T-714-86
Nafareih Mahtab (requérante)
c.
Commission de l'emploi et de l'immigration du
Canada et Gendarmerie royale du Canada
(intimées)
RÉPERTORIÉ: MAHTAB C. COMMISSION DE L'EMPLOI ET DE
L'IMMIGRATION DU CANADA
Division de première instance, juge Teitelbaum—
Montréal, 28 avril; Ottawa, 26 mai 1986.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Procédures
criminelles et pénales — Fouille, perquisition ou saisie — Un
agent d'immigration a saisi, sans mandat, le passeport de la
requérante sur le fondement de l'art. 111(2)b) de la Loi sur
l'immigration de 1976 — La requérante a remis volontaire-
ment son passeport à l'agent d'immigration au cours de l'en-
quête sur le statut de réfugié politique — La saisie du
passeport contrevient à l'article 8 de la Charte — Primauté de
la Charte — L'obtention préalable d'un mandat est une condi
tion de la validité d'une fouille, d'une perquisition et d'une
saisie — La détention continue du passeport constitue une
saisie au sens de l'art. 8 — Une saisie sans mandat est à
première vue abusive — La présomption du caractère abusif de
la saisie n'a pas été réfutée — Charte canadienne des droits et
libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.), art. 8 — Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77,
chap. 52, art. 111(2)b) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap.
47, art. 23).
Immigration — Saisie de passeport — Citoyenne iranienne
utilisant un passeport espagnol pour entrer au Canada — Elle
revendique le statut de réfugiée politique — Elle a remis
volontairement son passeport iranien à l'agent d'immigration
au moment de l'enquête — L'agent a saisi, sans mandat, le
passeport sur le fondement de l'art. 111(2)b) de la Loi sur
l'immigration de 1976 — La GRC aurait le passeport en sa
possession — La saisie est valide suivant la Loi sur l'immigra-
tion de 1976 car aucun mandat n'est requis — La saisie
contrevient à l'art. 8 de la Charte car elle est abusive —
Ordonnance portant que le passeport doit être remis à la
requérante — Une saisie sans mandat est justifiée s'il y a des
risques que la personne disparaisse avec son passeport — Loi
sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art.
111(2)b) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 47, art. 23) —
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie
I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982
sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 8.
La requérante est citoyenne iranienne; pour entrer au
Canada, elle a utilisé un passeport espagnol qu'elle avait acheté
au marché noir. Elle a reconnu avoir agi ainsi pour contourner
la loi canadienne qui oblige les citoyens iraniens à obtenir un
visa canadien avant d'entrer au Canada. Dès son arrivée au
Canada, la requérante a demandé le statut de réfugiée politi-
que. À l'enquête spéciale tenue au sujet de sa demande, la
requérante a remis volontairement son passeport iranien à
l'agent d'immigration parce qu'elle croyait que c'était la cou-
tume. On allègue que l'agent a alors saisi, sans mandat, le
passeport sur le fondement de l'alinéa 111(2)b) de la Loi sur
l'immigration de 1976. Les intimés soutiennent que la saisie
était justifiée parce que la requérante était entrée au Canada en
utilisant un faux passeport et que son passeport iranien sem-
blait avoir été modifié. La requérante demande une injonction
ordonnant aux intimées de lui indiquer où se trouve son passe-
port et de le lui remettre. Elle cherche également à obtenir des
dommages-intérêts. Il s'agit de déterminer si la saisie effectuée
sur le fondement de l'alinéa 111(2)b) est abusive et contrevient,
par conséquent, à l'article 8 de la Charte.
Jugement: la requête est accueillie en partie. La Cour
ordonne aux intimées de remettre le passeport.
L'alinéa 111(2)b) habilite un agent d'immigration à saisir et
à détenir à un point d'entrée ou au Canada tous documents
lorsqu'il a de bonnes raisons de croire qu'une telle mesure
s'impose pour faciliter l'application des dispositions de la Loi.
Ledit alinéa n'exige pas l'obtention préalable d'un mandat. Par
conséquent, en ce qui concerne la Loi sur l'immigration de
1976,1a saisie a été effectuée suivant les règles.
