A-684-85
Joseph Granger (requérant)
c.
Commission de l'emploi et de l'immigration
(intimée)
et
Bureau du juge Dubé, juge-arbitre (tribunal)
RÉPERTORIÉ: GRANGER c. COMMISSION DE L'EMPLOI ET DE
L'IMMIGRATION DU CANADA
Cour d'appel, juges Pratte, Hugessen et Lacom-
be—Montréal, 13 mars; Ottawa, 11 avril 1986.
Contrôle judiciaire — Demandes d'examen — Les presta-
tions de pension versées directement dans un R.E.É.R.
n'étaient pas considérées reçues, et par conséquent elles
n'avaient pas à être déduites du montant des prestations
d'adaptation versées suivant l'art. 17 de la Loi sur les presta-
tions d'adaptation pour les travailleurs — Le requérant a
choisi irrévocablement de recevoir une pension jusqu'à l'âge de
65 ans, laquelle devait être versée directement dans un
R.E.É.R. — La Commission modifie par la suite son interpré-
tation de l'art. 17 — Elle considère que les prestations étaient
reçues même si elles étaient déposées directement dans un
R.E.É.R. — Le juge-arbitre confirme la décision de la Com
mission — L'interprétation différente ne viole pas les principes
de justice naturelle — L'action porte sur l'application de la loi
plutôt que l'équité — La Cour doit s'en tenir à vérifier le bien
ou le mal-fondé de la décision du tribunal pour l'un ou l'autre
des motifs énoncés à l'art. 28 — Pour faire droit à l'argument
de l'estoppel par représentation pour des raisons d'équité il
faudrait que la Cour annule la décision de la Commission
plutôt que celle du juge-arbitre — La Cour ne siège pas en
équité dans le cadre du recours exercé par le requérant —
Demande rejetée — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e
Supp.), chap. 10, art. 28 — Loi sur les prestations d'adapta-
tion pour les travailleurs, S.C. 1980-81-82-83, chap. 89,
art. 17.
Fin de non-recevoir — La Commission fait savoir au requé-
rant que les prestations de pension versées directement dans un
R.E.E.R. n'étaient pas déductibles du montant des prestations
d'adaptation pour les travailleurs — Le requérant se fie à ces
renseignements pour choisir le mode de versement de sa pen
sion — La Commission change par la suite son interprétation
de l'art. 17 de la Loi sur les prestations d'adaptation pour les
travailleurs, ce qui entraîne la déduction des prestations de
pension du montant des prestations d'adaptation — Le requé-
rant excipe de l'estoppel par représentation pour des raisons
d'équité — La Commission n'a pas le pouvoir de modifier la
loi, en conséquence ses interprétations n'ont pas force de loi —
La Commission n'a aucune discrétion concernant le calcul des
prestations et des déductions — La Couronne n'est pas liée par
les opinions du Ministère si elles sont contraires aux disposi
tions claires et impératives de la loi — Loi sur les prestations
d'adaptation pour les travailleurs, S.C. 1980-81-82-83, chap.
89, art. 15, 17, 26.
Assurance-chômage — La Loi sur les prestations d'adapta-
tion pour les travailleurs prévoit le paiement de prestations à
des employés âgés de moins de 65 ans qui ont perdu leur
emploi et reçu toutes les prestations d'assurance-chômage
auxquelles ils avaient droit — La Commission avise le requé-
rant que les prestations de pension versées directement dans un
R.E.E.R. n'étaient pas déduites du montant des prestations
d'adaptation versées suivant l'art. 17 de la Loi — Le requérant
a choisi irrévocablement de recevoir une pension jusqu'à l'âge
de 65 ans, laquelle devait être versée directement dans un
R.E.É.R. — La Commission change par la suite son interpré-
tation de l'art. 17 — Les prestations de pension sont considé-
rées comme reçues et sont donc déductibles même si elles sont
versées directement dans un R.E.É.R. — Loi sur les presta-
tions d'adaptation pour les travailleurs pari materia la Loi de
l'assurance-chômage — Application du principe établi dans
les décisions en matière d'assurance-chômage selon lequel les
renseignements erronés donnés aux prestataires par les fonc-
tionnaires de la Commission ne lient pas cette dernière et ne
justifient pas l'estoppel — Loi sur les prestations d'adaptation
pour les travailleurs, S.C. 1980-81-82-83, chap. 89, art. 17
Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, chap.
