A-576-84
Propriétaires et autres intéressés dans la cargai-
son provenant du navire Atra, Satkab Co., minis-
tère de l'Énergie, République Islamique d'Iran
(appelante) (défenderesse)
c.
Lorac Transport Ltd. (intimée) (demanderesse)
RÉPERTORIE: LORAC TRANSPORT LTD. C. ATRA (LE)
Cour d'appel, juges Pratte, Urie et Hugessen—
Fredericton, 4 juin; Ottawa, 30 juin 1986.
Droit international — Immunité du Souverain — Appel
d'un jugement de première instance qui a rejeté la revendica-
tion de l'immunité du Souverain présentée par l'Iran — Des
marchandises ont été vendues au gouvernement iranien — À
cause de la situation assimilable à un état de guerre qui
prévalait dans le Golfe persique, le transport de ces marchan-
dises n'a jamais été mené à terme — Une action a été intentée
pour réclamer, en vertu du connaissement, les coûts supplé-
mentaires qui auraient été encourus par le transporteur — La
doctrine de l'immunité absolue du Souverain est discréditée en
Angleterre — La Cour suprême du Canada n'a pas adopté la
doctrine de l'immunité limitée du Souverain mais a laissé cette
question en suspens — Cette doctrine limite l'immunité aux
affaires où la participation de l'État étranger dans l'objet du
litige est réellement du domaine des actes publics tombant
clairement dans la sphère de l'activité gouvernementale souve-
raine — Les transactions en l'espèce sont des opérations
commerciales habituelles relevant du droit privé — L'Iran ne
peut non plus demander l'immunité en vertu de la Loi sur
l'immunité des États — Loi sur l'immunité des États, S.C.
1980-81-82-83, chap. 95, art. 7(2).
Interprétation des lois — La Loi sur l'immunité des États a
été adoptée après l'introduction de l'instance mais avant la
revendication de l'immunité du Souverain — La Loi ne con-
tient aucune disposition transitoire — Elle s'applique à l'égard
de toute demande d'immunité présentée après son entrée en
vigueur — La présomption pesant contre l'application rétro-
spective des lois n'est pas applicable lorsque la loi visée
attribue des conséquences à un statut qui a pu exister avant
son adoption et qui continue d'exister par la suite — La
souveraineté est un statut — Loi sur l'immunité des États,
S.C. 1980-81-82-83, chap. 95, art. 7(2),
Il s'agit d'un appel d'un jugement de première instance
rejetant la revendication de l'immunité du Souverain présentée
par l'appelante. Domtar Inc. a vendu des poteaux de lignes de
transmission au ministère de l'Énergie du gouvernement de
l'Iran. Comme une situation assimilable à un état de guerre
prévalait dans le Golfe persique, le transport, en vertu du
contrat d'affrètement, n'a jamais été mené à terme. Les
poteaux ont été déchargés à Saint John. L'action porte sur les
coûts supplémentaires qui auraient été encourus par le trans-
porteur et que devraient lui rembourser le détenteur du con-
naissement et le propriétaire de la cargaison en vertu du
connaissement. Le juge de première instance a décidé que la
doctrine de l'immunité du Souverain ne pouvait s'appliquer
dans les circonstances puisque l'objet du litige possédait toutes
les caractéristiques d'une opération commerciale privée et se
situait en dehors de la sphère de l'activité gouvernementale ou
souveraine. Les questions soulevées en l'espèce consistent à
savoir si l'immunité du Souverain est absolue ou si elle est
limitée à des actes officiels et étatiques et à savoir si l'opération
qui est à l'origine de la demande de l'intimée est un acte
officiel.
Arrêt: l'appel devrait être rejeté.
