Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-2201-86
Uniroyal Ltd. (requérante) c.
Registraire des marques de commerce et Sanex Inc. (intimés)
RÉPERTORIÉ: UNIROYAL LTD. C. CANADA (REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE)
Division de première instance, juge Rouleau— Toronto, 20 octobre; Ottawa, 10 novembre 1986.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Certiorari Demande pour annuler une décision du registraire qui a accordé l'enregistrement de la marque «No -Gro» La proro- gation de délai pour présenter une opposition est refusée, la demande a été déposée dans les délais auprès du registraire mais elle n'a pas été portée à l'attention du président de la Commission des oppositions avant que la demande de «No -Gro» n'ait été accordée La décision du registraire était administrative Devoir d'agir équitablement La Cour doit annuler la décision lorsque des faits sont oubliés, lorsqu'il y a une erreur qui ressort au vu du dossier ou lorsqu'il existe une irrégularité dans la procédure qui a une influence sur la décision finale Certiorari et mandamus accordés.
Marques de commerce Enregistrement Demande pour annuler la décision qui a accordé l'enregistrement de la marque «No -Gro» Le propriétaire de la marque «Slo-Gro» n'a pas obtenu la prorogation de délai pour présenter une opposition La demande de prorogation a été déposée auprès du registraire dans les délais mais n'a pas été portée à l'attention du président de la Commission des oppositions avant que la demande «No -Gro» n'ait été accordée Demande d'annulation accordée Devoir du registraire d'agir équitablement La Cour annule la décision lorsque des faits ont été omis ou une procédure oubliée Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10, art. 37(1), 38, 46(1).
L'intimée a produit une demande en vue d'enregistrer la marque «No -Gro». La requérante, propriétaire de la marque «Slo-Gro» a demandé une prorogation de délai de trois mois pour déposer une déclaration d'opposition. La demande, dépo- sée à l'intérieur de la période que prescrit la loi, n'a pas été portée à l'attention du président de la Commission des opposi- tions avant que la demande de «No -Gro» n'ait été accordée. Le président a refusé d'examiner la demande de prorogation de délai en croyant que certaines décisions de la Cour fédérale l'empêchait d'examiner la demande de prorogation dans de telles circonstances. La requérante cherche maintenant à obte- nir un certiorari pour annuler la décision du registraire d'accor- der la marque «No -Gro» et un bref de mandamus pour faire examiner la requête en prorogation de délai.
Jugement: la demande est accueillie.
La décision du registraire est purement administrative et il a le devoir d'agir équitablement dans l'exercice de ses pouvoirs. Ainsi, il doit examiner tous les facteurs pertinents et en tenir compte. Dans les situations des faits ont été omis ou lorsqu'il y a une erreur qui ressort au vu du dossier ou lorsqu'il existe une irrégularité dans la procédure qui a une influence sur la
décision finale, la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire et annuler la décision ou ordonnance.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Sharp Corp. c. Le registraire des marques de commerce, [1982] 2 C.F. 248; 61 C.P.R. (2d) 63 (1" inst.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Silverwood Industries Ltd. c. Le registraire des marques de commerce, [1981] 2 C.F. 428; 65 C.P.R. (2d) 169 (1" inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; 88 D.L.R. (3d) 671; Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; Ministre du Revenu national c. Kruger Inc., [1984] 2 C.F. 535 (C.A.).
AVOCATS:
R. Scott Jolliffe et C. Pibus pour la requérante.
T. Poison Ashton pour Sanex Inc., intimée.
C. Bell pour le registraire des marques de commerce, intimé.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Toronto, pour la requérante.
Sim, Hughes, Toronto, pour Sanex Inc., intimée.
Le sous-procureur général du Canada pour le registraire des marques de commerce, intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE ROULEAU: La présente demande est venue à audience à Toronto le 20 octobre 1986. La requérante cherche à obtenir un bref de certiorari pour annuler une décision du registraire des mar- ques de commerce en date du 18 juillet 1986 qui a accordé la marque de commerce «No -Gro», et à obtenir un bref de mandamus ou un redressement de cette nature pour examiner la requête en proro- gation de délai de la requérante pour déposer un avis d'opposition et une opposition à la demande de marque de commerce.
