T-260-84
Vanguard Coatings and Chemicals Ltd. (deman-
deresse)
c.
Ministre du Revenu national (défendeur)
RÉPERTORIÉ: VANGUARD COATINGS AND CHEMICALS LTD. c.
M.R.N.
Division de première instance, juge Muldoon -
Vancouver, 24, 25, 26 et 27 juin; Ottawa, 17
octobre 1986.
Douanes et accise - Loi sur la taxe d'accise - Pouvoir de
fixer le prix raisonnable de marchandises conféré au Ministre
par l'art. 34 de la Loi - Étant donné l'absence de directives
ou de lignes directrices, l'absence d'une procédure d'appel et la
situation de conflit d'intérêts officiels du Ministre, l'art. 34 est
si contraire au principe de la primauté du droit qu'il est
inconstitutionnel - Une interprétation stricte de la Loi exige
l'annulation du montant fixé par le Ministre car le moment où
la taxe doit être payée n'est pas précisé - Le Ministre a
commis une erreur en ne prenant pas en considération la
composition monétaire du prix de vente en dollars et en ne
s'attardant qu'aux liens existant entre les divers niveaux com-
merciaux - Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. 1970, chap. E-13,
art. 27 (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 68, art. 10), 28,
34, 50 (mod. par S.C. 1977-78, chap. 42, art. 10) - Règles de
la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 2, 337(2)b).
Compétence de la Cour fédérale - Division de première
instance - Action intentée contre le ministre du Revenu
national pour avoir fixé le prix de vente raisonnable des
marchandises de la demanderesse conformément à l'art. 34 de
la Loi sur la taxe d'accise - Action fondée notamment sur
l'art. 17(4)b) de la Loi sur la Cour fédérale - La responsabi-
lité prévue à l'art. 17(4)b) est fondée sur la Loi sur la respon-
sabilité de la Couronne, mais elle est également modifiée et
nuancée par celle-ci - Dans la mesure où elle repose sur ledit
art. 17(4)6), l'action est rejetée parce qu'elle a été intentée
contre le mauvais défendeur, le Ministre n'étant pas un man-
dataire, un fonctionnaire ou un préposé de la Couronne mais
plutôt un mandataire du législateur dans l'exécution d'une
fonction précise imposée par la Loi - De toute façon, aucun
délit n'a été allégué - Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970
(2e Supp.), chap. 10, art. 2, 17(4)6), 18, 28 - Loi sur la taxe
d'accise, S.R.C. 1970, chap. E-13, art. 27 (mod. par S.C.
1980-81-82-83, chap. 68, art. 10), 28, 34, 50 (mod. par S.C.
1977-78, chap. 42, art. 10) - Règles de la Cour fédérale,
C.R.C., chap. 663, Règles 2, 337(2)b) - Loi sur la responsabi-
lité de la Couronne, S.R.C. 1970, chap. C-38.
Contrôle judiciaire - Brefs de prérogative - Certiorari
La fixation du prix de vente raisonnable faite par le Ministre
en vertu du pouvoir qui lui est conféré par l'art. 34 de la Loi
sur la taxe d'accise est une décision purement administrative
et elle est assujettie au contrôle judiciaire en vertu de l'art. 18
de la Loi sur la Cour fédérale - Loi sur la Cour fédérale,
S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 2, 17(4)b), 18, 28 - Loi
sur la taxe d'accise, S.R.C. 1970, chap. E-13, art. 27 (mod.
par S.C. 1980-81-82-83, chap. 68, art. 10), 28, 34, 50 (mod.
par S.C. 1977-78, chap. 42, art. 10) - Loi spéciale des
revenus de guerre, S.R.C. 1927, chap. 179, art. 98 (mod. par
S.C. 1932-33, chap. 50, art. 20).
Droit constitutionnel - Primauté du droit - Pouvoir de
déterminer le prix de vente raisonnable de marchandises con-
féré au Ministre par l'art. 34 de la Loi sur la taxe d'accise -
Il n'existe aucune directive ou ligne directrice relative à l'exer-
cice de ce pouvoir ni aucune procédure d'appel et le Ministre
est en conflit d'intérêts - En raison de son caractère arbi-
traire, l'art. 34 contrevient au principe de la primauté du droit,
un principe fondamental de notre Constitution, et est par
conséquent inconstitutionnel - L'art. 34 ne peut être déclaré
nul et inopérant pour seule cause d'incertitude s'il ne s'agit pas
d'une question d'application de la Charte - Toutefois, une
interprétation stricte de la Loi exige l'annulation du montant
fixé par le Ministre car le moment oi la taxe doit être payée
n'est pas précisé - Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. 1970, chap.
E-13, art. 27 (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 68, art.
10), 28, 34, 50 (mod. par S.C. 1977-78, chap. 42, art. 10) -
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie
I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982
sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 7, 8, 12, 15, 26,
Préambule - Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970,
Appendice III, art. 1, 2, Préambule.
Droit constitutionnel - Délégation de pouvoirs - La délé-
gation au Ministre, à l'art. 34 de la Loi sur la taxe d'accise, du
pouvoir de déterminer le prix de vente raisonnable de mar-
chandises ne constitue pas une délégation indirecte mais plutôt
une délégation directe de pouvoir - Il n'y a aucun obstacle
constitutionnel ou juridique à cette telle délégation - Loi sur
la taxe d'accise, S.R.C. 1970, chap. E-13, art. 27 (mod. par
S.C. 1980-81-82-83, chap. 68, art. 10), 28, 34, 50 (mod. par
S.C. 1977-78, chap. 42, art. 10) - Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.), Préambule - Loi sur la concurrence, S.C. 1986,
chap. 26.
Droit constitutionnel - Partage des pouvoirs - Fiscalité -
L'art. 34 de la Loi sur la taxe d'accise contrevient-il aux art.
53 et 54 de la Loi constitutionnelle de 1867 qui restreignent le
pouvoir de création de taxes du Parlement? - L'art. 34 ne
crée pas une taxe mais permet simplement au Ministre d'aug-
menter l'assiette fiscale du contribuable - Loi constitution-
nelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) /S.R.C. 1970,
Appendice II, n° 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada,
1982, chap. 11 (R.-U.), annexe à la Loi constitutionnelle de
1982, n° 1), art. 53, 54 - Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. 1970,
chap. E-13, art. 27 (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 68,
art. 10), 28, 34, 50 (mod. par S.C. 1977-78, chap. 42, art. 10).
Droit constitutionnel - Charte des droits - Aucune viola
tion du préambule de la Charte car cette disposition constitue
une description du Canada reconnue par la Constitution -
L'art. 1 n'est pas non plus violé puisqu'aucun des droits
garantis, auxquels il est allégué que des limites auraient été
imposées, ne s'applique en l'espèce - Il n'y a aucune violation
de l'art. 7 car l'imposition ne constitue pas une atteinte à la
vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne et ces derniers
concepts se rapportent au bien-être physique d'une personne
physique - L'art. 8 n'est pas non plus violé car l'imposition ne
constitue pas une saisie au sens dudit art. 8 — Il en est de
même de l'art. 12, la demanderesse n'étant pas menacée de
traitement ou peine cruels et inusités — L'art. 26 n'est pas non
plus violé étant donné que le fait que tous les droits et libertés
que la demanderesse prétend avoir sont confirmés ne donne pas
à cette dernière un droit d'appel substantif — Charte cana-
dienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi
constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 7, 8, 12, 15, 26,
Préambule — Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. 1970, chap.
E-13, art. 27 (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 68, art.
10), 28, 34, 50 (mod. par S.C. 1977-78, chap. 42, art. 10).
Déclaration des droits — Le pouvoir de déterminer le prix
de vente raisonnable de marchandises qui est conféré au
Ministre par l'art. 34 de la Loi sur la taxe d'accise contre-
vient-il à la Déclaration des droits? - L'art. 1 ne s'applique
pas car les droits qui y sont énoncés sont garantis aux indivi-
dus — Il n'y a pas contravention à l'art. 214 car il ne s'agit pas
en l'espèce d'une peine cruelle ou d'un traitement inusité —
Compte tenu de l'exposé conjoint des faits, l'art. 2e) n'a pas été
violé puisque la demanderesse n'a pas été privée du droit à une
audition impartiale de sa cause — Déclaration canadienne des
droits, S.R.C. 1970, Appendice III, art. 1, 2, Préambule — Loi
sur la taxe d'accise, S.R.C. 1970, chap. E-13, art. 27 (mod.
par S.C. 1980-81-82-83, chap. 68, art. 10), 28, 34, 50 (mod.
par S.C. 1977-78, chap. 42, art. 10).
La demanderesse fabrique des produits de finition appliqués
au pinceau. Elle vendait pratiquement tous ses produits à sa
compagnie mère qui les vendait à son tour à d'autres compa-
gnies. Comme le prévoit l'article 50 de la Loi sur la taxe
d'accise, la demanderesse versait tous les mois la taxe de vente
relative à ces produits qui était calculée en fonction du prix de
vente du fabricant, conformément à l'article 27 de la Loi. Le
prix était équivalent au coût calculé par la demanderesse et
majoré de 25 %.
Après des discussions avec la demanderesse, le Ministre,
agissant conformément à l'article 34 de la Loi, a décidé quel
aurait dû être le prix de vente raisonnable des produits et, une
fois le prix fixé, la demanderesse a été informée du montant de
la taxe d'accise due.
En fixant le «prix raisonnable», le Ministre n'a pas comparé
les prix de produits semblables vendus par d'autres fabricants
et n'a pas procédé à la vérification du coût des ventes, de la
marge sur coût d'achat et de la marge de profit de la demande-
resse. Le Ministre n'a pas cru bon de tenir compte du calcul du
prix de vente fait par la demanderesse, selon la formule du coût
majoré d'un taux de marge. il s'est fondé sur les chiffres et le
volume de vente d'autres fabricants, par rapport à ceux des
distributeurs et à la détermination de l'existence de ces
derniers.
La demanderesse cherche à obtenir divers recours—injonc-
tion, certiorari et déclarations—contre la fixation du prix rai-
sonnable faite par le Ministre.
Jugement: l'action doit être accueillie.
Dans la mesure où elle est fondée sur l'alinéa 17(4)b) de la
Loi sur la Cour fédérale, l'action de la demanderesse est rejetée
pour avoir été intentée contre le mauvais défendeur. En l'es-
pèce, le Ministre n'était pas un mandataire, un fonctionnaire ou
un préposé de la Couronne mais plutôt un mandataire du
législateur dans l'exécution d'une fonction précise imposée par
la loi. Cela signifie que le Ministre ne pouvait être tenu
responsable en vertu de la Loi sur la responsabilité de la
Couronne (de toute façon, il n'est accusé d'aucun délit) et que
l'alinéa 17(4)b) ne s'applique pas en l'espèce.
Il est bien établi qu'une mesure purement administrative,
comme la fixation du prix faite par le ministre en l'espèce, est
assujettie au contrôle judiciaire et peut être annulée par voie de
certiorari, en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour
fédérale.
Pour ce qui est de l'article 1 de la Déclaration des droits, seul
l'alinéa a), qui garantit le droit à la jouissance des biens,
pourrait s'appliquer si ce n'est que ce droit n'est garanti qu'à
l'individu. L'alinéa 2b) est inapplicable pour les mêmes raisons
qu'il a été jugé (plus loin) que l'article 12 de la Charte ne
s'appliquait pas. L'alinéa 2e) ne s'applique pas parce que la
demanderesse a expressément reconnu qu'elle avait eu ample-
ment la possibilité de présenter ses observations dans cette
affaire.
L'article 34 ne contrevient pas non plus aux articles 53 ou 54
de la Loi constitutionnelle de 1867. L'article 34 n'a rien à voir
avec l'affectation du revenu public ou la création de taxes ou
d'impôt; il ne fait que permettre au Ministre d'augmenter
l'assiette fiscale d'un contribuable.
Le fait d'accorder au Ministre les pouvoirs prévus à l'article
34 ne constitue pas une délégation de pouvoir inconstitution-
nelle. Il ne s'agit pas d'un cas de délégation indirecte comme l'a
allégué la demanderesse. Il s'agit plutôt d'une délégation
directe puisque le Parlement autorise directement le Ministre à
prendre une décision au sujet du prix véritablement demandé et
à fixer le prix raisonnable. Il est bien établi que rien n'empêche
sur le plan constitutionnel ou juridique en général la délégation
d'un pouvoir purement administratif comme celui qui est prévu
à l'article 34. Le fait que ce pouvoir n'est pas restreint par des
règlements ou par une procédure d'appel ne prive pas la
délégation elle-même de sa constitutionnalité.
Aucune des dispositions de la Charte invoquées par la
demanderesse ne s'applique en l'espèce. La demanderesse ne
peut invoquer l'article 26 de la Charte pour se faire reconnaître
un droit d'appel substantif en l'espèce car il ne s'agit pas d'une
prérogative de la Cour mais du Parlement. La fixation d'un
prix raisonnable faite en vertu de l'article 34 ne menace pas non
plus la demanderesse de traitement ou peine cruels et inusités
au sens de l'article 12 de la Charte. L'article 8 de la Charte ne
s'applique pas parce qu'il n'y a pas de saisie au sens où ce terme
est utilisé dans ledit article. L'absence d'un droit d'appel sur le
fond ne constitue pas une saisie. L'article 8 ne prévoit pas un
droit à la protection contre la confiscation, l'appropriation ou
l'expropriation abusives et l'imposition abusive.
