A-17-86
Jack G. Threader (requérant)
c.
La Reine représentée par le Conseil du Trésor
(intimée)
RÉPERTORIÉ: THREADER C. CANADA (CONSEIL DU TRÉSOR)
Cour d'appel, juges Heald, Mahoney et Stone—
Ottawa, 4 et 20 juin 1986.
Fonction publique — Conflit d'intérêts — Des fonctionnai-
res ont mis sur pied une société ayant pour objet d'organiser
des séminaires destinés au secteur privé — Les renseignements
relatifs à un séminaire faisant l'objet de publicité et portant le
titre «Comment maximiser les chances de succès en vendant au
gouvernement fédéral» n'ont pas été divulgués à leurs supé-
rieurs — Mesures disciplinaires — Congédiements — Griefs
— Le président suppléant a maintenu les congédiements pour
le motif qu'une apparence de conflit d'intérêts avait été créée
en contravention des Lignes directrices concernant les conflits
d'intérêts — Les demandes fondées sur l'art. 28 qui ont été
présentées à l'encontre de la décision du président suppléant
sont accueillies — L'apparence de conflit d'intérêts est un
motif justifiant le recours à des mesures disciplinaires — Les
Lignes directrices concernant les conflits d'intérêts ont été
promulguées et les Bulletins du personnel publiés sous l'auto-
rité des pouvoirs conférés au gouverneur en conseil et de la Loi
sur l'administration financière — La Ligne directrice b interdit
aux fonctionnaires de se placer en situation créant une appa-
rence de conflit d'intérêts — En vertu de l'art. 7 du Bulletin,
les infractions aux Lignes directrices et au Bulletin peuvent
entraîner des mesures disciplinaires aux termes de l'art. 106
du Règlement sur les conditions d'emploi dans la Fonction
publique — Le critère relatif à la crainte de partialité dis juge
s'applique lorsqu'il s'agit d'établir, concernant des fonction-
naires, une apparence de conflit d'intérêts — Le président
suppléant a fait défaut d'énoncer ce critère à l'égard du
premier requérant — Aucun élément de preuve n'appuie la
conclusion voulant que le second requérant ait enfreint la
Ligne directrice b — Les requérants ne se sont pas rendus
coupables d'un manquement à la discipline pour n'avoir pas
suspendu les activités de la société au cours de la période
d'évaluation de leur déclaration — Loi sur l'administration
financière, S.R.C. 1970, chap. F-10, art. 7(1)f),(2) — Règle-
ment sur les conditions d'emploi dans la Fonction publique,
DORS/67-118, art. 106.
Contrôle judiciaire — Demandes d'examen — Fonction
publique — Des fonctionnaires ont été congédiés pour le motif
qu'ils avaient contrevenu aux Lignes directrices concernant les
conflits d'intérêt en se plaçant dans une situation créant une
apparence de conflit d'intérêts — Griefs — Les employés
congédiés n'ont pas eu la possibilité de se faire représenter à
l'audience tenue relativement au grief présenté par un troi-
sième employé même si le témoignage de ce dernier était
pertinent à leur propre affaire — La justice naturelle n'a pas
été respectée — Les corrélations entre les instances procédant
des griefs exigeaient qu'aucune preuve ne soit reçue en l'ab-
sence de la partie dont la conduite est attaquée — Loi sur la
Cour fédérale, S.R.C. 1970 (1` Supp.), chap. 10, art. 28.
Les requérants Threader et Spinks ont constitué avec d'au-
tres fonctionnaires une société ayant pour objet la gestion de
séminaires et de conférences ainsi que l'organisation de cours
de formation dans le secteur privé. Des arrangements ont été
pris relativement à un séminaire intitulé «Comment maximiser
les chances de succès en vendant au gouvernement fédéral».
Chacun des requérants a avisé son supérieur immédiat de ses
intentions. Leurs lettres de divulgation ne contenaient toutefois
aucun renseignement sur le séminaire projeté. Des procédures
disciplinaires ont été engagées et ont conduit au congédiement
des requérants. Ceux-ci ont déposé des griefs, qui ont été
entendus séparément. La preuve reçue lors de l'audition de
l'affaire Spinks a été admise dans l'affaire Threader. Threader
et Spinks n'ont aucunement été avisés de l'audition tenue dans
le cadre du grief déposé par le fonctionnaire qui avait été
engagé pour présenter le séminaire et n'ont pas eu la possibilité
de s'y faire représenter bien que la déposition de ce dernier lors
de l'instruction de son propre grief fût nécessairement perti-
nente aux leurs. Le président suppléant de la Commission des
relations de travail dans la Fonction publique a maintenu les
congédiements des requérants pour le motif qu'il y avait eu
apparence de conflit d'intérêts, contrairement aux Lignes direc-
trices concernant les conflits d'intérêts. Threader et Spinks
sollicitent à présent l'annulation de ces décisions. Les questions
soulevées sont celles de savoir si la justice naturelle a été
respectée et celle de savoir si la conclusion suivant laquelle il y
eu apparence de conflit d'intérêts justifie légalement un
employeur de prendre des mesures disciplinaires.
Arrêt: les demandes devraient être accueillies, les décisions
devraient être annulées et la question devrait être renvoyée
devant la Commission pour être réentendue par un tribunal
constitué de nouveaux arbitres.
La prétention selon laquelle la justice naturelle n'a pas été
respectée est bien fondée. Les corrélations entre les instances
rendaient nécessaires certaines garanties procédurales empê-
chant qu'une preuve susceptible d'influencer la décision du
président suppléant concernant l'une ou l'autre des parties dont
la conduite était examinée ne soit reçue en l'absence de la
partie concernée.
Concernant la question des conflits d'intérêts, le président
suppléant a décidé que chacun des employés s'estimant lésés
avait enfreint les Lignes directrices et le Bulletin du personnel
de leurs Ministères respectifs puisqu'il avait (a) créé ou laissé
persister une apparence de conflit d'intérêts en décidant de
tenir le séminaire projeté, (b) fait défaut de fournir des rensei-
gnements se rapportant directement à ce séminaire dans leurs
lettres de divulgation et (c) fait défaut de suspendre les activi-
tés de la société pendant l'évaluation de la déclaration par le
sous-ministre adjoint.
