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T-1124-85
Andres Wines Ltd. (appelante) c.
Canadian Marketing International Limited (inti- mée)
RÉPERTORIÉ: ANDRES WINES LTD. C. CANADIAN MARKETING INTERNATIONAL LTD.
Division de première instance, juge Joyal— Ottawa, 3 novembre et 18 décembre 1986.
Marques de commerce Enregistrement Allégation de confusion L'examen de la question de la confusion ne doit pas se limiter aux deux marques concurrentes seulement Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10, art. 6.
Le fonctionnaire chargé de l'audience a rejeté la déclaration d'opposition déposée par l'appelante à l'encontre de l'enregis- trement par l'intimée de la marque de commerce «Newfie Duck» employée en liaison avec du vin mousseux. L'appelante a allégué qu'il y avait confusion entre la marque de commerce projetée et ses propres marques de commerce déposées «Baby Duck» et deux «Duck Design». Appel est interjeté de la décision du fonctionnaire chargé de l'audience.
Jugement: l'appel doit être rejeté.
La prééminence des marques «Baby Duck» au Canada ne règle pas la question de la confusion. Étant donné que le mot «Duck» est très souvent employé avec des vins, il s'agit de déterminer si l'examen de la question de la confusion doit se limiter strictement aux deux marques concurrentes ou s'il doit englober d'autres marques également. Le caractère distinctif d'une marque déposée est considérablement amoindri si, histo- riquement, elle a toujours coexisté, comme c'est le cas en l'espèce, avec d'autres marques similaires employées en liaison avec des marchandises semblables. En outre, on ne peut consi- dérer que la marque «Baby Duck» est une marque forte étant donné qu'elle est dérivée de l'expression générique «Cold Duck» qui est descriptive de certains types de vins.
Comme le permet la jurisprudence, il faudrait en l'espèce accorder plus d'importance aux considérations énoncées aux alinéas 6(5)a) et e) de la Loi. Le mot «duck» ne revêt toutefois pas un caractère distinctif inhérent très marqué lorsqu'il est employé soit avec un caneton soit avec Terre-Neuve. Il n'existe pas non plus une grande ressemblance quant à l'apparence ni quant au son. Il n'est pas possible non plus d'associer immédia- tement au style de vie terre-neuvien les idées suggérées par des oiseaux se pavanant. Il semblerait finalement que les marques de l'appelante soient arrivées à un stade elles n'ont plus besoin d'une protection contre les nouvelles marques.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
General Motors Corp. v. Bellows, [1949] R.C.S. 678; S.C. Johnson & Son Inc. c. Esprit de Corp, jugement en date du 15 décembre 1986, Division de première instance de la Cour fédérale, T-2896-84, T-2897-84, encore inédit;
Prairie Maid Cereals Ltd. v. Christie, Brown & Co. Ltd. (1966), 48 C.P.R. 289 (C.A.C.-B.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Rowntree Company Limited v. Paulin Chambers Com pany Limited et al., [1968] R.C.S. 134; Benson & Hedges (Canada) Limited v. St. Regis Tobacco Corpora tion, [1969] R.C.S. 192; Campbell Manufacturing Co. Limited v. Thornhill Industries Limited et al. (1953), 13 Fox Pat. C. 198 (C. de l'E.); Henkel Kommanditgesell- schaft Auf Aktien v. Super Dragon Import Export Inc. (1984), 2 C.P.R. (3d) 361 (C.F. 1" inst.); Polysar Ltd. v. Gesco Distributing Ltd. (1985), 6 C.P.R. (3d) 289 (C.F. 1t° inst.); Murjani International Limited c. Universal Impex Co. Ltd., jugement en date du 28 novembre 1986, Division de première instance de la Cour fédérale, T-1395-85, encore inédit; Leaf Confections Ltd. c. Maple Leaf Gardens Ltd., jugement en date du 28 novembre 1986, Division de première instance de la Cour fédérale, T-193-85, encore inédit.