Les concepts de »vie, de liberté et de sécurité de la personne»
énoncés à l'article 7 de la Charte ne s'appliquent pas en l'espèce
parce qu'ils se rapportent au bien-être physique d'une personne
physique. L'article 1 de la Charte ne s'applique pas parce
qu'aucun des droits invoqués n'est visé en l'espèce. Le préam-
bule de la Charte est une description du Canada reconnue par
la Constitution et qui reconnaît le principe de la primauté du
droit. L'article 26 de la Charte, qui confirme tous les droits et
libertés reconnus depuis longtemps par le principe de la pri-
mauté du droit, réaffirme l'essence même du préambule.
Toutefois, l'article 34 contrevient tellement à la règle de la
primauté du droit, un principe fondamental de la Constitution,
qu'il peut être déclaré inconstitutionnel. li confère au Ministre
des pouvoirs administratifs discrétionnaires de nature arbi-
traire, sans aucune directive ou ligne directrice, et la décision
de ce dernier ne peut faire l'objet d'un appel. En permettant au
Ministre, dont la tâche est de percevoir les taxes, de déterminer,
sans qu'aucune restriction ne lui soit imposée, quelle taxe
devrait être fixée, l'article 34 fait du Ministre un véritable
despote. Il place le Ministre en situation de conflit d'intérêts
officiels. Et même si on affirme que le Ministre ne perçoit pas
vraiment la taxe, il s'agit là d'une distinction sans portée
pratique car en fin de compte le résultat est le même.
Selon les principes constitutionnels, la Cour ne peut valider
l'article 34, ce qu'elle ne fait pas d'ailleurs. Cependant, la Cour
n'a pas compétence pour juger un texte législatif nul pour seule
cause d'incertitude s'il ne s'agit pas d'une question d'applica-
tion de la Charte. Ce texte doit néanmoins être interprété
strictement de façon à ce que le contribuable bénéficie de toute
ambiguité réelle.
L'examen de la manière dont le Ministre a exercé le pouvoir
que lui confère l'article 34 permet de conclure que le pouvoir
délégué n'a pas été exercé impartialement et conformément à la
loi. Le Ministre s'est posé la mauvaise question et a évité la
bonne question et la bonne façon d'exercer ses pouvoirs admi-
nistratifs. Afin de déterminer le prix raisonnable et de fixer
celui-ci, le Ministre doit connaître les éléments du prix et ce qui
en constitue l'expression finale, en dollars. Pour ce faire, le
Ministre aurait dû tenir compte des coûts en capital, de l'amor-
tissement, du coût de la main-d'oeuvre et des matériaux ainsi
que des marges de profit et d'efficacité comparées du fabricant,
ce qu'il n'a pas fait. L'article 34 habilite le Ministre à prendre
des décisions relatives aux prix de vente et à fixer les prix
raisonnables et non à fixer les prix raisonnables en se fondant
sur les liens commerciaux. La soi-disant fixation du prix raison-
nable présumé outrepassait tellement sa compétence qu'elle
doit être annulée.
En outre, étant donné qu'aucun délai n'est prévu à l'article
34 quant au versement des taxes, cet article n'a pas pour effet
d'obliger la demanderesse à payer lesdites taxes.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of
Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; Ministre
du Revenu national c. Kruger Inc., [1984] 2 C.F. 535
(C.A.); autorisation d'interjeter appel refusée [1985] 2
R.C.S. viii; Martineau c. Comité de discipline de l'Insti-
tution de Matsqui, [ 1980] 1 R.C.S. 602; Hodge v. Reg.
(1883), 9 App.Cas. 117 (P.C.); In re Gray (1918), 57
R.C.S. 150; Shannon v. Lower Mainland Dairy Products
Board; Attorney -General for British Columbia (Interve-
ning), [1938] A.C. 708 (P.C.); Balderstone v. R.; Play -
All Ltd. v. A.G. Man., [1983] I W.W.R. 72 (B.R. Man.);
confirmée pour d'autres motifs [1983] 6 W.W.R. 438
(C.A. Man.); Smith, Kline & French Laboratories Limi
ted c. Procureur général du Canada, [1986] 1 C.F. 274
(1" inst.); Morguard Properties Ltd. et autres c. Ville de
Winnipeg, [1983] 2 R.C.S. 493; 3 D.L.R. (4th) 1; Vestey
v. Inland Revenue Comrs. (Nos. 1 and 2), [1980] A.C.
1148 (H.L.); Krag-Hansen, S. et autre c. La Reine
(1986), 86 DTC 6122 (C.A.F.); R. v. Morgentaler et al.
(1985), 17 C.R.R. 223 (C.A. Ont.); British Columbia
Railway Company c. R., [1979] 2 C.F. 122; (1978), 79
DTC 5020 (l" inst.); confirmée par R. c. British Colum-
bia Railway Co., [1981] 2 C.F. 783; 81 DTC 5089
(C.A.).
DECISIONS CITÉES:
Minister of Industry, Trade and Commerce v. Allis-
Chalmers Canada Ltd. (1977), 77 D.L.R. (3d) 633 (C.A.
Qc); Rasmussen c. Breau, [1986] 2 C.F. 500 (C.A.); The
King v. Noxzema Chemical Company of Canada, Ltd.,
[1942] R.C.S. 178; 2 DTC 542, infirmant [1941] R.C.É.
155; 2 DTC 519; Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S.
121; 16 D.L.R. (2d) 689.
AVOCATS:
W. H. G. Heinrich et Craig C. Sturrock pour
la demanderesse.
Barbara A. Burns et J. H. Kennedy pour le
défendeur.
PROCUREURS:
Birnie Sturrock & Bowden, Vancouver, pour
la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour le
défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MULDOON: La présente action porte
sur l'article 34 de la Loi sur la taxe d'accise
[S.R.C. 1970, chap. E-13] qui, selon la demande-
resse, serait inconstitutionnel, avec les conséquen-
ces que cela entraîne pour le Ministre défendeur
qui invoque cette Loi pour obliger la demanderesse
à payer des droits d'accise. Voici le texte de l'arti-
cle 34:
34. Lorsque des marchandises frappées de taxe en vertu de la
présente Partie ou de la Partie III sont vendues à un prix qui,
de l'avis du Ministre, est inférieur au prix raisonnable sur
lequel la taxe devrait étre imposée, le Ministre a le pouvoir de
fixer le prix raisonnable, et le contribuable doit acquitter la
taxe sur le prix ainsi fixé.
Peu ou point de faits sont contestés dans cette
affaire. Ce sont surtout des questions de droit qui
sont en litige. Nous les étudierons tour à tour,
après avoir traité des trois questions préliminaires
que voici.
Premièrement, puisqu'il s'agit d'une question
constitutionnelle, le procureur général de la
Colombie-Britannique et celui du Canada ont été
avisés (transcription: page 10). Le procureur géné-
ral de la province a refusé de prendre part à
l'action et le procureur inscrit au dossier pour le
défendeur est bien entendu le sous-procureur géné-
ral du Canada.
Deuxièmement, la demanderesse renonce à ses
prétentions alléguées en vertu de l'article 15 de la
Charte canadienne des droits et libertés [ qui cons-
titue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.)] (transcription: page 10).
Troisièmement, l'avocat de la demanderesse
(transcription: page 3) prétend que l'action a été
intentée en vertu de l'alinéa 17(4)b) de la Loi sur
la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap.
10] dont voici le texte:
17....
(4) La Division de première instance a compétence concur-
rente en première instance
b) dans les procédures dans lesquelles on cherche à obtenir
un redressement contre une personne en raison d'un acte ou
d'une omission de cette dernière dans l'exercice de ses fonc-
tions à titre de fonctionnaire ou préposé de la Couronne.
Au paragraphe 18 de la défense (dossier modifié,
page 16), le défendeur (ci-après désigné également
«le Ministre») prétend que la demanderesse (ci-
après désignée également «Vanguard») ne peut
invoquer légalement l'article 17 de la Loi sur la
Cour fédérale et l'avocat du Ministre allègue pré-
cisément que l'alinéa 17(4)b) est tout à fait inap
plicable en l'espèce (transcription: pages 76 et 77).
L'avocat de la demanderesse n'a pas répondu à
cette allégation mais il a admis qu'elle n'était pas
pertinente, compte tenu du genre de redressement
demandé. À l'appui de sa requête en radiation de
ce motif, l'avocat du Ministre cite l'arrêt Minister
of Industry, Trade and Commerce v. Allis-Chal-
mers Canada Ltd., jugement unanime de la Cour
d'appel du Québec prononcé par le juge Kaufman
et publié à (1977), 77 D.L.R. (3d) 633. Le raison-
nement de ce juge est assez conforme à celui du
juge en chef Thurlow, s'exprimant au nom de la
Cour d'appel fédérale dans Rasmussen c. Breau,
[1986] 2 C.F. 500 en ces termes [aux pages 512 et
513]:
... il existe une loi fédérale permettant à la Cour d'entendre ce
litige; cependant ... le seul article permettant à cette Cour [de
l'entendre] ... est l'article 17 de la Loi sur la Cour fédérale
qui, comme je l'ai déjà dit, ne permet pas d'intenter une action
contre un mandataire de la Couronne, mais seulement contre la
Couronne elle-même.
En l'espèce, il n'a pas du tout été démontré claire-
ment que le Ministre était un mandataire, un
fonctionnaire ou un préposé de la Couronne. Il
joue plutôt le rôle d'un mandataire du législateur
dans l'exécution d'une fonction précise imposée
par la loi. Il est cependant clair que si les mesures
prises par le Ministre devaient entraîner une res-
ponsabilité quelconque en vertu de l'alinéa 17(4)b),
il s'agirait de la responsabilité créée en vertu de la
Loi sur la responsabilité de la Couronne [S.R.C.
1970, chap. C-38], au nom de la Couronne elle-
même. Ce n'est pas le cas en l'espèce. Le but
apparent de l'alinéa 17(4)b), comme d'autres dis
positions de cet article, est modifié et nuancé par
la façon dont le Parlement tient la Couronne res-
ponsable des méfaits de ses préposés. Dans ces
circonstances, l'action de la demanderesse est reje-
tée pour avoir été intentée contre le mauvais défen-
deur, dans la mesure où elle est fondée sur l'article
17 de la Loi sur la Cour fédérale. De toute façon,
le Ministre n'est accusé d'aucun délit. L'avocat de
la demanderesse n'a donné aucune réponse absolue
à la requête présentée par le défendeur en vue
d'obtenir le rejet de sa demande à cet égard (trans-
cription: page 78).
Pour les seuls besoins de la présente action, les
avocats des parties ont judicieusement convenu
que les faits principaux sont décrits dans l'exposé
produit comme pièce A. Cet exposé renvoie à
d'autres pièces soumises en ordre numérique, de 1
à 14, dans un classeur à anneaux. La Cour aurait
difficilement pu tirer des conclusions plus précises
et plus exactes que celles dont ont convenu les
parties. Voici le texte de cet exposé des faits:
[TRADUCTION] 1. La demanderesse est une société commer-
ciale constituée en vertu des lois de la province de la Colombie-
Britannique. Elle a été constituée en juillet 1981. Les motifs de
sa constitution ont été donnés à Revenu Canada. Pendant toute
la période en cause, la demanderesse fabriquait des produits de
finition appliqués au pinceau, notamment des vernis, des teintu-
res et des émails (pièce 1).
2. La demanderesse est un fabricant muni de licence en vertu
de la Loi sur la taxe d'accise (pièce 2).
3. Bien que la demanderesse ait essayé d'obtenir des comman-
des d'autres clients, tous les produits qu'elle fabrique, à l'excep-
tion de 2,000 gallons vendus à un autre client et représentant
moins de 2 % de sa production, ont été vendus à Flecto Coat
ings Ltd. (ci-après désignée »Flecto») (pièce 3).
4. La demanderesse versait tous les mois la taxe de vente
relative à toutes les ventes de ces produits, comme le prévoit
l'article 50 de la Loi sur la taxe d'accise. La taxe versée était
calculée en fonction du prix de vente du fabricant, conformé-
ment à l'article 27 de la Loi.
5. Flecto est le propriétaire exclusif de la demanderesse et,
d'août à décembre 1981 (période de fixation du prix raisonna-
ble) et par la suite, elle faisait affaire à titre de distributeur des
marchandises achetées de la demanderesse ainsi que d'autres
peintures semblables vendues en aérosol et fabriquées par des
tiers indépendants (pièce 4).
6. Avant la constitution de la demanderesse en 1981, Flecto
achetait la plus grande partie de ses produits appliqués au
pinceau en vertu d'un contrat avec Bate Chemical, Reichold
Chemical et KG Packaging, et achetait tous ses produits en
aérosol à KG Packaging. Après la constitution de la demande-
resse, celle-ci achetait tous ses produits en aérosol de Spray-On
(pièce 5).
7. Pendant plusieurs années, le ministre du Revenu national
(ci-après désigné »le Ministre») a considéré Flecto comme un
distributeur des produits appliqués au pinceau en cause, fabri-
qués par d'autres et vendus en vrac à Flecto. Le I»' janvier
1981, la Loi sur la taxe d'accise a été modifiée, notamment la
définition de fabrication marginale, de sorte que Flecto était
considérée par Revenu Canada comme un fabricant réputé et
payait la taxe de vente à ce titre, à l'égard des produits
appliqués au pinceau en cause.
