A-2-86
La Reine du chef du Canada, représentée par le
Conseil du Trésor (requérante)
c.
Peter Wilson, représenté par l'Alliance de la
Fonction publique (intimé)
et
Commission des relations de travail dans la Fonc-
tion publique (mise-en-cause)
RÉPERTORIÉ: CANADA (CONSEIL DU TRÉSOR) C. WILSON
Cour d'appel, juges Pratte, Mahoney et Stone—
Ottawa, 18 septembre et 23 octobre 1986.
Fonction publique — Relations du travail — La fumée du
tabac dans le lieu de travail — Grief — La Norme de sécurité
sur les substances dangereuses a été incorporée dans la con
vention collective — Si on applique la règle d'interprétation
selon laquelle l'objet véritable d'une disposition contractuelle
doit s'interpréter en fonction de l'ensemble de la convention, il
est évident que la fumée secondaire du tabac ne constitue pas
une substance dangereuse au sens de la Norme, car celle-ci ne
s'applique qu'aux substances dangereuses fabriquées, manu-
tentionnées, emmagasinées, traitées ou utilisées dans le lieu de
travail — Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970,
chap. F-10, art. 7(1)g) — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C.
1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 28 — Loi sur le contrôle de
l'énergie atomique, S.R.C. 1970, chap. A-19 — Loi des rela
tions du travail dans l'industrie de la construction, S.Q. 1968,
chap. 45 — Loi sur les relations de travail dans la Fonction
publique, S.R.C. 1970, chap. P-35, art. 91, Partie I, Annexe I.
En janvier 1984, l'intimé, qui était commis aux écritures au
bureau régional de l'Ontario du ministère de la Santé nationale
et du Bien-être social à Toronto, a déposé un grief selon lequel
son employeur avait violé la Norme de sécurité sur les sub
stances dangereuses, qui avait été incorporée dans la convention
collective concernée, en permettant l'usage du tabac dans son
lieu de travail. L'intimé a également demandé qu'il ne soit
permis de fumer que dans un endroit bien ventilé et séparé du
lieu de travail. En confirmant le grief, l'arbitre a jugé que la
fumée du tabac «secondaire», «ambiante», «émise par d'autres»
ou «latérale» constituait une substance dangereuse au sens de la
Norme, que l'employeur contrevenait aux dispositions de la
Norme (paragraphe 12) prévoyant que les substances dange-
reuses doivent être circonscrites aussi près que possible de leur
source et qu'il contrevenait également à son obligation (para-
graphe 15 de la Norme) de prélever et d'analyser des échantil-
lons d'air du lieu de travail afin de s'assurer qu'on ne dépassait
pas les seuils admissibles prescrits en matière de pollution.
Il s'agit d'une demande fondée sur l'article 28 en vue de la
révision et de l'annulation de la décision de l'arbitre pour le
motif qu'il aurait commis une erreur de droit en concluant que
la fumée secondaire du tabac constituait une substance dange-
reuse au sens de la Norme. Il a été soutenu principalement que
l'arbitre avait commis une erreur en appliquant les paragraphes
12 et 15 de la Norme parce qu'il n'a pas tenu compte de
nombreuses autres parties de la Norme qui mènent à une
conclusion contraire.
Arrêt (le juge Mahoney dissident): la demande devrait être
accueillie.
Le juge Stone (motifs concourants du juge Pratte): La
question n'est pas de savoir si la fumée secondaire de la
cigarette dans le lieu de travail est dangereuse pour la santé de
l'intimé ni s'il est souhaitable de l'en protéger. Il s'agit de savoir
si une erreur de droit a été commise dans l'interprétation du
paragraphe 12 de la Norme.
L'objet véritable d'une disposition contractuelle doit s'inter-
préter en fonction de toutes les différentes parties du document.
L'arbitre a commis une erreur en n'examinant pas le paragra-
phe 12 compte tenu de la Norme dans son ensemble.
Bien qu'on ne puisse pas dire que la Norme était censée
s'appliquer seulement aux substances dangereuses dans le cadre
d'un usage industriel de ces substances, l'interprétation de la
Norme dans son ensemble amène à la conclusion que le para-
graphe 12 se rapporte aux substances dangereuses dont la
source est indiquée dans la Norme, et non à la fumée secon-
daire du tabac.
Le juge Mahoney (dissident): La question est de savoir si,
dans le cadre d'une interprétation juste de l'ensemble de la
Norme, une substance dangereuse est celle avec laquelle il faut
travailler ou qui est produite dans le cours des opérations mais
non celle qui est introduite d'une autre manière dans le lieu de
travail. De nombreuses dispositions ont été prévues, soit expres-
sément soit implicitement, en ce qui concerne l'exposition à des
substances dangereuses qui doivent être utilisées dans le lieu de
travail ou qui s'y trouvent nécessairement. D'autres dispositions
toutefois ne s'appliqueraient pas intégralement si elles étaient
soumises à une telle particularité. La fumée latérale ne consti-
tue évidemment pas une substance dangereuse à laquelle s'ap-
pliquent toutes les dispositions de la Norme, mais ce n'est pas
une raison convaincante pour l'exclure de l'application des
dispositions qui effectivement s'appliquent à juste titre. La
Norme vise à minimiser le danger que les conditions existant
dans le lieu de travail représentent pour la santé des employés.
Ce n'est pas servir cette fin que d'interpréter la Norme de façon
à exclure une substance dangereuse introduite dans le lieu de
travail par des collègues pour le motif qu'elle s'y trouve pour
des raisons étrangères au travail plutôt que pour le compte et à
l'avantage de l'employeur. La Norme s'applique donc à toute
substance dangereuse transportée dans l'air du lieu de travail
sans tenir compte de sa source. Il n'est ni déraisonnable ni
injuste d'exiger de l'employeur qu'il respecte les prescriptions
de la Norme en ce qui concerne la fumée ambiante du tabac
dans le lieu de travail.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Maunsell v. Olins, [1975] A.C. 373 (H.L.); Hillis Oil
and Sales Ltd. c. Wynn's Canada, Ltd., [1986] I
R.C.S. 57.
DÉCISIONS CITÉES:
Québec (Commission de l'industrie de la construction) c.
C.T.C.U.M., [1986] 2 R.C.S. 327, qui infirme (1983),
D.T.E. 83T-685 (C.A. Qué.) et jugement en date du 12
février 1979, Cour supérieure du Québec, Montréal, n°`
500-05-006212-755,500-05-012615-744,500-05-018290-
740, non publié; The King v. Dubois, [ 1935] R.C.S. 378.
