T-2652-85
Roy Anthony Roberts, C. Aubrey Roberts et John
Henderson estant en leur nom et au nom de tous
les autres membres de la bande indienne Wewaya-
kum, connue aussi sous le nom de bande indienne
de Campbell River (demandeurs)
c.
Sa Majesté la Reine, Ralph Dick, Daniel Billy,
Elmer Dick, Stephen Assu et James D. Wilson
poursuivis en leur nom et au nom de tous les
autres membres de la bande indienne Wewayakai,
connue aussi sous le nom de bande indienne de
Cape Mudge (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: ROBERTS C. CANADA
Division de première instance, juge Joyal—Van-
couver, 30 avril; Ottawa, 21 juillet 1986.
Compétence de la Cour fédérale — Division de première
instance — Demande visant à obtenir le rejet pour incompé-
tence de la Cour de l'action en violation du droit de propriété
intentée contre une bande indienne — Les décisions de la Cour
suprême du Canada ont imposé des restrictions à la compé-
tence de la Cour fédérale et ont entraîné la multiplication des
procédures — Dans des décisions plus récentes, la Cour
suprême et la Cour fédérale ont essayé de rétablir l'équilibre
entre les limites apportées par la Constitution et la possibilité
de statuer convenablement sur les points en litige — Lorsque
la Cour fédérale a compétence en vertu de la loi et que l'action
est fondée sur une législation fédérale valide, la Cour devrait
avoir compétence pour rendre une décision sur tous les points
en litige entre les parties — L'art. 17(1) de la Loi sur la Cour
fédérale permet à la Cour de se prononcer sur l'ensemble de la
cause d'action lorsque plus de deux parties sont concernées si
les faits sont «étroitement liés>., même si cela empiète sur le
droit provincial — La Loi sur les Indiens régit les droits
d'occupation et de possession — Ce n'est pas le droit fédéral
qui donne naissance à la cause d'action mais les droits et
obligations des parties doivent être déterminés dans une large
mesure par le droit fédéral — La mise en cause de la bande
défenderesse est indispensable pour rendre une décision sur le
litige — Demande rejetée — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C.
1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 17 — Loi sur les Indiens, S.R.C.
1970, chap. I-6, art. 2(1),(2), 18(1), 20(1),(2),(4),(5), 21, 30,
31(1),(3), 37, 39(1), 55(1), 58(1) — Règles de la Cour fédérale,
C.R.C., chap. 663.
Droit constitutionnel — Partage des pouvoirs — La doctrine
constitutionnelle suivant laquelle une loi fédérale adoptée en
vertu d'une rubrique relevant du pouvoir législatif fédéral peut
empiéter sur des domaines législatifs réservés aux provinces à
condition que la règle du caractère essentiel soit respectée est
appliquée à la compétence judiciaire — L'art. 101 de la Loi
constitutionnelle de 1867 porte que le pouvoir d'établir des
tribunaux pour assurer la meilleure administration des lois du
Canada peut être exercé «nonobstant toute disposition de la
présente loi» — Si la Cour fédérale a compétence en vertu de
la loi et que l'action est fondée sur une législation fédérale
valide, la Cour a implicitement compétence pour rendre une
décision sur tous les points en litige entre les parties — Loi
constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.)
(S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5] (mod. par la Loi de 1982 sur
le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitu-
tionnelle de 1982, n° 1), art. 91, 101.
Peuples autochtones — Terres — Réserve cédée à une autre
bande en 1888 — S'agissait-il d'une possession illégale? — La
Cour fédérale a compétence pour connaître d'une action inten-
tée contre une bande indienne pour violation du droit de
propriété des terres dans une réserve — La Loi sur les Indiens
régit les droits relatifs à l'usage et au bénéfice des terres des
réserves — Il est permis d'empiéter sur le droit applicable en
matière de violation du droit de propriété si la question en
litige est, quant à son caractère essentiel, un accessoire néces-
saire d'une loi fédérale valide — Droits et obligations déter-
minés dans une large mesure par le droit fédéral — Loi sur les
Indiens, S.R.C. 1970, chap. I-6, art. 2(1),(2), 18(1), 20(1),
(2),(4),(5), 21, 30, 31(1),(3), 37, 39(1), 55(1), 58(1).
La bande indienne demanderesse a intenté une action contre
la Couronne en vue d'obtenir un jugement déclaratoire portant
qu'une réserve lui appartenait. Ladite réserve avait été cédée à
une autre bande indienne en 1888 mais la demanderesse sou-
tient que la Couronne l'avait fait en violation de son obligation
fiduciaire en ce qui concerne les terres réservées aux Indiens.
La demanderesse cherche en outre à obtenir une injonction
permanente interdisant aux membres de la bande indienne de
Cape Mudge de s'introduire sans permission sur les terres
revendiquées. Cette dernière bande indienne demande une
ordonnance rejetant l'action intentée contre elle pour le motif
que la Cour n'a pas compétence pour en connaître.
Jugement: la demande devrait être rejetée.