48.
Il s'agit d'une demande d'annulation de la décision du juge-
arbitre. La Loi sur les prestations d'adaptation pour les tra-
vailleurs prévoit le paiement de prestations à certains employés
âgés de moins de soixante-cinq ans qui ont perdu leur emploi et
reçu toutes les prestations d'assurance-chômage auxquelles ils
avaient droit. Après avoir fixé le montant des prestations, la
Commission doit faire les déductions prescrites par le paragra-
phe 17(1). Le requérant a pris une retraite anticipée. La
Commission lui a dit que les prestations de pension versées
directement dans un R.E.E.R. n'étaient pas considérées comme
ayant été reçues, et que, par conséquent, en vertu de l'article 17
elles n'avaient pas à être déduites des prestations d'adaptation
versées. Se fiant à ces renseignements, le requérant a choisi
irrévocablement de recevoir une pension jusqu'à l'âge de 65 ans
et il a pris les mesures nécessaires pour qu'elle soit versée
directement dans un R.E.É.R. Pendant quelques semaines, le
requérant a reçu des prestations d'adaptation sans aucune
déduction pour ses prestations de pension qui étaient versées
dans un R.E.É.R. Puis, la Commission l'a informé qu'elle avait
changé son interprétation de l'article 17; désormais, les presta-
tions de pension versées dans un R.E.É.R. seraient déduites du
montant des prestations d'adaptation. Le juge-arbitre a con
firmé la décision de la Commission.
Le requérant a fait valoir que l'interprétation initiale que la
Commission avait donnée de l'article 17 n'était pas déraisonna-
ble, et que le juge-arbitre avait violé les principes de justice
naturelle en permettant à la Commission de modifier cette
interprétation, à laquelle le requérant s'était fié pour choisir le
mode de versement de sa pension.
Arrêt (le juge Hugessen dissident): la demande devrait être
rejetée.
Le juge Pratte: Les principes de justice naturelle n'ont rien à
voir dans ce débat. Le véritable reproche que le requérant fait
au juge-arbitre est d'avoir appliqué la loi plutôt que l'équité. La
Commission n'a pas le pouvoir de modifier la loi et, en consé-
quence, l'interprétation qu'elle peut faire de la loi n'a pas
elle-même force de loi. L'engagement que prendrait la Com-
mission, de bonne ou mauvaise foi, d'agir autrement que ne le
prescrit la loi, serait nul et contraire à l'ordre public.
Le juge est lié par la loi. Il ne peut refuser de l'appliquer,
même pour des motifs d'équité. Le requérant a cité l'arrêt
Sous-Ministre du Revenu du Québec c. Transport Lessard
(1976) Liée et Reg. v. Inland Revenue Comrs., Ex parte
Preston, [1985] A.C. 835. Ces arrêts n'ont aucune application
en l'espèce, car on y a tenu pour acquis que la loi accordait à
l'Administration une certaine discrétion dans le choix des
moyens à prendre pour percevoir les impôts. Les tribunaux ont
dit que l'Administration ne doit pas exercer cette discrétion de
façon abusive ou manifestement injuste. La Commission n'a
pas mal exercé sa discrétion car elle n'en a aucune.
Le juge Lacombe: La jurisprudence canadienne a statué de
façon constante, en matière fiscale, que la Couronne n'est pas
liée par les représentations des représentants du Ministère si
elles sont contraires aux dispositions claires et impératives de la
loi.
La jurisprudence arbitrale est aussi unanime pour appliquer
le même principe en matière d'assurance-chômage. La Loi sur
les prestations d'adaptation pour les travailleurs étant pari
materia, et prévoyant la même procédure d'appel à l'encontre
des décisions de la Commission intimée, il n'y a pas lieu de
déroger à cette jurisprudence arbitrale fermement établie sous
la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage. La Commission n'a
aucune discrétion à l'égard du calcul des prestations, de leur
ajustement et des déductions à y faire. Elle n'était pas autorisée
à accorder initialement une exemption que la Loi ne reconnais-
sait pas au requérant.
