs. Voici ce
qu'a affirmé le juge Stirling, en première instance
[aux pages 841 et 842]:
[TRADUCTION] Je pense qu'une personne pourrait, en faisant
des efforts considérables, maîtriser le processus des perforations
de façon à pouvoir lire les notes ainsi déchiffrées, mais il ne
semble pas que cela ait été fait ... Il me semble aussi qu'à cet
égard, les rouleaux constituent une façon très encombrante
d'écrire de la musique, et difficile d'accès sans l'aide d'un
mécanisme particulier qui n'existe pas encore. De façon géné-
rale, je pense qu'il est très improbable que quelqu'un prenne la
peine d'apprendre à lire ces rouleaux.
D'après moi, le droit d'auteur conféré par la Loi [de 1842]
comporte la faculté exclusive de reproduire quelque chose
semblable à un livre. Dans la mesure où ils contiennent des
perforations, les rouleaux ne sont qu'une composante d'une
machine destinée à la production de sons musicaux et non à la
rédaction d'un livre.
Confirmant cette décision, la Cour d'appel a admis
qu'en vertu de la Copyright Act de l'époque, la
feuille de musique était considérée comme un livre,
qu'une feuille perforée faisant partie intégrante
d'un instrument de musique est différente d'une
feuille de musique qui [TRADUCTION] «attire le
regard» et que les feuilles perforées des défendeurs
faisaient partie d'un «mécanisme» destiné à la pro
duction de notes musicales.
Cette décision a fait jurisprudence des deux
côtés de l'Atlantique, notamment dans les affaires
suivantes: Newmark v. National Phonograph
Company and Edison Manufacturing Company
(1907), 23 T.L.R. 439 (K.B.), Monckton v. Gra
mophone Company Limited (1912), 106 L.T. 84
(C.A.) et White-Smith Music Publishing Com
pany v. Apollo Company, 209 U.S. 1 (1908).
La loi britannique sur le droit d'auteur (qui
s'appliquait alors au Canada) a été modifiée en
1911' (1 & 2 Geo. 5, chap. 46 [Copyright Act,
1911]). Voici un extrait des dispositions adoptées
en 1911:
[TRADUCTION] 1. ...
(2) ... adroit d'auteur» désigne le seul droit de produire ou de
reproduire une oeuvre, ou une partie importante de celle-ci, sous
une forme quelconque, d'exécuter ou de représenter ou, s'il
s'agit d'une conférence, de débiter l'oeuvre ...; ce droit com-
prend, en outre, le droit
a) de produire, reproduire, représenter ou publier une traduc-
tion de l'ceuvre;
d) s'il s'agit d'une oeuvre littéraire, dramatique ou musicale,
de confectionner toute empreinte, tout rouleau perforé, film
cinématographique ou autres organes quelconques, à l'aide
desquels l'oeuvre pourra être exécutée ou représentée ou
débitée mécaniquement ... [C'est moi qui souligne.]
Et le paragraphe 19(1) a été ajouté:
Aux États-Unis, la modification des lois dans ce domaine a
été plus lente; d'ailleurs, l'histoire des lois relatives au droit
d'auteur dans ce pays a suivi un cours tout à fait différent. Cela
est dû, en partie du moins, au contexte constitutionnel améri-
cain. Selon l'affaire Apple Computer, Inc. v. Formula Intern.,
Inc., 562 F.Supp. 775 (U.S. Dist. Ct. (1983)), le droit d'auteur
aux États-Unis n'existait qu'à l'égard des copies perceptibles
par les êtres humains—les choses écrites ou publiées—, avant la
modification de la loi en 1976, et ce principe faisait suite à
l'ancienne décision White-Smith Music Publishing Company
v. Apollo Company (précitée) dans laquelle il avait été statué
qu'un rouleau de piano ne constituait pas une forme d'oeuvre
que les personnes pouvaient percevoir.
[TRADUCTION] 19. (1) Le droit d'auteur existe à l'égard des
empreintes, rouleaux perforés et autres organes à l'aide des-
quels des sons peuvent être reproduits ...
Ces dispositions ont ensuite été reprises dans la loi
canadienne et figurent maintenant, suivant le texte
original de façon presque identique, à l'article 3 et
au paragraphe 4(3) de la Loi actuelle.
L'avocat des demanderesses prétend que les pre
miers mots du paragraphe 1(2), devenu l'article 3
de la Loi, ont été rédigés intentionnellement de
façon assez générale pour comprendre les techno
logies nouvelles qui n'avaient pas encore été con-
çues au moment de l'adoption de la Loi. Je sous-
cris à cette opinion.
Il me semble clair qu'après l'adoption des modi
fications de 1911, il n'était plus nécessaire que la
copie ou la reproduction de l'oeuvre soit lue par un
être humain pour être protégée par le droit d'au-
teur. De même, je crois que ces modifications ont
eu pour effet d'abroger toute règle portant qu'une
oeuvre n'était pas protégée par le droit d'auteur
simplement parce que la copie ou la reproduction
pouvait être considérée comme une composante
d'une machine'.
Dans Boosey v. Whight, les rouleaux de piano
étaient des composantes amovibles comparables
aux disques, aux cassettes ou aux vidéocassettes
actuels. Les microplaquettes ROM peuvent être
enlevées assez facilement mais elles n'ont pas été
conçues à cette fin. Elles ne sont pas amovibles
comme le sont les disques souples ou les cassettes.
La microplaquette ROM est censée demeurer dans
la machine de façon permanente. Cependant, la loi
ne fait aucune distinction à ce sujet. Par consé-
quent, je pense qu'en l'espèce, il importe peu de
savoir si le programme est inscrit sur un disque
souple, une carte perforée ou une microplaquette
ROM. La question de la possibilité de protection
par le droit d'auteur ne repose pas uniquement sur
le support sur lequel est inscrit le programme.
Sur le plan matériel, je ne vois aucune différence
entre un disque qui «comprend» une oeuvre musi
cale grâce aux sillons qui y sont gravés et une
microplaquette ROM qui «comprend» un pro
gramme grâce au système d'alternance des zones
8 Voir Falcon v. Famous Players Film Co., [1926] 2 K.B.
474 (C.A.), sur les changements apportés à la loi par suite des
modifications de 1911.
de conductivité et de non-conductivité qui la carac-
térise. À mon avis, le programme des demanderes-
ses, inscrit sur une microplaquette ROM, est net-
tement visé par les premiers mots de l'article 3 de
la Loi. Il s'agit véritablement de la production ou
de la reproduction de l'ceuvre sous une forme
matérielle, tout comme un disque ou une cassette
est la production ou la reproduction d'une œuvre
sous une forme matérielle. (Je n'oublie pas qu'un
article distinct de la Loi porte sur le droit d'auteur
protégeant les disques.)
J'estime que le critère de la «lisibilité» ou de la
«perception visuelle» relevé dans la jurisprudence
signifie simplement qu'il doit y avoir une façon de
comparer visuellement l'ceuvre apparemment pro-
tégée par le droit d'auteur et l'ceuvre qui est censée
la contrefaire, afin de déterminer s'il y a eu pla-
giat. Puisque les programmes peuvent être «lus» à
partir de la microplaquette ROM et ensuite com-
parés aux autres, ce critère est donc présent en
l'espèce. Je partage à cet égard l'opinion exprimée
par le juge Megarry dans Thrustcode Ltd. v. W.W.