Par suite des décisions de la Cour suprême du Canada dans
les arrêts Quebec North Shore Paper Co. et McNamara Cons
truction (Western) Ltd., la compétence de la Cour fédérale fait
l'objet d'un triple critère: (1) la loi qui crée la Cour lui
donne-t-elle compétence? (2) le litige concerne-t-il une loi
fédérale applicable? (3) la loi fédérale elle-même relève-t-elle
de la compétence législative du Parlement? Ce critère a donné
lieu à des problèmes d'ordre pratique et a entraîné notamment
la radiation d'un avis à la tierce partie pour défaut de compé-
tence: R. c. Thomas Fuller Construction Co. (1958), Ltd. et
autre. La compétence limitée de la Cour fédérale a eu notam-
ment comme conséquences la multiplication des procédures,
l'augmentation des frais et des difficultés quant aux délais de
prescription. Depuis ces décisions, on a réussi à quelques repri
ses à rétablir l'équilibre entre les limites apportées par la
Constitution et la possibilité de statuer convenablement sur les
points en litige. Dans les arrêts Rhine et Prytula, la Cour a
statué que, même si les actions intentées par la Couronne
reposaient sur des engagements contractuels, la législation fédé-
rale pertinente régissait chaque aspect des liens existant entre
les parties. Le juge en chef Laskin a dit qu'on ne peut invaria-
blement attribuer les «contrats» ou les délits ou quasi-délits au
contrôle législatif provincial exclusif, ni les considérer, de même
que la common law, comme des matières ressortissant exclusi-
vement au droit provincial. Ces décisions indiquent peut-être
que la Cour suprême est désireuse d'adopter une position
similaire à celle adoptée dans l'arrêt Bensol Customs Brokers
où on a statué qu'il devrait être suffisant que les droits et
obligations des parties soient déterminés dans une large mesure
par le droit fédéral. Il n'est pas nécessaire que la cause d'action
tire son origine du droit fédéral du moment que celui-ci lui est
applicable. Dans l'affaire Marshall c. La Reine, le juge Reed a
invoqué les mots «cas où l'on demande contre la Couronne un
redressement» qui figurent au paragraphe 17(1) de la Loi sur la
Cour fédérale pour conclure que la Cour avait compétence sur
l'ensemble de l'affaire lorsque les actions sont si entremêlées
que les conclusions de fait tirées à l'égard d'un défendeur sont
étroitement liées à celles qui devraient l'être quant à l'autre.
D'un point de vue pratique, si un requérant doit, en raison
d'un impératif législatif, s'adresser à la Cour fédérale à l'exclu-
sion de tout autre tribunal pour obtenir un redressement contre
la Couronne fédérale, ce redressement devrait viser toutes les
questions qui sont essentielles pour les fins de la décision finale.
Un fractionnement du litige impose un fardeau trop lourd au
requérant, donne lieu à deux actions distinctes sur les mêmes
questions de fait et pourrait entraîner des décisions contradic-
toires. Bien que ces questions corrélatives pourraient entrer
dans les domaines de compétence législative fédérale, il est
depuis longtemps établi dans la doctrine constitutionnelle
qu'une loi fédérale adoptée en vertu d'une rubrique relevant du
pouvoir législatif fédéral peut empiéter sur un domaine législa-
tif réservé exclusivement aux provinces et que les conditions et
exigences de cette loi n'en sont pas moins valides pour autant
que la règle du caractère essentiel de la loi est respectée. On
pourrait appliquer la même doctrine constitutionnelle lorsqu'il
s'agit de compétence judiciaire. La Cour fédérale est censée
avoir été établie pour assurer la meilleure administration de la
justice. Les principes dégagés dans les arrêts McNamara et
Fuller conduisent à une véritable impasse à laquelle il faut
remédier de toute urgence. Dans un effort pour atténuer les
effets de l'arrêt Fuller, on pourrait conclure que si la compé-
tence conférée par la loi à la Cour fédérale ne fait aucun doute
et si la législation fédérale applicable qui sert de fondement à
une action est valide, la Cour aurait implicitement compétence
pour rendre une décision finale sur tous les points en litige entre
les parties. Cela ne veut pas dire que le simple fait d'intenter
une action devant la Cour fédérale confère à celle-ci une
compétence universelle et incontestable. Cela laisse supposer
qu'il est possible d'examiner les faits particuliers en cause
lorsque plus de deux parties sont concernées, et le paragraphe
17(1) de la Loi sur la Cour fédérale permet à la Cour de se
prononcer sur l'ensemble de la cause d'action lorsque ces faits
sont très «étroitement liés». Si l'ensemble des points en litige et
des faits exige la tenue d'un procès commun et le prononcé
d'une décision finale, il importe peu qu'une question empiète
sur le droit provincial pour autant que cette question soit, quant
à son caractère essentiel, un accessoire nécessaire d'une loi
fédérale valide et de la position relative des parties quant à
celle-ci.
Il faut déterminer le droit à l'usage et au bénéfice d'une
réserve en se fondant sur la Loi sur les Indiens. L'action
intentée est fondée sur la violation du droit de propriété. Il est
nécessaire pour prouver la violation du droit de propriété de
déterminer qui a droit à la possession du terrain. Ce n'est pas le
droit fédéral qui donne naissance à la cause d'action. Les droits
et les obligations des parties doivent toutefois être déterminés
dans une large mesure par le droit fédéral comme l'exige le
critère dégagé dans l'affaire Bensol. Le droit de posséder une
réserve ne peut être établi qu'en vertu de la Loi sur les Indiens.
Le résultat ressemble donc à celui de l'affaire Marshall où il a
été jugé que les conclusions de fait qui seraient tirées à l'égard
de l'un des défendeurs sont étroitement liées à celles qui
devraient l'être quant à l'autre. La véritable question en litige
doit donc être examinée. Les droits des deux bandes indiennes
découlent de la Loi sur les Indiens. C'est la Couronne qui a
attribué la réserve n° 12 et c'est contre la Couronne que le
principal redressement est demandé. La mise en cause de la
bande défenderesse est la mesure à prendre pour assurer que
tous les aspects du litige soient soumis à la Cour de manière à
mieux servir tous les intérêts divergents des véritables parties
au litige et à permettre d'arriver plus rapidement à une solu
tion. Il est indispensable que la bande défenderesse prenne part
au procès.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Bensol Customs Brokers Ltd. c. Air Canada, [1979] 2
C.F. 575 (C.A.); Marshall c. La Reine, [1986] 1 C.F.
437 (1" inst.); Little Chief c. Canada (procureur géné-
ral), jugement en date du 11 juin 1986, Cour fédérale,
Division de première instance, T-2102-85, encore inédit;
Joe et autres en leur qualité personnelle et au nom de la
bande Conne River et de la collectivité indienne Micmac
de Conne River c. Gouvernement du Canada (1983), 49
N.R. 198 (C.A.F.); Joe et al. v. Findlay (1978), 87
D.L.R. (3d) 239 (C.S.C.-B.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Quebec North Shore Paper Co. et autre c. Canadien
Pacifique Ltée et autre, [1977] 2 R.C.S. 1054; (1976), 71
D.L.R. (3d) 111; McNamara Construction (Western)
Ltd. et autre c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654; R. c.
Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd. et autre,
[1980] 1 R.C.S. 695; (1979), 106 D.L.R. (3d) 193; Rhine
c. La Reine; Prytula c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 442.
DÉCISIONS CITÉES:
Pacific Western Airlines Ltd. c. R., [1979] 2 C.F. 476
(1" inst.); La bande indienne de Lubicon Lake c. R.,
[1981] 2 C.F. 317 (1"° inst.); Guerin et autres c. La Reine
et autre, [1984] 2 R.C.S. 335; Succession Stephens c.
Ministre du Revenu national, Wilkie, Morrison, Smith,
Stratham (shérif adjoint, comté d'Oxford), agent Ross et
Davidson (1982), 40 N.R. 620 (C.A.F.).
AVOCATS:
A. G. Henderson, Lewis F. Harvey et A. Fung
pour les demandeurs.
Leonard Cohen pour la Reine, défenderesse.
John D. McAlpine, c.r. et David Paterson
pour tous les autres défendeurs.
PROCUREURS:
Davis & Company, Vancouver, pour les
demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour la
Reine, défenderesse.
McAlpine & Hordo, Vancouver, pour tous les
autres défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE JOYAL: La présente demande, qui a
fait l'objet d'un débat animé à Vancouver le 30
avril 1986, soulève encore une fois la question de la
compétence de la Cour fédérale, question qui prête
à une certaine confusion.
Le litige concerne essentiellement le droit de
possession d'une bande indienne sur les terres
d'une réserve particulière. Les demandeurs sont
membres de la bande indienne Wewayakum,
connue aussi sous le nom de bande indienne de
Campbell River. Le 2 décembre 1985, les deman-
deurs, que nous appellerons la bande demande-
resse, ont intenté devant cette Cour une action
contre la Couronne fédérale en vue d'obtenir un
jugement déclaratoire portant que la réserve
indienne n° 12 leur appartenait. Ladite réserve n°
12 avait été cédée à une autre bande indienne en
1888 et, selon la demanderesse, cette possession
par autrui était illégale et contraire à l'obligation
fiduciaire imposée à la Couronne fédérale pour ce
qui est des terres réservées aux Indiens.
Une action contre les occupants actuels de la
réserve n° 12, les membres de la bande indienne
Wewayakai connue aussi sous le nom de bande
indienne de Cape Mudge, a été jointe à l'action
intentée contre la Couronne par la demanderesse
en vue d'obtenir un jugement déclaratoire portant
que ladite réserve n° 12 lui appartenait légalement
et, accessoirement, demandant des dommages-
intérêts. Le redressement demandé contre cette
bande, que nous appellerons la bande défenderesse,
était une injonction permanente interdisant à ses
membres de s'introduire sans permission sur la
réserve n° 12.
Le 28 février 1986, la Couronne fédérale a
déposé sa défense en réponse à la déclaration de la
bande demanderesse. Le 11 mars 1986, la bande
défenderesse a demandé en vertu des Règles de la
Cour [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap.
663] une ordonnance rejetant l'action intentée
contre elle pour le motif que la Cour fédérale n'a
pas compétence pour accorder le redressement
recherché.
La compétence de la Cour fédérale concernant
les terres réservées aux Indiens ne fait aucun
doute. A cet égard, la bande demanderesse a
intenté son action contre la Couronne fédérale
devant la Cour compétente. Le litige consiste tou-
tefois à déterminer si la Cour fédérale a compé-
tence pour se prononcer sur l'allégation de viola
tion du droit de propriété soulevée contre la bande
défenderesse.
Le problème qui se pose en l'espèce est que la
Cour fédérale est un tribunal créé par la loi ne
possédant aucune compétence inhérente. On a à
l'occasion apporté des limites à cette compétence,
si bien que la Cour a souvent été dans l'impossibi-
lité de trancher les véritables points en litige entre
les parties pour le motif que l'examen de ces
questions devait nécessairement toucher un
domaine où la compétence inhérente des cours
supérieures des provinces prévalait. -
Le corollaire d'un tel principe de primauté est
que la compétence de la Cour fédérale doit décou-
ler non seulement de la loi fédérale qui l'a créée
(voir la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e
Supp.), chap. 10) mais aussi du pouvoir de créer
cette cour et de définir les limites de sa compé-
tence, pouvoir qui a été conféré au Parlement par
l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867
[30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970,
Appendice II, n° 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi
constitutionnelle de 1982, n° 1)].
Les décisions capitales qui ont examiné la com-
pétence de la Cour fédérale sont les arrêts Quebec
North Shore Paper Co. et autre c. Canadien Paci-
fique Ltée et autre, [1977] 2 R.C.S. 1054; (1976),
71 D.L.R. (3d) 111, et McNaniara Construction
(Western) Ltd. et autre c. La Reine, [1977] 2
R.C.S. 654. Dans ce dernier arrêt, la Cour
suprême du Canada a statué que le pouvoir con-
féré au Parlement par la Constitution lui permet-
tant d'établir des tribunaux afin d'assurer la meil-
leure administration des lois du Canada se limitait
aux poursuites fondées sur la législation fédérale
applicable. Un tribunal ne pouvait prétendre avoir
compétence pour le simple motif que le litige
entrait dans les domaines de compétence législa-
tive attribués au fédéral par l'article 91 de la Loi
constitutionnelle de 1867, mais il devait se fonder
sur une loi fédérale applicable et dûment adoptée.
Cela signifait que la compétence de la Cour
fédérale devait faire l'objet d'un triple critère,
c'est-à-dire qu'il faut se demander tout d'abord si
la loi qui crée la Cour fédérale lui donne compé-
tence, ensuite si le litige concerne une loi fédérale
applicable et finalement, si la loi fédérale elle-
même relève de la compétence législative du
Parlement.
