T-831-82
Algonquin Mercantile Corporation (demande-
resse) (appelante)
c.
Dart Industries Canada Limited (défenderesse)
(intimée)
RÉPERTORIÉ: ALGONQUIN MERCANTILE CORP. C. DART
INDUSTRIES CANADA LTD.
Division de première instance, juge Addy—
Toronto, 7, 8, 9, 10, 11, 16, 17, 18, 21 avril;
Ottawa, 28 octobre 1986.
Pratique — Intérêts — Rejet de procédures en contrefaçon
d'un dessin industriel — Évaluation des dommages causés à la
défenderesse en raison d'une injonction interlocutoire — Appel
interjeté du rapport du protonotaire — L'intérêt doit être
déterminé suivant les règles de fond de la province dans la
mesure où elles ne sont pas incompatibles avec des dispositions
législatives fédérales — Intérêt antérieur au jugement accordé
— Application de l'art. 36 de la Judicature Act de l'Ontario
— L'art. 40 de la Loi sur la Cour fédérale n'empêche pas
l'application du taux d'intérêt postérieur au jugement en
vigueur dans la juridiction déterminant l'assujettissement —
Intérêt postérieur au jugement calculé conformément aux art.
137 et 139(1) de la Loi sur les tribunaux judiciaires de
l'Ontario — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.),
chap. 10, art. 20, 40 — Loi sur la Cour de l'Échiquier, S.R.C.
1927, chap. 34, art. 22 (mod. par S.C. 1928, chap. 23, art. 3c))
— Judicature Act, R.S.O. 1980, chap. 223, art. 36 — Loi sur
les tribunaux judiciaires, S.O. 1984, chap. 11, art. 137, 138,
139(1) — Loi sur l'intérêt, S.R.C. 1970, chap. I-18, art. 3 —
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie
I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982
sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.).
Pratique — Références — Appel est interjeté du rapport par
lequel le protonotaire a évalué les dommages subis par la
défenderesse par suite de l'injonction interlocutoire — Le rôle
du juge de première instance est semblable à celui d'une cour
d'appel entendant un appel formé contre l'évaluation des dom-
mages-intérêts faite par un juge de première instance à la
suite de témoignages de vive voix — Pour infirmer ou modifier
les conclusions du protonotaire, il n'est pas nécessaire de
conclure qu'elles étaient irrationnelles — Il suffit que le juge
de première instance soit convaincu que le protonotaire s'est
trompé en interprétant la preuve ou en appliquant la loi —
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 500,
503, 505, 506, 507.
Dessins industriels — Rejet des procédures en contrefaçon
— Appel interjeté du rapport par lequel le protonotaire a
évalué les dommages subis par la défenderesse par suite de
l'injonction interlocutoire — Les dommages subis après la
levée de l'injonction sont recouvrables — Lorsqu'une partie
demande une injonction, elle s'engage à payer tous les dom-
mages découlant de l'octroi de ladite injonction — Cet engage
ment ne se limite pas aux dommages qui ont été subis durant
l'injonction — La common law n'impose pas de date limite —
L'évaluation des dommages subis pendant la période posté-
rieure à l'injonction est assujettie aux limites habituellement
établies lorsque celle-ci est la cause indirecte du préjudice —
Intérêt antérieur au jugement et intérêt postérieur au jugement
accordés.
Les procédures engagées contre la défenderesse pour contre-
façon alléguée du dessin industriel d'une plaque chauffante
appelée "Breakfast Nook" appartenant à la demanderesse ont
été rejetées. La demanderesse interjette appel du rapport par
lequel le protonotaire a évalué les dommages subis par la
défenderesse du fait qu'elle s'est conformée à une injonction
interlocutoire. Le litige concerne le droit de la défenderesse au
recouvrement des dommages subis après la levée de l'injonction
et le calcul de l'intérêt antérieur au jugement et de l'intérêt
postérieur au jugement. Avant de se prononcer sur ces points, la
Cour a répondu à des questions relatives à son rôle dans un
appel de ce genre, au degré de preuve requis dans l'évaluation
des dommages-intérêts et aux conséquences de l'ommission du
protonotaire de mentionner certains éléments de preuve.
Jugement: le montant accordé par le protonotaire pour les
dommages subis postérieurement à l'injonction est réduit; un
intérêt antérieur au jugement doit être accordé et le taux de
l'intérêt antérieur et postérieur au jugement calculé conformé-
ment aux dispositions législatives provinciales qui sont
applicables.
Le rôle d'un juge de la Division de première instance qui
statue sur un appel relatif à l'évaluation faite par un arbitre est,
pour l'essentiel, le même que celui d'une cour d'appel entendant
un appel formé contre l'évaluation de dommages-intérêts faite
par un juge de première instance à la suite de témoignages de
vive voix: les mêmes principes généraux s'appliquent. Pour
infirmer ou modifier les conclusions du protonotaire, il n'est pas
nécessaire pour le juge de première instance de conclure qu'el-
les étaient irrationnelles, ou qu'aucun juge aurait pu logique-
ment arriver à ces conclusions. Il suffit qu'il soit convaincu que
le protonotaire s'est trompé soit en interprétant la preuve soit
en appliquant la loi.
Le juge de première instance doit également être convaincu
selon la prépondérance des probabilités que la partie à laquelle
incombe le fardeau de la preuve a établi l'existence des faits
pertinents. Il a le droit, s'il croit un témoin, de ne se fier qu'au
témoignage de ce dernier, peu importe qu'il s'agisse ou non d'un
témoin intéressé ou même d'une partie à l'action.
L'argument suivant lequel l'omission du protonotaire de
mentionner certains éléments de preuve a entraîné une erreur
dans la détermination des faits ne pouvait être retenu. Le
simple fait qu'il ait laissé de côté certains éléments de preuve
sans avoir examiné les éléments de preuve contraires ne consti-
tue pas un motif suffisant pour qu'une cour d'appel conclue
qu'il n'a pas tenu compte de tous les éléments de preuve
pertinents.
La question de savoir si les pertes subies après la levée de
l'injonction étaient recouvrables a entraîné un examen du droit
applicable lorsqu'une des parties s'engage à verser une indem-
nité avant qu'une injonction lui soit accordée. Les parties qui
demandent une injonction interlocutoire s'engagent habituelle-
ment à payer tous les dommages découlant de ladite injonction
et non pas seulement ceux qui ont été subis durant l'injonction.
La common law n'impose pas non plus de date limite artifi-
cielle. L'évaluation des dommages subis pendant la période
postérieure à l'injonction reste assujettie aux limites qui sont
habituellement établies lorsque celle-ci est la cause indirecte du
préjudice; en d'autres termes, il s'agit de savoir si après un
certain laps de temps et d'autres événements, il est encore
possible, suivant la prépondérance des probabilités et avec un
degré de certitude raisonnable, d'attribuer les pertes à
l'injonction.
Il est bien établi que le droit au paiement d'un intérêt, qu'il
s'agisse d'un intérêt antérieur au jugement ou d'un intérêt
postérieur au jugement, est une question de fond. En l'espèce,
ce sont les règles de fond de la province de l'Ontario qui
s'appliquent dans la mesure où elles ne sont pas exclues par une
loi fédérale à laquelle la Cour fédérale serait tenue de se
conformer.
La défenderesse a droit à un intérêt antérieur au jugement. Il
n'est pas possible de souscrire à la proposition suivant laquelle
aucun intérêt n'est accordé en Cour fédérale sur des domma-
ges-intérêts tant que ceux-ci ne sont pas déterminés. Pas plus
d'ailleurs qu'il n'est possible d'admettre la proposition suivant
laquelle étant donné que l'article 40 de la Loi sur la Cour
fédérale traite de la question de l'intérêt postérieur au jugement
lorsque le jugement ne donne pas droit au versement d'un
intérêt, il faut présumer que le législateur fédéral n'avait pas
l'intention de permettre qu'un intérêt antérieur au jugement
soit accordé. En l'espèce, la disposition applicable relativement
à l'intérêt antérieur au jugement est l'article 36 de la Judica
ture Act de l'Ontario. Les dommages réclamés sont généraux,
c'est-à-dire qu'ils ont découlé immédiatement et directement du
fait qu'on a empêché la défenderesse de vendre ses marchandi-
ses. Etant donné qu'il s'agit de dommages-intérêts non détermi-
nés, on doit considérer que la date à laquelle l'engagement a été
demandé par la défenderesse et imposé par la Cour constitue la
date à laquelle l'intérêt doit commencer à courir conformément
au sous-alinéa 36(3)b)(ii). Le paragraphe 36(6), qui habilite le
juge à modifier le taux d'intérêt, a été appliqué. Les taux
d'intérêt doivent être fixés à 8,25 % et 16,5 %.
Pour ce qui est de l'intérêt postérieur au jugement, il a été
allégué qu'en vertu de l'article 40 de la Loi sur la Cour
fédérale, le jugement ne peut porter intérêt à un taux supérieur
à 5 % à moins que les circonstances ne justifient une telle
augmentation. Cet argument a été rejeté. L'article 40 s'appli-
que lorsque la cour a choisi de ne pas fixer l'intérêt postérieur
au jugement. Lorsqu'elle a décidé de le faire, elle peut appli-
quer le taux d'intérêt ordinaire postérieur au jugement qui est
en vigueur dans la juridiction dont les dispositions législatives
déterminent l'assujettissement. En l'espèce, les dispositions
applicables sont l'article 137 et le paragraphe 139(1) de la Loi
sur les tribunaux judiciaires de l'Ontario. L'intérêt postérieur
au jugement doit être calculé à compter de la date du jugement
sur le montant total des dommages plus l'intérêt antérieur au
jugement et les dépens puisqu'ils sont tous visés par l'expression
«la somme d'argent due aux termes d'une ordonnance» qui
figure au paragraphe 139(1).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Teledyne Industries, Inc. et autre c. Lido Industrial
Products Ltd. (1982), 68 C.P.R. (2d) 204 (C.F. 1re inst.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Cossette v. Dun (1890), 18 R.C.S. 222.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Hoffman-LaRoche (F) & Co AG v. Secretary of State
for Trade and Industry, [1974] 2 All E.R. 1128 (H.L.);
McCracken et al. v. Watson, [1932] R.C.E. 83; Le Vae
Marjorie Manz et al. v. The Steamship Giovanni Amen-
dola, [1956] R.C.E. 55; The Queen v. Murray et al.,
[1967] R.C.S. 262; Procureur général du Canada et
Motel Fontaine Bleue Inc. (1979), 29 N.R. 394 (C.A.F.);
Davie Shipbuilding Limited c. La Reine, [1984] 1 C.F.