AVOCATS:
Robert Cousineau, c.r., pour la requérante.
Andrew J. Raven et Derek Dagger pour
l'intimé.
Aucun avocat n'a comparu au nom de la
mise-en-cause.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
requérante.
Soloway, Wright, Houston, Greenberg,
O'Grady, Morin, Ottawa, pour l'intimé.
Commission des relations de travail dans la
Fonction publique, Ottawa, pour la mise-en-
cause.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY (dissident): La présente
demande fondée sur l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10]
repose entièrement sur la prémisse selon laquelle le
vice-président de la Commission des relations de
travail dans la Fonction publique a commis une
erreur de droit en concluant que la fumée
«ambiante», «secondaire» ou «latérale» du tabac
constitue une substance dangereuse au sens des
Normes relatives à l'hygiène et à la sécurité pro-
fessionnelles et plus particulièrement de la Norme
de sécurité sur les substances dangereuses, ci-après
appelée «la Norme». On ne conteste pas la conclu
sion selon laquelle cela constitue de fait une sub
stance dangereuse au sens du texte même de la
définition figurant dans la Norme.
Cette norme a été édictée par le Conseil du
Trésor le 1e` septembre 1982 en application de
l'alinéa 7(1)g) de la Loi sur l'administration
financière, S.R.C. 1970, chap. F-10.
7. (1) ... le conseil du Trésor peut, dans l'exercice de ses
fonctions relatives à la direction du personnel ...
g) établir des normes régissant les conditions physiques de
travail, d'hygiène et de sécurité, en ce qui concerne les
personnes employées dans la fonction publique, et en prévoir
l'application;
La convention collective régissant l'emploi de l'in-
timé, conclue le 9 février 1982, prévoyait, à l'arti-
cle 43, qu'elle pouvait être modifiée par consente-
ment mutuel. La modification suivante a été
adoptée:
[TRADUCTION] Les parties aux présentes donnent leur adhésion
aux normes d'hygiène et de sécurité professionnelles énumérées
ci-dessous, lesquelles entreront en vigueur le 1" avril 1983, et
reconnaissent que ces normes font partie des conventions collec
tives conclues entre elles.
Substance dangereuse NCT 3-2
La Norme était au nombre des dix-sept ainsi
reconnues par le même document, auquel ont
donné leur adhésion au nom de toutes leurs unités
de négociation cinq agents de négociation, dont
celui de l'intimé, aussi bien que le Conseil du
Trésor.
Dans son grief, l'intimé a invoqué les disposi
tions suivantes de la Norme:
Application
1. La présente norme s'applique à tous les ministères et les
organismes de la Fonction publique, tels que définis dans la
partie I de l'annexe I de la Loi sur les relations de travail dans
la Fonction publique.
Définitions (par ordre alphabétique)
5. Dans la présente norme, l'expression
(6) «substances dangereuses» désigne toute substance qui, à
cause de l'une de ses propriétés, peut présenter un danger
pour la santé ou la sécurité d'une personne qui y est exposée;
Contrôle des contaminants en suspension dans l'air
12. Toute substance dangereuse susceptible d'être transpor-
tée dans l'air doit être circonscrite aussi près que possible de la
source de cette substance.
13. Sous réserve du paragraphe 14, chaque ministère doit
s'assurer que la concentration d'une substance dangereuse qui
peut être transportée dans l'air dans le secteur de travail d'un
employé
(1) ne dépasse pas l'intensité du seuil de danger recomman-
dée par l'American Conference of Governmental Industrial
Hygienists dans la brochure intitulée «Threshold Limit
Values for Air Borne Contaminants 1976» et dans les modifi
cations qui s'y rattachent; ou
(2) est conforme à toute norme qui est en accord avec les
bonnes pratiques de la sécurité au travail et qui est recom-
mandée par Travail Canada ou Santé et Bien-être social
Canada.
14. Sauf en ce qui concerne les substances dangereuses que
l'American Conference of Governmental Industrial Hygienists
a classées dans la catégorie ««CO 3 la concentration des substances
dangereuses qui peuvent être transportées dans l'air peut dépas-
ser, dans le secteur où travaille un employé l'intensité du seuil
de danger dont il est fait mention dans le paragraphe 13 durant
une période calculée selon une formule qui est
(1) prescrite par l'American Conference of Governmental
Industrial Hygienists, ou
(2) recommandée par Travail Canada ou Santé et Bien-être
social Canada.
15. Lorsque l'air d'un secteur de travail d'un employé est
susceptible d'être pollué par une substance dangereuse, un
échantillon doit en être prélevé et analysé par une personne
qualifiée aussi souvent
(1) qu'il est nécessaire pour garantir que le degré de pollu
tion ne dépasse pas les seuils admissibles, prescrits par les
paragraphes 13 et 14; ou
(2) que le recommande Travail Canada ou Santé et Bien-être
social Canada.
Les paragraphes 16, 17, 18 et 19 complètent la
section intitulée «Contrôle des contaminants en
suspension dans l'air». Ils traitent de la façon
d'effectuer l'analyse requise par le paragraphe 15,
d'établir et de conserver les dossiers de ces
analyses, ainsi que de l'équipement de protection.
Le paragraphe 34 est la seule disposition de la
Norme qui fait mention des fumeurs de façon
précise.
Secteurs de danger
34. Les mesures et les précautions à l'intention des fumeurs,
ou toute procédure ou tout équipement dont l'usage dans un
secteur de danger peut causer l'inflammation ou l'explosion
d'une substance dangereuse doivent être conformes aux pres
criptions du Commissaire fédéral des incendies.
Comme je l'ai déjà mentionné, on ne conteste
pas la conclusion tirée par le vice-président et selon
laquelle la fumée latérale constitue de fait une
substance dangereuse selon la définition de cette
expression. On ne conteste pas non plus que la
Norme s'appliquait au lieu de travail de l'intimé.
Dans sa décision, le vice-président n'a pas traité
de l'allégation présentée à la Cour, à savoir que,
selon une interprétation juste de l'ensemble de la
Norme, une substance dangereuse est celle avec
laquelle on doit travailler ou qui est produite au
cours d'opérations et que, en droit, la Norme ne
s'applique pas à une substance dangereuse qui est
introduite autrement dans le lieu de travail. S'il en
est ainsi, ce n'est sûrement pas mentionné dans la
Norme et l'alinéa 7(1)g) de la Loi sur l'adminis-
tration financière ne limite pas ainsi la portée
d'une norme qui peut être établie. J'estime possible
de traiter équitablement de l'allégation de la
requérante sans exposer tout le texte de la Norme.