Doit être rejetée la prétention des employés s'estimant lésés
selon laquelle une situation de conflit d'intérêts éventuel ne
peut justifier un congédiement puisque, en vertu de la règle de
common law régissant les rapports entre le patron et l'employé,
seul un conflit d'intérêts effectif peut justifier une telle mesure.
La Couronne a le droit d'établir pour ses employés des normes
différentes de celles ayant cours dans le secteur privé. Ses
motifs pour ce faire ressortent à l'évidence: la Fonction publi-
que ne sera pas perçue comme impartiale et efficace si l'on
tolère l'existence de conflits apparents entre l'intérêt personnel
des fonctionnaires et leurs obligations à l'endroit du public.
La question de savoir si l'apparence de conflit d'intérêts est
légalement un des motifs justifiant des mesures disciplinaires
doit recevoir une réponse affirmative. Les Lignes directrices
concernant les conflits d'intérêts ont été promulguées par le
gouverneur en conseil. Les Bulletins du personnel sont publiés
par les sous-chefs des ministères agissant en vertu des pouvoirs
prévus à l'alinéa 7(1)f) de la Loi sur l'administration finan-
cière, qui leur ont été délégués conformément au paragraphe
7(2) de cette Loi. La Ligne directrice b porte: «Il ne doit y
avoir, ni sembler y avoir, de conflit entre les intérêts privés des
fonctionnaires et leurs fonctions officielles.» Le paragraphe 4b
du Bulletin énonce, lui aussi, cette prescription. L'article 7 du
Bulletin prévoit que les infractions aux Lignes directrices et à la
politique énoncée dans le Bulletin peuvent entraîner des mesu-
res disciplinaires aux termes de l'article 106 du Règlement sur
les conditions d'emploi dans la Fonction publique. Ainsi
peut-on dire que la loi prévoit que des mesures disciplinaires
seront prises contre un fonctionnaire qui, sciemment, a adopté
une conduite le plaçant dans une situation où son intérêt
personnel et ses fonctions officielles semblent être en conflit.
L'existence de l'apparence d'un conflit d'intérêts—ou son
absence—doit être déterminée par une personne renseignée, de
façon objective et rationnelle. Les Lignes directrices ne conte-
naient aucune définition de l'expression «apparence de conflit
d'intérêts», mais l'on pouvait définir le critère devant s'appli-
quer en se référant au concept de crainte de partialité du juge,
selon lequel une simple perception entraîne des conséquences
juridiques. La question qui se pose devrait être ainsi libellée:
Est-ce qu'une personne bien renseignée qui étudierait la ques
tion en profondeur, de façon réaliste et pratique, croirait que,
selon toute vraisemblance, le fonctionnaire, consciemment ou
non, sera influencé par des considérations d'intérêt personnel
dans l'exercice de ses fonctions officielles? Le président sup
pléant a, à l'égard de Threader, tiré ses conclusions sans
énoncer le critère qui devait s'appliquer. En ce qui regarde
Spinks, le président suppléant a conclu qu'il avait enfreint les
dispositions contenues à la seconde phrase de la Ligne direc-
trice b qui, selon ses termes mêmes, ne s'applique aux fonction-
naires que «Une fois nommés». La preuve ne permettait pas une
conclusion de fait rendant cette disposition applicable. Finale-
ment, aucune disposition des Lignes directrices ou du Bulletin
n'appuie la conclusion voulant que le défaut de suspendre les
activités de la société jusqu'à réception de la décision du
sous-ministre adjoint ait constitué un manquement à la
discipline.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Kane c. Conseil d'administration (Université de la
Colombie-Britannique), [1980] 1 R.C.S. 1105; Fraser c.
Commission des relations de travail dans la Fonction
publique, [1985] 2 R.C.S. 455.
DÉCISIONS MENTIONNÉES:
Wilcox v. G.W.G. Ltd., [1984] 4 W.W.R. 70 (B.R. Alb.);
Pipeline de gaz arctique canadien Liée (In re) et in re la
Loi sur l'Office national de l'énergie, [1976] 2 C.F. 20
(CA.); infirmée par [1978] 1 R.C.S. 369.
AVOCATS:
Andrew J. Raven pour le requérant.
Harvey A. Newman pour l'intimée.
PROCUREURS:
Soloway, Wright, Houston, Greenberg,
O'Grady, Morin, Ottawa, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
Commission des relations de travail dans la
Fonction publique, Ottawa, pour son propre
compte.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: La demande fondée sur
l'article 28 en l'espèce a été entendue en même
temps que la demande fondée sur l'article 28 de
John Hugh Spinks, dont le numéro de greffe est
A-18-86. Toutes deux sollicitent l'annulation des
décisions de Walter L. Nisbet, c.r., un président
suppléant de la Commission des relations de tra
vail dans la Fonction publique, qui ont maintenu
leur congédiement de la Fonction publique pour
infraction aux Lignes directrices concernant les
conflits d'intérêts.
Le requérant Threader occupait le poste de
coordonnateur adjoint, Bureau de la réforme de la
réglementation, Cabinet du secrétariat du Conseil
du Trésor. Il avait été détaché à ce poste par le
ministère du Revenu national, Douanes et Accise,
où il avait été sous-ministre adjoint. Il faisait
partie de la Fonction publique depuis 22 ans.
Spinks était directeur, Matériel et Service des
contrats, à Transports Canada et relevait d'un
sous-ministre adjoint. Il faisait partie de la Fonc-
tion publique depuis 9 ans et possédait de longs
états de service dans le secteur privé. Threader,
Spinks, une autre fonctionnaire nommée Linda
Mayville-Brimson et Joseph Lochnan, un employé
de la Société canadienne des postes, ont constitué
une société, Mystl Management Inc., dont ils
étaient tous quatre les seuls cadres et administra-
teurs.
Threader et Spinks, par des notes identiques, ont
avisé leur supérieur immédiat de leurs intentions.
Ces notes étaient ainsi libellées:
[TRADUCTION] Je vous écris conformément aux Lignes direc-
trices au sujet des conflits d'intérêts touchant les fonctionnaires.