Traditionnellement, la doctrine de l'immunité du Souverain
constituait un obstacle absolu à toute procédure intentée contre
un État devant les tribunaux d'un autre État. La doctrine de
l'immunité absolue du Souverain est maintenant tout à fait
discréditée en Angleterre. Les tribunaux anglais ont adopté la
doctrine de l'immunité limitée du Souverain, qui limite l'immu-
nité aux affaires où la participation de l'État étranger dans
l'objet du litige est réellement du domaine des actes publics
tombant clairement dans la sphère de l'activité gouvernemen-
tale souveraine. Au Canada, la jurisprudence n'est pas allée
aussi loin. Dans deux affaires distinctes, la majorité de la Cour
suprême du Canada, bien qu'ayant l'occasion d'embrasser la
doctrine de l'immunité limitée du Souverain, a préféré s'abste-
nir; elle a cependant laissé la question en suspens. Le juge
Laskin (tel était alors son titre), au nom de la minorité de la
Cour, s'est dit convaincu que le Canada devrait adopter la
doctrine de l'immunité limitée du Souverain. La Cour d'appel
du Québec a également opté pour la doctrine de l'immunité
limitée. La jurisprudence et la raison militent toutes deux en
faveur de l'adoption de la doctrine de l'immunité limitée du
Souverain. Pour établir si la transaction s'inscrivait dans le
cadre d'une activité de nature commerciale, l'on devrait tenir
compte de la nature de la transaction étatique ou des relations
juridiques qui en découlent, et non du motif ou du but de
l'activité étatique: Claim against the Empire of Iran Case
(1963), 45 I.L.R. 57 (C.C.F. R.F.A.). L'accord d'achat et de
vente, de même que le contrat d'affrètement et le connaisse-
ment, sont tous des opérations commerciales habituelles rele
vant du droit privé. Les poteaux étaient destinés à des compa-
gnies d'électricité appartenant à l'État d'Iran et devaient être
utilisés pour la distribution d'électricité. Rien, dans tous ces
facteurs, ne relève d'autre chose que du droit strictement privé.
La présente action ni ne met en cause l'autorité ou la dignité du
gouvernement de l'Iran ni n'intervient dans ses fonctions souve-
raines ou gouvernementales. L'Iran ne peut prétendre à l'im-
munité du Souverain.
Après l'introduction de l'instance mais avant la revendication
de l'immunité du Souverain, la Loi sur l'immunité des États a
été adoptée. Le paragraphe 7(2) de cette Loi porte que l'État
étranger ne bénéficie pas de l'immunité de juridiction dans les
actions réelles contre une cargaison qui, au moment de l'intro-
duction de l'instance, était, ainsi que le navire qui l'a transpor-
tée, utilisée dans le cadre d'une activité commerciale. La Loi
s'applique à l'égard de toute demande d'immunité présentée
après son entrée en vigueur. La présomption qui pèse contre
l'application rétrospective des lois ne s'applique pas lorsqu'une
loi attribue des conséquences à un statut qui a pu exister avant
son adoption mais qui continue d'exister par la suite. La
souveraineté est un statut. Si ce statut continue d'exister sans
que l'immunité y demeure rattachée, celle-ci disparaît de façon
absolue et non seulement à l'égard de questions qui surviennent
par la suite. La Loi s'applique en l'espèce, et l'Iran ne bénéficie
pas de l'immunité du Souverain devant la Cour.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
Philippine Admiral (Owners) v. Wallem Shipping (Hong
Kong) Ltd., [1977] A.C. 373 (P.C.); Trendtex Trading
Corporation v. Central Bank of Nigeria, [1977] 1 Lloyd's
Rep. 581; [1977] Q.B. 529 (C.A.); I Congreso de! Par-
tido, [1981] 3 W.L.R. 328; [1981] 2 All ER 1064 (H.L.);
Claim against the Empire of Iran Case (1963), 45 I.L.R.
57 (C.C.F. R.F.A.).
DECISIONS EXAMINÉES:
Compania Naviera Vascongado v. Steamship «Cristina..,
[1938] A.C. 485 (H.L.); Dessaulles v. The Republic of
Poland, [1944] R.C.S. 275; Flota Maritima Browning de
Cuba S.A. v. Republic of Cuba, [1962] R.C.S. 598;
Gouvernement de la République Démocratique du Congo
c. Venne, [1971] R.C.S. 997.
DECISION MENTIONNÉE:
Zodiak International Products Inc. v. Polish People's
Republic (1977), 81 D.L.R. (3d) 656 (C.A. Qué.).
AVOCATS:
M. Robert Jette et Frederick A. Welsford
pour (appelante) (défenderesse).
Gerald M. Lawson et Christopher M. Correia
pour (intimée) (demanderesse).
PROCUREURS:
Clark, Drummie & Company, Saint John,
pour (appelante) (défenderesse).
Lawson & Lawson, Saint John, pour (inti-
mée) (demanderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN: Il s'agit d'un appel du
jugement rendu par le juge McNair en Division de
première instance [[1985] 1 C.F. 459], aux termes
duquel il a rejeté la revendication de l'immunité du
Souverain présentée par les appelants.
