A-650-85
S/S Steamship Company Ltd. (appelante)
c.
Eastern Carribean Container Line S.A. (intimée)
RÉPERTORIE: S/S STEAMSHIP Ca c. EASTERN CARRIBEAN
CONTAINER LINE SA. (C.A.F.)
Cour d'appel, juges Pratte, Hugessen et Lacom-
be—Montréal, 25 et 26 février 1986.
Droit maritime — Créanciers et débiteurs — Saisie-arrêt —
Le tiers-saisi ne peut soulever la défense de compensation dans
une action pour fret dû en vertu d'un connaissement — La
possibilité que l'ordonnance de saisie-arrêt procure à l'appe-
lante une préférence sur tous les autres créanciers d'une société
qui est probablement insolvable ne saurait justifier le refus de
prononcer cette ordonnance — Règles de la Cour fédérale,
C.R.C., chap. 663, Règles 500, 2300(1),(2)b)— Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 2.
Ayant obtenu un jugement par défaut contre l'intimée, l'ap-
pelante a entamé des procédures de saisie-arrêt contre un des
débiteurs de l'intimée qui devait à cette dernière une somme
d'argent représentant le fret prévu dans un connaissement
maritime pour le transport de marchandises. Lors d'une
audience de justification, le tiers-saisi a nié être redevable de
cette somme et prétendu avoir subi, à la suite d'un retard dont
l'intimée était responsable, des dommages supérieurs à la
somme qu'elle devait à celle-ci.
La Division de première instance a refusé de prononcer
l'ordonnance de saisie-arrêt après avoir conclu que le tiers-saisi
avait le droit de demander qu'il y ait compensation entre sa
demande de dommages-intérêts et la réclamation de l'intimée
au chef du fret. Il a été décidé que la règle anglaise en matière
d'amirauté qui interdit la compensation dans un tel cas n'avait
pas été clairement endossée par les tribunaux canadiens. La
Cour a également décidé qu'elle devait exercer son pouvoir
discrétionnaire en refusant de prononcer une ordonnance de
saisie-arrêt parce qu'il existait des doutes sur la solvabilité de
l'intimée et qu'une telle ordonnance aurait procuré une préfé-
rence à l'appelante.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
La règle d'amirauté anglaise est une règle de fond établie de
longue date qui fait partie du droit maritime canadien tel qu'il
est défini à l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale. Il suffit
que cette règle n'ait jamais été clairement rejetée.
Toute préférence accordée à l'appelante résulterait directe-
ment de l'application de la règle interdisant la compensation. Si
une telle conséquence est inévitable, qu'il en soit ainsi. La
possibilité que l'ordonnance de saisie-arrêt procure à l'appe-
lante une préférence sur tous les autres créanciers d'une société
qui est probablement insolvable ne saurait justifier le refus de
prononcer l'ordonnance. A part les règles applicables en
matière de faillite, aucune règle ne prévoit la distribution
équitable des actifs d'un débiteur insolvable entre tous ses
créanciers.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS CITÉES:
Meyer v. Dresser (1864), 33 (Part II) L.J.C.L. (N.S.)
289 (Trinity Term); The «Brede», [1973] 2 Lloyd's Rep.
333 (C.A.); Aries Tanker Corporation v. Total Trans
port Ltd. (The «Aries»), [1977] 1 Lloyd's Rep. 334
(H.L.); A/S Gunnstein & Co. K/S v. Jensen Krebs and
Nielson (The «Alfa Nord»), [ 1977] 2 Lloyd's Rep. 434
(C.A.); Wire Rope Industries of Canada (1966) Ltd. c.
B.C. Marine Shipbuilders Ltd. et autres, [1981] 1 R.C.S.
363; Tropwood A.G. et autres c. Sivaco Wire & Nail Co.
et autres, [1979] 2 R.C.S. 157; Gaherty, Appellant, and
Torrance et al., Respondents (1862), VI L.C. Jur. 313
(B.R.); Halcrow & Lemesurier (1884), X R.J.Q. 239
(B.R.); Spindler, et al. v. Farquhar (1905), 38 N.S.R.
183 (C.A.); The Insurance Company of North America
v. Colonial Steamships Limited, [1942] R.C.E. 79; Kaps
Transport Ltd. v. McGregor Telephone & Power Cons
truction Co. Ltd. (1970), 13 D.L.R. (3d) 732 (C.A.