Depuis cette décision, il est arrivé à de nombreu-
ses reprises dans des actions mettant en cause la
Couronne fédérale que la compétence de la Cour
fédérale ne pouvait satisfaire à ce critère. Les
conséquences ont été particulièrement graves lors-
qu'une action intentée pour ou contre la Couronne
touchait en même temps des tierces parties. Tel a
été le problème dans l'arrêt R. c. Thomas Fuller
Construction Co. (1958) Ltd. et autre, [1980] 1
R.C.S. 695; (1979), 106 D.L.R. (3d) 193.
C'est dans cet arrêt que la Couronne qui était
partie défenderesse à une action intentée par son
entrepreneur a cherché à mettre en cause comme
tierce partie un autre entrepreneur, Fuller, en
réclamant à celui-ci une indemnité pour tous les
dommages-intérêts qu'elle pourrait être appelée à
payer à l'entrepreneur demandeur. Cette procé-
dure contre la tierce partie a été annulée pour le
motif qu'il ne reposait pas sur le droit fédéral et
que la Cour fédérale n'avait pas compétence pour
se prononcer sur celui-ci.
La dichotomie de la compétence de la Cour
fédérale à cet égard a produit les effets redoutés et
réels et elle a créé pour les parties aux prises avec
une action intentée pour ou contre la Couronne
fédérale un dilemme décisionnel important. Elle a
ouvert la voie à la multiplication des procédures, à
l'expiration des délais de prescription et à l'accu-
mulation de frais excessifs. Cela signifiait que les
faits d'une situation particulière pouvaient dispa-
raître sous une avalanche d'abstractions juridiques
alors que notre système judiciaire est après tout
supposé servir les parties, et que celles-ci étaient
contrées dans leurs tentatives de faire trancher
leur différend par les tribunaux.
La confusion totale entre la Loi sur la Cour
fédérale, la législation fédérale applicable et les
limites constitutionnelles apportées au pouvoir du
Parlement d'établir des tribunaux était telle qu'elle
a donné lieu à certains commentaires assez criti
ques. Le professeur P. W. Hogg a jeté un regard
désapprobateur sur cette situation dans un article
paru en 1977 dans la Revue du Barreau canadien
(voir «Constitutional Law—Limits of Federal
Court Jurisdiction—Is there a Federal Common
Law?» (1977), 55 R. du B. can. 550). Le profes-
seur J. M. Evans, qui a adopté les termes utilisés
par le juge Collier pour qualifier la situation de
«lamentable» dans l'affaire Pacific Western Air
lines Ltd. c. R., [1979] 2 C.F. 476 (1« inst.), s'est
livré à une analyse critique plus globale dans
«Federal Jurisdiction—A Lamentable Situation»
(1981), 59 R. du B. can. 124.
Les commentaires du juge Martland dans le
jugement dissident qu'il a rendu dans l'arrêt Fuller
sont encore plus intéressants. Étant donné qu'une
action et une procédure de mise en cause, c'est-à-
dire l'action intentée par McNamara contre la
Couronne et la procédure de mise en cause enga
gée par la Couronne contre Fuller, sont deux
instances distinctes, le juge a affirmé que l'on ne
pouvait pas faire abstraction des liens entre ces
procédures. Il a ajouté aux pages 706 R.C.S.; 200
et 201 D.L.R.:
Mon opinion à cet égard est renforcée par un examen de la
conséquence plutôt alarmante qui découlerait de l'autre point
de vue. Les poursuites contre Sa Majesté doivent être intentées
en Cour fédérale qui, en vertu des par. 17(1) et (2) de la Loi
sur la Cour fédérale, a compétence exclusive à leur égard. Si
Sa Majesté ne peut engager de procédures de mise en cause
devant la Cour fédérale, lorsque la réclamation contre elle est
fondée sur la négligence, cela signifiera que toute la question
devra être réentendue par une autre cour. En Ontario du moins,
si Sa Majesté fondait une demande de contribution sur The
Negligence Act de l'Ontario, étant donné l'arrêt Cohen v.
McCord, elle ne pourrait se faire entendre et n'aurait plus
aucun recours.
Le juge Martland a également trouvé rassurante
la dernière remarque de feu le juge en chef Laskin
dans l'arrêt McNamara (précité, à la page 664):
Je tiens toutefois à souligner que si la Cour fédérale avait eu
compétence, il est assez vraisemblable que les demandes de
contributions ou d'indemnités auraient été recevables, du moins
entre les parties, dans la mesure où la législation fédérale
pertinente s'appliquait aux questions soulevées en l'espèce.
Depuis que les décisions capitales précitées ont
été rendues, il semble que l'on ait réussi à quelques
reprises à rétablir l'équilibre visant à respecter
d'une part les limites apportées par la Constitution
et, d'autre part, les conditions essentielles qui per-
mettent de statuer de la manière appropriée sur les
points en litige. Dans l'arrêt Rhine c. La Reine et
Prytula c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 442, la Cour
a statué que même si les actions intentées par la
Couronne reposaient sur des engagements contrac-
tuels, la législation fédérale pertinente dans ces
cas, la Loi sur les paiements anticipés pour le
grain des Prairies, S.R.C. 1970, chap. P-18 et la
Loi canadienne sur les prêts aux étudiants, S.R.C.
1970, chap. S-17, régissaient chaque aspect des
liens existant entre les parties et, par conséquent,
les demandes de redressement avaient été présen-
tées en vertu d'une loi fédérale applicable. Le juge
en chef Laskin disait au nom de la Cour à la page
447:
Est-il nécessaire d'ajouter qu'on ne peut invariablement attri-
buer les «contrats» ou les autres créations juridiques, comme les
délits et quasi-délits, au contrôle législatif provincial exclusif, ni
les considérer, de même que la common law, comme des
matières ressortissant exclusivement au droit provincial.
Le professeur Evans laisse entendre, dans l'arti-
cle que j'ai déjà mentionné, que ces deux décisions
indiquent peut-être que la Cour suprême du
Canada est désireuse d'adopter une position simi-
laire à celle du juge Le Dain qui disait à la page
583 de l'arrêt Bensol Customs Brokers Ltd. c. Air
Canada, [1979] 2 C.F. 575 (C.A.):
Il devrait être suffisant, à mon avis, que les droits et obligations
des parties soient déterminés jusqu'à un certain point par le
droit fédéral. Il ne devrait pas être nécessaire que la cause
d'action tire son origine du droit fédéral du moment que
celui-ci lui est applicable.
