T-1124-85
Andres Wines Ltd. (appelante)
c.
Canadian Marketing International Limited (inti-
mée)
RÉPERTORIÉ: ANDRES WINES LTD. C. CANADIAN MARKETING
INTERNATIONAL LTD.
Division de première instance, juge Joyal—
Ottawa, 3 novembre et 18 décembre 1986.
Marques de commerce — Enregistrement — Allégation de
confusion — L'examen de la question de la confusion ne doit
pas se limiter aux deux marques concurrentes seulement
Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10,
art. 6.
Le fonctionnaire chargé de l'audience a rejeté la déclaration
d'opposition déposée par l'appelante à l'encontre de l'enregis-
trement par l'intimée de la marque de commerce «Newfie
Duck» employée en liaison avec du vin mousseux. L'appelante a
allégué qu'il y avait confusion entre la marque de commerce
projetée et ses propres marques de commerce déposées «Baby
Duck» et deux «Duck Design». Appel est interjeté de la décision
du fonctionnaire chargé de l'audience.
Jugement: l'appel doit être rejeté.
La prééminence des marques «Baby Duck» au Canada ne
règle pas la question de la confusion. Étant donné que le mot
«Duck» est très souvent employé avec des vins, il s'agit de
déterminer si l'examen de la question de la confusion doit se
limiter strictement aux deux marques concurrentes ou s'il doit
englober d'autres marques également. Le caractère distinctif
d'une marque déposée est considérablement amoindri si, histo-
riquement, elle a toujours coexisté, comme c'est le cas en
l'espèce, avec d'autres marques similaires employées en liaison
avec des marchandises semblables. En outre, on ne peut consi-
dérer que la marque «Baby Duck» est une marque forte étant
donné qu'elle est dérivée de l'expression générique «Cold Duck»
qui est descriptive de certains types de vins.
Comme le permet la jurisprudence, il faudrait en l'espèce
accorder plus d'importance aux considérations énoncées aux
alinéas 6(5)a) et e) de la Loi. Le mot «duck» ne revêt toutefois
pas un caractère distinctif inhérent très marqué lorsqu'il est
employé soit avec un caneton soit avec Terre-Neuve. Il n'existe
pas non plus une grande ressemblance quant à l'apparence ni
quant au son. Il n'est pas possible non plus d'associer immédia-
tement au style de vie terre-neuvien les idées suggérées par des
oiseaux se pavanant. Il semblerait finalement que les marques
de l'appelante soient arrivées à un stade où elles n'ont plus
besoin d'une protection contre les nouvelles marques.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
General Motors Corp. v. Bellows, [1949] R.C.S. 678;
S.C. Johnson & Son Inc. c. Esprit de Corp, jugement en
date du 15 décembre 1986, Division de première instance
de la Cour fédérale, T-2896-84, T-2897-84, encore inédit;
Prairie Maid Cereals Ltd. v. Christie, Brown & Co. Ltd.
(1966), 48 C.P.R. 289 (C.A.C.-B.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Rowntree Company Limited v. Paulin Chambers Com
pany Limited et al., [1968] R.C.S. 134; Benson &
Hedges (Canada) Limited v. St. Regis Tobacco Corpora
tion, [1969] R.C.S. 192; Campbell Manufacturing Co.
Limited v. Thornhill Industries Limited et al. (1953), 13
Fox Pat. C. 198 (C. de l'E.); Henkel Kommanditgesell-
schaft Auf Aktien v. Super Dragon Import Export Inc.
(1984), 2 C.P.R. (3d) 361 (C.F. 1" inst.); Polysar Ltd. v.
Gesco Distributing Ltd. (1985), 6 C.P.R. (3d) 289 (C.F.
1t° inst.); Murjani International Limited c. Universal
Impex Co. Ltd., jugement en date du 28 novembre 1986,
Division de première instance de la Cour fédérale,
T-1395-85, encore inédit; Leaf Confections Ltd. c. Maple
Leaf Gardens Ltd., jugement en date du 28 novembre
1986, Division de première instance de la Cour fédérale,
T-193-85, encore inédit.