8. Après la constitution de la demanderesse, Flecto achetait en
vertu d'un contrat écrit tous ces produits appliqués au pinceau
de la demanderesse, à un prix calculé selon la formule établie à
la pièce 6. Pendant les quatre mois en question, d'août à
décembre 1981 inclusivement, Flecto a acheté les produits en
cause de la demanderesse, à un prix équivalent au coût calculé
par la demanderesse et majoré de 25 %.
9. Pendant toute l'époque en cause, Flecto vendait à son to ,
tous ces produits qu'elle distribuait à cinq grossistes installés a
Canada.
10. Dans une lettre datée du 16 octobre 1981, la Directiorde
l'accise de Revenu Canada, pour la région du Pacifique, fa;ait
part à la demanderesse d'une proposition relative au prix
raisonnable aux fins de taxe» (pièce 7).
11. Dans une lettre datée du 5 mai 1982, Revenu Cnada
avisait la demanderesse du montant des taxes et des péialités
dues pour la période du I" août au 31 décembre 1981 (puce 8).
12. La demanderesse s'est opposée à ladite proposition relative
au prix raisonnable, par lettre en date du 14 mai 1982
(pièce 9).
13. La demanderesse a fait d'autres suggestions à 1a Direction
de l'accise de Revenu Canada, pour la région du Paci'ique, et
elle a reçu de la correspondance de cette dernière (pièce 10).
14. La demanderesse a eu la possibilité de présenter ses préten-
tions au Ministre, à l'égard de la proposition de fixation d'un
prix raisonnable, en vertu de l'article 34 de la Loi sur la taxe
d'accise; en effet, elle a fait de nombreuses allégations devant le
Ministre au sujet des concurrents (y compris les marchandises
importées), de la définition d'«activité économique» et des
paliers commerciaux (pièce 1 l ).
15. Agissant conformément à l'article 34 de la Loi sur la taxe
d'accise et sur la recommandation de son sous-ministre, le
Ministre a décidé, le 27 octobre 1983, que le «prix raisonnable»
des marchandises appliquées au pinceau, fabriquées par la
demanderesse et vendues à Flecto pendant la période d'août à
décembre 1981, était le prix de vente de Flecto aux grossistes,
moins les rabais ou déductions applicables, en conformité avec
les notes de service et autres politiques relatives à la taxe
d'accise. La décision du Ministre et ses motifs figurent à la
pièce 12.
16. Pour rendre sa décision, le Ministre n'a pas comparé les
prix de produits semblables vendus par d'autres fabricants au
Canada et n'a pas procédé à la vérification du coût des ventes,
de la marge sur coût d'achat et de la marge de profit de la
demanderesse. Le Ministre n'a pas cru bon de tenir compte du
calcul du prix de vente fait par la demanderesse, selon la
formule du coût majoré d'un taux de marge. Le Ministre a pris
en considération les chiffres et le volume de vente d'autres
fabricants, par rapport à ceux des distributeurs et à la détermi-
nation de l'existence de ces derniers.
17. Le Ministre a mené une enquête dans ce secteur d'activité
économique, à l'égard de l'existence d'un niveau des distribu-
teurs. La demanderesse n'a pas vu les résultats de cette enquête
même si elle a demandé à cette Cour d'y avoir accès, dans le
cadre de l'interrogatoire préalable. Le Ministre a jugé qu'il
s'agissait de raisons d'intérêt public déterminées, au sens de
l'article 36.1 de la Loi sur la preuve au Canada, ce que le juge
en chambre a accepté.
18. La fixation du prix raisonnable faite par le Ministre était
fondée sur la «justice fiscale» et avait pour but d'éviter un
«avantage inéquitable», au sein de ce secteur économique.
19. Même si le Ministre a pris connaissance de certains faits
relatifs à la période précédant et suivant la période de fixation
du prix raisonnable, il n'a pas cru bon d'en tenir compte. C'est
que le Ministre a jugé que [TRADUCTION] «la fixation du prix
raisonnable est fondée sur les conditions en vigueur durant la
période de fixation et non sur les conditions ou circonstances
passées ou futures».
20. Aucun règlement ne porte sur la délégation des pouvoirs du
Ministre en vertu de l'article 34 de la Loi. En l'espèce, le
Ministre a fixé lui-même le prix raisonnable en cause.
21. Le Ministre ne dispose d'aucune directive ou critère défini-
tif pour savoir ce dont il faut tenir compte en fixant un prix
raisonnable. Quant au palier commercial, le Ministre a cepen-
dant adopté un principe général portant que 15 % des ventes
d'un secteur d'activité économique doivent aller à un système
indépendant de distributeurs avant qu'on puisse considérer
qu'un niveau de distributeurs existe aux fins de la Loi sur la
taxe d'accise. Toutefois, puisque chaque cas est jugé selon les
faits, les 15 % prévus ne sont pas toujours nécessaires et dans
certains cas, 10 %, et même moins pour les indépendants,
peuvent être un taux représentatif, compte tenu de toutes les
conditions de concurrence (pièce 13).
22. Après avoir fixé le prix raisonnable susmentionné, la Direc
tion de l'accise au ministère du Revenu national, a informé la
demanderesse par écrit de la somme due pour la période d'août
à décembre 1981 et en a exigé le paiement (pièce 14).
23. Puisque la demanderesse a intenté des poursuites pour
contester la fixation du prix raisonnable en cause, le Ministre a
accepté de ne pas faire exécuter sa décision et aucune exécution
n'est en cours.
24. La demanderesse et le Ministre sont en désaccord sur les
faits relatifs au caractère de l'entreprise, sur ce qui constitue le
secteur d'activité économique en cause, les produits et les
emballages semblables, ainsi que sur les paliers commerciaux
de ces produits.
25. Depuis 1981, Flecto a continué d'acheter à la demanderesse
les produits appliqués au pinceau mais le Ministre n'a fait
aucune autre fixation de «prix raisonnable« à l'égard de la
période débutant le I" janvier 1982 jusqu'à nos jours, en
attendant l'issue du présent appel.
Par contraste avec le bon ordre de la présenta-
tion des pièces et des faits convenus par les parties,
les prétentions et questions soulevées par chaque
partie contre l'autre s'opposent dans les plaidoiries
modifiées, surtout la déclaration, comme un feu
nourri entre deux camps ennemis. Après avoir fait
appel à divers recours—injonction, certiorari et
déclarations—la demanderesse a judicieusement
procédé non pas par voie de requête, mais par une
procédure supérieure et moins sommaire, c'est-à-
dire une action au sens de la Règle 2 [Règles de la
Cour fédérale, C.R.C., chap. 663]. Selon la prati-
que établie devant cette Cour et la jurisprudence
pertinente, les injonctions et les déclarations ne
peuvent être demandées que dans le cadre d'une
action, et bien qu'un certiorari puisse être
demandé par une simple demande, il peut égale-
ment faire l'objet d'une action. Le paragraphe 22
de la déclaration modifiée et le paragraphe 10 de
la défense modifiée font mention de la question de
savoir si le Ministre peut être forcé d'agir par voie
de certiorari, en vertu de l'article 18 de la Loi sur
la Cour fédérale.
LA DÉCISION RENDUE PAR LE MINISTRE EN
VERTU DE L'ARTICLE 34 EST-ELLE SUSCEPTIBLE
D'EXAMEN JUDICIAIRE?
Il n'est pas nécessaire de recourir aux principes
énoncés dans l'arrêt Roncarelli v. Duplessis,
[1959] R.C.S. 121; 16 D.L.R. (2d) 689, cité par la
demanderesse, pour affirmer que le Ministre est
assujetti au contrôle judiciaire en l'espèce. Le pou-
voir «de fixer le prix raisonnable» conféré au
Ministre par l'article 34 assimile celui-ci à un
«office, commission ou autre tribunal fédéral»
défini à l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale,
parce que le Ministre est une «personne [...]
ayant, exerçant ou prétendant exercer une compé-
tence ou des pouvoirs conférés par une loi du
Parlement du Canada», c'est-à-dire la Loi sur la
taxe d'accise.
La première décision du Ministre en vertu de
l'article 34 est une question de jugement et n'em-
piète pas directement sur les droits, l'entreprise ou
les biens de qui que ce soit. Cette disposition
prévoit que le Ministre a le droit de juger si les
marchandises frappées de taxe sont vendues à un
prix inférieur au prix raisonnable sur lequel la taxe
devrait être imposée. Après avoir pris cette déci-
sion, le Ministre peut fixer le prix qu'il juge ou
jugerait raisonnable et (ce qui est prévu de façon
tacite) en informer le contribuable à qui le Parle-
ment ordonne alors de payer la taxe sur le prix
ainsi fixé. Lorsqu'il est question de la suprématie
du Parlement, on répète souvent qu'un parlement
souverain peut tout faire par loi, sauf transformer
un homme en femme et vice versa. En l'espèce, le
Parlement a pleine compétence en la matière et il a
décidé que, malgré le prix véritable auquel les
marchandises taxables sont vendues, le Ministre a
le pouvoir de juger de la situation et de fixer ipso
facto le prix raisonnable. Pendant toute la période
en cause, la Loi ne prévoyait aucun droit d'appel.
En outre, aucun règlement d'application de l'ar-
ticle 34 n'a été adopté.
Selon les avocats des deux parties, les tribunaux
n'ont traité de l'article 34 qu'une seule fois. Il
s'agit de l'affaire The King v. Noxzema Chemical
Company of Canada, Ltd., publiée en première
instance à [1941] R.C.É. 155; 2 DTC 519, et
[infirmée] en appel à [ 1942] R.C.S. 178; 2 DTC
542. À cette époque, l'article 34 actuel de la Loi
sur la taxe d'accise figurait presque textuellement
à l'article 98 de la Loi spéciale des revenus de
guerre [S.R.C. 1927, chap. 179 (mod. par S.C.
1932-33, chap. 50, art. 20)], interprété dans cette
affaire. Même si dans l'appel Noxzema, la déci-
sion unanime de la Cour suprême a été rendue
sous forme de deux opinions semblables, toutes
deux considéraient les pouvoirs du Ministre
comme purement administratifs. Dans les motifs
de la majorité, auxquels la minorité a souscrit, le
juge Kerwin a affirmé ce qui suit (aux pages 186
R.C.S.; 546 DTC):
[TRADUCTION] ... pour avoir compétence en vertu de l'article
98, il lui suffisait de décider que les marchandises étaient
vendues à un prix inférieur—non pas inférieur au juste prix du
marché ou compte tenu de l'existence ou de l'absence de
concurrence—mais inférieur à ce qu'il considérait comme le
prix raisonnable sur lequel la taxe devrait être imposée. Le
Parlement a confié au Ministre et non à la cour la tâche de
trancher cette question et de fixer le prix raisonnable sur lequel
la taxe devrait être imposée. À mon avis, l'article 98 confère au
Ministre une fonction administrative qu'il a exercée et qui ne
peut faire l'objet d'un appel.
Ajoutons qu'à cette époque, la décision administra
tive du Ministre n'était pas assujettie au contrôle
judiciaire.
Ce n'est plus le cas de nos jours. Une nouvelle
ère de contrôle judiciaire est entrée dans l'histoire
grâce aux décisions rendues par la Cour suprême
du Canada dans Nicholson c. Haldimand-Norfolk
Regional Board of Commissionners of Police,
[1979] 1 R.C.S. 311 et dans Martineau c. Comité
de discipline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1
R.C.S. 602. De plus, dans l'affaire Ministre du
Revenu national c. Kruger Inc., [1984] 2 C.F. 535,
le juge Pratte a affirmé ce qui suit au nom de la
majorité de la Cour d'appel fédérale (à la page
544):
La violation des règles de la justice naturelle (dans le cas de
décisions judiciaires ou quasi judiciaires) et le manque d'équité
dans les procédures (dans le cas de décisions administratives)
constituent simplement des motifs pour lesquels un certiorari
peut être accordé; il peut cependant y avoir lieu à certiorari
pour d'autres motifs qui ne tiennent pas compte du caractère
judiciaire ou administratif de la décision contestée, c'est-à-dire
le défaut de compétence et l'erreur de droit manifeste au
dossier. Dès qu'on accepte, comme il faut le faire depuis les
décisions de la Cour suprême du Canada dans les arrêts
Nicholson (précité) et Martineau (précité), que les décisions
purement administratives ne sont plus à l'abri des certiorari, il
en résulte, selon moi, que ces décisions peuvent être annulées
par voie de certiorari non seulement, dans les cas pertinents,
pour le manque d'équité dans les procédures, mais aussi pour le
défaut de compétence et la présence d'une erreur de droit
manifeste au dossier.
Je conclus donc que, contrairement à ce qui a été avancé
pour les appelants, le fait que l'autorisation accordée par le
Ministre était un acte purement administratif qui n'était pas
soumis aux règles de l'équité dans les procédures n'empêchait
pas la délivrance d'un certiorari.
Le juge dissident dans l'affaire Kruger partageait
l'opinion de la majorité sur cette question de droit;
il est donc évident que la Cour d'appel demeure
unanime à ce sujet. L'autorisation d'en appeler
devant la Cour suprême du Canada a été rejetée
([1985] 2 R.C.S. viii).
Par conséquent, la Cour conclut de nouveau que
la décision rendue par le Ministre dans l'exercice
d'une fonction purement administrative, conformé-
ment à l'article 34 de la Loi sur la taxe d'accise en
l'espèce, est bien assujettie au contrôle judiciaire et
peut être annulée par voie de certiorari, en vertu
de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale. Les
présents motifs sont prononcés en conséquence.