À l'origine, il s'agissait d'une action réelle inten-
tée contre une cargaison de poteaux de lignes de
transmission. Ces poteaux avaient été vendus par
Domtar Inc. en vertu d'un contrat de fourniture et
de livraison. L'acquéreur aux termes de ce contrat
est décrit comme suit:
[TRADUCTION] Le ministère de l'Énergie, Sherkate Sahami
Sakht Va Tahiehe Kalaye Bargh (SATKAB CO) désigné aux
présentes comme sSATKAB COMPANY».
Il est établi que le ministère de l'Énergie désigné
aux présentes est un ministère du gouvernement de
l'Iran.
Conformément aux stipulations du contrat
d'achat et de vente, Domtar a fait transporter les
poteaux à bord du navire de l'intimée en vertu d'un
contrat d'affrètement comme en fait foi le connais-
sement. Le transport, en vertu de ce contrat, n'a
jamais été mené à terme. Avant que le navire
(1'Atra) ait quitté le port de Saint John, une
situation assimilable à un état de guerre dans le
Golfe persique fit craindre à l'intimée et au capi-
taine que la livraison ne puisse se faire sans risques
au port de débarquement désigné. Après quelque
temps, les parties n'ayant pu convenir d'un autre
port de débarquement, les poteaux furent déchar-
gés de 1'Atra qui se trouvait encore à Saint John.
L'action porte sur les coûts et les dépenses supplé-
mentaires qui auraient été encourus par le trans-
porteur et que devraient lui rembourser le déten-
teur du connaissement et le propriétaire de la
cargaison en vertu du connaissement.
Par ordonnance du juge Walsh en date du 22
mai 1981, «Satkab Co., ministère de l'Énergie,
République islamique d'Iran» a reçu la permission
de produire une comparution conditionnelle afin
de s'opposer à la juridiction de la Cour et on a
modifié l'intitulé de la cause afin d'y ajouter
«Satkab Co., ministère de l'Énergie, République
islamique d'Iran» comme défendeurs désignés. Par
la suite, le 7 janvier 1982, la cargaison, qui avait
été saisie au début des poursuites, a été débloquée
après le dépôt d'une garantie bancaire. Bien plus
tard, le 9 mai 1983, une comparution condition-
nelle a été produite et, le 9 août 1983, elle a été
suivie d'un avis de requête visant le rejet de l'ac-
tion pour les motifs, entre autres, que
[TRADUCTION] ... la cargaison provenant du navire «Atra» qui
a été saisie et qui est l'objet de l'espèce est la propriété de l'État
souverain de la République islamique d'Iran et par conséquent,
elle bénéficie de l'immunité du Souverain devant cette Cour.
Dans le jugement dont il est fait appel, le juge
McNair fonde le rejet de la requête des appelants
sur deux motifs, le premier étant que la doctrine de
l'immunité du Souverain ne pouvait s'appliquer
dans les circonstances, vu que l'objet du litige [à la
page 479]:
... possède toutes les caractéristiques d'une opération commer-
ciale privée et se situe clairement en dehors de la sphère de
l'activité gouvernementale ou souveraine.
Comme autre motif de sa décision, le juge
McNair, ayant examiné le statut de Satkab Co.,
en a conclu que le rôle de cette dernière n'était pas
celui d'un simple fonctionnaire de l'État iranien. Il
n'estimait pas non plus que Satkab était l'alter ego
ou l'émanation du gouvernement de l'Iran.
Bien que la question de la relation précise entre
Satkab Co. et le gouvernement de l'Iran ait fait
l'objet de beaucoup de preuves et d'arguments tant
en appel qu'en première instance et qu'elle ait
constitué, comme je l'ai indiqué, l'un des motifs de
la décision du juge McNair, elle est, à mon avis,
sans rapport avec l'issue de la cause. Que Satkab
soit indépendante ou qu'elle fasse partie intégrante
du ministère de l'Énergie de l'Iran, il est tout à fait
clair, aussi bien aux termes du contrat intervenu
avec Domtar que d'après la désignation des défen-
deurs dans l'intitulé modifié de la cause, que le
ministère de l'Énergie était lui-même partie au
contrat et qu'il est présentement partie à l'action.