DÉCISION CITÉE:
Sunway Fruit Products, Inc. v. Productos Caseros, S.A.
(1964), 27 Fox Pat. C. 173 (C. de l'E.).
AVOCATS:
William R. Meredith, c.r., pour l'appelante.
Glen A. Bloom pour l'intimée.
PROCUREURS:
Meredith & Finlayson, Ottawa, pour l'appe-
lante.
Osler, Hoskin & Harcourt, Ottawa, pour
l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE JOYAL: Le 7 avril 1981, l'intimée
Canadian Marketing International Limited a
déposé une demande visant à obtenir l'enregistre-
ment de la marque de commerce «Newfie Duck»
qu'elle projetait d'employer en liaison avec du vin
mousseux.
La demande a été ultérieurement approuvée par
le registraire des marques de commerce sous le
n° 467666 et elle a été annoncée dans le Trade
Marks Journal. L'appelante Andres Wines Ltd. a
déposé une déclaration d'opposition le 10 mai 1982
en alléguant qu'il y avait confusion entre la
marque de commerce projetée et ses marques de
commerce déposées «Baby Duck», «Duck Design»
et «Duck Design» enregistrées respectivement sous
les nO5 179861, 189016 et 190306 et employées en
liaison avec des boissons alcooliques fermentées.
L'opposition de l'appelante a ensuite été enten-
due par M. Troicuk qui était le fonctionnaire
chargé de l'audience; dans sa décision datée du 29
mars 1985, il a rejeté l'opposition au nom du
registraire des marques de commerce (voir 4
C.P.R. (3d) 541).
L'appelante interjette maintenant appel de cette
décision en alléguant que le fonctionnaire chargé
de l'audience s'est trompé dans sa décision. Elle
fonde ses prétentions sur les prémisses suivantes:
1. L'appelante est propriétaire de trois marques, la
marque verbale «Baby Duck» et les deux mar-
ques «Duck Design». Elle emploie ces trois mar-
ques en liaison les unes avec les autres depuis de
nombreuses années.
2. L'appelante emploie beaucoup ces trois mar-
ques. Le chiffre des ventes de bouteilles de vin
portant celles-ci sur leur étiquette est passé avec
les années de 800 000 $ à plus de 10 000 000 $.
Ces vins sont vendus partout au Canada et ont
fait l'objet d'une large publicité et d'une vaste
promotion dans la presse et les médias électro-
niques. Il en résulte que la marque verbale
«Baby Duck» ainsi que ses dessins de canard ont
acquis la notoriété publique et ont identifié
l'appelante avec ses produits.
Se fondant sur ce qui précède, celle-ci allègue:
1. Que le fonctionnaire chargé de l'audience a
omis d'appliquer les critères qui permettent de
déterminer s'il y a «confusion» et qui sont énon-
cés à l'article 6 de la Loi [Loi sur les marques
de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10] et, en
particulier, qu'il n'a pas examiné si l'emploi des
deux marques de commerce concernées dans la
même région serait susceptible de faire croire
que les marchandises liées à chacune de ces
marques ont une origine commune.
2. Que le fonctionnaire chargé de l'audience n'a
pas tenu compte de toutes les circonstances de
l'espèce, qui sont précisées au paragraphe 6(5)
de la Loi.
3. Que le fonctionnaire chargé de l'audience n'a
pas tenu compte du caractère distinctif bien
établi dont jouit maintenant la marque de l'ap-
pelante par suite de la large publicité dont elle a
fait l'objet et de ses nombreuses ventes au cours
des années.
4. Finalement, que le fonctionnaire chargé de l'au-
dience a mal appliqué la règle du fardeau de la
preuve qui impose à la personne qui veut faire
enregistrer une marque de commerce projetée
l'obligation d'établir que celle-ci ne créera vrai-
semblablement pas de confusion avec une
marque de commerce déposée.
J'ai déjà exposé brièvement l'inscription au
registre de la marque originale «Baby Duck» de
l'appelante et de ses deux dessins de canard avec
lesquels la marque verbale est employée. Ces des-
sins représentent un caneton dansant et un caneton
marchant. La représentation de ces canards sur les
étiquettes de l'appelante crée une impression de
jeunesse, de joie et de simplicité. Je souligne égale-
ment qu'en faisant la publicité de son produit
portant ces marques, l'appelante a eu recours à des
légendes évoquant le même genre d'image:
— «It's nice to have a little Baby Duck around the
house.»