Le pouvoir d'intervention de la Cour, dans une demande de
révision judiciaire, est limité à vérifier le bien ou le mal-fondé
de la décision du tribunal dont il s'agit, pour l'un ou l'autre des
motifs énoncés à l'article 28. En faisant droit à l'argument de
l'estoppel par représentation du requérant, pour des raisons
d'équité, la Cour annulerait la décision de la Commission
intimée plutôt que celle du juge-arbitre, alors que la Cour ne
siège pas en équité dans le cadre du recours présentement
exercé par le requérant.
Le juge Hugessen (dissident): La demande devrait être
accueillie au motif que la décision de la Commission constituait
un abus illégal de pouvoir. Il fut un temps où les tribunaux
déclaraient que si injustes que puissent être les résultats, le
législateur voulait toujours que la loi soit appliquée. Récem-
ment, les tribunaux anglais ont admis que, dans certaines
circonstances, la théorie de l'estoppel pouvait s'appliquer pour
empêcher l'autorité publique d'agir de manière qui, autrement,
aurait été permise. La Chambre des lords a déclaré que même
l'exercice d'un devoir statutaire est susceptible de révision
judiciaire s'il a lieu dans des circonstances où l'application de la
loi elle-même pourrait constituer un abus de pouvoir.
Si la Commission était une personne privée, la doctrine de
l'estoppel par représentation s'appliquerait pour l'empêcher de
changer sa position. Comme elle est une autorité publique, sa
décision, même conforme au texte de la Loi, constitue un abus
de pouvoir et est sujette à la révision judiciaire. Cette décision
est illégale et le juge-arbitre n'aurait pas dû réviser la décision
du conseil arbitral selon laquelle la première interprétation de
la Commission était exacte.
Il ne s'agit pas ici d'un refus du tribunal d'appliquer la loi.
En raison des circonstances exceptionnelles de l'espèce, un
autre principe du droit, celui de l'abus du pouvoir, empêche les
autorités d'invoquer à l'égard du requérant certaines de ses
dispositions.
Si la décision du juge-arbitre était maintenue, les circons-
tances de l'espèce donneraient lieu à une action en dommages-
intérêts contre la Couronne.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
M.R.N. c. Inland Industries Limited, [1974] R.C.S. 514.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Sous-Ministre du Revenu du Québec c. Transport Les-
sard (1976) Ltée, résumée à [1985] R.D.F.Q. 322 (C.A.);
Reg. v. Inland Revenue Comrs., Ex parte Preston, [1985]
A.C. 835 (H.L.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Reg. v. Inland Revenue Comrs., Ex parte National Fed
eration of Self -Employed and Small Businesses Ltd.,
[1982] A.C. 617 (H.L.); Municipal Council of Peterboro
and Victoria v. The Grand Trunk Railway Co. (1859),
18 U.C.Q.B. 220; Rothwell c. La Reine, jugement du 23
décembre 1985, Cour fédérale, Division de première ins
tance, T-1-83, non encore publié; Sydney J. Brookes,
CUB 4909.
DÉCISIONS CITÉES:
R v Secretary of State for the Home Dept, ex p Khan,
[1985] 1 All ER 40 (C.A.); Robertson v. Minister of
Pensions, [1948] 2 All E.R. 767 (K.B.D.); Falmouth
Boat Construction, Ltd. v. Howell, [1950] 1 All E.R. 538
(C.A.); Wells v. Minister of Housing and Local Govern
ment, [1967] 2 All E.R. 1041 (C.A.); Lever (Finance) Ltd
v Westminster Corpn, [1970] 3 All ER 496 (C.A.); Re L
(A C) (an infant), [1971] 3 All ER 743 (Ch. D.); H.T.V.