461 (C.A.); McKinnon and McKillap v. Campbell River
Lbr. Co., Ltd. (No. 2), [1922] 2 W.W.R. 556
(C.A.C.-B.); Consolidated Distilleries Ltd. v. The King,
[1932] R.C.S. 419; [1933] A.C. 508 (P.C.); Consolboard
Inc. c. MacMillan Blcedel (Saskatchewan) Ltd.
(1982), 63 C.P.R. (2d) 1 (C.F. lre inst.); confirmée par
(1983), 74 C.P.R. (2d) 199 (C.A.F.); Domestic Conver
ters Corporation c. Arctic Steamship Line, [1984] 1 C.F.
211; (1983), 46 N.R. 195 (C.A.); Marshall c. Canada
(1985), 60 N.R. 180 (C.A.F.); R. c. Nord-Deutsche
Versicherungs-Gesellschaft, [1971] R.C.S. 849; 20
D.L.R. (3d) 444.
DÉCISIONS CITÉES:
Smith v. Day (1882), 21 Ch. D. 421 (C.A.); Nusbaum v.
Hartford Fire Ins. Co., 132 A. 177 (Pa. 1926); Eisenson
v. Home Ins. Co., 84 F. Supp. 41 (N.D. Fla. 1949);
Rogers v. American Ins. Co., 338 F.2d 240 (8th Cir.
1964); Great Northern Oil Co. v. St. Paul Fire & Marine
Ins. Co., 227 N.W.2d 789 (Minn. 1975); McAsphalt
Industries Limited v. Algoma Central Railway,
T-4226-82, Cour fédérale, Division de première instance,
ordonnance en date du 2 février 1984, non publiée; Irving
Refining Ltd. v. The Travelers Indemnity Co., [1969]
I.L.R. 790 (C.A.N.-B.); Warwick Shipping Ltd. c. R.,
[1981] 2 C.F. 57 (1" inst.); Magrath c. La Commission
nationale des libérations conditionnelles du Canada,
[1979] 2 C.F. 757 (1re inst.); Astro Tire & Rubber Co. of
Canada Ltd. v. Western Assurance Co. (1979), 24 O.R.
(2d) 268 (C.A.); Brock v. Cole et al. (1983), 40 O.R.
(2d) 97 (C.A.); Dugdale v. Boissneau et al. (1983), 41
O.R. (2d) 152 (C.A.); Broddy et al. and Director of Vital
Statistics (Re) (1983), 142 D.L.R. (3d) 151 (C.A. Alb.);
Bisaillon c. Keable, [1983] 2 R.C.S. 60; British Pacific
Properties Ltd. c. Minister of Highways and Public
Works, [1980] 2 R.C.S. 283; 33 N.R. 98; Prince Albert
Pulp Co. Ltd. et autre c. The Foundation Company of
Canada Ltd., [1977] 1 R.C.S. 200; 306793 Ontario Ltd.
v. Rimes (1980), 30 O.R. (2d) 158; 16 C.P.C. 36 (C.A.);
CAE. Industries Ltd. et autre c. La Reine (1983), 79
C.P.R. (2d) 88 (C.F. 1fe inst.); Rothwell c. R. (1985), 10
C.C.E.L. 276 (C.F. 1te inst.); Consolboard Inc. c. Mac-
Millan Bloedel (Saskatchewan) Limited, [1983] I C.F.
89; (1982), 65 C.P.R. (2d) 100 (1 reinst.).
AVOCATS:
Ronald E. Dimock, c.r. et Gordon J. Zim-
merman pour la demanderesse (appelante).
G. A. Macklin, c.r. et Anthony G. Creber pour
la défenderesse (intimée).
PROCUREURS:
Sim, Hughes, Toronto, pour la demanderesse
(appelante).
Gowling & Henderson, Ottawa, pour la
défenderesse (intimée).
NOTE DE L'ARRETISTE
Le directeur général a décidé de publier les 53
pages de motifs de jugement de Sa Seigneurie
sous forme abrégée. Les quelque 14 pages lais-
sées de côté traitent de la preuve relative aux
pertes subies durant l'injonction et après la levée
de celle-ci, et de l'existence, de l'étendue et de
l'effet de «l'auto-concurrence».
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE ADDY:
LA DEMANDE
La présente action concerne le dessin industriel
d'une plaque chauffante appelée «Breakfast Nook»
que la demanderesse fabriquait depuis 1979, dessin
qui aurait été contrefait par West Bend, une divi
sion de la compagnie défenderesse. Il s'agissait
d'une plaque chauffante combinée à un réchaud
couvert situé à l'une des extrémités. La défende-
resse a commencé à fabriquer en 1982 une plaque
chauffante semblable appelée «Family Griddle
with Warmer» (ci-après F.G.W.W.) et à la distri-
buer et à la vendre à des fournisseurs. L'action a
finalement été rejetée avec dépens [[1984] 1 C.F.
246 (1" inst.)] et l'injonction interlocutoire obte-
nue par la demanderesse a été levée une fois le
procès terminé.
En l'espèce, la demanderesse interjette appel du
rapport d'un protonotaire à qui le juge de première
instance avait ordonné d'évaluer les dommages
subis par la défenderesse et dus au fait qu'elle
s'était conformée à l'injonction interlocutoire
imposée le 12 mars 1982 et levée le 28 mars 1983.
Au moment où l'injonction interlocutoire a été
prononcée, la demanderesse s'est engagée, comme
c'est l'usage, à obéir à toute ordonnance que la
Cour pourrait rendre quant aux dommages-inté-
rêts. Il est bien entendu que l'injonction, qui était
exécutoire à compter du moment où le procès a
commencé jusqu'à ce qu'elle soit finalement annu-
lée une fois le procès terminé, est restée en vigueur
pendant toute cette période, sous réserve du même
engagement de la part de la demanderesse.
Les procédures engagées devant l'arbitre pour
déterminer le montant des dommages subis par la
défenderesse ont duré 25 jours. Le rapport, qui est
extrêmement long, contient un examen détaillé des
éléments de preuve produits par les deux parties.
Après la référence, des dommages-intérêts s'éle-
vant à 708 597 $ ont été accordés sous trois postes:
les frais de transport et de publicité perdus, le
manque à gagner pendant l'injonction et le
manque à gagner une fois l'injonction levée. Les
frais de transport et de publicité perdus à cause de
l'injonction ne sont pas contestés.
À l'audience tenue devant le protonotaire, les
avocats se sont entendus pour que toutes les ques
tions concernant les taux et les calculs réels de
l'intérêt antérieur au jugement et de l'intérêt pos-
térieur au jugement soient soumises au juge saisi
de l'appel étant donné qu'il s'agissait principale-
ment de questions de droit.
PRINCIPES GÉNÉRAUX
Les notes sténographiques de l'audience tenue
devant le protonotaire comprennent quelque 24
volumes et les avocats des deux parties ont souvent
invoqué ces éléments de preuve au cours de l'au-
dience tenue devant moi.
Avant d'examiner la question de la détermina-
tion des dommages-intérêts, je devrai trancher
trois points qui ont été soulevés par les avocats et
qui concernent la manière générale suivant
laquelle le présent appel devrait être examiné et
l'effet qu'il faudrait attribuer à de nombreux élé-
ments très contradictoires présentés en preuve.
A) Appels interjetés en vertu de la Règle 506
Le premier point soulevé concerne le rôle de la
Cour dans un appel de ce genre. Il semble très
clair que le juge de première instance, le juge
Mahoney, a renvoyé l'affaire au protonotaire pour
qu'il fasse une évaluation finale qui, à la condition
qu'aucun appel ne soit interjeté, serait automati-
quement confirmée par un jugement rendu à la
suite d'une requête adressée à la Cour. Le juge n'a
pas renvoyé l'affaire pour que l'arbitre procède à
une simple évaluation prenant la forme d'une
recommandation, ce dernier devant ensuite ren-
voyer son rapport au juge pour que celui-ci rende
une décision finale sur ladite évaluation.
Voici les dispositions pertinentes du jugement de
mon collègue le juge Mahoney:
[TRADUCTION] 4. QUE les dommages subis par la défenderesse
en raison de l'injonction interlocutoire soient déterminés par
voie de référence conformément à la Règle 500.
5. QUE la demanderesse verse à la défenderesse le montant
desdits dommages-intérêts.
6. QUE J. A. Preston, protonotaire à la Cour fédérale du
Canada, soit nommé à titre d'arbitre.
7. QUE la référence ait lieu à Toronto (Ontario).
8. QUE l'une ou l'autre des parties puisse demander à l'arbitre
de rendre une ordonnance fixant la date de l'audition de la
référence.
9. QUE les dépens de la référence soient laissés à la discrétion
de l'arbitre.
10. QUE, sous réserve du paragraphe 9, la demanderesse verse à
la défenderesse ses dépens de l'action et de la référence une fois
taxés.
La Règle 500 [Règles de la Cour . fédérale,
C.R.C., chap. 663] porte notamment:
Règle 500. (1) La Cour pourra, aux fins d'établir des comptes
ou de faire des enquêtes, ou pour statuer sur un point ou une
question de fait en litige, renvoyer toute matière devant un juge
désigné par le juge en chef adjoint, ou devant un protonotaire
ou toute autre personne que la Cour estime compétente en
l'occurrence, pour enquête et rapport.
(4) L'audition d'une référence doit suivre la même procé-
dure qu'une instruction devant la Cour.
La Règle 503 prévoit que l'arbitre possède les
mêmes pouvoirs et la même autorité, en matière de
pratique et de procédure, qu'un juge qui préside à
une instruction. Il ne peut rendre un jugement
(Règle 505), mais son rapport devient définitif s'il
n'est pas interjeté appel de celui-ci dans les 14
jours et un jugement est rendu sur requête après
un préavis de 8 jours à la partie adverse (Règle
507).
J'ai été saisi du présent appel conformément à la
Règle 506 dont voici le texte:
Règle 506. Dans les 14 jours qui suivent la signification de
l'avis du dépôt d'un rapport, une partie peut, par requête
énonçant les motifs d'appel, en donnant un préavis de 8 jours au
moins, interjeter, devant la Cour, appel d'un rapport, et, sur cet
appel, la Cour pourra confirmer, modifier ou infirmer les
conclusions du rapport et rendre jugement ou renvoyer le
rapport à l'arbitre, ou à un autre arbitre, pour qu'il examine de
nouveau la question et en fasse rapport.
Pour ce qui est du rôle d'un tribunal d'appel
lorsqu'il examine l'évaluation des dommages-inté-
rêts faite au procès, l'avocat de l'intimée a invoqué
l'arrêt de la Cour suprême du Canada Cossette v.