Les paragraphes 2, 3 et 4 de la Norme limitent
effectivement son application à des cas précis. Elle
ne s'applique pas au transport de substances dan-
gereuses sur les voies publiques. Les règlements
applicables pris sous le régime de la Loi sur le
contrôle de l'énergie atomique, S.R.C. 1970, chap.
A-19, ont priorité sur la Norme, et on reconnaît la
responsabilité préemptive du Commissaire fédéral
des incendies en ce qui concerne la protection des
substances dangereuses contre les dangers de feu
et d'explosion. Cette dernière restriction est réité-
rée au paragraphe 34. Aucune de ces restrictions
ne vient en aide à la requérante. L'intimé a sou-
tenu que les paragraphes 2, 3 et 4 étaient censés
énoncer toutes les exclusions en ce domaine, mais
je ne crois pas que ce soit une façon très juste de
voir la question étant donné que l'on vise l'exclu-
sion de dangers faisant déjà l'objet d'un règlement
et non l'exclusion de substances dangereuses en
particulier. Je rejette également l'allégation de la
requérante selon laquelle le paragraphe 34 est
exhaustif en ce qui concerne l'application de la
Norme aux fumeurs. La maxime selon laquelle «la
mention de l'un implique l'exclusion de l'autre» ne
convient bien à aucun des deux cas.
Les paragraphes 6 et 7 exigent que, si le choix
est possible, il faut utiliser la substance la moins
dangereuse ou une substance non dangereuse. Les
paragraphes 8 à 11 traitent de l'isolement et du
confinement des substances dangereuses. Les para-
graphes 12 à 19 traitent des contaminants en
suspension dans l'air et ont déjà été exposés ou
examinés. Les paragraphes 20 à 23 visent la mise
en garde et la formation du personnel susceptible
d'être exposé à une substance dangereuse ou d'uti-
liser ou de manipuler une telle substance. Le para-
graphe 24 exige que des écriteaux préviennent du
danger auquel s'exposent ceux qui pénètrent dans
un secteur où on manipule, entrepose ou utilise une
substance dangereuse. Les paragraphes 25 et 26
traitent des contenants et de leur étiquetage; les
paragraphes 27 et 28, de la ventilation; le paragra-
phe 29, de l'ordre et de la propreté; les
paragraphes 30 et 31, du matériel d'urgence; les
paragraphes 32 et 33, des poussières combustibles;
les paragraphes 35 et 36, de l'utilisation de l'air
comprimé; les paragraphes 37 41 et 43, des plans
généraux des lieux de travail et des systèmes de
tuyauterie et d'électricité; le paragraphe 42, des
dispositifs émettant des radiations; le paragraphe
44, de l'électricité statique; et les paragraphes 45 à
47, de l'utilisation des explosifs. En dernier lieu,
les paragraphes 48 et 49 traitent des examens
médicaux des employés exposés à des substances
dangereuses ainsi que de leurs dossiers médicaux.
La plupart de ces dispositions sont rédigées, soit
expressément soit par déduction, en fonction de
l'exposition à des substances dangereuses qui doi-
vent être utilisées ou qui se trouvent nécessaire-
ment dans le lieu de travail. Cela découle naturel-
lement de leur objet. Par exemple, il ne serait pas
logique de parler des plans d'un lieu de travail, de
ses installations de plomberie et d'électricité, dans
le contexte de l'exposition des employés à des
substances dangereuses, si ces plans n'étaient pas
censés réduire les dangers que présentent les sub
stances dangereuses à utiliser ou à produire à cet
endroit. Une observation du même genre serait
pertinente en ce qui concerne l'isolement, la for
mation, les écriteaux de mise en garde et ainsi de
suite.
Par ailleurs, d'autres dispositions ne seraient
pas, en raison de leur objet, pleinement efficaces si
elles étaient soumises à une telle particularité. À
titre d'exemple:
28. Les conduites d'aspiration et d'admission des systèmes de
ventilation doivent être placées et disposées de telle façon que
l'air pollué par des substances dangereuses ne puisse pas péné-
trer dans des secteurs où se trouvent des employés.
Il n'est pas rare que le lieu de travail des employés
du gouvernement soit situé dans des locaux loués.
Les fonctionnaires partagent fréquemment des édi-
fices avec d'autres locataires qui ne relèvent pas de
la fonction publique. Tel était le cas, de fait, du
lieu de travail de l'intimé. Je crois qu'il ne serait
pas raisonnable d'interpréter la Norme de façon à
exclure de l'application du paragraphe 28 les sub
stances dangereuses qui pourraient provenir des
locaux d'un autre locataire et atteindre les bureaux
de la fonction publique en passant par le système
de ventilation.
Selon l'alinéa 7(1)g) de la Loi sur l'administra-
tion financière, la Norme vise à régir «l'hygiène et
la sécurité» des employés ainsi que leurs conditions
physiques de travail. La fumée latérale constitue
une substance dangereuse pour la santé humaine.
Le Conseil du Trésor aurait pu l'exclure expressé-
ment de l'application de la Norme, mais il ne l'a
pas fait. La fumée latérale n'est évidemment pas
une substance dangereuse à laquelle s'appliquent
toutes les dispositions de la Norme, mais ce n'est
pas une raison convaincante pour l'exclure de l'ap-
plication des dispositions qui effectivement s'appli-
quent à juste titre. Les dispositions relatives aux
contaminants en suspension dans l'air s'appliquent
tant de façon littérale que selon une interprétation
téléologique de la Norme. L'un des buts évidents
de la Norme est de réduire, par des moyens raison-
nables, le danger que représentent pour la santé
des employés les conditions existant dans leurs
lieux de travail. Ce n'est pas servir cette fin que de
limiter la Norme de façon à exclure une substance
dangereuse introduite dans le lieu de travail par
des collègues simplement parce qu'elle s'y trouve
pour des raisons étrangères au travail plutôt que
pour le compte et dans l'intérêt de l'employeur.
Dans l'arrêt Québec (Commission de l'industrie
de la construction) c. C.T.C.U.M., [1986] 2 R.C.S.
327, rendu le 9 octobre 1986, la Cour suprême du
Canada a renversé les décisions des tribunaux
inférieurs en statuant que le décret de la construc
tion adopté en vertu de la Loi des relations du
travail dans l'industrie de la construction, S.Q.