Une décision plus récente, Marshall c. La
Reine, [1986] 1 C.F. 437 (1« inst.), a été rendue
par madame le juge Reed le 19 novembre 1985
(T-1085-85); il s'agit d'une action que la demande-
resse a intentée contre son employeur, la Couronne
fédérale, et contre son syndicat, l'Alliance de la
Fonction publique, par suite de la perte de son
emploi. La demanderesse a allégué que le syndicat
avait agi de connivence avec son employeur pour la
priver de l'exercice de ses droits ou pour commet-
tre des actes préjudiciables.
Le syndicat a présenté une demande visant à
faire radier les plaidoiries à son égard pour le
motif qu'il s'agissait d'une action en responsabilité
délictuelle fondée sur le droit provincial et que la
Cour fédérale n'avait pas compétence pour connaî-
tre d'une telle action.
En rejetant la demande, madame le juge Reed a
conclu que, du point de vue de l'interprétation
législative, la Loi sur la Cour fédérale permettait
à la Cour fédérale d'entendre le litige. Voici son
raisonnement [aux pages 447 449]:
Il s'agit donc de déterminer si, en raison de la compétence
conférée à la Cour fédérale par le paragraphe 17(1), un deman-
deur peut poursuivre en même temps la Couronne et l'un de ses
sujets devant ladite Cour lorsque les causes d'action contre
chacun d'eux sont aussi étroitement liées qu'en l'espèce ... Il
semble, à la simple lecture de cet article, qu'on ait voulu
conférer une telle compétence puisqu'elle porte sur les «cas où
l'on demande contre la Couronne un redressement». Cette
compétence ne vise pas seulement les «réclamations contre la
Couronne» comme semble l'exiger une interprétation plus
étroite.
Que le Parlement ait eu l'intention de donner cette portée
plus large à l'article est une conclusion qui non seulement
semble ressortir de son libellé mais peut en outre être raisonna-
blement tirée du fait que certaines actions contre la Couronne
fédérale doivent être intentées devant la Cour fédérale exclusi-
vement. Il semble peu probable que le Parlement ait eu l'inten-
tion de désavantager les personnes qui se trouvent dans la
situation de la demanderesse en les contraignant à diviser une
cause d'action unique et à en faire valoir une partie devant la
Cour fédérale et l'autre devant les tribunaux supérieurs des
provinces. Si telle était l'intention du Parlement, cela aurait
pour conséquence d'exposer un demandeur, se trouvant dans
une situation semblable à celle de la demanderesse en l'espèce,
à des conclusions différentes, et même contradictoires, devant
des tribunaux différents et de créer des embûches juridiction-
nelles et financières à l'endroit de ces personnes si elles déci-
daient de poursuivre la Couronne fédérale. Je ne crois pas que
c'était là l'intention du Parlement. Bien qu'il ne fasse aucun
doute que la compétence des tribunaux statutaires est interpré-
tée strictement en ce qu'ils ne sont pas des tribunaux possédant
une compétence inhérente, il est bon de se rappeler que l'article
11 de la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23, exige
que l'on interprète les lois fédérales de la manière la plus propre
à assurer la réalisation de leurs objets. En conséquence, il
semblerait que l'on doive considérer que le paragraphe 17(1)
confère à la Cour fédérale compétence sur l'ensemble de l'af-
faire dans un cas où, comme en l'espèce, l'action de la deman-
deresse vise à la fois l'employeur (la Couronne) et le syndicat
(l'A.F.P.).
En l'espèce, l'action contre la Couronne (employeur) et celle
contre l'Alliance de la Fonction publique (syndicat) sont si
entremêlées que les conclusions de fait qui seraient tirées à
l'égard de l'un des défendeurs sont étroitement liées à celles qui
devraient l'être quant à l'autre.
Madame le juge Reed ajoute [à la page 448]:
Je voudrais en outre souligner que suivant la portée qu'a, à
mon avis, le paragraphe 17(1), il n'accorde pas à la Cour
fédérale quelque compétence que ce soit sur des affaires entre
sujets pour la seule raison qu'une action pourrait éventuelle-
ment être intentée à l'encontre du fédéral mais ne l'a pas été.
Le paragraphe 17(1) ne peut servir de fondement à la compé-
tence exclusive ou concurrente de la Cour fédérale sans qu'une
action soit intentée directement contre la Couronne. Toutefois,
lorsqu'une telle action est formée contre la Couronne fédérale,
j'estime que le libellé du paragraphe 17(1) est suffisamment
large pour permettre qu'un codéfendeur, dans un cas comme
celui qui nous intéresse, soit poursuivi en même temps que la
Couronne.
D'un point de vue purement pratique, il est
évident que si un requérant doit, en raison d'un
impératif législatif, s'adresser à la Cour fédérale à
l'exclusion de tout autre tribunal pour obtenir un
redressement contre la Couronne fédérale, ce
redressement devrait viser toutes les questions qui
sont essentielles pour les fins de la décision finale.
Un fractionnement du litige impose un fardeau
trop lourd au requérant, donne lieu à deux actions
distinctes sur les mêmes questions de fait et, ce qui
est plus grave, pourrait vraisemblablement entraî-
ner des décisions contradictoires. Il est admis que
ces questions corrélatives pourraient entrer dans
les domaines de compétence législative provinciale
et, par conséquent, ne relèveraient pas de la com-
pétence de la Cour fédérale. Je suis pourtant d'avis
que ce phénomène n'est pas nouveau lorsqu'on doit
traiter de questions juridictionnelles dans un État
fédéral. Il est depuis longtemps établi dans la
doctrine constitutionnelle qu'une loi fédérale adop-
tée en vertu d'une rubrique relevant du pouvoir
législatif fédéral peut très bien empiéter sur un
domaine législatif réservé exclusivement aux pro
vinces et que les conditions et exigences de cette loi
n'en sont pas moins valides pour autant que la
règle du caractère essentiel de la loi est respectée.