Ltd. v. Price Commission, [1976] I.C.R. 170 (C.A.);
Hedley Byrne & Co. Ltd. v. Heller & Partners Ltd.,
[1964] A.C. 465 (H.L.); Windsor Motors Ltd. v. District
of Powell River (1969), 4 D.L.R. (3d) 155 (C.A.C.-B.);
Woon, Bert W. v. Minister of National Revenue, [1951]
R.C.É. 18; Stickel c. Le ministre du Revenu national,
[1972] C.F. 672 (1" inst.); infirmée par [1973] C.F. 259
(C.A.); [1975] 2 R.C.S. 233.
AVOCATS:
Georges Campeau pour le requérant.
Guy LeBlanc et Carole Bureau pour l'intimée.
PROCUREURS:
Campeau, Cousineau & Ouellet, Montréal,
pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE PRATTE: Le requérant demande l'an-
nulation d'une décision prononcée par un juge-
arbitre agissant en vertu de l'article 26 de la Loi
sur les prestations d'adaptation pour les travail-
leurs (S.C. 1980-81-82-83, chap. 89).
Pour comprendre le litige, il faut savoir quelque
chose de la Loi sur les prestations d'adaptation
pour les travailleurs. Elle prévoit le paiement de
«prestations d'adaptation» à certains employés âgés
de moins de 65 ans qui ont perdu leur emploi et
reçu toutes les prestations d'assurance-chômage
auxquelles ils avaient droit. Ces prestations sont
payées par la Commission intimée qui doit, dans
chaque cas, en fixer le montant suivant les articles
15 et suivants. Du montant ainsi fixé, la Commis
sion doit, cependant, faire les déductions prescrites
par le paragraphe 17(1):
17. (1) Il doit être déduit du montant hebdomadaire des
prestations d'adaptation payable à un employé admissible les
montants suivants:
b) un dollar à chaque dollar que reçoit cet employé à titre
(i) ... de prestations versées en vertu d'un régime de
pension d'un employeur dont bénéficie l'employé en raison
d'une charge ou d'un emploi,
Les décisions prises par la Commission en vertu
de cette Loi peuvent faire l'objet d'appels à un
conseil arbitral et à un juge-arbitre comme s'il
s'agissait de décisions rendues en vertu de la Loi de
1971 sur l'assurance-chômage [S.C. 1970-71-72,
chap. 48].
Le requérant avait travaillé pour la Celanese
Canada Inc. depuis de nombreuses années lorsqu'il
quitta son emploi au mois de février 1983. Le
régime de pension dont il bénéficiait lui donnait le
droit de recevoir, à sbn choix, soit une somme
forfaitaire qui lui serait payée immédiatement
après son départ, soit une pension qu'il recevrait sa
vie durant, soit une pension plus considérable
qu'on lui verserait jusqu'à l'âge de 65 ans. Avant
d'arrêter son choix (qui, suivant les termes du
régime de pension, devait être irrévocable), le
requérant consulta la Commission intimée. Il
savait qu'il aurait droit à des prestations en vertu
de la Loi sur les prestations d'adaptation pour les
travailleurs; il voulait savoir si les sommes qu'il
recevrait du régime de pension de son employeur
seraient déduites du montant de ses prestations
d'adaptation si ces sommes, au lieu de lui être
payées en la façon ordinaire, étaient versées direc-
tement pour son compte dans un régime enregistré
d'épargne-retraite (R.E.É.R.). On lui répondit que
la Commission considérait que les prestations de
pension versées directement dans un R.E.É.R.
n'étaient reçues par l'employé aussi longtemps
qu'elles demeuraient placées de cette façon; la
Commission jugeait donc que, suivant l'article 17,
les prestations de pension versées dans un
R.E.E.R. n'avaient pas à être déduites du montant
des prestations d'adaptation. Se fiant à ces infor-
mations, le requérant choisit de recevoir une pen
sion jusqu'à l'âge de 65 ans et fit les arrangements
nécessaires pour qu'elle soit versée directement
dans un R.E.E.R.
À compter du 4 février 1984, le requérant avait
le droit de recevoir des prestations d'adaptation.