LE FAIT D'ACCORDER AU MINISTRE LES POUVOIRS
PRÉVUS À L'ARTICLE 34 CONSTITUE-T-IL UNE
DÉLÉGATION INCONSTITUTIONNELLE DU
POUVOIR DE LÉGIFÉRER?
Il semble que la demanderesse fasse appel au
vieux slogan honorable de la bourgeoisie «pas d'im-
pôts sans droit de vote», ce qui est parfaitement
concevable dans notre société libre et démocrati-
que. L'avocat de la demanderesse n'a pas employé
ces mots textuellement mais il s'est plaint de ce
que la Loi confère au Ministre le pouvoir illimité
d'assujettir à la taxe la demanderesse ou quicon-
que dans la même situation. (Transcription: pages
284 et 286.)
Il ne s'agit pas d'un cas de délégation indirecte,
où quelqu'un agit en vertu de règlements adoptés
par un autre qui est autorisé à le faire par le
Parlement. I1 s'agit plutôt de délégation directe
puisque la décision du Ministre au sujet du prix
véritablement demandé et sa fixation du prix rai-
sonnable sont des actes que le Parlement l'autorise
directement à faire, sans intermédiaire. C'est le
prototype même de la délégation. À partir de ce
genre de délégation est apparu le phénomène sui-
vant: lorsque les ministres sont devenus trop occu-
pés à cause du nombre croissant de lois portant
réglementation et adoptées par le Parlement ou
que les règlements sont devenus trop techniques ou
complexes, des lois plus sophistiquées ont été adop-
tées pour créer des tribunaux administratifs fonc-
tionnant conformément à des directives prévues
par la loi et à des règlements d'application.
Que ce soit dans Hodge v. Reg. (1883), 9 App.
Cas. 117 (P.C.), In re Gray (1918), 57 R.C.S. 150
ou Shannon v. Lower Mainland Dairy Products
Board; Attorney -General for British Columbia
(Intervening), [1938] A.C. 708 (P.C.), à la page
722, rien n'empêche le Parlement, sur le plan
constitutionnel ou juridique en général, de délé-
guer les pouvoirs purement administratifs définis à
l'article 34 de la Loi sur la taxe d'accise. Le fait
qu'il eut été opportun d'accompagner ce pouvoir
de directives ou de critères objectifs, de prévoir ou
de désigner un tribunal chargé de l'exercice de ces
pouvoirs ou de prévoir au moins un droit d'appel
sur le fond n'entache aucunement la constitution-
nalité de cette forme primitive de délégation de
pouvoirs.
La demanderesse prétend que la portée illimitée
du pouvoir conféré au Ministre équivaut à l'abdi-
cation ou à l'abandon de ce pouvoir par le Parle-
ment. Limité uniquement par le contrôle judiciaire
récemment établi par les tribunaux, le pouvoir a la
portée nécessaire. Après tout, cette délégation de
pouvoirs n'est aucunement teintée d'un caractère
d'urgence nationale ou autre. Il s'agit d'une délé-
gation assez ordinaire, prévoyant la perception ou
l'obtention d'un revenu. Il est vrai que depuis des
décennies, le Parlement laisse ce pouvoir aux diffé-
rents ministres qui se suivent à ce poste. Depuis
l'arrêt Noxzema, il semble qu'aucune autre déci-
sion n'ait été rendue sur la question; ce n'est pas
surprenant (transcription: page 182) puisque, tout
d'abord, les décisions du Ministre n'ont jamais été
assujetties à un appel (jusqu'aux modifications
adoptées cette année, soit après la période perti-
nente) et qu'ensuite, le contrôle judiciaire de ces
décisions n'a été rendu possible que récemment. Le
Ministre a un pouvoir indirect de perception des
taxes, mais un pouvoir direct de définition de
l'assiette fiscale.
Cette délégation de pouvoirs en vue de fixer ce
qui est peut-être un prix «raisonnable» tout à fait
fictif répond aux critères de la législation déléguée
mais, puisque le Ministre est un «office, commis
sion ou autre tribunal fédéral» dans l'exercice de
pouvoirs délégués par l'État fédéral, il doit faire
preuve de sa pleine compétence, sans en abuser,
d'équité et de respect du droit. Cependant, la
possibilité de contrôle judiciaire apportera peu de
réconfort aux contribuables dont la seule plainte,
tout de même importante, est que le Ministre a
tout simplement fait une erreur dans la fixation du
«prix raisonnable sur lequel la taxe devrait être
imposée.» Ce prix—fixé de cette façon très subjec-
tive—pourrait faire l'objet d'un appel sur le fond,
si la loi le prévoyait; mais le fait que le Ministre ait
«simplement» commis une erreur ne garantit pas
au contribuable un redressement par voie d'appel
substantif si le Ministre a exercé ses pouvoirs de
façon légale, comme d'habitude, et juste sur le
plan procédural.
Les comités des chambres du Parlement ne révi-
sent peut-être pas l'exercice par le Ministre de son
pouvoir délégué en vertu de l'article 34 de la Loi
sur la taxe d'accise aussi souvent ou régulièrement
qu'ils révisent le travail des organismes adminis-
tratifs indépendants; ils ne les révisent peut-être
même pas du tout. Néanmoins, la délégation pri
mitive et sans restrictions de pouvoirs en faveur du
Ministre est très semblable, sur le plan constitu-
tionnel ou juridique en général, aux délégations
précises et complexes qu'accorde le Parlement au
Conseil de la radiodiffusion et des télécommunica-
tions canadiennes ou à l'Office national de l'éner-
gie. Ces deux tribunaux sont assujettis au contrôle
judiciaire, en vertu de l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale, tandis que le contrôle judiciaire de
l'exercice du pouvoir par le Ministre est prévu à
l'article 18, mais ces deux délégations de pouvoirs
sont fondamentalement identiques. Il n'y a donc
rien d'illégal dans la délégation de pouvoirs prévue
à l'article 34 de la Loi sur la taxe d'accise, si
primitive soit-elle.
L'ARTICLE 34 CONTREVIENT-IL À LA CHARTE?
La demanderesse allègue également qu'il y a
dérogation à la Charte, notamment le préambule
et les articles 1, 7, 8, 12 et 26 de la Charte
canadienne des droits et libertés. De fait, l'étude
de ces dispositions dans l'ordre inverse représente
une certaine logique.
Article 26:
26. Le fait que la présente charte garantit certains droits et
libertés ne constitue pas une négation des autres droits ou
libertés qui existent au Canada.
À cet égard, Vanguard ne risque rien puisque les
brefs de prérogative, la possibilité d'intenter une
action en vue d'obtenir une déclaration, le contrôle
de la conduite du Ministre en l'espèce, entre autres
droits et libertés qui existaient au Canada avant la
proclamation de la Charte, existent toujours et ne
sont pas refusés à Vanguard dans les présentes.
Tous les droits ou libertés qu'elle prétend avoir
sont confirmés, mais cela ne donne toujours pas à
Vanguard un droit d'appel substantif puisque la
Cour ne peut adopter ce que le Parlement a mal-
heureusement refusé de prévoir, avant les modifi
cations récentes.
Article 12:
12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou
peine cruels et inusités.
Vanguard n'est certainement pas menacée de trai-
tements ou peine cruels et inusités. Tôt ou tard, si
elle ne paie pas les taxes imposées par suite de
l'augmentation de l'assiette fiscale que le Ministre
a fixée, elle sera probablement passible de la peine
habituellement imposée à toute société qui néglige
ou omet de payer la taxe d'accise. Cette possibilité
n'invalide pas l'article 34 de la Loi sur la taxe
d'accise. Vanguard ne subit pas non plus des trai-
tements cruels et inusités, ce qui de toute façon est
beaucoup plus restreint dans le cas d'une société
commerciale que dans le cas d'un particulier.
L'adjectif «cruels» peut difficilement s'appliquer
aux traitements ou peines imposés à une entité
fictive puisqu'il semble impliquer quelque chose
d'inhumain. En l'espèce, il n'y a aucune preuve de
traitements inusités à l'endroit de Vanguard.
Article 8:
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les
perquisitions ou les saisies abusives.
Vanguard prétend que l'article 34 a pour effet de
lui infliger une saisie abusive et qu'il contrevient
ainsi à son droit à la protection contre pareille
saisie. Puisque ce droit à la protection est garanti à
«chacun», il s'applique apparemment autant aux
sociétés commerciales qu'aux particuliers. C'est ce
qui a été décidé dans les affaires Balderstone v. R.;
Play -All Ltd. v. A.G. Man., [1983] 1 W.W.R. 72
(B.R. Man.), confirmée pour d'autres motifs par
[1983] 6 W.W.R. 438 (C.A. Man.), également
retenu par le juge Strayer de cette Cour dans
Smith, Kline & French Laboratories Limited c.
Procureur général du Canada, [1986] 1 C.F. 274
(1" inst.). Par conséquent, la demanderesse peut
faire appel à l'article 8 de la Charte dans la
mesure où il peut lui être utile.
Dans les faits, cela ne lui sert à rien. Ni le
Ministre défendeur ni aucun de ses fonctionnaires
n'ont encore puisé dans la caisse de la demande-
resse ou tenté de saisir les comptes bancaires de
celle-ci, avec ou sans autorisation des tribunaux.
La fixation d'un «prix raisonnable» en vertu de
l'article 34 de la Loi sur la taxe d'accise ressemble
assez à l'établissement d'une cotisation qui oblige
la demanderesse à payer de l'impôt sur le revenu,
pour que tous deux résistent ou succombent à la
protection «contre ... les saisies abusives». Par
conséquent, lorsque le Ministre juge que le revenu
imposable n'a pas été déclaré en entier, il peut
procéder à la vérification du contribuable, fixer le
montant véritable du revenu imposable et exiger le
paiement d'impôt sur le revenu qu'il considère
comme le montant véritable du revenu imposable.
Jusqu'à ce stade, auquel les parties sont arrivées en
l'espèce, même si le contribuable paie tout l'impôt
exigé, il n'y a pas de saisie au sens de l'article 8 de
la Charte.
Dans ce cas, il n'y a certainement pas de droit
d'appel sur le fond (du moins jusqu'à récemment),
comme c'est le cas en matière d'impôt sur le
revenu. L'avocat de Vanguard affirme que l'article
34 prévoit un pouvoir illimité [TRADUCTION] «de
retirer sans restriction les biens d'une personne ou
du moins la possibilité de le faire sans aucune
forme d'indemnisation ni aucune forme de contrôle
des lignes directrices objectives. Parce que l'apti-
tude de chacun à mener ses affaires dans ce genre
de situation serait clairement menacée».
L'absence d'un droit d'appel sur le fond (diffé-
rent du contrôle judiciaire qui, comme ci-haut
noté, est possible) ne suffit pas à faire annuler
l'article 34. La perception d'impôts ne constitue
pas une saisie, malgré ce que l'on peut en penser,
que ce soit sur le plan de l'humour ou de la fable.
Même les impôts fixés selon des taux équivalant à
une confiscation ne correspondent pas à l'article 8
de la Charte. Le paiement forcé de l'impôt fixé
peut évidemment impliquer une «saisie» au sens de
la Charte, notamment la saisie-arrêt ou la saisie-
exécution des biens d'une société. L'article 34
n'équivaut pas plus à une saisie que toute autre
disposition législative prévoyant que le Parlement
ou son délégué peut fixer un impôt et en exiger le
paiement.
Enfin, il faut souligner quelles formes de protec
tion ne sont pas garanties par l'article 8 de la
Charte. Il s'agit notamment de la protection contre
la confiscation, l'appropriation ou l'expropriation
abusives et, très certainement, l'imposition abu
sive. La protection contre les saisies abusives ne
comprend pas les protections des droits de pro-
priété susmentionnées. Par conséquent, l'article 8
de la Charte n'offre en soi aucun recours à
Vanguard.
Article 7:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor-
mité avec les principes de justice fondamentale.
Puisque ce droit ou ces droits sont conférés à
«chacun», Vanguard peut aussi recourir à l'article
7 de la Charte dans la mesure où il lui est utile.
Cette fois encore, cela ne lui servirait à rien.
L'article 34 de la Loi sur la taxe d'accise ne
porte sûrement pas atteinte «à la vie, à la liberté et
à la sécurité de sa personne», et encore moins dans
le cas d'une société commerciale. Aussi importants
et déplaisants que soient les impôts pour les contri-
buables en général et pour la demanderesse en
particulier, dans des circonstances normales
comme l'espèce, les impôts, malgré tous les efforts
cérébraux et l'énergie qui leur sont consacrés,
n'ont tout simplement pas la même importance
que la vie, la liberté et la sécurité d'une personne.
A cet égard, la Cour adopte et confirme ce qu'a
écrit le juge Strayer dans l'arrêt Smith, Kline &
French, précité (à la page 313 C.F.):
À mon avis, le fait d'associer les concepts de «vie ... liberté et
... sécurité de sa personne» en colore le sens et ils se rapportent
au bien-être physique d'une personne physique. Comme tels ils
ne permettent pas de décrire les droits d'une société ni de
décrire les intérêts purement économiques d'une personne phy
sique. On ne m'a cité aucune décision ou ouvrage de doctrine
qui m'obligerait à conclure autrement.