La Cour ne pouvait cependant tirer la même conclusion pour
ce qui est de la Charte. Comme l'a dit la Cour suprême dans
l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145,
toute règle de droit incompatible avec la Constitution, qui est la
loi suprême du Canada, est inopérante. Il a été établi dans cet
arrêt que pour qu'une fouille, une perquisition ou une saisie
soient valides sous le régime du droit canadien, une autorisation
préalable doit être obtenue lorsque possible; «une telle autorisa-
tion ... est une condition préalable de la validité d'une fouille,
d'une perquisition et d'une saisie». Dans l'affaire R. v. Zaharia
and Church of Scientology of Toronto (1985), 21 C.C.C. (3d)
118 (H.C. Ont.), le juge Osler a statué que la détention
continue constitue une saisie au sens de l'article 8 de la Charte.
En l'espèce, même si le passeport a été remis volontairement
aux intimées, sa «détention» continue constitue une saisie.
Eu égard aux faits de l'espèce, on ne peut affirmer que la
saisie sans mandat du passeport était raisonnable et nécessaire.
Une saisie sans mandat est à première vue abusive. Les inti-
mées n'ont soumis aucune preuve montrant pourquoi il était
impossible d'obtenir un mandat.
Il peut y avoir des cas où il n'est pas nécessaire pour un agent
d'immigration d'obtenir un mandat avant d'effectuer une saisie.
Ainsi, on peut imaginer certains cas où si la saisie n'est pas
effectuée sur-le-champ, la personne disparaîtra avec son passe-
port. Ce n'est toutefois pas le cas en l'espèce car il ressort des
faits qu'il aurait été possible pour l'agent d'immigration d'obte-
nir un mandat avant de saisir le passeport.
JURISPRUDENCE
DÉCISION SUIVIE:
Hunter et autres c. Southam Inc., [ 1984] 2 R.C.S. 145.
DÉCISION EXAMINÉE:
R. v. Zaharia and Church of Scientology of Toronto
(1985), 21 C.C.C. (3d) 118 (H.C. Ont.).
DÉCISION CITÉE:
R. v. Jagodic and Vajagic (1985), 19 C.C.C. (3d) 305
(C.S.N.-E.).
AVOCATS:
Jean-François Bertrand pour la requérante.
Suzanne Marcoux-Paquette pour les inti-
mées.
PROCUREURS:
Jodoin & Noreau, Montréal, pour la requé-
rante.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimées.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE TEITELBAUM: La requérante Nafareih
Mahtab me prie de rendre contre les intimées, la
Commission de l'emploi et de l'immigration du
Canada et la Gendarmerie royale du Canada, une
injonction destinée à:
Ordonner aux intimés [sic] de faire rapport à la requérante des
faits suivants:
— Où est son passeport;
— Qui est responsable de son passeport;
— Ce qui est envisagé quant à la disposition de ce passeport;
Ordonner aux intimés [sic] de soit déposer des accusations
relatives à ce passeport qui permettront à la requérante de
défendre son bien, ou soit lui remettre son bien, l'une ou l'autre
des activités dans un délai de quinze (15) jours d'un jugement
en la présente affaire;
Ordonner aux intimés [sic], dans l'éventualité où ni l'une ni
l'autre des deux (2) activités mentionnées à la conclusion
précédente ne peut être réalisée, de remettre à la requérante des
documents de voyages canadiens lui permettant une lattitude
[sic] d'action et de mouvement équivalente à son passeport;
Condamner les intimés [sic] conjointement et solidairement et
leur ordonner de payer à la requérante la somme de 2,500.00$
en guise de dommages-intérêts liquidés:
— 1,000.00$ en dédommagements [sic] des efforts entraînés par
l'illégalité des intimés [sic];
— 1,500.00$ en dédommagement de la perte de jouissance de
son bien par la requérante, dans la seule éventualité où son
passeport ne puisse plus lui être remis;
Le tout, avec dépens contre les intimés [sic].
Au moment de l'audience, la requérante a aban-
donné sa demande de dommages-intérêts. J'estime
qu'elle a agi sagement car une requête en injonc-
tion ne constitue pas la procédure appropriée pour
réclamer des dommages-intérêts pécuniaires.
Il est devenu évident, une fois l'audience termi-
née, que la requérante cherchait en réalité à obte-
nir une ordonnance enjoignant aux intimées de lui
remettre le passeport saisi par un agent d'immigra-
tion et que la GRC aurait actuellement en sa
possession.