DÉCISION CITÉE:
Sunway Fruit Products, Inc. v. Productos Caseros, S.A. (1964), 27 Fox Pat. C. 173 (C. de l'E.).
AVOCATS:
William R. Meredith, c.r., pour l'appelante. Glen A. Bloom pour l'intimée.
PROCUREURS:
Meredith & Finlayson, Ottawa, pour l'appe- lante.
Osler, Hoskin & Harcourt, Ottawa, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE JOYAL: Le 7 avril 1981, l'intimée Canadian Marketing International Limited a déposé une demande visant à obtenir l'enregistre- ment de la marque de commerce «Newfie Duck» qu'elle projetait d'employer en liaison avec du vin mousseux.
La demande a été ultérieurement approuvée par le registraire des marques de commerce sous le 467666 et elle a été annoncée dans le Trade Marks Journal. L'appelante Andres Wines Ltd. a déposé une déclaration d'opposition le 10 mai 1982 en alléguant qu'il y avait confusion entre la marque de commerce projetée et ses marques de commerce déposées «Baby Duck», «Duck Design»
et «Duck Design» enregistrées respectivement sous les nO5 179861, 189016 et 190306 et employées en liaison avec des boissons alcooliques fermentées.
L'opposition de l'appelante a ensuite été enten- due par M. Troicuk qui était le fonctionnaire chargé de l'audience; dans sa décision datée du 29 mars 1985, il a rejeté l'opposition au nom du registraire des marques de commerce (voir 4 C.P.R. (3d) 541).
L'appelante interjette maintenant appel de cette décision en alléguant que le fonctionnaire chargé de l'audience s'est trompé dans sa décision. Elle fonde ses prétentions sur les prémisses suivantes:
1. L'appelante est propriétaire de trois marques, la marque verbale «Baby Duck» et les deux mar- ques «Duck Design». Elle emploie ces trois mar- ques en liaison les unes avec les autres depuis de nombreuses années.
2. L'appelante emploie beaucoup ces trois mar- ques. Le chiffre des ventes de bouteilles de vin portant celles-ci sur leur étiquette est passé avec les années de 800 000 $ à plus de 10 000 000 $. Ces vins sont vendus partout au Canada et ont fait l'objet d'une large publicité et d'une vaste promotion dans la presse et les médias électro- niques. Il en résulte que la marque verbale «Baby Duck» ainsi que ses dessins de canard ont acquis la notoriété publique et ont identifié l'appelante avec ses produits.
Se fondant sur ce qui précède, celle-ci allègue:
1. Que le fonctionnaire chargé de l'audience a omis d'appliquer les critères qui permettent de déterminer s'il y a «confusion» et qui sont énon- cés à l'article 6 de la Loi [Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10] et, en particulier, qu'il n'a pas examiné si l'emploi des deux marques de commerce concernées dans la même région serait susceptible de faire croire que les marchandises liées à chacune de ces marques ont une origine commune.
2. Que le fonctionnaire chargé de l'audience n'a pas tenu compte de toutes les circonstances de l'espèce, qui sont précisées au paragraphe 6(5) de la Loi.
3. Que le fonctionnaire chargé de l'audience n'a pas tenu compte du caractère distinctif bien établi dont jouit maintenant la marque de l'ap-
pelante par suite de la large publicité dont elle a fait l'objet et de ses nombreuses ventes au cours des années.
4. Finalement, que le fonctionnaire chargé de l'au- dience a mal appliqué la règle du fardeau de la preuve qui impose à la personne qui veut faire enregistrer une marque de commerce projetée l'obligation d'établir que celle-ci ne créera vrai- semblablement pas de confusion avec une marque de commerce déposée.
