T-2019-85
Avant Incorporated, National Business Systems
Inc. et National Business Systems Inc. (demande-
resses)
c.
La Reine du chef de l'Ontario (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: AVANT INC. C. R.
Division de première instance, juge Collier—
Toronto, 4 novembre 1985; Ottawa, 6 février 1986.
Compétence de la Cour fédérale — Division de première
instance — Requête en annulation d'une action en contrefaçon
de brevet intentée contre la Couronne provinciale — La
demanderesse soutient que l'art. 5 de la Loi sur les instances
introduites contre la Couronne, qui soumet la Couronne aux
règles de responsabilité délictuelle comme si elle était une
«personne», assujettit la Couronne provinciale à l'art. 57 de la
Loi sur les brevets — L'art. 57 impose une responsabilité à
«quiconque» — Requête accueillie — La Cour n'a pas compé-
tence à l'égard de la Couronne provinciale — Seuls les tribu-
naux de l'Ontario sont compétents — Il faut qu'il existe une
disposition législative permettant d'engager contre l'Ontario,
en Cour fédérale, des poursuites fondées sur l'art. 5. — Loi sur
les instances introduites contre la Couronne, L.R.O. 1980,
chap. 393, art. 5 — Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, chap.
P-4, art. 56 (mod. par S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art.
65), 57 — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.),
chap. 10, art. 20.
Couronne — Prérogatives — La requête en annulation de
l'action en contrefaçon de brevet intentée contre la Couronne
provinciale est accueillie — La loi provinciale supprime l'im-
munité de common law de la Couronne provinciale en matière
de la responsabilité délictuelle, mais elle ne confère pas com-
pétence à la Cour fédérale — Loi sur les instances introduites
contre la Couronne, L.R.O. 1980, chap. 393, art. 5.
Brevets — En vertu de l'art. 57 de la Loi sur les brevets (qui
impose une responsabilité à «quiconque») et de l'art. 5 de la
Loi sur les instances introduites contre la Couronne, la Cour
fédérale n'a pas compétence dans une action en contrefaçon de
brevet intentée contre la Couronne provinciale — Loi sur les
brevets, S.R.C. 1970, chap. P-4, art. 57 — Loi sur les instan
ces introduites contre la Couronne, L.R.O. 1980, chap. 393,
art. 5.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Union Oil Co. of Canada Ltd. c. R. du chef du Canada et
autres, [1976] 2 R.C.S. v; (1977), 72 D.L.R. (3d) 82;
confirmant [1976] 1 C.F. 74; (1977), 72 D.L.R. (3d) 81
(C.A.); confirmant [1974] 2 C.F. 452 (1'° inst.).
AVOCATS:
J. Macera pour les demanderesses.
J. Polika, c.r. et D. Dukelow pour la
défenderesse.
PROCUREURS:
Macera & Jarzyna, Ottawa, pour les deman-
deresses.
Le sous-procureur général de l'Ontario,
Toronto, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE COLLIER: Il s'agit en l'espèce d'une
action en contrefaçon de brevet intentée contre la
défenderesse, la Reine du chef de l'Ontario.
Dans la présente requête, la défenderesse solli-
cite la radiation de l'action au motif que cette
Cour n'a pas compétence à l'égard de la Couronne
provinciale de l'Ontario.
Aux fins de la présente requête, les faits sont tels
qu'ils sont exposés dans la déclaration.
La première des demanderesses est propriétaire
d'un brevet et les autres sont preneuses de licence.
Le brevet porte sur une carte-enveloppe utilisée
dans la production de cartes d'immatriculation
plastifiées; cette carte-enveloppe et cette carte
d'immatriculation peuvent être plastifiées l'une à
l'autre. Il est inutile de donner plus de détails. Il
est allégué qu'une société qui n'est pas partie à
l'action dont est saisie cette Cour, Polaroid Corpo
ration, menace de vendre à la défenderesse des
cartes d'immatriculation plastifiées qui contrefe-
raient le brevet. La défenderesse doit utiliser les
cartes contestées dans la fabrication, la vente et la
délivrance de permis de conduire (un nouveau
permis qui comprendra la photo de son détenteur).