Computing Ltd., [1983] F.S.R. 502 (Ch.D.), à la
page 505:
[TRADUCTION] Dans le cas des ordinateurs, comme pour bien
d'autres choses, il faut comparer la chose apparemment copiée
et celle qui est censée avoir été contrefaite. Si ces deux choses
sont invisibles, elles doivent normalement être reproduites sous
une forme visible ou perceptible de quelque façon, avant que
l'on puisse déterminer si l'une d'elles est contrefaite.
Normalement ... il faudra avoir recours à des impressions ou à
une autre preuve documentaire du programme apparemment
copié et du programme qui est censé avoir été contrefait, ou de
parties suffisantes de chacun.
Je souscris aussi à la thèse du juge Fox dans
l'affaire Apple Computer Inc v Computer Edge
Pty Ltd (1984), 53 ALR 225 (F.C.), à la page
237:
[TRADUCTION] À mon avis, il importe peu que, le cas échéant,
le code ne puisse être vu ... L'adaptation de l'ceuvre est
perceptible à l'aide d'une machine. Il suffit que le code tire son
existence des microplaquettes, par lesquelles elle peut être
vérifiée.
Les décisions suivantes portent sur la création
d'une œuvre sous une forme matérielle différente
de l'original: Chabot v. Davies, [1936] 3 All E.R.
221 (Ch.D.) (façade d'un magasin construite à
partir de plans de celle-ci); King Features Syndi
cate, Incorporated v. Kleeman (O. & M.) Ld.,
[1941] A.C. 417 (H.L.) (broches et poupées faites
à partir d'une bande dessinée de Popeye); Dorling
v. Honnor and Another, [1964] R.P.C. 160 (C.A.)
(navires bâtis à partir de plans); et Bayliner
Marine Corp. c. Dorai Boats Ltd., [1986] 3 C.F.
346; (1985), 5 C.P.R. (3d) 289 (lie inst.). Selon
cette jurisprudence, une copie d'une reproduction
qui existe déjà sous une forme matérielle différente
de l'original constitue tout de même une contrefa-
çon de l'original. Ce raisonnement est applicable
en l'espèce même si les demanderesses n'invoquent
pas un droit d'auteur à l'égard de la micropla-
quette ROM elle-même, en tant qu'appareil, mais
seulement à l'égard du programme qui y est ins-
crit. À cet égard, la question en litige diffère des
décisions susmentionnées. À mon avis, cela ren-
force les prétentions des demanderesses au lieu de
les affaiblir.
Si je comprends bien les arguments des défen-
deurs, leur avocat prétend que même s'il n'est pas
nécessaire que la reproduction elle-même puisse
être lue par un être humain, l'objet ultime de la
reproduction doit être de communiquer l'oeuvre au
public. Le disque ou la cassette produit, à l'aide
d'une machine, des sons destinés à l'oreille
humaine, tandis que la principale fonction de la
microplaquette ROM n'est pas la communication
de données aux humains. Comme nous l'avons déjà
affirmé, elle peut être utilisée à cette fin et dans
certains cas, elle l'est effectivement, mais ce n'est
pas le principal but visé.
Les défendeurs prétendent que tant les circons-
tances de l'adoption de la Loi que le texte même
des dispositions pertinentes constituent le fonde-
ment de l'exigence selon laquelle l'oeuvre doit
avant tout être communiquée aux êtres humains
pour pouvoir être protégée par le droit d'auteur.
Certains tribunaux ont accordé leur appui à la
thèse des circonstances. Je prends note notamment
de l'opinion dissidente du juge Sheppard dans
l'affaire Computer Edge (précitée, à la page 194)
à la page 277. Ses remarques portaient sur le sens
des mots «traduction et adaptation» employés dans
la Copyright Act australienne, mais c'est sur l'ap-
proche utilisée que l'avocat attire l'attention de la
Cour:
[TRADUCTION] Ces différentes dispositions [de la Loi] sem-
blent signifier que ce qui est protégé par le droit d'auteur (que
ce soit une oeuvre ou une adaptation de celle-ci) pourra être
publié et donc vu ou entendu, même s'il ne l'est pas immédiate-
ment ou s'il ne l'est jamais. Le concept même de la publication
suppose que quelque chose devrait être vu ou entendu.
Les défendeurs allèguent que même si les cir-
constances entourant l'adoption de la Loi n'indi-
quent pas clairement que les programmes informa-
tiques sous forme de code machine sont exclus de
l'application de la Loi, le texte même des disposi
tions pertinentes est très clair à cet égard; il s'agit
de l'alinéa 2v) 9 et de l'article 3. Voici le texte de
l'alinéa 2v):
2....
v) «toute oeuvre littéraire, dramatique, musicale et artistique
originale» comprend toutes les productions originales du
domaine littéraire, scientifique et artistique, quel qu'en soit le
mode ou la forme d'expression, telles que les livres, brochures
et autres écrits, les conférences, les œuvres dramatiques ou
dramatico-musicales, les œuvres ou compositions musicales
avec ou sans paroles, les illustrations, croquis et ouvrages
plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l'archi-
tecture ou aux sciences. [C'est moi qui souligne.]
Et celui de l'article 3:
3. (1) Pour les fins de la présente loi, le «droit d'auteur»
désigne le droit exclusif de produire ou de reproduire une
oeuvre, ou une partie importante de celle-ci, sous une forme
matérielle quelconque, d'exécuter ou de représenter ou, s'il
s'agit d'une conférence, de débiter, en public, et si l'eeuvre n'est
pas publiée, de publier l'oeuvre ou une partie importante de
celle-ci; ce droit comprend, en outre, le droit exclusif
a) de produire, reproduire, représenter ou publier une traduc-
tion de l'œuvre;
b) s'il s'agit d'une œuvre dramatique, de la transformer en un
roman ou en une autre œuvre non dramatique;
c) s'il s'agit d'un roman ou d'une autre œuvre non dramati-
que, ou d'une œuvre artistique, de transformer cette œuvre
en une œuvre dramatique, par voie de représentation publi-
que ou autrement;
d) s'il s'agit d'une œuvre littéraire, dramatique ou musicale,
de confectionner toute empreinte, tout rouleau perforé, film
cinématographique ou autres organes quelconques, à l'aide
desquels l'ceuvre pourra être exécutée ou représentée ou
débitée mécaniquement;
e) s'il s'agit d'une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou
artistique, de reproduire, d'adapter et de présenter publique-
ment l'ouvrage par cinématographie, si l'auteur a donné un
caractère original à son ouvrage. Si ce caractère original fait
défaut, la production cinématographique jouit de la protec
tion accordée aux œuvres photographiques;
f) s'il s'agit d'une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou
artistique, de transmettre cette œuvre au moyen de la
radiophonie;
le droit d'auteur comprend aussi le droit exclusif d'autoriser les
actes mentionnés ci-dessus. [C'est moi qui souligne.]
9 J'ai fait référence à la Loi sur le droit d'auteur dans sa
forme codifiée de 1952 pour des raisons de commodité. La
définition de l'expression «toute œuvre littéraire, dramatique,
musicale et artistique originale» qui s'y trouve est identique à
celle qui figure dans la codification de 1970 une exception
près: la version de 1970 ne comporte aucun alinéa.
