A-281-86
Affaire intéressant le Code canadien du travail
et
Un renvoi effectué par le Conseil canadien des
relations du travail conformément au paragraphe
28(4) de la Loi sur la Cour fédérale
RÉPERTORIÉ: CODE CANADIEN DU TRAVAIL (RE)
Cour d'appel, juges Pratte, Heald et MacGui-
gan—Vancouver, 28 octobre; Ottawa, 24 novem-
bre 1986.
Droit constitutionnel — Partage des pouvoirs — Relations
du travail — Des requêtes en accréditation ont été présentées
relativement à des employés d'une société de construction
remplaçant des ponts appartenant à la Compagnie des chemins
de fer nationaux du Canada — Les «relations d'ensemble»
entre l'exploitation de la filiale et l'entreprise principale de
nature fédérale constituent le facteur le plus important lors-
qu'il s'agit de trancher la question de la compétence constitu-
tionnelle — La compétence fédérale ne peut être établie que si
leur exploitation présente un haut niveau d'intégration et si
cette intégration possède un caractère continu — Examen de la
jurisprudence — Il ressort de l'application de la jurisprudence
aux faits de la présente affaire que le Conseil canadien des
relations du travail n'est pas compétent en l'espèce — Loi sur
la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10, art. 28
Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1 — Loi
constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.)
(S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5] (mod. par la Loi de 1982 sur
le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitu-
tionnelle de 1982, n° 1).
Relations du travail — Requêtes en accréditation — L'em-
ployeur, une société de construction, a conclu avec CN Rail un
contrat prévoyant le remplacement de ponts de chemin de fer
— Le Conseil canadien des relations du travail possède-t-il la
compétence constitutionnelle pour instruire les requêtes du
Syndicat? — Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap.
L-1.
La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada a
entrepris de remplacer tous les ponts de chemin de fer en bois
de la Ligne Nord de la Colombie-Britannique par des ponts en
acier et béton. Antioch Construction Corporation a conclu avec
CN Rail un contrat prévoyant le remplacement de certains de
ces ponts. La main-d'oeuvre était fournie par Glossop Entrepri-
ses Ltd., un sous-entrepreneur. A certains moments, les
employés de Glossop se trouvaient placés sous le contrôle et la
direction des employés de CN Rail.
Le Labour Relations Board de la Colombie-Britannique et le
Conseil canadien des relations du travail ont chacun refusé en
faveur de l'autre de se reconnaître compétent à entendre les
requêtes en accréditation qui leur ont été présentées. Devant
cette impasse, le Conseil canadien a renvoyé devant la Cour
d'appel la question de savoir s'il possède la compétence consti-
tutionnelle voulue pour instruire les requêtes.
Arrêt: il est répondu à la question par la négative.
Le facteur le plus important lorsque, dans des affaires de ce
type, il s'agit de trancher la question de la compétence constitu-
tionnelle, est celui des relations d'ensemble existant entre l'ex-
ploitation de la filiale et l'entreprise principale de nature fédé-
rale. Les faits se rapportant à cette relation devraient être
examinés en mettant l'accent sur leur aspect fonctionnel et
pratique. Pour que la compétence fédérale soit établie, leur
exploitation doit présenter un haut niveau d'intégration et cette
intégration doit avoir un caractère continu.
Le Conseil a conclu que le pont reconstruit durerait proba-
blement longtemps mais que le travail effectué n'était pas long.
En conséquence, l'intégration opérationnelle que l'on peut déce-
ler dans les activités des employés de Glossop et de CN Rail
revêtait un caractère temporaire plutôt que continu. Contraire-
ment aux travaux des installateurs visés par les deux arrêts
Northern Telecom, les travaux en l'espèce ne présentaient
aucun caractère de continuité ou de permanence.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS SUIVIES:
Construction Montcalm Inc. c. Commission du salaire
minimum, [1979] 1 R.C.S. 754; 93 D.L.R (3d) 641; 25
N.R. 1; Northern Telecom Ltée c. Travailleurs en com
munication du Canada, [1980] 1 R.C.S. 115; 98 D.L.R.
(3d) 1; (1979), 28 N.R. 107; Northern Telecom Canada
Ltée et autre c. Syndicat des travailleurs en communica
tion du Canada et autre, [1983] 1 R.C.S. 733; 147
D.L.R. (3d) 1; 48 N.R. 161.
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Bernshine Mobile Maintenance Ltd. c. Conseil canadien
des relations du travail, [1986] 1 C.F. 422; (1985), 22
D.L.R. (4th) 748; (1985), 62 N.R. 209; Highway Truck
Service Ltd. c. Conseil canadien des relations du travail
(1985), 62 N.R. 218.
DECISIONS EXAMINÉES:
Canadian Pacific Railway Company v. Notre Dame de
Bonsecours (Corporation of the Parish of), [1899] A.C.
367; Reference in re Legislative Jurisdiction over Hours
of Labour, [1925] R.C.S. 505; [1925] 3 D.L.R. 1114;
Reference re Minimum Wage Act of Saskatchewan,
[1948] R.C.S. 248; [1948] 3 D.L.R. 801; Attorney Gene
ral (Alberta) v. Attorney -General (Canada), [1943] A.C.
356; [1943] 2 D.L.R. 1; Reference re Industrial Rela
tions and Disputes Act, [1955] R.C.S. 529; [1955] 3
D.L.R. 721; Commission du Salaire Minimum v. Bell
Telephone Company of Canada, [1966] R.C.S. 767; 59
D.L.R. (2d) 145; Attorney -General for Canada v. Attor
ney General for British Columbia, [1930] A.C. 111;
[1930] 1 D.L.R. 194; Association des Entrepreneurs en
Construction du Québec c. Gazoduc Trans -Québec &
Maritimes Inc. et autre (1981), 132 D.L.R. (3d) 581
(C.S. Qué.).
DÉCISIONS CITÉES:
Aeronautics in Canada, In re Regulation and Control of,
[1932] A.C. 54; [1932] 1 D.L.R. 58; Johannesson v.
Municipality of West St. Paul, [1952] 1 R.C.S. 292.
AVOCATS:
J. E. Dorsay et Vanna Spence pour le Conseil
canadien des relations du travail.
B. Laughton pour Pile Drivers & Wharf Buil
ders Union.
D. Lovett pour le procureur général de la
Colombie-Britannique.
PROCUREURS:
Braidwood, Nuttall, MacKenzie, Brewer &
Greyell, Vancouver, pour le Conseil canadien
des relations du travail.
Rankin & Company, Vancouver, pour Pile
Drivers & Wharf Builders Union.
Ministère du Procureur général, Victoria,
pour le procureur général de la Colombie-Bri-
tannique.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN: Le problème en l'espèce
est soulevé parce que le Labour Relations Board
de la Colombie-Britannique (que nous appellerons
[TRADUCTION] «le Conseil de la Colombie-Britan-
nique») et le Conseil canadien des relations du
travail («le CCRT» ou le «Conseil canadien») ont
chacun refusé en faveur de l'autre, de se reconnaî-
tre compétent à entendre des requêtes en accrédi-
tation présentées par Pile Drivers, Divers, Bridge,
Dock and Wharf Builders Union, Section locale
1549 de la Fraternité unie des charpentiers et
menuisiers d'Amérique (que nous dénommerons
[TRADUCTION] «le Syndicat»). Devant cette
impasse, le Conseil canadien a, conformément au
paragraphe 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale
[S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10], renvoyé devant
cette Cour, pour audition et jugement, la question
de savoir s'il possédait la compétence constitution-
nelle voulue pour instruire les requêtes en accrédi-
tation du Syndicat. Le Conseil canadien, dans le
cadre du présent renvoi, s'appuie sur ses motifs de
décision en date du 15 avril 1986.
Les employeurs en cause sont d'une part,
Antioch Construction Corporation («Antioch»),
qui a conclu avec la Compagnie des chemins de fer
nationaux du Canada («CN Rail») un contrat pré-
voyant le remplacement de ponts de chemin de fer
en bois du réseau de CN Rail par des ponts en
acier et béton, mais dont aucun des employés n'a
travaillé sur les lieux visés, et d'autre part Glossop
Enterprises Ltd. («Glossop»), qui a fourni la main-
d'oeuvre nécessaire au projet en exécution d'un
contrat de sous-traitance conclu avec Antioch.