Dun (1890), 18 R.C.S. 222, dans lequel la Cour a
infirmé la décision de la Cour du Banc de la Reine
de la province de Québec qui entendait l'appel
d'un jugement de la Cour supérieure de cette
même province. La Cour suprême du Canada a
rétabli la décision du juge de première instance en
ce qui concerne les dommages-intérêts. Quant au
rôle des cours d'appel dans de tels cas, le juge
Gwynne a dit aux pages 256 258 du recueil:
[TRADUCTION] Pour ce qui est de la question de la diminu
tion des dommages-intérêts, j'estime que les arrêts Gingras v.
Desilets, Cassels's Dig. 116 et Levi v. Reid, 6 R.C.S. Can. 482
de cette Cour, doivent être considérés comme le fondement du
principe qui est déjà reconnu depuis longtemps en Angleterre et
qui est conforme au bon sens; en vertu de ce principe, aucune
cour n'est habilitée à changer le verdict d'un jury quant à la
question des dommages-intérêts lorsque le tribunal est constitué
d'un jury; une cour ne peut davantage infirmer la décision d'un
juge siégeant sans la présence d'un jury, pour le motif que les
dommages-intérêts sont excessifs dans des cas où, comme en
l'espèce, les dommages recouvrables ne peuvent être évalués par
l'application d'une règle prévue à cette fin, ou ne peuvent être
déterminés par un calcul précis, à moins que les dommages-
intérêts accordés soient si exagérés, compte tenu de la preuve,
qu'ils dépassent l'entendement de personnes raisonnables, ou
qu'ils soient si exorbitants que ni un jury constitué de douze
personnes raisonnables, ni un juge ne pourraient logiquement
les accorder, c'est-à-dire sans choquer l'entendement de person-
nes raisonnables. Il ne s'agit pas de savoir quel montant le juge
d'appel aurait accordé à titre de dommages-intérêts s'il avait
statué sur l'affaire, mais plutôt si on peut affirmer sans se
tromper que le juge (ou le jury) qui a entendu l'affaire a agi de
manière tout à fait déraisonnable en accordant un tel montant.
On ne peut pas dire que c'est le cas en l'espèce, certains de mes
collègues estimant que, suivant leur interprétation de la preuve,
les dommages-intérêts accordés par le juge de la Cour supé-
rieure sont raisonnables. N'ayant pas jugé l'affaire, je ne peux
dire avec précision quels dommages-intérêts j'aurais dû accor-
der le cas échéant; je pense qu'il suffit de dire qu'à mon avis la
Cour du Banc de la Reine siégeant en appel ne devrait pas
annuler un jugement pour le motif que les dommages-intérêts
sont exagérés ou n'aurait pas dû réduire le montant accordé en
l'espèce, sauf si le montant accordé par la Cour supérieure était
manifestement déraisonnable; et ce n'est pas, à mon avis, ce
qu'on peut affirmer en l'espèce, indépendamment de la question
de savoir si j'aurais dû ou non accorder le même montant si
j'avais moi-même statué sur l'affaire.
Il faut toutefois remarquer, comme l'a souligné
l'avocat de l'appelante, que cette affaire portait sur
des dommages-intérêts généraux résultant d'une
diffamation verbale et d'un libelle diffamatoire et
où, comme l'a déclaré le juge Gwynne dans l'ex-
trait susmentionné, les dommages-intérêts recou-
vrables ne pouvaient «être évalués par l'application
d'une règle prévue à cette fin». Peu importe la
question de savoir si le critère dégagé en 1890 dans
l'arrêt Cossette s'appliquerait aujourd'hui, la si
tuation qui m'a été soumise est différente puisque
les dommages-intérêts, quoique généraux, concer-
nent un manque à gagner qui peut, dans une
certaine mesure, être évalué à l'aide de formules
applicables au marché, de diverses courbes de
rendement du marché indiquant les cycles de vie
prévus, de comparaisons avec les ventes d'autres
produits de la même catégorie ou du même
modèle, de la théorie de la substitution et d'autres
critères semblables mentionnés par les experts cités
par les deux parties.
Pour infirmer ou modifier les conclusions du
protonotaire, je ne suis pas tenu, comme l'arrêt
Cossette semble le laisser entendre, de conclure
qu'elles étaient totalement irrationnelles ou qu'au-
cun juge aurait pu logiquement arriver à ces con
clusions, pourvu que je sois tout à fait convaincu
qu'il s'est trompé soit en interprétant la preuve soit
en appliquant la loi.
Dans des cas comme celui dont il s'agit en
l'espèce, un juge de la Division de première ins
tance qui statue sur un appel relatif à l'évaluation
faite par un arbitre se trouve, pour l'essentiel, dans
la même position qu'une cour d'appel entendant un
appel formé contre l'évaluation de dommages-inté-
rêts faite par un juge de première instance à la
suite de témoignages de vive voix et il est donc
assujetti aux mêmes principes généraux.
Les avocats des deux parties ont invoqué la
décision que j'ai rendue dans l'affaire Teledyne
Industries, Inc. et autre v. Lido Industrial Pro
ducts Ltd. (1982), 68 C.P.R. (2d) 204 (C.F. lie
inst.), et plus particulièrement les propos que j'ai
tenus aux pages 227 et 228 du recueil:
G) Nature de la présente demande
Avant d'examiner, à la lumière des principes susmentionnés,
les conclusions de l'arbitre sur la question de l'intérêt, il serait
utile de souligner le rôle qu'un juge doit jouer dans un appel
interjeté en vertu de la Règle 506 de la Cour fédérale contre les
conclusions d'un arbitre.
Les avocats des deux parties ont convenu que, à moins que
l'arbitre n'ait manifestement tort ou soit parti d'un principe
erroné, je ne devrais pas m'ingérer dans le rapport. Ils étaient
également d'accord sur le principe qu'il ne suffit pas que j'aie
simplement des doutes sur la question de savoir si la décision
rendue par le tribunal d'instance inférieure est bien fondée,
mais que je dois être convaincu qu'elle est erronée. Ils ne
contestaient également pas les arrêts suivants rendus sur la
question: Embee Electronic Agencies Ltd. c. Agence Sherwood
Agencies Inc. et al., non publié, Cour fédérale, n° de greffe
T-5990-78, rendu le 15 septembre 1980 [résumé dans 5
A.C.W.S. (2d) 86] et Gastebled c. Stuyck et autre (1973), 12
C.P.R. (2d) 102, [1973] C.F. 1039. Dans la première affaire, le
juge en chef adjoint de cette Cour avait ceci à dire sur le sujet
aux pp. 5 et 6 de ses motifs:
La décision rendue dans l'arrêt Lightning Fastener Co. Ltd.
(précité) est utile, à plusieurs égards, dans l'examen du
présent litige, et en particulier, par son analyse du rôle du
juge. A mon avis, il ne m'incombe pas de faire une nouvelle
estimation des dommages et, en l'absence de la preuve pro-
duite devant l'administrateur, je ne peux y procéder. Il ne
m'appartient pas non plus de dire si j'aurais utilisé cette
méthode si j'avais été chargé de l'évaluation; il faut que je
détermine si, à mon avis, l'évaluateur s'est dûment acquitté
de l'obligation qui lui était confiée.
Dans l'affaire Gastebled c. Stuyck précitée, mon collègue le
juge Walsh a dit à la fin de ses motifs, à la p. 106 du rapport:
Même si l'on établissait que le savant arbitre avait commis
une erreur de droit en évaluant ces dommages-intérêts, il
faudrait, pour annuler son rapport, conclure que par suite de
cette erreur le montant qu'il a fixé est manifestement inadé-
quat. Je ne le pense pas et, en conséquence, je rejette l'appel
et confirme le rapport de l'arbitre; toutefois, vu les circons-
tances, je n'accorde pas de dépens relativement au rejet, du
présent appel.
J'estime que ces principes font encore autorité et
même si les avocats des parties dans l'affaire Tele-
dyne n'avaient pas souscrit auxdits principes, ma
conclusion aurait été la même.
B) Degré de preuve dans l'évaluation des
dommages-intérêts
Le deuxième point d'ordre général concerne la
nature et le degré de preuve nécessaire pour établir
les dommages-intérêts dans un cas comme l'espèce.
L'avocat de la demanderesse a fait remarquer
que la défenderesse a choisi de ne citer comme
témoins, outre ses témoins experts, que trois de ses
principaux acheteurs indépendants afin d'établir le
nombre de F.G.W.W. invendues. Selon lui, on ne
devrait pas se fier aux témoignages de plusieurs
représentants de commerce travaillant pour la
défenderesse et cités par celle-ci pour établir le
nombre de ventes qu'elle prévoyait conclure avec
plusieurs autres fournisseurs principaux, ni consi-
dérer que ces témoignages constituent des preuves
suffisantes parce qu'il s'agissait en fait de témoins
intéressés. Il a prétendu que ce n'était pas la
meilleure preuve disponible, que la loi obligeait la
défenderesse à citer des témoins au service de ces
sociétés et non de sa propre compagnie et que, par
conséquent, le protonotaire n'aurait pas dû tenir
compte de ces témoignages et conclure que des
ventes qui auraient pu être conclues avec d'autres
sociétés ne l'ont pas été.
Je rejette complètement ces arguments. Il
n'existe aucune règle de droit de ce genre. La
personne qui se prononce sur la question des dom-
mages-intérêts, comme c'est le cas pour une per-
sonne qui statue sur toute autre question de fait
dans une affaire civile, doit être convaincue selon
la prépondérance des probabilités que la partie à
laquelle incombe le fardeau de la preuve a établi
l'existence des faits pertinents. Pour arriver à cette
conclusion, elle a le droit, si elle croit un témoin,
de ne se fier qu'au témoignage de ce dernier, peu
importe qu'il s'agisse ou non d'un témoin intéressé
ou même d'une partie à l'action. La demanderesse
était évidemment tout à fait libre, lorsqu'elle a
présenté sa preuve ou sa contre-preuve, de citer des
témoins au service de n'importe quel de ces clients
dont plusieurs étaient aussi en réalité ses propres
clients. Elle ne peut maintenant prétendre que les
conclusions auraient été différentes si ces témoins
avaient été cités ou que les conclusions du protono-
taire devraient être rejetées parce que ces témoins
n'ont pas été cités.
