T-1247-85
Ernest Willia Scott (demandeur)
c.
La Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ. SCOTT c. R.
Division de première instance, juge Joyal—Van-
couver, 28 avril; Ottawa, 6 juin 1986.
Pratique — Prescription — Détenu blessé lors d'une chute
— Vingt-neuf mois plus tard, il a intenté une action en
dommages-intérêts contre la Couronne — Les dispositions de
la Loi provinciale prévoyaient une période de prescription de
deux ans — Interruption de la prescription si le demandeur est
frappé d'incapacité — Il s'agit de l'incapacité d'ordre physique
ou mental dont est frappée une personne ou de données indé-
pendantes qui l'empêchent considérablement de gérer ses
affaires — La preuve indique que le demandeur a consulté des
avocats longtemps avant l'expiration du délai de prescription
— Le demandeur a donné des renseignements erronés à son
avocat quant à la date à laquelle il s'est blessé — L'absence de
fonds n'a pas rendu le demandeur incapable de gérer ses
affaires — Action rejetée parce qu'elle est irrecevable en
raison des dispositions de la Loi — Limitation Act, R.S.B.C.
1979, chap. 236, art. 3(1), 7 — Loi sur la responsabilité de la
Couronne, S.R.C. 1970, chap. C-38, art. 19 — Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 38.
Il s'agit d'une demande présentée en vue d'obtenir une
ordonnance déclarant que l'action est irrecevable en raison des
dispositions de la Loi. Le 2 janvier 1983, le demandeur qui est
détenu au pénitencier Matsqui a fait une chute et s'est blessé au
genou. L'action a été intentée quelque 29 mois plus tard. Le
paragraphe 3(1) de la Limitation Act de la Colombie-Britanni-
que fixe un délai de deux ans pour intenter une action en vue
d'obtenir des dommages-intérêts pour des dommages corporels
infligés à une personne. L'article 7 prévoit toutefois l'interrup-
tion de la prescription lorsque la personne est frappée d'une
incapacité. Le sous-alinéa 7(5)a)(ii) définit «l'incapacité»
comme le fait d'être «incapable ou considérablement empêchée
de gérer ses affaires». La seule question en litige est l'interpré-
tation de l'article 7. Le demandeur soutient qu'il était frappé
d'incapacité en raison de son emprisonnement et de son manque
d'argent.
Jugement: la demande doit être accueillie.
Étant donné que cette disposition particulière de la Loi est
interprétée pour la première fois, la Cour doit s'en tenir stricte-
ment aux faits.
Lorsqu'il s'agit de l'incapacité résultant du fait d'être incapa
ble ou empêché de gérer ses affaires, le terme incapacité
s'entend de l'incapacité d'ordre physique ou mental dont serait
frappée une personne ou de données indépendantes de la
volonté de celle-ci et qui l'empêcheraient considérablement de
gérer ses affaires. Même si l'emprisonnement peut ralentir les
activités d'une personne, la preuve a indiqué que le demandeur
est entré en communication avec un avocat environ deux mois
après l'accident et avec un autre avocat quelque quatre mois
plus tard. Environ un an plus tard, un troisième avocat a
accepté de s'occuper de l'affaire et de recevoir des honoraires
conditionnels moyennant le versement d'une provision. Il
semble toutefois que le demandeur a indiqué à son avocat que
l'accident s'était produit en 1984 et non en 1983. Le demandeur
n'a versé une provision à son avocat qu'une fois le délai de
prescription expiré. L'omission du demandeur d'intenter une
action dans le délai imparti n'était pas imputable à son empri-
sonnement. De même, le manque d'argent n'a pas empêché le
demandeur de gérer ses affaires et ne constituerait pas un
obstacle important dans la gestion des affaires d'une personne.
L'absence de fonds n'a pas empêché le demandeur d'obtenir,
moyennant le versement d'une provision, les services d'un
avocat quelque onze mois avant l'expiration du délai de pres
cription. Le demandeur a été victime de l'erreur qu'il a com-
mise en donnant ses instructions à son avocat et non de
circonstances factuelles qui l'ont rendu incapable ou l'ont consi-
dérablement empêché de gérer ses affaires.