Les faits peuvent être résumés de la manière suivante. L'intimée Sanex Inc. a produit une demande aux termes de la Loi sur les marques de commerce [S.R.C. 1970, chap. T-10] en vue d'en- registrer le nom «No -Gro» sur le fondement de l'emploi projeté en liaison avec des herbicides, insecticides, etc. La demande a été annoncée le 14 mai 1986 dans le Trade Marks Journal (vol. 33, 1646).
L'avocat d'Uniroyal Ltd. était au courant de l'emploi de la marque de commerce «Slo-Gro» par la requérante en liaison avec certaines marchandi- ses notamment des herbicides et, en conséquence, a communiqué avec sa cliente et a demandé des directives concernant une opposition possible. L'avocat a reçu les directives selon lesquelles il devait d'abord obtenir une prorogation de délai afin d'examiner la possibilité de présenter des documents en opposition à la demande. Le 13 juin 1986, à l'intérieur de la période d'un mois que prescrit le paragraphe 37(1) de la Loi sur les marques de commerce, une lettre a été déposée auprès du registraire demandant une prorogation de délai de trois mois pour déposer une déclaration d'opposition.
La lettre pour le compte d'Uniroyal en date du 13 juin 1986 mentionnait Sanex Inc. et renvoyait au numéro de série contenu dans l'annonce qui a paru dans le Trade Marks Journal. Cette lettre porte le tampon selon lequel le ministère de la Consommation et des Corporations en a pris con- naissance le jour elle a été écrite, c.-à-d. le 13 juin 1986. Dans une lettre datée du 22 août 1986, le président de la commission des oppositions des marques de commerce a accusé réception de la lettre datée du 13 juin et a écrit que, malheureuse- ment, la lettre n'avait pas été portée à son atten tion avant que la demande de «No -Gro» n'ait été accordée. Le président a ensuite déclaré que, compte tenu de certaines décisions de la Cour fédérale, il n'était pas en mesure d'examiner de nouveau, à ce stade, la demande de prorogation de délai pour produire une opposition.
Le ler octobre 1986 le certificat d'enregistre- ment de la marque de commerce «No -Gro» n'avait pas encore été délivré parce que l'intimée Sanex Inc. n'avait pas encore produit de déclaration d'emploi.
Voici les articles pertinents de la Loi sur les marques de commerce:
37. (1) Toute personne peut, dans le délai d'un mois à compter de l'annonce de la demande, et sur paiement du droit prescrit, produire au bureau du registraire une déclaration d'opposition.
38. (1) Lorsqu'une demande n'a pas été l'objet d'une opposi tion et que le délai prévu pour la production d'une déclaration d'opposition est expiré, ou lorsqu'une demande a fait l'objet d'une opposition et que celle-ci a été définitivement décidée en faveur du requérant, le registraire doit aussitôt l'admettre.
46. (1) Si, dans un cas quelconque, le registraire est con- vaincu que les circonstances justifient une prolongation du délai fixé par la présente loi ou prescrit par les règlements pour l'accomplissement d'un acte, il peut, sauf disposition contraire de la présente loi, prolonger le délai après l'avis aux autres personnes et selon les termes qu'il lui est loisible d'ordonner.
Le ministre de la Consommation et des Corpo rations a publié dans le Trade Marks Journal daté du 13 juin 1979 un avis de pratique concernant les procédures en matière d'opposition régies notam- ment par le paragraphe 37(1) et l'article 46. Il a déterminé que les prolongations de délai créaient des problèmes au bureau et a exigé que les parties visées présentent des demandes répétées en vue d'obtenir des prorogations. L'avis de pratique dis- posait que, lorsque les prorogations de délai étaient demandées aux termes du paragraphe 37(1) et de l'article 46, une prorogation maximale de trois mois serait accordée.