1968, chap. 45 et ses modifications, s'appliquait
aux travaux de construction fait pour l'intimée par
sa propre main-d'œuvre. Il en était ainsi malgré le
fait que ni l'intimée ni ses employés ne s'occu-
paient habituellement de construction et que la
convention collective conclue entre eux accordait
aux employés un ensemble d'avantages supérieurs
à ceux du décret. La Cour. supérieure [jugement en
date du 12 février 1979, Cour supérieure, Mont-
réal, n°' 500-05-006212-755, 500-05-012615-744,
500-05-018290-740, non publié] et une majorité de
juges de la Cour d'appel du Québec [(1983),
D.T.E. 83T-685] avaient interprété le décret selon
leur conception que celui-ci visait à remédier à des
abus existant dans l'industrie de la construction.
La Cour suprême a cité, relativement à la règle
fondamentale d'interprétation, un certain nombre
de décisions judiciaires que le juge en chef Duff a
résumées ainsi au nom de la Cour dans l'arrêt The
King v. Dubois, [ 1935] R.C.S. 378, la page 381:
[TRADUCTION] Dans tous les cas, la cour doit s'efforcer loyale-
ment de déterminer l'intention de la Législature, et de le faire
en lisant et en interprétant les termes que la Législature
elle-même a choisis pour exprimer cette intention.
Présumer de l'intention général[e] au départ, cela revient,
comme lord Haldane le déclarait dans Vacher & Sons Ltd. v.
London Society of Compositors ([1913] A.C. 107, la p. 113)
à pénétrer dans un labyrinthe pour l'exploration duquel le juge
ne dispose d'aucun fil conducteur.
C'est également, en y apportant les changements
nécessaires, la règle fondamentale de l'interpréta-
tion des contrats. Que l'on considère la Norme en
l'espèce comme étant une législation déléguée
adoptée en septembre 1982 ou comme une disposi
tion contractuelle convenue en avril 1983, la règle
fondamentale qui régit son interprétation demeure
la même.
Dans sa décision qu'on vient de résumer, la Cour
suprême a adopté la conclusion suivante du juge
d'appel McCarthy, qui a formulé des motifs dissi
dents dans le jugement rendu par la Cour d'appel
du Québec:
À mon avis, la position prise par l'appelante est appuyée par
les textes législatifs et n'est ni absurde ni manifestement
injuste. Nous devons donc appliquer les textes tels quels.
Rien dans la Norme ne me semble empêcher son
application aux contaminants en suspension dans
l'air qui proviennent d'une source particulière. Je
serais plutôt d'avis qu'elle s'applique à toute sub
stance dangereuse transportée dans l'air dans le
lieu de travail, sans égard à sa source. Je ne vois
aucun fondement rationnel qui puisse, en raison de
la source du contaminant en suspension dans l'air,
excuser l'employeur de l'obligation de procéder
aux analyses prévues par les paragraphes 13 et
suivants de la Norme, et la mention que la sub
stance dangereuse doit être circonscrite aussi près
que possible de sa source écarte toute objection
légitime qui pourrait être soulevée relativement à
l'application du paragraphe 12 une substance
dangereuse en raison de sa source. Il n'est ni
déraisonnable ni injuste d'exiger que l'employeur
observe les prescriptions de la Norme à l'égard de
la fumée ambiante du tabac dans le lieu de travail.
À mon avis, le vice-président n'a pas commis
d'erreur de droit dans sa conclusion. Je rejetterais
la présente demande fondée sur l'article 28.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE STONE: La présente demande fondée
sur l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale
découle du grief présenté par l'intimé en janvier
1984 et selon lequel son employeur avait contre-
venu à la Norme de sécurité sur les substances
dangereuses («la Norme») [TRADUCTION] «en per-
mettant l'usage du tabac dans son lieu de travail,.
L'intimé y demandait également de ne permettre
l'usage du tabac que dans [TRADUCTION] «un
endroit bien ventilé et séparé du lieu de travail. Le
20 décembre 1985, un arbitre qui agissait en vertu
de l'article 91 de la Loi sur les relations de travail
dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap.
P-35 et ses modifications, a maintenu le grief. La
requérante cherche à faire annuler la décision de
l'arbitre pour le motif que celui-ci a commis une
erreur de droit. J'ai eu l'avantage de lire l'ébauche
des motifs du jugement du juge Mahoney, qui
propose le rejet de la présente demande. Comme
j'en suis venu à la conclusion contraire, il est
souhaitable que j'expose les raisons qui m'incitent
à ne pas partager l'opinion de mon collègue.
Le mandat prévu par la Loi' et en vertu duquel
la Norme a été établie est très large. Il ne se limite
pas à l'élaboration de normes dans le domaine des
substances dangereuses, car les normes peuvent
régir «les conditions physiques de travail» ou «l'hy-
giène et la sécurité» des fonctionnaires. Il ne s'agit
ici que de l'une des normes de ce genre. Elle porte
sur les substances dangereuses, mais il ne faut pas
en déduire qu'elle est censée traiter de ce domaine
de façon exhaustive. Ce mandat me semble per
' Le fondement juridique de la Norme se trouve à l'alinéa
7(1)g) de la Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970,
chap. F-10 et ses modifications:
7. (1) Sous réserve des dispositions de tout texte législatif
concernant les pouvoirs et fonctions d'un employeur distinct,
mais nonobstant quelque autre disposition contenue dans tout
texte législatif, le conseil du Trésor peut, dans l'exercice de
ses fonctions relatives à la direction du personnel de la
fonction publique, notamment ses fonctions en matière de
relations entre employeur et employés dans la fonction publi-
que, et sans limiter la généralité des articles 5 et 6,
g) établir des normes régissant les conditions physiques de
travail, d'hygiène et de sécurité, en ce qui concerne les
personnes employées dans la fonction publique, et en pré-
voir l'application;
mettre l'établissement d'autant de normes diffé-
rentes régissant diverses substances dangereuses
qu'on peut l'estimer nécessaire ou souhaitable.
L'article 42 de la convention collective concernée
prévoyait l'incorporation de cette norme dans la
convention et, une fois cela fait, ses mesures de
protection s'étendaient au groupe des commis aux
écritures et aux règlements. La Norme est ainsi
devenue partie intégrante de la convention collec
tive conclue entre les parties et doit être interpré-
tée comme telle plutôt que comme un texte
législatif.