J'ai récemment conclu une entente avec plusieurs de mes
collègues afin de mettre sur pied une petite entreprise traitant
de la gestion de séminaires et de conférences et de l'organisa-
tion de cours de formation dans le secteur privé.
La société s'adressera au milieu des affaires de la région
d'Ottawa et d'autres villes importantes. Le registre des procès-
verbaux renferme une résolution portant que la société ne
conclura, de façon directe, aucun contrat avec le gouvernement
fédéral.
À mon avis, les activités que nous comptons entreprendre ne
créent aucun conflit d'intérêts, mais je désire néanmoins faire
une divulgation complète de nos projets et montrer que nous
exploitons l'entreprise selon l'esprit de la politique relative aux
conflits d'intérêts.
Il va sans dire que je ferai en sorte que ces activités n'empiètent
pas sur mes fonctions habituelles. Je participerai à l'entreprise
en tant qu'administrateur et actionnaire après les heures de
bureau, pendant les congés et les week-ends.
Leurs notes de divulgation ne mentionnent aucune-
ment un séminaire se trouvant alors en prépara-
tion.
Richard I. Cottingham, un employé de Trans
ports Canada qui relevait de Spinks, a été engagé
par Mystl pour présenter, moyennant rémunéra-
tion, un séminaire à des gens d'affaires. Ce sémi-
naire, annoncé par Mystl, était intitulé «Comment
maximiser les chances de succès en vendant au
gouvernement fédéral». Des journalistes ont appris
la participation de fonctionnaires publics dans la
société Mystl. Des questions ont été soulevées rela-
tivement aux Lignes directrices concernant les
conflits d'intérêts. Des procédures ont été engagées
et ont conduit au congédiement de Threader et de
Spinks. Mme Mayville-Brimson et M. Cottingham
se sont vu imposer une suspension de 30 jours,
laquelle a par la suite été réduite respectivement à
10 et à 20 jours. La Société canadienne des postes
a décidé que Lochnan n'avait pas enfreint les
Lignes directrices concernant les conflits d'intérêts
et ne lui a imposé aucune pénalité.
Le président suppléant, en ce qui concerne
Threader comme en ce qui regarde Spinks, a
décidé qu'il n'y avait eu aucun conflit d'intérêts
effectif ou éventuel mais qu'il y avait eu apparence
de conflit d'intérêts. Il a maintenu les congédie-
ments.
Les deux demandes, qui allèguent que la justice
naturelle n'a pas été respectée, s'appuient sur les
faits suivants. L'avocat représentant à la fois
Threader et Spinks a proposé que leurs griefs
soient entendus et tranchés conjointement. L'inti-
mée s'y est opposée; toutefois, alors que les griefs
ont été entendus séparément, les parties ont con-
senti à ce que la preuve présentée lors de l'audition
de l'affaire Spinks soit admise dans l'affaire
Threader dans la mesure où elle était pertinente.
L'affaire Spinks a été entendue les 23 et 24 sep-
tembre 1985, alors que l'audience, dans l'affaire
Threader, a été tenue le 28 octobre. Lors de ces
audiences, l'intimée a cité Cottingham comme
témoin. Ce dernier a déposé et a été contre-inter-
rogé par l'avocat des employés s'estimant lésés.
Cottingham avait, lui aussi, présenté un grief.
L'audition de ce grief a été entendue par le même
président suppléant les 31 octobre et ler novembre.
Il est évident que le témoignage qu'il a rendu lors
de l'audience tenue relativement à son grief était
pertinent en ce qui avait trait aux affaires Threa-
der et Spinks. Spinks et Threader n'ont aucune-
ment été avisés de l'audition tenue relativement à
Cottingham et n'ont pas eu la possibilité de s'y
faire représenter. Ils avancent que la déposition de
Cottingham dans le cadre de son grief a pu
influencer les décisions tranchant leurs propres
griefs. Le président suppléant a rendu sa décision
concernant Spinks le 9 janvier 1986 et tranché le
grief de Threader le 14 janvier.
Le bien-fondé de leurs demandes fondées sur
l'article 28 ne ferait aucun doute si une telle
preuve avait été ainsi reçue dans le cadre de leurs
propres appels. Dans l'affaire Kane c. Conseil
d'administration (Université de la Colombie-Bri-
tannique), [1980] 1 R.C.S. 1105, le juge Dickson
(c'était alors son titre) a, aux pages 1113 et sui-
vantes, énoncé les principes suivants:
3. Une justice de haute qualité est exigée lorsque le droit
d'une personne d'exercer sa profession ou de garder son emploi
est en jeu.
5. C'est un principe fondamental de notre droit qu'à moins
d'être autorisée à agir ex parte de façon expresse ou nettement
implicite, une juridiction d'appel ne doit pas ... entendre des
témoignages en l'absence de la partie dont la conduite contestée
fait l'objet de l'examen.
6. La Cour ne cherchera pas à savoir si la preuve a de fait
joué au détriment de l'une des parties; il suffit que cette
possibilité existe.
Le fait que le témoignage a été rendu au cours
d'une instance distincte, que le président suppléant
pouvait légalement diriger, change-t-il quelque
chose en l'espèce? À mon avis, ce n'est pas le cas.
Aucun motif ne m'apparaît nous justifier de privi-
légier la forme au détriment du fond. Les trois
instances engagées devant le président suppléant
étaient évidemment reliées de très près les unes
aux autres. Il était clair qu'une bonne partie des
éléments de preuve reçus dans le cadre d'une de
ces instances serait pertinente aux autres affaires.
Dès lors que le président suppléant présidait à
toutes ces auditions, il aurait dû reconnaître que
les corrélations entre les trois instances rendaient
nécessaires certaines garanties procédurales de
sorte qu'aucune preuve susceptible d'influencer sa
décision concernant l'une ou l'autre des parties
dont la conduite était examinée ne serait reçue en
l'absence de la partie concernée. À mon avis, les
demandes fondées sur l'article 28 en l'espèce
devraient être accueillies pour ce motif.