— «Raise a little Baby Duck and hatch a beautiful
friendship.»
— «Andres Baby Duck. Waddle they think of
next.»
— «It's everything it's quacked up to be.»
Il en résulte que l'image et les légendes écrites se
complètent de manière à créer un tout et à donner
une identité particulière au produit. C'est une
autre raison pour laquelle, comme l'affirme l'appe-
lante, le Baby Duck d'Andres est le vin le plus
vendu au Canada.
Même une fois établie, la prééminence des mar-
ques Baby Duck ne règle cependant pas le litige
aux fins de la Loi sur les marques de commerce et
du présent appel. Il me faut quand même examiner
si la marque «Newfie Duck» que projette d'em-
ployer l'intimée crée de la confusion avec les mar-
ques de commerce de l'appelante.
L'avocat de l'intimée allègue que la marque
verbale que cette dernière projette d'employer
satisfait au critère de la confusion. Il soutient que
le mot «Duck» est très souvent employé en liaison
avec des vins. L'appelante est elle-même proprié-
taire notamment des marques «Big Duck», «Spag-
hetti Duck», «Little White Duck», «Petit Poussin»,
«Bébé Canard», «Cold Duckling». Il s'agit de mar-
ques liées et leurs nombreux enregistrements, à
l'exception de ceux des marques «Big Duck» et
«Spaghetti Duck», indiquent la tendance particu-
lière suivie par l'appelante qui a commercialisé ses
divers vins en les identifiant avec le fameux canar-
deau ou caneton se détachant, pour ainsi dire, de
la volée.
D'autres négociants en vins ont également
employé le mot «Duck» en liaison avec des spiri-
tueux fermentés. Ainsi, la marque «Brights Duck»
a été enregistrée le 30 janvier 1980 sous le
n° 240280, son propriétaire ayant renoncé au mot
«Duck». Les marques «Daddy Duck» et «Fuddle
Duck» ont également été enregistrées mais elles
ont toutes les deux été radiées depuis. Il y a aussi
les marques «Frosty Duck», enregistrée le 6 juin
1980 sous le n° 246217, et «Sparkling Canada
Duck» ainsi que plusieurs marques appelées «Cold
Duck».
L'intimée me prie de conclure que, compte tenu
de l'état du registre, le mot «Duck» employé en
liaison avec des spiritueux fermentés est devenu un
terme générique. En fait, l'appelante a cherché
l'étymologie de l'expression «Cold Duck» et elle a
donné les renseignements suivants qui figurent sur
les cartes pliées utilisées dans les restaurants:
[TRADUCTION] Il a existé pendant de nombreuses années une
tradition allemande suivant laquelle toute soirée animée devait
se terminer de manière enjouée par le coup de l'étrier. Il
s'agissait de mélanger dans un grand bol le reste des vins et des
mousseux. Chacun portait alors un toast à la fin de la soirée
[cold end] en buvant une coupe de ce mélange—cette boisson
s'est ensuite appelée «COLD END» de l'allemand aKALTE ENDE».
Lorsque cette coutume a été introduite en Amérique du Nord,
l'expression du vieil allemand «KALTE ENDE» est devenue, par
suite d'une simple erreur de traduction, «KALTE ENTE» ou le
«COLD DUCK» d'aujourd'hui. Il s'agit d'un mélange délicieux de
champagne et de bourgogne mousseux.
Il importe peu de savoir si cette histoire étymo-
logique est exacte ou non. Il semblerait, suivant la
preuve, qu'elle soit généralement acceptée dans
l'industrie vinicole. Elle expliquerait les nombreux
enregistrements de diverses marques de commerce
où figurent l'expression «Cold Duck» ou des varia
tions de celle-ci comme «Baby Duck», «Frosty
Duck», «Canada Duck» et autres marques sembla-
bles. Elle expliquerait également pourquoi il
semble qu'aucun des négociants en vins ne se soit
opposé à l'emploi du mot «Duck» par l'un ou
l'autre d'entre eux.