JURISPRUDENCE
DECISION EXAMINÉE:
McKay v. Winnipeg General Hospital et al., [1971] 1
W.W.R. 65 (B.R. Man.).
AVOCATS:
Paul D. Gornall pour le demandeur.
P. Dan Le Dressay pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Paul D. Gornall, Vancouver, pour le deman-
deur.
Clark, Wilson, Vancouver, pour la défende-
resse.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE JOYAL: Il s'agit d'une demande présen-
tée par la défenderesse, Sa Majesté la Reine, en
vue d'obtenir une ordonnance déclarant irreceva-
ble l'action en dommages-intérêts intentée par le
demandeur, en raison des dispositions de la Limi
tation Act, R.S.B.C. 1979, chap. 236.
L'action est fondée sur les dommages corporels
que le demandeur a subis à l'occasion d'un acci
dent ayant eu lieu le 2 janvier 1983, pendant sa
détention au pénitencier Matsqui en Colombie-
Britannique. L'accident s'est produit lorsque, les
bras chargés de plateaux de service vides, le
demandeur a glissé, puis s'est effondré sur le plan-
cher, s'infligeant alors de graves blessures au
genou gauche, lesquelles ont entraîné une certaine
incapacité partielle permanente. Le demandeur
tient la Couronne responsable desdits dommages.
Le demandeur a intenté son action contre la
défenderesse le 31 mai 1985, soit quelque 29 mois
après la naissance de la cause d'action. Dans la
défense qu'elle a déposée le 28 juin 1985, la défen-
deresse a entre autres fait valoir les dispositions de
la Limitation Act de la Colombie-Britannique et,
tout particulièrement, le paragraphe 3(1) de ce
texte dont voici le libellé:
[TRADUCTION] 3. (1) L'action se prescrit par 2 ans après la
naissance de la cause d'action, dans les cas:
a) de dommages infligés à la personne ou à la propriété, y
compris le préjudice financier en résultant, donnant
ouverture à un recours fondé sur un contrat, un délit ou
une obligation créée par la loi;
b) d'atteinte à la propriété autre que celle prévue à l'alinéa
a);
c) de diffamation;
d) d'emprisonnement à la suite d'une erreur judiciaire;
e) de poursuite abusive;
f) de délit prévu par la Privacy Act;
g) d'exercice d'un recours prévu par la Family Compensa
tion Act;
h) de séduction
La défenderesse a en outre invoqué l'article 4 de
la Loi sur la responsabilité de la Couronne,
S.R.C. 1970, chap. C-38, qui prévoit que, en cas
de réclamation de nature délictuelle fondée sur un
manquement à un devoir afférent à la propriété, à
l'occupation, à la possession ou à la garde d'un
bien, un avis écrit doit être signifié dans les sept
jours après que ladite réclamation a pris naissance.
Pendant l'audience, l'avocat de la défenderesse a
renoncé à l'argument fondé sur l'absence d'avis,
préférant ainsi restreindre sa plaidoirie à la ques
tion de la prescription prévue dans la Limitation
Act de la Colombie-Britannique.
Les parties s'entendent quant à la date de l'acci-
dent et celle où l'action en dommages-intérêts a été
intentée. Elles conviennent également que, en
raison de l'article 19 de la Loi sur la responsabilité
de la Couronne et de l'article 38 de la Loi sur la
Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10],
les lois en matière de prescription en vigueur dans
la province de la Colombie-Britannique s'appli-
quent aux présentes procédures.
La seule question en litige porte donc sur l'appli-
cation et sur l'interprétation de l'article 7 de la
Limitation Act relatif à l'incapacité. Cet article
prévoit l'interruption ou la suspension de la pres-
cription contre une personne lorsque celle-ci est
frappée d'une incapacité.
Voici le libellé intégral de l'article 7 de la Loi:
[TRADUCTION] 7. (1) Lorsqu'au moment où une cause d'ac-
tion prend naissance, une personne est frappée d'une incapacité,
le délai de prescription prévu par la présente loi est interrompu
aussi longtemps que dure l'incapacité.