Que Satkab fasse ou non partie du gouvernement
de l'Iran, le ministère de l'Énergie en fait partie et
a le droit de faire prévaloir tout droit à l'immunité
du Souverain que ce gouvernement peut avoir.
Il ressort de la façon dont les parties ont inter-
prété la question et dont elles l'ont présentée
devant cette Cour que le point principal soulevé en
l'espèce était le bien-fondé de l'opinion du juge
McNair selon laquelle la nature commerciale de
l'opération a eu pour effet d'exclure toute préten-
tion à l'immunité du Souverain de la part du
gouvernement de l'Iran. Cette question, à son tour,
comporte deux éléments: savoir, premièrement si
l'immunité du Souverain est absolue ou si elle est
limitée à des actes officiels ou étatiques et deuxiè-
mement, si l'opération qui est à l'origine de la
demande de l'intimée est un acte officiel.
Bien que cela ne soit formulé expressément nulle
part, et le juge McNair et les parties semblent être
d'avis que ces questions devraient être tranchées en
fonction de l'époque de l'émission du bref et de la
saisie de la cargaison. À supposer pour l'instant
que cette opinion soit fondée, je suis convaincu que
la conclusion du juge McNair est la bonne.
La doctrine de l'immunité du Souverain a subi
une transformation rapide tant en droit internatio
nal que, par incorporation ou adoption de ce der-
nier, dans la loi domestique de la plupart des pays
du monde occidental.
L'interprétation traditionnelle de l'immunité du
Souverain était que cette dernière constituait un
obstacle absolu à toute procédure intentée contre
un État devant les tribunaux d'un autre État. On
retrouve son expression classique aussi récemment
qu'en 1938 dans le jugement rendu par lord Atkin
dans l'affaire Compania Naviera Vascongado v.
Steamship «Cristina», [1938] A.C. 485 (H.L.) [à
la page 490] :
[TRADUCTION] ... les tribunaux d'un pays ne peuvent poursui-
vre un État souverain étranger, c'est-à-dire qu'ils ne peuvent
l'obliger contre sa volonté à être partie à des poursuites judi-
ciaires, que ces dernières impliquent une action contre sa
personne ou visent à lui faire payer des dommages-intérêts ou
autres.
Cette jurisprudence trouve un écho au Canada,
d'une manière tout aussi éloquente et absolue,
dans les paroles prononcées par le juge Taschereau
au nom de la cour dans l'affaire Dessaulles v. The
Republic of Poland, [1944] R.C.S. 275 [à la page
277]:
Il ne fait pas de doute qu'un état souverain ne peut être
poursuivi devant les tribunaux étrangers. Ce principe est fondé
sur l'indépendance et la dignité des états, et la courtoisie
internationale l'a toujours respecté. La jurisprudence l'a aussi
adopté comme étant la loi domestique de tous les pays civilisés.
Nonobstant le jugement de lord Atkin et l'in-
flexibilité apparente de la règle qu'il a énoncée, la
doctrine de l'immunité de juridiction absolue est
maintenant tout à fait discréditée en Angleterre.
Sans retracer tout l'historique du processus par
lequel les tribunaux de ce pays ont emboîté le pas
au reste du monde, il suffit de préciser que le
Conseil privé (Philippine Admiral (Owners) v.
Wallem Shipping (Hong Kong) Ltd., [1977] A.C.
373), la Cour d'appel (Trendtex Trading Corpo
ration v. Central Bank of Nigeria, [1977] 1
Lloyd's Rep. 581; [1977] Q.B. 529) et la Chambre
des lords elle-même (I Congreso del Partido,
[1981] 3 W.L.R. 328; [1981] 2 All ER 1064) ont
successivement adopté sans réserve ce qu'on
appelle la doctrine de l'immunité de juridiction
limitée. En termes brefs, cette doctrine limite l'im-
munité aux affaires où la participation de l'État
étranger dans l'objet du litige est réellement du
domaine des actes publics tombant clairement
dans la sphère de l'activité gouvernementale
souveraine.