Il a été affirmé que les termes généraux
employés à l'alinéa 2v) («quel qu'en soit le mode
ou la forme d'expression») et à l'article 3 («sous
une forme matérielle quelconque») doivent être
interprétés par rapport aux exemples précis qui
suivent dans chaque cas; c'est-à-dire, à l'alinéa 2v),
«les livres, brochures ...» et, à l'article 3, les
différentes formes de production ou de reproduc
tion énumérées aux alinéas a) à f). Il a été allégué
que le principe d'interprétation des lois noscitur a
sociis est applicable en l'espèce.
À mon avis, l'article 3 lui-même répond aux
arguments de l'avocat fondés sur les circonstances
entourant l'adoption de la Loi et sur le texte précis
des articles en question. L'article 3 prévoit que
« "le droit d'auteur" désigne le droit exclusif de
produire ou de reproduire une oeuvre ... sous une
forme matérielle quelconque». J'estime que cela
vise expressément le programme inscrit sur la
microplaquette ROM. Il n'y a rien dans l'article 3
de la Loi sur le droit d'auteur qui permette de
tirer une conclusion différente.
Quant au principe noscitur a sociis, il ne sert
qu'à limiter la généralité d'une disposition législa-
tive lorsqu'il est clair que le Parlement n'avait pas
l'intention de lui donner un sens aussi large. L'in-
tention du Parlement est très claire dans le cas de
l'article 3, et peut-être aussi de l'alinéa 2v). Les
énumérations servent d'exemples. Les termes géné-
raux «comprennent» censément les éléments plus
précis. Dans ce contexte, la règle noscitur a sociis
ne peut être applicable.
Il a aussi été allégué que les premiers mots de
l'article 3 n'étaient certainement pas censés porter
sur les oeuvres présentées sous une forme maté-
rielle «quelconque», puisque, si c'était vrai, il aurait
été inutile d'adopter l'alinéa 3(1)d) de la Loi.
D'après le texte de cet alinéa, il a été allégué que
seuls les organes servant à communiquer avec les
êtres humains devaient être visés par la Loi. Cette
prétention est basée en partie sur le fait que, à
l'article 2 de la Loi, il est question de «débiter» une
conférence, et qu'une «représentation» est définie
comme toute reproduction sonore ou visuelle. C'est
pourquoi l'avocat des défendeurs prétend que les
programmes d'application qui permettent d'affi-
cher un texte ou des tableaux à l'écran ou qui
entraînent l'émission de sons ou de musique sont
protégés par le droit d'auteur. À son avis, il s'agit
d'organes (dans le cas de microplaquettes) grâce
auxquels l'ceuvre peut être débitée de façon
mécanique.
Je trouve l'argument basé sur l'alinéa 3(1)d)
peu convaincant. C'est une lame à double tran-
chant. On peut tout aussi bien se demander pour-
quoi les premiers mots de l'article 3 ont été rédigés
de façon aussi générale si le Parlement avait l'in-
tention de ne viser que les enregistrements ou les
organes produisant des sons ou permettant la com
munication aux êtres humains. Les renvois aux
définitions ne sont pas convaincants. Ces dernières
ne servent qu'à définir un aspect particulier de la
façon dont les conférences sont débitées; il n'y a
aucune définition globale de ce dernier mot. La
définition de «représentation» n'est pas pertinente
puisque personne n'a suggéré qu'elle s'appliquait
en l'espèce. De plus, j'ai de la difficulté à compren-
dre la distinction que fait l'avocat entre les pro
grammes produisant quelque chose qui apparaît à
l'écran et les autres (notamment ROM). Lorsque
«quelque chose» apparaît à l'écran, il ne s'agit pas
du programme (c'est-à-dire que ce n'est pas l'origi-
nal ou une version hexadécimale de celui-ci). Le
programme demeure invisible à moins d'être
décomposé par un procédé de traduction semblable
à celui utilisé pour «lire» ROM.
En outre, j'accorde un certain fondement à l'ar-
gument selon lequel, peu importe l'interprétation
donnée aux premiers mots de l'article 3, la micro-
plaquette ROM est visée par l'alinéa 3(1)d), en
tant qu'organe au moyen duquel l'ceuvre peut être
débitée. Comme nous l'avons déjà affirmé, le pro
gramme peut être exécuté sur l'écran du moniteur
ou sur une impression destinée aux êtres humains.
Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de déterminer
si le fait de «débiter» le programme à l'UCT
répond aux exigences de l'alinéa 3(1)d).
Il est aussi fait mention des articles 45 et 46
pour démontrer que le Parlement n'avait pas l'in-
tention d'assujettir toutes les oeuvres, sous une
forme matérielle «quelconque». L'article 45 prévoit
que le droit d'auteur n'existe qu'en vertu de la Loi
et d'après l'article 46, la Loi ne s'applique pas à
certains dessins susceptibles d'être enregistrés en
vertu de la Loi sur les dessins industriels, S.R.C.
1970, chap. I-8. L'article 45 de la Loi est tout à
fait inutile en l'espèce; il ne sert pas du tout à
déterminer ce qui est visé par la Loi et ce qui ne
l'est pas. L'article 46 n'est pas plus pertinent puis-
qu'il porte sur des oeuvres enregistrées en vertu de
la Loi sur les dessins industriels, ce qui n'est
manifestement pas le cas de la microplaquette
ROM, du moins en ce qui concerne le programme
qui y est inscrit.
Les défendeurs ont aussi prétendu que la Loi sur
le droit d'auteur devrait être interprétée de façon
restrictive, c'est-à-dire en leur faveur, puisqu'elle a
des conséquences de nature pénale (article 25)'o
En l'espèce, la poursuite ne porte pas sur la perpé-
tration d'une infraction. Il s'agit d'une action civile
entre deux parties privées. Dans Dalton c. Com
mission canadienne des droits de la personne,
[1986] 2 C.F. 141; 63 N.R. 383, aux pages 146 à
149 C.F.; 386 et 387 N.R., la Cour d'appel fédé-
rale a douté de l'applicabilité de la règle d'inter-
prétation restrictive aux infractions de nature cri-
minelle, dans de telles circonstances. De fait,
d'après la Cour d'appel de l'Ontario, dans R. v.
Budget Car Rentals (Toronto) Ltd.", il semble
que, contrairement à l'interprétation des défen-
deurs, cette règle signifie tout simplement que les
lois pénales doivent être interprétées comme toutes
les autres lois, conformément au sens ordinaire du
langage employé. De toute façon, je ne jugerais
bon de tenir compte de la pertinence de la règle
d'interprétation restrictive que si l'article 3 de la
Loi sur le droit d'auteur me paraissait ambigu, ce
qui n'est pas le cas. Comme je l'ai déjà affirmé, les
mots «de produire ou de reproduire . .. sous une
forme matérielle quelconque» me semblent très
clairs.
Questions de politique
Il est allégué que si le droit d'auteur protégeait
le programme inscrit sur la microplaquette ROM,
cela constituerait un monopole à l'égard d'un arti
cle sur le marché—une restriction du commerce
qui n'était pas visée par l'adoption de la Loi sur le
droit d'auteur. Il est aussi prétendu que certains
programmes sont employés en rapport avec des
10 Les affaires suivantes sont citées à l'appui de cette thèse:
Canusa Records Inc. et autres c. Blue Crest Music, Inc. et
autres (1976), 30 C.P.R. (2d) 11 (C.A.F.), à la p. 13; R. v.