C) Omissions dans les motifs
Dans certains passages de ses motifs, le protono-
taire a commenté des éléments de preuve favora-
bles à la défenderesse et s'est apparemment fondé
sur ceux-ci par la suite. Il a omis dans certains de
ces cas de mentionner d'autres éléments de preuve
qui auraient pu conduire à une conclusion diffé-
rente. L'avocat de la demanderesse a prétendu que
je devais par conséquent présumer que le protono-
taire avait soit oublié soit complètement omis de
tenir compte de ces éléments de preuve et qu'il
m'était donc loisible de réexaminer tous les élé-
ments de preuve portant sur chacun de ces points
parce qu'une grave erreur s'était produite dans la
détermination des faits. Il a cité certaines décisions
de cours d'appel qui ont infirmé des conclusions de
fait tirées en première instance et où des éléments
de preuve qui n'étaient pas mentionnés dans les
motifs du juge de première instance ont été invo-
qués à l'appui de la décision de la cour d'appel.
Il est tout à fait vrai qu'on pourrait être amené,
à la lecture de certaines décisions rendues en
appel, à conclure que le juge en cause s'est con
formé au principe selon lequel les éléments de
preuve non mentionnés dans les motifs du juge de
première instance constituaient des éléments de
preuve dont il n'avait pas tenu compte. En l'ab-
sence d'une déclaration précise et impérieuse à cet
effet par une cour dont la décision me lierait
entièrement, je refuse d'admettre qu'une telle pro
position constitue une règle de droit. S'il devait
exister une quelconque présomption, il faudrait
dire que le tribunal a prêté l'oreille à tous les
éléments de preuve et a ensuite examiné leur force
probante ainsi que celle des arguments avancés au
nom des parties avant de tirer ses conclusions.
Le simple fait que le juge de première instance
ait mentionné certains éléments de preuve ou qu'il
se soit référé à la déposition de l'un ou de plusieurs
témoins sans avoir examiné ou mentionné les élé-
ments de preuve contraires ne constitue pas un
motif suffisant pour qu'une cour d'appel conclue
qu'il n'a pas tenu compte de tous les éléments de
preuve pertinents. Lorsqu'un juge de première ins
tance mentionne ou semble invoquer un élément de
preuve particulier, c'est la plupart du temps parce
qu'il a été particulièrement impressionné par cet
élément de preuve ou qu'il souhaite le mettre en
relief; cela ne signifie pas qu'il n'a pas tenu compte
des éléments de preuve contraires.
Les principes dégagés ci-dessus sont évidemment
assujettis à la règle dominante suivant laquelle
lorsque le témoignage oral sur lequel le juge de
première instance se fonde est clairement contredit
par des preuves matérielles ou d'autres éléments de
preuve qu'on ne peut raisonnablement écarter, la
cour d'appel a le droit et, en réalité, l'obligation
d'infirmer les conclusions tirées parce que le juge
de première instance s'est trompé, mais non parce
que les autres éléments de preuve n'ont pas été
mentionnés dans les motifs de jugement.
Il est souvent difficile pour les juges d'une cour
d'appel de résister à la tentation de juger une
nouvelle fois l'affaire, en particulier lorsque les
arguments lui sont aussi habilement présentés que
dans l'appel dont j'ai été saisi.
POINTS EN LITIGE
Il y a six points en litige sur lesquels on m'a
demandé de me prononcer:
1. Peut-on accorder des dommages-intérêts pour
les ventes perdues en raison de l'injonction mais
qui l'ont été en réalité au cours de la période
postérieure à l'injonction?
2. Suivant l'arbitre, 30 000 ventes de F.G.W.W.
auraient été perdues pendant l'injonction; ce chif-
fre est-il exagéré et non confirmé par la preuve?
3. La conclusion de l'arbitre suivant. laquelle
20 000 ventes auraient été perdues pendant l'année
ayant suivi la levée de l'injonction était-elle erro-
née et non confirmée par la preuve?
4. Dans quelle mesure le phénomène de la substi
tution de marché est-il applicable pour calculer les
pertes dans les circonstances de l'espèce?
5. La méthode différentielle de calcul des pertes
s'applique-t-elle sans modification si on conclut à
l'existence de la substitution?
6. La Cour doit-elle accorder un intérêt antérieur
au jugement et, le cas échéant, quel doit en être le
taux et quelle méthode faut-il employer pour le
calculer; de plus, quel doit être le taux de l'intérêt
postérieur au jugement et à partir de quand com-
mence-t-il à courir?
LES PERTES SUBIES APRÈS LA LEVÉE DE L'IN-
JONCTION SONT-ELLES RECOUVRABLES?
L'appelante a allégué sur ce point que, l'action
en dommages-intérêts étant fondée sur un engage
ment formel envers la Cour et non sur un contrat
entre les parties et la demanderesse ne pouvant
être considérée comme l'auteur d'un délit, les dom-
mages-intérêts recouvrables devaient se limiter aux
dommages subis pendant la période où l'injonction
interlocutoire était en vigueur, soit du 12 mars
1982 au 28 mars 1983.
L'intimée a reconnu que la partie qui cherche de
bonne foi à obtenir une injonction ne peut être
considérée comme l'auteur d'un délit et que l'enga-
gement n'est pas un contrat. Bien qu'on soit en
présence d'éléments contractuels et qu'on puisse
fort bien affirmer que la demanderesse a obtenu
l'injonction interlocutoire demandée en contrepar-
tie de l'engagement d'indemniser la défenderesse,
la Cour, contrairement à toute partie contractante,
n'a aucun intérêt dans l'affaire. En fait, elle ne
doit jamais avoir quelque intérêt que ce soit dans
l'issue d'un litige dont elle a été saisie ni dans
aucune question accessoire s'y rattachant. Elle ne
peut donc jamais être considérée comme une partie
contractante. Ce sont l'administration de la justice
et la partie visée par l'injonction qui en subiront les
conséquences si l'engagement n'est pas rempli.
Le droit applicable lorsqu'une des parties s'en-
gage à verser une indemnité avant qu'une injonc-
tion lui soit accordée a évolué considérablement. À
l'origine, les cours de chancellerie n'exigeaient pas
de tels engagements avant d'accorder une injonc-
tion interlocutoire. Lorsque ces engagements ont
été imposés pour la première fois, la partie en
faveur de laquelle l'injonction avait été accordée
n'était assujettie à l'engagement que lorsqu'elle
avait mal renseigné la Cour, qu'elle avait délibéré-
ment caché ou détruit des renseignements perti-
nents ou qu'elle avait commis quelque autre acte
malhonnête ou moralement répréhensible afin de
tromper la Cour et d'obtenir l'injonction. Smith v.
Day (1882), 21 Ch. D. 421 (CA.). Depuis bon
nombre d'années maintenant, les cours n'imposent
plus de telles conditions en ce qui concerne le droit
de recouvrement existant en vertu de ce genre
d'engagement. Il ne fait désormais aucun doute
que l'effet juridique de l'engagement est absolu,
peu importe que le requérant ait agi ou non de
bonne foi, qu'il ait dit la vérité et qu'il ait divulgué
honnêtement tous les faits ou que l'injonction ait
en réalité été accordée en raison d'une erreur de
droit ou de fait de la part du juge.
C'est peut-être un truisme d'affirmer qu'une
partie est toujours libre d'attendre le résultat final
du procès et de ne pas se prévaloir du droit de
demander une injonction interlocutoire et qu'il est
possible, advenant le cas où l'injonction ne serait
accordée qu'une fois le procès terminé, d'obtenir
des dommages-intérêts, complets pour la période
s'étendant jusqu'à la date du jugement, de la
même manière que pour les dommages subis avant
le moment où il aurait été possible de demander
une injonction interlocutoire. Si la décision du juge
d'accorder une injonction après l'instruction de la
cause devait être infirmée en appel, le demandeur
ne peut évidemment pas être tenu responsable de
quelque façon que ce soit des dommages causés à
l'autre partie pendant la période où l'injonction
était en vigueur après le jugement, peu importe
qu'il y ait eu ou non un engagement antérieur au
procès.
À l'appui de son argument suivant lequel les
dommages-intérêts ne peuvent être réclamés que
pour la période pendant laquelle l'injonction était
en vigueur et ne comprennent pas les dommages
indirects ou résiduaires subis après la levée de
l'injonction, l'avocat de la demanderesse a allégué
que l'engagement pris en vue d'indemniser l'autre
partie devait être considéré de la même manière
que les clauses d'indemnité que comportent ies
polices d'assurance couvrant les pertes d'exploita-
tion. Il a invoqué plusieurs décisions rendues aux
États-Unis, parmi lesquelles on trouve les suivan-
tes: Nusbaum v. Hartford Fire Ins. Co., 132 A.
177 (Pa. 1926), Eisenson v. Home Ins. Co., 84 F.
Supp. 41 (N.D. Fla. 1949), Rogers v. American
Ins. Co., 338 F.2d 240 (8th Cir. 1964), Great
Northern Oil Co. v. St. Paul Fire & Marine Ins.
Co., 227 N.W.2d 789 (Minn. 1975). Il a égale-
ment invoqué un article de l'auteur américain
George W. Clarke, intitulé «Problem Claims
Under Business Interruption Policies» (1958), The
Practical Lawyer 64.
Ces précédents ne s'appliquent pas, à mon avis,
car ils portent sur l'interprétation du libellé de
diverses polices d'assurance et sur l'application de
certains principes particuliers au droit des assuran
ces. Comme je l'ai déjà dit, il est évident qu'il ne
s'agit pas d'un contrat en l'espèce.
Bien que l'engagement ne constitue pas un con-
trat, les cours ont statué que les dommages-inté-
rêts doivent être déterminés comme s'il existait un
contrat entre la partie qui obtient l'injonction
interlocutoire et celle qui en fait l'objet. A la page
1150 du compte rendu de l'affaire Hoffman-
LaRoche (F) & Co. AG v. Secretary of State for
Trade and Industry, [ 1974] 2 All E.R. 1128
(H.L.), lord Wilberforce s'est prononcé comme
suit sur la manière selon laquelle les dommages-
intérêts doivent être déterminés conformément à
un engagement de payer comme celui dont il est
question en l'espèce:
[TRADUCTION] La cour n'est pas habilitée à contraindre la
personne qui demande une injonction provisoire à s'engager à
verser des dommages-intérêts. Tout ce qu'elle peut faire c'est de
refuser l'injonction si le requérant ne consent pas à fournir
l'engagement. Ce dernier est pris non pas envers le défendeur
mais envers la cour elle-même. Son inexécution constitue un
outrage au tribunal et non pas une inexécution de contrat, et
elle donne ouverture aux recours prévus en cas d'outrage; mais
la cour exige que l'engagement soit fourni pour le bénéfice du
défendeur ... Il est évalué au cours d'une enquête portant sur
les dommages-intérêts et où les principes à appliquer sont
clairement déterminés. L'évaluation est faite de la même
manière que les dommages-intérêts pour l'inexécution de con-
trat seraient déterminés si l'engagement avait constitué un
contrat entre le demandeur et le défendeur, prévoyant que le
demandeur n'empêcherait pas le défendeur de faire ce qui lui a
été interdit de faire par le libellé de l'injonction. (Voir Smith v.
