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T-2652-85
Roy Anthony Roberts, C. Aubrey Roberts et John Henderson estant en leur nom et au nom de tous les autres membres de la bande indienne Wewaya- kum, connue aussi sous le nom de bande indienne de Campbell River (demandeurs)
c.
Sa Majesté la Reine, Ralph Dick, Daniel Billy, Elmer Dick, Stephen Assu et James D. Wilson poursuivis en leur nom et au nom de tous les autres membres de la bande indienne Wewayakai, connue aussi sous le nom de bande indienne de Cape Mudge (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: ROBERTS C. CANADA
Division de première instance, juge Joyal—Van- couver, 30 avril; Ottawa, 21 juillet 1986.
Compétence de la Cour fédérale Division de première instance Demande visant à obtenir le rejet pour incompé- tence de la Cour de l'action en violation du droit de propriété intentée contre une bande indienne Les décisions de la Cour suprême du Canada ont imposé des restrictions à la compé- tence de la Cour fédérale et ont entraîné la multiplication des procédures Dans des décisions plus récentes, la Cour suprême et la Cour fédérale ont essayé de rétablir l'équilibre entre les limites apportées par la Constitution et la possibilité de statuer convenablement sur les points en litige Lorsque la Cour fédérale a compétence en vertu de la loi et que l'action est fondée sur une législation fédérale valide, la Cour devrait avoir compétence pour rendre une décision sur tous les points en litige entre les parties L'art. 17(1) de la Loi sur la Cour fédérale permet à la Cour de se prononcer sur l'ensemble de la cause d'action lorsque plus de deux parties sont concernées si les faits sont «étroitement liés>., même si cela empiète sur le droit provincial La Loi sur les Indiens régit les droits d'occupation et de possession Ce n'est pas le droit fédéral qui donne naissance à la cause d'action mais les droits et obligations des parties doivent être déterminés dans une large mesure par le droit fédéral La mise en cause de la bande défenderesse est indispensable pour rendre une décision sur le litige Demande rejetée Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 17 Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, chap. I-6, art. 2(1),(2), 18(1), 20(1),(2),(4),(5), 21, 30, 31(1),(3), 37, 39(1), 55(1), 58(1) Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663.
Droit constitutionnel Partage des pouvoirs La doctrine constitutionnelle suivant laquelle une loi fédérale adoptée en vertu d'une rubrique relevant du pouvoir législatif fédéral peut empiéter sur des domaines législatifs réservés aux provinces à condition que la règle du caractère essentiel soit respectée est appliquée à la compétence judiciaire L'art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 porte que le pouvoir d'établir des tribunaux pour assurer la meilleure administration des lois du Canada peut être exercé «nonobstant toute disposition de la présente loi» Si la Cour fédérale a compétence en vertu de
la loi et que l'action est fondée sur une législation fédérale valide, la Cour a implicitement compétence pour rendre une décision sur tous les points en litige entre les parties Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitu- tionnelle de 1982, 1), art. 91, 101.
Peuples autochtones Terres Réserve cédée à une autre bande en 1888 S'agissait-il d'une possession illégale? La Cour fédérale a compétence pour connaître d'une action inten- tée contre une bande indienne pour violation du droit de propriété des terres dans une réserve La Loi sur les Indiens régit les droits relatifs à l'usage et au bénéfice des terres des réserves Il est permis d'empiéter sur le droit applicable en matière de violation du droit de propriété si la question en litige est, quant à son caractère essentiel, un accessoire néces- saire d'une loi fédérale valide Droits et obligations déter- minés dans une large mesure par le droit fédéral Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, chap. I-6, art. 2(1),(2), 18(1), 20(1), (2),(4),(5), 21, 30, 31(1),(3), 37, 39(1), 55(1), 58(1).
La bande indienne demanderesse a intenté une action contre la Couronne en vue d'obtenir un jugement déclaratoire portant qu'une réserve lui appartenait. Ladite réserve avait été cédée à une autre bande indienne en 1888 mais la demanderesse sou- tient que la Couronne l'avait fait en violation de son obligation fiduciaire en ce qui concerne les terres réservées aux Indiens. La demanderesse cherche en outre à obtenir une injonction permanente interdisant aux membres de la bande indienne de Cape Mudge de s'introduire sans permission sur les terres revendiquées. Cette dernière bande indienne demande une ordonnance rejetant l'action intentée contre elle pour le motif que la Cour n'a pas compétence pour en connaître.
Jugement: la demande devrait être rejetée.
Par suite des décisions de la Cour suprême du Canada dans les arrêts Quebec North Shore Paper Co. et McNamara Cons truction (Western) Ltd., la compétence de la Cour fédérale fait l'objet d'un triple critère: (1) la loi qui crée la Cour lui donne-t-elle compétence? (2) le litige concerne-t-il une loi fédérale applicable? (3) la loi fédérale elle-même relève-t-elle de la compétence législative du Parlement? Ce critère a donné lieu à des problèmes d'ordre pratique et a entraîné notamment la radiation d'un avis à la tierce partie pour défaut de compé- tence: R. c. Thomas Fuller Construction Co. (1958), Ltd. et autre. La compétence limitée de la Cour fédérale a eu notam- ment comme conséquences la multiplication des procédures, l'augmentation des frais et des difficultés quant aux délais de prescription. Depuis ces décisions, on a réussi à quelques repri ses à rétablir l'équilibre entre les limites apportées par la Constitution et la possibilité de statuer convenablement sur les points en litige. Dans les arrêts Rhine et Prytula, la Cour a statué que, même si les actions intentées par la Couronne reposaient sur des engagements contractuels, la législation fédé- rale pertinente régissait chaque aspect des liens existant entre les parties. Le juge en chef Laskin a dit qu'on ne peut invaria- blement attribuer les «contrats» ou les délits ou quasi-délits au contrôle législatif provincial exclusif, ni les considérer, de même que la common law, comme des matières ressortissant exclusi- vement au droit provincial. Ces décisions indiquent peut-être que la Cour suprême est désireuse d'adopter une position similaire à celle adoptée dans l'arrêt Bensol Customs Brokers
on a statué qu'il devrait être suffisant que les droits et obligations des parties soient déterminés dans une large mesure par le droit fédéral. Il n'est pas nécessaire que la cause d'action tire son origine du droit fédéral du moment que celui-ci lui est applicable. Dans l'affaire Marshall c. La Reine, le juge Reed a invoqué les mots «cas l'on demande contre la Couronne un redressement» qui figurent au paragraphe 17(1) de la Loi sur la Cour fédérale pour conclure que la Cour avait compétence sur l'ensemble de l'affaire lorsque les actions sont si entremêlées que les conclusions de fait tirées à l'égard d'un défendeur sont étroitement liées à celles qui devraient l'être quant à l'autre.
