A-164-83
Imperial Chemical Industries Limited (appelante)
c.
Commissaire des brevets (intimé)
RÉPERTORIÉ: IMPERIAL CHEMICAL INDUSTRIES LTD. C. COM-
MISSAIRE DES BREVETS
Cour d'appel, juges Heald, Ryan et Stone—
Ottawa, 16 mai 1984, 19 mars 1985 et 8 et 21
avril 1986.
Brevets — Appel interjeté contre une décision du commis-
saire dans laquelle il rejetait des revendications de procédé —
L'invention porte sur une méthode de nettoyage des dents au
moyen d'un composé aqueux — Les revendications sont
rejetées parce que le procédé constitue un traitement du corps
humain — Application de l'arrêt Tennessee Eastman pour
conclure que la méthode en cause n'est pas un procédé à
caractère économique que la Loi sur les brevets vise à protéger
— L'appel est rejeté — L'invention est correctement décrite
comme ayant une fonction d'ordre médical — On satisfait au
critère énoncé dans l'arrêt Burton Parsons parce que l'une des
fonctions principales de l'invention est de réduire la carie
dentaire et/ou les maladies des gencives, ce qui étaye la
conclusion selon laquelle la principale fonction de l'invention
est d'ordre médical — Un produit peut avoir plus d'un objet
principal: l'un médical et l'autre cosmétique — Le commis-
saire n'a pas commis d'erreur en se considérant lié par l'arrêt
Tennessee Eastman — La portée de cet arrêt ne se limite pas
aux situations de faits auxquelles s'applique l'art. 41(1) de la
Loi — L'arrêt Tennessee Eastman porte que les méthodes de
traitement médical ne sont pas visées comme "procédés" par la
définition d'"invention" — Loi sur les brevets, S.R.C. 1970,
chap. P-4, art. 2, 41(1), 44 — Loi sur les brevets, S.R.C. 1952,
chap. 203, art. 2d).
Il s'agit d'un appel interjeté contre la décision du commis-
saire dans laquelle il rejetait les revendications de procédé
exposées dans la demande de l'appelante visant la délivrance
d'un brevet. L'invention porte sur une méthode de nettoyage
des dents par application d'un composé aqueux. La Commission
d'appel des brevets a recommandé le rejet des revendications de
méthodes après avoir conclu que le procédé revendiqué tient
lieu de traitement du corps humain; elle suit l'arrêt Tennessee
Eastman Co. et al. v. Commissioner of Patents (1970), 62
C.P.R. 117 (C. de l'É.); confirmé par [1974] R.C.S. 111;
(1972), 8 C.P.R. (2d) 202. La Commission a conclu que la
méthode revendiquée n'est pas un procédé à caractère économi-
que que la Loi sur les brevets a pour objet de protéger. Le
commissaire a accepté la recommandation de la Commission.
L'appelante a allégué que le commissaire a commis une erreur
de droit en qualifiant l'objet des revendications de méthode de
traitement médical et en concluant que les méthodes de traite-
ment médical sont, en elles-mêmes, non brevetables. Selon
l'appelante, seules les méthodes de traitement médical faisant
appel à des composés régis par le paragraphe 41(1) de la Loi
sur les brevets sont en elles-mêmes non brevetables.
Arrêt: l'appel devrait être rejeté.
L'appelante a allégué que le commissaire a commis une
erreur en n'appliquant pas le critère établi par la Cour suprême
du Canada dans l'arrêt Burton Parsons Chemicals, lnc. c.
Hewlett-Packard (Canada) Ltd., [1976] 1 R.C.S. 555; (1974),
17 C.P.R. (2d) 97. L'arrêt Burton Parsons porte sur l'article
41(1) et vise «des substances préparées ou produites par des
procédés chimiques et destinées ... à la médication». La pré-
sente espèce n'est pas régie par le paragraphe 41(1) puisque les
composés en cause ne sont pas produits par un procédé chimi-
que. Toutefois, parce que le procédé litigieux vise à nettoyer ou
à traiter une partie du corps humain, il s'agit d'un traitement
du corps humain et, de ce fait, l'équivalent d'un traitement
médical. Vu les différences dans les faits, il est douteux que le
critère établi par l'arrêt Burton Parsons s'applique en l'espèce.