Les conclusions de fait tirées par le président
suppléant dans chacune de ses décisions, selon
lesquelles l'employé s'estimant lésé avait perdu la
confiance de son employeur, sont également con-
testées. Spinks prétend qu'une telle conclusion
n'est appuyée par aucun élément de preuve et
Threader affirme qu'elle est contraire au seul
témoignage dont disposait le président suppléant,
savoir celui de son supérieur immédiat, qui a dit
que si Threader avait gain de cause, il le rétablirait
volontiers dans son emploi antérieur. La question
est grave, mais je suis d'avis qu'il n'est ni néces-
saire ni souhaitable que j'en traite dans ces motifs,
vu le dispositif que je propose en raison de ma
conclusion sur la justice naturelle. Cette question,
qui est purement et simplement une question de
fait, sera peut-être soulevée lors de nouvelles
audiences.
Une autre question a été soulevée en l'espèce et
doit être tranchée. Elle consiste à savoir si la
conclusion suivant laquelle il y a eu apparence de
conflit d'intérêts justifie légalement un employeur
de prendre quelque mesure disciplinaire que ce
soit. Les procédures en l'espèce, contrairement à
celles qui étaient engagées devant le président
suppléant, ne soulèvent aucunement la question de
la sévérité des mesures disciplinaires imposées.
Les Lignes directrices concernant les conflits
d'intérêts étaient, à l'époque, ainsi libellées:
a. Il ne suffit nullement qu'une personne qui occupe un poste
de responsabilité dans la Fonction publique observe la loi. Il lui
faut non seulement se conformer à la loi, mais avoir également
une conduite si irréprochable qu'elle puisse résister à l'enquête
la plus minutieuse. Pour que leur intégrité et leur impartialité
soient à l'abri de tout doute, les fonctionnaires doivent faire en
sorte de ne pas être en reste avec une personne qui pourrait
vouloir se faire accorder par eux une compensation ou un
avantage particulier ou chercherait par tous les moyens à
obtenir d'eux un traitement de faveur. De même, ils ne doivent
pas avoir d'intérêts pécuniaires susceptibles d'entrer en conflit
de quelque manière que ce soit avec l'exercice de leurs fonctions
officielles.
b. Il ne doit y avoir, ni sembler y avoir, de conflit entre les
intérêts privés des fonctionnaires et leurs fonctions officielles.
Une fois nommés, les fonctionnaires doivent gérer leurs affaires
personnelles de manière à éviter tout conflit d'intérêts.
c. Les fonctionnaires doivent veiller, dans la gestion de leurs
affaires personnelles, à ne pas se servir, ni sembler se servir, à
leur avantage de renseignements obtenus dans l'exercice de
leurs fonctions officielles et qui, de façon générale, ne sont pas
accessibles au public.
d. Les fonctionnaires ne doivent pas se mettre dans une situa
tion où ils pourraient retirer des profits ou des intérêts directs
ou indirects de tout contrat gouvernemental sur l'adjudication
duquel ils peuvent exercer une influence.
e. On s'attend à ce que tous les fonctionnaires divulguent à
leurs supérieurs tous leurs intérêts financiers, commerciaux et
d'affaires dans les cas où ces intérêts pourraient vraisemblable-
ment venir en conflit réel ou éventuel avec leurs fonctions
officielles.
f. Les fonctionnaires ne doivent occuper aucun poste, ni emploi
extérieur, dont les exigences pourraient être inconciliables avec
leurs fonctions officielles ou mettre en cause leur aptitude à
remplir ces fonctions de façon objective.
g. Dans l'exercice de leurs charges officielles, les fonctionnaires
ne doivent pas accorder de traitement de faveur à leurs parents,
ni à leurs amis, ni à des organismes dans lesquels leurs parents
ou leurs amis ont des intérêts financiers ou autres.
Ces Lignes directrices ont été promulguées par le
gouverneur en conseil en vertu de la prérogative
royale (C.P. 1973-4065). Je les ai citées en entier
sans laisser entendre pour autant que les paragra-
phes d, f ou g aient jamais été applicables à
l'espèce.
Les sous-chefs des ministères, y compris le
secrétaire du Conseil du Trésor et le sous-ministre
des Transports, agissant en vertu des pouvoirs
prévus à l'alinéa 7(1)f) de la Loi sur l'administra-
tion financière, S.R.C. 1970, chap. F-10, qui leur
avaient été délégués conformément au paragraphe
7(2), ont publié des Bulletins du personnel ayant
force de loi.
7. (1) ... le conseil du Trésor peut, dans l'exercice de ses
fonctions relatives à la direction du personnel de la fonction
publique, notamment ses fonctions en matière de relations entre
employeur et employés dans la fonction publique...
f) établir des normes de discipline dans la fonction publique
et prescrire les sanctions pécuniaires et autres, y compris la
suspension et le congédiement, qui peuvent être appliquées
pour manquements à la discipline ou pour inconduite et
indiquer dans quelles circonstances, de quelle manière, par
qui et en vertu de quels pouvoirs ces sanctions peuvent être
appliquées, ou peuvent être modifiées ou annulées, en tout ou
en partie;
Les Bulletins en cause ne sont pas identiques, mais
je ne décèle aucune différence importante entre
eux. Les dispositions qui suivent sont extraites du
Bulletin de Transports Canada:
3. Tous les employés doivent être parfaitement au courant des
lignes directrices du gouvernement et de la présente politique,
et faire preuve de discrétion appropriée dans l'exercice de leurs
fonctions et des activités étrangères à ces dernières. Ce qui
précède s'applique, en particulier, aux employés qui occupent
des fonctions délicates telles que l'analyse et la formulation de
la politique, les achats, la garde et la transmission de docu
ments classifiés, l'adjudication et l'administration de contrats,
la perception de droits et de taxes, la location de biens, l'enga-
gement d'employés, la délivrance de licences aux pilotes d'aéro-
nefs et de certificats de capacité aux capitaines, lieutenants et
mécaniciens de navires, l'inspection de navires, d'usines et de
véhicules automobiles, d'installations de transporteurs aériens,
ainsi que les investigations ou les enquêtes préliminaires sur les
accidents aériens et maritimes.