D'un point de vue pratique, si un requérant doit, en raison d'un impératif législatif, s'adresser à la Cour fédérale à l'exclu- sion de tout autre tribunal pour obtenir un redressement contre la Couronne fédérale, ce redressement devrait viser toutes les questions qui sont essentielles pour les fins de la décision finale. Un fractionnement du litige impose un fardeau trop lourd au requérant, donne lieu à deux actions distinctes sur les mêmes questions de fait et pourrait entraîner des décisions contradic- toires. Bien que ces questions corrélatives pourraient entrer dans les domaines de compétence législative fédérale, il est depuis longtemps établi dans la doctrine constitutionnelle qu'une loi fédérale adoptée en vertu d'une rubrique relevant du pouvoir législatif fédéral peut empiéter sur un domaine législa- tif réservé exclusivement aux provinces et que les conditions et exigences de cette loi n'en sont pas moins valides pour autant que la règle du caractère essentiel de la loi est respectée. On pourrait appliquer la même doctrine constitutionnelle lorsqu'il s'agit de compétence judiciaire. La Cour fédérale est censée avoir été établie pour assurer la meilleure administration de la justice. Les principes dégagés dans les arrêts McNamara et Fuller conduisent à une véritable impasse à laquelle il faut remédier de toute urgence. Dans un effort pour atténuer les effets de l'arrêt Fuller, on pourrait conclure que si la compé- tence conférée par la loi à la Cour fédérale ne fait aucun doute et si la législation fédérale applicable qui sert de fondement à une action est valide, la Cour aurait implicitement compétence pour rendre une décision finale sur tous les points en litige entre les parties. Cela ne veut pas dire que le simple fait d'intenter une action devant la Cour fédérale confère à celle-ci une compétence universelle et incontestable. Cela laisse supposer qu'il est possible d'examiner les faits particuliers en cause lorsque plus de deux parties sont concernées, et le paragraphe 17(1) de la Loi sur la Cour fédérale permet à la Cour de se prononcer sur l'ensemble de la cause d'action lorsque ces faits sont très «étroitement liés». Si l'ensemble des points en litige et des faits exige la tenue d'un procès commun et le prononcé d'une décision finale, il importe peu qu'une question empiète sur le droit provincial pour autant que cette question soit, quant à son caractère essentiel, un accessoire nécessaire d'une loi fédérale valide et de la position relative des parties quant à celle-ci.
Il faut déterminer le droit à l'usage et au bénéfice d'une réserve en se fondant sur la Loi sur les Indiens. L'action intentée est fondée sur la violation du droit de propriété. Il est nécessaire pour prouver la violation du droit de propriété de déterminer qui a droit à la possession du terrain. Ce n'est pas le droit fédéral qui donne naissance à la cause d'action. Les droits et les obligations des parties doivent toutefois être déterminés dans une large mesure par le droit fédéral comme l'exige le critère dégagé dans l'affaire Bensol. Le droit de posséder une
réserve ne peut être établi qu'en vertu de la Loi sur les Indiens. Le résultat ressemble donc à celui de l'affaire Marshall il a été jugé que les conclusions de fait qui seraient tirées à l'égard de l'un des défendeurs sont étroitement liées à celles qui devraient l'être quant à l'autre. La véritable question en litige doit donc être examinée. Les droits des deux bandes indiennes découlent de la Loi sur les Indiens. C'est la Couronne qui a attribué la réserve 12 et c'est contre la Couronne que le principal redressement est demandé. La mise en cause de la bande défenderesse est la mesure à prendre pour assurer que tous les aspects du litige soient soumis à la Cour de manière à mieux servir tous les intérêts divergents des véritables parties au litige et à permettre d'arriver plus rapidement à une solu tion. Il est indispensable que la bande défenderesse prenne part au procès.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Bensol Customs Brokers Ltd. c. Air Canada, [1979] 2 C.F. 575 (C.A.); Marshall c. La Reine, [1986] 1 C.F. 437 (1" inst.); Little Chief c. Canada (procureur géné- ral), jugement en date du 11 juin 1986, Cour fédérale, Division de première instance, T-2102-85, encore inédit; Joe et autres en leur qualité personnelle et au nom de la bande Conne River et de la collectivité indienne Micmac de Conne River c. Gouvernement du Canada (1983), 49 N.R. 198 (C.A.F.); Joe et al. v. Findlay (1978), 87 D.L.R. (3d) 239 (C.S.C.-B.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Quebec North Shore Paper Co. et autre c. Canadien Pacifique Ltée et autre, [1977] 2 R.C.S. 1054; (1976), 71 D.L.R. (3d) 111; McNamara Construction (Western) Ltd. et autre c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654; R. c. Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd. et autre, [1980] 1 R.C.S. 695; (1979), 106 D.L.R. (3d) 193; Rhine c. La Reine; Prytula c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 442.