Un résumé des faits permettrait de mieux com-
prendre pourquoi la présente requête en injonction
est devenue nécessaire.
La requérante, Nafareih Mahtab, est citoyenne
iranienne; aux environs du 5 février 1981, pendant
qu'elle était en Iran, elle a demandé au gouverne-
ment iranien de lui délivrer un passeport afin de
lui permettre de quitter le pays. La date d'expira-
tion du passeport ainsi délivré était le 5 février
1984.
Aux environs du 16 juillet 1983, soit plus de
deux ans après la délivrance du passeport, la
requérante a quitté l'Iran à destination de l'Alle-
magne de l'Ouest afin de rendre visite à son frère
qui possédait là-bas le statut de réfugié politique.
Elle a ensuite décidé de quitter l'Allemagne de
l'Ouest le 16 octobre 1983 à destination de la
France. Je présume que la requérante a utilisé son
passeport iranien en règle afin de se rendre en
France. Dans l'affidavit qu'elle a produit à l'appui
de sa requête, la requérante déclare qu'elle avait
l'intention de demander le statut de réfugiée politi-
que en France.
Au cours de l'audience tenue devant moi, on m'a
dit que la requérante était étudiante lorsqu'elle se
trouvait en France. On n'a aucunement fait men
tion de sa présumée demande de statut de réfugiée
ni précisé si elle avait été présentée, refusée ou
accueillie.
Étant donné que son passeport (iranien) deve-
nait périmé le 5 février 1984, la requérante se
serait présentée à l'ambassade d'Iran à Paris
(France) afin de demander une prorogation de la
date d'expiration dudit passeport.
La requérante prétend s'être rendue à l'ambas-
sade d'Iran le 5 février 1984, soit le tout dernier
jour de validité de son passeport; elle a remis son
passeport et présenté une demande de prorogation
et on lui a alors demandé de revenir le 9 février
1984. Le jour dit, elle est revenue à l'ambassade
d'Iran, elle a reçu son passeport et, sans vérifier
celui-ci, elle a quitté l'ambassade.
La requérante déclare ensuite qu'après avoir
quitté l'ambassade et pendant qu'elle marchait,
elle a décidé d'examiner son passeport et a alors
constaté qu'une erreur s'y était glissée. Son passe-
port avait été validement prorogé conformément
au calendrier iranien, mais il ne l'avait pas été
suivant le «calendrier grégorien», c'est-à-dire qu'il
a été prorogé jusqu'au 2/2/85 plutôt que jusqu'au
5/2/87.
Même si cela était vrai, le passeport a été pro-
rogé jusqu'au 2 février 1985, sa date d'expiration
originale étant le 5 février 1984.
La requérante soutient qu'en raison de cette
erreur, c'est-à-dire la prorogation de la date de
validité du passeport jusqu'au 2 février 1985 plutôt
que jusqu'au 5 février 1987, elle a renvoyé le
passeport à l'ambassade d'Iran où un employé de
l'ambassade a changé la date en écrivant simple-
ment par-dessus la date originale. Il a remplacé la
date originale, qui était le 2-2-1985, par le
5-2-1987 en écrivant simplement le chiffre 5 par-
dessus le premier 2 et le chiffre 7 par-dessus le 5
de 1985. On doit aussi examiner la note qui figure
à la page 11 du passeport:
Ce passeport est valable jusqu'au 05.02.1987
Paris, le 09,02,1984.
Il faut remarquer qu'à la page 9 du passeport où
le premier changement a été effectué, la date est le
2-2-1985 ou le 5-2-1987. Contrairement à la page
11, aucun «0» ne précède les chiffres «2» et «5». De
même, la personne qui a effectué le changement
n'a pas apposé ses initiales et la signature de celle
qui a consenti à la prorogation jusqu'en 1987 ne
figure pas à la page 11. On trouve toutefois à la
page 11 ce qui semble être le sceau du gouverne-
ment iranien.
De toute manière, la requérante a décidé de ne
pas demeurer en France. Elle souhaitait venir au
Canada et c'est ce qu'elle a fait le 24 novembre
1984. Dès son arrivée au Canada, elle a demandé
le statut de réfugiée politique.
La requérante reconnaît qu'elle a utilisé un
«faux» passeport pour venir au Canada. Faux, du
moins, dans le sens où elle a utilisé un passeport
espagnol comme si elle était citoyenne espagnole.