L'intimé est commis aux écritures. À l'époque
où le grief a pris naissance, il travaillait au bureau
régional de l'Ontario du ministère de la Santé
nationale et du Bien-être social, dans la région
métropolitaine de Toronto. Sa plainte mentionne
principalement qu'il a été exposé à la fumée secon-
daire de la cigarette dans son lieu de travail et que
celle-ci représentait un danger pour sa santé. L'ar-
bitre est arrivé aux conclusions de fait suivantes en
ce qui concerne la présence de la fumée de ciga
rette dans les secteurs de travail de l'intimé (Dos-
sier d'appel, vol. III, pages 719b et 720):
4. Dix-sept personnes (y compris M. Wilson) travaillaient
dans le lieu aménagé au 789, chemin Don Mills. Le nombre
d'employés en poste est resté le même du 1r avril 1983 jusqu'à
l'audition de la présente cause même si, entre-temps, plusieurs
employés sont partis ou se sont ajoutés au groupe. Durant cette
même période, il y avait de six à huit fumeurs dans le lieu de
travail de Peter Wilson. Deux fumeurs étaient postés à six pieds
ou moins de son bureau, et chacun d'eux fumait un demi-
paquet de cigarettes par jour. De plus, deux fumeurs travail-
laient dans la section des ordinateurs, une autre section de la
Direction générale qui était aménagée non loin du poste de
Peter Wilson. Ce sont surtout des bureaux ouverts qui occu-
paient le sixième étage de l'immeuble situé au 789, chemin Don
Mills. Certains des employés mais pas tous étaient séparés des
autres par des cloisons de cinq pieds de hauteur; Peter Wilson
était l'un d'eux. Dans l'immeuble du chemin Don Mills, la
section de M. Wilson couvrait une superficie d'environ 1 500 à
1 700 pieds carrés.
5. En novembre 1984, le lieu de travail de Peter Wilson a été
déménagé dans la partie nord du 11e étage du 200, Town
Centre Court, à Scarborough. M. Wilson n'a pas mesuré
l'espace qu'il y occupait, mais il a obtenu du ministère des
Travaux publics un plan d'étage sur lequel il a indiqué les
limites de son lieu de travail (pièce G-5). Celui-ci s'étendait sur
une superficie de 1 400 à 1 500 pieds carrés. Un couloir orienté
en direction nord communique avec une salle d'accueil aména-
gée dans le coin sud-ouest de l'immeuble, qui donne sur le lieu
de travail de M. Wilson. Ce couloir est séparé du mur ouest de
l'édifice par des bureaux et il longe une grande salle de
conférences. Le nombre précis de fumeurs qui travaillent dans
cette partie de l'immeuble est inconnu.
6. En février 1985, le nombre d'employés travaillant dans la
section de Peter Wilson a été porté à 19. Six d'entre eux
fumaient. Avec le temps, le nombre de fumeurs a diminué au
point où, pendant trois mois, il ne restait que quatre fumeurs,
mais ce nombre a été porté de nouveau à six. Les six fumeurs
n'étaient pas censés demeurer en poste. Deux d'entre eux
étaient des employés nommés pour une période déterminée et
devaient cesser de travailler à la fin de septembre, et un
troisième devait quitter son poste à la suite d'une promotion.
La preuve présentée à l'audience par l'intimé a
porté principalement sur le danger que présentait
pour sa santé la fumée de cigarette produite par
ses compagnons de travail, c'est-à-dire la fumée
«secondaire» ou «latérale». La preuve définit cette
sorte de fumée comme la partie de la fumée du
tabac qui émane de l'extrémité incandescente
d'une cigarette et se propage directement dans
l'air. Elle se distingue de la fumée «primaire», qui
est la fumée inhalée directement dans les poumons
par le fumeur, et de la fumée «primaire exhalée»,
qui est la partie de la fumée primaire qui n'est pas
retenue dans les poumons du fumeur.
L'audience a duré longtemps, soit plus de huit
jours. La preuve produite est venue en grande
partie de témoins experts cités par les deux parties.
Elle est analysée de façon très approfondie par
l'arbitre. À la fin, il est arrivé aux conclusions
suivantes (Dossier d'appel, vol. III, pages 805b et
806):
137. J'ai procédé à une analyse attentive de tous les témoi-
gnages d'expert et j'en suis venu à la conclusion que, selon la
prépondérance des probabilités, les preuves présentées au nom
de l'employé s'estimant lésé démontrent l'existence d'une corré-
lation statistique importante entre l'exposition à la fumée rési-
duelle et l'augmentation de l'incidence des cancers du poumon.
Par conséquent, je conclus que la fumée résiduelle du tabac est
une «substance dangereuse» au sens de la Norme.
138. Comme la fumée résiduelle de tabac peut être transpor-
tée dans l'air, elle doit être circonscrite aussi près que possible
de sa source, en conformité avec le paragraphe 12 de la Norme.
L'employeur a contrevenu à cette disposition, car il n'a pas
tenté de circonscrire la fumée résiduelle circulant dans le lieu
de travail de l'employé s'estimant lésé aussi près que possible de
sa source. Le seul moyen possible par lequel il pourrait satis-
faire à cette obligation consiste à aménager des locaux dotés
d'un système de ventilation distinct pour les fumeurs qui doi-
vent travailler dans les mêmes lieux que M. Wilson.
139. Les locaux où travaillait l'employé s'estimant lésé
étaient contaminés par la fumée résiduelle de tabac. Ainsi,
l'employeur avait l'obligation, aux termes du paragraphe 15 de
la Norme, d'échantillonner et d'analyser l'air des locaux aussi
souvent que nécessaire pour s'assurer que le degré de pollution
ne dépassait en aucun cas les seuils admissibles prescrits par les
paragraphes 13 et 14, ou aussi souvent que le recommande
Travail Canada ou Santé et Bien-être social Canada. Il ressort
de la preuve que l'employeur n'a procédé qu'à des analyses
sommaires de la qualité de l'air dans le lieu de travail de
l'employé s'estimant lésé et, en particulier, qu'il n'a effectué
aucune analyse pour déceler la présence de 4-aminobiphényle et
de bêta-naphtylamine, deux substances pour lesquelles aucune
forme d'exposition ne doit être permise [TRADUCTION] «
par quelque voie que ce soit—respiratoire, cutanée ou orale,
pouvant être détectée à l'aide des méthodes les plus pous-
sées », d'après les valeurs limites d'exposition publiées par
l'American Conference of Governmental Industrial Hygienists,
qui ont été incorporées dans la Norme par voie de référence
(pièce G-14, page 41). Pour ces motifs, je conclus que l'em-
ployeur a violé le paragraphe 15 de la Norme.