DÉCISIONS CITÉES:
Pacific Western Airlines Ltd. c. R., [1979] 2 C.F. 476 (1" inst.); La bande indienne de Lubicon Lake c. R., [1981] 2 C.F. 317 (1"° inst.); Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335; Succession Stephens c. Ministre du Revenu national, Wilkie, Morrison, Smith, Stratham (shérif adjoint, comté d'Oxford), agent Ross et Davidson (1982), 40 N.R. 620 (C.A.F.).
AVOCATS:
A. G. Henderson, Lewis F. Harvey et A. Fung pour les demandeurs.
Leonard Cohen pour la Reine, défenderesse. John D. McAlpine, c.r. et David Paterson pour tous les autres défendeurs.
PROCUREURS:
Davis & Company, Vancouver, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour la Reine, défenderesse.
McAlpine & Hordo, Vancouver, pour tous les autres défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE JOYAL: La présente demande, qui a fait l'objet d'un débat animé à Vancouver le 30 avril 1986, soulève encore une fois la question de la compétence de la Cour fédérale, question qui prête à une certaine confusion.
Le litige concerne essentiellement le droit de possession d'une bande indienne sur les terres d'une réserve particulière. Les demandeurs sont membres de la bande indienne Wewayakum, connue aussi sous le nom de bande indienne de Campbell River. Le 2 décembre 1985, les deman- deurs, que nous appellerons la bande demande- resse, ont intenté devant cette Cour une action contre la Couronne fédérale en vue d'obtenir un jugement déclaratoire portant que la réserve indienne 12 leur appartenait. Ladite réserve 12 avait été cédée à une autre bande indienne en 1888 et, selon la demanderesse, cette possession par autrui était illégale et contraire à l'obligation fiduciaire imposée à la Couronne fédérale pour ce qui est des terres réservées aux Indiens.
Une action contre les occupants actuels de la réserve 12, les membres de la bande indienne Wewayakai connue aussi sous le nom de bande indienne de Cape Mudge, a été jointe à l'action intentée contre la Couronne par la demanderesse en vue d'obtenir un jugement déclaratoire portant que ladite réserve 12 lui appartenait légalement et, accessoirement, demandant des dommages- intérêts. Le redressement demandé contre cette bande, que nous appellerons la bande défenderesse, était une injonction permanente interdisant à ses membres de s'introduire sans permission sur la réserve 12.
Le 28 février 1986, la Couronne fédérale a déposé sa défense en réponse à la déclaration de la bande demanderesse. Le 11 mars 1986, la bande défenderesse a demandé en vertu des Règles de la Cour [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] une ordonnance rejetant l'action intentée
contre elle pour le motif que la Cour fédérale n'a pas compétence pour accorder le redressement recherché.
La compétence de la Cour fédérale concernant les terres réservées aux Indiens ne fait aucun doute. A cet égard, la bande demanderesse a intenté son action contre la Couronne fédérale devant la Cour compétente. Le litige consiste tou- tefois à déterminer si la Cour fédérale a compé- tence pour se prononcer sur l'allégation de viola tion du droit de propriété soulevée contre la bande défenderesse.
Le problème qui se pose en l'espèce est que la Cour fédérale est un tribunal créé par la loi ne possédant aucune compétence inhérente. On a à l'occasion apporté des limites à cette compétence, si bien que la Cour a souvent été dans l'impossibi- lité de trancher les véritables points en litige entre les parties pour le motif que l'examen de ces questions devait nécessairement toucher un domaine la compétence inhérente des cours
supérieures des provinces prévalait. -
Le corollaire d'un tel principe de primauté est que la compétence de la Cour fédérale doit décou- ler non seulement de la loi fédérale qui l'a créée (voir la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10) mais aussi du pouvoir de créer cette cour et de définir les limites de sa compé- tence, pouvoir qui a été conféré au Parlement par l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1)].
Les décisions capitales qui ont examiné la com- pétence de la Cour fédérale sont les arrêts Quebec North Shore Paper Co. et autre c. Canadien Paci- fique Ltée et autre, [1977] 2 R.C.S. 1054; (1976), 71 D.L.R. (3d) 111, et McNaniara Construction (Western) Ltd. et autre c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654. Dans ce dernier arrêt, la Cour suprême du Canada a statué que le pouvoir con- féré au Parlement par la Constitution lui permet- tant d'établir des tribunaux afin d'assurer la meil- leure administration des lois du Canada se limitait aux poursuites fondées sur la législation fédérale applicable. Un tribunal ne pouvait prétendre avoir compétence pour le simple motif que le litige
entrait dans les domaines de compétence législa- tive attribués au fédéral par l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867, mais il devait se fonder sur une loi fédérale applicable et dûment adoptée.
Cela signifait que la compétence de la Cour fédérale devait faire l'objet d'un triple critère, c'est-à-dire qu'il faut se demander tout d'abord si la loi qui crée la Cour fédérale lui donne compé- tence, ensuite si le litige concerne une loi fédérale applicable et finalement, si la loi fédérale elle- même relève de la compétence législative du Parlement.
Depuis cette décision, il est arrivé à de nombreu- ses reprises dans des actions mettant en cause la Couronne fédérale que la compétence de la Cour fédérale ne pouvait satisfaire à ce critère. Les conséquences ont été particulièrement graves lors- qu'une action intentée pour ou contre la Couronne touchait en même temps des tierces parties. Tel a été le problème dans l'arrêt R. c. Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd. et autre, [1980] 1 R.C.S. 695; (1979), 106 D.L.R. (3d) 193.