Dans notre pays, la jurisprudence n'est pas allée
aussi loin. J'ai mentionné précédemment l'affaire
Dessaulles, dans laquelle la Cour suprême sem-
blait adopter sans réserve la doctrine de l'immu-
nité absolue du Souverain. Dans deux affaires
subséquentes, Flota Maritima Browning de Cuba
S.A. v. Republic of Cuba, [1962] R.C.S. 598 et
Gouvernement de la République Démocratique du
Congo c. Venne, [19711 R.C.S. 997, la Cour, bien
qu'ayant l'occasion d'embrasser la doctrine de
l'immunité limitée du Souverain, a préféré s'abste-
nir et a fondé sa décision sur d'autres motifs.
Cependant, dans chacune de ces affaires, la majo-
rité de la Cour a sciemment laissé la question en
suspens. Ainsi, dans l'affaire Flota Maritima, le
juge Ritchie a déclaré [à la page 608]:
[TRADUCTION] En toute déférence pour ceux qui diffèrent
d'opinion, je ne crois pas qu'il est nécessaire en l'espèce d'adop-
ter la partie du jugement de Lord Atkin dans l'affaire précitée
The Cristina où il déclarait que les biens d'un État souverain
étranger «utilisés uniquement dans un but commercial» ne
pouvaient être saisis à la suite d'un recours devant nos tribu-
naux. Je statuerai dans cet appel entièrement en fonction du
principe suivant: les navires défendeurs doivent être considérés
(pour reprendre les termes de sir Lyman Duff) comme «les
biens d'un État étranger servant à un usage public dans le sens
classique», et par conséquent la Cour de l'Échiquier n'était pas
compétente pour entendre cette action.
Dans le même ordre d'idées, le juge Ritchie a
déclaré dans l'affaire République Démocratique
du Congo [à la page 1008]:
En toute déférence pour ceux qui diffèrent d'opinion, je suis
également d'avis qu'en l'espèce, le contrat que l'on cherche à
faire exécuter et auquel étaient parties le représentant diploma-
tique de l'appelant et l'un de ses ministères, a été passé par un
souverain étranger pour l'accomplissement d'un acte d'État
public et que, indépendamment de tout point de vue que l'on
peut avoir sur la doctrine de l'immunité souveraine, il s'agit
d'une affaire pour laquelle la République du Congo n'est pas
justiciable de nos tribunaux. Je suis d'avis d'accueillir le pour-
voi pour ce motif.
Par opposition à la prudence de la majorité, le
juge Laskin (tel était alors son titre), au nom de la
minorité de la Cour dans l'affaire République
Démocratique du Congo, s'est dit convaincu que
notre pays devrait maintenant adopter la doctrine
de l'immunité limitée du Souverain. Citant le
même extrait que j'ai reproduit plus haut de la
décision rendue par le juge Taschereau dans l'af-
faire Dessaulles, il a expliqué pourquoi la règle qui
y avait été énoncée ne se justifiait plus [aux pages
1016 et 1017]:
J'ai deux remarques à faire au sujet de cet énoncé. D'abord,
il est clair que la doctrine de l'immunité absolue n'est plus «la
loi domestique de tous les pays civilisés». En second lieu, ni
l'indépendance ou la dignité des États, ni la courtoisie interna-
tionale n'ont besoin pour se maintenir d'une doctrine d'immu-
nité absolue. L'indépendance comme fondement de l'immunité
absolue est incompatible avec la compétence territoriale abso-
lue de l'État accréditant et la dignité, en tant que prolongement
de l'indépendance ou de la souveraineté, ne parait guère être
une raison convaincante, si l'on considère que les États se
soumettent à la juridiction de leurs propres tribunaux. La Cour
suprême des États-Unis a mis en lumière la faiblesse de ces
considérations en permettant que soit entendue une demande
reconventionnelle contre un État souverain qui avait fait appel
à la compétence d'un tribunal interne (voir National City Bank
of New York v. Republic of China, supra, p. 364). La courtoi-
sie n'est pas non plus un fondement plus réaliste de l'immunité
absolue, à moins que ce ne soit par traité. Il n'est pas juste de
dire, comme l'a fait Lord Wright dans Cristina, supra, p. 502,
que la courtoisie internationale est devenue un principe général
de droit international qui fonde l'immunité absolue. On a
abandonné l'ancienne règle de la pratique et de la réciprocité
sous ce rapport. Je signale qu'un autre fondement ancien de
l'immunité absolue, celui de l'extra-territorialité, que l'on invo-
quait surtout pour soustraire les navires d'États étrangers à la
juridiction des tribunaux locaux, est depuis longtemps considéré
comme une fiction dépassée .. .