L'avocat de la requérante a allégué que, en vertu du pouvoir discrétionnaire accordé au registraire aux termes du paragraphe 46(1), une prorogation automatique de trois mois était habituellement accordée; que sa demande avait été présentée à temps aux termes du paragraphe 37(1); que le registraire lorsqu'il a pris sa décision bien qu'il n'ait pas été au courant de l'opposition projetée, avait le devoir d'examiner la demande et, selon la doctrine de l'équité dans la procédure, la décision devrait être annulée; que la question comme elle est maintenant présentée l'a privé d'un droit fon- damental en raison d'une erreur administrative.
Les intimés se fondent sur la décision du juge Collier dans Silverwood Industries Ltd. c. Le registraire des marques de commerce, [1981] 2 C.F. 428; 65 C.P.R. (2d) 169 (1" inst.). Ils sou- tiennent que la Cour de même que le registraire des marques de commerce n'a pas le pouvoir à ce
stade des procédures de modifier la décision; que compte tenu de la décision Silverwood le regis- traire était obligé de procéder aux termes de l'arti- cle 38 de la Loi et d'accorder la marque de com merce. Ils ont en outre soutenu que la requérante n'est pas nécessairement privée de ses droits fonda- mentaux puisque la Loi sur les marques de com merce prévoit des procédures de radiation et que la requérante pouvait y avoir recours; que la loi ne prévoit aucun droit en ce qui a trait à une proroga- tion de délai; qu'elle est purement discrétionnaire et peut toujours être refusée. De plus, ils ont soutenu que la lettre du 13 juin 1986 présentée pour le compte de la requérante aurait non seulement demander une prorogation de délai, mais aurait décrire avec suffisamment de détails l'opposition projetée.
J'ai examiné la décision Silverwood et je suis convaincu que l'on peut établir une distinction avec les faits de l'espèce. La demande entendue par le juge Collier portait sur un mandamus en vue d'obliger le registraire à enregistrer une marque dans une situation où, dans le délai pres- crit d'un mois, aucune lettre ne demandant une prorogation du délai n'avait été présentée ni aucune procédure d'opposition n'avait été com mencée. En fait, la demande dans l'affaire Silver- wood avait été présentée après que le registraire eut «admis la demande». Le juge Collier a déter- miné qu'en cet état de la cause le registraire avait épuisé son pouvoir discrétionnaire et était tenu d'enregistrer la marque de commerce. À mon avis, cette décision ne ferme pas la porte à une requête en prorogation de délai produite à l'intérieur d'un délai d'un mois comme l'exige le paragraphe 37(1) et qui a été égarée par la suite.
J'ai examiné la lettre du 13 juin 1986 et je conclus qu'en fait elle révèle des détails suffisants pour informer adéquatement le registraire de même que toute autre partie intéressée que la requérante présentait de toute évidence une requête en prorogation de délai en vue de déposer éventuellement une opposition.
Une décision plus à propos a été rendue par le juge Mahoney dans Sharp Corp. c. Le registraire des marques de commerce, [1982] 2 C.F. 248; 61 C.P.R. (2d) 63 (i re inst.). Dans cette affaire, le registraire a présumé que l'opposition avait été abandonnée et a fait droit à la demande parce que
le bureau des marques de commerce avait mal classé une requête en prorogation du délai pour déposer d'autres pièces et, en conséquence, le registraire n'était pas en mesure d'examiner les autres éléments de preuve avant de rendre sa décision. La Cour a déclaré la requête nulle et a décidé que la requête de l'appelante en prorogation de délai additionnel devait être renvoyée au regis- traire pour qu'il l'examine de manière approfondie. Comme en l'espèce, la lettre n'a pas été trouvée avant que la marque de commerce n'ait été accor- dée. Le juge Mahoney a écrit aux pages 250 C.F.; 64 C.P.R.:
La décision faisant droit à la demande est donc nulle dans la mesure l'appelante s'est vu refuser le droit de se faire entendre que lui attribue la Loi.