C'est dans cet arrêt que la Couronne qui était partie défenderesse à une action intentée par son entrepreneur a cherché à mettre en cause comme tierce partie un autre entrepreneur, Fuller, en réclamant à celui-ci une indemnité pour tous les dommages-intérêts qu'elle pourrait être appelée à payer à l'entrepreneur demandeur. Cette procé- dure contre la tierce partie a été annulée pour le motif qu'il ne reposait pas sur le droit fédéral et que la Cour fédérale n'avait pas compétence pour se prononcer sur celui-ci.
La dichotomie de la compétence de la Cour fédérale à cet égard a produit les effets redoutés et réels et elle a créé pour les parties aux prises avec une action intentée pour ou contre la Couronne fédérale un dilemme décisionnel important. Elle a ouvert la voie à la multiplication des procédures, à l'expiration des délais de prescription et à l'accu- mulation de frais excessifs. Cela signifiait que les faits d'une situation particulière pouvaient dispa- raître sous une avalanche d'abstractions juridiques alors que notre système judiciaire est après tout supposé servir les parties, et que celles-ci étaient contrées dans leurs tentatives de faire trancher leur différend par les tribunaux.
La confusion totale entre la Loi sur la Cour fédérale, la législation fédérale applicable et les limites constitutionnelles apportées au pouvoir du Parlement d'établir des tribunaux était telle qu'elle a donné lieu à certains commentaires assez criti ques. Le professeur P. W. Hogg a jeté un regard désapprobateur sur cette situation dans un article paru en 1977 dans la Revue du Barreau canadien (voir «Constitutional Law—Limits of Federal Court Jurisdiction—Is there a Federal Common Law?» (1977), 55 R. du B. can. 550). Le profes- seur J. M. Evans, qui a adopté les termes utilisés par le juge Collier pour qualifier la situation de «lamentable» dans l'affaire Pacific Western Air lines Ltd. c. R., [1979] 2 C.F. 476 (1« inst.), s'est livré à une analyse critique plus globale dans «Federal Jurisdiction—A Lamentable Situation» (1981), 59 R. du B. can. 124.
Les commentaires du juge Martland dans le jugement dissident qu'il a rendu dans l'arrêt Fuller sont encore plus intéressants. Étant donné qu'une action et une procédure de mise en cause, c'est-à- dire l'action intentée par McNamara contre la Couronne et la procédure de mise en cause enga gée par la Couronne contre Fuller, sont deux instances distinctes, le juge a affirmé que l'on ne pouvait pas faire abstraction des liens entre ces procédures. Il a ajouté aux pages 706 R.C.S.; 200 et 201 D.L.R.:
Mon opinion à cet égard est renforcée par un examen de la conséquence plutôt alarmante qui découlerait de l'autre point de vue. Les poursuites contre Sa Majesté doivent être intentées en Cour fédérale qui, en vertu des par. 17(1) et (2) de la Loi sur la Cour fédérale, a compétence exclusive à leur égard. Si Sa Majesté ne peut engager de procédures de mise en cause devant la Cour fédérale, lorsque la réclamation contre elle est fondée sur la négligence, cela signifiera que toute la question devra être réentendue par une autre cour. En Ontario du moins, si Sa Majesté fondait une demande de contribution sur The Negligence Act de l'Ontario, étant donné l'arrêt Cohen v. McCord, elle ne pourrait se faire entendre et n'aurait plus aucun recours.
Le juge Martland a également trouvé rassurante la dernière remarque de feu le juge en chef Laskin dans l'arrêt McNamara (précité, à la page 664):
Je tiens toutefois à souligner que si la Cour fédérale avait eu compétence, il est assez vraisemblable que les demandes de contributions ou d'indemnités auraient été recevables, du moins entre les parties, dans la mesure la législation fédérale pertinente s'appliquait aux questions soulevées en l'espèce.
Depuis que les décisions capitales précitées ont été rendues, il semble que l'on ait réussi à quelques reprises à rétablir l'équilibre visant à respecter d'une part les limites apportées par la Constitution et, d'autre part, les conditions essentielles qui per- mettent de statuer de la manière appropriée sur les points en litige. Dans l'arrêt Rhine c. La Reine et Prytula c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 442, la Cour a statué que même si les actions intentées par la Couronne reposaient sur des engagements contrac- tuels, la législation fédérale pertinente dans ces cas, la Loi sur les paiements anticipés pour le grain des Prairies, S.R.C. 1970, chap. P-18 et la Loi canadienne sur les prêts aux étudiants, S.R.C. 1970, chap. S-17, régissaient chaque aspect des liens existant entre les parties et, par conséquent, les demandes de redressement avaient été présen- tées en vertu d'une loi fédérale applicable. Le juge en chef Laskin disait au nom de la Cour à la page 447:
Est-il nécessaire d'ajouter qu'on ne peut invariablement attri- buer les «contrats» ou les autres créations juridiques, comme les délits et quasi-délits, au contrôle législatif provincial exclusif, ni les considérer, de même que la common law, comme des matières ressortissant exclusivement au droit provincial.
Le professeur Evans laisse entendre, dans l'arti- cle que j'ai déjà mentionné, que ces deux décisions indiquent peut-être que la Cour suprême du Canada est désireuse d'adopter une position simi- laire à celle du juge Le Dain qui disait à la page 583 de l'arrêt Bensol Customs Brokers Ltd. c. Air Canada, [1979] 2 C.F. 575 (C.A.):
Il devrait être suffisant, à mon avis, que les droits et obligations des parties soient déterminés jusqu'à un certain point par le droit fédéral. Il ne devrait pas être nécessaire que la cause d'action tire son origine du droit fédéral du moment que celui-ci lui est applicable.