Day, (1882), 21 Ch D 421 la p. 427, le lord juge Brett.)
[C'est moi qui souligne.]
J'estime que les principes qui précèdent reflètent
également la common law applicable sur le sujet
au Canada. Bien que l'inexécution de l'engage-
ment constitue indubitablement un outrage au tri
bunal, cela n'empêchera toutefois pas, à mon avis,
la partie pour le bénéfice de laquelle l'engagement
a été fourni de s'adresser à la cour pour en obtenir
l'exécution, par exemple au moyen d'un fieri
facias, une fois que les dommages-intérêts résul-
tant de l'engagement auront été évalués et
entérinés.
L'avocat de la demanderesse a également invo-
qué les motifs de jugement non publiés que le juge
Collier de cette Cour a prononcés à la suite d'une
requête dans l'affaire McAsphalt Industries Limi
ted v. Algoma Central Railway, ordonnance et
motifs de l'ordonnance en date du 2 février 1984,
T-4226-82, ainsi que l'affaire Irving Refining Ltd.
v. The Travelers Indemnity Co., [1969] I.L.R. 790
(C.A.N.-B.). Aucune des affirmations qui figurent
dans ces affaires n'énonce le principe sur lequel
l'avocat cherche à s'appuyer et il en est de même
des motifs écrits prononcés par le juge Reed en
date du 15 février 1984, T-831-82 (non publiés) à
la suite d'une demande de production de docu
ments présentée en l'espèce. Rien non plus dans les
motifs produits au soutien de son ordonnance pré-
voit ou laisse même entendre de quelque manière
que ce soit que les documents relatifs à la période
postérieure à l'expiration de l'injonction ne doivent
pas être produits. Madame le juge Reed (à la page
2 de ses motifs) déclare simplement que la
demande dont elle a été saisie visait à obtenir la
production de certains documents tendant à mon-
trer dans quelle mesure les ventes de F.G.W.W.
auraient fait diminuer celles des autres produits
semblables de la défenderesse si cette plaque
chauffante avait été produite durant l'injonction.
Elle n'a nullement affirmé que les documents
devaient se limiter à ceux tendant à prouver les
dommages subis pendant cette période. Plus loin
dans ses motifs (à la page 4), elle a simplement
énuméré à titre d'exemples certains des facteurs
dont il faut tenir compte en calculant les domma-
ges et elle n'a nullement essayé de dresser une liste
exhaustive de ces facteurs puisqu'elle a limité son
énumération en utilisant les termes «tels que»
(such as).
Dans le cadre de la société canadienne actuelle,
les parties qui demandent un injonction ,interlocu-
toire s'engagent habituellement, selon moi, à payer
tous les dommages découlant de l'octroi, de ladite
injonction interlocutoire et non pas seulement ceux
qui ont été subis durant l'injonction; la common
law n'impose pas non plus de date limite artifi-
cielle. L'évaluation des dommages subis pendant la
période postérieure à l'injonction reste assujettie
aux limites qui sont habituellement établies lors-
que celle-ci est la cause indirecte du préjudice; en
d'autres termes, il s'agit de savoir, compte tenu des
circonstances de l'espèce, si après un certain laps
de temps et d'autres événements, il est encore
possible, suivant la prépondérance des probabilités
et avec un degré raisonnable de certitude, d'attri-
buer les pertes à l'injonction.
NOTE DE L'ARRÊTISTE
Il était impossible de calculer avec précision le
nombre de ventes qui auraient été effectuées si
l'injonction avait été refusée. Les dommages ne
pouvaient être évalués qu'à partir de ce qui a été
établi par la preuve, suivant la prépondérance des
probabilités. Les témoignages des experts cités
par les deux parties étaient diamétralement oppo-
sés. Le point de vue du témoin de la demande-
resse suivant lequel les marchés des deux com-
pagnies étaient distincts n'est confirmé ni par la
logique ni par la preuve. La conclusion suivant
laquelle West Bend a eu des difficultés à faire
face à la concurrence au printemps 1983 surtout
parce que le cycle de vie des plaques chauffan-
tes combinées à des réchauds avait atteint un
sommet et commençait en réalité à décliner était
justifiée par la preuve. La preuve a également
corroboré la conclusion du protonotaire suivant
laquelle les effets de l'injonction se sont fait sentir
pendant un an après sa levée. La preuve a con
firmé sa conclusion que 30 000 ventes ont été
perdues durant l'injonction et 20 000 ventes pen
dant l'année suivante. l'arbitre n'a commis aucune
erreur dans ses conclusions de fait finales ni dans
l'application des principes juridiques. La Cour
doit, par conséquent, s'abstenir de substituer son
point de vue sur la preuve à celui de l'arbitre.
La demanderesse a allégué que, si l'injonction
avait été refusée, il y aurait eu «auto-concur
rence» parce que les F.G.W.W. auraient pris une
part des ventes des autres plaques chauffantes
de West Bend. Il peut y avoir «auto-concurrence»
lorsqu'un acheteur éventuel examinant deux
modèles du même type d'appareil décide d'en
acheter un plutôt que l'autre en raison d'une
caractéristique additionnelle ou d'un gadget
attrayant. Lorsqu'un modèle apparemment amé-
lioré d'un appareil devient disponible, le petit
détaillant, en raison du manque d'espace et d'au-
tres considérations d'ordre pratique, sera enclin à
stocker et à promouvoir ce nouveau modèle à
l'exclusion des autres modèles. L'arbitre a rejeté
la théorie de «l'auto-concurrence», mais il ressort
d'un examen de la preuve qu'il a eu tort de
conclure à l'absence totale «d'auto-concur
rence». Une note de service interne de West
Bend prévoyait qu'il y aurait «auto-concurrence»
entre ses plaques chauffantes dans une propor
tion de 5 à 10 %. Il n'y avait aucune raison de
douter de cette prévision, sauf que West Bend a
sous-estimé le succès sur le marché de ses
plaques chauffantes munies d'un réchaud. Le
pourcentage de ventes perdues pour ce qui est
des autres plaques chauffantes de West Bend
pendant la période en cause devrait donc être
fixé à 15 %. Les montants fixés par l'arbitre en ce
qui concerne le manque à gagner devaient être
réduits en raison de la conclusion de la Cour au
sujet de «l'auto-concurrence».
MÉTHODE DIFFÉRENTIELLE DE CALCUL DES
PERTES
Vu les conclusions auxquelles je suis arrivé con-
cernant «l'auto-concurrence», et étant donné que
j'ai appliqué les calculs qui en résultent à la perte
de ventes de F.G.W.W. et que j'ai approuvé les
conclusions de l'arbitre en ce qui a trait à ces
ventes perdues, j'estime évidemment qu'il n'existe
en vertu de la loi aucune obligation d'appliquer
intégralement la méthode différentielle de calcul
des pertes dans tous les cas.
Je ne connais aucune règle de droit fixant une
méthode de calcul des pertes estimatives, qui s'ap-
pliquerait dans toutes les actions. Au contraire,
pour qu'il soit possible de déterminer avec préci-
sion le montant d'une indemnité, il faut nécessaire-
ment choisir la méthode et sa portée en fonction
des nombreuses circonstances qui varient considé-
rablement d'un cas à un autre lorsqu'on examine
ceux-ci en détail.
INTÉRÊT
A) Principe général
Sous réserve de toute disposition législative
expresse à l'effet contraire, il faut, pour déterminer
l'intérêt qui, le cas échéant, devrait être accordé
lorsque le demandeur s'engage à verser une indem-
nité, appliquer les règles de fond, notamment les
dispositions législatives qui régissent la cause d'ac-
tion dans la juridiction en cause.
Suivant l'article 20 de la Loi sur la Cour fédé-
rale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10], la Divi
sion de première instance a compétence concur-
rente avec les cours des provinces en matière de
dessin industriel. Voici les extraits pertinents dudit
article 20:
20. La Division de première instance .. .
. a compétence concurrente dans tous les autres cas où l'on
cherche à obtenir un redressement en vertu d'une loi du Parle-
ment du Canada, ou de toute autre règle de droit relativement à
. un dessin industriel.
Une fois qu'elle a compétence et sous réserve
seulement de toute disposition législative à l'effet
contraire, la Cour fédérale du Canada peut, lors-
qu'elle se prononce sur les questions dont elle a été
saisie, exercer tous les pouvoirs et appliquer tous
les moyens dont disposent les cours de justice et les
cours d'equity. En d'autres termes, elle peut, lors-
qu'elle statue sur tout litige qui lui a été soumis,
exercer les mêmes pouvoirs et appliquer les mêmes
règles de droit et principes que ceux auxquels a
recours la Cour supérieure de la province où la
cause d'action a pris naissance.
En interprétant l'article 22 de la Loi sur la Cour
de l'Échiquier [S.R.C. 1927, chap. 34 (mod. par
S.C. 1928, chap. 23, art. 3c))] dans l'affaire
McCracken et al. v. Watson, [1932] R.C.É. 83, le
juge Maclean a dit à la page 88 du recueil:
[TRADUCTION] Si on interprète ce paragraphe littéralement, il
signifie que lorsque l'action porte principalement, et non acces-
soirement, sur un brevet d'invention, une marque de commerce
ou des droits d'auteur, la cour peut accorder tout redressement
approprié prévu par la common law ou l'equity.
Le paragraphe de la Loi sur la Cour de l'Échi-
quier qu'examinait le juge dans cette affaire por-
tait notamment «[où l'on veut exercer] un recours
... sous l'autorité d'une loi du Parlement du
Canada ou en vertu du droit coutumier ou en
équité concernant un brevet» etc. (C'est moi qui
souligne.) Lorsque le législateur a adopté l'article
20 de la Loi sur la Cour fédérale, il a remplacé
l'expression «droit coutumier» par les termes «autre
règle de droit» et, à mon avis, ceux-ci visent à
inclure toutes les dispositions législatives applica-
bles, qu'elles soient provinciales ou fédérales.
Dans l'affaire Le Vae Marjorie Manz et al. v.
The Steamship Giovanni Amendola, [1956]
R.C.É. 55, le juge suppléant Smith a dit à la page
64 qu'il ne pouvait
[TRADUCTION] ... voir aucune raison pour laquelle la Cour de
l'Échiquier ne devrait pas reconnaître les dispositions législati-
ves provinciales définissant des règles de fond.