J'ai déjà exposé brièvement l'inscription au registre de la marque originale «Baby Duck» de l'appelante et de ses deux dessins de canard avec lesquels la marque verbale est employée. Ces des- sins représentent un caneton dansant et un caneton marchant. La représentation de ces canards sur les étiquettes de l'appelante crée une impression de jeunesse, de joie et de simplicité. Je souligne égale- ment qu'en faisant la publicité de son produit portant ces marques, l'appelante a eu recours à des légendes évoquant le même genre d'image:
«It's nice to have a little Baby Duck around the house.»
«Raise a little Baby Duck and hatch a beautiful friendship.»
«Andres Baby Duck. Waddle they think of next.»
«It's everything it's quacked up to be.»
Il en résulte que l'image et les légendes écrites se complètent de manière à créer un tout et à donner une identité particulière au produit. C'est une autre raison pour laquelle, comme l'affirme l'appe- lante, le Baby Duck d'Andres est le vin le plus vendu au Canada.
Même une fois établie, la prééminence des mar- ques Baby Duck ne règle cependant pas le litige aux fins de la Loi sur les marques de commerce et du présent appel. Il me faut quand même examiner si la marque «Newfie Duck» que projette d'em- ployer l'intimée crée de la confusion avec les mar- ques de commerce de l'appelante.
L'avocat de l'intimée allègue que la marque verbale que cette dernière projette d'employer satisfait au critère de la confusion. Il soutient que le mot «Duck» est très souvent employé en liaison avec des vins. L'appelante est elle-même proprié- taire notamment des marques «Big Duck», «Spag-
hetti Duck», «Little White Duck», «Petit Poussin», «Bébé Canard», «Cold Duckling». Il s'agit de mar- ques liées et leurs nombreux enregistrements, à l'exception de ceux des marques «Big Duck» et «Spaghetti Duck», indiquent la tendance particu- lière suivie par l'appelante qui a commercialisé ses divers vins en les identifiant avec le fameux canar- deau ou caneton se détachant, pour ainsi dire, de la volée.
D'autres négociants en vins ont également employé le mot «Duck» en liaison avec des spiri- tueux fermentés. Ainsi, la marque «Brights Duck» a été enregistrée le 30 janvier 1980 sous le 240280, son propriétaire ayant renoncé au mot «Duck». Les marques «Daddy Duck» et «Fuddle Duck» ont également été enregistrées mais elles ont toutes les deux été radiées depuis. Il y a aussi les marques «Frosty Duck», enregistrée le 6 juin 1980 sous le 246217, et «Sparkling Canada Duck» ainsi que plusieurs marques appelées «Cold Duck».
L'intimée me prie de conclure que, compte tenu de l'état du registre, le mot «Duck» employé en liaison avec des spiritueux fermentés est devenu un terme générique. En fait, l'appelante a cherché l'étymologie de l'expression «Cold Duck» et elle a donné les renseignements suivants qui figurent sur les cartes pliées utilisées dans les restaurants:
[TRADUCTION] Il a existé pendant de nombreuses années une tradition allemande suivant laquelle toute soirée animée devait se terminer de manière enjouée par le coup de l'étrier. Il s'agissait de mélanger dans un grand bol le reste des vins et des mousseux. Chacun portait alors un toast à la fin de la soirée [cold end] en buvant une coupe de ce mélange—cette boisson s'est ensuite appelée «COLD END» de l'allemand aKALTE ENDE». Lorsque cette coutume a été introduite en Amérique du Nord, l'expression du vieil allemand «KALTE ENDE» est devenue, par suite d'une simple erreur de traduction, «KALTE ENTE» ou le «COLD DUCK» d'aujourd'hui. Il s'agit d'un mélange délicieux de champagne et de bourgogne mousseux.
Il importe peu de savoir si cette histoire étymo- logique est exacte ou non. Il semblerait, suivant la preuve, qu'elle soit généralement acceptée dans l'industrie vinicole. Elle expliquerait les nombreux enregistrements de diverses marques de commerce figurent l'expression «Cold Duck» ou des varia tions de celle-ci comme «Baby Duck», «Frosty Duck», «Canada Duck» et autres marques sembla- bles. Elle expliquerait également pourquoi il semble qu'aucun des négociants en vins ne se soit opposé à l'emploi du mot «Duck» par l'un ou l'autre d'entre eux.