DIRECTIVES ET LIGNES DIRECTRICES
4. Généralités. Sous réserve des dispositions des conventions
collectives, et sans restreindre la portée générale des lignes
directrices sur les conflits d'intérêts, les employés peuvent
accepter des nominations, des charges ou un autre emploi à
l'extérieur de la Fonction publique, ou détenir des intérêts
commerciaux, d'affaires, financiers ou immobiliers, à condition
que l'activité entreprise ou proposée:
a. ne procure pas, ou ne semble pas procurer, un avantage ou
un bénéfice indû à l'employé ou à d'autres personnes;
b. ne gêne, ni ne semble gêner, le jugement ou l'objectivité de
l'employé, ni ne réduise de quelque autre façon le rendement ou
l'efficacité de l'employé dans l'exercice de ses fonctions
officielles;
c. ne donne lieu ni à l'utilisation, ni à la divulgation non
autorisée, de renseignements confidentiels ou à cote de sécurité;
d. ne restreigne, ni n'influence indûment l'élaboration, l'appli-
cation ou l'exécution de lois, de règlements, de politiques, de
normes ou de spécifications;
e. ne donne pas l'impression que l'employé agit en qualité
d'agent autorisé du Ministère avec la conséquence possible de
lier le Ministère à une responsabilité ou à un engagement qui
ne serait pas autrement approuvé;
f. n'enfreigne pas les dispositions de l'article 32 de la Loi sur
l'emploi dans la Fonction publique relativement aux activités
politiques; ou
g. n'entraîne pas l'utilisation de biens du gouvernement fédéral
sans autorisation.
Nota: Tout employé dont les activités ou les intérêts étrangers à
ses fonctions comprennent le travail, l'investissement dans la
propriété ou la participation à la gestion de toute entreprise ou
organisation assujettie aux pratiques de réglementation, d'ins-
pection, de délivrance de permis et de certificats ou de contrôle,
de quelque façon que ce soit, de Transports Canada ou qui fait
affaires avec Transports Canada ou d'autres ministères gouver-
nementaux ou qui travaille étroitement avec le Ministère, doit
divulguer ses activités ou intérêts afin que le Sous-ministre
décide s'il y a conflit d'intérêts réel ou apparent.
Je précise que l'article 1 situe le Bulletin par
rapport aux déclarations antérieures du Ministère
sur les conflits d'intérêts et que l'article 2 de ce
Bulletin cite les Lignes directrices dans leur entier.
Les articles 5 et 6 traitent des cadeaux, etc., ainsi
que des emplois des anciens fonctionnaires. Ni l'un
ni l'autre n'est pertinent à l'espèce. Le Bulletin
porte ensuite les dispositions suivantes:
7. Discipline. Les infractions aux lignes directrices sur les
conflits d'intérêts et à la présente politique peuvent entraîner
des mesures disciplinaires aux termes de l'article 106 du Règle-
ment sur les conditions d'emploi dans la Fonction publique et
d'accusations en vertu des lois pertinentes. En termes précis,
sera considéré comme un manquement à la discipline le fait
pour un employé:
a. d'entreprendre sciemment une démarche, une activité ou
un engagement qui le place dans une situation de conflit
d'intérêts effectif ou éventuel, ou nuit de quelque autre façon
à son travail au Ministère;
b. de dissimuler sciemment, en tout ou en partie, un conflit
d'intérêts effectif ou éventuel, après avoir été informé d'en
faire la divulgation;
c. de ne pas se conformer à toute directive écrite pour éviter
ou corriger une situation de conflit d'intérêts; ou
d. d'accepter un cadeau, une récompense, un avantage ou un
bénéfice en violation des dispositions de la présente politique.
8. Consultation. Les employés qui se demandent si une activité
ou un bénéfice pourrait être considéré comme une situation de
conflit d'intérêts doivent obtenir l'approbation du Sous-ministre
par l'entremise de leur chef de district, de région ou de direc
tion avant de se livrer à l'activité ou d'accepter le bénéfice.
9. Divulgation
a. Il incombe à chaque employé de donner par écrit les
détails de tout conflit d'intérêts effectif ou éventuel, y com-
pris ceux qui découlent:
(4) d'un emploi, avec ou sans rémunération, étranger à ses
fonctions officielles au Ministère.
c. Les employés qui considèrent qu'ils pourraient se trouver
impliqués dans une situation de conflit d'intérêts effectif ou
éventuel doivent en divulguer les détails par écrit à leur
surveillant immédiat ou au bureau régional du personnel.
d. Le surveillant ou le bureau régional du personnel rédigera
une évaluation de la déclaration dès qu'il l'aura reçue ... La
déclaration et l'évaluation s'y rapportant devraient être
transmises ... au bureau du Sous-ministre adjoint, Personnel
... Les décisions relatives à la déclaration seront communi
quées directement à l'employé et des copies de celles-ci seront
envoyées au chef du groupe, de la région ou de la direction.
La situation des employés s'estimant lésés se
trouvait particulièrement aggravée par une décla-
ration figurant dans la publicité relative au sémi-
naire de Cottingham, déclaration selon laquelle les
participants recevraient [TRADUCTION] «des ren-
seignements que les bureaucrates ne communi-
quent pas». Leurs employeurs, préalablement aux
mesures disciplinaires visées, ont été convaincus
que les renseignements dont il s'agissait, sans être
habituellement divulgués, étaient néanmoins
accessibles au public. En conséquence, la violation
réelle ou éventuelle de la Ligne directrice e ou du
paragraphe 4c du Bulletin ne constituait pas un
motif de congédiement.