Toutefois, présumant son applicabilité, il a été satisfait aux
exigences du critère en question. L'un des objets principaux de
l'invention était la diminution de l'incidence des caries et/ou des
maladies des gencives. Comme la majorité des gens souffrent de
caries dentaires ou de maladies des gencives, la preuve permet-
tait au commissaire de conclure qu'une des fonctions principa-
les de l'invention était d'ordre médical. Un produit peut avoir
deux fins premières, comme c'est le cas en l'espèce, l'une
médicale et l'autre cosmétique. Le commissaire n'a pas commis
d'erreur en disant que l'invention avait une fonction médicale
simplement parce qu'elle peut aussi avoir une autre fonction
principale, d'ordre cosmétique.
L'appelante avance que l'arrêt Tennessee Eastman ne dit pas
que les méthodes de traitement médical sont, en elles-mêmes,
non brevetables. L'appelante soutient que l'arrêt Tennessee
Eastman fait obstacle uniquement à la brevetabilité des métho-
des médicales qui font appel aux matières prohibées en vertu du
paragraphe 41(1), savoir les matières produites au moyen de
procédés chimiques. Selon l'appelante, lorsque, comme c'est le
cas en l'espèce, les matières en cause sont produites par un
procédé physique plutôt que par un procédé chimique, le prin-
cipe énoncé dans l'arrêt Tennessee Eastman ne s'applique pas.
La seule question soumise à la Cour de l'Échiquier consistait
à savoir si la méthode de réunion chirurgicale de tissus organi-
ques est une réalisation ou un procédé au sens de l'alinéa 2d) de
la Loi sur les brevets. Il n'était pas fait mention de l'application
du paragraphe 41(1). Bien que la décision de la Cour suprême
du Canada parle de l'incidence du paragraphe 41(1), elle
affirme clairement et sans équivoque que «les méthodes de
traitement médical ne sont pas visées comme "procédés" par la
définition d"`invention".» La portée de cette affirmation ne
peut se limiter uniquement aux situations de faits auxquelles
s'applique le paragraphe 41(1) de la Loi. Le commissaire n'a
pas commis d'erreur en se considérant lié par le principe énoncé
dans l'arrêt Tennessee Eastman.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Tennessee Eastman Co. et al. v. Commissioner of Patents
(1970), 62 C.P.R. 117 (C. de l'É.); confirmé par [1974]
R.C.S. 111; (1972), 8 C.P.R. (2d) 202.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Burton Parsons Chemicals, Inc. c. Hewlett-Packard
(Canada) Ltd., [1976] 1 R.C.S. 555; (1974), 17 C.P.R.
(2d) 97.
AVOCATS:
A. David Morrow pour l'appelante.
Arnold S. Fradkin pour l'intimé.
PROCUREURS:
Smart & Biggar, Ottawa, pour l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Il s'agit d'un appel en vertu de
l'article 44 de la Loi sur les brevets, S.R.C. 1970,
chap. P-4 et ses modifications, interjeté contre une
décision du commissaire intimé en date du 10 août
1982, dans laquelle il rejetait les revendications de
procédé 1 et 2 exposées dans la demande de l'appe-
lante visant la délivrance du brevet n° de série
304 853 intitulé «Dentifrice au cation de lanthane».