Mais il y a toujours un début à tout. L'appelante
possède manifestement une part importante du
marché des vins de type «duck» portant sa marque
de commerce «Baby Duck» et dont les dessins sont
employés en liaison avec celle-ci, ce qui la placerait
apparemment dans une position qui lui permettrait
de revendiquer un emploi plus exclusif de ce mot.
Elle pourrait tout au moins prétendre que le mot
«Newfie» évoque la même impression de gaieté ou
de jeunesse que des canetons dansant et se pava-
nant, une prétention qui pourrait froisser certaines
personnes de la bonne province de Terre-Neuve.
L'appelante laisse entendre que la preuve de
l'inscription d'autres marques au registre pourrait
être pertinente si le litige consistait à déterminer si
ses marques de commerce ont une portée res-
treinte. Cette preuve pourrait peut-être servir dans
une action en contrefaçon des marques de com
merce de l'appelante. L'avocat affirme que tel
n'est pas le cas dans l'affaire dont j'ai été saisi, le
seul point litigieux consistant à déterminer si la
marque «Newfie Duck» crée ou non de la confusion
avec les marques de commerce déposées de l'appe-
lante, suivant le sens qui est donné au mot «confu-
sion» par l'article 6 de la Loi.
S'étendant sur ce point, l'avocat de l'appelante
met l'accent sur les circonstances énumérées au
paragraphe 6(5) et dont la Cour doit tenir compte
pour déterminer s'il y a confusion au sens du
paragraphe 6(2). Il cite le passage suivant tiré de
l'affaire Rowntree Company Limited v. Paulin
Chambers Company Limited et al., [1968] R.C.S.
134, la page 136:
[TRADUCTION] Il ressort de ces dispositions que pour déter-
miner si une marque de commerce crée de la confusion avec
une marque de commerce déposée, il faut examiner si son
emploi pourrait porter à croire que les marchandises liées à
cette marque et celles liées à la marque de commerce déposée
sont produites ou mises sur le marché par la même compagnie.
Le paragraphe 6(5) de la Loi enjoint à la cour ou au
registraire, qui se prononce sur ce point, de «tenir compte de
toutes les circonstances de l'espèce ... [C'est moi qui souligne.]
L'avocat invoque également l'arrêt Benson &
Hedges (Canada) Limited v. St. Regis Tobacco
Corporation, [ 1969] R.C.S. 192, en particulier les
remarques du juge Pigeon aux pages 202 et 203 où
il a appliqué le critère de la confusion aux marques
«Gold Band» et «Golden Circlet»:
[TRADUCTION] Il est sans aucun doute vrai que si une
personne examine les deux marques attentivement, elle les
distinguera facilement. Ce n'est toutefois pas sur ce principe
qu'il faut se fonder pour déterminer s'il existe un risque de
confusion.
Le tribunal doit tenir compte du fait qu'habituellement, les
marques ne seront pas vues l'une à côté de l'autre et il doit
essayer d'empêcher qu'une personne qui voit la nouvelle
marque puisse croire qu'il s'agit de la même marque qu'il a
vue auparavant ou même, qu'il s'agit d'une nouvelle marque
ou d'une marque liée appartenant au propriétaire de l'an-
cienne marque (Halsbury's Laws of England, 3 éd., vol. 38,
n° 989, p. 590).
Dans l'affaire The Matter of McDowell's Application
((1926), 43 R.P.C. 313), le lord juge Sargant a dit à la p. 338:
Même si on remarquait la très légère différence qui existe
entre les marques «Nujol» et «Nuvol», il me semble très
probable qu'étant donné la pratique courante des grands
producteurs qui consiste à enregistrer une série de marques
semblables pour indiquer les diverses catégories de leurs
produits, on en déduirait qu'elles ont une origine commune.
La pratique mentionnée dans cet extrait est sanctionnée par
les dispositions de l'article 15 de la Loi sur les marques de
commerce relatives aux «marques de commerce liées», et il faut
en tenir compte en examinant la question de la confusion.