Le sous-ministre des Transports a motivé
comme suit le congédiement de Spinks:
[TRADUCTION] I. Le fait que vous participiez à MYSTL
Management Incorporated, tout en détenant un poste au sein
de Transports Canada, vous a placé dans une situation de
conflit d'intérêts apparent ou éventuel, compte tenu notamment
du séminaire intitulé «Comment maximiser les chances de
succès en vendant au gouvernement fédéral», que MYSTL avait
l'intention de donner;
2. La lettre de divulgation datée du 3 avril 1985 que vous avez
fait parvenir à votre surveillant, M. N. van Duyvendyk, sous-
ministre adjoint, Finances, ne renfermait aucun renseignement
capital; en fait, vous avez omis d'y signaler des faits importants
que vous n'étiez pas sans connaître, ce qui a eu pour effet de
tromper votre surveillant en lui faisant croire que vous n'aviez
pas encore mis votre entreprise sur pied et que vos activités ne
pouvaient être considérées comme créant une situation de
conflit d'intérêts apparent ou éventuel;
3. En tant que surveillant de M. Richard Cottingham, vous
avez accepté sa lettre de divulgation et l'avez communiquée à
M. van Duyvendyk, tout en sachant qu'elle était incomplète et
trompeuse. En fait, cette lettre omettait des faits importants
que vous n'étiez pas sans connaître, ce qui a eu pour effet de
tromper votre surveillant en lui faisant croire que M. Cotting-
ham ne s'était pas encore engagé dans l'entreprise et que ses
activités ne pouvaient être considérées comme créant une situa
tion de conflit d'intérêts apparent ou éventuel;
4. Vous n'avez pris aucune mesure visant à interrompre vos
activités, bien que votre surveillant n'ait pas officiellement
approuvé vos projets et qu'il ait indiqué vouloir discuter plus à
fond de la question; et
5. Vous vous êtes conduit d'une façon qui pouvait mettre le
ministère et le gouvernement dans l'embarras et qui, en fait, a
entraîné de telles conséquences. À titre de haut fonctionnaire,
vous saviez, ou deviez savoir, quel serait le résultat d'une telle
entreprise.
La lettre de congédiement de Threader énonçait,
avec les adaptations qui s'imposaient, les motifs
figurant aux paragraphes 1, 2 et 5 précités. Le
contenu du paragraphe 3 de cette lettre ne s'appli-
quait évidemment pas à Threader. Le motif énoncé
au paragraphe 4 n'apparaît pas dans la lettre de
Threader. Le motif suivant, qui doit être considéré
en corrélation avec le paragraphe 2, a cependant
été ajouté:
[TRADUCTION] 3. Vous avez fourni un modèle de cette lettre
devant être utilisé par d'autres fonctionnaires à l'intention de
leurs chefs hiérarchiques;
Le président suppléant a décidé que chacun des
employés s'estimant lésés avait enfreint les Lignes
directrices et le Bulletin puisqu'ils avaient:
a. créé ou laissé persister une apparence de conflit d'intérêts en
décidant de tenir le séminaire de Cottingham;
b. fait défaut de fournir des renseignements se rapportant
directement au séminaire de Cottingham dans leurs notes de
divulgation; et
c. fait défaut de suspendre les activités de Mystl jusqu'à ce que
la décision du sous-ministre adjoint prévue au paragraphe 9d)
leur ait été signifiée.
Il a décidé que ni le fait pour eux de mettre leurs
ministères et le gouvernement dans l'embarras ni
la fourniture par Threader des modèles de lettres
de divulgation n'enfreignaient les Lignes directri-
ces et ne pouvaient donner lieu à des mesures
disciplinaires. Il a également décidé que l'on
n'avait pas réussi à établir que Spinks avait
commis une faute en ce qui regardait la note de
divulgation de Cottingham.
Soulignons que la conclusion d'apparence de
conflit d'intérêts sur laquelle le président suppléant
a appuyé sa décision entérinant les mesures disci-
plinaires ne portait que sur le séminaire de Cot-
tingham et ne concernait pas les intentions généra-
les que les employés s'estimant lésés entretenaient
à l'égard de la société Mystl. De la même façon,
les insuffisances imputées à leur note de divulga-
tion concernaient uniquement ce séminaire parti-
culier et non leurs intentions générales touchant
Mystl. Finalement, le sous-chef de Threader, con-
trairement à celui de Spinks, n'a pas inclus parmi
ses motifs de congédiement le défaut de son subor-
donné de suspendre les activités visées jusqu'à ce
qu'une décision soit rendue conformément au
paragraphe 9d.
Les employés s'estimant lésés, en alléguant que
l'apparence d'un conflit d'intérêts ne peut légale-
ment justifier des mesures disciplinaires, dressent
une analogie à partir des règles de la common law
qui régissent les rapports entre le patron et l'em-
ployé, lesquelles évidemment ne s'appliquent pas
aux rapports entre la Couronne et ses employés.
Selon ces règles, seul un conflit d'intérêts effectif
peut justifier un congédiement. Le fait pour un
employé de se placer dans une situation de conflit
d'intérêts éventuel ne constitue pas à lui seul un
motif de congédiement. Ce principe s'applique
aussi bien aux employés de la haute direction, à
qui la common law confère désormais des obliga
tions de fiduciaires, qu'aux autres employés.
Récemment, dans l'affaire Wilcox v. G.W.G. Ltd.,
[1984] 4 W.W.R. 70, le juge Feehan, de la Cour
du Banc de la Reine, a relevé les décisions cana-
diennes appuyant les propositions de droit qui
précèdent. Les employés s'estimant lésés soutien-
nent que, à plus forte raison, la seule apparence
d'un conflit d'intérêts ne peut justifier le recours à
des mesures disciplinaires.
Cet argument ne m'apparaît pas réellement bien
fondé. La Couronne a parfaitement le droit d'éta-
blir pour ses employés des normes différentes de
celles ayant cours dans le secteur privé. Non seule-
ment est-elle légalement autorisée à interdire à ses
employés de se placer dans des situations entraî-
nant une apparence de conflit d'intérêts; ses motifs
pour ce faire ressortent à l'évidence. Comme l'a dit
le juge en chef Dickson dans l'affaire Fraser c.
Commission des relations de travail dans la Fonc-
tion publique, [1985] 2 R.C.S. 455, la page 466,
en regard d'une situation de fait très différente de
celle en l'espèce:
L'arbitre a reconnu qu'il faut établir un équilibre entre la
liberté d'expression de l'employé et le désir du gouvernement de
maintenir une fonction publique impartiale et efficace.