Ayant conclu que les faits qui lui étaient soumis
ne suffisaient pas à lui permettre de porter un
jugement éclairé, le Conseil canadien a chargé l'un
de ses agents de recueillir les renseignements cons-
titutionnels requis. Dans son rapport supplémen-
taire, ce dernier a décrit le contexte de cette
affaire de la manière suivante (Dossier d'appel,
vol. I, pages 19 23):
[TRADUCTION] Remplacer (reconstruire) des ponts ferroviai-
res en bois par des ouvrages en acier et en béton fait générale-
ment partie d'un programme permanent de CN Rail. L'âge, la
durée de vie et l'état général des ouvrages en bois exigent de les
remplacer par des structures plus modernes. La compagnie a
décidé que, à partir de 1981, elle lancerait un programme
accéléré pour remplacer tous les ponts en bois de sa Ligne Nord
de la C.-B. ... Le remplacement des ponts en bois sur la Ligne
Nord n'était qu'un volet du programme principal de reconstruc
tion qui dispose de 600 millions de dollars pour améliorer la
Ligne Nord à tous les égards, en vue de l'élever au rang de
ligne principale.
Cette décision d'améliorer la ligne a été motivée en très
grande partie par la forte augmentation du volume de circula
tion prévue sur cette ligne par suite du début de l'exploitation
des bassins houillers de Tumbler Ridge et d'autres augmenta
tions du volume de circulation sur certains tronçons de cette
Le plan initial visait à remplacer en deux ans tous les ponts
en bois de la Ligne Nord de la C.-B. Pour des raisons budgétai-
res, cela ne s'est pas matérialisé. L'objectif actuel est d'accom-
plir la reconstruction des ponts jusqu'à Prince George d'ici
1987 ou 1988 et des autres ponts à l'est de Prince George d'ici
1991 ou 1992. Le programme de reconstruction, qui dispose de
600 millions de dollars et qui a pour but l'amélioration globale
de la Ligne Nord de CN Rail devait d'abord s'étendre sur dix
ans. Jusqu'ici, soit depuis le début du programme accéléré de
reconstruction, on a remplacé au total 44 ponts ferroviaires en
bois entre Prince Rupert et Prince George. Il reste au total 22
ponts à remplacer entre ces deux points. A l'est de Prince
George, environ 40 ponts ferroviaires en bois de la Ligne Nord
de la C.-B. seront remplacés pendant la durée du programme
d'amélioration qui est censé être accompli d'ici 1991 ou 1992.
Un programme semblable de remplacement (reconstruction)
de ponts a été mis en oeuvre en Alberta pendant une période de
11 ans, soit de 1970 1981"...
[L]a circulation ferroviaire demeure de première importance et
continue tout au long du processus de reconstruction du pont;
elle est interrompue le moins longtemps possible, en vue de
l'accomplissement de l'étape finale, c.-à-d. la mise en place des
travées en acier.
Une fois la fermeture de la ligne permise, les employés de
CN Rail même (membres de la Fraternité des préposés à
l'entretien des voies) enlèvent les rails, les traverses et le ballast.
L'entrepreneur peut être appelé à participer vu qu'il a de
l'équipement et la main-d'oeuvre sur place, mais lorsque cette
aide est demandée, ses équipes travaillent en tout temps sous la
direction des employés de CN Rail même. Après l'enlèvement
des rails, des traverses et du ballast existants, les équipes de
l'entrepreneur prennent la relève et installent les nouvelles
travées en acier sur les chapeaux de béton. Une fois ce travail
terminé, les employés de CN Rail placent de nouveau du
ballast, des traverses et des rails sur les travées en acier. À cette
étape aussi, les équipes de l'entrepreneur peuvent être appelées
à aider, mais aux mêmes conditions qui s'appliquaient à l'enlè-
vement des vieux rails, des vieilles traverses et du vieux ballast,
c'est-à-dire sous la direction des employés de CN Rail même.
Lorsque les nouveaux rails sont placés sur la travée en acier,
l'équipe de l'entrepreneur assume de nouveau la responsabilité
d'enlever la travée en bois et les chevalets du vieux pont qui
sont demeurés en place jusqu'à ce moment-là. Le démontage et
l'enlèvement de la travée en bois et des chevalets qui sont
effectués par l'équipe de l'entrepreneur sont étroitement sur-
veillés par le personnel de CN Rail. Après cette étape, il ne
reste à l'équipe de l'entrepreneur qu'à mettre de l'ordre dans le
chantier et, dans certains cas, à récupérer du bois de construc
tion, après quoi sa participation au projet est considérée comme
terminée.
Je le répète, le passage des trains sur le chantier au cours du
processus de reconstruction est en tout temps directement et
entièrement contrôlé par CN Rail. Lorsqu'un train s'approche
du chantier en suivant les ordres de marche au ralenti, le
signaleur de CN Rail en avertit le contremaître de l'entrepre-
neur et donnera des instructions aux employés de ce dernier
pour qu'ils s'écartent de la ligne. Sauf au cours de la fermeture
finale pour la mise en place des travées en acier, les employés
de l'entrepreneur doivent tenir compte des ordres du signaleur
de quitter la ligne et laisser passer le train. S'ils sont à
accomplir une étape particulièrement importante du battage
des pieux ou de la pose des chapeaux, le signaleur peut arrêter
le train qui s'approche pour un temps très limité, c.-à-d. 15 à 20
minutes, afin de leur permettre de terminer leur tâche, mais
celle-là seulement. Il s'agit toutefois d'une exception plutôt que
de la règle.
Environ seulement quatre des quarante-quatre
reconstructions de pont entreprises sur la Ligne
Nord de CN Rail entre Prince Rupert et Prince
George ont été effectuées par les propres employés
de CN Rail. À date, cinq des soumissions relatives
à la construction de ponts présentées par Antioch
ont été acceptées, trois de celles-ci étant visées par
le présent contrat et les deux autres lui étant
antérieures. A tout le moins en ce qui concerne le
contrat en l'espèce, Antioch a confié le travail en
sous-traitance à Glossop. Les employés de Glossop
qui travaillent à un projet donné ne participent pas
nécessairement à l'entreprise suivante de Glossop,
pouvant être envoyés n'importe où dans la région
où s'exerce la compétence de la Section locale.
Comme chacune des trois parties comparaissant
à l'audience tenue dans le cadre du présent renvoi
(le Conseil canadien, le Syndicat et le Procureur
général) se sont montrées convaincues que la com-
pétence en la matière était de nature provinciale,
nous avons effectivement dû instruire la présente
affaire sans le bénéfice d'une procédure contradic-
toire; aussi ai-je pris particulièrement soin d'accor-
der toute l'importance voulue aux arguments qui
auraient pu être soulevés à l'appui d'une compé-
tence fédérale en matière de relations du travail.
I
À première vue, la question en litige semble porter
sur une description facile à établir. Tel était du
moins le point de vue du Conseil canadien (Dossier
d'appel, vol. I, page 23):
[TRADUCTION] La différence fondamentale entre l'approche
du présent Conseil et celle du Conseil de la C.-B. réside dans la
description du travail. S'agit-il de la construction dans ce que le
milieu des relations du travail appelle le «secteur de la construc
tion» ou s'agit-il de l'entretien des installations du CN Rail?
Le Conseil avait déjà prévu sa réponse à cette
question (Dossier d'appel, vol. I, page 4):
[TRADUCTION] Après avoir examiné tous les documents en
sa possession, le Conseil a conclu que le travail effectué par les
employés visés par les requêtes en cause était du travail de
construction plutôt qu'une partie des opérations de CN Rail ou
de l'entretien d'une ligne de chemins de fer de CN Rail, et
qu'on ne pouvait donc pas dire qu'il faisait partie intégrante ou
essentielle d'une entreprise, d'une affaire ou d'un ouvrage de
compétence fédérale.