Une décision plus récente, Marshall c. La Reine, [1986] 1 C.F. 437 (1« inst.), a été rendue par madame le juge Reed le 19 novembre 1985 (T-1085-85); il s'agit d'une action que la demande- resse a intentée contre son employeur, la Couronne fédérale, et contre son syndicat, l'Alliance de la Fonction publique, par suite de la perte de son emploi. La demanderesse a allégué que le syndicat avait agi de connivence avec son employeur pour la priver de l'exercice de ses droits ou pour commet- tre des actes préjudiciables.
Le syndicat a présenté une demande visant à faire radier les plaidoiries à son égard pour le
motif qu'il s'agissait d'une action en responsabilité délictuelle fondée sur le droit provincial et que la Cour fédérale n'avait pas compétence pour connaî- tre d'une telle action.
En rejetant la demande, madame le juge Reed a conclu que, du point de vue de l'interprétation législative, la Loi sur la Cour fédérale permettait à la Cour fédérale d'entendre le litige. Voici son raisonnement [aux pages 447 449]:
Il s'agit donc de déterminer si, en raison de la compétence conférée à la Cour fédérale par le paragraphe 17(1), un deman- deur peut poursuivre en même temps la Couronne et l'un de ses sujets devant ladite Cour lorsque les causes d'action contre chacun d'eux sont aussi étroitement liées qu'en l'espèce ... Il semble, à la simple lecture de cet article, qu'on ait voulu conférer une telle compétence puisqu'elle porte sur les «cas l'on demande contre la Couronne un redressement». Cette compétence ne vise pas seulement les «réclamations contre la Couronne» comme semble l'exiger une interprétation plus étroite.
Que le Parlement ait eu l'intention de donner cette portée plus large à l'article est une conclusion qui non seulement semble ressortir de son libellé mais peut en outre être raisonna- blement tirée du fait que certaines actions contre la Couronne fédérale doivent être intentées devant la Cour fédérale exclusi- vement. Il semble peu probable que le Parlement ait eu l'inten- tion de désavantager les personnes qui se trouvent dans la situation de la demanderesse en les contraignant à diviser une cause d'action unique et à en faire valoir une partie devant la Cour fédérale et l'autre devant les tribunaux supérieurs des provinces. Si telle était l'intention du Parlement, cela aurait pour conséquence d'exposer un demandeur, se trouvant dans une situation semblable à celle de la demanderesse en l'espèce, à des conclusions différentes, et même contradictoires, devant des tribunaux différents et de créer des embûches juridiction- nelles et financières à l'endroit de ces personnes si elles déci- daient de poursuivre la Couronne fédérale. Je ne crois pas que c'était l'intention du Parlement. Bien qu'il ne fasse aucun doute que la compétence des tribunaux statutaires est interpré- tée strictement en ce qu'ils ne sont pas des tribunaux possédant une compétence inhérente, il est bon de se rappeler que l'article 11 de la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23, exige que l'on interprète les lois fédérales de la manière la plus propre à assurer la réalisation de leurs objets. En conséquence, il semblerait que l'on doive considérer que le paragraphe 17(1) confère à la Cour fédérale compétence sur l'ensemble de l'af- faire dans un cas où, comme en l'espèce, l'action de la deman- deresse vise à la fois l'employeur (la Couronne) et le syndicat (l'A.F.P.).
En l'espèce, l'action contre la Couronne (employeur) et celle contre l'Alliance de la Fonction publique (syndicat) sont si entremêlées que les conclusions de fait qui seraient tirées à l'égard de l'un des défendeurs sont étroitement liées à celles qui devraient l'être quant à l'autre.
Madame le juge Reed ajoute la page 448]:
Je voudrais en outre souligner que suivant la portée qu'a, à mon avis, le paragraphe 17(1), il n'accorde pas à la Cour fédérale quelque compétence que ce soit sur des affaires entre sujets pour la seule raison qu'une action pourrait éventuelle- ment être intentée à l'encontre du fédéral mais ne l'a pas été. Le paragraphe 17(1) ne peut servir de fondement à la compé- tence exclusive ou concurrente de la Cour fédérale sans qu'une action soit intentée directement contre la Couronne. Toutefois, lorsqu'une telle action est formée contre la Couronne fédérale, j'estime que le libellé du paragraphe 17(1) est suffisamment large pour permettre qu'un codéfendeur, dans un cas comme celui qui nous intéresse, soit poursuivi en même temps que la Couronne.
D'un point de vue purement pratique, il est évident que si un requérant doit, en raison d'un impératif législatif, s'adresser à la Cour fédérale à l'exclusion de tout autre tribunal pour obtenir un redressement contre la Couronne fédérale, ce redressement devrait viser toutes les questions qui sont essentielles pour les fins de la décision finale. Un fractionnement du litige impose un fardeau trop lourd au requérant, donne lieu à deux actions distinctes sur les mêmes questions de fait et, ce qui est plus grave, pourrait vraisemblablement entraî- ner des décisions contradictoires. Il est admis que ces questions corrélatives pourraient entrer dans les domaines de compétence législative provinciale et, par conséquent, ne relèveraient pas de la com- pétence de la Cour fédérale. Je suis pourtant d'avis que ce phénomène n'est pas nouveau lorsqu'on doit traiter de questions juridictionnelles dans un État fédéral. Il est depuis longtemps établi dans la doctrine constitutionnelle qu'une loi fédérale adop- tée en vertu d'une rubrique relevant du pouvoir législatif fédéral peut très bien empiéter sur un domaine législatif réservé exclusivement aux pro vinces et que les conditions et exigences de cette loi n'en sont pas moins valides pour autant que la règle du caractère essentiel de la loi est respectée. Le bon sens seul prescrit que les catégories didacti- ques servant à déterminer les compétences législa- tives ne devraient pas constituer un obstacle au pouvoir et, en fait, à l'obligation du Parlement d'adopter des lois dont certaines dispositions pour- raient d'une part empiéter sur la compétence des provinces et d'autre part, être jugées nécessaires ou essentielles pour que ces lois servent de redresse- ment.