Les actes de la défenderesse constituent, allègue-
t-on, une violation de diverses revendications du
brevet. On sollicite l'injonction habituelle, ainsi
que des dommages-intérêts ou un état des profits.
Il ne fait pas de doute que cette Cour a compé-
tence concurrente, avec les tribunaux des provin
ces, pour connaître des actions en contrefaçon de
brevet: voir la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C.
1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 20, et la Loi sur les
brevets, S.R.C. 1970, chap. P-4, art. 56 (mod. par
S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 65).
Est responsable aux termes de l'article 57 de la
Loi sur les brevets «Quiconque viole un brevet...»
Il est constant que la contrefaçon d'un brevet
constitue un délit.
Dans la présente requête, le principal litige entre
les parties porte sur l'application de la Loi sur les
instances introduites contre la Couronne, L.R.O.
1980, chap. 393, dont l'article 5 est ainsi rédigé:
[TRADUCTION] 5.—(1) Sauf disposition contraire de la pré-
sente loi et malgré l'article 11 de la Loi d'interprétation, la
Couronne engage sa responsabilité délictuelle comme si elle
était une personne majeure et capable:
a) pour tout délit commis par un de ses préposés ou
mandataires;
b) pour tout manquement à un devoir auquel une personne
est tenue envers son préposé ou son mandataire du fait
qu'elle est son employeur;
c) pour tout manquement à un devoir découlant de la
propriété, de l'occupation, de la possession ou de la
garde d'un bien;
d) dans tous les cas prévus par une loi ou un règlement.
(2) Il ne peut être engagé d'instance délictuelle contre la
Couronne en vertu de l'alinéa la) du fait de l'action ou de
l'omission d'un préposé ou mandataire de la Couronne, à moins
qu'une instance délictuelle pour l'action ou l'omission puisse
être intentée contre le préposé ou le mandataire ou contre son
représentant personnel.
Le mot «Couronne» désigne Sa Majesté la Reine
du chef de l'Ontario.
Les demanderesses font valoir que le fait que la
Couronne puisse engager sa responsabilité délic-
tuelle, comme si elle était une «personne», fait en
sorte qu'elle relève de l'article 57 de la Loi sur les
brevets; cette Cour a compétence pour connaître
des actions en contrefaçon intentées contre des
personnes.
L'avocat de la défenderesse soutient que la Loi
ontarienne ne suffit pas à conférer à cette Cour
compétence à l'égard de la Couronne provinciale.
On a fait mention de l'arrêt Union Oil Co. of
Canada Ltd. c. La Reine, [1974] 2 C.F. 452 (lie
inst.), qui a été confirmé par [1976] 1 C.F. 74;
(1977), 72 D.L.R. (3d) 81 (C.A.), et dont le
pourvoi a été rejeté par la Cour suprême du
Canada dans [1976] 2 R.C.S. v; (1977), 72 D.L.R.
(3d), à la page 82. Certaines autres décisions ont
également été citées.
Dans l'affaire Union Oil, il n'existait, à l'époque,
aucune loi provinciale comparable à la Loi onta-
rienne invoquée en l'espèce. Je reproduis ci-après
la décision de la Cour d'appel fédérale [aux pages
75 et 76 C.F,; aux pages 81 et 82 D.L.R.] ainsi
que la note accompagnant le jugement de la Cour
suprême du Canada [à la page 82 D.L.R.]:
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement
de la Cour prononcés oralement par
LE JUGE 1lHURLOW: Nous avons décidé de ne pas appeler
l'avocat des intimées, ce qu'il ne faut pas interpréter cependant
comme un manque d'égard aux arguments très habiles et très
complets que nous a soumis Me Dickerson.
Nous n'adoptons pas nécessairement les motifs du savant
juge de première instance et en particulier son point de vue
selon lequel une réclamation faite en vertu du paragraphe 70(1)
de la Loi sur la taxe d'accise doit être fondée sur le dol ou la
fraude. Nous ne sommes pas convaincus qu'il se soit trompé en
radiant la réclamation contre la Couronne du chef de la
province de la Colombie-Britannique.