Le juge Strayer a ensuite ajouté aux pages 314 et
315 C.F.:
En interprétant ainsi les termes «liberté» et «sécurité de sa
personne», je fais mienne l'opinion exprimée par le juge Pratte
dans R. c. Operation Dismantle Inc., [1983] 1 C.F. 745 (C.A.),
à la page 752, selon laquelle ces termes visent le droit à la
liberté à l'encontre des arrestations ou détentions arbitraires,
opinion que j'ai également adoptée dans ma décision dans
l'affaire Le groupe des éleveurs de volailles de l'est de l'Onta-
rio c. Office canadien de commercialisation des poulets, [ 1985]
I C.F. 280; (1984), 14 D.L.R. (4th) 151 (1" inst.), à la page
323 C.F.; 181 D.L.R. Voir également au même effet, l'affaire
Alliance de la Fonction publique du Canada c. La Reine,
[1984] 2 C.F. 562; 11 D.L.R. (4th) 337 (1" inst.) (confirmée
par [1984] 2 C.F. 889; 11 D.L.R. (4th) 387 (C.A.) sans
mention de ce point); Re Becker and The Queen in right of
Alberta (1983), 148 D.L.R. (3d) 539 (C.A. Alb.), aux pages
544 et 545.
En ce qui a trait à l'argument selon lequel les droits de
propriété sont implicitement garantis par l'article 7, cette possi-
bilité est également exclue étant donné la manière dont j'ai
qualifié les termes «vie ... liberté et ... sécurité de sa per-
sonne». Bien qu'il puisse y avoir certaines situations dans
lesquelles l'article 7 pourrait protéger de façon accessoire le
droit de propriété d'un particulier, je ne vois pas de quelle
manière on pourrait prétendre que les droits de brevet d'un
inventeur ou d'une société multinationale titulaire de brevet
pourraient entrer en jeu de façon accessoire dans la protection
de l'intégrité physique d'une personne. En outre, il est notoire
qu'une modification qui visait précisément à inclure le terme
«propriété» dans les droits protégés par l'article 7 a été retirée
au cours de l'examen de la Charte par le Comité mixte
parlementaire sur la Constitution. Cela nous indique qu'à l'ori-
gine tout au moins l'article 7 n'était pas censé assurer la
protection du droit de propriété.
Comme j'en suis venu à la conclusion qu'aucun intérêt
protégé par l'article 7 n'est pertinent à la réclamation des
demandeurs en l'espèce, il n'est pas nécessaire que j'examine
s'il y a eu atteinte aux principes de la justice fondamentale.
De même, il est impossible de prétendre que les
droits d'un contribuable, qu'il s'agisse d'un parti-
culier ou d'une société, peuvent entrer en jeu dans
la protection de l'intégrité physique d'une per-
sonne. Par conséquent, aucun droit protégé par
l'article 7 de la Charte ne s'applique aux préten-
tions de Vanguard et la Cour n'est pas tenue de
déterminer s'il y a eu atteinte aux principes de
justice fondamentale.
Article 1:
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les
droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être res-
treints que par une règle de droit, dans des limites qui soient
raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le
cadre d'une société libre et démocratique.
Il n'est pas nécessaire que la Cour examine
l'article 1 puisqu'aucun des droits invoqués n'est
visé en l'espèce. Aucune limite n'est imposée aux
droits garantis puisqu'aucun de ces derniers ne
s'applique à la demanderesse.
Préambule:
Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui
reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit:
Cette déclaration a une portée plus grande que la
Charte elle-même. Il s'agit d'une description du
Canada reconnue par la Constitution. Tous les
aspects du droit public au Canada comprennent le
principe établi par le préambule de la Charte. Il a
une portée très large et n'est pas restreint aux
seules fins de la Charte. La suprématie de Dieu et
la primauté du droit sont mis sur le même piédes-
tal et sont également vénérés. Sur le plan constitu-
tionnel, cela rend le Canada plus religieux qu'il ne
l'était avant le 17 avril 1982 mais tout aussi imbu
de la primauté du droit.
Un autre des préambules originaux [celui de la
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap.
3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5] (mod.
par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de
1982, n° 1)] prévoyait que les provinces fondatrices
ont exprimé le désir «de s'unir en fédération pour
former un seul et même dominion sous la Cou-
ronne du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et
d'Irlande, avec une constitution reposant sur les
mêmes principes que celle du Royaume-Uni», ce
qui signifie que la primauté du droit, si bien
décrite par feu le professeur A. V. Dicey, c.r.,
existe de plein droit, et depuis le tout début, dans
notre Constitution. Nous examinerons la descrip
tion qu'en fait Dicey un peu plus loin.
L'article 26 de la Charte, déjà mentionné, donne
par sa nature même une description du Canada et
a une portée plus large que les droits et libertés
parmi lesquels il figure. L'article 26 confirme tous
les droits et libertés reconnus depuis longtemps par
le principe de la primauté du droit; par consé-
quent, l'article 26 réaffirme l'essence même du
préambule de la Charte.
Nous examinerons également l'importance des
droits et libertés qui existaient avant l'adoption de
la Charte ainsi que ceux qui n'y sont pas prévus.
L'ARTICLE 34 CONTREVIENT-IL AU PREMIER OU
AU DEUXIÈME ARTICLE DE LA DÉCLARATION
CANADIENNE DES DROITS?
Le préambule de la Déclaration canadienne des
droits [S.R.C. 1970, Appendice III] contient éga-
lement une description du Canada. Il reconnaît
aussi la suprématie de Dieu et la primauté du droit
(rendu ici par «règne du droit»). Cependant, en
l'espèce, Vanguard fonde ses arguments sur les
articles 1 et 2 de la Déclaration. Tout en recon-
naissant que l'article 34 de la Loi sur la taxe
d'accise a été adopté à des fins valables par un
Parlement agissant tout à fait dans les limites de
ses compétences, il faut déterminer quelles disposi
tions, le cas échéant, des articles 1 et 2 sont en jeu
dans les circonstances décrites par la demande-
resse.
Article 1:
t. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de
l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont
existé et continueront à exister pour tout individu au Canada
quels que soient sa race, son origine nationale, sa couleur, sa
religion ou son sexe:
a) le droit de l'individu à la vie, à la liberté, à la sécurité de la
personne ainsi qu'à la jouissance de ses biens, et le droit de ne
s'en voir privé que par l'application régulière de la loi;
b) le droit de l'individu à l'égalité devant la loi et à la
protection de la loi;
c) la liberté de religion;
d) la liberté de parole;
e) la liberté de réunion et d'association, et
f) la liberté de la presse.
De toute évidence, les alinéas c) à J) ne s'appli-
quent pas en l'espèce. L'alinéa a) garantit le droit
à la jouissance des biens, mais seulement en faveur
de «l'individu»; il est donc clair que le Parlement
n'avait pas l'intention de reconnaître ce droit aux
sociétés commerciales. Vanguard ne peut donc pas
invoquer l'article 1 de la Déclaration des droits en
l'espèce.
Article 2:
2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du
Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonob-
stant la Déclaration canadienne des droits, doit s'interpréter et
s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou
enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et
déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la
diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du
Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme
a) autorisant ou prononçant la détention, l'emprisonnement
ou l'exil arbitraires de qui que ce soit;
b) infligeant des peines ou traitements cruels et inusités, ou
comme en autorisant l'imposition;
c) privant une personne arrêtée ou détenue
(i) du droit d'être promptement informée des motifs de son
arrestation ou de sa détention,
(ii) du droit de retenir et constituer un avocat sans délai,
ou
(iii) du recours par voie d'habeas corpus pour qu'il soit
jugé de la validité de sa détention et que sa libération soit
ordonnée si la détention n'est pas légale;
d) autorisant une cour, un tribunal, une commission, un
office, un conseil ou une autre autorité à contraindre une
personne à témoigner si on lui refuse le secours d'un avocat,
la protection contre son propre témoignage ou l'exercice de
toute garantie d'ordre constitutionnel;
e) privant une personne du droit à une audition impartiale de
sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la
définition de ses droits et obligations;
f) privant une personne accusée d'un acte criminel du droit à
la présomption d'innocence jusqu'à ce que la preuve de sa
culpabilité ait été établie en conformité de la loi, après une
audition impartiale et publique de sa cause par un tribunal
indépendant et non préjugé, ou la privant sans juste cause du
droit à un cautionnement raisonnable; ou
g) privant une personne du droit à l'assistance d'un interprète
dans des procédures où elle est mise en cause ou est partie ou
témoin, devant une cour, une commission, un office, un
conseil ou autre tribunal, si elle ne comprend ou ne parle pas
la langue dans laquelle se déroulent ces procédures.
Seuls les alinéas b) et e) de l'article 2 de la
Déclaration des droits pourraient être applicables
aux circonstances de l'espèce. Nous avons déjà
examiné le texte de la Charte, très semblable à
celui de l'alinéa b), et jugé que l'imposition de
taxes, peu importe son impopularité, ne correspond
pas à l'imposition de «traitements inusités» et
encore moins de «peine cruelle» envers une société
commerciale. Compte tenu de cette conclusion,
cette disposition est également jugée inapplicable.
Dans le contexte des autres dispositions de l'arti-
cle, il semble que la «personne» mentionnée à
l'alinéa e) soit une personne physique, mais ce mot
peut également s'appliquer aux sociétés commer-
ciales souvent appelées «personnes morales».
Cependant, compte tenu des paragraphes 10 à 15
de l'exposé conjoint des faits, notamment le para-
graphe 14, et du fait que l'avocat de Vanguard a
reconnu que celle-ci ne se plaignait d'aucun traite-
ment injuste et que le Ministre lui avait donné
amplement la possibilité de présenter ses préten-
tions dans cette affaire (transcription: page 52), on
peut conclure aisément qu'en l'espèce, il n'y a pas
eu violation de l'alinéa 2e) ni d'aucune autre dispo
sition de la Déclaration canadienne des droits.
L'ARTICLE 34 CONTREVIENT-IL À CERTAINES
RESTRICTIONS CONSTITUTIONNELLES DU
POUVOIR DE CRÉATION D'IMPÔTS DU
PARLEMENT?
Les deux articles suivants figurent dans cette
partie de la Loi constitutionnelle de 1867 portant
sur la législation fiscale et la sanction royale:
53. Tout projet de loi ayant pour objet l'affectation d'une
portion quelconque du revenu public, ou la création de taxes ou
d'impôts, devra prendre naissance à la Chambre des communes.
54. Il ne sera pas loisible à la Chambre des communes
d'adopter une motion, résolution, adresse ou un projet de loi
pour l'affectation d'une partie du revenu public, ou d'une taxe
ou d'un impôt, à des fins non préalablement recommandées à la
Chambre par un message du gouverneur général pendant la
session au cours de laquelle une telle motion, résolution ou
adresse ou un tel projet de loi est proposé.
Comme nous l'avons déjà souligné, l'article 34
n'a pas pour effet d'autoriser directement le Minis-
tre à créer des taxes ou des impôts et en l'espèce, il
ne l'a pas fait. Sa décision de fixer un «prix
raisonnable» plus élevé que le prix réel prévu au
contrat et au paragraphe 8 de l'exposé conjoint des
faits a cependant obligé la demanderesse à payer
un montant plus élevé de taxe d'accise. Il est
certain que l'article 34 est rédigé de cette façon
afin de ne pas violer les articles 53 et 54 de la Loi
constitutionnelle de 1867. L'article 34 ne contre-
vient pas à la Constitution, même s'il a figuré,
intact, dans la Loi sur la taxe d'accise pendant
plusieurs sessions du Parlement, puisqu'il ne s'agit
pas d'un projet de loi ou d'une autre mesure
portant affectation du revenu public, ou d'une taxe
ou d'un impôt. Sur le plan théorique, l'article 34
ne fait que permettre au Ministre d'augmenter
l'assiette fiscale de la demanderesse, ce qui ne
diffère pas vraiment de l'établissement d'une coti-
sation d'impôt sur le revenu.
LA PRIMAUTÉ DU DROIT
Comme nous l'avons déjà dit, le préambule de la
partie I de la Loi constitutionnelle de 1982
[annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap.
11 (R.-U.)] prévoit que «le Canada est fondé sur
des principes qui reconnaissent la suprématie de
Dieu et la primauté du droit». Ce n'est pas le
hasard qui a placé cette description de la nature
fondamentale du Canada dans notre Constitution.
En lisant le Hansard et le Journal des débats, on se
rappellera que le premier libellé du préambule ne
faisait mention que de la suprématie de la pri-
mauté du droit. Après de vigoureuses discussions
menées par l'opposition, le gouvernement a accepté
le texte actuel du préambule. Tout au moins, tous
ont reconnu le principe de la primauté du droit dès
le début. La même affirmation relative à la supré-
matie de Dieu et à la primauté du droit figure au
premier préambule de la Déclaration canadienne
des droits.
Le principe de la primauté du droit nous vient
de la constitution du Royaume-Uni qui repose sur
les mêmes principes que la nôtre, selon le premier
préambule de la Loi constitutionnelle de 1867.
Pour connaître les principes et le contenu de la
notion de primauté du droit, il faut consulter une
source sûre ou un auteur reconnu. Comme nous
l'avons déjà dit, l'un de ces auteurs est A. V.