Elle affirme qu'elle a agi ainsi afin de ne pas avoir
à obtenir un visa canadien pour entrer au Canada
comme tous les citoyens iraniens sont obligés de le
faire.
L'avocat de la requérante a donné deux motifs
pour lesquels celle-ci a utilisé un «faux» passeport:
[TRADUCTION] a) Les détenteurs d'un passeport iranien sont
obligés de se procurer un visa canadien pour venir au Canada
ce qu'il était impossible d'obtenir
et
b) La compagnie d'aviation refuserait à une personne de
monter à bord d'un avion à moins que cette dernière ne
prouve prima facie qu'elle possède des documents de voyage
en règle.
Par conséquent, la requérante a voulu contour-
ner la loi canadienne, selon les dires de son avocat,
en achetant au «marché noir» un «faux» passeport
espagnol.
L'avocat m'a informé que, dès son arrivée, la
requérante a déclaré qu'outre le fait qu'elle souhai-
tait demander le statut de réfugiée politique, le
passeport qu'elle avait utilisé pour venir au
Canada était faux. Cela s'est passé le 24 novembre
1984. Selon la requérante, son passeport iranien
était toujours en France.
La requérante affirme qu'elle a été laissée en
liberté jusqu'au 26 mars 1985, date à laquelle une
enquête spéciale devait être tenue. Ladite enquête
a été reportée au 9 avril 1985. C'est au cours d'une
telle enquête qu'une personne peut demander offi-
ciellement le statut de réfugié politique.
L'avocat de la requérante m'indique que pen
dant cette période, c'est-à-dire, je présume, du 24
novembre 1984 au 9 avril 1985, soit une période
d'environ quatre mois et demi, celle-ci a écrit en
France afin d'obtenir son passeport et elle l'a remis
à l'enquêteur présidant l'enquête spéciale le 9 avril
1985.
D'après l'avocat de la requérante, le passeport a
alors été saisi en vertu de l'alinéa 111(2)b) de la
Loi sur l'immigration de 1976 du Canada [S.C.
1976-77, chap. 52 (mod. par S.C. 1980-81-82-83,
chap. 47, art. 23)].
La question en litige porte sur la légalité de la
saisie effectuée le 9 avril 1985 par un agent du
ministère de l'Immigration du Canada. Aucun
mandat n'a été obtenu pour effectuer cette saisie.
On allègue violation de l'article 8 de la Charte
canadienne des droits et libertés [qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap.
11 (R.-U.)].
L'article 8 porte:
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les
perquisitions ou les saisies abusives.
Le mot le plus important de cet article est
«abusives». Il me semble, à la lecture de cet article,
que si la fouille, la perquisition et la saisie ne sont
pas abusives, l'individu ne bénéficie pas alors de la
protection garantie par ledit article de la Charte
des droits.
Cet article a fait l'objet de nombreuses contro-
verses ce qui a donné lieu à de nombreuses contes-
tations devant les tribunaux.
Je crois que la décision la plus importante sur
l'interprétation de cet article est celle de la Cour
suprême dans l'arrêt Hunter et autres c. Southam
Inc., [1984] 2 R.C.S. 145. Dans cette affaire, la
Cour a énoncé les critères permettant de savoir
quand une saisie peut être effectuée sans la déli-
vrance préalable d'un mandat et elle a déterminé
qui devrait autoriser la délivrance d'un mandat
pour une telle fouille, perquisition et saisie.
Le jugement du juge Dickson (tel était son titre)
a été suivi par le juge MacIntosh dans l'affaire R.
v. Jagodic and Vajagic (1985), 19 C.C.C. (3d)
305 (C.S.N.-E.), ainsi que par le juge Osler dans
l'affaire R. v. Zaharia and Church of Scientology
of Toronto (1985), 21 C.C.C. (3d) 118 (H.C.
Ont.).
Les principes énoncés par le juge Dickson (tel
était son titre) dans l'arrêt Hunter sont extrême-
ment importants. Le premier principe général est
le suivant (à la page 148):
La Constitution du Canada, qui contient la Charte canadienne
des droits et libertés, est la loi suprême du Canada. Elle rend
inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle
de droit.