On pourrait alors avancer l'hypothèse suivante: s'il est nécessaire d'appliquer la doctrine constitu- tionnelle lorsqu'il est question de domaines de compétence législative, ne pourrait-on pas appli-
quer la même doctrine constitutionnelle lorsqu'il s'agit de compétence judiciaire? À mon humble avis, la Cour fédérale du Canada est censée avoir été établie pour assurer la meilleure administration de la justice au Canada et non pour y faire obsta cle. Personne ne contestera que si on applique logiquement et scrupuleusement les principes dégagés dans l'arrêt McNamara et développés dans l'arrêt Fuller, cela conduit à une véritable impasse à laquelle il faut remédier de toute urgence.
J'aimerais souligner ici que le pouvoir d'établir des tribunaux pour assurer la meilleure adminis tration des lois du Canada conféré par l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 peut être exercé «nonobstant toute disposition de la présente loi». Cette expression doit avoir un sens. Nous devrions tous souscrire au raisonnement de feu le juge Pigeon dans l'arrêt Fuller ou à celui de feu le juge en chef Laskin dans l'arrêt McNamara, sui- vant lequel cette expression n'habiliterait pas le Parlement à abolir les cours supérieures ni à attri- buer aux cours créées en vertu de l'article 101 des champs de compétence exclusive si vastes que les cours supérieures n'auraient plus aucune raison d'être. À cet égard, nul ne devrait trouver à redire au principe général énoncé dans l'arrêt McNa- mara et suivant lequel une action intentée devant la Cour fédérale doit se fonder sur la législation fédérale applicable et non sur les champs de com- pétence énoncés à l'article 91 de la Loi constitu- tionnelle de 1867. On pourrait, dans un effort pour atténuer les effets de l'arrêt Fuller, trouver un moyen terme en vertu duquel si la compétence conférée par la loi à la Cour fédérale ne fait aucun doute et si la législation fédérale applicable qui sert de fondement à une action est valide, la Cour aurait implicitement compétence pour atteindre les fins de la justice et rendre une décision finale sur tous les points en litige entre les parties.
Ainsi, je ne vois pas comment, dans une action en responsabilité délictuelle intentée contre la Couronne en vertu de la Loi sur la responsabilité de la Couronne [S.R.C. 1970, chap. C-38], le fait pour le demandeur de poursuivre un deuxième défendeur et pour la Couronne de mettre en cause une autre partie à qui elle impute la responsabilité, peut constituer un véritable obstacle.
Il me semble que c'est le point de vue dicté par le bon sens qu'a adopté madame le juge Reed dans l'affaire Marshall. Cela ne veut pas dire que le simple fait d'intenter une action devant la Cour fédérale confère à celle-ci une compétence univer- selle et incontestable. Cela laisse supposer qu'il est possible d'examiner les faits particuliers en cause lorsque plus de deux parties sont concernées et que le paragraphe 17(1) de la Loi sur la Cour fédérale permet à la Cour de se prononcer sur l'ensemble de la cause d'action lorsque ces faits sont très «étroite- ment liés».
Aucun appel n'a été interjeté de la décision rendue dans l'affaire Marshall. C'est peut-être ce qui a encouragé le juge Reed à s'attaquer plus récemment à ces questions dans l'affaire Little Chief c. Canada (procureur général) jugement en date du 11 juin 1986, Division de première ins tance de la Cour fédérale, T-2102-85. Ayant à se prononcer précisément sur la question des bandes indiennes et de la Loi sur les Indiens, madame le juge a confirmé la compétence de la Cour fédérale sur le défendeur qui est membre d'une bande indienne. Elle a contourné la décision rendue dans l'affaire La bande indienne de Lubicon Lake c. R., [1981] 2 C.F. 317 (1" inst.) pour le motif que les faits dont elle avait été saisie étaient, comme dans l'affaire Marshall, si étroitement liés que la Cour fédérale pouvait à juste titre connaître de toutes les questions en litige.
Étant donné ce qui précède, il y aurait peut-être lieu de faire remarquer qu'il est préférable d'adop- ter une approche plus pragmatique ou individuelle quant à la compétence de la Cour fédérale de statuer sur plus d'une question litigieuse plutôt que de mettre en pratique des abstractions juridiques. Si l'ensemble des points en litige et des faits d'une affaire exige la tenue d'un procès commun et le prononcé d'une décision finale, il importe peu qu'une question concernant une partie empiète, d'une certaine façon, sur le droit provincial pour autant que cette question soit, quant à son carac- tère essentiel, un accessoire ou une conséquence nécessaire d'une loi fédérale valide et de la position relative des parties quant à celle-ci.
En l'espèce, la loi fédérale à examiner est la Loi sur les Indiens [S.R.C. 1970, chap. I-6]. En voici les dispositions pertinentes:
2. (1) Dans la présente loi
«bande» signifie un groupe d'Indiens,
a) à l'usage et au profit communs desquels, des terres, dont le titre juridique est attribué à Sa Majesté, ont été mises de côté ...
«Ministre» désigne le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien;
«réserve» signifie une parcelle de terrain dont le titre juridique est attribué à Sa Majesté et qu'Elle a mise de côté à l'usage et au profit d'une bande;
«terres cédées» signifie une réserve ou partie d'une réserve, ou tout intérêt y afférent, dont le titre juridique demeure attri- bué à Sa Majesté et que la bande à l'usage et au profit de laquelle il avait été mis de côté a abandonné ou cédé.