Les revendications 1 et 2 exposées dans la
demande en cause sont des revendications de pro-
cédé alors que les revendications 3, 4 et 5 sont des
revendications de composé. Seules les revendica-
tions 1 et 2 font l'objet de l'appel, le refus du
commissaire d'accorder un brevet se limitant à
elles. Dans sa décision, le commissaire a ordonné
que si les deux premières revendications étaient
retirées de la demande dans les six mois de sa
décision, la demande devait être renvoyée à l'exa-
minateur pour qu'il continue la procédure d'exa-
men des revendications restantes. Cette directive a
eu pour effet de retarder sa décision relativement
aux revendications 3, 4 et 5 pendant le délai
accordé à l'appelante soit pour retirer les revendi-
cations 1 et 2, soit pour interjeter appel contre la
décision qui les rejette.
Le résumé de l'exposé relatif à l'invention en
cause dit (Dossier d'appel, vol. 1, page 77):
[TRADUCTION] L'invention porte sur une méthode de net-
toyage des dents par application de lanthane, et sur des compo-
sés, tels les eaux dentifrices, les pâtes dentifrices et les gels
dentaires destinés à entrer dans une telle méthode.
Voici le libellé des revendications 1 à 5 (Dossier
d'appel, vol. 1, page 89):
1. Une méthode de nettoyage des dents humaines visant à
enlever la plaque dentaire ou des taches, y compris les taches de
tabac, ladite méthode consistant à appliquer sur les dents un
composé aqueux renfermant un cation de lanthane non lié sous
la forme d'un sel soluble dans l'eau, dissous en concentration
telle qu'une dose individuelle varie de 0,01 m mole à 1 m mole,
ledit composé étant à peu près libre de tout ingrédient suscepti
ble de précipiter le cation de lanthane sous forme de sel
insoluble dans l'eau; ledit composé étant conçu en prévision
d'une application directe sur les dents, et sous une forme
permettant une utilisation non suivie.
2. Une méthode dont fait état la revendication numéro 1 dans
laquelle est présent le cation de lanthane sous forme de
chlorure.
3. Un composé d'hygiène buccale ayant la propriété de nettoyer
les dents humaines en enlevant la plaque dentaire ou des taches,
y compris les taches de tabac, le composé en question étant
aqueux et renfermant un cation de lanthane non lié sous la
forme d'un sel soluble dans l'eau, dissous en concentration telle
qu'une dose individuelle varie de 0,01 m mole à 1 m mole, ledit
composé étant à peu près libre de tout ingrédient susceptible de
précipiter le cation de lanthane sous forme de sel insoluble dans
l'eau; ledit composé étant conçu en prévision d'une application
directe sur les dents, et sous une forme permettant une utilisa
tion non suivie.
4. Un composé dont fait état la revendication 3 dans lequel est
présent le cation de lanthane sous forme de chlorure.
5. Un composé dont fait état la revendication 4, ce composé
étant une eau dentifrice, une pâte dentifrice ou un gel dentaire.
On constate donc que les revendications en l'espèce
(les revendications 1 et 2) ont trait à une méthode
de nettoyage des dents humaines visant à enlever
la plaque dentaire ou des taches, y compris les
taches de tabac, par application sur les dents d'un
composé aqueux d'une sorte qui est générique au
composé d'hygiène buccale revendiqué comme
composé nouveau en vertu de la revendication 3. Il
est aussi clair que les revendications 3 à 5 revendi-
quent directement la protection conférée par
brevet pour les composés d'hygiène buccale.
Comme il est souligné plus haut, le commissaire
n'a rendu aucune décision relativement aux reven-
dications 3 à 5. La Commission d'appel des brevets
a déposé un rapport écrit dans lequel elle recom-
mandait la ratification du rejet par l'examinateur
des revendications 1 et 2 relatives à des méthodes.
Dans sa décision en date du 10 août 1982, le
commissaire intimé a accepté cette recommanda-
tion, il a fait siens le raisonnement et les conclu
sions de la Commission d'appel des brevets et il a
refusé de délivrer un brevet comprenant les reven-
dications 1 et 2. Le présent appel conteste cette
décision.