Budget Car Rentals (Toronto) Ltd. (1981), 31 O.R. (2d) 161
(C.A.), aux pp. 165, 167, 168 et 173; R. v. Philips Electronics
Ltd. Philips Electronique Ltee (1980), 30 O.R. (2d) 129
(C.A.), aux pp. 137 139; Tuck v. Priester (1887), 19 Q.B.D.
629, la p. 638.
" Ibid.
machines afin de contrôler des étapes précises de
fabrication (programmes à des fins spécifiques) et
que ces programmes peuvent être protégés par les
lois relatives aux brevets. Par conséquent, les
défendeurs allèguent que le droit d'auteur ne
devrait pas protéger les programmes informatiques
parce que cela créerait un chevauchement des
règles relatives au droit d'auteur et de celles por-
tant sur les brevets. L'avocat a soulevé deux der-
nières questions de politique; d'une part, le Parle-
ment discute actuellement de l'applicabilité du
droit d'auteur aux programmes informatiques et
du fait que la Cour s'arrogerait les pouvoirs du
Parlement en décidant que la Loi actuelle est
applicable; d'autre part, toute cette question est
entourée de beaucoup d'incertitude et les défen-
deurs ne devraient donc pas être pénalisés pour
avoir agi ainsi alors que la question a été tellement
débattue.
Quant au premier argument, la Loi sur le droit
d'auteur a toujours eu pour but de créer un certain
monopole. Elle ne contient aucune distinction rela
tive à l'objectif visé par l'oeuvre créée, que ce soit
le divertissement, l'enseignement ou autre. À mon
avis, la Loi avait deux buts: encourager la publica
tion d'oeuvres, pour «l'avancement de la science»,
et protéger et récompenser les efforts intellectuels
des auteurs, pendant un certain temps. Un livre est
un article offert sur le marché, tout comme le sont
une carte ou un tableau. L'interprétation faite par
les défendeurs, selon laquelle la Loi ne visait pas à
influencer les pratiques commerciales, est inexacte
et donne à la Loi un sens différent de celui qui
ressort de son libellé.
Pour ce qui est du second argument, après lec
ture de la doctrine et de la jurisprudence citées par
l'avocat 12 je conclus que les programmes informa-
12 Barrigar, Legal Protection of Software from Unauthorized
Use: Proprietary and Contractual Rights (1976), 30 C.P.R.
(2d) 159; Re Application Number 961,392 (1971), 5 C.P.R.
(2d) 162 (C.A.B.); Gottschalk, Comr. Pats. v. Benson, 175
USPQ 673 (S.C. 1972); Dann, Comr. Pats. v. Johnston, 189
USPQ 257 (S.C. 1976); Schlumberger Canada Ltd. c. Le
commissaire des brevets, [1982] 1 C.F. 845; (1981), 56 C.P.R.
(2d) 204 (C.A.), demande de permission d'appel devant la
Cour suprême du Canada rejetée (1981), 63 C.P.R. (2d) 261;
Re Bendix Corporation Application (Now Patent No.
1,176,734) (1984), 5 C.P.R. (3d) 198 (C.A.B.); Re Application
for Patent of Dissly Research Corp. (Now Patent No.
1,188,811) (1984), 6 C.P.R. (3d) 420 (C.A.B.). Voir aussi
l'affaire Diamond, Comr. Pats. v. Diehr and Lutton, 209
USPQ 1 (S.C. 1981).
tiques ne sont pas brevetables en soi mais qu'un
appareil ou un procédé qui répond aux normes de
nouveauté et de non-évidence prévues par la Loi
sur les brevets, S.R.C. 1970, chap. P-4, ne sera pas
exclu de la protection des brevets du simple fait
qu'un ordinateur est employé pour l'exploitation de
l'appareil ou l'application du procédé. De plus, je
ne pense pas que le chevauchement de différentes
lois soit si inhabituel (voir le domaine de la respon-
sabilité délictuelle et contractuelle). Je ne crois pas
non plus que les tribunaux soient tenus de rendre
des décisions qui permettent d'éviter de tels che-
vauchements. En outre, je remarque qu'en l'es-
pèce, il ne s'agit pas d'un programme à des fins
spécifiques mais bien de l'exploitation d'un ordina-
teur à des fins générales. Je dois toutefois avouer
que pour l'instant, je ne vois pas le besoin de faire
la distinction entre les deux. Je souligne que dans
l'affaire Thrustcode (précitée, à la page 194), le
juge Megarry n'a pas jugé bon de faire pareille
distinction.
L'avocat des défendeurs s'est fondé sur la déci-
sion de la Cour d'appel fédérale dans Schlumber-
ger Canada Ltd. c. Le commissaire des brevets 13 à
l'appui de ce second argument. Je ne crois pas que
cette décision puisse venir en aide aux défendeurs.
Il a été statué qu'un procédé par lequel un pro
gramme informatique était employé pour exécuter
certains calculs selon certaines spécifications ne
pouvait être breveté. Il a été jugé qu'il s'agissait
d'une formule mathématique qui pouvait être assi-
milée aux «simples principes scientifiques ou con
ceptions théoriques» au sujet desquels le paragra-
phe 28(3) de la Loi sur les brevets prévoit qu'«il ne
doit pas être délivré de brevet». Comme je l'ai déjà
dit, un programme informatique n'est pas la même
chose qu'une formule mathématique. De plus, il
faut faire la distinction entre la tâche pour laquelle
un ordinateur est programmé («le procédé», selon
l'affaire Schlumberger) et le programme conçu
pour accomplir cette tâche. Le seul fait que le
résultat ne soit pas nouveau (par exemple, des
calculs fondés sur les mesures faites dans les trous
de sonde) ne signifie pas que le programme conçu
pour accomplir cette tâche ne peut être protégé
par le droit d'auteur, tout comme un manuel de
mathématiques ou un guide d'instruction peuvent
l'être.
Ibid.
À l'appui du troisième argument de caractère
politique, il a été fait mention des propositions de
révision de la Loi sur le droit d'auteur contenues
dans De Gutenberg à Télidon, livre blanc publié
par le ministre de la Consommation et des Corpo
rations en 1984. Aux pages 79 83 de ce docu
ment, les auteurs estiment que le régime actuel ne
convient pas aux programmes informatiques et que
la durée de la protection du droit d'auteur devrait
être beaucoup plus courte (par exemple, cinq ans
pour un programme pouvant être lu par un être
humain). On a aussi cité devant moi le rapport du
Sous-comité sur la révision du droit d'auteur,
publié récemment sous le titre «Une charte des
droits des créateurs et créatrices». Les auteurs de
ce rapport recommandent, à la page 50, que tout le
régime de protection du droit d'auteur (la vie de
l'auteur plus cinquante ans) convient aux pro
grammes informatiques et qu'aucune distinction
ne devrait être faite entre les programmes pouvant
être lus par les êtres humains et ceux qui peuvent
l'être par une machine. La juxtaposition de ces
deux textes démontre pourquoi les tribunaux conti-
nuent de croire que de telles questions de politique
ne sauraient influencer l'application de la loi en
vigueur.