Le Conseil de la Colombie-Britannique a suivi la
décision qu'il avait lui-même rendue dans l'affaire
Lakh Construction Corporation (n° 358-84, déci-
sion rendue le 1" octobre 1984), où, devant une
situation de fait identique, il avait conclu:
[TRADUCTION] Nous avons conclu que le travail accompli par
l'Employeur tombe sous l'autorité fédérale ... Nous avons tiré
cette conclusion parce que nous sommes convaincus que le
travail effectué dans le cadre de ce contrat est assimilable à
l'amélioration d'une ligne de chemins de fer existante. Nous
sommes d'avis que le remplacement de vieux ponts en bois par
de nouveaux ponts construits en béton et en acier n'est pas
matériellement différent du remplacement des rails, des traver
ses et du ballast. Comme en témoigne la manière dont il est
exécuté, le travail effectué fait clairement partie intégrante et
essentielle du fonctionnement de la ligne existante.
Suivant que cet ouvrage correspondra à l'une ou
l'autre de ces descriptions, le précédent invoqué
pourra être soit la décision rendue par le Comité
judiciaire du Conseil privé dans l'affaire Canadian
Pacific Railway Company v. Notre Dame de Bon-
secours (Corporation of the Parish of), [1899]
A.C. 367, qui a statué que la compétence [à la
page 372] [TRADUCTION] «pour la construction,
les réparations et les modifications des chemins de
fer et pour leur gestion» était dévolue au gouverne-
ment fédéral, soit le jugement rendu par la Cour
suprême du Canada dans l'affaire Construction
Montcalm Inc. c. Commission du salaire mini
mum, [1979] 1 R.C.S. 754; 93 D.L.R (3d) 641; 25
N.R. 1, qui a conclu à la compétence provinciale
sur les relations de travail ayant trait à la cons
truction des pistes d'atterrissage du nouvel aéro-
port de Mirabel.
L'arrêt Notre Dame de Bonsecours, qui ne con-
cernait aucunement les relations du travail, avait
trait au droit d'une municipalité québécoise traver
sée par un chemin de fer d'ordonner à la société
qui l'exploitait de nettoyer et de mettre en bon
ordre un fossé longeant son droit de passage, à
défaut de quoi elle devait payer une amende de
200 $. Le tribunal a dit que, en vertu du paragra-
phe 91(29) de la Loi constitutionnelle de 1867 [30
& 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appen-
dice II, n° 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi
constitutionnelle de 1982, n° 1)], le Parlement
avait le droit exclusif de légiférer concernant les
catégories de sujets qui, comme les chemins de fer,
échappaient expressément à la compétence législa-
tive provinciale en vertu de l'alinéa 92(10)a) de
cette Loi. En conséquence, tout en concluant que
l'enlèvement des matières obstruant le fossé amé-
liorerait simplement l'état matériel dans lequel
celui-ci se trouvait, sans en modifier la structure,
de sorte que cette opération procédait de l'exercice
valide de la compétence provinciale, lord Watson,
aux pages 372 et 373, a indiqué que la compétence
provinciale comportait des limites strictes:
[TRADUCTION] L'Acte de l'Amérique du Nord britannique
donne au Parlement du Canada l'autorité législative sur le
chemin de fer de l'appelante en tant que chemin de fer, mais ne
déclare pas que le chemin de fer cessera de faire partie des
provinces dans lesquelles il est situé, ni qu'il doit, à d'autres
égards, être soustrait à la compétence des législatures provin-
ciales. En conséquence, selon leurs Seigneuries, le Parlement du
Canada a le droit exclusif de prescrire des règlements pour la
construction, les réparations et les modifications des chemins de
fer et pour leur gestion, et pour réglementer la constitution et
les pouvoirs de la compagnie; la taxation directe, en vue de
prélever des revenus pour des objets provinciaux, des parties de
ces chemins de fer qui se trouvent dans les limites provinciales
est cependant, entre autres, réservée aux législatures provincia-
les. Il est évident que l'Acte de 1867 visait à ce que les
«législations sur les chemins de fer» au sens strict, applicables
aux lignes placées sous sa responsabilité relèvent du Parlement
du Dominion. Il paraît donc à leurs Seigneuries que toute
tentative par la législature du Québec de régir par législation,
qualifiée ou non comme législation municipale, la structure
d'un fossé faisant partie des ouvrages autorisés de la compagnie
appelante serait exorbitante de ses pouvoirs. En revanche, si la
loi ne concerne pas la structure du fossé, mais prévoit qu'adve-
nant une accumulation de détritus et de déchets pouvant débor-
der du fossé et causer un préjudice à un autre propriétaire de la
paroisse, le fossé doit être complètement nettoyé par la compa-
gnie appelante, alors, de l'avis de leurs Seigneuries, il s'agit
d'une législation en matière municipale du ressort de la législa-
ture du Québec. [C'est moi qui souligne.]
Bien que l'arrêt Notre Dame de Bonsecours ne
traite aucunement des relations du travail, la
remarque incidente de lord Watson suivant
laquelle [TRADUCTION] «le Parlement du. Canada
a le droit exclusif de prescrire des règlements pour
la construction, les réparations et les modifications
des chemins de fer et pour leur gestion» a, par la
suite, été étendue par des tribunaux à la totalité
des relations de travail se rapportant aux compé-
tences fédérales énumérées.
Ainsi, dans l'arrêt Reference in re Legislative
Jurisdiction over Hours of Labour, [1925] R.C.S.
505, la page 511; [1925] 3 D.L.R. 1114, la
page 1116, le juge Duff a écrit au nom d'un banc
de cinq juges, relativement à un projet de conven
tion limitant les heures de travail dans les entrepri-
ses industrielles:
[TRADUCTION] Il est à présent établi que le Dominion, en
vertu du pouvoir qui lui est conféré relativement aux ouvrages
et entreprises relevant de sa compétence, possède, en vertu du
paragraphe 91(29) ainsi que du paragraphe 92(10), certains
pouvoirs de réglementation visant l'emploi des personnes parti
cipant à de tels ouvrages ou entreprises. L'exercice par le
Dominion de cette compétence législative a pour effet de
supplanter la compétence provinciale, laquelle demeure inopé-
rante aussi longtemps que la législation du Dominion demeure
en vigueur. Il ne semblerait faire aucun doute que, en ce qui
concerne de telles entreprises—un chemin de fer du Dominion,
par exemple—le Dominion possède la compétence nécessaire à
l'adoption de dispositions législatives relatives aux sujets dont il
est traité dans le projet de convention.
De la même manière, dans l'arrêt Reference re
Minimum Wage Act of Saskatchewan, [1948]
R.C.S. 248; [1948] 3 D.L.R. 801, où le maître de
poste d'un bureau de poste à commission a été
poursuivi en vertu de la Minimum Wage Act
[R.S.S. 1940, chap. 310] de la Saskatchewan pour
avoir payé à une personne engagée sur une base
temporaire, sur ses commissions, une rémunération
inférieure au salaire minimum prescrit par la loi',
il a été décidé que l'employé était devenu membre
du service postal et que, en conséquence, il ressor-
tissait à la compétence exclusive du Parlement
fédéral conformément au paragraphe 91(5) de la
Loi de 1867. Plusieurs des juges ont cité la remar-
que incidente du vicomte Maugham dans l'arrêt
Attorney -General (Alberta) v. Attorney -General
(Canada), [1943] A.C. 356, la page 370; [1943]
2 D.L.R. 1, à la page 9, remarque selon laquelle
[TRADUCTION] «la législation relevant, de par son
essence et sa substance, de l'une des catégories de
sujets expressément énumérés à l'art. 91 excède la
compétence législative conférée aux législatures
provinciales par l'art. 92».
À nouveau, dans l'arrêt Reference re Industrial
Relations and Disputes Act, [1955] R.C.S. 529;
[1955] 3 D.L.R. 721 (l'arrêt sur les Débardeurs),
les articles 1 à 53 de la Loi (les plaidoiries ne
portaient que sur ces articles) ont été déclarés
infra vires des pouvoirs du Parlement du Canada
en vertu soit du paragraphe 91(10) qui concerne la
navigation et les bâtiments ou navires (shipping),
soit du paragraphe 91(13) qui porte sur les passa
ges d'eau internationaux ou interprovinciaux, soit
du paragraphe 91(29), que complète l'alinéa
92(10)a); en conséquence, ces articles ont été
appliqués aux questions touchant toutes les person-
nes employées dans le cadre de l'exploitation de
l'ouvrage, de l'entreprise ou de l'affaire visés, que
le travail effectué soit manuel ou soit un travail de
bureau. Comme le dit le juge Abbott aux pages
592 R.C.S.; 779 et 780 D.L.R.:
[TRADUCTION] Aujourd'hui, le droit de grève et le droit de
négocier collectivement sont généralement reconnus et la fixa
tion des heures de travail, du niveau des salaires, des conditions
de travail, etc., constitue, à mon avis, un aspect vital de la
gestion et de l'exploitation de toute entreprise commerciale ou
industrielle. Cela étant, dans le cas d'entreprises relevant de
l'autorité du Parlement, c'est à celui-ci, et non aux législatures
des provinces, qu'il faut attribuer le pouvoir de réglementer de
tels sujets.