Comme je l'ai déjà dit, le litige consiste à déter-
miner si l'alinéa 111(2)b) de la Loi sur l'immigra-
tion de 1976 contrevient à l'article 8 de la Charte
canadienne des droits et libertés.
L'alinéa 111(2)b) de la Loi sur l'immigration de
1976 porte:
iii....
(2) L'agent d'immigration a le pouvoir
b) de saisir et de détenir, à un point d'entrée ou au Canada,
tous documents, notamment ceux de voyage, pouvant servir à
déterminer si une personne peut obtenir l'admission ou entrer
au Canada, au cas où il a de bonnes raisons de croire qu'une
telle mesure s'impose pour faciliter l'application de la pré-
sente loi ou des règlements; ...
Comme on peut le constater, cet article de la Loi
sur l'immigration de 1976 n'exige nullement la
présentation d'une demande de mandat pour effec-
tuer la fouille, la perquisition ou la saisie.
En l'espèce, la saisie a été effectuée au moment
de l'enquête spéciale formelle tenue le 9 avril 1985,
enquête au cours de laquelle la requérante a
demandé son admission au Canada comme réfu-
giée politique.
On peut affirmer à première vue que la saisie a
été effectuée suivant les règles en ce qui concerne
la Loi sur l'immigration de 1976, mais que ce n'est
pas le cas en ce qui a trait à l'article 8 de la Charte
canadienne des droits qui prime les règles de droit
énoncées dans la Loi sur l'immigration de 1976.
Quelles sont donc les conditions pour qu'une
fouille, une perquisition et une saisie soient valides
en vertu de notre droit?
L'extrait suivant, tiré de la décision du juge
Dickson (tel était son titre) dans l'arrêt Hunier et
autres c. Southam Inc. (précité), est à mon avis
applicable à la question examinée en l'espèce (aux
pages 160 et 161):
L'exigence d'une autorisation préalable, qui prend habituelle-
ment la forme d'un mandat valide, a toujours été la condition
préalable d'une fouille, d'une perquisition et d'une saisie valides
sous le régime de la common law et de la plupart des lois. Une
telle exigence impose à l'État l'obligation de démontrer la
supériorité de son droit par rapport à celui du particulier.
Comme telle, elle est conforme à l'esprit apparent de la Charte
qui est de préférer, lorsque cela est possible, le droit des
particuliers de ne pas subir l'ingérence de l'État au droit de ce
dernier de poursuivre ses fins par une telle ingérence.
Je reconnais qu'il n'est peut-être pas raisonnable dans tous
les cas d'insister sur l'autorisation préalable aux fins de valider
des atteintes du gouvernement aux expectatives des particuliers
en matière de vie privée. Néanmoins, je suis d'avis de conclure
qu'une telle autorisation, lorsqu'elle peut 'être obtenue, est une
condition préalable de la validité d'une fouille, d'une perquisi-
tion et d'une saisie.
Le juge Dickson a ajouté à la page 161 qu'une
saisie sans mandat était à première vue «abusive»:
... je suis d'avis d'adopter en l'espèce la formulation du juge
Stewart qui s'applique pareillement au concept du «caractère
abusif» que l'on trouve à l'art. 8, et j'estime que la partie qui
veut justifier une perquisition sans mandat doit réfuter cette
présomption du caractère abusif. [C'est moi qui souligne.]
En l'espèce, la requérante a remis volontaire-
ment son passeport iranien à l'enquêteur spécial
Robert Racicot (paragraphe 10 de l'affidavit de la
requérante) à l'audience du 9 avril 1985 parce
qu'elle croyait que c'était la coutume de confier les
pièces d'identité aux autorités canadiennes (para-
graphe 11 du même affidavit).
La requérante déclare dans son affidavit (para-
graphe 10) que, après qu'elle eut remis son passe-
port à M. Racicot, celui-ci l'a saisi, sans mandat,
sur le fondement de l'alinéa 111(2)b).
C'est l'immigration canadienne ou la Gendar-
merie royale du Canada qui détient le passeport.
Jusqu'à maintenant, les intimées n'ont pas
obtenu de mandat de fouille, de perquisition ou de
saisie.
Les intimées ont soutenu que le passeport n'a
pas été saisi et que, comme l'indique le paragraphe
10 de l'affidavit de la requérante, celle-ci a remis
volontairement ledit passeport à M. Racicot et
savait pourquoi on le lui retirait.