Dicey, c.r., docteur honoraire en droit civil, de
l'Inner Temple, anciennement professeur émérite
(Vinerian) de droit anglais, au Fellow of All Souls
College, à Oxford. Le professeur Dicey a écrit un
livre, toujours d'actualité, Introduction to The
Study of The Law of The Constitution, publié
pour la première fois en 1885, dixième édition en
1959 suivie de nombreuses rééditions, tout au
moins jusqu'en 1975, par MacMillan & Co. Ltd.
de Londres. Cet extrait de son ouvrage souvent cité
figure dans la partie II, The Rule of Law, et
comprend l'exposé de Dicey sur la nature et les
applications du principe de la primauté du droit,
au chapitre IV. Voici donc un extrait des pages
187à 199:
[TRADUCTION] Lorsque nous affirmons que la suprématie ou
la primauté du droit est une caractéristique de la constitution
britannique, nous incluons habituellement dans une seule
expression au moins trois concepts distincts bien que connexes.
Premièrement, personne ne peut être puni ou subir un préju-
dice corporel ou matériel, à moins qu'il n'ait violé de façon
certaine le droit établi habituellement devant les tribunaux
ordinaires du pays. Dans ce sens, la primauté du droit est
l'antithèse de tout régime fondé sur l'exercice de pouvoirs de
contrainte étendus, arbitraires ou discrétionnaires par les
autorités.
Cependant, même si l'on s'en tient à la situation actuelle de
l'Europe, nous constaterons bientôt que la «primauté du droit>,
même dans cette interprétation restreinte, est unique à l'Angle-
terre ou aux pays qui, comme les États-Unis d'Amérique, ont
hérité de traditions britanniques. Dans presque tous les autres
pays du continent, l'exécutif exerce des pouvoirs discrétionnai-
res beaucoup plus étendus, notamment en matière d'arrestation,
d'emprisonnement temporaire et d'expulsion de son territoire,
que les pouvoirs réclamés en droit ou effectivement exercés par
le gouvernement britannique; d'ailleurs l'étude de la politique
européenne rappelle aux lecteurs britanniques que le discrétion-
naire entraîne dans son sillage l'arbitraire et que, peu importe
qu'il s'agisse d'une république ou d'une monarchie, un gouver-
nement doté de pouvoirs discrétionnaires provoque toujours
l'insécurité chez les citoyens, sur le plan des libertés juridiques.
Cependant, si l'on s'en tient à l'Europe de nos jours (1908),
on peut dire que la plupart des pays européens reconnaissent la
primauté du droit presqu'autant qu'en Angleterre et que leurs
citoyens, du moins ceux qui ne se mêlent pas de politique, ont
peu à craindre, du gouvernement ou de qui que ce soit, dans la
mesure où ils respectent le droit. Il nous est donc difficile de
comprendre pourquoi les étrangers considèrent l'absence de
pouvoirs arbitraires de la Couronne, de l'exécutif et de toute
autre autorité en Angleterre, comme une caractéristique impor-
tante sinon essentielle de la Constitution anglaise'.
' «La liberté est le droit de faire tout ce que les lois
permettent; et si un citoyen pouvoit faire ce qu'elles défen-
dent, il n'auroit plus de liberté, parce que les autres auroient
tout de même ce pouvoir.»—Montesquieu, De l'esprit des lois
(1845), livre xi, chap. iii.
«Il y a aussi une nation dans le monde qui a pour objet
direct de sa constitution la liberté politique..—Ibid. chap. v.
Il s'agit de l'Angleterre.
Ce qui caractérise l'Angleterre n'est pas tellement la clémence
ou la magnanimité du régime anglais mais bien la légalité de
celui-ci. Lorsque Voltaire est venu en Angleterre—et Voltaire
représentait les opinions de son époque—il avait nettement
l'impression d'avoir quitté le royaume du despotisme pour un
pays où les lois étaient peut-être sévères mais où les hommes
étaient gouvernés par le droit et non au gré de simples
caprices.
Les circonstances qui contraignaient Voltaire à chercher
un refuge chez nos voisins devaient lui inspirer une grande
sympathie pour des institutions où il n'y avait nulle place à
l'arbitraire. 'La raison est libre ici et n'y connaît point de
contrainte.' On y respire un air plus généreux, l'on se sent au
milieu de citoyens qui n'ont pas tort de porter le front haut,
de marcher fièrement, sûrs qu'on n'eût pu toucher à un seul
cheveu de leur tête, et n'ayant à redoubter ni lettres de
cachet, ni captivité immotivée.—Desnoiresterres, Voltaire et
la Société au XVIIIième Siècle (2e éd., vol. i, 1871), p. 365.
Deuxièmement, la primauté du droit, caractéristique de notre
pays, signifie non seulement que personne n'est au-dessus du
droit mais (ce qui est différent) que tous les hommes, quel que
soit leur rang ou leur situation, sont assujettis au droit ordinaire
du royaume et peuvent être jugés devant les tribunaux
ordinaires.
En Angleterre, le concept d'égalité juridique, ou de l'assujet-
tissement universel de toutes les classes à un droit appliqué par
les tribunaux ordinaires, a été poussé à l'extrême limite. Chez
nous, tous les fonctionnaires, du premier ministre jusqu'aux
agents de police et aux percepteurs d'impôts, sont tout aussi
responsables de leurs actes illégaux que les autres citoyens. La
jurisprudence abonde d'exemples où des fonctionnaires ont été
cités devant les tribunaux et obligés à purger leur peine ou à
payer des dommages-intérêts, en leur propre nom, pour des
décisions prises dans l'exercice de leurs fonctions mais excédant
les limites de leurs pouvoirs ... Il est vrai que certaines
personnes, notamment les soldats ou les ministres de l'Église
officielle, sont assujetties, en Angleterre comme ailleurs, à des
lois qui ne touchent pas les autres citoyens, et peuvent parfois
être amenées devant des tribunaux qui n'ont aucune compé-
tence sur leurs concitoyens; c'est donc dire que ces personnes
sont dans une certaine mesure régies par ce que l'on pourrait
appeler le droit particulier aux officiers publics. Mais ce fait
n'est pas du tout incompatible avec le principe portant qu'en
Angleterre, tous sont soumis au droit du royaume, car même si
un soldat ou un ministre engage, en raison de son poste, une
responsabilité dont les autres sont dispensés, il n'est pas pour
autant (en général, du moins) libre des obligations du citoyen
ordinaire.
Il existe un troisième sens différent au principe de la pri-
mauté du droit, considéré comme particulier aux institutions
anglaises. On peut dire que la constitution est imprégnée du
principe de la primauté du droit parce que les principes géné-
raux de la constitution (par exemple, le droit à la liberté des
personnes ou le droit de réunion) résultent chez nous de la
jurisprudence;' .. .
3 Voir Calvin's Case (1608) 7 Co. Rep. la; Campbell v.
Hall (1774) Lofft. 655; K. & L. 487; Wilkes v. Wood (1763)
19 St. Tr. 1153; Mostyn v. Fabrigas (1774) 1 Cowp. 161.
Les déclarations du droit faites par le Parlement, comme la
Petition of Right et le Bill of Rights sont semblables à
certains égards aux décisions des tribunaux. [Lorsque l'au-
teur traite des principes généraux de la constitution dans ce
contexte, il est clair, d'après ses exemples, qu'il traite des
moyens de protéger les droits privés. La souveraineté du
Parlement ne tire pas son origine de la décision d'un tribunal
et l'indépendance des juges est prévue dans la loi depuis
l'adoption de l'Act of Settlement, 1701.—Note de l'éditeur.]
Ce n'est là qu'un aspect de ce que l'on semble prétendre en
affirmant actuellement, ce qui est inexact, que «la constitution
n'a pas été créée mais elle a `évolué'». Si l'on prend cette
affirmation littéralement, elle est tout à fait absurde. «Les
institutions politiques (même si l'on n'en tient pas compte
parfois) sont l'oeuvre des hommes à qui elles doivent leur
origine et leur existence. Les hommes ne se sont pas levés un
bon matin pour constater qu'elles avaient poussé pendant la
nuit. Elles ne sont pas non plus comme les arbres qui, une fois
plantés, continuent de croître pendant que les hommes dorment.
Elles sont ce qu'elles sont, à toutes les étapes de leur existence,
parce que l'homme l'a voulu ainsi.'»
' Mill, Considerations on Representative Government (3»
éd., 1865), p. 4.
... certaines constitutions, notamment celle de l'Angleterre,
n'ont pas été créées d'un seul coup et ne font pas du tout suite à
l'adoption de lois, au sens ordinaire de ces termes, mais bien à
des litiges portés devant les tribunaux pour faire reconnaître les
droits des personnes. Bref, notre constitution a été façonnée par
des juges et porte donc toutes les caractéristiques, bonnes et
mauvaises, du droit créé par les juges.
La constitution anglaise ne prévoit pas ces déclarations ou
définitions des droits si chères aux experts étrangers en droit
constitutionnel. De plus, comme vous pouvez le constater dans
la constitution anglaise, ces principes, à l'instar de toutes les
maximes énoncées par nos tribunaux, ne sont que des déclara-
tions générales faites à partir de décisions ou de dictas pronon-
cés par les juges ou de lois qui, adoptées pour répondre à des
besoins précis, ressemblent beaucoup à des décisions judiciaires,
et sont en fait des jugements prononcés par la Haute cour du
Parlement ... En Angleterre, le droit à la liberté des personnes
fait partie de la constitution, parce qu'il est garanti par la
jurisprudence, prolongée ou confirmée par la législation relative
à l'habeas corpus. S'il était souhaitable d'appliquer la logique
aux questions de droit, on pourrait décrire ainsi la différence à
cet égard entre la constitution de la Belgique et celle de
l'Angleterre, à savoir qu'en Belgique, les droits des personnes
sont des déductions tirées des principes de la constitution,
tandis qu'en Angleterre les soi-disant principes de la constitu
tion sont interprétés ou généralisés à partir de décisions précises
prononcées par les tribunaux en matière de droits des
personnes.
Il ne s'agit évidemment que d'une différence de forme. La
liberté est tout aussi bien garantie en Belgique qu'en Angle-
terre, et tant qu'il en sera ainsi, peu importe si les personnes ne
risquent aucune arrestation arbitraire parce que leur liberté est
garantie par la constitution ou parce que le droit à la liberté
personnelle, ou en d'autres termes la protection contre l'arresta-
tion arbitraire, fait partie de la constitution laquelle est recon-
nue dans le droit ordinaire du pays ... La plupart des auteurs
des constitutions étrangères ont fait précéder leur texte d'une
déclaration des droits. D'ailleurs, ils n'ont rien à se reprocher à
cet égard. Ils ont été souvent obligés d'agir ainsi par les
circonstances et par la conviction que l'établissement de princi-
pes généraux de droit relevait naturellement des législateurs.
Mais l'histoire démontre qu'en définissant ainsi les droits, les
rédacteurs de constitutions étrangers ont négligé de prévoir ce
qui est absolument nécessaire, à savoir les recours adéquats
pour l'application des droits qu'ils ont proclamés ... D'autre
part, toute la constitution anglaise est imprégnée des liens
indéfectibles qui existent entre les moyens d'application d'un
droit et le droit à appliquer, ce qui constitue la force des
législations faites par les juges. La maxime ubi jus ibi reme-
dium devient donc beaucoup plus qu'une simple tautologie.
Dans le contexte du droit constitutionnel, elle signifie que les
Anglais qui ont graduellement créé "ensemble complexe de lois
et d'institutions que nous appelons la constitution, ont accordé
beaucoup plus d'importance aux recours nécessaires pour l'ap-
plication de droits précis ou (ce qui est exactement la même
chose, mais à l'envers) pour éviter la commission d'actes répré-
hensibles, qu'à une déclaration des droits de l'homme ou du
citoyen anglais.
On peut donc conclure que l'article 34 de la Loi
sur la taxe d'accise n'est pas un modèle d'applica-
tion du principe de la primauté du droit. De fait, il
contrevient tellement à cette règle qu'il peut cer-
tainement être déclaré inconstitutionnel. Il confère
au Ministre des pouvoirs administratifs discrétion-
naires de nature arbitraire, sans aucune directive
ou ligne directrice, et la décision de ce dernier n'est
assujettie à aucune autre opinion objective comme
dans le cas d'un droit d'appel. Même si, en fait et
en théorie, l'article 34 ne viole pas les droits et
libertés spécifiquement proclamés par la Charte,
l'article 26 prévoit bien que ce document constitu-
tionnel ne constitue pas la seule source des droits
et libertés des Canadiens. La primauté du droit est
un principe fondamental de notre Constitution et
l'article 34 y contrevient.
Le principe de la primauté du droit existait dans
notre Constitution bien avant l'adoption de la
Charte. Par conséquent, des lois pouvaient très
bien déroger au principe de la primauté du droit
ou être tellement vagues, et c'est peut-être encore
vrai de nos jours, que les préposés de la Couronne
pouvaient en profiter sans mettre en jeu la Charte
ni la Déclaration des droits.
En fixant le «prix raisonnable» à l'encontre de
Vanguard, le Ministre lui a imposé un fardeau
fiscal considérable et ce, d'un seul trait de crayon.
Comme le Ministre n'était pas d'accord avec les
prétentions de Vanguard, celle-ci, ainsi que ses
actionnaires et ses administrateurs, fait face à un
véritable décret prononcé conformément à l'article
34 et prévoyant le «prix raisonnable sur lequel la
taxe devrait être imposée», en vertu de pouvoirs
détenus par une autorité unique qui n'est pas tout
à fait désintéressée et qu'on ne peut contredire. Le
Ministre dont la tâche est de percevoir les taxes
est-il seul à juger quelle «taxe devrait être impo
sée»? L'article 34 fait du Ministre un véritable
despote. Si cette disposition était aussi logique et
raisonnable que le prétend l'avocat du Ministre, le
Parlement aurait fort bien pu prévoir que tous les
Canadiens devraient dépendre de la décision d'un
fonctionnaire désigné se trouvant dans une situa
tion de conflit d'intérêts officiels des plus éviden-
tes, comme le ministre du Revenu national lors-
qu'il juge que les contribuables devraient verser
plus de deniers à la Couronne, en vertu de l'article
34 de la Loi sur la taxe d'accise.