Alb.); St. Lawrence Construction Limited c. Federal
Commerce and Navigation Company Limited, [1985] 1
C.F. 767; 56 N.R. 174; 32 C.C.L.T. 19 (C.A.).
AVOCATS:
Gerald P. Barry pour l'appelante.
Martine Tremblay pour l'intimée.
PROCUREURS:
Barry & Associates, Montréal, pour l'appe-
lante.
Harris, Allain, Thomas, Mason, Montréal,
pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: Appel est interjeté d'un juge-
ment de la Division de première instance (rendu
par le juge Dubé) [[1985] 2 C.F. 284] rejetant une
demande d'ordonnance de saisie-arrêt présentée
par l'appelante.
L'appelante avait obtenu un jugement par
défaut condamnant Eastern Carribean Container
Line S.A. («Eastern») à lui payer la somme de
111 296,05 $. Elle a entamé des procédures de
saisie-arrêt contre Brunswick International Sea-
foods Ltd. («Brunswick») dont il était allégué
qu'elle devait une somme de 8 700 $ US à Eastern,
cette somme représentant le fret prévu dans un
connaissement maritime pour le transport de mar-
chandises. Une ordonnance prescrivant à Bruns-
wick d'exposer les raisons pour lesquelles elle ne
devrait pas payer a été prononcée conformément à
la Règle 2300(1) [Règles de la Cour fédérale,
C.R.C., chap. 663]. Brunswick, comparaissant
pour satisfaire à cette ordonnance, a nié être rede-
vable de cette somme. Elle n'a pas nié avoir promis
de payer à Eastern la somme de 8 700 $ US à titre
de fret pour le transport par bateau d'une certaine
quantité de poisson de Saint John, au Nouveau-
Brunswick, à Port-au-Prince, en Haïti; elle n'a pas
non plus nié qu'Eastern ait, en fait, transporté le
poisson jusqu'à sa destination. Elle a toutefois dit
qu'Eastern s'était engagée à livrer le poisson à
Port-au-Prince le 1" juin 1984 et ne l'avait, en fait,
livré que le 26 juin 1984. Brunswick a affirmé
qu'ayant, à cause de ce retard, subi des dommages
s'élevant à 12 000 $ US, elle a le droit de recouvrer
cette somme d'Eastern. Elle a conclu que ne
devant, en conséquence, rien à Eastern, la
demande d'une ordonnance de saisie-arrêt devait
être rejetée.
Le juge Dubé a tranché la question en faveur de
Brunswick et refusé de prononcer une ordonnance
de saisie-arrêt. Il a fondé sa décision sur deux
motifs. Tout d'abord, il était d'avis que Brunswick,
contrairement à ce qu'avait soutenu l'appelante,
avait le droit de demander qu'il y ait compensation
entre sa demande de dommages-intérêts et la
réclamation d'Eastern au chef du fret. En second
lieu, il croyait qu'il devait exercer le pouvoir dis-
crétionnaire qu'il détenait relativement à cette
question en refusant de prononcer une ordonnance
de saisie-arrêt parce qu'il existait des doutes sur la
solvabilité d'Eastern et qu'une telle ordonnance
aurait procuré une préférence à l'appelante.
Nous sommes tous d'avis que ce jugement doit
être annulé.
Le juge Dubé a reconnu à bon droit [à la page
287] qu'«[u]n examen de la common law anglaise
en matière d'amirauté révèle que la compensation
des dommages-intérêts ne peut être soulevée
comme moyen de défense à une action pour fret dû
en vertu d'un connaissement»'. Selon son opinion
1 Le juge a appuyé cette affirmation sur la jurisprudence
suivante:
Meyer v. Dresser (1864), 33 (Part II) L.J.C.L. (N.S.) 289
(Trinity Term); The «Brede.., [1973] 2 Lloyd's Rep. 333
(C.A.); Aries Tanker Corporation v. Total Transport Ltd.
(The «Aries»), [1977] 1 Lloyd's Rep. 334 (H.L.); AIS
Gunnstein & Co. K/S v. Jensen Krebs and Nielson (The
«Alfa Nord..), [1977] 2 Lloyd's Rep. 434 (C.A.). Voir aussi:
42 Halsbury (4 e ), par. 411à 416.
[à la page 291], toutefois, cette interdiction «n'a
pas été clairement endossée par les tribunaux
canadiens»; pour ce motif, il dit [à la page 292]
être «disposé à conclure que, en l'espèce, la défense
de compensation doit être accueillie.»