Ces paroles elles-mêmes trouvent un écho dans
la déclaration importante de lord Wilberforce dans
l'affaire précitée I Congreso del Partido [aux
pages 336 W.L.R.; 1070 All ER]:
[TRADUCTION] L'exception, ou la limitation, pertinente qui
s'est greffée sur la doctrine de l'immunité des États, en vertu de
la soi-disant «théorie limitative», découle de la volonté des États
d'effectuer des opérations commerciales, ou autres opérations
relevant du droit privé, avec des particuliers. Il semble que cela
ait deux fondements principaux: a) Il est nécessaire dans
l'intérêt de la justice que les particuliers effectuant de telles
opérations avec des États puissent les soumettre aux tribunaux.
b) Le fait d'exiger qu'un État réponde à une réclamation
fondée sur de telles opérations n'implique pas une contestation
de l'acte de cet État souverain ou une enquête sur cet acte. Il ne
s'agit pas, en termes établis, d'une menace à la dignité de cet
État ni d'une intrusion dans ses fonctions d'État souverain.
Finalement, j'aimerais souligner le fait que,
dans le jugement en appel le plus récent à ma
connaissance, prononcé au Canada sur cette ques
tion, la Cour d'appel du Québec a opté fermement
et sans équivoque pour la doctrine de l'immunité
limitée du Souverain (Zodiak International Pro
ducts Inc. v. Polish People's Republic (1977), 81
D.L.R. (3d) 656).
À mon avis, il serait présomptueux pour moi de
tenter d'ajouter quoi que ce soit aux paroles que je
viens de citer du juge Laskin et de lord Wilber-
force. Leurs déclarations me convainquent pleine-
ment que la jurisprudence et la raison sont en
faveur de l'adoption de la doctrine de l'immunité
limitée du Souverain au Canada.
À supposer que mon opinion soit fondée, il s'agit
alors de savoir si la participation du gouvernement
de l'Iran en l'espèce découle d'une activité de
nature commerciale (jure gestionis) ou d'une fonc-
tion gouvernementale (jure imperii). L'un des
énoncés les plus clairs du critère se trouve dans le
jugement rendu par la Cour constitutionnelle fédé-
rale de la République fédérale d'Allemagne dans
l'affaire Claim against the Empire of Iran Case
(1963), 45 I.L.R. 57, approuvé dans l'affaire I
Congreso del Partido, comme suit [à la page 80]:
[TRADUCTION] Pour établir la distinction entre des actes
jure imperii et jure gestionis, il faudrait plutôt tenir compte de
la nature de la transaction étatique ou des relations juridiques
qui en découlent, et non du motif ou du but de l'activité
étatique. Il s'agit donc de savoir si l'État étranger a agi dans
l'exercice de son autorité souveraine, c'est-à-dire en droit
public, ou à titre de personne privée, c'est-à-dire en droit privé.
Le gouvernement de l'Iran est partie à la pré-
sente instance à titre de détenteur du connaisse-
ment et de propriétaire de la cargaison de poteaux.
Il a acquis le titre de propriété des poteaux et le
titre du connaissement en vertu d'un accord
d'achat et de vente conclu avec Domtar. Cet
accord, ainsi que le contrat d'affrètement et le
connaissement, sont tous des opérations commer-
ciales habituelles, relevant du droit privé. Les
poteaux de lignes de transmission eux-mêmes
étaient, selon la preuve présentée à la Cour, desti-
nés à des compagnies d'électricité appartenant à
l'État de l'Iran et ils devaient être utilisés pour la
distribution d'électricité. Dans tous ces facteurs, je
ne vois rien qui relève d'autre chose que du droit
strictement privé. En aucune façon, la présente
action ne met en cause l'autorité ou la dignité du
gouvernement de l'Iran ni n'intervient dans ses
fonctions souveraines ou gouvernementales. J'en
conclus qu'il n'appartient pas à l'Iran, dans les
circonstances, de prétendre à l'immunité du
Souverain.
Je suis arrivé à la conclusion susmentionnée en
tenant compte des arguments qui ont été présentés
devant nous et, naturellement, devant le juge
McNair, c'est-à-dire que la revendication de l'im-
munité du Souverain doit être examinée en fonc-
tion de la date à laquelle le bref a été émis et la
cargaison a été saisie, soit au début de 1981.