Si je comprends bien, l'arbitre a procédé en deux
étapes dans ses conclusions. Il a jugé première-
ment que la fumée secondaire de la cigarette cons-
titue une «substance dangereuse» au sens de l'ali-
néa 5(1) de la Norme et deuxièmement qu'il y a eu
violation des paragraphes 12 et 15. La définition
de «substance dangereuse» énoncée à l'alinéa 5(1)
est libellée ainsi:
5. Dans la présente norme, l'expression
(6) «substance dangereuse» désigne toute substance qui, à
cause de l'une de ses propriétés, peut présenter un danger
pour la santé ou la sécurité d'une personne qui y est exposée;
Quant aux paragraphes 12 à 15, ils sont rédigés
ainsi:
12. Toute substance dangereuse susceptible d'être transpor-
tée dans l'air doit être circonscrite aussi près que possible de la
source de cette substance.
13. Sous réserve du paragraphe 14, chaque ministère doit
s'assurer que la concentration d'une substance dangereuse qui
peut être transportée dans l'air dans le secteur de travail d'un
employé
(1) ne dépasse pas l'intensité du seuil de danger recomman-
dée par l'American Conference of Governmental Industrial
Hygienists dans la brochure intitulée «Threshold Limit
Values for Air Borne Contaminants 1976» et dans les modifi
cations qui s'y rattachent; ou
(2) est conforme à toute norme qui est en accord avec les
bonnes pratiques de la sécurité au travail et qui est recom-
mandée par Travail Canada ou Santé et Bien-être social
Canada.
14. Sauf en ce qui concerne les substances dangereuses que
l'American Conference of Governmental Industrial Hygienists
a classées dans la catégorie «C», la concentration des substances
dangereuses qui peuvent être transportées dans l'air peut dépas-
ser, dans le secteur où travaille un employé l'intensité du seuil
de danger dont il est fait mention dans le paragraphe 13 durant
une période calculée selon une formule qui est
(1) prescrite par l'American Conference of Governmental
Industrial Hygienists, ou
(2) recommandée par Travail Canada ou Santé et Bien-être
social Canada.
15. Lorsque l'air d'un secteur de travail d'un employé est
susceptible d'être pollué par une substance dangereuse, un
échantillon doit en être prélevé et analysé par une personne
qualifiée aussi souvent
(1) qu'il est nécessaire pour garantir que le degré de pollu
tion ne dépasse pas les seuils admissibles, prescrits par les
paragraphes 13 et 14; ou
(2) que le recommande Travail Canada ou Santé et Bien-être
social Canada.
La question que nous devons trancher n'est pas
de savoir si la fumée secondaire de la cigarette
circulant dans le lieu de travail est dangereuse
pour la santé de l'intimé. L'arbitre était nettement
d'avis qu'elle l'était, et le bien-fondé de cette con
clusion n'est pas contesté. Par ailleurs, la requé-
rante soutient que, en appliquant les paragraphes
12 et 15, l'arbitre a commis une erreur parce qu'il
n'a pas tenu compte de nombreuses autres parties
de la Norme qui mènent à une conclusion con-
traire. Il n'est pas ici question de déterminer s'il est
souhaitable ou non de protéger l'intimé de la
fumée secondaire de la cigarette. Notre mandat se
limite à celui qui est énoncé à l'alinéa 28(1)b) de
la Loi sur la Cour fédérale, c'est-à-dire à détermi-
ner si l'arbitre «a rendu une décision ou une ordon-
nance entachée d'une erreur de droit» 2 . Nous ne
pouvons faire ni plus ni moins. Comme l'existence
d'une violation du paragraphe 15 dépend de la
conclusion selon laquelle le paragraphe 12 s'appli-
que, il nous suffit de déterminer si une erreur de
droit a été commise dans l'interprétation de ce
dernier paragraphe.
Je voudrais d'abord exposer ma conception de la
façon correcte en droit d'aborder l'interprétation
de la Norme. Cette dernière fait partie d'une
convention collective à laquelle s'appliquent les
règles ordinaires d'interprétation. J'ai tenu compte
du conseil de lord Reed selon lequel les règles
2 28. (1) Nonobstant l'article 18 ou les dispositions de toute
autre loi, la Cour d'appel a compétence pour entendre et juger
une demande d'examen et d'annulation d'une décision ou
ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance de nature
administrative qui n'est pas légalement soumise à un processus
judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un office, une com
mission ou un autre tribunal fédéral ou à l'occasion de procédu-
res devant un office, une commission ou un autre tribunal
fédéral, au motif que l'office, la commission ou le tribunal
b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une
erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du
dossier; ou
d'interprétation ne doivent pas être appliquées ser-
vilement. Ce sont, disait-il, [TRADUCTION] «des
supports de l'interprétation, des présomptions ou
des indices»; ce sont [TRADUCTION] «nos serviteurs
et non pas nos maîtres» (Maunsell v. Olins, [1975]
A.C. 373 (H.L.), à la page 382). L'objet véritable
d'une disposition contractuelle doit être interprété
en tenant compte des différentes parties du docu
ment. C'est, me semble-t-il, l'approche qui a été
adoptée par la Cour suprême du Canada dans
l'interprétation d'un contrat dans Hillis Oil and
Sales Ltd. c. Wynn's Canada, Ltd., [ 1986] 1
R.C.S. 57, où le juge Le Dain a dit au nom de la
Cour (à la page 66):
Si l'article 23 était le seul article relatif à la résiliation dans
les contrats de distribution, il devrait, je crois, s'interpréter
comme autorisant la résiliation avec ou sans motif par l'une ou
l'autre des parties avec effet immédiat. Mais l'article 23 ne
peut être considéré isolément; il faut l'interpréter dans le
contexte de l'ensemble du contrat et, en particulier, des autres
dispositions relatives à la résiliation à l'article 20. Le juge Estey
a énoncé le principe général dans l'arrêt Exportations Consoli
dated Bathurst Export Ltée c. Mutual Boiler and Machinery
Insurance Co., [1980] 1 R.C.S. 888, la p. 901, où il dit que
«les règles normales d'interprétation amènent une cour à
rechercher une interprétation qui, vu l'ensemble du contrat,
tend à traduire et à présenter l'intention véritable des parties au
moment où elles ont contracté». L'énoncé du juge Dickson
(alors juge puîné) dans l'arrêt McClelland and Stewart Ltd. c.