La Commission d'appel des brevets a dit que la
question dont elle était saisie consistait:
... à décider si le brossage des dents avec un composé renfer-
mant un cation de lanthane peut être qualifié de procédé
brevetable. [Dossier d'appel, vol. II, page 2051
Après avoir étudié le dossier afférent à la
demande, les arguments de l'agent de l'appelante
et les conclusions de l'examinateur, la Commission
a conclu ce qui suit (Dossier d'appel, vol. II, page
205):
D'après la demande, il ressort que l'objet du procédé revendi-
qué par le demandeur est de nettoyer les dents en enlevant la
plaque et les taches au moyen du cation de lanthane. L'enlève-
ment de la plaque permet l'élimination d'un milieu propice à la
multiplication éventuelle des bactéries. Étant donné que le
procédé revendiqué par le demandeur porte sur le nettoyage ou
le traitement d'une partie du corps humain, les dents en l'occu-
rence, nous estimons que ce procédé tient lieu de traitement du
corps humain. Nous croyons que la demande présentée porte
sur une matière semblable à celle traitée dans l'affaire Ten-
nesse Eastman ci-dessus.
La Commission cite ensuite certains extraits de
cette décision, et elle poursuit en disant ce qui suit
(Dossier d'appel, vol. II, page 207):
Nous nous appuyons sur la décision rendue dans l'affaire
Tennessee Eastman pour affirmer que la méthode revendiquée
par le demandeur ne touche pas plus qu'elle ne produit [TRA-
DUCTION] « ... un résultat qui soit à caractère essentiellement
économique» au sens du droit des brevets. Nous en venons donc
à la conclusion que les revendications sur la méthode sont axées
sur le traitement d'une partie du corps humain, et qu'elles
correspondent à une méthode de traitement médical dont la
mise en application peut être faite par des personnes qui
n'oeuvrent pas dans le domaine de la médecine. Qui plus est,
ladite méthode n'est pas une technique de fabrication. Les soins
que chaque personne accorde à ses dents lorsqu'elle se retrouve
dans la salle de bains ne peuvent être qualifiées de procédé à
caractère économique au sens de la Loi sur les brevets dont le
rôle est d'assurer une protection dans ce domaine.
Dans sa plaidoirie, l'avocat de l'appelante a allé-
gué que le commissaire a commis deux erreurs de
droit. Selon lui, la première erreur qu'ait commise
le commissaire a été de qualifier l'objet des reven-
dications 1 et 2 de méthode de traitement médical,
l'appelante estimant que les revendications en
cause n'exposent pas une telle méthode. La
seconde erreur de droit qu'aurait commise le com-
missaire, selon l'avocat de l'appelante, est que
même si l'objet des revendications 1 et 2 avait été
correctement qualifié par le commissaire, ce der-
nier a commis une erreur en concluant que les
méthodes de traitement médical sont, en elles-
mêmes, non brevetables, puisque, selon l'appe-
lante, seules les méthodes de traitement médical
faisant appel à des composés régis par le paragra-
phe 41(1) de la Loi sur les brevets sont en elles-
mêmes non brevetables.
QUALIFICATION DE L'INVENTION
L'avocat de l'appelante a considéré que la ques
tion de la qualification de l'invention devait être
décidée en premier lieu et il a affirmé que le
commissaire a commis une erreur en n'appliquant
pas le critère que la Cour suprême du Canada a
établi dans l'arrêt Burton Parsons Chemicals, Inc.