(2) Lorsque le délai de prescription a été interrompu en
application du paragraphe (1), la prescription qui court contre
la personne dont l'incapacité a cessé correspond à la plus longue
des deux périodes suivantes:
a) le délai dont ladite personne aurait disposé n'eût été son
incapacité, à partir du moment où la cause d'action est née;
ou
b) le délai dont ladite personne aurait disposé n'eût été son
incapacité, à partir du moment où l'incapacité a cessé, limité
à six années après la cessation de l'incapacité.
(3) Lorsqu'une personne est frappée d'une incapacité après
qu'a commencé à courir le délai de prescription établi à l'égard
de la cause d'action dont elle dispose, mais avant que n'expire
ledit délai, la prescription contre cette personne est suspendue
aussi longtemps que dure l'incapacité.
(4) Lorsque le délai de prescription a été suspendu en
application du paragraphe (3), la prescription qui court contre
la personne dont l'incapacité a cessé correspond à la plus longue
des deux périodes suivantes:
a) le temps dont disposait encore cette personne lorsqu'elle a
été frappée de l'incapacité; ou
b) une année à partir du moment où a cessé l'incapacité.
(5) Aux fins du présent article
a) une personne est frappée d'une incapacité lorsqu'elle est
(i) un mineur; ou
(ii) de fait incapable ou considérablement empêchée de
gérer ses affaires; et
b) «tuteur» désigne un parent, une personne qui, dans les
faits, prend soin d'un mineur et en a la garde, ou un curateur
nommé en application de la Patients Property Act.
(6) Nonobstant les paragraphes (1) et (3), lorsqu'une per-
sonne incapable a un tuteur et qu'une autre personne contre
laquelle la première peut avoir un recours fait signifier un avis
de procéder au tuteur et au curateur public conformément aux
dispositions du présent article, le délai de prescription com
mence à courir contre l'incapable comme si son incapacité avait
pris fin le jour de la signification de l'avis.
(7) un avis de procéder signifié en vertu du présent article
doit:
a) être fait par écrit;
b) être signifié au tuteur et au curateur public;
c) indiquer le nom de la personne frappée d'une incapacité;
d) préciser les circonstances pouvant donner naissance au
recours ou à partir desquelles on pourrait prétendre qu'une
cause d'action est née, de façon assez détaillée pour permet-
tre au tuteur de vérifier si la personne incapable dispose
effectivement du recours;
e) préciser que les dispositions de cette loi pourraient rendre
irrecevable le recours auquel les circonstances en question
donnent ouverture;
f) indiquer le nom de la personne pour le compte de laquelle
l'avis est signifié;
g) porter la signature de la personne pour le compte de qui
l'avis est signifié, ou celle de son avocat.
(8) Le paragraphe (6) ne s'applique qu'à l'égard des person-
nes pour le compte desquelles l'avis a été signifié et de la cause
d'action découlant des circonstances dont l'avis fait état.
(9) Il incombe à la personne qui entend bénéficier d'une
interruption ou d'une suspension de la prescription d'établir que
l'une ou l'autre est intervenue en application du présent article.
(10) Un avis de procéder signifié en vertu de cet article ne
constitue pas une confirmation aux fins de la présente loi ni un
aveu à quelque fin que ce soit.
(11) Le procureur général peut prendre des règlements pres-
crivant la forme, le contenu et le mode de signification d'un avis
de procéder.
On remarquera que le paragraphe 7(5) dispose
qu'aux fins de l'article, une personne est considérée
comme incapable lorsqu'elle est (i) un mineur ou
(ii) de fait incapable ou considérablement empê-
chée de gérer ses affaires.
Les avocats des deux parties ont admis que cette
disposition particulière de la Loi n'avait jamais fait
l'objet d'une interprétation par les tribunaux. Ils
ont également convenu que peu de jurisprudence
avait trait à de semblables lois prévoyant des règles
particulières à l'égard des incapables.
Il ne me reste donc qu'à interpréter cette Loi
provinciale pour la première fois, et ce, en m'en
tenant strictement aux faits qui m'ont été
présentés.