' Comme il ne pouvait point être interjeté appel de cette
condamnation devant la Cour suprême du Canada, la question
a dû être renvoyée à la Cour par le gouverneur en conseil.
Finalement, dans l'arrêt Commission du Salaire
Minimum v. Bell Telephone Company of Canada,
[1966] R.C.S. 767; 59 D.L.R. (2d) 145, la Cour
suprême a déclaré à nouveau que la réglementa-
tion des relations de travail d'une entreprise, d'un
service ou d'une affaire de nature fédérale est
placée sous le contrôle exclusif du Parlement fédé-
ral. Le juge Martland, au nom des sept juges, a
écrit aux pages 777 R.C.S.; 153 D.L.R.:
[TRADUCTION] À mon avis, la réglementation du domaine des
relations entre employeur et employé dans une entreprise analo
gue à celle de l'intimée, comme celle des tarifs qu'elle exige de
ses clients, est une «matière» qui entre dans la catégorie de
sujets que définit l'art. 92(10)a) et, ceci étant, elle est de la
compétence législative exclusive du Parlement du Canada. Par
la suite, toute législation provinciale en ce domaine, bien que
valable à l'égard des employeurs qui ne relèvent pas de la
compétence législative exclusive du Parlement fédéral, ne peut
s'appliquer à des employeurs qui sont soumis à ce contrôle
exclusif.
II
Si l'on aborde maintenant la question comme elle
a été envisagée dans l'arrêt Construction Mont-
calm, nous pénétrons dans un domaine de compé-
tence fédérale, l'aéronautique, qui ne fait pas
partie des catégories de sujets expressément énu-
mérées à l'article 91, mais que l'on a jugé ressortir
à la compétence générale du gouvernement fédéral
de légiférer pour la paix, l'ordre et le bon gouver-
nement parce qu'il sagit d'[TRADucTloN] «une
matière qui a atteint des dimensions telles qu'elle
affecte le corps politique du Dominion»: Voir
Aeronautics in Canada, In re Regulation and
Control of, [1932] A.C. 54, la page 77; [1932] 1
D.L.R. 58, la page 70 2 .
Ainsi serait-il peut-être possible de soutenir que
la décision rendue dans l'affaire Construction
Montcalm allait à l'encontre de la compétence
fédérale parce que le pouvoir en question était visé
par la seconde des propositions de lord Tomlin en
matière constitutionnelle dans l'affaire Attorney -
General for Canada v. Attorney General for Bri-
tish Columbia, [1930] A.C. 111; [1930] 1 D.L.R.
2 Leurs Seigneuries avaient considéré que la compétence
fédérale se fondait principalement sur l'article 132 de la Loi de
1867; cet article est cependant aujourd'hui périmé, le Canada
ne faisant plus «partie de l'Empire britannique», de sorte que la
compétence fédérale sur l'aéronautique doit maintenant trouver
son fondement dans le pouvoir général de légiférer. La transi
tion à cet égard a été faite par la Cour suprême dans l'affaire
Johannesson v. Municipality of West St. Paul, [1952] 1 R.C.S.
292.
194, (l'arrêt Fish Canneries), plutôt que par sa
première et sa troisième propositions, qui concer-
naient les compétences énumérées ainsi que celles
qui leur étaient accessoires; le jugement rendu par
la majorité du tribunal dans l'affaire Construction
Montcalm n'appuierait cependant point une telle
interprétation.
Selon les faits mis en preuve dans cette affaire,
une société de construction du Québec, qui cons-
truisait sur un terrain de l'État fédéral des pistes
devant faire partie du nouvel aéroport de Mirabel,
a été poursuivie au nom de ses employés par la
Commission du salaire minimum du Québec pour
le recouvrement des salaires, congés payés, cotisa-
tions d'assurance-maladie et autres cotisations de
sécurité sociale ainsi que de contributions et péna-
lités incidentes.
Les motifs de la décision des sept juges de la
majorité ont été prononcés par le juge Beetz, qui a
déclaré, aux pages 770 777 R.C.S.; 654 659
D.L.R.; 7 à 12 N.R.:
La construction d'un aéroport ne fait pas partie intégrante, à
tous les points de vue, du domaine de l'aéronautique. Bien des
choses dépendent de ce que l'on entend par «construction». La
décision de construire un aéroport ou de fixer son emplacement
sont indiscutablement des aspects de la construction d'un aéro-
port qui concernent exclusivement le fédéral: voir l'arrêt
Johannesson. C'est pourquoi ce genre de décision n'est pas
soumis à la réglementation ni à l'autorisation des municipalités
... De la même façon, les plans du futur aéroport, ses dimen
sions, les matériaux qui devront entrer dans la construction des
différents bâtiments, pistes et structures, et autres caractéristi-
ques de ce genre sont, du point de vue de la législation et
indépendamment de tout contrat, des matières qui relèvent
exclusivement du fédéral. La raison en est que ces décisions
auront un effet permanent sur la structure du produit fini et un
effet direct sur ses qualités fonctionnelles, donc sur sa confor-
mité aux fins de l'aéronautique. Mais la situation est différente
quand il s'agit des modalités d'exécution de ces décisions lors de
la construction même d'un aéroport. Ainsi, l'obligation pour les
travailleurs de porter un casque protecteur sur tous les chan-
tiers de construction, y compris celui d'un nouvel aéroport, a
trait directement à la construction et à la réglementation
provinciale en matière de sécurité mais n'a rien à voir avec
l'aéronautique ... A mon avis, les salaires versés par un
entrepreneur indépendant comme Montcalm à ses employés
chargés de la construction de pistes est une question si éloignée
de la navigation aérienne ou de l'exploitation d'un aéroport que
le pouvoir de réglementer cette matière ne peut faire partie
intégrante de la compétence principale du fédéral sur l'aéronau-
tique ou être reliée à l'exploitation d'un ouvrage, entreprise,
service ou affaire fédérale. (Aux fins du moyen principal, il
n'est pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si
le Parlement, par une disposition accessoire, pourrait réglemen-
ter de façon incidente les conditions de travail des ouvriers
chargés de la construction des aéroports.)
En l'espèce, la législation contestée n'a pas pour objet de
réglementer la structure des pistes d'atterrissage. L'application
de ses dispositions à Montcalm et à ses employés n'a aucun
effet sur les plans de construction des pistes d'atterrissage; elle
n'empêche pas les pistes d'atterrissage d'être construites de la
bonne façon conformément aux normes fédérales; il n'a pas été
démontré non plus, en admettant qu'on puisse le faire, que
«l'état matériel» des pistes d'atterrissage, par opposition à leur
structure, est influencé par les salaires et les conditions de
travail des ouvriers qui les construisent.
Pour dire qu'elle aurait dû être traitée comme une entreprise
fédérale aux fins des relations de travail pendant qu'elle effec-
tuait des travaux de construction sur les pistes d'atterrissage,
Montcalm suppose que le facteur décisif est l'ouvrage auquel
elle travaillait au moment pertinent plutôt que la nature de ses
activités en tant qu'entreprise active. En d'autres termes, cela
veut dire que la nature d'une entreprise de construction varie
selon la nature de chaque ouvrage ou de chaque chantier de
construction, ou qu'il y a autant d'entreprises de construction
que d'ouvrages ou de chantiers de construction. Les conséquen-
ces de cette proposition vont fort loin et sont, à mon avis,
inadmissibles: le pouvoir constitutionnel de réglementer les
relations de travail de toute l'industrie de la construction
dépendrait de la nature de chaque chantier. Il en résulterait une
grande confusion. Par exemple, un ouvrier dont le travail
consiste à couler du ciment serait soumis alternativement à la
compétence fédérale et à la compétence provinciale aux fins de
l'adhésion syndicale, de l'accréditation, de la convention collec
tive et des salaires, selon qu'il coule du ciment un jour sur une
piste d'atterrissage et le lendemain sur une route provinciale. Je
ne peux croire que la Constitution exige un tel morcellement.