c. Hewlett-Packard (Canada) Ltd., [1976] 1
R.C.S. 555, la page 569; (1974), 17 C.P.R. (2d)
97, aux pages 109 et 110. Dans cette affaire, la
validité du brevet en cause était contestée notam-
ment au motif que les revendications de produit
n'étaient pas valides en raison du paragraphe (1)
de l'article 41 de la Loi sur les brevets' parce
qu'elles viseraient «des substances préparées ou
produites par des procédés chimiques et destinées
... à la médication». Le juge Pigeon, s'exprimant
au nom de la Cour, a déclaré [à la page 570
R.C.S.; à la page 109 C.P.R.] souscrire à la con
clusion du juge de première instance selon laquelle
la crème conductrice litigieuse n'était pas «destinée
à la médication» au sens de l'article 41. Il s'est
montré d'avis que l'arrêt Tennesse Eastman, pré-
cité, a établi que les substances destinées à un
emploi chirurgical étaient visées par l'expression
«destinées à la médication». Il a ajouté [à la page
570 R.C.S.; aux pages 109 et 110 C.P.R.]:
Je n'ai aucun doute qu'une crème conductrice est susceptible
d'être utilisée chaque fois que des électrodes sont placées sur la
peau durant une intervention chirurgicale. Cependant, rien
dans la preuve ne vient appuyer la conclusion que c'est l'utilisa-
tion principale de ce produit. [C'est moi qui souligne.]
En se fondant sur les mots soulignés plus haut,
l'avocat de l'appelante allègue que les revendica-
tions de méthode contestées en l'espèce ne sont
qu'une méthode de nettoyage des dents à l'aide de
certains composés brevetables. Il dit que cette
méthode peut être appliquée par n'importe qui,
Voici le libellé du paragraphe 41(1):
41. (1) Lorsqu'il s'agit d'inventions couvrant des substances
préparées ou produites par des procédés chimiques et destinées
à l'alimentation ou à la médication, le mémoire descriptif ne
doit pas comprendre les revendications pour la substance
même, excepté lorsque la substance est préparée ou produite
par les modes ou procédés de fabrication décrits en détail et
revendiqués, ou par leurs équivalents chimiques manifestes.
que son usage n'est certainement pas restreint aux
médecins et que sa fonction principale n'en fait pas
plus une méthode médicale que le simple fait de se
brosser les dents constitue une méthode médicale.
En toute déférence, je ne puis souscrire à cette
allégation. En ce qui concerne l'affaire Burton
Parsons, je dirai tout d'abord qu'il s'agit d'une
action intentée en vertu du paragraphe 41(1) et
mettant en cause des substances préparées ou pro-
duites au moyen de procédés chimiques et «desti-
nées à ... la médication». Il n'a pas été contesté,
au cours des débats en appel, que la présente
espèce n'est pas régie par le paragraphe 41(1)
puisque les composés en cause ne sont pas produits
par un procédé chimique. Ce qui a été dit dans
l'arrêt Burton Parsons s'applique uniquement à
des substances qui:
a) sont produites par un procédé chimique;
b) sont destinées à la médication.
En l'espèce, la substance en cause n'est pas pro-
duite par un procédé chimique, mais parce que son
mode d'application vise à nettoyer ou à traiter une
partie du corps humain, il est qualifié de traite-
ment du corps humain et de ce fait, considéré
l'équivalent d'un traitement médical.
Étant donné ces différences dans les faits, je
doute que le critère établi par l'arrêt Burton Par
sons sur lequel s'est appuyée l'appelante s'applique
nécessairement en l'espèce. Toutefois, présumant
son applicabilité je crois que, selon le dossier, il a
été satisfait aux exigences du critère en question.
Le Black's Law Dictionary [Cinquième édition]
donne de l'adjectif «main» (principal) la définition
suivante: «Principal; leading; primary; chief» (pri-
mordial; important; premier; majeur). Le même
ouvrage donne de l'adjectif «primary» (premier)
cette définition: «First; principal; chief; leading»
(primordial; principal; majeur; important).
L'exposé de l'invention souligne deux de ses
principaux avantages:
(i) sa valeur cosmétique; et
(ii) la diminution de l'incidence des caries ou
des maladies des gencives, ou des deux.