Essentiellement, le demandeur soutient que son
emprisonnement et son manque d'argent en ont
fait une personne frappée d'une incapacité, c'est-à-
dire qu'il était «de fait incapable ou considérable-
ment empêché[.. .1 de gérer ses affaires» pour
reprendre l'expression utilisée au paragraphe 7(5)
de la Loi.
Les faits sur lesquels se fonde la prétention de
l'avocat du demandeur sont énoncés dans l'affida-
vit souscrit par le demandeur et dans les pièces
déposées.
Voici, pour l'essentiel, ce que le demandeur
déclare:
1. depuis le mois de juin 1977, il a été emprisonné.
2. il n'a eu que peu d'occasions de gagner de
l'argent, de sorte qu'il n'a pu en économiser;
3. il a consulté un avocat dispensant des conseils
aux détenus, mais celui-ci a dit ne pouvoir s'occu-
per de l'affaire étant donné la nature de la
réclamation;
4. en septembre 1983, un codétenu a écrit à un
autre avocat pour son compte, mais celui-ci a
refusé de prendre l'affaire;
5. il a également discuté de la réclamation avec un
avocat d'Abbotsford (C.-B.), mais celui-là aussi a
refusé le mandat;
6. finalement, en février 1984, il a été en mesure
de retenir les services d'un avocat, lequel a accepté
de recevoir des honoraires conditionnels pourvu
qu'une provision soit versée; or, il n'a pas été en
mesure de réunir la somme correspondant à la
provision exigée, avant la fin du mois de mars
1985;
7. en donnant ses instructions à son avocat, il
aurait laissé entendre à ce dernier que l'accident
avait eu lieu le 2 janvier 1984 plutôt que le 2
janvier 1983.
On me demande de conclure, à partir de ces
éléments de preuve, que le demandeur était de fait
incapable ou considérablement empêché de gérer
ses affaires à cause de son emprisonnement ou de
ses difficultés financières, ou des deux.
Avant d'analyser les faits et d'en tirer des con
clusions, je tiens à faire un bref examen de l'article
7 de la Loi et, plus particulièrement, du paragra-
phe 7(5) dont voici le libellé:
7....
(5) Aux fins du présent article
a) une personne est frappée d'une incapacité lorsqu'elle est
(i) un mineur; ou
(ii) de fait incapable ou considérablement empêchée de
gérer ses affaires;
La définition que la Loi donne au mot «incapa-
cité» me paraît réduire considérablement la portée
de celui-ci. «Incapacité» est un terme générique
que l'on peut utiliser dans plusieurs domaines. Le
Concise Law Dictionary d'Osborn (7e éd., Londres,
Sweet & Maxwell, 1983), la page 119, donne à
ce terme une définition juridique, soit [TRADUC-
TION] «L'incapacité juridique, générale ou spé-
ciale». De même le Judicial Dictionary of Words
and Phrases de Stroud, Vol. 2 (4e éd., Londres,
Sweet & Maxwell Limited, 1972), la page 784,
associe l'incapacité au fait [TRADUCTION] «d'être
empêché ou rendu incapable de faire quelque
chose ou d'hériter ou de jouir d'une chose ...»
Quant à The Oxford English Dictionary, Vol. 3
(Oxford, Clarendon Press, 1969), la page 397, il
définit l'«incapacité» comme étant un [TRADUC-
TION] «Défaut de capacité ... , [une] Incapacité
financière ou [un] manque de moyens ... [une]
Incapacité au sens de la loi».
Pour ce qui concerne le Black's Law Dictionary
(5 e éd., St. Paul, Minn., West Publishing Co.,
1979), la page 415, il donne au mot «incapacité»
une définition très large touchant tant à la pleine
jouissance des droits de la personne, à l'empêche-
ment au mariage et à l'incompétence pour occuper
un poste qu'à l'incapacité découlant d'un handicap
physique ou mental.