Accepter l'argument de Montcalm équivaudrait à ne pas
tenir compte des éléments de continuité qu'on peut trouver dans
les entreprises de construction et à s'attacher à des facteurs
occasionnels et temporaires, contrairement aux arrêts Agence
Maritime et Facteurs. Il arrive fréquemment que les entrepre
neurs et leurs employés travaillent successivement ou simulta-
nément à plusieurs chantiers qui n'ont rien ou très peu en
commun. Ils peuvent travailler sur une piste d'atterrissage, une
autoroute, des trottoirs, une cour, pour le secteur public, fédéral
ou provincial, ou pour le secteur privé. Personne ne dira qu'ils
exploitent une entreprise de construction de pistes d'atterrissage
parce que pendant quelque temps ils construisent une piste
d'atterrissage, ou qu'ils se lancent dans une entreprise de
construction d'autoroutes parce qu'ils entreprennent la cons
truction d'un tronçon d'autoroute provinciale. Leur activité
ordinaire est la construction. Ce qu'ils construisent est acces-
soire. Et leur activité ordinaire n'a rien de spécifiquement
fédéral.
Je ne pense pas que la thèse de Montcalm soit étayée par
l'arrêt Bureau de poste à commission ou l'arrêt Stevedoring.
Dans le premier, on a jugé que la Loi du salaire minimum de la
Saskatchewan ne s'appliquait pas à une personne engagée
temporairement par le maître de poste d'un bureau de poste à
commission pour travailler exclusivement à l'exploitation de ce
bureau. Mais ce travail temporaire faisait partie de l'exploita-
tion continue d'un service fédéral. Dans l'arrêt Stevedoring,
cette Cour a statué qu'une compagnie d'arrimage qui offre ses
services à des navires servant exclusivement au transport inter
national est soumise à la loi fédérale quant à ses relations de
travail; il s'agissait d'un renvoi et l'ordonnance de renvoi disait
qu'au cours de la saison de navigation pertinente, les activités
de la compagnie d'arrimage consistaient exclusivement à char
ger et à décharger les navires servant au transport internatio
nal; la Cour (le juge Rand étant dissident) a décidé qu'elle ne
pouvait aller au-delà de l'ordonnance; le juge Kellock a dit (à la
p. 561 [R.C.S.; 753 D.L.R.]) que la question devait être
examinée [TRADUCTION] «sur la base de la continuation de la
situation» et le juge Cartwright (alors juge puîné) a affirmé (à
la p. 584 [R.C.S.; 773 D.L.R.]) que la réponse à la question
constitutionnelle [TRADUCTION] «devait être fondée sur l'hypo-
thèse que les activités de la compagnie sont telles ... que
décrites» dans l'ordonnance.
Un interprétation possible des paroles du juge
Beetz veut que la distinction décisive s'établisse
entre la construction et l'entretien, une proposition
à laquelle le juge en chef Laskin (avec l'appui du
juge Spence) s'est opposé vivement dans ses motifs
dissidents, aux pages 761 et 762 R.C.S.; 647
D.L.R.; 33 et 34 N.R.:
La prétention selon laquelle il existe, en droit constitutionnel,
une distinction entre la construction et l'entretien ou l'exploita-
tion d'entreprises ou ouvrages fédéraux, est incompatible avec
une série d'arrêts dont le premier, C.P.R. c. Notre-Dame de
Bonsecours ([1899] A.C. 367), a trait aux chemins de fer qui
relèvent du pouvoir de réglementation fédéral. Dans cet arrêt,
le Conseil privé a reconnu le pouvoir exclusif du Parlement
d'adopter des règlements au sujet de la construction, de la
réparation et de l'amélioration d'un chemin de fer et de son
administration. Il a également dit qu'une province outrepasse-
rait ses pouvoirs [TRADUCTION] «si elle tentait d'intervenir
dans des matières exclusivement assignées au contrôle du
Dominion, en essayant par exemple de s'immiscer dans l'admi-
nistration d'un ouvrage entièrement soustrait à la compétence
provinciale, comme celui qu'a autorisé le Dominion par une loi
dans l'exercice des pouvoirs qu'il tient de l'al. 92(10)a) ou de
porter atteinte à sa structure» (à la p. 226). Ce qui est vrai des
chemins de fer l'est également des aéroports. Je ne vois pas
comment on peut soutenir que la construction d'un chemin de
fer est assujettie exclusivement à la compétence fédérale, mais
que la construction d'un ouvrage fédéral qui ne s'étend pas
au-delà des limites d'une province, comme un aéroport ou une
mine d'uranium, ne l'est pas. Si une compagnie entreprend la
construction d'un chemin de fer interprovincial, qui franchit
donc les limites d'une province, peut-on dire que ses employés
ont droit aux salaires prévus par une législation provinciale
différente selon qu'ils travaillent dans l'une ou dans l'autre
province à un moment donné?
Il m'apparaît, avec déférence, que même si cette
objection est bien fondée en ce qui a trait à une
dichotomie construction-entretien, la décision de la
majorité dans l'affaire Construction Montcalm,
ainsi qu'il ressort clairement des deux décisions
rendues subséquemment par la Cour dans les
affaires Northern Telecom, ne s'appuyait pas sur
un tel fondement: Northern Telecom Ltée c. Tra-
vailleurs en communication du Canada, [1980] 1
R.C.S. 115; 98 D.L.R. (3d) 1; (1979), 28 N.R.
107, et Northern Telecom Canada Ltée et autre c.
Syndicat des travailleurs en communication du
Canada et autre, [1983] 1 R.C.S. 733; 147 D.L.R.
(3d) 1; 48 N.R. 161.
Avant d'examiner ces décisions, je souligne que
dans l'affaire Association des Entrepreneurs en
Construction du Québec c. Gazoduc Trans -Qué-
bec & Maritimes Inc. et autre (1981), 132 D.L.R.
(3d) 581 (C.S. Qué.), devant une situation de fait
ressemblant beaucoup à celle en l'espèce, le juge
Hannan, après avoir distingué l'affaire qu'il avait à
juger de l'affaire Construction Montcalm, a statué
que les relations de travail des travailleurs partici
pant dans la province de Québec à la construction
d'un pipeline de gaz naturel devant faire partie
d'un système interprovincial de pipeline de gaz
naturel sont assujetties à la compétence fédérale. Il
a dit, aux pages 609 611:
[TRADUCTION] Le tribunal est d'avis que la construction de
l'extension d'un pipeline de gaz naturel interprovincial, pour ne
pas dire international par son étendue, présente fondamentale-
ment des analogies beaucoup plus évidentes avec celle d'un
réseau téléphonique ou d'un système de chemin de fer qu'avec
la construction d'installations aéroportuaires. Toutefois, la
construction de cet ouvrage, avant qu'il ne devienne partie
intégrante de ce système de pipeline, sera assujettie à la législa-
tion provinciale valide à la condition que l'exploitation de
l'entreprise fédérale n'en soit pas entravée et qu'il n'en résulte
pas le démembrement de l'ouvrage fédéral, et pourvu que
l'entreprise visée ne constitue pas une entreprise fédérale assu-
jettie au contrôle exclusif du Parlement fédéral: voir les motifs
prononcés par le juge Beetz dans l'affaire Montcalm Construc
tion...
Le fait que l'entreprise principale de nature fédérale fait
partie du système de pipeline de T.C.P.L. et, en conséquence,
de T.-Q.M., et la participation de Universel à l'exploitation et à
l'établissement de l'entreprise fédérale en tant que méthode de
fonctionnement amènent le tribunal à conclure, avec déférence
pour l'opinion contraire, que l'entreprise, le service ou l'affaire
que constitue pour T.-Q.M. la construction de l'extension du
pipeline de transmission du gaz naturel est de nature fédérale
et, en conséquence, est soustraite à la compétence provinciale
ainsi qu'aux effets de la législation provinciale.