Le dossier indique que dans les pays industrialisés,
seul un très petit pourcentage de la population
échappe à la carie dentaire et aux maladies des
gencives (environ 0,1 % des gens aux États-Unis).
Etant donné cela, je crois que des éléments de
preuve suffisants permettaient au commissaire de
conclure qu'une des fonctions principales de l'in-
vention était d'ordre médical. Je crois aussi qu'un
produit peut avoir plus d'un objet principal. La
preuve en l'espèce laisse entendre que le produit
litigieux avait deux fins premières, l'une médicale
et l'autre cosmétique. Conséquemment, je ne vois
pas que le commissaire ait commis une erreur de
droit en disant que l'invention avait une fonction
médicale simplement parce qu'elle peut également
avoir une autre fonction principale, d'ordre
cosmétique.
LA BREVETABILITÉ DES MÉTHODES DE
TRAITEMENT
MÉDICAL ET L'APPLICATION DE L'ARRÊT
TENNESSEE EASTMAN
Lorsqu'il a décidé que les méthodes de traite-
ment médical sont en elles-mêmes non brevetables,
le commissaire intimé s'est considéré lié par les
décisions de la Cour de l'Échiquier et de la Cour
suprême du Canada dans l'affaire Tennessee East-
man Co. et al v. Commissioner of Patents (1970),
62 C.P.R. 117 (C. de l'É.); confirmé par [1974]
R.C.S. 111; (1972), 8 C.P.R. (2d) 202. L'appe-
lante avance toutefois que l'arrêt Tennessee East-
man ne dit pas que les méthodes de traitement
médical sont, en elles-mêmes, non brevetables.
Selon elle, les méthodes de traitement médical
sont, en elles-mêmes, brevetables en qualité de
«réalisation» ou de «procédé» étant donné que ces
mots, au sens que leur donne l'article 2 de la Loi
sur les brevets, ne comportent aucune restriction
inhérente qui écarterait les réalisations médicales
ou les procédés médicaux'. L'appelante avance en
outre que seules les méthodes de traitement médi-
cal faisant appel à l'usage de composés régis par le
paragraphe 41(1) de la Loi sur les brevets sont, en
elles-mêmes, non brevetables selon ladite décision.
En d'autres termes, l'appelante soutient que l'arrêt
Tennessee Eastman fait obstacle uniquement à la
brevetabilité des méthodes médicales qui font
appel aux matières prohibées en vertu du paragra-
2 Le mot «invention» est ainsi défini à l'article 2 de la Loi sur
les brevets:
2....
«invention» signifie toute réalisation, tout procédé, toute
machine, fabrication ou composition de matières, ainsi
qu'un perfectionnement quelconque de l'un des susdits,
présentant le caractère de la nouveauté et de l'utilité.
phe 41(1) de la Loi, à savoir les matières produites
au moyen de procédés chimiques. En conséquence,
selon l'appelante, lorsque, comme c'est le cas en
l'espèce, les matières en cause sont produites par
un procédé physique plutôt que par un procédé
chimique, le principe énoncé dans l'arrêt Tennes-
see Eastman ne s'applique pas. Bref, l'appelante
fait valoir que comme d'une part, l'arrêt Tennessee
Eastman est une décision fondée sur le paragraphe
41(1) de la Loi et comme d'autre part, ce paragra-
phe n'entre pas en jeu en l'espèce, le commissaire
n'était pas lié par l'arrêt susmentionné et ce der-
nier a commis une erreur en concluant le contraire.
Dans l'affaire Tennessee Eastman, l'appelante
cherchait, dans des revendications de brevet, à
faire breveter une invention consistant en une
méthode chirurgicale de conglutination des bords
d'incisions ou de blessures de tissus organiques
vivants. La Cour de l'Échiquier a confirmé la
décision du commissaire des brevets, qui s'était
prononcé contre la brevetabilité de telles revendi-
cations. La partie importante de la décision du
commissaire suppléant est ainsi libellée:
[TRADUCTION] Dans cette demande il s'agit d'un procédé de
traitement médical ou chirurgical de tissus vivants.