(2) L'expression «bande», en ce qui concerne une réserve ou des terres cédées, signifie la bande à l'usage et au profit de laquelle la réserve ou les terres cédées ont été mises de côté.
18. (1) Sauf les dispositions de la présente loi, Sa Majesté détient des réserves à l'usage et au profit des bandes respectives pour lesquelles elles furent mises de côté ...
20. (1) Un Indien n'est légalement en possession d'une terre dans une réserve que si, avec l'approbation du Ministre, posses sion de la terre lui a été accordée par le conseil de la bande.
(2) Le Ministre peut délivrer à un Indien légalement en possession d'une terre dans une réserve un certificat, appelé certificat de possession, attestant son droit de posséder la terre y décrite.
(4) Lorsque le conseil de la bande a attribué à un Indien la possession d'une terre dans une réserve, le Ministre peut, à sa discrétion, différer son approbation et autoriser l'Indien à occu- per la terre temporairement, de même que prescrire les condi tions, concernant l'usage et l'établissement, que doit remplir l'Indien avant que le Ministre approuve l'attribution.
(5) Lorsque le Ministre diffère son approbation conformé- ment au paragraphe (4), il doit délivrer un certificat d'occupa- tion à l'Indien, et le certificat autorise l'Indien, ou ceux qui réclament possession par legs ou par transmission sous forme d'héritage, à occuper la terre concernant laquelle il est délivré, pendant une période de deux ans, à compter de sa date.
21. Il doit être tenu au ministère un registre, connu sous le nom de Registre des terres de réserve, sont inscrits les détails concernant les certificats de possession et certificats d'occupa- tion et les autres opérations relatives aux terres situées dans une réserve.
30. Quiconque pénètre, sans droit ni autorisation, dans une réserve est coupable d'infraction et passible, sur déclaration sommaire de culpabilité, d'une amende d'au plus cinquante dollars ou d'un emprisonnement d'au plus un mois, ou à la fois de l'amende et de l'emprisonnement.
31. (1) Sans préjudice de l'article 30, lorsqu'un Indien ou une bande prétend que des personnes autres que des Indiens
a) occupent ou possèdent illégalement, ou ont occupé ou possédé illégalement, une réserve ou une partie de réserve,
b) réclament ou ont réclamé sous forme d'opposition le droit d'occuper ou de posséder une réserve ou une partie de réserve, ou
c) pénètrent ou ont pénétré, sans droit ni autorisation, dans une réserve ou une partie de réserve,
le procureur général du Canada peut produire à la Cour fédérale du Canada une dénonciation réclamant, au nom de l'Indien ou de la bande, le soulagement ou le redressement désiré.
(3) Rien au présent article ne doit s'interpréter comme atténuant, diminuant ou atteignant d'autre façon un droit ou recours qui, sans le présent article, serait accessible à Sa Majesté, ou à un Indien ou une bande.
37. Sauf dispositions contraires de la présente loi, les terres dans une réserve ne doivent être vendues, aliénées ni louées, ou il ne doit en être autrement disposé, que si elles ont été cédées à Sa Majesté par la bande à l'usage et au profit communs de laquelle la réserve a été mise de côté.
39. (1) Une cession est nulle à moins
a) qu'elle ne soit faite à Sa Majesté,
b) qu'elle ne soit sanctionnée par une majorité des électeurs de la bande
(i) à une assemblée générale de la bande convoquée par son conseil,
(ii) à une assemblée spéciale de la bande convoquée par le Ministre en vue d'examiner une proposition de cession, ou
(iii) au moyen d'un référendum comme le prévoient les règlements, et
c) qu'elle ne soit acceptée par le gouverneur en conseil.
55. (1) Il est tenu au ministère un registre, appelé Registre des terres cédées, dans lequel sont inscrits tous les détails relatifs à la location ou autre aliénation de terres cédées par le Ministre, ou à tout transfert qui en est fait.
58. (1) Lorsque, dans une réserve, un terrain est inculte ou inutilisé, le Ministre peut, du consentement du conseil de la bande, [prendre certaines dispositions quant à ce terrain] .. .
Les parties reconnaissent que le terrain en ques tion est une réserve telle qu'elle est définie plus haut. La Couronne fédérale détient le titre juridi- que sur les réserves et le terrain est mis de côté à l'usage et au profit d'une bande particulière. Le droit de la bande sur le terrain est inaliénable sauf dans le cas d'une cession à Sa Majesté (Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335, aux pages 376 et 382). Par conséquent, il faut déterminer le droit à l'usage et au bénéfice d'une réserve en se fondant sur la Loi sur les Indiens.
L'action intentée contre la bande défenderesse est fondée sur la violation de propriété. La viola tion de propriété est [TRADUCTION] «un délit commis contre la personne ayant droit à la posses sion d'un bien-fonds et qui consiste pour le défen- deur à s'introduire sur le bien-fonds du demandeur sans y être autorisé par la loi» (The Canadian Law Dictionary, Law and Business Publications (Canada) Inc., Don Mills, Ontario, 1980, à la page 385). Il est donc nécessaire pour prouver la viola tion du droit de propriété de déterminer qui a droit à la possession du terrain.
Ce n'est pas le droit fédéral qui donne naissance à la cause d'action en l'espèce. Les droits et obliga tions des parties doivent toutefois être déterminés dans une large mesure par le droit fédéral comme l'exige le critère dégagé dans l'affaire Bensol. Comme je l'ai déjà dit, le droit de posséder une réserve ne peut être établi qu'en vertu de la Loi sur les Indiens. Le résultat ressemble donc beaucoup à celui de l'affaire Marshall c. La Reine, précitée la page 449], il a été jugé que les «conclusions de fait qui seraient tirées à l'égard de l'un des défendeurs sont étroitement liées à celles qui devraient l'être quant à l'autre».