III
L'affaire Telecom n° 1 a pris naissance lorsque
l'employeur a contesté la compétence du CCRT à
accréditer un syndicat à titre d'agent négociateur
pour certains de ses employés. Les faits sur la
question constitutionnelle étant insuffisants pour
permettre à la Cour de trancher la question de la
compétence, celle-ci, après avoir exposé le droit
pertinent à la question en cause, a rejeté l'appel.
Le juge Dickson (c'était alors son titre), pronon-
çant les motifs de l'ensemble des juges de cette
Cour, ramène les motifs prononcés par le juge
Beetz dans l'affaire Construction Montcalm à six
principes, aux pages 132 R.C.S.; 13 D.L.R.; 124 et
125 N.R.:
(1) Les relations de travail comme telles et les termes d'un
contrat de travail ne relèvent pas de la compétence du Parle-
ment; les provinces ont une compétence exclusive dans ce
domaine.
(2) Cependant, par dérogation à ce principe, le Parlement peut
faire valoir une compétence exclusive dans ces domaines s'il est
établi que cette compétence est partie intégrante de sa compé-
tence principale sur un autre sujet.
(3) La compétence principale du fédéral sur un sujet donné
peut empêcher l'application des lois provinciales relatives aux
relations de travail et aux conditions de travail, mais unique-
ment s'il est démontré que la compétence du fédéral sur ces
matières fait intégralement partie de cette compétence fédérale.
(4) Ainsi, la réglementation des salaires que doit verser une
entreprise, un service ou une affaire et la réglementation de ses
relations de travail, toutes choses qui sont étroitement liées à
l'exploitation d'une entreprise, d'un service ou d'une affaire, ne
relèvent plus de la compétence provinciale et ne sont plus
assujetties aux lois provinciales s'il s'agit d'une entreprise, d'un
service ou d'une affaire fédérale.
(5) La question de savoir si une entreprise, un service ou une
affaire relève de la compétence fédérale dépend de la nature de
l'exploitation.
(6) Pour déterminer la nature de l'exploitation, il faut considé-
rer les activités normales ou habituelles de l'affaire en tant
qu'«entreprise active» sans tenir compte de facteurs exception-
nels ou occasionnels; autrement, la Constitution ne pourrait
être appliquée de façon continue et régulière.
Il ressort clairement du dernier principe énoncé
que le critère applicable est essentiellement axé sur
les activités de l'entreprise. Dans cet ordre d'idées,
le juge Dickson poursuit, aux pages 132 à 135
R.C.S.; 14 à 16 D.L.R.; 125 à 127 N.R.:
Une décision récente du Labour Relations Board de la
Colombie-Britannique, Arrow Transfer Co. Ltd. ([1974] 1
Can. L.R.B.R. 29), expose la méthode retenue par les cours
pour déterminer la compétence constitutionnelle en matière de
relations de travail. Premièrement, il faut examiner l'exploita-
tion principale de l'entreprise fédérale. On étudie ensuite l'ex-
ploitation accessoire pour laquelle les employés en question
travaillent. En dernier lieu on parvient à une conclusion sur le
lien entre cette exploitation et la principale entreprise fédérale,
ce lien nécessaire étant indifféremment qualifié «fondamental»,
«essentiel» ou «vital». Comme l'a déclaré le président de la
Commission, aux pp. 34 et 35;
[TRADUCTION] Dans chaque cas la décision est un juge-
ment à la fois fonctionnel et pratique sur le caractère vérita-
ble de l'entreprise active et il ne dépend pas des subtilités
juridiques de la structure de la société en cause ou des
relations de travail.
En l'espèce, il faut d'abord se demander s'il existe une
entreprise fédérale principale et en étudier la portée. Puis, il
faut étudier l'exploitation accessoire concernée, c.-à-d. le ser
vice d'installation de Telecom, les «activités normales ou habi-
tuelles» de ce service en tant qu'«entreprise active» et le lien
pratique et fonctionnel entre ces activités et l'entreprise fédé-
rale principale.
Un autre facteur, beaucoup plus important aux fins de
l'examen de la relation entre des entreprises, est le lien matériel
et opérationnel qui existe entre elles. Dans la présente affaire, il
faut, comme le souligne le jugement dans Montcalm, étudier la
continuité et la régularité du lien sans tenir compte de facteurs
exceptionnels ou occasionnels. La simple participation d'em-
ployés à un ouvrage ou à une entreprise fédérale n'entraîne pas
automatiquement la compétence fédérale. Il est certain que
plus on s'éloigne de la participation directe à l'exploitation de
l'ouvrage ou de l'entreprise principale, plus une interdépen-
dance étroite devient nécessaire.
Sur la base des grands principes constitutionnels exposés
ci-dessus, il est clair que certains faits sont décisifs sur la
question constitutionnelle. De façon générale, il s'agit
notamment:
(1) de la nature générale de l'exploitation de Telecom en tant
qu'entreprise active et, en particulier, du rôle du service de
l'installation dans cette exploitation;
(2) de la nature du lien entre Telecom et les sociétés avec
lesquelles elle fait affaires, notamment Bell Canada;
(3) de l'importance du travail effectué par le service de
l'installation de Telecom pour Bell Canada, en comparaison
avec ses autres clients;
(4) du lien matériel et opérationnel entre le service de
l'installation de Telecom et l'entreprise fédérale principale
dans le réseau téléphonique et, en particulier, de l'importance
de la participation du service de l'installation à l'exploitation
et à l'établissement de l'entreprise fédérale en tant que
méthode de fonctionnement.
Cette manière fonctionnelle et pratique d'abor-
der le contexte factuel de l'entreprise active est
explicitée davantage dans l'arrêt Northern Tele-
com n° 2. Dans cette affaire, le CCRT a décliné sa
compétence à l'égard de requêtes en accréditation
concernant des installateurs dont le travail, qui
consistait à installer les produits fabriqués par
leurs employeurs, était effectué à 80 % dans les
locaux de la société de téléphone. Le CCRT a
toutefois alors présenté un renvoi sous forme de
question constitutionnelle à cette Cour conformé-
ment au paragraphe 28(4) de la Loi sur la Cour
fédérale. Notre Cour a conclu que la question
visée ressortissait à la compétence fédérale. Un
banc de la Cour suprême formé de sept juges a
rejeté l'appel formé à l'encontre de cette décision,
avec les dissidences du juge Beetz et du juge
Chouinard.
Le juge Estey, dans les motifs du jugement qu'il
a prononcés pour la majorité, a qualifié le qua-
trième principe énoncé par le juge Dickson dans
l'affaire Northern Telecom n° 1 de [TRADUCTION]
«critère principal d'application», aux pages 755
R.C.S.; 26 D.L.R.; 173 N.R.:
1. Le critère principal d'application du principe énoncé dans
l'arrêt sur les Débardeurs est l'étude du «lien matériel et
opérationnel» entre les installateurs de Telecom et l'entre-
prise principale de nature fédérale, le réseau téléphonique, et
en particulier de l'importance de la participation des installa-
teurs à la création et à l'exploitation de l'entreprise fédérale
en tant que méthode de fonctionnement. Je me suis permis de
paraphraser, avec la terminologie propre au présent dossier,
le critère n° 4, déjà cité, formulé par le juge Dickson dans
l'arrêt de cette Cour rendu en 1980.
Le juge Dickson, dans ses motifs de jugement
concourants, fait référence au même principe aux
pages 772 R.C.S.; 5 D.L.R.; 183 N.R., affirmant
que celui-ci constitue le «facteur le plus important»
lorsqu'il s'agit de trancher la question de la compé-
tence constitutionnelle.