Les arguments de la demanderesse sur les mots «réalisation»
et «procédé» ont également été considérés. Mais tous les procé-
dés ou méthodes ne sont pas des «réalisations» au sens de l'art.
2, al. d), de la Loi sur les brevets. Ce mot ne peut être pris dans
son sens le plus large car il est des réalisations qui sont exclues
par des textes législatifs comme l'article 28(3), d'autres, telles
que les systèmes commerciaux, les méthodes d'enseignement,
etc., qui sont exclues par des décisions judiciaires bien connues
et admises; d'autres, enfin, qui sont exclues par diverses lois,
comme la Loi sur les dessins et la Loi sur le droit d'auteur.
Le juge Kerr, en confirmant cette décision, a dit
aux pages 154 et 155:
[TRADUCTION] À mon avis, la présente méthode n'entre pas
dans le domaine des réalisations manuelles ou de production et,
lorsqu'on l'applique au corps humain, elle ne produit pas un
résultat qui se rattache aux affaires, au commerce ou à l'indus-
trie, ni un résultat qui est essentiellement économique. L'adhé-
sif lui-même peut faire l'objet d'un commerce, et le brevet pour
le procédé, s'il est concédé, peut aussi être vendu et la licence de
son emploi peut être vendue contre une rémunération en argent,
mais il ne s'ensuit pas que la méthode et ses résultats se
rattachent au commerce ou sont essentiellement économiques
au sens dans lequel on a employé ces expressions dans des
jugements en matière de brevets. La méthode fait essentielle-
ment partie du domaine professionnel du traitement chirurgical
et médical du corps humain, même si à l'occasion elle peut être
appliquée par des gens qui n'oeuvrent pas dans ce domaine. En
conséquence, je conclus que, dans l'état actuel de la Loi sur les
brevets du Canada et de l'étendue de ce qui est sujet à un
brevet, comme l'indique la jurisprudence que j'ai citée, et qui
fait autorité, la méthode ne constitue pas une réalisation ou un
procédé ou le perfectionnement d'une réalisation ou d'un pro-
cédé au sens de l'art. 2d) de la Loi sur les brevets.
Devant la Cour de l'Échiquier, l'appel a été plaidé
suivant un exposé conjoint des faits et des ques
tions. Le juge Kerr a reproduit cet exposé dans ses
motifs de jugement aux pages 126 et 127 du
recueil; en voici le libellé:
[TRADUCTION] «Aux fins du présent procès seulement, il est
convenu que:
«1. Les revendications décrivent généralement une méthode
chirurgicale de réunion ou conglutination des bords d'incisions
ou blessures de tissus organiques vivants par l'application à
l'état liquide des composés décrits dans les revendications,
directement sur l'un au moins des bords du tissu que l'on veut
réunir.
«2. Le fait de découvrir que ces composés ont la propriété
imprévue de réunir les tissus organiques est une découverte
nouvelle, utile et non évidente, mais les composés décrits dans
les revendications sont anciens et bien connus.
«3. Le motif pour lequel le commissaire a refusé d'accorder un
brevet à la demanderesse est que la méthode de réunion chirur-
gicale de tissus visée par les revendications de ladite demande,
ne peut pas faire l'objet d'un brevet en vertu du par. d) de l'art.
2 de la Loi sur les brevets, parce qu'elle n'est ni une réalisation
ni un procédé au sens dudit paragraphe.
«4. La question soumise à cette Cour est de savoir si la
méthode de réunion chirurgicale de tissus organiques par appli
cation de l'un des composés décrits dans les revendications sur
l'un des bords du tissu que l'on veut réunir est une réalisation
ou un procédé ou le perfectionnement d'une réalisation ou d'un
procédé au sens du par. d) de l'art. 2 de la Loi sur les brevets.