Le quatrième volet des «arguments de caractère
politique» de l'avocat des défendeurs n'est pas plus
pertinent. La question de l'applicabilité et du mode
d'application de la loi à une situation donnée fait
l'objet de débats tous les jours. N'était-ce ainsi, les
salles des tribunaux seraient vides. Voici un extrait
des commentaires du juge Collier, à la fin de la
décision Bulman Group Ltd. (The) c. «One Write»
Accounting Systems Ltd. (précitée, à la page 190),
aux pages 335 et 336 C.F.; 156 C.P.R., qui s'appli-
que aussi à l'espèce:
La défenderesse avait tort, en droit et en fait, lorsqu'elle
estimait que les formules de la demanderesse ne donnaient pas
lieu à un droit d'auteur.
Il y avait, je pense, des motifs raisonnables de présumer qu'il
pouvait fort bien y avoir droit d'auteur. La défenderesse a
préféré prendre ce risque. Une évaluation erronée du droit et
des faits ne peut servir d'excuse justifiant d'échapper aux
dommages-intérêts, à une reddition de compte des profits et
aux autres recours auxquels peut prétendre la demanderesse.
Voir également Compo Company Ltd. c. Blue
Crest Music Inc. et autres, [1980] 1 R.C.S. 357;
(1979), 45 C.P.R. (2d) 1, aux pages 375 et 376
R.C.S.; 15 C.P.R.
Il semble aussi que le Bureau du droit d'auteur
du ministère de la Consommation et des Corpora
tions avait une attitute ambivalente sur la question
de savoir si la Loi sur le droit d'auteur s'appli-
quait aux programmes informatiques. Voici un
extrait d'une brochure «disponible» au Bureau du
droit d'auteur et datée de 1982:
[TRADUCTION] Il n'est pas certain que les programmes infor-
matiques ou les logiciels soient protégés en vertu de la Loi
actuelle, entrée en vigueur en 1924. Cependant, les instructions
écrites d'exploitation des programmes peuvent être protégées
par le droit d'auteur, en tant qu'ceuvres «littéraires».
Rien ne prouve que cette brochure ait été distri-
buée au public ou que l'un des défendeurs en ait eu
une copie pendant la période pertinente. Par consé-
quent, je ne crois pas qu'elle soit pertinente en
l'espèce.
La jurisprudence relative aux programmes infor-
matiques
Dans plusieurs ressorts où les règles du droit
d'auteur ne diffèrent pas tellement des nôtres, un
nombre croissant de décisions tendent à affirmer
que les programmes informatiques, sous forme de
code machine, sont protégés par le droit d'auteur
applicable dans ce ressort 14 . Cette nouvelle ten-
dance est non seulement populaire à l'étranger
mais aussi au pays 15 . L'avocat des défendeurs pré-
tend qu'il s'agit de toutes les demandes interlocu-
toires où le tribunal n'a pu bénéficier d'un procès
et de preuves d'experts. De plus, il allègue que
14 Sega Enterprises Limited v. Richards and Another, [1983]
F.S.R. 73 (Ch.D.); Thrustcode Ltd. v. W.W. Computing Ltd.,
précitée, à la p. 194; Northern Office Microcomputers (Pty)
Ltd. v. Rosenstein, [1982] F.S.R. 124 (S.C. Afr. du Sud);
Apple Computer Inc v Computer Edge Pty Ltd, précitée, à la p.
194.
15 Apple Computer Inc. v. Computermat Inc. (1983), 1
C.I.P.R. 1 (H.C. Ont.); Apple Computer Inc. c. Minitronics of
Canada Ltd. et autres (1985), 7 C.P.R. (3d) 104 (C.F. P e
inst.), confirmée à (1985), 8 C.P.R. (3d) 431 (C.A.F.); Société
(La) d'Informatique R.D.G. Inc. c. Dynabec Ltée et al.
(1984), 6 C.P.R. (3d) 299 (C.S. Qué.); F & I Retail Systems
Ltd. v. Thermo Guard Automotive Products Canada Ltd. et al.
(décision non publiée de la Cour suprême de l'Ontario, rendue
le 26 juin 1984); Logo Computer Systems Inc. c. 115778
Canada Inc. et al. (décision non publiée rendue par la Cour
supérieure du Québec, le 25 octobre 1983); Nintendo of Ame-
rica, Inc. c. Coinex Video Games Inc., [1983] 2 C.F. 189
(C.A.), qui traite de la question de façon accessoire; Spacefile
Ltd. v. Smart Computing Systems Ltd. et al. (1983), 75 C.P.R.
(2d) 281 (H.C. Ont.).
dans ces décisions, les tribunaux ont conclu que le
programme lui-même, sous forme de notation
écrite, se trouve en fait à l'intérieur de l'ordina-
teur, et non sous forme de code électrique ou de
support conçu pour reproduire ce code.
Je concède que la plupart de la jurisprudence est
de caractère interlocutoire, bien que la décision de
la division d'appel de la Cour fédérale d'Australie,
dans Computer Edge, précitée à la page 194,
contienne un exposé complet de la question et que
des preuves considérables aient été produites dans
cette affaire. J'estime que les raisonnements qui
s'y trouvent sont très convaincants. La décision
portait évidemment sur la législation australienne,
qui ne s'applique pas de façon aussi générale (à la
production d'une oeuvre sous une forme matérielle
quelconque) que ce qui est prévu à l'article 3 de
notre Loi, mais cela ne diminue pas pour autant la
valeur des motifs avancés.
Je ne puis souscrire à la prétention de l'avocat
selon laquelle les tribunaux considèrent que le
programme écrit, en tant qu'oeuvre, se trouve dans
la microplaquette de silicium. Dans ces décisions,
les juges ont tendance à parler du langage machine
comme s'il était situé à l'intérieur de la machine
(sous forme de uns et de zéros). Les experts en
informatique parlent ainsi. Cependant, je crois
qu'il est faux de croire que les tribunaux n'ont pas
reconnu la véritable nature d'un programme infor-
matique avant d'accorder des injonctions interlo-
cutoires. Notons par exemple l'affaire Sega Enter
prises Limited v. Richards and Another (précitée
à la page 203), la page 75, où le juge Goulding
de la Division de la chancellerie de la Haute Cour
affirmait ce qui suit:
[TRADUCTION] D'après la preuve dont je dispose, j'estime
que le droit d'auteur ... existe à l'égard du programme d'as-
semblage du jeu «Frogger». Je crois qu'il faut considérer le code
machine qui en est tiré, par l'exécution d'une composante du
système de l'ordinateur appelée l'«assembleur», comme une
reproduction ou une adaptation du programme d'assemblage
... [C'est moi qui souligne.]
Le juge Megarry de la Division de la chancellerie
de la Haute Cour a affirmé ce qui suit dans
Thrustcode Ltd. v. W.W. Computing Ltd. (préci-
tée à la page 194), à la page 505:
[TRADUCTION] Dans le cas des programmes informatiques, le
logiciel semble comprendre des articles qui, par des moyens
magnétiques ou électriques, permettront au matériel de faire
certaines choses, à l'aide de ce qui est enregistré sur différents
disques et landes. Ce faisant, les lettres, signes et chiffres du
programme peuvent apparaître à l'écran ou sur une sortie
imprimée; dans ce cas, il sera possible de comparer [deux textes
écrits] comme d'habitude. [C'est moi qui souligne.]