La compétence de la Cour fédérale découle uniquement de la
législation et, même si le Parlement du Canada, légiférant dans
un domaine relevant de sa compétence, a le pouvoir de conférer
à la Cour fédérale la compétence pour connaître des actions
intentées contre la Couronne du chef d'une province, nous ne
pensons pas que les dispositions législatives citées, ou autres
textes législatifs à notre connaissance, autorisent la Cour à
connaître d'une procédure relevant d'une action d'un sujet
contre la Couronne du chef d'une province.
Les dispositions de la Loi sur la Cour fédérale qui confèrent
à la Cour sa, compétence ratione materiae, sont, sans aucun
doute, rédigées d'une manière assez large; mais nous pensons
que l'article 16 de la Loi d'interprétation, légèrement remanié
depuis l'arrêt du Conseil privé In re Silver Brothers Limited
[1932] A.C. 514, et l'interprétation que cet arrêt a donnée à
cette disposition telle qu'elle était formulée à l'époque, pris en
corrélation avec l'article de définitions et les références expres
ses à la Couronne du chef du Canada dans la Loi sur la Cour
fédérale, suffisent à établir que les dispositions générales de la
Loi sur la Cour fédérale, visant la compétence ratione mate-
riae, n'avaient pas pour but de supprimer l'immunité tradition-
nelle de la Couronne du chef des provinces en matière de procès
devant ses cours.
Il ne faut pas s'imaginer que nous n'avons aucune sympathie
pour la situation malheureuse dans laquelle se trouve l'appe-
lante, mais nous estimons que la Cour n'est pas compétente
pour connaître d'une réclamation contre la Couronne du chef
de la province de la Colombie-Britannique et que l'appel n'est
donc pas fondé et doit être rejeté.
* ■ *
[TRADUCTION] NOTE: Le pourvoi interjeté à l'encontre de la
décision qui précède a été rejeté par la Cour suprême du
Canada (le juge en chef Laskin, ainsi que les juges Martland,
Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grand-
pré) le 9 décembre 1976. La Cour a rendu oralement le
jugement suivant:
LE JUGE EN CHEF LASKIN: Il n'est pas nécessaire d'enten-
dre les intimées ni l'intervenant. Nous sommes tous d'avis que
l'appelante n'a pas réussi à établir que la Cour fédérale aurait
en l'espèce juridiction sur Sa Majesté du chef de la Colombie-
Britannique. Il n'est donc pas nécessaire d'examiner la question
de l'immunité de Sa Majesté. Le pourvoi est donc rejeté, avec
dépens à Sa Majesté du chef de la Colombie-Britannique. Il n'y
aura pas d'adjudication de dépens en faveur de Sa Majesté du
chef du Canada ni de l'intervenant, le procureur général de
l'Ontario.
J'estime que la question qui m'est posée n'est
pas facile à trancher. Aux pages 221 223 et 227
à 240 de son ouvrage Constitutional Law of
Canada, 2e éd. (Toronto: Carswell, 1985), Hogg
traite de l'incidence de la législation ontarienne et
de dispositions semblables qui figurent dans des
lois d'autres provinces. Toutefois, il n'y est naturel-
lement pas question par exemple, de la compétence
des tribunaux d'une province sur la Couronne du
chef d'une autre province ni de la compétence de
cette Cour à l'égard d'une Couronne provinciale.
J'en suis venu à la conclusion que, suivant sa
formulation actuelle, la Loi ontarienne ne confère
pas compétence à cette Cour pour connaître de
l'action intentée contre cette défenderesse particu-
lière. La Loi supprime l'ancienne immunité de
common law de la Couronne provinciale à l'encon-
tre de la responsabilité délictuelle, et elle rend la
Couronne responsable, dans certains cas, comme si
elle était une personne ordinaire. La Loi permet de
poursuivre la Couronne de l'Ontario dans de tels
cas. Mais, à mon avis, on ne peut alors le faire que
devant les tribunaux de la province de l'Ontario.
Pour pouvoir saisir cette Cour d'une action contre
la Couronne provinciale, il faut, à ce que je vois,
qu'il existe quelque disposition législative permet-
tant d'engager contre l'Ontario, en Cour fédérale,
des poursuites fondées sur l'article 5.
La requête en vue de déposer un acte de compa-
rution conditionnelle et la requête en radiation de
l'action sont accueillies. Les demanderesses seront
condamnées aux dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.