«5. Les parties conviennent qu'à l'audition du présent appel,
chacun des documents versés au dossier de la demande, ainsi
que les faits y mentionnés, seront reçus en preuve sans qu'on ait
à prouver leur contenu, et que les faits exposés dans l'affidavit
de M. David W. Fassett et dans la demande de brevet numéro
884 804 sont reconnus véridiques.
«6. Les parties conviennent que la question énoncée à l'alinéa 4
est la seule qui ait été étudiée par le commissaire, et si l'appel
est accueilli et la décision du commissaire de refuser un brevet
est rejetée, l'appelante Ethicon, Inc. sera libre de reprendre le
cours de sa demande.»
Il semble clair selon l'alinéa 4 précité que la seule
question soumise à la Cour de l'Échiquier consis-
tait à savoir si la méthode de réunion chirurgicale
de tissus organiques par application de l'un des
composés décrits dans les revendications sur l'un
des bords du tissu que l'on veut réunir est une
réalisation ou un procédé ou le perfectionnement
d'une réalisation ou d'un procédé au sens de l'ali-
néa d) de l'article 2 de la Loi sur les brevets
[S.R.C. 1970, chap. 203]. L'exposé conjoint des
faits et des questions ne fait pas mention de l'appli-
cation du paragraphe 41(1) de la Loi sur les
brevets. Je ne peux non plus trouver aucune allu
sion à l'application possible de ce paragraphe dans
les motifs du jugement du juge Kerr. Cela n'a rien
d'étonnant, vu l'unique question dont il était saisi,
telle qu'elle est exposée au paragraphe 4 précité.
Venons-en maintenant à l'arrêt de la Cour
suprême du Canada; c'est le juge Pigeon qui a
rendu cette décision au nom de la Cour. Il com
mence ses motifs en énonçant l'exposé conjoint des
faits et des questions. Aux pages 114 et 115
R.C.S.; à la page 204 du C.P.R., il reproduit, en
l'approuvant, la partie des motifs du juge Kerr
citée plus haut. Il est vrai qu'il parle de l'incidence
de l'article 41, probablement parce que cette
affaire était fondée sur le paragraphe 41(1). Tou-
tefois, après avoir traité de ce sujet, il dit à la page
119 R.C.S.; à la page 207 du C.P.R.:
Étant arrivé à la conclusion que les méthodes de traitement
médical ne sont pas visées comme «procédés» par définition
d'«invention», le même raisonnement doit, pour les mêmes
motifs, s'appliquer aux méthodes de traitement chirurgical.
À mon sens, il s'agit d'une affirmation claire et
sans équivoque selon laquelle «les méthodes de
traitement médical ne sont pas visées comme "pro-
cédés" par définition d"`invention"». C'était là la
seule question soumise à la Cour, et il y est
répondu de façon claire et sans équivoque. En
conséquence, j'estime que la portée de cette affir
mation ne peut se limiter uniquement aux situa
tions de faits visées par le paragraphe 41(1) de la
Loi. Il s'ensuit donc que le commissaire n'a pas
commis d'erreur en se considérant lié par le prin-
cipe énoncé dans l'arrêt Tennessee Eastman.
Au cours de l'audition de l'appel, l'avocat de
l'intimé a fait valoir un autre motif de contestation
de la brevetabilité des revendications 1 et 2, savoir
que celles-ci sont évidentes ou qu'elles représentent
l'application de connaissances ordinaires. Comme
j'ai conclu que le commissaire n'a pas commis
d'erreur dans le choix des motifs pour lesquels il a
rejeté ces revendications, il ne m'est pas nécessaire
de tirer de conclusion sur la question de l'évidence.
Pour tous les motifs susmentionnés, je rejetterais
l'appel avec dépens.
LE JUGE RYAN: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE STONE: J'y souscris également.
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