Les intimées allèguent en outre qu'elles avaient,
à première vue, des motifs de croire qu'il y avait
lieu de saisir le passeport. Elles ont mentionné
deux de ces motifs:
[TRADUCTION] a) La requérante est entrée au Canada avec
un passeport qui n'était pas le sien afin de contourner la loi
canadienne;
b) Le passeport produit par la requérante le 9 avril 1985
permettait de voir qu'il était possible que la page 9 ait été
modifiée.
On ne m'a pas demandé dans la requête dont j'ai
été saisi de déterminer s'il faudrait accorder le
statut de réfugiée politique à la requérante. J'ai
très peu d'estime pour les personnes qui essaient
d'entrer au Canada et d'y rester en utilisant des
moyens illégaux.
On ne peut fermer les yeux sur cette méthode,
c'est-à-dire entrer au Canada en utilisant un faux
passeport ou un autre moyen illégal, que lorsque la
personne essaie de fuir un pays où sa vie peut être
sérieusement en danger.
En l'espèce, la requérante aurait pu rester en
Allemagne de l'Ouest avec son frère ou en France
où, de son propre aveu, elle s'était rendue pour
demander le statut de réfugiée politique.
Cela ne change rien au fait qu'on ne s'est pas
adressé à une personne indépendante, comme un
juge, pour obtenir un mandat autorisant la saisie
du passeport de la requérante.
Dans l'affaire R. v. Zaharia and Church of
Scientology of Toronto (précitée), le juge Osler dit
très clairement que la détention continue constitue
une saisie au sens de l'article 8 de la Charte
canadienne des droits et libertés. Il affirme à la
page 124:
[TRADUCTION] Je suis d'avis qu'il est impossible aux fins de
la Charte de distinguer la détention de la saisie.
J'estime que même si le passeport a été remis
volontairement aux intimées, sa «détention» conti
nue constitue une saisie.
La saisie sans mandat du passeport est-elle rai-
sonnable et nécessaire eu égard aux faits de
l'espèce?
Je ne le crois pas. La saisie effectuée sous forme
de détention continue du passeport contrevient à
l'article 8 de la Charte.
Les intimées soutiennent qu'elles n'ont pas mis
fin à la saisie parce qu'on leur a remis un rapport
indiquant que le passeport a été modifié.
Personne ne nie que le passeport a été modifié.
Tout ce qu'on se demande c'est par qui il l'a été.
La requérante n'a pas été accusée d'avoir apporté
de telles modifications; les seules accusations por-
tées consistaient à dire que des modifications
avaient été faites. Il se peut que celles-ci aient été
faites légalement, mais cette question devra être
tranchée à un autre moment.
Dans l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc.
(précité), la Cour énonce le principe suivant lequel
une saisie sans mandat est à première vue abusive.
Les intimées ne m'ont soumis aucune preuve mon-
trant qu'il était impossible d'obtenir un tel mandat
avant d'effectuer la saisie (détention du passeport).
Cette situation n'a rien à voir avec celle où un
préposé des douanes saisit des marchandises à la
frontière lorsqu'une personne essaie de les faire
passer en contrebande au Canada et qu'une saisie
doit être effectuée sur-le-champ.
Je crois qu'il ressort des faits de l'espèce qu'il
était possible pour M. Racicot d'obtenir un
mandat avant de saisir le passeport. Il faudrait
donner à la requérante l'occasion de réfuter toute
accusation portant qu'elle a commis un acte illégal
en ayant un passeport modifié en sa possession.
Il n'est pas toujours nécessaire qu'un agent
d'immigration obtienne un mandat avant de saisir
un passeport car, dans certains cas, il est possible
que si la saisie n'est pas effectuée sur-le-champ, la
personne disparaisse avec son passeport.
Ce n'est pas le cas en l'espèce.
Appliquant les principes dégagés par le juge
Dickson, je conclus que la saisie du passeport de la
requérante est «abusive» et, par conséquent, illé-
gale et ce, en vertu de l'article 8 de la Charte
canadienne des droits et libertés.
La requête est accueillie en partie. J'ordonne
aux intimées de remettre à la requérante, dans un
délai de 15 jours à compter de la date du présent
jugement, le passeport iranien numéro 865238 por-
tant le nom de la requérante, le tout avec dépens.
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