Mutual Life Assurance Co. of Canada, [1981] 2 R.C.S. 6, à la
p. 19, est particulièrement approprié:
Pris seuls et sans tenir compte de l'ensemble de la police,
les termes analogues employés dans la clause de suicide et
dans la déclaration constituent certainement un argument
puissant en faveur de la thèse de la compagnie d'assurances.
Il est cependant évident qu'on ne peut prendre ces mots
isolément et séparément. La question en jeu ne doit pas être
tranchée par un examen mécanique de deux expressions
séparées, mais plutôt par un examen de l'ensemble de la
police et de la déclaration.
Conscient de cette indication, je passe mainte-
nant à l'examen de l'approche adoptée par l'arbitre
dans son interprétation du paragraphe 12. Si je
comprends bien, il n'a pas vu la nécessité d'analy-
ser ce paragraphe en tenant compte de la Norme
dans son ensemble. L'alinéa 5(1) et les paragra-
phes 12 16, 20, 27, 28, 29, 34 et 49 étaient,
estimait-il, les seuls [TRADUCTION] «qui se rappor-
taient au grief» (Dossier d'appel, vol. III, page
800). A-t-il commis une erreur de droit en adop-
tant ce point de vue? Je serais d'avis qu'il n'a pas
commis d'erreur si une interprétation du document
dans son ensemble ne l'avait pas aidé à interpréter
le paragraphe 12.
La requérante soutient que la Norme visait à
protéger la santé et la sécurité des employés seule-
ment s'ils sont tenus de travailler ou viennent en
contact avec des substances dangereuses [TRADUC-
TION] «dans l'usage industriel de ces substances».
En toute déférence, je considère cette allégation
comme mal fondée car je ne puis trouver de raison
valable d'en limiter ainsi la portée. L'expression
«substance dangereuse» est définie de façon large.
Il est vrai que le dossier et plus particulièrement la
brochure (pièce G-4) mentionnée à l'alinéa 13(1)
de la Norme renvoient souvent aux notions suivan-
tes: [TRADUCTION] «expériences industrielles»
(industrial experience), «usage industriel» (indus-
trial use), «procédés industriels» (industrial pro
cesses), et même «substances industrielles» (indus-
trial substances). De plus, aux alinéas 11(1),
13(2), 16(2) et 22(2) de la Norme, il est question
de «bonnes pratiques de la sécurité au travail»
(«good industrial safety practice»). Mais cette
expression ne révèle pas nécessairement une inten
tion de limiter la protection aux substances dange-
reuses dont l'employeur fait un usage industriel.
La Norme a été élaborée en tenant compte de
nombreux groupes d'employés et d'une foule d'ac-
tivités différentes de l'employeur. En vertu du
paragraphe 1, elle s'applique à «tous les ministères
et les organismes de la Fonction publique» énumé-
rés dans la partie 1 de l'annexe 1 de la Loi sur les
relations de travail dans la Fonction publique.
Soixante-huit d'entre eux figurent sur cette liste.
Je ne doute pas que la Norme visait à protéger la
santé des employés contre l'utilisation industrielle
de substances dangereuses si, en effet, il se fait une
telle utilisation dans un lieu de travail particulier.
Mais la protection est plus large, à mon avis. On
visait à protéger la santé des employés contre la
présence dans le lieu de travail de toute substance
dangereuse à laquelle la Norme s'appliquerait par
ailleurs. La seule véritable question est de savoir si,
selon la Norme, la fumée secondaire de la ciga
rette est considérée comme une substance dange-
reuse.
Pour répondre à cette question, je prends
d'abord en considération le libellé du paragraphe
12. Il exige que toute substance dangereuse sus
ceptible d'être transportée dans l'air soit «circons-
crite aussi près que possible de la source de cette
substance» (c'est moi qui souligne). L'obligation en
incombe à l'employeur. Quelle en est alors l'éten-
due? Ce paragraphe l'oblige-t-il à circonscrire à
leurs sources toutes les substances dangereuses
susceptibles d'être transportées dans l'air dans le
lieu de travail? Doit-il, par exemple, protéger l'air
du lieu de travail des substances dangereuses pro-
duites par son voisin? J'ai de la peine à le croire. À
mon avis, le document considère que l'employeur
sera en mesure de faire tout ce qu'on attend de lui.
Lorsqu'une substance dangereuse requise dans le
lieu de travail est susceptible d'être transportée
dans l'air, l'employeur doit la circonscrire aussi
près que possible de l'endroit où elle est requise ou
gardée.
L'application de la Norme à une substance dan-
gereuse qui n'est pas requise dans le lieu de travail
est loin d'être une chose si évidente. Il en est
sûrement ainsi dans le cas de la fumée secondaire
de la cigarette. Le paragraphe 12 était-il censé
s'étendre également à celle-ci? L'employeur ne
peut pas s'en occuper tout à fait de la même façon
que dans le cas d'une substance qui lui appartient,
car il lui faut tenir compte des préoccupations de
tous les employés concernés—les fumeurs et égale-
ment les non-fumeurs. Un certain nombre de ques
tions viennent à l'esprit. Devrait-il, par exemple,
interdire de fumer dans le lieu de travail? Sinon,
devrait-il être permis de fumer seulement dans un
secteur prévu à cette fin? À quels moments, durant
les heures de travail, devrait-il être permis de
fumer à cet endroit et pendant combien de temps?
Les fumeurs devraient-ils subir une perte de rému-
nération pour le temps ainsi perdu? De plus, si les
locaux de travail comprennent des secteurs com-
muns à tous les employés (par exemple des salles à
manger, des toilettes, etc.), doivent-ils être inter-
dits aux fumeurs? Dans le cadre d'une convention
collective, ces questions seraient normalement con-
sidérées comme relevant de la négociation. Cepen-
dant, je ne puis trouver aucune mention les concer-
nant dans la convention collective. S'agit-il d'une
omission accidentelle? J'en doute. L'intimé sou-
tient (et l'arbitre en a convenu) que l'employeur ne
peut pas faire moins que d'appliquer à la fumée
secondaire de la cigarette le libellé plutôt vague du
paragraphe 12 compte tenu de la définition quel-
que peu tautologique de l'expression «substance
dangereuse». Je me demande si cela peut se faire
en toute sécurité sans prendre d'abord en considé-
ration le contexte plus large dans lequel s'inscrit ce
paragraphe parmi quarante-neuf autres en vue de
découvrir, dans la mesure du possible, si les parties
ont envisagé la fumée secondaire de la cigarette. Je
ne crois pas que nous puissions faire une telle
abstraction.