En l'espèce, il est fort possible que l'expression «Golden
Circlet» constitue une sorte de diminutif de l'expression «Gold
Band», surtout si l'on tient compte du sens du mot «circlet». À
mon avis, cette considération s'ajoute à celles qui ont déjà été
mentionnées et étaye la conclusion du président suivant laquelle
il est probable qu'il y ait confusion.
L'avocat de l'appelante coche ensuite chacun
des éléments exposés au paragraphe 6(5) de la Loi,
et les répartit comme suit:
a) Les marque de commerce et dessins de l'appe-
lante établissent vraiment le caractère distinc-
tif de ses vins et ils sont employés depuis un
bon nombre d'années.
b) Les marque de commerce et dessins de l'appe-
lante sont bien connus partout au Canada.
c) Les marchandises désignées par la marque
concurrente,c'est-à-dire des vins ou spiritueux
fermentés, sont du même genre.
d) La nature du commerce est également identi-
que: les marchandises des deux parties
seraient vendues chez les marchands de vins
et de spiritueux et disponibles dans les débits
de boissons et les salles à manger.
e) Il existe une ressemblance et une similitude
évidente entre les marques «Baby Duck» et
«Newfie Duck».
L'avocat de l'appelante me prie donc de con-
clure que l'emploi des deux marques, côte à côte et
dans la même région, serait susceptible, pour
reprendre les termes du paragraphe 6(2), de faire
croire que les vins en liaison avec ces marques de
commerce sont produits par la même personne.
Il s'agit là d'un argument habile et efficace qui
me causerait moins de difficultés si la marque
«Baby Duck» était seule à coexister avec la marque
«Newfie Duck». J'appliquerais peut-être le raison-
nement suivi dans l'affaire Campbell Manufactu
ring Co. Limited v. Thornhill Industries Limited
et al. (1953), 13 Fox Pat. C. 198 (C. de l'É.), en ce
qui a trait aux marques «Snow Goose» et «Blue
Goose» et celui suivi dans l'affaire Henkel Kom-
manditgesellschaft Auf Aktien v. Super Dragon
Import Export Inc. (1984), 2 C.P.R. (3d) 361
(C.F. 1" inst.), en ce qui concerne les marques
«Olicolor» et «Policolor». Je dois toutefois tenir
compte de la réalité. Chez les marchands de vins,
le «Baby Duck» et son compagon de tablette le
«Newfie Duck» ne seraient pas les deux seuls
oiseaux à partager un sentiment de gaieté mais ils
devraient nécessairement rivaliser avec des oiseaux
plus calmes comme par exemple les «Canada
Duck», «Brights Duck», «Frosty Duck», «Kool
Duck» et «Malt Duck».
Il s'agit donc de se demander si, en appliquant
les dispositions du paragraphe 6(2) de la Loi, il
faudrait examiner la question de la confusion à
l'égard des deux marques concurrentes seulement
ou à l'égard d'autres marques également. A mon
avis, il va de soi que le caractère distinctif d'une
marque déposée est considérablement amoindri si,
historiquement, elle a toujours coexisté avec d'au-
tres marques similaires employées en liaison avec
des marchandises semblables.
Je dois tenir compte de l'opinion énoncée dans
l'affaire Sunway Fruit Products, Inc. v. Productos
Caseros, S.A. (1964), 27 Fox Pat. C. 173 (C. de
l'É.), suivant laquelle l'état du registre ne constitue
pas un motif pour conclure qu'il n'y a pas confu
sion. Il ressort toutefois des faits dont j'ai été saisi
que la marque «Baby Duck» ne peut être considé-
rée comme une marque forte au sens légal de cette
expression. C'est la seule conclusion qui s'impose,
vu son caractère dérivé de l'expression «Cold
Duck» que je dois considérer comme générique et
descriptive d'autres types de vins. Il faut ajouter à
cela la multiplication des autres marques déposées
de vins dans lesquelles le mot «duck» est joint à
quelque autre qualificatif, ce qui limite la protec
tion de chaque marque. Il est depuis longtemps
établi que:
[TRADUCTION] . .. lorsqu'une partie emprunte son mot servant
de marque au vocabulaire commercial courant et veut empê-
cher ses concurrents de faire de même, elle a droit à un degré
de protection plus limité que lorsqu'elle invente un mot inédit
ou non descriptif ... [le juge Rand dans l'arrêt General Motors
Corp. v. Bellows, [1949] R.C.S. 678, à la p. 691.]