Selon les définitions données par ces dictionnai-
res, le mot «incapacité» peut avoir deux significa
tions, l'une strictement juridique et l'autre plus
générale. Lorsque employé à l'égard d'une per-
sonne mineure, ce terme a un sens essentiellement
juridique. Mais lorsqu'il s'agit de l'incapacité
résultant du fait d'être incapable ou considérable-
ment empêché de gérer ses affaires, ce mot peut
prendre plusieurs sens. Voici quelques-unes des
circonstances que l'on peut associer à ce genre
d'incapacité: la maladie physique ou mentale, un
coma prolongé à la suite d'un accident grave, une
perte temporaire de mémoire, des situations échap-
pant à la volonté tel le naufrage ou l'incarcération
dans une prison étrangère où il n'est pas permis de
communiquer avec l'extérieur; il s'agirait donc
d'une incapacité d'ordre physique ou mental dont
serait frappée une personne ou de données indé-
pendantes de la volonté de celle-ci et qui l'empê-
cheraient considérablement de gérer ses affaires.
Compte tenu des faits portés à ma connaissance,
on peut soutenir que l'emprisonnement, d'une part,
et les difficultés financières, d'autre part, restrei-
gnent beaucoup la capacité d'une personne de
gérer ses affaires. On ne peut nier que l'emprison-
nement ralentit les activités d'une personne. Bien
qu'aucun élément de preuve n'ait été présenté à cet
égard, on peut penser qu'un détenu ne peut se
servir du téléphone à son gré ni passer tout son
temps à écrire des lettres à des avocats ou à
rencontrer ceux-ci. Ce genre de contrainte n'est
cependant pas en cause, la preuve établissant clai-
rement que le demandeur est entré en communica
tion avec un avocat dès le 2 mars 1983, soit
environ deux mois après l'accident. Aussi, le ou
vers le 18 juillet 1983, il a été en mesure de
communiquer avec un autre avocat, puis, un peu
plus tard, avec un troisième.
Un an environ après l'accident, l'avocat qui
représente actuellement le demandeur à l'audience
a accepté de s'occuper de l'affaire et de recevoir
des honoraires conditionnels, moyennant le verse-
ment d'une provision. Dans une lettre adressée au
demandeur et datée du 17 février 1984, l'avocat
fait état des modalités de l'entente. Il y prévient
également le demandeur qu'une action devrait être
intentée aussitôt que possible [TRADUCTION]
«étant donné qu'elle pourrait être prescrite après
un certain temps». Mais ce qui ressort davantage
de cette lettre c'est le fait que, au début de sa
lettre, l'avocat mentionne [TRADUCTION] «les
dommages corporels qui vous ont été infligés le 2
janvier 1984 au pénitencier de Matsqui» (c'est moi
qui souligne). Il ne semble pas s'agir d'une erreur
de frappe, le demandeur ayant lui-même admis
qu'il aurait laissé entendre à son avocat que l'acci-
dent avait eu lieu en 1984 et non en 1983.
Le demandeur ne disposait pas de suffisamment
de fonds pour verser une provision à son avocat. Ce
n'est en fait que le 26 février 1985 qu'il a été en
mesure de donner son assentiment aux modalités
exposées par l'avocat dans la lettre envoyée une
année auparavant. Le demandeur a fait parvenir à
son avocat un chèque daté du 1 e` mars 1985, mais
entre-temps, le délai de prescription de deux
années établi par la Loi avait expiré.
Je ne puis conclure que l'omission du deman-
deur d'intenter une action dans le délai imparti est
imputable à son emprisonnement. Le demandeur a
eu suffisamment d'occasions, pendant les deux
années en cause, de communiquer avec des avo-
cats. L'avocat qui a pris l'affaire en main ne
saurait non plus être blâmé; croyant que l'accident
avait eu lieu le 2 janvier 1984, il n'avait aucune
raison de s'inquiéter du fait que le temps passait et
que le demandeur n'avait toujours pas répondu à
sa proposition du 17 février 1984. Il était, en fait,
justifié de croire qu'il avait jusqu'en janvier 1986
pour intenter l'action.
La période pendant laquelle le demandeur ne
disposait pas des fonds nécessaires pour intenter
l'action pourrait-elle être assimilée à une période
d'incapacité au sens de la Loi en cause, de sorte
que l'on pourrait conclure qu'il était alors de fait
incapable ou considérablement empêché de gérer
ses affaires? Je ne le crois pas.