Le juge Lockhart a déclaré ce qui suit à la page
263 de l'affaire Computer Edge (précitée à la
page 194):
[TRADUCTION] Il y aurait peut-être lieu de discuter des procé-
dés précis utilisés dans les mémoires mortes (ROM) et les
mémoires mortes programmables et effaçables (EPROM) de
Wombat afin de générer les séquences pertinentes de pulsions
électriques; mais il faudra inévitablement conclure que les
ROM et EPROM de Wombat contiennent la même séquence
de pulsions que les ROM de Apple.
Dans l'affaire International Business Machines
Corporation c. Ordinateurs Spirales Inc., [1985] 1
C.F. 190; (1984), 80 C.P.R. (2d) 187 (1 1 e inst.),
j'ai eu l'occasion d'étudier beaucoup de jurispru
dence d'origine étrangère. Je n'ai pas cité cette
décision en l'espèce et je n'ai pas l'intention de le
faire. Cela ne signifie pas que je suis en désaccord
avec les conclusions de celle-ci; seulement, je ne
juge pas opportun de fonder ma décision en l'es-
pèce sur celle que j'ai rendue à l'égard d'une
procédure interlocutoire.
Il est important de souligner que dans une déci-
sion récente, Société (La) d'Informatique R.D.G.
Inc. v. Dynabec Ltée et al. 16 , confirmée par la
Cour d'appel du Québec " , la Cour supérieure du
Québec a jugé que quatre programmes d'applica-
tion étaient protégés par le droit d'auteur. La Cour
supérieure s'est fondée en grande partie sur l'af-
faire Computer Edge (précitée à la page 194) et
sur le fait qu'on y considère les programmes ins-
crits sur une microplaquette comme des traduc-
tions ou adaptations d'une oeuvre originale. La
Cour d'appel du Québec a fait mention de l'am-
pleur de l'article 3 de notre Loi.
NOTE DE L'ARRÊTISTE
Dans l'affaire Mackintosh, la preuve a révélé
que la défenderesse, la Maison des Semiconduc-
teurs, avait acheté des microplaquettes vierges et
les avait programmées pour elle-même et pour
la défenderesse Mackintosh—en y gravant le
16 Ibid.
" (1985), 6 C.P.R. (3d) 322 (C.A. Qué.).
programme des demanderesses. Les micropla-
quettes avaient été ensuite insérées dans les
ordinateurs vendus comme «compatibles avec
Apple». A l'occasion, la Maison des Semiconduc-
teurs avait importé de Ta!Wan des microplaquet-
tes de mémoire morte (ROM) contenant le pro
gramme des demanderesses.
•
La responsabilité des défendeurs Chico Levy et
James Begg
Les revendications à l'encontre des particuliers,
Chico Levy et James Begg, sont contestées au
motif qu'ils ne sont pas responsables, à titre per
sonnel, des actes commis par les sociétés respecti-
ves dans lesquelles ils participaient (Mackintosh et
la Maison des Semiconducteurs d'une part et
115778 et 131375 Canada Inc. d'autre part), et on
cite à l'appui l'affaire Salomon v. Salomon & Co.,
[1897] A.C. 22 (H.L.). Je n'ai aucune difficulté à
trouver ces deux défendeurs personnellement res-
ponsables. La responsabilité personnelle des admi-
nistrateurs ou des dirigeants d'une société dans les
cas de contrefaçon de brevet a été étudiée par la
Cour d'appel fédérale dans l'affaire Mentmore
Manufacturing Co., Ltd. et autre c. National
Merchandise Manufacturing Co. Inc. et autre
(1978), 40 C.P.R. (2d) 164. À la page 171, la
Cour a cité 29 Hals., 3' éd., page 90, par. 192:
[TRADUCTION] Les administrateurs d'une société ne sont pas
personnellement responsables de la contrefaçon commise par
celle-ci, même s'ils sont administrateurs délégués ou adminis-
trateurs et actionnaires uniques, à moins (1) qu'ils n'aient
constitué la société dans le dessein de contrefaçon, (2) qu'ils
n'aient directement ordonné ou autorisé les actes reprochés ou
(3) qu'ils n'aient implicitement autorisé ou ordonné ces actes.
Plus loin, à la page 172, la Cour a indiqué que le
fait d'être propriétaire (actionnaire) et administra-
teur d'une société ne suffisait pas à justifier la
conclusion qu'un particulier avait autorisé les actes
de contrefaçon commis par la société. Il s'agit là
d'une question de fait qui doit être tranchée selon
les circonstances de chaque cas. À la page 174, elle
a déclaré ce qui suit:
Je ne pense pas qu'on doive aller jusqu'à poser en principe
que l'administrateur ou le dirigeant doit savoir ou avoir des
raisons de savoir que les actes qu'il ordonne ou accomplit
constituent des violations. Ce serait imposer une condition de
responsabilité qui n'existe pas, généralement, en matière de
violation de brevet. Il convient d'observer qu'une telle connais-
sance a été jugée, aux États-Unis, non essentielle en matière de
responsabilité personnelle des administrateurs ou des dirigeants
(voir Deller's Walker on Patents, 2' éd. (1972), vol. 7, aux pp.
117 et 118). À mon avis, il existe toutefois certaines circons-
tances à partir desquelles il y a lieu de conclure que ce que
visait l'administrateur ou le dirigeant n'était pas la conduite
ordinaire des activités de fabrication et de vente de celle-ci,
mais plutôt la commission délibérée d'actes qui étaient de
nature à constituer une contrefaçon ou qui reflètent une indiffé-
rence à l'égard du risque de contrefaçon. De toute évidence, il
est difficile de formuler précisément le critère approprié. Il
convient de pouvoir, dans chaque cas, apprécier toutes les
circonstances pour déterminer si celles-ci entraînent la respon-
sabilité personnelle. Les termes dans lesquels le premier juge a
formulé le critère qu'il a adopté sont peut-être critiquables—
«s'est délibérément, ou de façon téméraire, lancé dans certaines
opérations en se servant de la compagnie comme instrument,
dans le but de s'assurer des profits ou une clientèle qui appar-
tiennent de droit aux demanderesses»--mais je ne saurais con-
clure que, sur l'essentiel, ce critère était erroné. [C'est moi qui
souligne.]
La décision suivante constitue un exemple d'appli-
cation de ces principes à une affaire de contrefaçon
de marque de commerce: Visa International Ser
vice Association v. Visa Motel Corporation, car
rying on business as Visa Leasing et al. (1984), 1
C.P.R. (3d) 109 (C.A.C.-B.).
Ces principes s'appliquent également à la con-
trefaçon du droit d'auteur. S'il est facile de contre-
venir à un brevet accidentellement ou par inadver-
tance, par contre il est difficile de copier
accidentellement ou par inadvertance l'oeuvre d'un
autre. C'est peut-être pour cela que la Cour d'ap-
pel, dans l'affaire Mentmore, a jugé que les défen-
deurs, les particuliers, n'étaient pas personnelle-
ment responsables, tandis que la Cour d'appel de
la Colombie-Britannique a tiré la conclusion con-
traire dans l'affaire Visa.