Prononçant les motifs de l'arrêt de la Cour
suprême du Canada The Queen v. Murray et al.,
[1967] R.C.S. 262 la suite d'un appel interjeté
d'une décision de la Cour de l'Échiquier, le juge
Martland a déclaré à la page 266:
[TRADUCTION] La Cour s'est également penchée dans l'arrêt
Toronto Transportation Commission v. The King ([1949]
R.C.S. 510), sur la question de l'applicabilité de dispositions
législatives provinciales à la Couronne fédérale dans une action
en responsabilité fondée sur la négligence. Un avion chargé sur
un camion de l'Aviation royale du Canada a été endommagé
par suite d'une collision entre ce camion et un tramway. Le
juge de première instance a conclu que les deux conducteurs
avaient fait preuve de négligence et il a réparti également la
responsabilité entre ceux-ci. Cette Cour a conclu que même si,
dans le cas où la common law seulement était applicable,
l'action de la Couronne devrait être rejetée parce qu'elle n'a pas
réussi à prouver que c'est la négligence du conducteur du
tramway qui a été la seule cause du dommage, elle pourrait se
prévaloir de la Negligence Act de l'Ontario, R.S.O. 1937, chap.
115, et recouvrer, en vertu de cette loi, la moitié de ses
dommages.
et il a ajouté à la page 267:
[TRADUCTION] Les mots «limitation de responsabilité déclarée
par la loi» qui figurent à la fin de la déclaration doivent
signifier, dans un État fédéral, qu'elle provient de l'organe
législatif qui a compétence pour imposer une telle limitation.
Il faisait alors allusion à la limitation de responsa-
bilité du propriétaire ou du conducteur d'un véhi-
cule automobile.
Dans l'affaire Procureur général du Canada et
Motel Fontaine Bleue Inc. (1979), 29 N.R. 394
(C.A.F.), qui concernait l'application de disposi
tions du Code civil du Québec, le juge Pratte, qui a
exprimé l'opinion de la majorité des membres de la
Cour, a dit à la page 401:
Il me paraît clair que la Cour peut, dans l'exercice des pouvoirs
que lui confère l'art. 16 de la Loi sur l'expropriation, appliquer
le droit provincial sans contredire les principes établis par les
arrêts McNamara et Quebec North Shore. [Voir Gouverne-
ment du Canada c. McNamara Construction (Western) Limi
ted et autre (1975), 13 N.R. 181; [1977] 2 R.C.S. 654, et
Canadien Pacifique Ltée c. Quebec North Shore Paper Co.
(1976), 9 N.R. 471; [1977] 2 R.C.S. 1054.]
Le juge en chef Jackett est arrivé à une conclusion
différente, mais il a toutefois reconnu que le Code
civil du Québec s'appliquait.
Si la Couronne fédérale est liée par les règles de
fond provinciales lorsque sa responsabilité est
déterminée par la Cour fédérale, les autres parties
doivent a fortiori être assujetties à la même. règle.
Il semble ne faire aucun doute que le droit au
paiement d'un intérêt, qu'il s'agisse d'un intérêt
antérieur au jugement ou d'un intérêt postérieur
au jugement, est une question de fond. Ce principe
a été clairement établi par la Cour suprême du
Canada dans l'arrêt Consolidated Distilleries Ltd.
v. The King, [1932] R.C.S. 419; [1933] A.C. 508
(P.C.), où elle a statué que l'article 34 de la
Judicature Act de l'Ontario qui traite de la ques
tion de l'intérêt constituait une règle de fond et
était applicable. Dans l'affaire Consolboard Inc. c.
MacMillan Blcedel (Saskatchewan) Ltd. (1982),
63 C.P.R. (2d) 1 (C.F. P» inst.), mon collègue le
juge Cattanach a appliqué les dispositions législati-
ves de la Saskatchewan pour déterminer si un
intérêt devait être accordé ou non. Sa décision a
été confirmée par la Cour d'appel (1983), 74
C.P.R. (2d) 199. La Cour d'appel fédérale a égale-
ment appliqué les dispositions du Code civil du
Québec pour déterminer s'il y avait lieu d'accorder
un intérêt antérieur au jugement dans l'arrêt
Domestic Converters Corporation c. Arctic
Steamship Line, [1984] 1 C.F. 211; (1983), 46
N.R. 195 (C.A.). Elle a également suivi cette
dernière décision dans l'arrêt Marshall c. Canada
(1985), 60 N.R. 180 (C.A.F.), où elle a appliqué
les dispositions de la Judicature Act de l'Ontario
relatives à l'intérêt. Enfin, dans l'arrêt R. c. Nord-
Deutsche Versicherungs Gesellchaft, [1971]
R.C.S. 849; 20 D.L.R. (3d) 444, la Cour suprême
du Canada a appliqué à la demande les disposi
tions du Code civil du Québec concernant l'intérêt.
Ce sont les règles de fond de la province de
l'Ontario qui devraient manifestement s'appliquer
à l'espèce, étant donné que les deux parties exploi-
taient leur entreprise en Ontario et que les faits qui
ont donné lieu à l'action se sont tous produits dans
cette province: la défenderesse fabriquait les
F.G.W.W. à Barrie et elle les vendait à partir de
son entrepôt de Mississauga, deux villes ontarien-
nes. Les dommages qui ont résulté de l'injonction
interlocutoire doivent donc être évalués et l'intérêt
déterminé, s'il en est, suivant les dispositions légis-
latives de l'Ontario dans la mesure où celles-ci ne
sont pas exclues par une loi fédérale à laquelle la
Cour fédérale serait tenue de se conformer compte
tenu des circonstances de l'espèce. La question des
dommages découlant de l'engagement ainsi que les
dommages réclamés dans l'action elle-même cons
tituent essentiellement des questions de propriété
et de droits civils. Suivant la Constitution, ces
questions relèvent de la compétence des provinces
sauf dans les domaines spécifiquement attribués au
gouvernement fédéral.
Enfin, je suis d'accord avec l'avocat de la défen-
deresse pour dire que lorsque deux cours exercent
une compétence concurrente sur exactement la
même matière, le fait d'avoir deux différentes
échelles permettant d'obtenir un redressement
serait tout à fait injuste et inéquitable. Même dans
un État fédéral, il ne devrait exister qu'un seul
système de lois réglementant les droits et obliga
tions des citoyens en toutes circonstances. Les
règles de fond ne devraient jamais dépendre du
choix du tribunal devant lequel elles sont interpré-
tées et appliquées, à moins qu'il n'existe des dispo
sitions législatives très claires à l'effet contraire.
Même dans un tel cas, nos cours déclareraient
selon toute probabilité à la lumière de la Charte
des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] et
des principes d'égalité qu'elle met de l'avant, que
l'une des lois contradictoires est nulle ou inopé-
rante ou que l'une des deux cours est incompétente
et ce, afin d'assurer l'application d'une règle de
droit uniforme.
B) Intérêt antérieur au jugement
L'avocat de la demanderesse a déclaré que la
règle de droit reconnue devant la Cour fédérale du
Canada est qu'aucun intérêt n'est accordé sur des
dommages-intérêts tant que ceux-ci ne sont pas
déterminés. À l'appui de cette proposition, il a
invoqué trois décisions: Consolboard Inc. c. Mac-
Millan Blcedel (Saskatchewan) Ltd., précitée, que
j'ai déjà commentée, Davie Shipbuilding Limited
c. La Reine, [1984] 1 C.F. 461 (C.A.), à la page
467, et McKinnon and McKillap v. Campbell
River Lbr. Co., Ltd. (No. 2), [1922] 2 W.W.R. 556
(C.A.C.-B.). Dans l'affaire Consolboard, le juge
Cattanach a statué que les règles de fond de la
Saskatchewan s'appliquaient et il a précisément
invoqué la Queen's Bench Act de cette province
afin de déterminer si un intérêt antérieur au juge-
ment devait être versé. Il a jugé qu'un tel intérêt
n'était pas payable parce que les lois de la Saska-
tchewan n'en prévoyaient pas le paiement et non
parce qu'il pourrait exister une règle de droit à cet
effet devant la Cour fédérale. Sa décision a été
confirmée par la Cour d'appel. Dans l'affaire
Davie Shipbuilding, précitée, la Cour a simple-
ment statué que l'intérêt était normalement paya
ble dans des affaires maritimes à l'exclusion des
affaires de common law. L'affaire McKinnon, pré-
citée, était une décision dans laquelle la Cour
suprême de la Colombie-Britannique a simplement
répété le principe reconnu suivant lequel, en l'ab-
sence d'une entente écrite à cet effet, l'intérêt ne
peut être recouvré en vertu de la common law sauf
sur le fondement d'une disposition législative
expresse.
L'avocat de la demanderesse a également allé-
gué qu'étant donné que l'article 40 de la Loi sur la
Cour fédérale traite de la question de l'intérêt
postérieur au jugement lorsque le jugement ne
donne pas droit au versement d'un intérêt, il faut
présumer que le législateur fédéral n'avait pas
l'intention de permettre qu'un intérêt antérieur au
jugement soit accordé. Je ne souscris pas à cette
proposition. Pour appuyer celle-ci, l'avocat a cité
les affaires Warwick Shipping Ltd. c. R., [1981] 2
C.F. 57 (1re inst.) et Magrath c. La Commission
nationale des libérations conditionnelles du
Canada, [1979] 2 C.F. 757 (P» inst.). Ces déci-
sions ne s'appliquent pas car elles portent sur des
questions de pratique et de procédure et non sur
des règles de fond.
Voici les dispositions pertinentes de l'article 36
de la Judicature Act de l'Ontario, R.S.O. 1980,
chap. 223, qui s'appliquent à l'intérêt antérieur au
jugement:
[TRADUCTION] 36.—(1) Dans le présent article, l'expression
«taux préférentiel« s'entend du taux d'intérêt le plus bas con-
senti par les banques à charte à leurs meilleurs clients sur des
prêts commerciaux, tel qu'il est déterminé et publié par la
Banque du Canada.
(2) Aux fins de déterminer le taux préférentiel, la publica
tion périodique intitulée Revue de la Banque du Canada qui est
publiée par la Banque du Canada est recevable comme preuve
concluante du taux préférentiel qui y est indiqué, sans aucune
autre preuve de l'authenticité de la publication.
(3) Sous réserve du paragraphe (6), la personne qui a droit à
un jugement lui accordant le paiement d'une somme d'argent a
le droit de réclamer que soit inclus dans le jugement le paie-
ment d'un intérêt
a) au taux préférentiel en vigueur le mois précédant celui
où l'action a été intentée;
b) calculé,
(i) soit à compter de la date où la cause d'action a pris
naissance jusqu'à la date du jugement lorsque celui-ci
est rendu sur une demande d'une somme précise,
(ii) soit à compter de la date à laquelle la personne y
ayant droit a notifié par écrit sa demande à la per-
sonne redevable jusqu'à la date du jugement lorsque
celui-ci est rendu sur une demande d'une somme non
déterminée.