Plus loin, après avoir cité un extrait de la décision
de l'arbitre, il déclare:
En d'autres termes, le fonctionnaire est tenu de faire preuve
d'un certain degré de modération dans ses actions relatives aux
critiques des politiques du gouvernement, de sorte que la fonc-
tion publique soit perçue comme impartiale et efficace dans
l'accomplissement de ses fonctions. Il ressort implicitement des
motifs de l'arbitre que le degré de modération dont on doit faire
preuve dépend du poste et de la visibilité du fonctionnaire.
À mon avis, l'arbitre a correctement identifié les principes
applicables et les a bien appliqués aux circonstances de l'espèce.
Manifestement, la fonction publique ne sera pas
considérée comme impartiale et efficace dans
l'exécution de ses fonctions si l'on tolère l'existence
de conflits apparents entre l'intérêt personnel des
fonctionnaires et leurs obligations à l'endroit du
public.
La question qui se pose est donc la suivante: le
législateur a-t-il fait de l'apparence de conflit d'in-
térêts un des motifs justifiant des mesures discipli-
naires? Comme les critères adoptés par le législa-
teur en vertu de la prérogative royale et de la Loi
sur l'administration financière semblent avoir une
grande portée, je tiens pour acquis que seule l'ap-
plication de ces dispositions est en cause en l'es-
pèce et que nous n'avons pas à nous engager dans
une enquête comme celle qui avait due être entre-
prise dans l'affaire Fraser, où les tribunaux
devaient situer et définir les limites du droit d'un
fonctionnaire de critiquer le gouvernement. En
l'espèce, on a attribué à des situations précises
l'apparence de conflits d'intérêts. Les mesures
reprochées, dit-on, découlent de la loi.
La première phrase de la Ligne directrice b
porte:
Il ne doit y avoir, ni sembler y avoir, de conflit entre les intérêts
privés des fonctionnaires et leurs fonctions officielles.
Ainsi est-il clairement interdit aux fonctionnaires
de se placer dans des situations créant une appa-
rence de conflit d'intérêts. Le paragraphe 4b du
Bulletin énonce, lui aussi, cette prescription de
façon claire. Sa portée n'est pas annulée par les
deux premières phrases de la Ligne directrice a,
qui ont un caractère exhortatif et qui, en raison de
leur libellé, sont sans effet juridique.
L'article 7 du Bulletin prévoit des mesures disci-
plinaires. L'on doit conclure, à la lecture complète
de cet article, que la portée générale de la première
phrase ne se restreint pas aux exemples particu-
liers de la seconde. Plus particulièrement, le fait
que le paragraphe 7a mentionne uniquement «une
situation de conflit d'intérêts effectif ou éventuel»
n'empêche aucunement la première phrase de cette
disposition de s'appliquer de façon générale aux
infractions à la Ligne directrice b ou au paragra-
phe 4b, ou aux deux à la fois, résultant d'une
apparence de conflit d'intérêts. J'estime toutefois
que la démarche, l'activité ou l'engagement ayant
donné lieu à une apparence de conflit d'intérêts
devrait également être considéré comme délibéré.
En conséquence, je conclus que la loi prévoit que
des mesures disciplinaires seront prises conformé-
ment à l'article 106 du Règlement sur les condi
tions d'emploi dans la Fonction publique
[DORS/67-118] contre un fonctionnaire qui a
entrepris sciemment une démarche, une activité ou
un engagement le plaçant dans une situation où
son intérêt personnel et ses fonctions officielles
semblent être en conflit.
Comme je propose au tribunal d'accueillir les
demandes en l'espèce sur le fondement qu'on a
dénié aux requérants une audition impartiale, je
n'ai pas l'intention de m'étendre sur les conclusions
de fait sur lesquelles le président suppléant s'est
appuyé pour décider qu'il y avait effectivement eu
apparence de conflit d'intérêts dans un cas comme
dans l'autre. Toutefois, il a, à ce que je sache, tiré
ses conclusions sans énoncer les critères suivant
lesquels il a décidé qu'il y avait apparence de
conflit d'intérêts. Les conclusions pertinentes qu'il
a prises à cet égard dans l'affaire Threader sont les
suivantes:
54. Le premier motif que l'employeur a invoqué pour congédier
l'employé s'estimant lésé est que sa participation à Mystl
pendant qu'il occupait le poste de coordonnateur adjoint au
Bureau de la réforme de la réglementation au Conseil du trésor
créait aune apparence ou une possibilité de conflit d'intérêts,
notamment à cause de la participation de Mystl à un séminaire
intitulé: "Comment maximiser les chances de succès en vendant
au gouvernement fédéral".»
55. La preuve a établi que l'employé s'estimant lésé était
devenu membre du conseil d'administration et secrétaire-tréso-
rier de Mystl pendant qu'il occupait le poste de coordonnateur
adjoint du Bureau de la réforme de la réglementation au
Conseil du trésor. Il est responsable de la rédaction de la note
de divulgation des conflits d'intérêts que devaient utiliser les
membres du conseil d'administration de la société et les fonc-
tionnaires qui allaient conclure des contrats de services de
formation pour le compte de l'entreprise. Il a participé aux
discussions des membres du conseil de Mystl au sujet des
conflits d'intérêts. Il semble même avoir été le premier à
préconiser que l'on évite tout risque de conflit d'intérêts en
produisant des notes de divulgation et en s'assurant que la
société n'offre pas de services de consultation en gestion ni de
commercialisation. L'employé s'estimant lésé a transmis sa note
de divulgation en date du 29 mars 1985 au moment où Mystl
avait déjà conclu une entente de principe avec M. Cottingham
au sujet de la présentation de son séminaire sur la façon de
faire affaire avec le gouvernement fédéral. L'employé s'esti-
mant lésé a reconnu qu'il se sentait mal à l'aise au sujet de ce
séminaire, mais il a dit en être venu à la conclusion qu'il ne
pouvait pas en retirer de profits puisqu'il n'avait rien à voir avec
l'attribution des contrats du gouvernement. Il voulait s'assurer
que chaque moniteur produirait une lettre de divulgation
appropriée et obtiendrait l'autorisation de son supérieur pour
exercer son activité particulière. La note de divulgation rédigée
par l'employé s'estimant lésé devait être offerte à chaque
moniteur pour l'aider à produire une telle note.