Le bon sens seul prescrit que les catégories didacti-
ques servant à déterminer les compétences législa-
tives ne devraient pas constituer un obstacle au
pouvoir et, en fait, à l'obligation du Parlement
d'adopter des lois dont certaines dispositions pour-
raient d'une part empiéter sur la compétence des
provinces et d'autre part, être jugées nécessaires ou
essentielles pour que ces lois servent de redresse-
ment.
On pourrait alors avancer l'hypothèse suivante:
s'il est nécessaire d'appliquer la doctrine constitu-
tionnelle lorsqu'il est question de domaines de
compétence législative, ne pourrait-on pas appli-
quer la même doctrine constitutionnelle lorsqu'il
s'agit de compétence judiciaire? À mon humble
avis, la Cour fédérale du Canada est censée avoir
été établie pour assurer la meilleure administration
de la justice au Canada et non pour y faire obsta
cle. Personne ne contestera que si on applique
logiquement et scrupuleusement les principes
dégagés dans l'arrêt McNamara et développés
dans l'arrêt Fuller, cela conduit à une véritable
impasse à laquelle il faut remédier de toute
urgence.
J'aimerais souligner ici que le pouvoir d'établir
des tribunaux pour assurer la meilleure adminis
tration des lois du Canada conféré par l'article 101
de la Loi constitutionnelle de 1867 peut être
exercé «nonobstant toute disposition de la présente
loi». Cette expression doit avoir un sens. Nous
devrions tous souscrire au raisonnement de feu le
juge Pigeon dans l'arrêt Fuller ou à celui de feu le
juge en chef Laskin dans l'arrêt McNamara, sui-
vant lequel cette expression n'habiliterait pas le
Parlement à abolir les cours supérieures ni à attri-
buer aux cours créées en vertu de l'article 101 des
champs de compétence exclusive si vastes que les
cours supérieures n'auraient plus aucune raison
d'être. À cet égard, nul ne devrait trouver à redire
au principe général énoncé dans l'arrêt McNa-
mara et suivant lequel une action intentée devant
la Cour fédérale doit se fonder sur la législation
fédérale applicable et non sur les champs de com-
pétence énoncés à l'article 91 de la Loi constitu-
tionnelle de 1867. On pourrait, dans un effort pour
atténuer les effets de l'arrêt Fuller, trouver un
moyen terme en vertu duquel si la compétence
conférée par la loi à la Cour fédérale ne fait aucun
doute et si la législation fédérale applicable qui
sert de fondement à une action est valide, la Cour
aurait implicitement compétence pour atteindre les
fins de la justice et rendre une décision finale sur
tous les points en litige entre les parties.
Ainsi, je ne vois pas comment, dans une action
en responsabilité délictuelle intentée contre la
Couronne en vertu de la Loi sur la responsabilité
de la Couronne [S.R.C. 1970, chap. C-38], le fait
pour le demandeur de poursuivre un deuxième
défendeur et pour la Couronne de mettre en cause
une autre partie à qui elle impute la responsabilité,
peut constituer un véritable obstacle.
Il me semble que c'est le point de vue dicté par
le bon sens qu'a adopté madame le juge Reed dans
l'affaire Marshall. Cela ne veut pas dire que le
simple fait d'intenter une action devant la Cour
fédérale confère à celle-ci une compétence univer-
selle et incontestable. Cela laisse supposer qu'il est
possible d'examiner les faits particuliers en cause
lorsque plus de deux parties sont concernées et que
le paragraphe 17(1) de la Loi sur la Cour fédérale
permet à la Cour de se prononcer sur l'ensemble de
la cause d'action lorsque ces faits sont très «étroite-
ment liés».
Aucun appel n'a été interjeté de la décision
rendue dans l'affaire Marshall. C'est peut-être ce
qui a encouragé le juge Reed à s'attaquer plus
récemment à ces questions dans l'affaire Little
Chief c. Canada (procureur général) jugement en
date du 11 juin 1986, Division de première ins
tance de la Cour fédérale, T-2102-85. Ayant à se
prononcer précisément sur la question des bandes
indiennes et de la Loi sur les Indiens, madame le
juge a confirmé la compétence de la Cour fédérale
sur le défendeur qui est membre d'une bande
indienne. Elle a contourné la décision rendue dans
l'affaire La bande indienne de Lubicon Lake c. R.,
[1981] 2 C.F. 317 (1" inst.) pour le motif que les
faits dont elle avait été saisie étaient, comme dans
l'affaire Marshall, si étroitement liés que la Cour
fédérale pouvait à juste titre connaître de toutes les
questions en litige.
Étant donné ce qui précède, il y aurait peut-être
lieu de faire remarquer qu'il est préférable d'adop-
ter une approche plus pragmatique ou individuelle
quant à la compétence de la Cour fédérale de
statuer sur plus d'une question litigieuse plutôt que
de mettre en pratique des abstractions juridiques.
Si l'ensemble des points en litige et des faits d'une
affaire exige la tenue d'un procès commun et le
prononcé d'une décision finale, il importe peu
qu'une question concernant une partie empiète,
d'une certaine façon, sur le droit provincial pour
autant que cette question soit, quant à son carac-
tère essentiel, un accessoire ou une conséquence
nécessaire d'une loi fédérale valide et de la position
relative des parties quant à celle-ci.
En l'espèce, la loi fédérale à examiner est la Loi
sur les Indiens [S.R.C. 1970, chap. I-6]. En voici
les dispositions pertinentes:
2. (1) Dans la présente loi
«bande» signifie un groupe d'Indiens,
a) à l'usage et au profit communs desquels, des terres, dont le
titre juridique est attribué à Sa Majesté, ont été mises de
côté ...