Mais il y a toujours un début à tout. L'appelante possède manifestement une part importante du marché des vins de type «duck» portant sa marque de commerce «Baby Duck» et dont les dessins sont employés en liaison avec celle-ci, ce qui la placerait apparemment dans une position qui lui permettrait de revendiquer un emploi plus exclusif de ce mot. Elle pourrait tout au moins prétendre que le mot «Newfie» évoque la même impression de gaieté ou de jeunesse que des canetons dansant et se pava- nant, une prétention qui pourrait froisser certaines personnes de la bonne province de Terre-Neuve.
L'appelante laisse entendre que la preuve de l'inscription d'autres marques au registre pourrait être pertinente si le litige consistait à déterminer si ses marques de commerce ont une portée res- treinte. Cette preuve pourrait peut-être servir dans une action en contrefaçon des marques de com merce de l'appelante. L'avocat affirme que tel n'est pas le cas dans l'affaire dont j'ai été saisi, le seul point litigieux consistant à déterminer si la marque «Newfie Duck» crée ou non de la confusion avec les marques de commerce déposées de l'appe- lante, suivant le sens qui est donné au mot «confu- sion» par l'article 6 de la Loi.
S'étendant sur ce point, l'avocat de l'appelante met l'accent sur les circonstances énumérées au paragraphe 6(5) et dont la Cour doit tenir compte pour déterminer s'il y a confusion au sens du paragraphe 6(2). Il cite le passage suivant tiré de l'affaire Rowntree Company Limited v. Paulin Chambers Company Limited et al., [1968] R.C.S. 134, la page 136:
[TRADUCTION] Il ressort de ces dispositions que pour déter- miner si une marque de commerce crée de la confusion avec une marque de commerce déposée, il faut examiner si son emploi pourrait porter à croire que les marchandises liées à cette marque et celles liées à la marque de commerce déposée sont produites ou mises sur le marché par la même compagnie.
Le paragraphe 6(5) de la Loi enjoint à la cour ou au registraire, qui se prononce sur ce point, de «tenir compte de toutes les circonstances de l'espèce ... [C'est moi qui souligne.]
L'avocat invoque également l'arrêt Benson & Hedges (Canada) Limited v. St. Regis Tobacco Corporation, [ 1969] R.C.S. 192, en particulier les remarques du juge Pigeon aux pages 202 et 203 il a appliqué le critère de la confusion aux marques «Gold Band» et «Golden Circlet»:
[TRADUCTION] Il est sans aucun doute vrai que si une personne examine les deux marques attentivement, elle les
distinguera facilement. Ce n'est toutefois pas sur ce principe qu'il faut se fonder pour déterminer s'il existe un risque de confusion.
Le tribunal doit tenir compte du fait qu'habituellement, les marques ne seront pas vues l'une à côté de l'autre et il doit essayer d'empêcher qu'une personne qui voit la nouvelle marque puisse croire qu'il s'agit de la même marque qu'il a vue auparavant ou même, qu'il s'agit d'une nouvelle marque ou d'une marque liée appartenant au propriétaire de l'an- cienne marque (Halsbury's Laws of England, 3 éd., vol. 38, 989, p. 590).
Dans l'affaire The Matter of McDowell's Application
((1926), 43 R.P.C. 313), le lord juge Sargant a dit à la p. 338:
Même si on remarquait la très légère différence qui existe entre les marques «Nujol» et «Nuvol», il me semble très probable qu'étant donné la pratique courante des grands producteurs qui consiste à enregistrer une série de marques semblables pour indiquer les diverses catégories de leurs produits, on en déduirait qu'elles ont une origine commune. La pratique mentionnée dans cet extrait est sanctionnée par
les dispositions de l'article 15 de la Loi sur les marques de
commerce relatives aux «marques de commerce liées», et il faut
en tenir compte en examinant la question de la confusion.