À notre avis, la règle d'amirauté anglaise dont il
est question en l'espèce est une règle de fond
établie de longue date qui fait partie du droit
maritime canadien tel qu'il est défini à l'article 2
de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e
Supp.), chap. 10] 2 . I1 importe peu qu'elle n'ait pas
«été clairement endossée par les tribunaux cana-
diens"; il suffit qu'elle n'ait été clairement rejetée
dans aucune des décisions mentionnées par le juge
Dubé 3 .
Par conséquent, il aurait dû conclure que Bruns-
wick n'avait pas le droit d'opposer la compensation
entre sa demande de dommages-intérêts et la
réclamation d'Eastern au chef du fret.
Le second motif du jugement est également mal
fondé. Selon ce motif, il serait injuste de procurer
à l'appelante une préférence sur les autres créan-
ciers d'Eastern et, plus particulièrement, sur
Brunswick. La préférence que l'ordonnance de sai-
sie-arrêt pourrait procurer à l'appelante sur Bruns-
wick résulterait directement de l'application de la
règle interdisant la compensation; et il serait, à
tout le moins, illogique de conclure à la fois que la
règle interdisant la compensation doit être appli-
quée et que sa conséquence doit être évitée. La
possibilité que l'ordonnance de saisie-arrêt procure
à l'appelante une préférence sur tous les autres
créanciers d'une société qui est probablement
insolvable ne saurait justifier le refus du juge de
2 Voir, entre autres, Wire Rope Industries of Canada (1966)
Ltd. c. B.C. Marine Shipbuilders Ltd. et autres, [1981] 1
R.C.S. 363 et Tropwood A.G. et autres c. Sivaco Wire & Nail
Co. et autres, [1979] 2 R.C.S. 157.
Gaherty, Appellant, and Torrance et al., Respondents
(1862), VI L.C. Jur. 313 (B.R.); Halcrow & Lemesurier
(1884), X R.J.Q. 239 (B.R.); Spindler, et al. v. Farquhar
(1905), 38 N.S.R. 183 (C.A.); The Insurance Company of
North America v. Colonial Steamships Limited, [1942] R.C.E.
79; Kaps Transport Ltd. v. McGregor Telephone & Power
Construction Co. Ltd. (1970), 13 D.L.R. (3d) 732 (C.A. Alb.);
St. Lawrence Construction Limited c. Federal Commerce and
Navigation Company Limited, [1985] 1 C.F. 767; 56 N.R.
174; 32 C.C.L.T. 19 (C.A.).
prononcer cette ordonnance. À part les règles
applicables en matière de faillite, nous ne connais-
sons aucune règle prévoyant la distribution équita-
ble des actifs d'un débiteur insolvable entre tous
ses créanciers. Aucun motif ne nous justifiant de
croire qu'Eastern soit en faillite, le refus de pro-
noncer l'ordonnance de saisie-arrêt en l'espèce ne
fait qu'empêcher l'appelante d'avoir accès à un des
actifs de son débiteur sans pour autant garantir
d'aucune façon que cet actif sera réparti équitable-
ment entre ses créanciers.
Pour ces motifs, l'appel sera accueilli avec
dépens, le jugement de la Division de première
instance sera annulé et, comme le demande l'appe-
lante, il sera ordonné à Brunswick de consigner à
la Cour l'équivalent en monnaie canadienne du
fret dû à Eastern en vertu du connaissement M.V.
Fomalhaut n° 415 en date du 12 juin 1984 (à
défaut par les parties de s'entendre sur cette
somme, celle-ci sera déterminée par un arbitre
conformément aux Règles 500 et suivantes) avec
intérêts à partir du 19 juillet 1985 (date du juge-
ment de première instance), au taux payé sur les
argents consignés à la Cour.
Comme aucune ordonnance prescrivant au
tiers-saisi d'exposer les raisons qu'il pourrait avoir
de ne pas payer n'a été signifiée à Eastern—une
dispense ayant été obtenue à cet égard conformé-
ment à la Règle 2300(2)b)—nous estimons plus
prudent d'ordonner, dans les circonstances, que le
présent jugement ainsi que toutes demandes de
paiement sans l'intervention de la Cour soient
signifiés à cette société.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.