Il me semble évident que Chico Levy et James
Begg ont sciemment agi en contrevenant au droit
d'auteur. En ce qui concerne M. Begg, même si
j'accepte son témoignage selon lequel il a été
malade et ne participait pas à l'exploitation quoti-
dienne de l'entreprise, ses actes démontrent tout de
même une véritable «indifférence au risque». Mais
je crois que d'après la preuve, il s'agissait bien plus
que d'indifférence. Aucune preuve n'est venue cor-
roborer sa «maladie», aucune preuve médicale ni
aucun témoignage de membres de sa famille. Il n'a
pas témoigné personnellement et seuls des extraits
utiles à ses propres fins, tirés de l'interrogatoire
préalable, ont été lus lors du procès. Selon la
preuve documentaire (ses initiales sur les états
financiers, sa signature sur tous les chèques, sa
participation aux contrats de bail), il participait
beaucoup plus aux affaires de la société qu'il ne l'a
admis au cours de l'interrogatoire préalable.
Quant au droit d'auteur, une personne y porte
atteinte aux termes du paragraphe 17 (1) et de
l'article 3 en autorisant ou en tentant «d'autoriser»
l'exécution d'un acte que seul le titulaire du droit
d'auteur a la faculté d'exécuter. Selon la jurispru
dence, «autoriser» signifie [TRADUCTION] «consen-
tir, approuver et encourager' 8 ». Voici un extrait
pertinent de l'affaire C.B.S. Inc. v. Ames Records
& Tapes Ltd., [1981] 2 W.L.R. 973 (Ch.D.), aux
pages 987 et 988:
[TRADUCTION] ... l'indifférence démontrée par des actes, de la
nature d'une exécution ou d'une omission, peut être telle qu'on
peut l'interpréter comme une autorisation ou une permission.
La véritable conclusion à tirer de la conduite d'une personne
constitue une question de fait dans chaque cas ...
Certes, même si je croyais que M. Begg a
participé de façon restreinte aux activités des
sociétés Microcom, son inactivité ou son indiffé-
rence serait telle que l'on devrait déduire qu'il
autorisait ou permettait la contrefaçon du droit
d'auteur. De tout évidence, Chico Levy a permis
les actes de contrefaçon commis par Mackintosh et
la Maison des Semiconducteurs.
La responsabilité des défendeurs Repco, Nat Levy
et Joseph Levy
Qu'en est-il maintenant de la société défende-
resse Repco et des défendeurs Nat et Joseph Levy?
Il est inutile de tenter d'analyser la situation sur le
plan de la responsabilité délictuelle. Voici ce qu'af-
firmait la Cour suprême dans l'affaire Compo
Company Ltd. c. Blue Crest Music Inc. et autres
(précitée à la page 202), aux pages 372 et 373
R.C.S.; 13 C.P.R.:
... le droit d'auteur n'est pas régi par les principes de la
responsabilité délictuelle ni par le droit de propriété mais par
un texte législatif ... La loi concernant le droit d'auteur crée
simplement des droits et obligations selon certaines conditions
et circonstances établies dans le texte législatif ... Il n'est pas
utile, aux fins de l'interprétation législative, d'introduire les
principes de la responsabilité délictuelle. La loi parle d'elle-
même et c'est en fonction de ses dispositions que doivent être
analysés les actes de l'appelante.
18 Falcon v. Famous Players Film Co. (précitée à la p. 193),
à la p. 491.
Comme le démontrent les faits exposés ci-des-
sus, tant Nat et Joseph Levy que la société défen-
deresse, Repco, ont, par leurs actes, aidé et appuyé
Chico dans ses actes de contrefaçon. Selon la
preuve, Nat a joué un rôle plus important que
Joseph. L'avocat des défendeurs a prétendu que
Nat et Joseph n'étaient pas vraiment au courant
de la contrefaçon (ils savaient que leur frère avait
une entreprise d'informatique et qu'il vendait des
ordinateurs compatibles avec Apple) et que cela ne
signifie pas pour autant qu'ils étaient au courant
de ses actes de contrefaçon. L'avocat me demande
de conclure, d'après la preuve, que Nat et Joseph
Levy ont simplement aidé leur frère cadet Chico, à
mettre sur pied ses nouvelles entreprises, comme
tout frère l'aurait fait (par exemple: partage de
l'espace locatif, loyer gratuit à l'exception d'un
«rajustement» à la fin de l'année, garanties de
crédit, publicité dans les journaux qui ne voulaient
pas faire affaires avec Chico tant que ses entrepri-
ses n'auraient pas une assise plus solide).
Je ne puis accepter cette interprétation de la
preuve. Il est tout simplement impossible, dans les
circonstances, de conclure que Nat et Joseph Levy
n'étaient pas au courant des actes de plagiat
commis par leur frère. Dans toute affaire, c'est la
déduction tirée des faits qui permet de savoir s'il y
a connaissance ou non. Voir RCA Corporation y
Custom Cleared Sales Pty Ltd (1978), 19 ALR
123 (N.S.W.C.A.), à la page 126, ainsi que Albert
v. S. Hoffnung & Co. Ltd. (1921), 22 S.R. 75
(N.S.W.S.C.), à la page 81, Clarke, Irwin & Co.
Ltd. v. C. Cole & Co. Ltd. (1960), 33 C.P.R. 173
(H.C. Ont.), à la page 181 et Simon & Schuster
Inc. et al. v. Coles Book Stores Ltd. (1975), 9
O.R. (2d) 718 (H.C.). Selon cette jurisprudence,
la «connaissance» dans des cas semblables signifie
la prise de conscience de faits à partir desquels une
personne raisonnable conclurait à la contrefaçon
du droit d'auteur—[TRADucTION] «une prise de
conscience qui attirerait l'attention d'une personne
raisonnable» (dans l'affaire Albert (précitée), aux
pages 81 et 82). En effet, je crois qu'en l'espèce,
les défendeurs Repco, Joseph et Nat Levy avaient
bien plus que remarqué des faits qui auraient
poussé une personne raisonnable à comprendre
qu'il y avait contrefaçon du droit d'auteur. Je
conclus que Nat et Joseph Levy, et Repco par leur
intermédiaire, étaient au courant des actes de con-
trefaçon. Je tire cette conclusion du fait que les
entreprises exploitées par les trois frères, avant
Mackintosh et la Maison des Semiconducteurs,
appartenaient à un domaine connexe à celui des
deux sociétés. De plus, Repco était intimement liée
aux affaires de Mackintosh et de la Maison des
Semiconducteurs, après leur création. En outre,
non seulement leurs activités avaient-elles lieu
l'une près de l'autre, mais elles étaient intégrées
l'une à l'autre. Nat Levy remplaçait personnelle-
ment son frère au magasin et dans les expositions
commerciales. Il avait même proposé le nom de
Mackintosh pour l'une des sociétés. Repco et Mac
kintosh partageaient les mêmes locaux, numéros
de téléphone et services de secrétariat. Il est tout à
fait impossible de croire que Nat et Joseph Levy,
et Repco par leur intermédiaire, n'étaient pas au
courant des actes de contrefaçon.