«Ministre» désigne le ministre des Affaires indiennes et du
Nord canadien;
«réserve» signifie une parcelle de terrain dont le titre juridique
est attribué à Sa Majesté et qu'Elle a mise de côté à l'usage
et au profit d'une bande;
«terres cédées» signifie une réserve ou partie d'une réserve, ou
tout intérêt y afférent, dont le titre juridique demeure attri-
bué à Sa Majesté et que la bande à l'usage et au profit de
laquelle il avait été mis de côté a abandonné ou cédé.
(2) L'expression «bande», en ce qui concerne une réserve ou
des terres cédées, signifie la bande à l'usage et au profit de
laquelle la réserve ou les terres cédées ont été mises de côté.
18. (1) Sauf les dispositions de la présente loi, Sa Majesté
détient des réserves à l'usage et au profit des bandes respectives
pour lesquelles elles furent mises de côté ...
20. (1) Un Indien n'est légalement en possession d'une terre
dans une réserve que si, avec l'approbation du Ministre, posses
sion de la terre lui a été accordée par le conseil de la bande.
(2) Le Ministre peut délivrer à un Indien légalement en
possession d'une terre dans une réserve un certificat, appelé
certificat de possession, attestant son droit de posséder la terre
y décrite.
(4) Lorsque le conseil de la bande a attribué à un Indien la
possession d'une terre dans une réserve, le Ministre peut, à sa
discrétion, différer son approbation et autoriser l'Indien à occu-
per la terre temporairement, de même que prescrire les condi
tions, concernant l'usage et l'établissement, que doit remplir
l'Indien avant que le Ministre approuve l'attribution.
(5) Lorsque le Ministre diffère son approbation conformé-
ment au paragraphe (4), il doit délivrer un certificat d'occupa-
tion à l'Indien, et le certificat autorise l'Indien, ou ceux qui
réclament possession par legs ou par transmission sous forme
d'héritage, à occuper la terre concernant laquelle il est délivré,
pendant une période de deux ans, à compter de sa date.
21. Il doit être tenu au ministère un registre, connu sous le
nom de Registre des terres de réserve, où sont inscrits les détails
concernant les certificats de possession et certificats d'occupa-
tion et les autres opérations relatives aux terres situées dans une
réserve.
30. Quiconque pénètre, sans droit ni autorisation, dans une
réserve est coupable d'infraction et passible, sur déclaration
sommaire de culpabilité, d'une amende d'au plus cinquante
dollars ou d'un emprisonnement d'au plus un mois, ou à la fois
de l'amende et de l'emprisonnement.
31. (1) Sans préjudice de l'article 30, lorsqu'un Indien ou une
bande prétend que des personnes autres que des Indiens
a) occupent ou possèdent illégalement, ou ont occupé ou
possédé illégalement, une réserve ou une partie de réserve,
b) réclament ou ont réclamé sous forme d'opposition le droit
d'occuper ou de posséder une réserve ou une partie de
réserve, ou
c) pénètrent ou ont pénétré, sans droit ni autorisation, dans
une réserve ou une partie de réserve,
le procureur général du Canada peut produire à la Cour
fédérale du Canada une dénonciation réclamant, au nom de
l'Indien ou de la bande, le soulagement ou le redressement
désiré.
(3) Rien au présent article ne doit s'interpréter comme
atténuant, diminuant ou atteignant d'autre façon un droit ou
recours qui, sans le présent article, serait accessible à Sa
Majesté, ou à un Indien ou une bande.
37. Sauf dispositions contraires de la présente loi, les terres
dans une réserve ne doivent être vendues, aliénées ni louées, ou
il ne doit en être autrement disposé, que si elles ont été cédées à
Sa Majesté par la bande à l'usage et au profit communs de
laquelle la réserve a été mise de côté.
39. (1) Une cession est nulle à moins
a) qu'elle ne soit faite à Sa Majesté,
b) qu'elle ne soit sanctionnée par une majorité des électeurs
de la bande
(i) à une assemblée générale de la bande convoquée par
son conseil,
(ii) à une assemblée spéciale de la bande convoquée par le
Ministre en vue d'examiner une proposition de cession, ou
(iii) au moyen d'un référendum comme le prévoient les
règlements, et
c) qu'elle ne soit acceptée par le gouverneur en conseil.
55. (1) Il est tenu au ministère un registre, appelé Registre
des terres cédées, dans lequel sont inscrits tous les détails
relatifs à la location ou autre aliénation de terres cédées par le
Ministre, ou à tout transfert qui en est fait.
58. (1) Lorsque, dans une réserve, un terrain est inculte ou
inutilisé, le Ministre peut, du consentement du conseil de la
bande, [prendre certaines dispositions quant à ce terrain] .. .
Les parties reconnaissent que le terrain en ques
tion est une réserve telle qu'elle est définie plus
haut. La Couronne fédérale détient le titre juridi-
que sur les réserves et le terrain est mis de côté à
l'usage et au profit d'une bande particulière. Le
droit de la bande sur le terrain est inaliénable sauf
dans le cas d'une cession à Sa Majesté (Guerin et
autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335,
aux pages 376 et 382). Par conséquent, il faut
déterminer le droit à l'usage et au bénéfice d'une
réserve en se fondant sur la Loi sur les Indiens.
L'action intentée contre la bande défenderesse
est fondée sur la violation de propriété. La viola
tion de propriété est [TRADUCTION] «un délit
commis contre la personne ayant droit à la posses
sion d'un bien-fonds et qui consiste pour le défen-
deur à s'introduire sur le bien-fonds du demandeur
sans y être autorisé par la loi» (The Canadian Law
Dictionary, Law and Business Publications
(Canada) Inc., Don Mills, Ontario, 1980, à la page
385). Il est donc nécessaire pour prouver la viola
tion du droit de propriété de déterminer qui a droit
à la possession du terrain.
Ce n'est pas le droit fédéral qui donne naissance
à la cause d'action en l'espèce. Les droits et obliga
tions des parties doivent toutefois être déterminés
dans une large mesure par le droit fédéral comme
l'exige le critère dégagé dans l'affaire Bensol.