Le juge Estey poursuit, aux pages 766 et 767
R.C.S.; 34 et 35 D.L.R.; 180 N.R.:
Nous n'avons pas à nous préoccuper des petites différences
entre les fonctions des installateurs et celles des employés du
même type chez Bell, mais plutôt des relations d'ensemble entre
le travail des installateurs dans l'exploitation de la filiale et
dans la marche de l'entreprise principale. Avec égards pour
ceux qui, au cours des longues années pendant lesquelles le
processus a duré, sont venus à la conclusion contraire, après
examen du dossier soumis à cette Cour, je suis d'avis que
l'application de la ratio decidendi de l'arrêt sur les Débardeurs,
précité, et les critères de détermination de la classification
constitutionnelle appropriée énoncés par cette Cour dans l'arrêt
Telecom de 1980, précité, conduisent inévitablement à l'attri-
bution des relations de travail de ces employés de Telecom à la
compétence fédérale. Comme le dit le juge Beetz dans l'arrêt
Montcalm, précité aux pp. 768 et 769 [R.C.S.; 652 D.L.R.]:
... uniquement s'il est démontré que la compétence du
fédéral sur ces matières fait intégralement partie de cette
compétence fédérale ...
J'ai déjà relaté les faits sous forme d'extraits des témoigna-
ges, de citations de la décision du Conseil ou des motifs des
jugements des cours d'instance inférieure. L'intégration presque
totale du travail quotidien des installateurs aux tâches d'établis-
sement et d'exploitation du réseau de télécommunications fait
du travail d'installation un élément intégral de l'entreprise
fédérale. Les équipes d'installation travaillent la plupart du
temps dans les locaux occupés par le réseau de télécommunica-
tions. L'agrandissement, l'expansion et l'amélioration du réseau
constituent une opération conjointe du personnel de Bell et de
celui de Telecom. L'expansion ou le remplacement de l'équipe-
ment de commutation et de transmission, qui est en lui-même
essentiel à l'exploitation continue du réseau, est intimement
intégré aux systèmes de prestation des communications du
réseau. Tout ce travail absorbe une très grande proportion du
travail des installateurs.
Même si la tentative de définir le travail des installateurs,
soit comme la dernière étape de la fabrication, soit comme la
première étape de l'exploitation du réseau de communications,
simplifie et clarifie manifestement le débat, elle est en partie
trompeuse. Si le produit perd son identité opérationnelle par
suite de son installation dans un grand système, il n'est proba-
blement pas juste de dire que son intégration au système a trait
à sa fabrication. Fabrication comporte ordinairement l'idée de
faire un produit à partir de matières premières et de l'amener à
un état complètement terminé ou d'assembler des composantes
et des sous-unités en un produit fini. En l'espèce, l'équipement
de transmission et de commutation est complet en lui-même au
moment de sa livraison à Bell ou avant son raccordement au
réseau. Le raccordement au réseau constitue simplement la
mise en marche du produit fini. Le réseau est incomplet sans le
produit, mais le produit est complet sans le réseau. Donc on
peut affirmer avec exactitude et logique que l'installation cons-
titue une étape dans l'expansion ou le rétablissement d'une
entreprise fédérale, c.-à-d. le réseau actif de télécommunica-
tions.
Le juge Dickson, dans ses motifs concourants, a
exprimé la même idée en des termes approchants,
aux pages 772 R.C.S.; 6 et 7 D.L.R.; 183 et 184
N.R.:
Les appelantes ont soutenu que le travail des installateurs
n'est que la dernière étape de la fabrication; l'installation n'est
que la livraison effective. Le fait que l'installation d'un équipe-
ment complexe ne soit pas une tâche simple et exige un grand
nombre d'essais sur place ne crée pas de différence. Il faut
observer que les essais portent principalement sur le système en
cours d'installation et ne visent pas normalement l'essai de
l'ensemble du réseau de Bell. On a aussi admis qu'une fois
l'installation terminée, l'équipement est confié aux employés de
Bell Canada qui se chargent de son entretien normal. On a
soutenu que les installateurs font essentiellement du travail de
construction qui, selon l'arrêt Montcalm, précité, relève de la
compétence provinciale.
Je conviens que le simple fait que les installateurs fassent les
essais sur place n'implique pas, en soi, qu'ils exploitent l'entre-
prise fédérale. Je conviens également que le fait que l'installa-
tion constitue une procédure complexe n'est pas déterminant. Je
n'admets pas cependant que le travail des installateurs puisse
être défini comme du travail de construction comme dans
l'arrêt Montcalm, précité. L'intimé, le Syndicat des travailleurs
en communication du Canada, a donné la définition suivante du
travail des installateurs:
[TRADUCTION] La presque totalité du travail d'installation
accompli par Northern Telecom consiste à réaménager, et à
moderniser et à en augmenter la capacité des installations
existantes du réseau de téléphone. Les installateurs de Nor
thern Telecom travaillent dans les centraux et les stations de
répéteurs radio couramment exploitées pour améliorer le
réseau selon l'évolution des besoins des clients de la compa-
gnie de téléphone. À ce titre, leur travail n'est pas préalable à
la mise en place du réseau de téléphone, mais fait plutôt
partie de son agrandissement courant et de sa modernisation.
Dans la division générale de la commutation, au moins
quatre-vingt-dix pour cent du travail effectué par les installa-
teurs porte sur des réaménagements ou des additions à
l'équipement actuel de commutation exploité dans les cen-
traux. Les mêmes pourcentages s'appliquent à la division
d'installation des transmissions, où les installateurs réaména-
gent, améliorent et agrandissent la capacité des stations de
répéteurs radio existantes.
Il n'y a pas de construction dans le sens de construction qui
relèverait, selon l'arrêt Montcalm, de la compétence provin-
ciale. Dans l'arrêt Montcalm, après la fin de la construction de
l'aéroport, les ouvriers de la construction n'avaient plus rien à
voir avec l'entreprise fédérale. L'exploitation de Bell Canada
est très différente. Par sa nature même, le réseau de télécom-
munication de Bell Canada est constamment l'objet de rénova-
tion, de modernisation et d'expansion. Le réseau de Bell est très
automatisé et fait l'objet d'améliorations constantes. Ce sont les
installateurs qui remplissent cette tâche. Même si leur emploi
ne constitue pas de l'«entretien» au sens strict de ce terme, je
crois qu'à l'analyse, leur travail est beaucoup plus près de
l'entretien que de la construction ordinaire d'une entreprise
fédérale. Le travail des installateurs n'est pas antérieur à
l'exploitation de l'entreprise de Bell Canada; leur travail fait
partie intégrante de l'exploitation de Bell Canada en tant
qu'entreprise active. J'ai souligné plus tôt que les installateurs
n'ont pas de contact avec les autres employés de Telecom. Par
contre, ils ont des contacts et doivent travailler en étroite
coordination avec les employés de Bell Canada. Dans ce con-
texte général, l'installation ne constitue pas la dernière étape de
la fabrication. On ne peut même pas vraiment dire non plus que
ce soit le début de l'exploitation de l'entreprise fédérale. Elle
constitue simplement une partie essentielle du processus d'ex-
ploitation. Le travail des installateurs ne représente pas le
même genre de participation aux opérations quotidiennes de
l'entreprise fédérale que celle qu'on retrouvait dans l'arrêt sur
les Débardeurs ou l'arrêt sur les Facteurs, précités, dans le sens
que les installateurs de Telecom ne rendent pas de services
directement aux usagers de l'entreprise fédérale. Cela ne rend
cependant pas le travail des installateurs moins vital pour
l'entreprise fédérale.
À l'examen des deux arrêts Northern Telecom,
je conclus que le facteur le plus important lorsque,
dans des affaires de ce type, il s'agit de trancher la
question de la compétence constitutionnelle, est
celui des «relations d'ensemble» existant entre l'ex-
ploitation de la filiale et l'entreprise principale de
nature fédérale. Les faits se rapportant à cette
relation devraient être examinés en mettant l'ac-
cent sur leur aspect fonctionnel et pratique. Pour
que la compétence fédérale soit établie (1) leur
exploitation doit présenter un haut niveau d'inté-
gration et (2) cette intégration doit avoir un carac-
tère continu. L'arrêt Construction Montcalm doit
donc également être interprété à la lumière de ces
principes.
Ces conclusions s'harmonisent parfaitement
avec celles du juge Urie dans les deux décisions
qu'il a rédigées pour cette Cour depuis qu'ont été
rendus les arrêts Northern Telecom. Dans l'arrêt
Bernshine Mobile Maintenance Ltd. c. Conseil
canadien des relations du travail, [1986] 1 C.F.
422; (1985), 22 D.L.R. (4th) 748; (1985), 62 N.R.