Il a été allégué que le Ministre ne fait que fixer
«le prix raisonnable sur lequel la taxe devrait être
imposée», ce qui est assez inoffensif en soi. Le
Ministre ne perçoit pas vraiment la taxe. C'est
bien vrai en théorie, mais quel réconfort cela
apporte-t-il? Dans Morguard Properties Ltd. et
autres c. Ville de Winnipeg, [1983] 2 R.C.S. 493;
3 D.L.R. (4th) 1, le juge Estey, au nom de la Cour
suprême unanime, a affirmé ce qui suit (aux pages
511 R.C.S.; 15 D.L.R.):
En l'espèce, ce n'est pas l'évaluation qui impose directement le
fardeau fiscal ... cette distinction est sans conséquence prati-
que puisque c'est l'évaluation qui est à l'origine du processus et
augmente inévitablement le fardeau supporté par le contribua-
ble si l'évaluation est irrégulièrement augmentée.
Nous examinerons encore la méthode utilisée par
le Ministre pour fixer «le prix raisonnable», mais
disons tout de suite que le Ministre ne fixe jamais
le «prix raisonnable sur lequel la taxe devrait être
imposée» à un montant inférieur au prix demandé
par le contribuable. Le Ministre n'invoque jamais
l'article 34 pour réduire le fardeau fiscal du contri-
buable. Comme en l'espèce, il augmente toujours
ce fardeau. Nous déterminerons plus loin s'il l'a
augmenté de façon irrégulière.
I1 est également allégué que la simple absence
d'un droit d'appel de la décision définitive du
Ministre à l'égard du «prix raisonnable» ne rend
pas l'article 34 inconstitutionnel. La Chambre des
lords semble pourtant avoir considéré l'absence
d'un droit d'appel importante sur le plan constitu-
tionnel et, récemment, la Cour d'appel fédérale a
jugé que l'existence même d'un droit d'appel était
importante.
Dans Vestey v. Inland Revenue Comrs. (Nos. 1
and 2), [1980] A.C. 1148 (H.L.), lord Wilberforce
a exprimé l'opinion suivante, à laquelle la majorité
a souscrit:
(à la page 1171)
[TRADUCTION] Le service du revenu prétend que dans un cas
semblable, il a des pouvoirs discrétionnaires qui lui permettent
de cotiser un, plusieurs ou tous les contribuables de la façon
qu'il juge appropriée; il ajoute que ce pouvoir discrétionnaire
est restreint d'une seule façon, à savoir que le revenu total (des
fiduciaires étrangers) ne peut être cotisé plus d'une fois. Voilà
une prétention remarquable. Examinons d'abord quelles en
seraient les conséquences, si elle était retenue.
(I) Le service du revenu pourrait choisir un ou plusieurs
bénéficiaires aux fins d'imposition, et délaisser les autres.
(2) Le service du revenu pourrait diviser l'impôt entre plu-
sieurs bénéficiaires, selon la méthode qu'il juge appropriée—et
ce, sans aucune possibilité d'appel, puisqu'aucun recours n'est
rp evu•
(3) L'assujettissement de chaque bénéficiaire peut dépendre
du moment où le service du revenu choisit d'établir sa
cotisation.
(à la page 1172)
(4) Le service du revenu a le droit de poursuivre le régime
discrétionnaire de cotisation tant que le règlement est en
vigueur. Il peut garder le système actuel ou le changer: il peut
tenir compte ou non des changements de situation (par exem-
ple, l'entrée en scène de nouveaux participants dans la catégo-
rie, ou de nouveaux récipiendaires). Aucun bénéficiaire ne peut
mettre en doute sa décision.
Voilà certaines des conséquences qu'aurait la prétention du
service du revenu, si elle était appliquée à cette affaire et à ces
bénéficiaires: elles sont assez affolantes. Mais ce concept sou-
lève des objections de principe encore plus fondamentales.
Le Parlement impose des taxes aux citoyens. Un citoyen ne
peut être tenu d'acquitter des taxes que s'il est clairement
désigné à titre de contribuable dans une loi portant imposition
et si le montant qu'il doit payer est clairement défini.
Un régime prévoyant qu'un organisme administratif devrait
déterminer si un contribuable doit ou non être assujetti à des
taxes—et le cas échéant, le montant qu'il doit payer (même
dans des limites déjà fixées)—représente une dérogation impor-
tante aux principes constitutionnels. Le service du revenu pour-
rait peut-être persuader le Parlement d'adopter un tel régime,
dont les termes mêmes obligeraient les tribunaux à l'appliquer;
cependant, à moins qu'il ne le fasse, les tribunaux ne devraient
ni ne pourraient le valider, selon les principes constitutionnels
établis. [Non souligné dans le texte original.]
Voici ce qu'a affirmé le juge Pratte dans l'arrêt
Krag-Hansen, S. et autre c. La Reine (1986), 86
DTC 6122, la page 6123, au nom de la Cour
d'appel fédérale unanime:
Pour répondre à ces arguments, il n'est pas nécessaire de
statuer sur la prétention des appelants selon laquelle l'assujet-
tissement fiscal à un taux supérieur porte atteinte à la liberté
du contribuable au sens de l'article 7 de la Charte, pas plus
qu'il n'est nécessaire de décider si le caractère certain de la
règle de droit est un élément nécessaire de la justice fondamen-
tale. De fait, même si ces deux questions étaient tranchées en
faveur des appelants, leur appel devrait quand même être rejeté
puisque, selon nous, l'alinéa 247(2)a) ne souffre pas d'impréci-
sion et le paragraphe 247(3) fournit au contribuable la possibi-
lité de contester pleinement la décision du Ministre. [Non
souligné dans le texte original.]
Il semble donc qu'il soit important, sur le plan
constitutionnel, de prévoir un droit d'appel, comme
ce l'est nécessairement selon le principe de la
primauté du droit, afin de restreindre l'exercice de
pouvoirs discrétionnaires autocratiques comme
ceux conférés au Ministre en vertu de l'article 34
de la Loi.
L'avocat du Ministre ne prétend pas que
l'article 34 est fondé sur un principe semblable à
l'urgence nationale, au règlement expéditif de
questions relatives à la discipline dans l'armée ou
dans les pénitenciers ou à la sécurité d'État. Même
ce genre de considération ne réussit pas toujours à
prévaloir sur l'élément essentiel de notre Constitu
tion qu'est la primauté du droit.
L'article 34 de la Loi sur la taxe d'accise est
tellement contraire à la primauté du droit qu'il est
facile de le déclarer inconstitutionnel. Si ce n'était
de la suprématie du pouvoir de législation du
Parlement dans son champ de compétence, il serait
tout aussi facile de déclarer l'article 34 nul de
nullité absolue. La Cour discutera incessamment
dans quelle mesure elle pourra donner effet à cet
article, mais elle tient à souligner que, selon les
principes constitutionnels, elle ne peut valider l'ar-
ticle 34, ce qu'elle ne fait pas d'ailleurs.
INCERTITUDE VAGUE ET INTERPRÉTATION
STRICTE
Même si la Cour ne peut ni ne veut confirmer la
validité constitutionnelle de l'article 34 de la Loi,
elle n'a pas compétence pour juger cette disposi-
tion, ou tout autre texte législatif, nulle pour seule
cause d'incertitude, s'il ne s'agit pas d'une question
d'application de la Charte. Les avocats de la
demanderesse ont submergé la Cour d'une juris
prudence considérable qui tend à démontrer que
les règlements municipaux et autres textes régle-
mentaires peuvent de fait être annulés pour cause
d'incertitude. Dans le contexte actuel, cette juris
prudence doit tout simplement être laissée de côté.
Dans R. v. Morgentaler et al. (1985), 17 C.R.R.
223, la Cour d'appel de l'Ontario a affirmé ce qui
suit (aux pages 257 et 258): [TRADUCTION]
«L'avocat n'a pu soumettre à la Cour aucune
jurisprudence ou doctrine portant qu'une loi était
nulle pour cause d'incertitude.» En l'espèce, l'avo-
cat de la demanderesse a candidement reconnu que
ni lui ni ses adjoints [TRADUCTION] «n'ont pu
trouver de jurisprudence en common law anglais
où un tribunal a rendu la décision que la demande-
resse demande à cette Cour de rendre, c'est-à-dire
conclure qu'une disposition devrait être jugée nulle
parce qu'elle est plutôt vague». (Transcription:
page 448.)
Il est certain que l'article 34 est plutôt vague si
on le compare aux normes habituelles en matière
d'imposition. Par exemple, il ne prévoit pas la
période pendant laquelle le Ministre peut juger
que les «marchandises frappées de taxe ... sont
vendues à un prix ... inférieur au prix raisonnable
sur lequel la taxe devrait être imposée». N'y a-t-il
absolument aucune limite au temps dont dispose le
Ministre pour décrocher, à son gré, des revenus
d'impôt additionnels? En revanche, puisque l'arti-
cle 34 prévoit que «lorsque des marchandises ...
sont vendues», et non «lorsque des marchandises
... ont été vendues» ou «lorsque des marchandises
... ont été et sont vendues», peut-être ne peut-il
être appliqué, comme la demanderesse le prétend,
que pour le présent et l'avenir, et non pour le
passé. On pourrait facilement conclure que l'arti-
cle 34 restreint en soi les pouvoirs du Ministre au
présent et à l'avenir, à partir du jour où le Ministre
fait connaître sa décision selon laquelle les mar-
chandises sont vendues à un prix «inférieur au prix
raisonnable sur lequel la taxe devrait être impo
sée». Sa décision ne devrait pas être applicable
rétroactivement à partir du jour où le contribuable
a commencé à vendre les marchandises frappées de
taxe, uniquement parce qu'il désirait augmenter
ses revenus fiscaux.
Même si cette disposition législative ne peut être
jugée nulle pour seule cause d'incertitude, elle doit
néanmoins être interprétée strictement de façon à
ce que le contribuable bénéficie de toute ambiguité
réelle. Voici ce qu'a affirmé le juge Estey dans
l'arrêt Morguard (précité), toujours aux pages 511
R.C.S.; 15 D.L.R.:
... je suis d'avis d'appliquer une des règles les plus anciennes
d'interprétation des lois suivies par les tribunaux dans l'applica-
tion des lois du pays, savoir qu'une loi qui impose un fardeau
fiscal doit le faire clairement, sinon le contribuable qui la
conteste n'est pas soumis à l'application du régime fiscal.
Si le Ministre a outrepassé ses pouvoirs, mal appli-
qué la Loi ou agi de façon injuste, il conviendrait
d'annuler sa décision relative au «prix raisonnable
sur lequel la taxe devrait être imposée».
EXERCICE JUSTE ET LÉGAL DES POUVOIRS
DÉLÉGUÉS?
Le seul témoin cité au procès est venu expliquer
la façon dont le Ministre a exercé en l'espèce les
pouvoirs que lui confère l'article 34. Ce témoin
doit être considéré comme compétent, puisqu'il
s'agit de Philippe Claude Hannan, directeur,
Législation et politiques, Direction de l'accise, au
ministère du Revenu national. M. Hannan a décrit
comment le Ministre formulait sa décision selon
laquelle les «marchandises ... sont vendues à un
prix ... inférieur au prix raisonnable sur lequel la
taxe devrait être imposée», ainsi que l'expression et
l'exercice du «pouvoir de fixer le prix raisonnable»
du Ministre. M. Hannan a produit la copie d'un
document interne du Ministère, intitulé «Lignes
directrices régissant les cas de prix raisonnable, en
vertu de l'article 34 de la Loi sur la taxe d'accise»
et daté du ler mai 1981. Ce document a été déposé
en preuve comme pièce 15.
Après avoir lu la pièce 15, il semble que ses
auteurs s'intéressaient plus à l'application de la
Loi sur la concurrence [S.C. 1986, chap. 26, Partie
II] qu'à celle de la Loi sur la taxe d'accise. Voici
pour exemple ce passage de la section «Comment
identifier les cas de prix raisonnable», à la page 6:
La question du prix raisonnable est de celles qui se posent
constamment, que les ventes soient consenties ou non à des
clients affiliés ou indépendants. Il peut se faire, par exemple,
qu'un fabricant décide simplement de commercialiser son pro-
duit à un prix sacrifié pendant un temps déterminé à seule fin
de perturber le marché et de gêner ainsi ses concurrents.
Figurent ensuite, à la pièce 15, des exemples
démontrant que «certains facteurs permettent de
dire que le prix de vente paraît suspect et nous
devons y attacher une importance particulière».
— le fabricant vend ses produits à un seul client exclusivement
ou presque exclusivement;
— le fabricant et son client sont mutuellement engagés par des
obligations contractuelles;
— le fabricant et son client sont interdépendants, affiliés ou
associés, ou bien l'un est une filiale de l'autre, encore que ces
rapports existant entre le fabricant et son client ne soient pas
de nature à créer, per se, un problème de prix raisonnable;
— le client ne joue pas un rôle normal dans la chaîne de
commercialisation;
— le client opère à un palier commercial peu courant dans cette
activité économique et sa présence ne sert apparemment qu'à
réaliser une vente à un tarif inférieur à l'égard de la taxe;
— le prix de vente semble trop bas par rapport à la valeur du
marché ou par rapport aux coûts;
— le prix n'inclut pas les indices qui jouent habituellement sur
les coûts et les bénéfices, ce qui se produit quand le client
met gratuitement à la disposition du fabricant son usine ou
ses machines ou qu'il lui assure un concours financier sans en
calculer les intérêts;
— un acheteur étranger ne détenant pas de licence possède
certains droits sur des marchandises fabriquées et vendues au
Canada.