Dans le même esprit, il a été statué récemment
que plus un mot particulier est employé comme
marque de commerce, moins il est protégé. Telle a
été la position du juge Cullen qui a accueilli un
appel formé contre une décision du registraire des
marques de commerce qui avait refusé d'enregis-
trer la marque «Esprit» pour des produits d'hygiène
personnelle, par exemple des shampoings, en
raison de l'enregistrement et de l'emploi antérieurs
de la marque «Esprit de Corp» concernant des
vêtements de haute couture pour femmes. Dans
cette affaire, S.C. Johnson & Son Inc. c. Esprit de
Corp, n°' du greffe T-2896-84 et T-2897-84, juge-
ment en date du 15 décembre 1986, non publié, le
juge Cullen a constaté qu'il existait quelque dix-
sept enregistrements comportant les mots «esprit»
ou «esprite», employés seuls ou avec des qualifica-
tifs. Le juge a invoqué plus particulièrement l'arrêt
de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique
Prairie Maid Cereals Ltd. v. Christie, Brown &
Co. Ltd. (1966), 48 C.P.R. 289, où le juge d'appel
Maclean a dit à la page 295:
[TRADUCTION] J'ai déjà mentionné qu'on n'a présenté aucun
élément de preuve montrant que qui que ce soit avait été
trompé par la présentation de l'emballage de l'appelante. Trai-
tant de cette question dans l'arrêt Dastous and Rose Canned
Food Products v. Mathews -Wells Co., Ltd., 12 C.P.R. 1 aux
pages 6 et 7, 10 Fox Pat. C. 1, [1950] R.C.S. 261, le juge en
chef Rinfret a dit:
Il faut immédiatement souligner qu'il n'existe aucun élé-
ment de preuve montrant que les acheteurs ont confondu les
produits des parties respectives ou qu'on les a trompés à cet
égard, ce qui constitue un point très important. Il est dit sur
ce point à la p. 294 de l'ouvrage intitulé Kerly on Trade
Marks:
«Lorsque des marques ont été mises en circulation, côte
à côte, sur le marché et qu'on allègue qu'il y a probable-
ment eu tromperie, il est très important de tenir compte du
fait que personne ne semble avoir été induit en erreur.»
Ce principe semble s'appliquer au large éventail
de marques de commerce de vins comportant le
mot «duck», qui sont déjà inscrites au registre.
Rien dans la preuve n'indique qu'elles ne coexis-
tent pas paisiblement.
Je suis d'accord avec l'avocat de l'appelante
pour dire que les vins portant l'étiquette «Baby
Duck» ont fait l'objet d'une commercialisation et
d'une publicité étendues et bien orchestrées. Cette
marque est également employée depuis plusieurs
années et les marchandises qui la portent sont
facilement reconnaissables dans toutes les commu-
nautés canadiennes. Le vin fabriqué sous l'éti-
quette «Baby Duck» est le vin le plus populaire au
pays. C'est pourquoi cette marque nécessite des
mesures de protection plus strictes dans la mesure
où elle est maintenant bien connue et qu'elle est
employée depuis déjà quelque temps. Elle mérite
également d'être protégée parce que la marque
projetée «Newfie Duck» vise le même genre de
marchandises et que la nature du commerce est
identique. S'il s'agissait des seuls éléments applica-
bles, je serais tenté d'appliquer le raisonnement
suivi par la Cour dans l'affaire Polysar Ltd. v.