209, la compétence du CCRT a été confirmée, une
entreprise qui fournissait des services de réparation
de pneus ainsi que des services de lavage de trac-
teurs et de remorques ayant été jugée essentielle à
l'exploitation d'une entreprise fédérale de trans
port interprovincial par camion. Dans l'arrêt
Highway Truck Service Ltd. c. Conseil canadien
des relations du travail (1985), 62 N.R. 218, la
Cour a, de la même façon, confirmé la compétence
du gouvernement fédéral à l'égard d'une société
qui assurait sur une base continue l'entretien de
tracteurs de semi-remorques utilisés par une
société de camionnage interprovincial.
IV
L'analyse complète faite par le CCRT du facteur
jouant le rôle le plus important dans la détermina-
tion de la compétence constitutionnelle est le sui-
vant (Dossier d'appel, vol. I, pages 31 33):
[TRADUCTION] Examinons enfin le quatrième facteur, qui
est le plus important, à savoir les relations physiques et opéra-
tionnelles entre l'entreprise principale de compétence fédérale
et l'activité secondaire en question. Même si les trois premiers
facteurs étaient en faveur de la compétence fédérale (ce qu'ils
ne sont pas), nous conclurions à la compétence provinciale en
raison du poids du seul quatrième facteur.
Nous ne pouvons pas voir que la reconstruction d'un pont par
un entrepreneur de l'extérieur fait davantage partie intégrante
des opérations de CN Rail en tant qu'entreprise active que ne le
ferait la construction d'une nouvelle gare ferroviaire à Vancou-
ver ou l'adjonction de dix étages à son siège social au centre de
Montréal.
Le rapport de l'agent indique clairement que ce sont les
employés de CN Rail qui s'assurent que le chemin de fer
continue de fonctionner, d'une manière aussi normale que
possible. Ce n'est pas ce que l'entrepreneur tente de faire, car il
veut simplement construire un pont. Le chemin de fer continue
de fonctionner malgré la reconstruction du pont ferroviaire, et
non pas grâce à elle.
Le Conseil de la C.-B. a décidé en faveur de la compétence
fédérale parce qu'il a jugé qu'il s'agissait d'un travail d'entre-
tien de chemins de fer. L'entretien est considéré comme faisant
partie intégrante d'une entreprise de compétence fédérale, car il
est indispensable aux activités quotidiennes de l'entreprise (voir
la décision que le Conseil a rendue dans Bernshine, précitée). Il
nous est très difficile de considérer le travail en question comme
un travail d'entretien et comme une partie du fonctionnement
du chemin de fer en tant qu'entreprise active. La reconstruction
des ponts est une circonstance exceptionnelle et non pas une
partie normale du fonctionnement. Le pont reconstruit durera
probablement longtemps, mais le travail effectué n'est pas long.
C'est là la différence entre la présente affaire et Telecom n° 2,
précitée, où l'installation d'un nouvel équipement faisait partie
du programme continu de modernisation appliqué par Bell.
L'entretien quotidien des rails fait partie des activités quoti-
diennes d'un chemin de fer en exploitation, mais lorsqu'un
vieux pont est entièrement démonté et reconstruit, ce travail va
au-delà de l'entretien. Il s'agit simplement d'un travail de
construction.
Bien sûr, si CN Rail avait utilisé ses propres employés
préposés à l'entretien des voies pour effectuer le travail, il ne
serait aucunement important de le qualifier de construction ou
d'entretien; il relèverait toujours de la compétence fédérale.
Mais cette conclusion serait moins liée à la nature du travail
lui-même qu'au fait qu'il serait une partie non distincte d'une
entreprise principale de compétence fédérale. Ce sont là les
caprices du droit constitutionnel. Toutefois, dans les présentes
circonstances, où CN Rail a bien décidé de donner du travail en
adjudication et où il a invité le secteur de la construction à
présenter des soumissions, il en a clairement fait un projet de
construction distinct du chemin de fer. C'est dans ce contexte
qu'il faut juger de la compétence constitutionnelle.
Parmi les affaires où ce genre de travail a été considéré
comme du travail de construction, l'arrêt de principe est sans
aucun doute Construction Montcalm Inc. c. Commission du
salaire minimum, précité, où la majorité des membres de la
Cour suprême du Canada, par l'entremise du juge Beetz, a
statué que la construction d'une piste d'aéroport ne relevait pas
de l'autorité fédérale en ce qui concerne les relations de travail.
Nous appliquerons à la reconstruction du pont ferroviaire située
près de Smithers (C.-B.) le même critère que celui que la Cour
suprême a retenu pour se prononcer sur une nouvelle construc
tion dans cette affaire. Comme nous l'avons fait savoir plus tôt,
nous ne voyons pas de grande différence entre la nouvelle
construction et la reconstruction, qu'il s'agisse d'une piste,
d'une route, d'un oléoduc, d'un bâtiment ou d'un pont ferro-
viaire. Si le travail est effectué dans le secteur de la construc
tion et dans les limites d'une province, nous estimons respec-
tueusement que la compétence provinciale en matière de
relations de travail doit avoir priorité. Nous concluons que les
relations de travail d'Antioch et de Glossop étaient régies par
les lois de la Colombie-Britannique aux fins de la reconstruc
tion du pont située près de Smithers (C.-B.).
Avec déférence, je suis d'avis que le CCRT
établit une distinction trop nette entre la construc
tion et l'entretien. Ainsi que l'a souligné le juge
Dickson dans l'arrêt Northern Telecom n° 2, pré-
cité, aux pages 773 R.C.S.; 6 D.L.R.; 183 N.R.,
ces termes désignent souvent des réalités qui sont
analogues plutôt qu'identiques:
Même si leur [les installateurs de Northern Telecom] emploi ne
constitue pas de l'«entretien» au sens strict de ce terme, je crois
qu'à l'analyse, leur travail est beaucoup plus près de l'entretien
que de la construction ordinaire d'une entreprise fédérale.
Le fait que l'exploitation continue du chemin de
fer pendant la construction est de la responsabilité
particulière des employés de la Compagnie des
chemins de fer est, selon moi, un facteur neutre,
qui pourrait très bien servir à démontrer que les
activités de l'entreprise principale et celles de la
filiale sont à ce point reliées que les employés de la
filiale se trouvent, à certains moments, placés sous
le contrôle et la direction des employés de l'entre-
prise principale.
De plus, je n'estime pas que la décision de CN
Rail de confier les travaux de construction en
sous-traitance constitue un élément décisif ainsi
que l'a prétendu l'avocat du CCRT qui, dans sa
plaidoirie, a affirmé que ce facteur constituait
l'élément factuel le plus important à considérer. Il
ne fait aucun doute que si CN Rail avait décidé de
faire effectuer ces travaux par ses propres
employés—comme elle semble l'avoir fait concer-
nant quatre des ponts à transformer—ces travaux,
ainsi que le déclare le Conseil, seraient devenus
[TRADUCTION] «une partie non distincte d'une
entreprise principale de compétence fédérale».
Mais l'inverse n'est pas vrai. Si tel était le cas, l'on
ne pourrait justifier les décisions rendues par cette
Cour dans les affaires Bernshine et Highway
Truck Service, qui ont confirmé des décisions con-
cluant à la compétence fédérale malgré l'existence
de contrats de sous-traitance.
Il suffit néanmoins, pour en arriver à la même
conclusion que le CCRT en se fondant sur mon
interprétation des deux arrêts Northern Telecom,
d'un léger rajustement des motifs du Conseil. L'in-
tégration opérationnelle que l'on peut déceler dans
les activités des employés de Glossop et de CN
Rail revêt un caractère temporaire plutôt que con-
tinu. Ainsi que le Conseil l'a dit lui-même, [TRA-
DUCTION] «Le pont reconstruit durera probable-
ment longtemps, mais le travail effectué n'est pas
long.» Les travaux en l'espèce, qu'on les considère
comme appartenant à la catégorie des travaux de
construction ou comme relevant de l'entretien, sont
discontinus par nature et ont une durée tempo-
raire. Contrairement aux travaux des installateurs
de Northern Telecom, ceux-ci ne présentent aucun
caractère de continuité ou de permanence. Les
travaux en l'espèce sont limités et revêtent un
caractère final.
Je répondrai donc à la question renvoyée par la
négative.
LE JUGE PRATTE: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs.
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