L'arrêt Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; 88 D.L.R. (3d) 671 a déter- miné que les tribunaux qui exercent des pouvoirs exécutifs ou administratifs ne sont pas liés par les règles de justice naturelle comme telles; toutefois, ils sont assujettis à une obligation générale d'équité et doivent donner aux parties l'occasion de répondre. Le principe établi depuis longtemps régissant les décisions de nature discrétionnaire et de prérogative devant cette Cour, qui découle de l'arrêt Martineau c. Comité de discipline de l'Ins- titution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602 est résumé dans le sommaire à la page 604 de la manière suivante:
Bien qu'une obligation d'agir équitablement ne soit pas perti- nente à la question de compétence en vertu de l'art. 28, l'art. 18 confère à la Division de première instance de la Cour fédérale le pouvoir d'accorder le recours de common law, le certiorari, auquel on peut recourir en common law chaque fois qu'un organisme public a le pouvoir de trancher une question tou- chant aux droits, intérêts, biens, privilèges ou libertés d'une personne. La vaste portée de ce recours se fonde sur l'obligation générale d'agir avec équité qui incombe à toutes les instances décisionnelles publiques.
Je suis convaincu que la décision du registraire dans ces circonstances était purement administra tive et qu'il avait le devoir d'agir équitablement dans l'exercice de ses pouvoirs.
L'instance décisionnelle administrative doit exa miner tous les facteurs pertinents et en tenir compte. Bien que je sois convaincu que le regis- traire n'a pas le pouvoir aux termes de la Loi sur les marques de commerce de suspendre la demande visant à obtenir la marque de commerce, cette Cour possède ce pouvoir discrétionnaire.
Dans les situations les pouvoirs discrétionnai- res sont exercés sans tenir compte de tous les facteurs pertinents ou lorsqu'il peut y avoir une erreur qui ressort au vu du dossier ou lorsqu'il existe une irrégularité dans la procédure qui éven- tuellement a une influence sur la décision finale de l'instance décisionnelle, l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire devrait faire l'objet d'un examen par cette Cour en vertu de son pouvoir de surveil lance. Si l'omission de tenir compte des faits ou l'oubli de quelque procédure constituait un facteur relatif dans la décision, la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire et annuler la décision ou ordonnance. Cette Cour peut délivrer un bref de certiorari, cela est bien établi, et son pouvoir dis- crétionnaire quant au moment de le faire a été résumé par le juge Pratte dans Ministre du Revenu national c. Kruger Inc., [1984] 2 C.F. 535 (C.A.) lorsqu'il a écrit à la page 544:
La violation des règles de la justice naturelle (dans le cas de décisions judiciaires ou quasi judiciaires) et le manque d'équité dans les procédures (dans le cas de décisions administratives) constituent simplement des motifs pour lesquels un certiorari peut être accordé; il peut cependant y avoir lieu à certiorari pour d'autres motifs qui ne tiennent pas compte du caractère judiciaire ou administratif de la décision contestée, c'est-à-dire le défaut de compétence et l'erreur de droit manifeste au dossier. Dès qu'on accepte, comme il faut le faire depuis les décisions de la Cour suprême du Canada dans les arrêts Nicholson (précité) et Martineau (précité), que les décisions purement administratives ne sont plus à l'abri des certiorari, il en résulte, selon moi, que ces décisions peuvent être annulées par voie de certiorari non seulement, dans les cas pertinents, pour le manque d'équité dans les procédures, mais aussi pour le défaut de compétence et la présence d'une erreur de droit manifeste au dossier.
La Cour statue que:
(1) Un certiorari sera délivré annulant la déci- sion du registraire des marques de commerce datée du 22 juillet 1986.
(2) Un mandamus sera délivré autorisant le renvoi de la prorogation de délai devant le regis- traire pour qu'il l'examine avec toute autre requête qui pourrait être fondée sur le temps écoulé depuis la décision.
(3) Les procédures d'opposition doivent être reprises dans le délai accordé par le registraire.
Il n'y a aucune adjudication de dépens.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.