Comme je l'ai déjà dit, le droit de posséder une
réserve ne peut être établi qu'en vertu de la Loi sur
les Indiens. Le résultat ressemble donc beaucoup à
celui de l'affaire Marshall c. La Reine, précitée [à
la page 449], où il a été jugé que les «conclusions
de fait qui seraient tirées à l'égard de l'un des
défendeurs sont étroitement liées à celles qui
devraient l'être quant à l'autre».
La décision de la Cour d'appel fédérale dans
l'arrêt Joe et autres en leur qualité personnelle et
au nom de la bande Conne River et de la collecti-
vité indienne Micmac de Conne River c. Gouver-
nement du Canada (1983), 49 N.R. 198, peut être
utile à titre d'analogie. L'action des demandeurs
visait à obtenir une déclaration portant que cer-
tains biens-fonds appartenant à la province de
Terre-Neuve étaient la propriété de la Couronne
fédérale aux fins des réserves indiennes. La Cour a
rejeté l'action pour le motif [à la page 199]
«[qu']une telle déclaration aurait .. . principale-
ment pour effet de toucher aux droits de propriété
de la province de Terre-Neuve», question qui ne
pouvait relever de la compétence de la Cour
fédérale.
Cette approche reposant sur l'examen du carac-
tère essentiel de la loi indique que pour déterminer
la compétence de la Cour fédérale dans l'affaire
dont j'ai été saisi, je dois tenir compte de la
véritable question en litige, c'est-à-dire la revendi-
cation de la possession des terrains d'une réserve
que la Couronne a illégalement attribués à quel-
qu'un d'autre. Pour ce qui est de l'occupation des
terrains de la réserve par la bande défenderesse, le
droit à l'occupation continue repose sur la Loi sur
les Indiens. De même, le droit à la possession
allégué par la bande demanderesse coexiste avec
son droit d'évincer les occupants des terrains et ces
deux droits découlent de la Loi sur les Indiens.
Je reconnais que les décisions citées par les
avocats, l'affaire Succession Stephens c. Ministre
du Revenu national, Wilkie, Morrison, Smith,
Stratham (shérif adjoint, comté d'Oxford), agent
Ross et Davidson (1982), 40 N.R. 620 (C.A.F.) et
les autres décisions où la compétence des cours
provinciales pour statuer sur les questions de viola
tion de propriété sur les terres indiennes a été
contestée sans succès, soulèvent quelques doutes
sur le bien-fondé de mes conclusions. Je trouve un
peu rassurant à cet égard le commentaire du juge
Berger dans l'affaire Joe et al. v. Findlay (1978),
87 D.L.R. (3d) 239 (C.S.C.-B.); il a dit à la page
243 que même s'il était nécessaire de constituer la
Couronne [fédérale] partie demanderesse ou partie
défenderesse, cela ne porterait pas atteinte à la
compétence de la Cour suprême de la Colombie-
Britannique. Le juge a affirmé qu'une telle mise en
cause [TRADUCTION] «viserait simplement à assu-
rer que toutes les parties soient présentes devant la
Cour et à éviter la multiplication des procédures».
Il ne s'agit pas, selon lui, d'une demande de redres-
sement contre la Couronne au sens du paragraphe
17(1) de la Loi sur la Cour fédérale. J'estime que
la situation sur laquelle je dois me prononcer est
l'inverse de celle qui a été soumise au juge Berger.
La demanderesse dans l'action dont il avait été
saisi était la bande indienne qui réclamait l'expul-
sion d'un de ses membres parce que celui-ci occu-
pait illégalement une partie des terres de la
réserve, la Couronne fédérale n'ayant à ce stade
aucun intérêt dans le litige et ne pouvant peut-être
pas faire grand-chose pour aider à le résoudre. En
l'espèce, c'est la Couronne qui a attribué la réserve
n° 12 la bande défenderesse et c'est contre la
Couronne que le principal redressement est
demandé. La mise en cause de la bande défende-
resse est, à mon avis, la mesure à prendre pour
assurer que tous les aspects du litige, dont certains
ne se limitent pas nécessairement à l'application de
techniques légales ou contractuelles d'interpréta-
tion, soient soumis à la Cour de manière à mieux
servir tous les intérêts divergents des véritables
parties au litige et à permettre d'arriver plus rapi-
dement à une solution.
J'ajouterais une dernière remarque quant à la
situation dynamique créée par l'action intentée par
la demanderesse contre la Couronne et la bande
indienne défenderesse. Nul ne niera, pas même les
avocats très compétents de la requérante, qu'il
serait approprié que la bande indienne défende-
resse soit partie à l'action. Les intérêts de ses
membres sont en jeu. Il s'agit de la situation
classique où la cour doit donner à une partie ce
qu'elle doit retirer à une autre. Il ressort des
plaidoiries écrites produites jusqu'à maintenant
que, pour établir qu'elle était en possession légi-
time de la réserve n° 12, la demanderesse a
rassemblé et produit des éléments de preuve détail-
lés, pour ne pas dire une masse de preuves compor-
tant des éléments historiques, contractuels et
administratifs d'une grande complexité. Les mem-
bres de la bande indienne défenderesse ont été les
acteurs principaux de cette affaire tout autant que
la bande indienne demanderesse et ses membres et
que Sa Majesté la Reine et ses préposés. Il est non
seulement souhaitable mais, à mon avis, indispen
sable qu'ils prennent part au procès éventuel.
Je dois par conséquent rejeter la requête présen-
tée par la bande indienne défenderesse.
Pour ce qui est d'un autre point en litige, les
avocats de la bande défenderesse ont indiqué à la
Cour que les recherches approfondies entreprises
par la bande demanderesse pour intenter son
action ont pris par surprise la bande défenderesse.
Dans de telles circonstances, la Cour devrait se
montrer généreuse et accorder à cette dernière un
délai pour lui permettre de préparer sa défense de
manière à réfuter les éléments de preuve détaillés
et complexes qui ont été avancés contre elle. Tout
en rejetant la requête en radiation de la bande
défenderesse, je dois en même temps lui accorder
un délai de 70 jours à compter de la date de la
présente ordonnance pour déposer sa défense.
Les dépens suivront l'issue de la cause.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.