Cependant, je doute fort qu'il s'agisse de la bonne
façon d'aborder la question. Comme je l'ai indiqué
plus tôt, la comparution conditionnelle n'a été
produite qu'en mai 1983 et la requête de rejet a
suivi trois mois plus tard environ. Le jugement du
juge McNair a été rendu en avril 1984.
Après l'introduction de l'instance mais avant la
présentation de la revendication de l'immunité du
Souverain, le Canada a adopté la Loi sur l'immu-
nité des États (S.C. 1980-81-82-83, chap. 95),
entrée en vigueur le 15 juillet 1982. Nous citerons
la partie de la Loi pertinente à notre propos, soit le
paragraphe 7(2):
7....
(2) L'État étranger ne bénéficie pas de l'immunité de juridic-
tion dans les actions suivantes:
a) actions réelles contre une cargaison dont il est propriétaire
et qui, au moment de la naissance du droit d'action ou de
l'introduction de l'instance, était, ainsi que le navire qui la
transportait, utilisée ou destinée à être utilisée dans le cadre
d'une activité commerciale;
b) actions personnelles visant à faire valoir un droit se
rattachant à cette cargaison, le navire qui la transportait
étant, au moment de la naissance du droit d'action ou de
l'introduction de l'action, utilisé, ou destiné à être utilisé,
dans le cadre d'une activité commerciale.
La Loi ne contient aucune disposition transitoire
et il semble, selon ses termes, qu'elle s'applique à
l'égard de toute demande d'immunité présentée
après son entrée en vigueur. Naturellement, je me
rends bien compte de la présomption qui pèse
contre l'application rétrospective des lois; normale-
ment toutefois, cette présomption s'applique seule-
ment lorsqu'une loi impute de nouvelles consé-
quences à un événement qui est survenu avant son
adoption; elle ne s'applique pas lorsqu'elle attribue
des conséquences à un statut ou à une caractéristi-
que qui a pu exister avant son adoption mais qui
continue d'exister par la suite. (Voir à cet égard
Driedger, Elmer A., Construction of Statutes, 2°
édition, Toronto, 1983, aux pages 185 203.)
La souveraineté est, naturellement, un statut et
c'est seulement ce statut qui peut donner lieu à une
demande d'immunité. Si le statut cesse d'exister,
l'immunité disparaît elle aussi. De même, si le
statut continue d'exister mais si l'immunité n'y est
plus rattachée, elle disparaît de façon absolue et
non seulement à l'égard de questions qui survien-
nent par la suite.
Bien qu'elle s'exprime parfois en termes de juri-
diction, la souveraineté n'est pas strictement une
question de juridiction dans ce sens que la Cour
n'a pas le pouvoir de statuer sur l'objet du litige ou
sur la personne. La juridiction ne peut jamais être
acquise par consentement, mais même la théorie
de l'immunité du Souverain la plus absolue admet
que l'on peut y renoncer.
Par conséquent, je suis d'avis que la Loi sur
l'immunité des États devrait s'appliquer à l'espèce;
si j'ai raison, le résultat, bien qu'étant le même que
celui auquel j'ai abouti plus haut, peut être atteint
d'une façon beaucoup plus rapide. Il s'agit d'une
action réelle intentée contre une cargaison appar-
tenant à l'Iran. Lorsque le droit d'action a pris
naissance et que les procédures ont été intentées, et
la cargaison et le navire étaient utilisés et destinés
à être utilisés dans le cadre d'une activité commer-
ciale, la cargaison devant servir à la distribution et
à la vente d'électricité et le navire devant servir au
transport maritime. Aux termes du paragraphe
7(2) susmentionné, l'Iran ne peut donc bénéficier
de l'immunité du Souverain devant la Cour.
Cependant, comme la question de l'application
de la Loi sur l'immunité des États n'a pas été
soulevée et comme de toute façon elle ne change
aucunement, selon mon interprétation de la loi,
l'issue de l'appel, je n'exprimerai pas d'opinion
définitive à ce sujet et ma décision sera fondée sur
le principe suivant: au moment où les procédures
ont été intentées et où la cargaison a été saisie, la
loi canadienne ne permettait pas à l'Iran de pré-
tendre à l'immunité du Souverain.
Je rejetterais l'appel avec dépens.
LE JUGE PRATTE: J'y souscris.
LE JUGE URIE: J'y souscris.
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