Selon M. Hannan, le Ministre et tous ceux qui
le conseillent dans ces affaires de «prix raisonna-
ble» se concentrent surtout sur les liens existant
entre les parties et non sur la valeur réelle en
dollars du prix qui, «de l'avis du Ministre, est
inférieur au prix raisonnable sur lequel la taxe
devrait être imposée». (Transcription: pages 110,
111, 118 et 120.) On procède à des sondages sur
les méthodes de commercialisation employées par
les concurrents du contribuable—autre source
réelle ou potentielle de conflit d'intérêts—tout en
conservant la confidentialité des réponses obte-
nues. (Transcription: pages 173 180.) Dans ce
contexte, M. Hannan a affirmé sous serment que
les activités du Ministre ne pénalisent pas injuste-
ment le fabricant très compétent par rapport à ses
concurrents (transcription: pages 109 111), mais
il n'a jamais expliqué clairement comment ni pour-
quoi cette conduite ne punissait pas les contribua-
bles compétents. De fait, comme s'il s'agissait
d'une réponse, M. Hannan a déclaré énergique-
ment ce qui suit:
[TRADUCTION] C'est pourquoi nous n'examinons pas les prix
individuels demandés par différentes personnes. Nous exami-
nons les liens qui existent entre les niveaux commerciaux.
[Transcription: page 1101
et:
[TRADUCTION] NOUS n'examinons pas le prix de vente réel ...
Nous n'examinons pas le prix exact en dollars. Nous tenons
compte des liens existant entre les différents niveaux. [Trans-
cription: page 11l.]
L'application de l'article 34 présente de trop
nombreuses aberrations (transcription: pages 208 à
211, par exemple), toutes survenues sous la respon-
sabilité du Ministre, pour que la Cour les étudie et
les décrive individuellement. La plupart tirent leur
origine des pouvoirs autocratiques conférés au
Ministre, sans aucune directive, contrairement aux
principes de la primauté du droit.
Il faut tenir compte d'un autre facteur. En ne
prenant pas en considération la composition moné-
taire du prix de vente de la demanderesse en
dollars et en ne s'attardant qu'aux liens existant
entre la demanderesse et Flecto, le Ministre
semble conclure qu'il n'y a pas eu de véritable
transaction de vente entre Vanguard et Flecto.
Évidemment, s'il devait faire cette affirmation et si
celle-ci s'avérait exacte, la condition essentielle à
sa fixation du prix raisonnable serait inexistante.
On retrouve ce prérequis dans le texte de l'article:
«Lorsque des marchandises frappées de taxe .
sont vendues à un prix». S'il n'y a pas eu de ventes
véritables entre Vanguard et Flecto, comme le
prévoit nécessairement l'article 34, il n'y aurait pas
lieu pour le Ministre de «fixer le prix raisonnable».
Il s'ensuit inévitablement que l'article 34 vise l'élé-
ment des coûts, en dollars, dans la composition des
prix de vente. Il ne s'agit pas uniquement d'une
question de liens.
Tout bien considéré, d'après les pièces déposées
en preuve et le témoignage de M. Hannan, il
semble que le Ministre met en doute sa propre
compétence en commettant constamment une
erreur de droit, dans l'exercice de ses fonctions en
vertu de l'article 34. Il se pose la mauvaise ques
tion et évite obstinément la bonne question et la
bonne façon d'exercer des pouvoirs administratifs.
Afin de déterminer «le prix raisonnable sur
lequel la taxe devrait être imposée» et de «fixer le
prix raisonnable», le Ministre doit connaître les
éléments du prix et ce qui en constitue l'expression
finale, en dollars. Les comptables s'amusent dans
les petits détails complexes des structures de prix,
mais disons tout simplement que pour déterminer
si un prix est trop bas et fixer le prix raisonnable, il
faut tenir compte au moins des coûts en capital, de
l'amortissement, du coût de la main-d'œuvre et des
matériaux ainsi que des marges de profit et d'effi-
cacité comparées du fabricant. Il s'agit de ques
tions de dollars auxquelles le Ministre ne semble
guère s'intéresser, selon le témoignage de M.
Hannan, dans l'exercice de ses pouvoirs en vertu
de l'article 34.
Cette disposition donne au Ministre le pouvoir
de prendre des décisions relatives aux prix de vente
et de fixer les prix raisonnables, et non de fixer les
prix raisonnables en se fondant sur les liens com-
merciaux. Il est préférable qu'il en soit ainsi, puis-
que, peu importe les liens juridiques ou commer-
ciaux les plus étroits, le prix établi entre les parties
peut très bien être au même niveau que celui qui a
cours entre des étrangers. Dans les faits, le Minis-
tre rejette sa véritable fonction et ses pouvoirs
conférés par l'article 34 et tire plutôt, en l'espèce
du moins, des conclusions injustifiées, fondées non
sur la valeur en dollars utilisée pour fixer le prix
des marchandises de la demanderesse, mais bien
sur les liens existant entre les partenaires commer-
ciaux. Lorsque Flecto, société mère de la deman-
deresse, est devenue le seul distributeur sur le
marché, le Ministre a fixé de façon autocratique et
arbitraire le prix «raisonnable», en se fondant sur
les liens existant entre les deux.
La conduite du Ministre a tellement outrepassé
le but réel de l'article 34 et, par conséquent son
pouvoir d'imposer un fardeau fiscal plus important
à Vanguard, que sa soi-disant fixation du prix
raisonnable présumé doit être annulée. Cette fixa
tion est donc annulée, ce qui signifie également
que la demanderesse a payé ses taxes. Mais cette
affirmation est également motivée par un autre
facteur; il s'agit de l'interprétation stricte des lois
fiscales.
L'ARTICLE 34 ET LES AUTRES DISPOSITIONS DE LA
LOI SUR LA TAXE D'ACCISE ONT-ILS POUR EFFET
D'OBLIGER LA DEMANDERESSE À PAYER LES
TAXES EXIGÉES PAR LE MINISTRE?
L'article 34 se termine par: «et le contribuable
doit payer la taxe sur le prix ainsi fixé». Cepen-
dant, la Loi est incohérente et obscure lorsqu'il
s'agit de déterminer le moment, le cas échéant, où
ces taxes fixées en vertu de l'article 34 doivent être
payées. De fait, aucun délai précis n'est établi.
L'article 27 [mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap.
68, art. 10] prévoit ce qui suit:
27. (1) Est imposée, prélevée et perçue une taxe de consom-
mation ou de vente ... sur le prix de vente de toutes
marchandises
a) produites ou fabriquées au Canada,
(i) payable, dans tout cas autre que celui mentionné au
sous-alinéa (ii) ou (iii), par le producteur ou fabricant à
l'époque où les marchandises sont livrées à l'acheteur ou à
l'époque où la propriété des marchandises est transmise, en
choisissant celle de ces dates qui est antérieure à l'autre,
(ii) payable, dans un cas où le contrat de vente des
marchandises (y compris un contrat de location-vente et
tout autre contrat en vertu duquel la propriété des mar-
chandises est transmise dès qu'il est satisfait à une condi
tion) stipule que le prix de vente ou autre contrepartie doit
être payé au fabricant ou producteur par versements (que,
d'après le contrat, les marchandises doivent être livrées ou
que la propriété des marchandises doive être transmise
avant ou après le paiement d'une partie ou de la totalité
des versements), par le producteur ou le fabricant pro
tanto à l'époque où chacun des versements devient exigible
en conformité des conditions du contrat, et
(iii) payable, dans un cas où les marchandises sont desti
nées à l'usage du producteur ou du fabricant, par le
producteur ou le fabricant à l'époque où il affecte les
marchandises à son usage; [Non souligné dans le texte
original.]
Le Parlement n'a prévu aucun délai dans cette
disposition pour le versement des taxes établies par
suite de la décision du ministre en vertu de l'article
34. Mais M. Hannan a affirmé que le Ministre
adopte la méthode de paiement au dernier jour du
mois suivant, par l'application de l'article 50 [mod.
par S.C. 1977-78, chap. 42, art. 101 dont voici les
dispositions les plus pertinentes:
50. (1) Toute personne tenue, en raison ou en conformité des
Parties III, IV ou V, de payer des taxes [l'article 34 figure dans
la Partie VI] doit produire chaque mois une déclaration véridi-
que de ses ventes taxables effectuées pendant le mois précédent;
cette déclaration doit contenir les renseignements et être en la
forme que prescrivent les règlements. [Aucun règlement n'a été
adopté en vertu de l'article 34.]
(3) La déclaration requise par le présent article doit être
produite et la taxe exigible doit être versée
a) dans le cas où la déclaration doit être produite conformé-
ment aux paragraphes (1) ou (2), au plus tard le dernier jour
du mois qui suit celui pendant lequel les ventes ont été faites;
[Non souligné dans le texte original.]
Il est évident que, malgré la politique et les prati-
ques du Ministère, les dispositions susmentionnées
ainsi que les autres dispositions de l'article 50 ne
sont pas applicables au versement de taxe prévu à
l'article 34 et ce, pour différentes raisons. L'article
34 fonctionne tout simplement en dehors des limi-
tes habituelles quant à l'établissement de l'exigibi-
lité des taxes.
La Cour a été saisie d'une situation semblable
au début de la décennie et, tout comme par la suite
dans l'affaire Morguard et conformément à une
jurisprudence considérable en ce sens, tant la Divi
sion de première instance que la Cour d'appel
fédérale ont appliqué cette règle d'interprétation
des lois selon laquelle une loi qui porte imposition
doit le faire clairement, sinon le contribuable qui
la conteste n'est pas soumis à l'application du
régime fiscal. Cette autre affaire est citée sous les
deux intitulés suivants: British Columbia Railway
Company c. R., [1979] 2 C.F. 122 (lre inst., le juge
Collier); (1978), 79 DTC 5020 et R. c. British
Columbia Railway Co., [1981] 2 C.F. 783; 81
DTC 5089 (C.A.) [confirmant [1979] 2 C.F. 122].
Dans l'affaire B.C. Railway, il s'agissait d'une
disposition prévoyant que le Ministre pouvait fixer
la valeur sur laquelle la taxe était imposée et que
le contribuable était apparemment tenu de la
payer. Le juge Collier a cité les parties pertinentes
des articles 27 et 28, les a interprétées de façon
stricte puis large, et a ensuite affirmé ce qui suit
aux pages 132 C.F.; 5025 DTC:
Il s'ensuit que les dispositions législatives existantes ne per-
mettent pas au fabricant ou au producteur de savoir quand la
taxe sera payable. On peut avec autant de vraisemblance
prétendre que la vente présumée a lieu lorsque les traverses de
chemins de fer sont stockées une fois traitées et non au moment
où elles sont utilisées. Les traverses peuvent ne pas être utili
sées, c'est-à-dire consommées, pendant des mois voire des
années. Elles peuvent prendre ou perdre de la valeur avec le
temps. Le contribuable doit, à mon avis, connaître le moment
où la taxe devient payable. Il peut alors se soumettre à ses
obligations légales ou les exécuter. Ici il y a une faille ou une
omission.
Enfin, c'est «après beaucoup d'hésitation», que le
juge Collier a donné cette réponse formelle à la
question de droit en litige aux pages 133 et 134
C.F.; 5026 DTC:
La Loi sur la taxe d'accise ne précise pas l'époque où la taxe
de vente ou de consommation était payable pour les traverses de
chemins de fer de la demanderesse. La demanderesse n'est pas
obligée au paiement de la taxe de vente ou de consommation
demandé par le ministre du Revenu national par les cotisations
énoncées au paragraphe 3 de la déclaration.
Pour la cour d'appel, le juge Urie a prononcé
l'opinion majoritaire, à laquelle le juge Heald a
souscrit, adoptant et confirmant les motifs du juge
Collier.
En l'espèce, Vanguard n'est pas tenue de payer
les taxes en cause, établies par suite de la fixation
du «prix raisonnable» par le Ministre, en vertu de
l'article 34 de la Loi. La demanderesse a droit à
tous les frais taxables entre parties.
Par suite de la promulgation du projet de loi
C-80 [S.C. 1986, chap. 9] l'été dernier, les tribu-
naux ne devraient plus être saisis de violation
constitutionnelle de la primauté du droit comme
celle que prévoyait l'article 34. Toutes les parties
concernées doivent s'en réjouir. L'article 34 n'est
pas une disposition législative digne d'un peuple
libre, dans quelque domaine que ce soit, et sa
disparition laissera peu de mécontents.
Conformément à la Règle 337(2)b), les avocats
de la demanderesse doivent rédiger un projet de
jugement approprié pour donner effet à la décision
de la Cour en l'espèce. Ils tenteront d'obtenir le
consentement préalable des avocats du défendeur,
à l'égard de la forme du jugement, sinon du con-
tenu, et la demanderesse pourra ensuite demander
que ce jugement soit prononcé. Si les avocats
respectifs des parties ne peuvent s'entendre sur une
forme efficace de jugement, ils pourront intervenir
oralement devant le tribunal.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.