Bien que l'on doive admettre que le manque
d'argent peut empêcher une personne de faire un
certain nombre de choses, je doute que cela la
rende incapable de gérer ses affaires. De plus,
même si l'on concède que l'absence de fonds peut
également constituer un obstacle important dans
l'accomplissement d'un certain nombre de choses,
je doute qu'elle fasse en sorte que le demandeur
soit considérablement empêché, au sens de la Loi,
de gérer ses affaires.
Quoi qu'il en soit, il appert en l'espèce que
l'absence de fonds n'a pas empêché le demandeur
de chercher à obtenir, puis d'obtenir, moyennant le
versement d'une provision, les services d'un avocat.
La lettre de son avocat proposant une entente
comportant le versement d'une provision, est datée
du 17 février 1984, soit quelque onze mois avant
l'expiration du délai de prescription. L'avocat a
prévenu le demandeur du fait que le délai avait
commencé à courir, mais comme on lui avait
donné à croire que la cause d'action venait tout
juste de prendre naissance, on peut comprendre
qu'il n'ait procédé à aucun rappel.
Il est clair que le demandeur a été victime d'une
quelconque erreur inconsciente de sa part ou d'un
certain concours malheureux de circonstances, les-
quels lui ont infligé un grave préjudice. Il reste
cependant qu'on ne peut en venir à la conclusion
que ces circonstances factuelles l'ont rendu incapa
ble ou l'ont considérablement empêché de gérer ses
affaires.
L'avocat de la défenderesse a invoqué l'arrêt
McKay v. Winnipeg General Hospital et al.,
[1971] 1 W.W.R. 65, de la Cour du Banc de la
Reine du Manitoba. Il ressort de cet arrêt que la
Limitation of Actions Act du Manitoba, R.S.M.
1954, chap. 145, modifiée par S.M. 1966-67, chap.
32, permet de proroger un délai de prescription
pour certains motifs liés essentiellement à une
question de fait ou de connaissance. La Cour a
alors déclaré [à la page 67]:
[TRADUCTION] La Loi n'a pas été adoptée dans le but de
permettre les retards et les atermoiements. En l'espèce, les
retards sont dus à l'impossibilité pour la requérante d'obtenir
les services d'un avocat afin d'intenter une action dans le délai
imparti. Son droit de bénéficier de l'aide juridique du Manitoba
est maintenant reconnu, mais l'action est prescrite. Je suis
d'avis que le législateur n'envisageait pas la prorogation d'un
délai pour remédier à la lenteur du processus administratif.
L'avocat de la défenderesse a reconnu que l'ar-
rêt manitobain était loin de porter sur la question
en litige. Il a cependant ajouté qu'un examen
exhaustif de la jurisprudence portant sur la possi-
bilité de proroger les délais prévus dans les lois
relatives à la prescription, ne lui avait pas permis
de trouver quoi que ce soit qui puisse être utile à la
Cour en l'espèce. Je suis d'accord avec lui.
L'avocat a, en outre, déposé devant la Cour un
extrait du rapport relatif à la prescription rédigé
par la Commission de réforme du droit de la
Colombie-Britannique. Il a toutefois admis que
cela n'était pas d'une grande utilité en l'espèce, ce
dont je conviens.
J'ai déjà dit, dans ces motifs, que je devais
m'abstenir de trop m'étendre sur ce que doit com-
prendre l'expression «de fait incapable ou considé-
rablement empêchée de gérer ses affaires» utilisée
au paragraphe 7(5). Je m'en suis tenu à des exem-
ples évidents et même banals. Je n'irai pas plus
loin. Je décide tout simplement que, compte tenu
de toutes les circonstances de l'espèce, le deman-
deur ne peut invoquer l'article en cause.
J'accueille donc la requête de la défenderesse
visant au rejet de l'action du demandeur pour le
motif qu'elle est irrecevable vu les dispositions de
la Loi.
La défenderesse n'a pas demandé de dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.