56. À mon avis, la preuve établit qu'une apparence de conflit
d'intérêts a pris naissance, pour l'employé s'estimant lésé, le 23
mars 1985 quand les autres administrateurs de Mystl et lui-
même ont décidé que le séminaire de M. Cottingham sur la
façon de faire affaire avec le gouvernement fédéral aurait lieu
le 25 mai 1985, et je conclus en ce sens.
Aux paragraphes 136 139 de la décision qu'il a
rendue dans l'affaire Spinks, le président sup
pléant, après avoir exposé la preuve à peu près de
la même façon que dans l'affaire Threader, a tiré
cette même conclusion.
Il est clair que le président suppléant a énuméré
au paragraphe 55 de ses motifs tous les éléments
de preuve qu'il considérait particulièrement perti-
nents à sa conclusion suivant laquelle Threader
semblait se trouver en conflit d'intérêts. Avec défé-
rence, cette seule preuve ne peut conduire qu'en
partie à la conclusion du président suppléant. Elle
ne peut appuyer cette conclusion que si l'apprécia-
tion qui en est faite a lieu suivant un critère
approprié. Il est certain que l'apparence de quoi
que ce soit, y compris celle d'un conflit d'intérêts,
réside dans l'esprit de celui qui la perçoit plutôt
que dans le comportement incriminé.
Les Lignes directrices ne définissent pas l'ex-
pression «apparence de conflit d'intérêts» et le
silence des tribunaux à cet égard est explicable à la
lumière du point de vue ayant cours en common
law, dont nous avons déjà parlé. La notion suivant
laquelle une apparence de conflit d'intérêts peut
entraîner des conséquences juridiques est tout à
fait moderne. Normalement, seules les situations
réelles peuvent engendrer des conséquences juridi-
ques. Notre droit comporte toutefois un principe
bien établi en vertu duquel une simple perception
entraîne des conséquences juridiques. Celui-ci a
trait à la crainte de la partialité du juge. Dans un
tel cas, la question qui se pose est la suivante:
Est-ce qu'une personne bien renseignée qui étudierait la ques
tion en profondeur, de façon réaliste et pratique, croirait que,
selon toute vraisemblance, le juge, consciemment ou non, ne
rendra pas une décision juste?
Ce critère, qui s'énonce simplement, est d'une
application plus difficile, ainsi qu'il ressort des
décisions rendues dans l'affaire Pipeline de gaz
arctique canadien Ltée (In re) et in re la Loi sur
l'Office national de l'énergie, [1976] 2 C.F. 20
(CA.); infirmée par [1978] 1 R.C.S. 369. Gardant
à l'esprit la question qui précède, celle qui se pose
en l'espèce peut être formulée comme suit:
Est-ce qu'une personne bien renseignée qui étudierait la ques
tion en profondeur, de façon réaliste et pratique, croirait que,
selon toute vraisemblance, le fonctionnaire, consciemment ou
non, sera influencé par des considérations d'intérêt personnel
dans l'exercice de ses fonctions officielles?
L'application d'un tel critère, bien qu'elle puisse
être aussi difficile que celle du critère précédent,
devient essentielle si j'ai raison de dire que l'exis-
tence de l'apparence d'un conflit d'intérêts—ou
son absence—doit être déterminée par une per-
sonne bien renseignée, de façon objective et
rationnelle.
Dans l'affaire Spinks, on a conclu comme suit à
l'apparence de conflit d'intérêts:
142. Je déclare donc que l'employé s'estimant lésé a commis
une infraction relativement au paragraphe 2b des Lignes direc-
trices, puisqu'il n'a pas géré ses affaires personnelles de
manière à éviter le conflit d'intérêts dont j'ai reconnu
l'existence.
Il s'agit clairement d'une conclusion portant que
Spinks avait enfreint les dispositions contenues à la
seconde phrase de la Ligne directrice b qui, selon
ses termes mêmes, ne s'applique aux fonctionnaires
que «Une fois nommés». Il ne m'apparaît pas du
tout évident que la preuve ait permis une conclu
sion de fait rendant cette disposition applicable.
Le président suppléant a conclu que les requé-
rants avaient tous deux enfreint les Lignes directri-
ces pour n'avoir pas suspendu les activités de
Mystl jusqu'à réception de la décision prévue au
paragraphe 9d du Bulletin. Je ne trouve dans les
Lignes directrices ou dans le Bulletin aucune dis
position faisant d'un tel défaut, en soi, un manque-
ment à la discipline. Cela étant dit, il est certain
que les fonctionnaires qui s'engagent dans une voie
concernant laquelle ils devraient raisonnablement
entretenir des doutes le font à leurs propres ris-
ques; si l'on devait conclure que les Lignes directri-
ces ont été enfreintes, une telle conduite, bien que
ne constituant pas par elle-même une infraction,
serait des plus pertinentes à la détermination des
mesures disciplinaires qui s'imposent.
Les griefs devant, selon moi, être entendus à
nouveau, il n'est pas souhaitable que je formule
d'autres observations concernant les faits. Ce que
je viens de dire s'applique également aux argu
ments contestant les conclusions tirées par le prési-
dent suppléant sur la question des circonstances
atténuantes. L'avocat des requérants a demandé
que, dans l'éventualité où l'affaire serait renvoyée
devant la Commission pour être entendue à nou-
veau, la nouvelle audition ait lieu devant un tribu
nal constitué d'autres membres que le premier.
Dans les circonstances, une telle demande est tout
à fait raisonnable.
J'accueillerais la demande fondée sur l'article 28
en l'espèce, j'annulerais la décision en date du 14
janvier 1986 du président suppléant et je renver-
rais l'affaire devant la Commission des relations de
travail dans la Fonction publique pour qu'elle soit
réentendue par un tribunal constitué de nouveaux
arbitres. Je rendrais un jugement semblable à celui
que je viens de proposer concernant la demande
fondée sur l'article 28 de John Hugh Spinks, n° de
greffe A-18-86, et j'ordonnerais également qu'une
copie des motifs de jugement en l'espèce soit versée
au dossier relatif à cette demande fondée sur
l'article 28.
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE STONE: Je souscris à ces motifs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.