En l'espèce, il est fort possible que l'expression «Golden Circlet» constitue une sorte de diminutif de l'expression «Gold Band», surtout si l'on tient compte du sens du mot «circlet». À mon avis, cette considération s'ajoute à celles qui ont déjà été mentionnées et étaye la conclusion du président suivant laquelle il est probable qu'il y ait confusion.
L'avocat de l'appelante coche ensuite chacun des éléments exposés au paragraphe 6(5) de la Loi, et les répartit comme suit:
a) Les marque de commerce et dessins de l'appe- lante établissent vraiment le caractère distinc- tif de ses vins et ils sont employés depuis un bon nombre d'années.
b) Les marque de commerce et dessins de l'appe- lante sont bien connus partout au Canada.
c) Les marchandises désignées par la marque concurrente,c'est-à-dire des vins ou spiritueux fermentés, sont du même genre.
d) La nature du commerce est également identi- que: les marchandises des deux parties seraient vendues chez les marchands de vins et de spiritueux et disponibles dans les débits de boissons et les salles à manger.
e) Il existe une ressemblance et une similitude évidente entre les marques «Baby Duck» et «Newfie Duck».
L'avocat de l'appelante me prie donc de con- clure que l'emploi des deux marques, côte à côte et dans la même région, serait susceptible, pour reprendre les termes du paragraphe 6(2), de faire
croire que les vins en liaison avec ces marques de commerce sont produits par la même personne.
Il s'agit d'un argument habile et efficace qui me causerait moins de difficultés si la marque «Baby Duck» était seule à coexister avec la marque «Newfie Duck». J'appliquerais peut-être le raison- nement suivi dans l'affaire Campbell Manufactu ring Co. Limited v. Thornhill Industries Limited et al. (1953), 13 Fox Pat. C. 198 (C. de l'É.), en ce qui a trait aux marques «Snow Goose» et «Blue Goose» et celui suivi dans l'affaire Henkel Kom- manditgesellschaft Auf Aktien v. Super Dragon Import Export Inc. (1984), 2 C.P.R. (3d) 361 (C.F. 1" inst.), en ce qui concerne les marques «Olicolor» et «Policolor». Je dois toutefois tenir compte de la réalité. Chez les marchands de vins, le «Baby Duck» et son compagon de tablette le «Newfie Duck» ne seraient pas les deux seuls oiseaux à partager un sentiment de gaieté mais ils devraient nécessairement rivaliser avec des oiseaux plus calmes comme par exemple les «Canada Duck», «Brights Duck», «Frosty Duck», «Kool Duck» et «Malt Duck».
Il s'agit donc de se demander si, en appliquant les dispositions du paragraphe 6(2) de la Loi, il faudrait examiner la question de la confusion à l'égard des deux marques concurrentes seulement ou à l'égard d'autres marques également. A mon avis, il va de soi que le caractère distinctif d'une marque déposée est considérablement amoindri si, historiquement, elle a toujours coexisté avec d'au- tres marques similaires employées en liaison avec des marchandises semblables.
Je dois tenir compte de l'opinion énoncée dans l'affaire Sunway Fruit Products, Inc. v. Productos Caseros, S.A. (1964), 27 Fox Pat. C. 173 (C. de l'É.), suivant laquelle l'état du registre ne constitue pas un motif pour conclure qu'il n'y a pas confu sion. Il ressort toutefois des faits dont j'ai été saisi que la marque «Baby Duck» ne peut être considé- rée comme une marque forte au sens légal de cette expression. C'est la seule conclusion qui s'impose, vu son caractère dérivé de l'expression «Cold Duck» que je dois considérer comme générique et descriptive d'autres types de vins. Il faut ajouter à cela la multiplication des autres marques déposées de vins dans lesquelles le mot «duck» est joint à quelque autre qualificatif, ce qui limite la protec tion de chaque marque. Il est depuis longtemps établi que:
[TRADUCTION] . .. lorsqu'une partie emprunte son mot servant de marque au vocabulaire commercial courant et veut empê- cher ses concurrents de faire de même, elle a droit à un degré de protection plus limité que lorsqu'elle invente un mot inédit ou non descriptif ... [le juge Rand dans l'arrêt General Motors Corp. v. Bellows, [1949] R.C.S. 678, à la p. 691.]