(4) Lorsque le jugement octroie des dommages-intérêts spé-
ciaux, l'intérêt prévu au paragraphe (3) doit être calculé sur le
reliquat des dommages-intérêts totalisés à la fin de chaque
période de six mois suivant l'avis écrit mentionné au sous-alinéa
(3)b)(ii) et à la date du jugement.
(5) Aucun intérêt ne doit être accordé aux termes du présent
article
f) lorsque l'intérêt est payable en vertu d'un droit autre
que celui conféré par le présent article.
(6) Lorsqu'il estime que cela est juste compte tenu de l'en-
semble des circonstances, le juge peut
a) refuser d'accorder l'intérêt prévu au présent article;
b) fixer un taux d'intérêt supérieur ou inférieur au taux
préférentiel;
c) accorder l'intérêt prévu au présent article pour une autre
période que celle qui y est prescrite en ce qui a trait à la
totalité ou à une partie de la somme pour laquelle le
jugement est rendu.
De nouvelles dispositions législatives ont été
adoptées en Ontario par la Loi sur les tribunaux
judiciaires, S.O. 1984, chap. 11, qui est entrée en
vigueur le ler janvier 1985. Le paragraphe 138(4)
de cette Loi prévoit toutefois que l'article 138 ne
s'applique pas aux procédures engagées avant que
la Loi ne soit entrée en vigueur, ce qui est évidem-
ment le cas en l'espèce. L'article 36 de la Judica
ture Act continue par conséquent à s'appliquer.
La Cour d'appel de l'Ontario a statué qu'un
intérêt devrait être accordé dans tous les cas où la
loi le prévoit sauf s'il existe des circonstances
spéciales justifiant une dérogation à cette pratique
générale. Astro Tire & Rubber Co. of Canada
Ltd. v. Western Assurance Co. (1979), 24 O.R.
(2d) 268 (C.A.).
Il est évident que lorsqu'elle a adopté l'alinéa
36(5)f), précité, l'assemblée législative de l'Onta-
rio avait l'intention de préserver tous les droits au
versement d'un intérêt reconnus traditionellément
par la cour d'equity dans les affaires de fraude,
d'abus de confiance, d'appropriation ou de détour-
nement de fonds, par opposition aux tribunaux de
common law qui ne reconnaissaient le droit au
versement d'un intérêt antérieur au jugement
qu'en matière contractuelle (Brock v. Cole et al.
(1983), 40 O.R. (2d) 97 (C.A.)).
Il semble toutefois évident en l'espèce que les
principes d'equity ne sont pas en cause. Le paie-
ment ou le non-paiement d'un intérêt demeure une
question de droit, les dommages-intérêts ayant
découlé d'un engagement. Le simple fait que l'en-
gagement n'était pas un véritable contrat au sens
de la loi ou qu'il se rapportait à la décision d'accor-
der une injonction interlocutoire qui constitue un
recours en equity ne change pas, à mon avis,
l'aspect essentiel de l'affaire, c'est-à-dire que les
dommages-intérêts découlent directement d'une
promesse formelle et non d'un principe d'equity et
qu'ils doivent être calculés comme s'ils étaient
accordés en vertu d'un contrat d'indemnisation
(voir Hoffman-LaRoche (F) & Co AG v. Secre
tary of State for Trade and Industry, précitée).
L'action en contrefaçon de dessin industriel a
été intentée par la demanderesse le 9 février 1982.
Le droit de la défenderesse à des dommages-inté-
rêts n'a toutefois pas pris naissance à cette date.
En fait, ce droit n'a existé qu'à partir du moment
où la demanderesse a pris l'engagement d'indemni-
ser la défenderesse et les dommages-intérêts n'ont
commencé à courir qu'à compter de l'injonction
interlocutoire. Il semble en outre que ce droit ne
repose aucunement sur l'action mais simplement
sur l'engagement qui a été pris au cours de ladite
action. Lorsqu'on applique l'alinéa 36(3)a) aux
faits de l'espèce, il importe peu de savoir si le taux
préférentiel devrait être celui du mois qui a immé-
diatement précédé le début de l'action, soit le mois
de janvier 1982, ou celui du mois qui a immédiate-
ment précédé la date de l'engagement, soit le mois
de février 1982, parce que dans chaque cas le taux
préférentiel était de 16,5 %. On devrait donc consi-
dérer que c'est ce taux qui s'applique.
Le paragraphe 36(4) prévoit une méthode parti-
culière permettant de calculer tous les six mois
l'intérêt sur les dommages-intérêts «spéciaux».
Cette dernière expression n'est pas définie dans la
loi pas plus que ne le sont les dommages-intérêts
généraux. On pourrait considérer que les domma-
ges-intérêts spéciaux sont ceux qu'il est possible, à
la date du jugement, de déterminer précisément et
de façon détaillée. Le Black's Law Dictionary, 5°
édition, définit les dommages-intérêts spéciaux
comme ceux qui découlent réellement mais non
nécessairement du préjudice allégué et les domma-
ges-intérêts généraux comme ceux qui constituent
le résultat immédiat et direct de ce préjudice. Par
ailleurs, le Canadian Law Dictionary, 1980 (Law
and Business Publications (Canada) Inc.) définit
les dommages-intérêts généraux comme les dom-
mages qui, par une présomption de la loi, sont la
conséquence directe, naturelle et probable de l'acte
reproché; il les distingue des dommages-intérêts
spéciaux en précisant que, du point de vue du
droit, ces derniers ne découlent pas de la nature de
l'acte et revêtent un caractère exceptionnel.
Il ne fait aucun doute que les pertes de
365 438 $ et de 256 468,75 $ ont découlé immédia-
tement et directement du fait qu'on a empêché la
défenderesse de vendre ses plaques chauffantes.
Quelle que soit la définition que l'on adopte quant
aux dommages-intérêts spéciaux, il me semble que
cette expression ne s'applique pas aux dommages-
intérêts réclamés et accordés en l'espèce: ils consti
tuent plutôt des dommages-intérêts généraux. Il
n'est donc pas nécessaire de tenir compte du para-
graphe 36(4).
Pour ce qui est de la période du calcul de
l'intérêt, étant donné qu'il s'agit manifestement de
dommages-intérêts non déterminés, on doit consi-
dérer que la date à laquelle l'engagement a été
demandé par la défenderesse et imposé par la
Cour, soit le 12 mars 1982, constitue la date à
laquelle l'intérêt doit commencer à courir confor-
mément au sous-alinéa 36(3)b)(ii). Il est vrai qu'à
ce moment-là la réclamation n'avait pas été noti-
fiée par écrit à la demanderesse, mais il faut
nécessairement considérer que l'engagement
formel fourni par cette partie à la Cour et qui
devait être accepté par cette dernière comme.con-
dition préalable pour que l'injonction soit accordée
était un avis beaucoup plus formel et valable qu'un
simple avis écrit.
Le paragraphe 36(6) habilite le juge à refuser
d'accorder un intérêt et à modifier soit le taux soit
le moment à partir duquel l'intérêt doit être cal-
culé «lorsqu'il estime que cela est juste compte
tenu de l'ensemble des circonstances» et «en ce qui
a trait à la totalité ou à une partie de la somme
pour laquelle le jugement est rendu». Ces disposi
tions confèrent un large pouvoir discrétionnaire.
L'article 36 exige, normalement parlant, que l'in-
térêt soit accordé à compter de l'avis de la récla-
mation à moins qu'on estime juste qu'il en soit
autrement. (Dugdale v. Boissneau et al. (1983),
41 O.R. (2d) 152 (C.A.)).
Il n'est nullement nécessaire en l'espèce d'exa-
miner l'alinéa 36(5)d) étant donné que toutes les
pertes ont déjà eu lieu. La Cour ne doit toutefois
pas permettre un recouvrement trop élevé et elle ne
devrait donc pas hésiter à exercer son pouvoir
discrétionnaire lorsque les circonstances indiquent
qu'il pourrait être injuste d'appliquer strictement
les autres dispositions de l'article 36. Le pouvoir
discrétionnaire de modifier un taux d'intérêt pres-
crit a été exercé dans de nombreuses affaires à la
fois en Ontario et dans les autres provinces.
L'injonction a été en vigueur du 12 mars. 1982
au 28 mars 1983. Aucuns dommages-intérêts
n'étaient évidemment dus au début de cette
période; ils se sont accumulés pendant celle-ci
jusqu'à ce qu'ils totalisent 365 438 $ le dernier
jour. Compte tenu des dispositions du paragraphe
36(6), j'estime qu'il serait juste dans les circons-
tances d'établir une moyenne et d'appliquer la
moitié du taux applicable, soit 8,25 %, au montant
total de 365 438 $ pour la période se terminant le
28 mars 1983. Par la suite, il faudrait appliquer à
cette perte le taux intégral de 16,5 % jusqu'à ce
que j'aie rendu mon jugement en l'espèce et que les
taux d'intérêt postérieurs au jugement soient appli-
qués. Quant à la somme de 256 468,75 $ qui repré-
sente les dommages-intérêts alloués après l'injonc-
tion pendant la période qui a été limitée à un an
par l'arbitre, soit du 28 mars 1983 au 28 mars
1984, il faudrait faire la moyenne de ces domma-
ges-intérêts en appliquant la moitié du taux pour
l'ensemble de cette période. Par la suite, le taux de
16,5 % s'appliquera à cette somme jusqu'au
jugement.
Les frais de transport et de publicité s'élevant à
1 097 $ et qui étaient dus à compter du 31 mars
1982, porteront intérêt au taux de 8,25 % à comp-
ter de cette date jusqu'au jugement. J'ai délibéré-
ment traité cette dernière somme, qui en fait
représente des dommages-intérêts spéciaux, sans
appliquer le taux d'intérêt intégral ni la méthode
de calcul prévue aux paragraphes (3) et (4) de
l'article 36 de la Judicature Act de l'Ontario,
précitée, parce que cette somme a été acceptée par
les parties et qu'elle est minime compte tenu du
montant total des dommages-intérêts en cause.