Gesco Distributing Ltd. (1985), 6 C.P.R. (3d) 289
(C.F. lie inst.), par le juge Dubé dans l'affaire
Murjani International Limited c. Universal Impex
Co. Ltd., T-1395-85, jugement en date du 28
novembre 1986, encore inédit (C.F. 1" inst.), et
par le juge Rouleau dans l'affaire Leaf Confec
tions Ltd. c. Maple Leaf Garden Ltd., T-193-85,
jugement en date du 28 novembre 1986, non
publié (C.F. ire inst.). Dans cette dernière affaire,
le juge Rouleau a radié la marque «Leaf» et son
dessin qui devaient être employés en liaison avec
de la gomme à claquer à l'encontre de la marque
de commerce déposée «Toronto Maple Leafs» et
d'un dessin semblable, en se fondant essentielle-
ment sur la force de ladite marque déposée.
Ces affaires ont établi qu'il ne faut pas accorder
la même importance à chacune des considérations
énoncées au paragraphe 6(5). Le juge Rouleau
s'est exprimé ainsi:
Il est néanmoins évident que, lorsqu'on examine les divers
éléments du paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de
commerce, il ne faut pas considérer que chacun de ces éléments
a la même importance. Il peut y avoir lieu dans un cas
particulier d'accorder une plus grande importance à l'un des
critères plutôt qu'aux autres. Comme je l'ai déjà dit, j'estime
que la marque et le dessin de l'intimée constituent une marque
forte et bien connue partout au Canada.
En l'espèce, je dois accorder plus d'importance
aux considérations énoncées à l'alinéa 6(5)a) de la
Loi qui concerne le caractère distinctif inhérent
des marques et à l'alinéa 6(5)e) qui concerne la
ressemblance des marques dans la présentation ou
le son, ou dans les idées qu'elles suggèrent.
Lorsqu'il désigne du vin, le mot «duck» constitue
un terme générique et il est essentiellement des-
criptif. Il s'applique à n'importe quel nombre de
vins différents. Ce mot ne revêt pas un caractère
distinctif inhérent très marqué lorsqu'il est
employé soit avec un caneton soit avec Terre-
Neuve.
Je dois arriver à la même conclusion pour ce qui
est de la question de la ressemblance ou du son. A
mon avis, les mots «baby» et «Newfie» n'ont pas
une ressemblance phonétique ou structurale suffi-
sante pour créer de la confusion si on applique le
critère de la «première impression», celui de la
«première partie du mot» ou celui de la «prononcia-
tion rapide».
Il reste un dernier critère à examiner, soit celui
des idées suggérées par la marque «Baby Duck» et
son dessin et par la marque «Newfie Duck». L'ap-
pelante affirme catégoriquement que l'expression
«Baby Duck» employée en liaison avec ses dessins
de canetons évoque le même style idéalisé de vie
simple, débordante de gaieté et d'entrain que celui
des gens de Terre-Neuve.
Rien ne prouve évidemment qu'il s'agit de
caractéristiques particulières à Terre-Neuve. Je
pourrais ajouter que rien ne prouve non plus que
l'état de détresse et de tristesse représenté dans la
pièce «Jacob's Wake» est typique de sa population.
D'une manière ou d'une autre, si nous devons
entrer dans un tel débat, il y a risque d'attaquer la
susceptibilité de gens dont les qualités transcen
dent les premières impressions que pourraient
créer le présent litige ou cette pièce de théâtre.
Il est certain que, pour les fins de la Loi sur les
marques de commerce, je ne peux pas associer les
idées suggérées par des oiseaux se pavanant au
style de vie terre-neuvien.
Je reconnais le souci de l'appelante, comme son
avocat l'a expliqué avec beaucoup d'à-propos, de
conserver l'intégrité de ses marques de commerce
et du produit avec lequel elles sont employées.
Pourtant, l'appelante a non seulement déjà eu à
faire face à la concurrence de vins portant des
étiquettes semblables et à la surmonter, mais il
semble qu'elle s'en soit très bien tirée. On pourrait
présumer que le refus de lui accorder une protec
tion légale contre un nouveau produit lancé sur le
marché arrive à un moment où une telle protection
n'est désormais plus requise.
Bien que je ne sois pas entièrement d'accord
avec le raisonnement suivi par le fonctionnaire
chargé de l'audience dans sa décision, je souscris à
sa conclusion. L'appel est par conséquent rejeté
avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.