Je pense que c'est à ce point-ci que l'arbitre a
commis une erreur de droit car, en interprétant le
paragraphe 12, il lui aurait été très utile, à mon
avis, d'analyser d'autres parties de la Norme qui
désignent nettement et manifestement des sources
de substances dangereuses dans le lieu de travail.
Aucune d'entre elles n'a été considérée comme
pertinente par l'arbitre. Je songe aux sources indi-
quées dans les paragraphes suivants:
6. Il est interdit d'utiliser une substance dangereuse ou un
dispositif émettant des radiations s'il est raisonnablement possi
ble d'utiliser plutôt une substance ou un dispositif non
dangereux.
7. Lorsqu'il est nécessaire d'utiliser une substance dangereuse
ou un dispositif émettant des radiations et qu'il est possible d'en
obtenir plusieurs sortes, il faut, dans la mesure du possible,
utiliser la substance dangereuse ou le dispositif qui présente le
moins de danger.
8. Lorsque les opérations comportent l'utilisation, dans un
secteur quelconque, d'une substance dangereuse ou d'un dispo-
sitif émettant des radiations, il faut, dans la mesure du possible,
restreindre à ce secteur l'usage de cette substance ou de ce
dispositif de même que tout danger que présente un tel usage.
9. Lorsque les opérations nécessitent l'emmagasinage de
substances dangereuses dans un secteur quelconque, il faut,
dans la mesure du possible, emmagasiner ces substances de
façon à empêcher qu'une explosion, qu'un incendie ou que tout
autre accident dans ce secteur puisse avoir des répercussions
dans un secteur adjacent.
10. Il est interdit d'emmagasiner une substance dangereuse
près d'une autre substance lorsque le danger que présente la
substance dangereuse pourrait être, de ce fait, augmenté.
11. Dans la mesure du possible, la quantité de toute sub
stance dangereuse qui se trouve dans un secteur où elle est
utilisée, traitée ou fabriquée ne doit pas dépasser
(1) la quantité dictée par les bonnes pratiques de la sécurité
au travail, ou
(2) la quantité requise, dans ce secteur, pour une journée de
travail, la moindre de ces deux quantités étant retenue.
21. Il est interdit à un employé d'utiliser ou de manipuler, ou
d'être autorisé d'utiliser ou de manipuler une substance dange-
reuse ou un dispositif émettant des radiations lorsque l'utilisa-
tion ou la manipulation d'une telle substance ou d'un tel
dispositif expose l'employé à un danger, à moins que l'employé
n'ait été renseigné et initié quant
24. Lorsque le mode de manipulation, d'entreposage ou
d'utilisation, dans un secteur quelconque, d'une substance dan-
gereuse ou d'un dispositif émettant des radiations présente un
danger pour la sécurité ou la santé d'un employé qui pourrait se
trouver dans ce secteur, des écriteaux doivent être placés pour
prévenir du danger les personnes qui pénètrent dans le secteur.
25. Les ministères doivent s'assurer que
(1) les contenants mobiles servant à contenir une substance
dangereuse utilisée dans leur propriété sont conformes à la
prescription pertinente du Règlement sur le transport des
marchandises dangereuses par chemin de fer, établi par la
Commission canadienne des Transports, ou à une norme
applicable à un contenant mobile recommandée par Travail
Canada ou Santé et Bien-être social Canada;
(2) les contenants fixes pour l'emmagasinage d'une substance
dangereuse utilisée dans leur propriété sont conformes à la
prescription pertinente établie en vertu d'une loi de la pro
vince ou du territoire où se trouve le contenant ou à une
norme applicable à un contenant fixe pour l'emmagasinage
recommandée par Travail Canada ou Santé et Bien-être
social Canada;
(3) les contenants servant à contenir un dispositif émettant
des radiations qui est utilisé dans leur propriété sont confor-
mes aux prescriptions pertinentes du Bureau de la radiopro-
tection de Santé et Bien-être social Canada.
26. Tous les contenants qui servent à contenir une substance
dangereuse doivent être étiquetés ou marqués pour en indiquer
le contenu conformément
(1) aux prescriptions du Règlement sur le transport des
marchandises dangereuses par chemin de fer établi par la
Commission canadienne des Transports;
(2) aux recommandations contenues dans le Manufacturing
Chemists Association Guide to Precautionary Labelling of
Hazardous Chemicals;
(3) aux exigences du Règlement sur les produits dangereux
(substances dangereuses) du Canada ou à toute autre norme
d'étiquetage qui identifie par son nom populaire la substance
dangereuse qui se trouve dans le contenant et indique le ou
les principaux dangers que comporte cette substance. [C'est
moi qui souligne.]
Le début du paragraphe 37 mentionne toutes ces
différentes sources:
37. Dans la mesure du possible, les plans et la construction
d'un lieu où une substance dangereuse est fabriquée, manuten-
tionnée, emmagasinée, traitée ou utilisée doivent être tels que
... [C'est moi qui souligne.]
J'en ai conclu que le paragraphe 12 renvoie aux
substances dangereuses dont la source est indiquée
dans ces paragraphes et non à la fumée secondaire
de la cigarette. C'est-à-dire qu'il exige que l'em-
ployeur circonscrive toute substance dangereuse
susceptible d'être transportée dans l'air aussi près
que possible de l'endroit où elle est utilisée, emma-
gasinée ou traitée et, le cas échéant, de l'endroit où
elle est fabriquée ou manutentionnée par lui. Bien
que l'intimé recherche une interprétation plus
large, il a admis devant nous dans sa plaidoirie que
le paragraphe 12 s'applique à une substance dan-
gereuse se propageant dans l'air et provenant d'une
source de ce genre. En l'espèce, le danger pour la
santé de l'intimé vient non pas d'une substance
dangereuse provenant de l'une quelconque de ces
sources mais plutôt des habitudes personnelles de
ses collègues. Ce danger, ainsi que je le perçois,
n'est pas traité par la Norme, et l'arbitre a commis
une erreur de droit en jugeant que s'appliquent les
paragraphes 12 et 15.
J'accueillerais la présente demande, j'annulerais
la décision de l'arbitre en date du 20 décembre
1985 et je renverrais l'affaire devant lui pour le
motif que la fumée secondaire de la cigarette ne
constitue pas une substance dangereuse à laquelle
s'applique la Norme.
LE JUGE PRATTE: Je souscris aux présents
motifs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.