La décision de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Joe et autres en leur qualité personnelle et au nom de la bande Conne River et de la collecti- vité indienne Micmac de Conne River c. Gouver- nement du Canada (1983), 49 N.R. 198, peut être utile à titre d'analogie. L'action des demandeurs visait à obtenir une déclaration portant que cer- tains biens-fonds appartenant à la province de Terre-Neuve étaient la propriété de la Couronne fédérale aux fins des réserves indiennes. La Cour a rejeté l'action pour le motif la page 199] «[qu']une telle déclaration aurait .. . principale- ment pour effet de toucher aux droits de propriété de la province de Terre-Neuve», question qui ne pouvait relever de la compétence de la Cour fédérale.
Cette approche reposant sur l'examen du carac- tère essentiel de la loi indique que pour déterminer la compétence de la Cour fédérale dans l'affaire dont j'ai été saisi, je dois tenir compte de la véritable question en litige, c'est-à-dire la revendi- cation de la possession des terrains d'une réserve que la Couronne a illégalement attribués à quel- qu'un d'autre. Pour ce qui est de l'occupation des
terrains de la réserve par la bande défenderesse, le droit à l'occupation continue repose sur la Loi sur les Indiens. De même, le droit à la possession allégué par la bande demanderesse coexiste avec son droit d'évincer les occupants des terrains et ces deux droits découlent de la Loi sur les Indiens.
Je reconnais que les décisions citées par les avocats, l'affaire Succession Stephens c. Ministre du Revenu national, Wilkie, Morrison, Smith, Stratham (shérif adjoint, comté d'Oxford), agent Ross et Davidson (1982), 40 N.R. 620 (C.A.F.) et les autres décisions la compétence des cours provinciales pour statuer sur les questions de viola tion de propriété sur les terres indiennes a été contestée sans succès, soulèvent quelques doutes sur le bien-fondé de mes conclusions. Je trouve un peu rassurant à cet égard le commentaire du juge Berger dans l'affaire Joe et al. v. Findlay (1978), 87 D.L.R. (3d) 239 (C.S.C.-B.); il a dit à la page 243 que même s'il était nécessaire de constituer la Couronne [fédérale] partie demanderesse ou partie défenderesse, cela ne porterait pas atteinte à la compétence de la Cour suprême de la Colombie- Britannique. Le juge a affirmé qu'une telle mise en cause [TRADUCTION] «viserait simplement à assu- rer que toutes les parties soient présentes devant la Cour et à éviter la multiplication des procédures». Il ne s'agit pas, selon lui, d'une demande de redres- sement contre la Couronne au sens du paragraphe 17(1) de la Loi sur la Cour fédérale. J'estime que la situation sur laquelle je dois me prononcer est l'inverse de celle qui a été soumise au juge Berger. La demanderesse dans l'action dont il avait été saisi était la bande indienne qui réclamait l'expul- sion d'un de ses membres parce que celui-ci occu- pait illégalement une partie des terres de la réserve, la Couronne fédérale n'ayant à ce stade aucun intérêt dans le litige et ne pouvant peut-être pas faire grand-chose pour aider à le résoudre. En l'espèce, c'est la Couronne qui a attribué la réserve
12 la bande défenderesse et c'est contre la Couronne que le principal redressement est demandé. La mise en cause de la bande défende- resse est, à mon avis, la mesure à prendre pour assurer que tous les aspects du litige, dont certains ne se limitent pas nécessairement à l'application de techniques légales ou contractuelles d'interpréta- tion, soient soumis à la Cour de manière à mieux servir tous les intérêts divergents des véritables parties au litige et à permettre d'arriver plus rapi- dement à une solution.
J'ajouterais une dernière remarque quant à la situation dynamique créée par l'action intentée par la demanderesse contre la Couronne et la bande indienne défenderesse. Nul ne niera, pas même les avocats très compétents de la requérante, qu'il serait approprié que la bande indienne défende- resse soit partie à l'action. Les intérêts de ses membres sont en jeu. Il s'agit de la situation classique la cour doit donner à une partie ce qu'elle doit retirer à une autre. Il ressort des plaidoiries écrites produites jusqu'à maintenant que, pour établir qu'elle était en possession légi- time de la réserve 12, la demanderesse a rassemblé et produit des éléments de preuve détail- lés, pour ne pas dire une masse de preuves compor- tant des éléments historiques, contractuels et administratifs d'une grande complexité. Les mem- bres de la bande indienne défenderesse ont été les acteurs principaux de cette affaire tout autant que la bande indienne demanderesse et ses membres et que Sa Majesté la Reine et ses préposés. Il est non seulement souhaitable mais, à mon avis, indispen sable qu'ils prennent part au procès éventuel.
Je dois par conséquent rejeter la requête présen- tée par la bande indienne défenderesse.
Pour ce qui est d'un autre point en litige, les avocats de la bande défenderesse ont indiqué à la Cour que les recherches approfondies entreprises par la bande demanderesse pour intenter son action ont pris par surprise la bande défenderesse. Dans de telles circonstances, la Cour devrait se montrer généreuse et accorder à cette dernière un délai pour lui permettre de préparer sa défense de manière à réfuter les éléments de preuve détaillés et complexes qui ont été avancés contre elle. Tout en rejetant la requête en radiation de la bande défenderesse, je dois en même temps lui accorder un délai de 70 jours à compter de la date de la présente ordonnance pour déposer sa défense.
Les dépens suivront l'issue de la cause.
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