Cependant, la seule connaissance des faits ne
suffit pas à rendre une personne coupable de con-
trefaçon du droit d'auteur. Peut-on dire que la
société défenderesse, Repco, ou les défendeurs
Joseph et Nat Levy, participaient à des activités
qui les assujettiraient à l'article 3 de la Loi en
autorisant la reproduction de l'ceuvre des deman-
deresses, ou au paragraphe 17(4) de la Loi? Voici
le texte du paragraphe 17(4) de la Loi sur le droit
d'auteur:
17....
(4) Est également considéré comme ayant porté atteinte au
droit d'auteur, quiconque
a) vend ou loue, ou commercialement met ou offre en vente
ou en location;
b) met en circulation, soit dans un but commercial, soit de
façon à porter préjudice au titulaire du droit d'auteur;
c) expose commercialement en public; ou
d) importe pour la vente ou la location au Canada;
une œuvre qui, à sa connaissance, viole le droit d'auteur ou le
violerait si elle avait été produite au Canada.
Compte tenu de ses activités, Nat Levy, et
Repco par son intermédiaire, sont nettement assu-
jettis au paragraphe 17(4) de la Loi sur le droit
d'auteur. En achetant de la publicité dans les
journaux pour la Maison des Semiconducteurs, ils
ont, à mon avis, «commercialement offert en vente»
les articles contrefaits, aux termes de l'alinéa a).
De plus, Nat Levy a participé personnellement à
différentes activités de la société, lors d'expositions
et au magasin de l'avenue Brunswick. Je crois que
ses activités à cet égard constituent une offre de
biens en public (alinéa a)) et ce, commercialement
(alinéa c)). En outre, je renvoie à la conclusion du
juge Addy dans Procter & Gamble Co. c. Bristol-
Myers Canada Ltd. (1978), 39 C.P.R. (2d) 145,
aux pages 165 167, selon laquelle les activités de
la défenderesse, en vue d'encourager la contrefa-
çon du droit d'auteur suffisaient, dans certains cas,
à constituer une contrefaçon en soi. J'estime que ce
principe s'applique en l'espèce, et plus particulière-
ment, aux activités de Chico Levy et de Repco.
Cependant, je ne crois pas qu'il y ait assez de
preuves pour me permettre de conclure que les
activités de Joseph Levy, en son nom personnel,
contrevenaient au paragraphe 17(4). La seule
preuve de sa participation personnelle aux activités
en cause prend la forme de garanties de crédit
offertes pour l'importation de ROM contrefaites,
tout en sachant que son frère commettait des actes
de contrefaçon. Je ne pense pas que cela soit visé
par l'un des alinéas du paragraphe 17(4) ni par
l'article 3 de la Loi, soit l'autorisation de la pro
duction ou de la reproduction du programme des
demanderesses. Je pense que ce serait abusif de
conclure que Joseph Levy a «autorisé» les actes de
contrefaçon définis à l'article 3, tout simplement
en garantissant les crédits nécessaires à l'acte
reproché. Je souscris à l'opinion exprimée à la page
984 de l'affaire Ames (précitée, à la page 208):
[TRADUCTION] À mon avis, une personne ordinaire conclurait
qu'une autorisation ne peut venir que de quelqu'un qui a une
compétence réelle ou présumée et qu'un acte n'est pas autorisé
par quelqu'un qui a tout simplement permis à un tiers de le
faire, l'y a aidé ou même encouragé, sans avoir la compétence
lui permettant de justifier l'acte reproché. [C'est moi qui
souligne.]
Par conséquent, l'action intentée contre Joseph
Levy est rejetée.
Commentaires relatifs à la preuve
Je suis tout à fait consciente qu'un tribunal
supérieur sera très probablement saisi bientôt de
cette affaire. En conséquence, j'aimerais souligner
que je me suis fortement inspirée du premier
témoignage du professeur Graham et du témoi-
gnage du professeur Burkowski. J'estime que la
plupart de la «contre-preuve» est inutile. C'est avec
réserve que j'emploie le mot «contre-preuve» puis-
que la preuve soumise à ce titre était plus considé-
rable que ce à quoi l'on pourrait s'attendre dans ce
contexte. De toute façon, je ne me suis pas fondée
tellement sur la contre-preuve. Notamment, je
trouve qu'il est presque incroyable que l'expert des
demanderesses, en matière de «matériel», ait refusé
de s'exprimer en d'autres termes que ceux relatifs
au logiciel. De plus, je n'ai pas été convaincue par
le «tableau d'abstractions» qui aurait dû m'amener
à conclure qu'il était inopportun de parler de
programmes et d'ensemble de circuits ou de
niveaux de voltage dans une même phrase.
Recours
Les demanderesses demandent que soient pro-
noncées des injonctions interdisant aux défendeurs
et à leurs préposés et agents d'importer, de vendre
et de distribuer des ordinateurs et des composantes
d'ordinateur sous le nom de Mackintosh ou de
Microcom qui comprennent une copie ou une copie
substantielle des oeuvres littéraires «AUTOSTART
ROM» ou «APPLESOFT»; elles demandent aussi que
soient calculés tous les profits tirés par les défen-
deurs grâce à la vente d'ordinateurs et de compo-
santes portant atteinte aux droits d'auteur d'Apple
Computer et que les défendeurs soient tenus de
leur remettre toutes les copies d'ordinateurs et de
composantes d'ordinateur, en la possession de l'un
d'eux, qui comprennent une copie ou une copie
substantielle des droits d'auteur en cause.
Les défendeurs allèguent que la demande de
calcul des profits et de remise de tous les ordina-
teurs et composantes d'ordinateur comprenant une
copie des programmes est trop vaste. Je souscris à
cette opinion, en ce qui concerne la remise des
ordinateurs et des composantes d'ordinateur. Il est
facile d'enlever les microplaquettes ROM. Je ne
vois pas pourquoi les défendeurs seraient tenus de
remettre aux demanderesses les autres composan-
tes d'ordinateur, à savoir le clavier, les boîtiers, les
cartes de circuits, etc. II sera ordonné de remettre
les seuls supports comprenant le programme,
toutes les copies du programme et tous les supports
comprenant des copies.
Quant au calcul des profits, je crois que la
demande n'est pas trop vaste. Il est clair que les
profits tirés de la vente des ordinateurs «compati-
bles avec Apple» s'expliquent surtout parce qu'ils
contenaient le programme des demanderesses.
Rien ne pourrait me faire croire que les défendeurs
auraient pu vendre des ordinateurs à un prix très
supérieur au coût d'achat payé pour les composan-
tes, s'ils n'avaient pas compris les microplaquettes
ROM. A mon avis, les profits tirés de la vente des
ordinateurs dans l'ensemble sont surtout imputa-
bles au fait qu'ils étaient «compatibles avec Apple»
et qu'ils comprenaient les programmes contrefaits.
De plus, je ne vois pas comment les profits tirés des
ventes pourraient être répartis entre ce qui est
attribuable aux microplaquettes et ce qui est attri-
buable aux autres composantes de l'ordinateur.
Par conséquent, il convient de procéder au calcul
des profits, comme l'ont demandé les demanderes-
ses.
L'avocat des demanderesses a demandé que la
question des dépens soit reportée jusqu'à ce que le
jugement soit rendu. Par conséquent, je ne prends
aucune décision à cet égard, sauf en ce qui con-
cerne les défendeurs envers lesquels les demande-
resses ont cessé leurs poursuites.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.