Dans le même esprit, il a été statué récemment que plus un mot particulier est employé comme marque de commerce, moins il est protégé. Telle a été la position du juge Cullen qui a accueilli un appel formé contre une décision du registraire des marques de commerce qui avait refusé d'enregis- trer la marque «Esprit» pour des produits d'hygiène personnelle, par exemple des shampoings, en raison de l'enregistrement et de l'emploi antérieurs de la marque «Esprit de Corp» concernant des vêtements de haute couture pour femmes. Dans cette affaire, S.C. Johnson & Son Inc. c. Esprit de Corp, n°' du greffe T-2896-84 et T-2897-84, juge- ment en date du 15 décembre 1986, non publié, le juge Cullen a constaté qu'il existait quelque dix- sept enregistrements comportant les mots «esprit» ou «esprite», employés seuls ou avec des qualifica- tifs. Le juge a invoqué plus particulièrement l'arrêt de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique Prairie Maid Cereals Ltd. v. Christie, Brown & Co. Ltd. (1966), 48 C.P.R. 289, le juge d'appel Maclean a dit à la page 295:
[TRADUCTION] J'ai déjà mentionné qu'on n'a présenté aucun élément de preuve montrant que qui que ce soit avait été trompé par la présentation de l'emballage de l'appelante. Trai- tant de cette question dans l'arrêt Dastous and Rose Canned Food Products v. Mathews -Wells Co., Ltd., 12 C.P.R. 1 aux pages 6 et 7, 10 Fox Pat. C. 1, [1950] R.C.S. 261, le juge en chef Rinfret a dit:
Il faut immédiatement souligner qu'il n'existe aucun élé- ment de preuve montrant que les acheteurs ont confondu les produits des parties respectives ou qu'on les a trompés à cet égard, ce qui constitue un point très important. Il est dit sur ce point à la p. 294 de l'ouvrage intitulé Kerly on Trade Marks:
«Lorsque des marques ont été mises en circulation, côte à côte, sur le marché et qu'on allègue qu'il y a probable- ment eu tromperie, il est très important de tenir compte du fait que personne ne semble avoir été induit en erreur.»
Ce principe semble s'appliquer au large éventail de marques de commerce de vins comportant le mot «duck», qui sont déjà inscrites au registre. Rien dans la preuve n'indique qu'elles ne coexis- tent pas paisiblement.
Je suis d'accord avec l'avocat de l'appelante pour dire que les vins portant l'étiquette «Baby
Duck» ont fait l'objet d'une commercialisation et d'une publicité étendues et bien orchestrées. Cette marque est également employée depuis plusieurs années et les marchandises qui la portent sont facilement reconnaissables dans toutes les commu- nautés canadiennes. Le vin fabriqué sous l'éti- quette «Baby Duck» est le vin le plus populaire au pays. C'est pourquoi cette marque nécessite des mesures de protection plus strictes dans la mesure elle est maintenant bien connue et qu'elle est employée depuis déjà quelque temps. Elle mérite également d'être protégée parce que la marque projetée «Newfie Duck» vise le même genre de marchandises et que la nature du commerce est identique. S'il s'agissait des seuls éléments applica- bles, je serais tenté d'appliquer le raisonnement suivi par la Cour dans l'affaire Polysar Ltd. v. Gesco Distributing Ltd. (1985), 6 C.P.R. (3d) 289 (C.F. lie inst.), par le juge Dubé dans l'affaire Murjani International Limited c. Universal Impex Co. Ltd., T-1395-85, jugement en date du 28 novembre 1986, encore inédit (C.F. 1" inst.), et par le juge Rouleau dans l'affaire Leaf Confec tions Ltd. c. Maple Leaf Garden Ltd., T-193-85, jugement en date du 28 novembre 1986, non publié (C.F. ire inst.). Dans cette dernière affaire, le juge Rouleau a radié la marque «Leaf» et son dessin qui devaient être employés en liaison avec de la gomme à claquer à l'encontre de la marque de commerce déposée «Toronto Maple Leafs» et d'un dessin semblable, en se fondant essentielle- ment sur la force de ladite marque déposée.