Vu ce qui précède, l'intérêt antérieur au juge-
ment sera calculé comme suit:
365 438 $ au taux de 8,25 %
du 12 mars 1982 au 28 mars 1983 = 31 552,81 $
365 438 $ au taux de 16,5 %
du 28 mars 1983 la date
du jugement (28 octobre 1986) = 216 409,37 $
256 468,75 $ au taux de 8,25 %
du 28 mars 1983 au 28 mars 1984 = 21 158,67 $
256 468,75 $ au taux de 16,5 %
du 28 mars 1984 la date
du jugement (28 octobre 1986) = 109 561,01 $
1 097 $ au taux de 8,25 %
du 31 mars 1982 la date
du jugement (28 octobre 1986) = 414,57 $
TOTAL 379 096,43 $
C) Intérêt postérieur au jugement
Si j'examine maintenant la question de l'intérêt
postérieur au jugement, je ne souscris pas à l'argu-
ment de la demanderesse suivant lequel, en vertu
de l'article 40 de la Loi sur la Cour fédérale, le
jugement ne peut porter intérêt à un taux supé-
rieur à 5 % à moins que les circonstances ne
justifient une telle augmentation. Cet article est
libellé comme suit:
40. A moins qu'il n'en soit autrement ordonné par la Cour,
un jugement, notamment un jugement contre la Couronne,
porte intérêt à compter du moment où le jugement est rendu au
taux prescrit par l'article 3 de la Loi sur l'intérêt.
L'avocat a invoqué les décisions suivantes:
Domestic Converters Corporation c. Arctic
Steamship Line, [1984] 1 C.F. 211, aux pages 229
et 230; (1983), 46 N.R. 195 (C.A.), à la page 208,
Consolboard Inc. c. MacMillan Blcedel (Saska-
tchewan) Limited, [1983] 1 C.F. 89, la page 91;
(1982), 65 C.P.R. (2d) 100 (lie inst.), à la page
102.
Dans l'affaire Domestic Converters, loin de
souscrire à la proposition avancée par l'avocat de
la demanderesse, la Cour d'appel (voir le paragra-
phe 30 du rapport susmentionné) a statué qu'il
convenait de fixer à 8 % le taux de l'intérêt posté-
rieur au jugement étant donné qu'il s'agissait du
taux prescrit par le Code civil de la province de
Québec qui régissait la responsabilité des deman-
deresses dans cette affaire. Dans la dernière affaire
citée, l'affaire Consolboard, bien que le juge de
première instance ait simplement accordé l'intérêt
au taux prescrit dans la Loi sur l'intérêt et qu'il ait
également fait remarquer qu'il ne semblait pas
exister de circonstances spéciales qui justifiaient
un taux plus élevé, les motifs du jugement n'indi-
quent pas si on a contesté ou examiné les disposi
tions législatives provinciales régissant l'intérêt
postérieur au jugement. A mon avis, l'article 40 de
la Loi sur la Cour fédérale ne s'applique que
lorsque la Cour a choisi de ne pas fixer l'intérêt
postérieur au jugement. Lorsqu'elle a cependant
décidé de le faire, la cour peut alors appliquer le
taux d'intérêt ordinaire postérieur au jugement qui
est en vigueur dans la province dont les disposi
tions législatives déterminent l'assujettissement et
elle devrait normalement appliquer ce taux dans de
tels cas à moins qu'il n'existe des circonstances
particulières qui permettraient d'y déroger. Ce
principe s'applique a fortiori lorsqu'il s'agit d'un
cas où la Cour fédérale et la cour appropriée d'une
province ont compétence concurrente pour connaî-
tre d'une affaire, afin d'éviter, comme je l'ai déjà
dit, que les règles de fond applicables soient choi-
sies en fonction du tribunal.
Au soutien de son argument suivant lequel il
existait dans la Constitution une restriction obli-
geant cette Cour à appliquer la loi ontarienne à la
question de l'intérêt postérieur au jugement, l'avo-
cat de la demanderesse a invoqué les arrêts Broddy
et al. and Director of Vital Statistics (Re) (1983),
142 D.L.R. (3d) 151 (C.A. Alb.), et Bisaillon c.
Keable, [1983] 2 R.C.S. 60. L'affaire Broddy
porte que les provinces ne sont pas habilitées à
définir des mots figurant dans des lois fédérales à
moins que ce pouvoir ne leur soit expressément
conféré par des dispositions législatives fédérales.
C'est tout à fait exact, mais ce n'est pas ce dont il
s'agit en l'espèce; je ne peux non plus trouver dans
l'arrêt Bisaillon une raison quelconque qui permet-
trait de changer ou de modifier le principe reconnu
que l'intérêt est une question de règle de fond et,
en outre, puisqu'elle fait partie de l'indemnité, une
question de propriété et de droits civils qui relève
des lois provinciales applicables, à condition que
les dispositions législatives fédérales valides qui
concernent la question de l'intérêt ne prescrivent le
contraire.
L'article 3 de la Loi sur l'intérêt, S.R.C. 1970,
chap. I-18, prévoit que lorsqu'aucun taux n'est fixé
par la loi, ce taux est de 5 % par année. Dans
l'arrêt Prince Albert Pulp Co. Ltd. et autre c. The
Foundation Company of Canada Ltd., [1977] 1
R.C.S. 200, le juge Martland a statué que lors-
qu'une cour a accordé un intérêt dans son juge-
ment, cet article ne s'applique pas. Dans l'arrêt
British Pacific Properties Ltd. c. Minister of
Highways and Public Works, [1980] 2 R.C.S.
283; 33 N.R. 98, la Cour suprême du Canada a
également statué que le taux de 5 % prescrit dans
la Loi sur l'intérêt ne s'applique pas lorsqu'un juge
accorde des intérêts en vertu d'un pouvoir prévu
par la loi et en fixe le taux, étant donné que ce
taux devient alors «fixé par la loi» comme le pré-
voit cet article.
Comme on m'a demandé de fixer un intérêt
postérieur au jugement et que j'ai décidé de le
faire, je devrai trancher cette question en me
référant au droit de l'Ontario. La Cour d'appel de
l'Ontario a statué que l'intérêt postérieur au juge-
ment est une question de règle de fond (voir
306793 Ontario Ltd. v. Rimes (1980), 30 O.R.
(2d) 158; 16 C.P.C. 36 (C.A.)). Le paragraphe
139(1) de la Loi sur les tribunaux judiciaires,
S.O. 1984, chap. 11, prévoit que «La somme d'ar-
gent due aux termes d'une ordonnance, y compris
les dépens devant être liquidés ou ceux fixés par le
tribunal, porte intérêt au taux d'intérêt postérieur
au jugement, à compter de la date de l'ordon-
nance.» L'article 137 de la même Loi porte que le
«taux d'intérêt postérieur au jugement» est le taux
d'escompte, au premier jour du dernier mois du
trimestre précédant la date de l'ordonnance,
arrondi au nombre entier supérieur plus un pour
cent. Dans l'affaire CAE Industries Ltd. et autre
c. La Reine (1983), 79 C.P.R. (2d) 88 (C.F. Pe
inst.), le juge Collier a reconnu que l'intérêt posté-
rieur au jugement commençait à courir à compter
de la date du jugement, c'est-à-dire à la date des
motifs de son jugement. Cette décision a été con-
firmée en appel. Dans la décision de la Cour
fédérale Rothwell c. R. (1985), 10 C.C.E.L. 276
(C.F. Pe inst.), le juge Strayer a exercé le pouvoir
discrétionnaire que lui confère l'article 40 de la
Loi sur la Cour fédérale pour ordonner que le taux
de l'intérêt postérieur au jugement soit le même
que celui de l'intérêt antérieur au jugement qu'il a
fixé conformément à l'article 36 de la Judicature
Act de l'Ontario. Dans l'arrêt Consolboard v.
MacMillan Blcedel (Saskatchewan) Ltd.
(1983), 74 C.P.R. (2d) 199, la Cour d'appel a
reconnu que la date fixée par le juge ayant reçu le
rapport de l'arbitre, c'est-à-dire la date à laquelle
la somme accordée a été confirmée par son juge-
ment, était la date à compter de laquelle il fallait
calculer l'intérêt postérieur au jugement.
L'intérêt postérieur au jugement sur la somme
accordée et les dépens commenceront à courir à
compter de la date de mon jugement formel en
l'espèce et le taux sera fixé conformément aux
dispositions de l'article 137 de la Loi sur les
tribunaux judiciaires.
Voici le libellé des dispositions pertinentes:
137(1) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent
article et aux articles 138 et 139.
«date de l'ordonnance» La date à laquelle est rendue l'ordon-
nance, même si elle n'est pas inscrite ou exécutoire ce jour-là,
ou si elle est modifiée en appel, et si l'ordonnance porte renvoi,
la date à laquelle le rapport du renvoi est confirmé.
«taux d'escompte» Le taux minimal exigé par la Banque du
Canada sur les prêts à court terme qu'elle accorde aux banques
à charte.
«taux d'intérêt postérieur au jugement» Le taux d'escompte à la
fin du premier jour du dernier mois du trimestre précédant le
trimestre au cours duquel se situe la date de l'ordonnance,
arrondi au nombre entier supérieur si le taux comprend une
fraction, plus un pour cent.
«trimestre» Les périodes de trois mois se terminant respective-
ment le 31 mars, le 30 juin, le 30 septembre et le 31 décembre
de chaque année.
(2) Après le premier jour du dernier mois de chaque trimes-
tre, le greffier de la Cour suprême, sans délai:
a) établit les taux d'intérêt antérieur et postérieur au juge-
ment pour le trimestre qui suit;
b) publie dans la Gazette de l'Ontario un tableau des taux
d'intérêt établis conformément à l'alinéa a) et de ceux
de tous les trimestres des dix dernières années.
Il semble donc très peu probable que l'on ren-
contre des difficultés pour déterminer, conformé-
ment à l'article 137, le taux d'intérêt approprié
qu'il faudra appliquer au montant du jugement. Si
un problème devait toutefois surgir à ce sujet, les
parties pourront faire valoir des éléments de
preuve et demander que je fixe le taux d'intérêt
postérieur au jugement. Le paragraphe 139(1) de
la Loi sur les tribunaux judiciaires, S.O. 1984,
chap. 11, porte:
139(1) La somme d'argent due aux termes d'une ordon-
nance, y compris les dépens devant être liquidés ou ceux fixés
par le tribunal, porte intérêt au taux d'intérêt postérieur au
jugement, à compter de la date de l'ordonnance.
L'intérêt postérieur au jugement doit donc être
calculé à compter de la date du jugement sur le
montant total des dommages plus l'intérêt anté-
rieur au jugement et les dépens puisqu'ils sont tous
visés par l'expression «la somme d'argent due aux
termes d'une ordonnance».
JUGEMENT ET DÉPENS
Jugement est rendu ce jour conformément aux
présents motifs. Étant donné que les parties ont eu
partiellement gain de cause, je diffère ma décision
sur la question des dépens et je serai disposé à
entendre tous les arguments que les avocats pour-
raient souhaiter faire valoir sur ce point. Si dans
un délai de quinze jours aucune des parties ne
demande l'autorisation de présenter des arguments
sur cette question des dépens, je rendrai une
ordonnance indiquant comment ceux-ci devront
être taxés.
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