Ces affaires ont établi qu'il ne faut pas accorder la même importance à chacune des considérations énoncées au paragraphe 6(5). Le juge Rouleau s'est exprimé ainsi:
Il est néanmoins évident que, lorsqu'on examine les divers éléments du paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce, il ne faut pas considérer que chacun de ces éléments a la même importance. Il peut y avoir lieu dans un cas particulier d'accorder une plus grande importance à l'un des critères plutôt qu'aux autres. Comme je l'ai déjà dit, j'estime que la marque et le dessin de l'intimée constituent une marque forte et bien connue partout au Canada.
En l'espèce, je dois accorder plus d'importance aux considérations énoncées à l'alinéa 6(5)a) de la Loi qui concerne le caractère distinctif inhérent des marques et à l'alinéa 6(5)e) qui concerne la ressemblance des marques dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'elles suggèrent.
Lorsqu'il désigne du vin, le mot «duck» constitue un terme générique et il est essentiellement des- criptif. Il s'applique à n'importe quel nombre de vins différents. Ce mot ne revêt pas un caractère distinctif inhérent très marqué lorsqu'il est employé soit avec un caneton soit avec Terre- Neuve.
Je dois arriver à la même conclusion pour ce qui est de la question de la ressemblance ou du son. A mon avis, les mots «baby» et «Newfie» n'ont pas une ressemblance phonétique ou structurale suffi- sante pour créer de la confusion si on applique le critère de la «première impression», celui de la «première partie du mot» ou celui de la «prononcia- tion rapide».
Il reste un dernier critère à examiner, soit celui des idées suggérées par la marque «Baby Duck» et son dessin et par la marque «Newfie Duck». L'ap- pelante affirme catégoriquement que l'expression «Baby Duck» employée en liaison avec ses dessins de canetons évoque le même style idéalisé de vie simple, débordante de gaieté et d'entrain que celui des gens de Terre-Neuve.
Rien ne prouve évidemment qu'il s'agit de caractéristiques particulières à Terre-Neuve. Je pourrais ajouter que rien ne prouve non plus que l'état de détresse et de tristesse représenté dans la pièce «Jacob's Wake» est typique de sa population. D'une manière ou d'une autre, si nous devons entrer dans un tel débat, il y a risque d'attaquer la susceptibilité de gens dont les qualités transcen dent les premières impressions que pourraient créer le présent litige ou cette pièce de théâtre.
Il est certain que, pour les fins de la Loi sur les marques de commerce, je ne peux pas associer les idées suggérées par des oiseaux se pavanant au style de vie terre-neuvien.
Je reconnais le souci de l'appelante, comme son avocat l'a expliqué avec beaucoup d'à-propos, de conserver l'intégrité de ses marques de commerce et du produit avec lequel elles sont employées. Pourtant, l'appelante a non seulement déjà eu à faire face à la concurrence de vins portant des étiquettes semblables et à la surmonter, mais il semble qu'elle s'en soit très bien tirée. On pourrait présumer que le refus de lui accorder une protec tion légale contre un nouveau produit lancé sur le marché arrive à un moment une telle protection n'est désormais plus requise.
Bien que je ne sois pas entièrement d'accord avec le raisonnement suivi par le fonctionnaire chargé de l'audience dans sa décision, je souscris à sa conclusion. L'appel est par conséquent rejeté avec dépens.
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