Pendant quelques semaines, la Commission les lui
paya sans effectuer aucune déduction pour ses
prestations de pension qui étaient versées dans un
R.E.É.R. Le 13 avril 1984, cependant, la Commis
sion lui écrivit pour lui dire qu'elle avait changé
son interprétation de l'article 17 et considérait
maintenant que les prestations de pension étaient
reçues par un prestataire même si elles étaient
déposées directement à son crédit dans un
R.E.É.R. La Commission avait donc décidé, doré-
navant, de déduire du montant des prestations
d'adaptation payables au requérant les prestations
de pension qui seraient versées dans son R.E.É.R.
par le régime de pension de son ancien employeur.
Le requérant fit appel de cette décision devant un
conseil arbitral. Le conseil lui donna raison et
jugea que, au sens de l'article 17, une prestation de
pension n'était pas reçue par un prestataire si elle
était versée directement à son crédit dans un
R.E.É.R. La Commission en appela au juge-arbi-
tre qui infirma le conseil arbitral et rétablit la
décision de la Commission. C'est cette décision du
juge-arbitre qui fait l'objet de ce pourvoi.
L'avocat du requérant ne conteste pas que l'in-
terprétation que le juge-arbitre a donnée .de l'arti-
cle 17 soit la bonne. Il reconnaît que, suivant
l'article 17, la Commission doit déduire du mon-
tant des prestations d'adaptation dues au requé-
rant le montant des prestations de pension qui sont
versées à son crédit dans un R.E.E.R. Il prétend
seulement que l'interprétation différente que la
Commission avait d'abord donnée de l'article 17
n'était pas déraisonnable et que, dans les circons-
tances, le juge-arbitre a violé les principes de
justice naturelle en permettant à la Commission de
modifier cette interprétation sur laquelle le requé-
rant s'était fondé pour choisir de recevoir une
pension qui lui serait payée jusqu'à l'âge de 65 ans
plutôt que sa vie durant. A l'appui de cette préten-
tion, il invoque la décision rendue par la Cour
d'appel du Québec dans Sous-Ministre du Revenu
du Québec c. Transport Lessard (1976) Ltée'.
Cette prétention me semble dénuée de tout
fondement.
En premier lieu, il faut dire que les principes de
justice naturelle n'ont rien à voir dans ce débat.
L'expression «principes de justice naturelle» dési-
gne en effet les principes fondamentaux de procé-
dure que doivent observer ceux qui ont à prononcer
' Dans cette affaire, jugée le 28 août 1985 [résumée à [1985]
R.D.F.Q. 322 (C.A.)], le ministre du Revenu du Québec
réclamait une taxe de vente d'un contribuable qui avait acheté
les actifs d'une société. Avant de conclure cet achat, le contri-
buable s'était informé auprès d'un officier supérieur du minis-
tère du Revenu qui l'avait assuré que l'achat projeté ne donne-
rait lieu au paiement d'aucune taxe de vente parce qu'il
s'agissait d'une vente en bloc que l'on ne considérait pas être
une vente au détail au sens de la loi. C'est en se fondant sur
cette interprétation de la loi que le contribuable avait acheté.
Peu de temps après, le ministre du Revenu modifia son inter-
prétation de la loi et réclama la taxe du contribuable. La Cour
d'appel rejeta cette réclamation; après avoir constaté que la
première interprétation que le Ministre avait donnée de la loi
n'était pas déraisonnable, même si elle pouvait être erronée, la
Cour conclut que le Ministre, dans les circonstances, ne pouvait
réclamer la taxe du contribuable sans violer les principes de
justice naturelle. Pour en arriver à cette conclusion équitable, la
Cour s'appuya sur un arrêt récent de la Cour d'appel d'Angle-
terre relatif à l'exercice d'un pouvoir purement discrétionnaire,
R v Secretary of State for the Home Dept, ex p Khan, [1985] 1
All ER 40. Elle aurait pu, aussi, s'appuyer sur la décision plus
récente encore de la Chambre des lords dans Reg. v. Inland
Revenu Comrs., Ex parte Preston, [1985] A.C. 835. Dans cette
affaire la Chambre des lords a affirmé, d'une part, que la
décision des Inland Revenue Commissioners de réclamer une
taxe d'un contribuable pouvait être révisée et annulée par les
tribunaux en cas d'abus de pouvoir et, d'autre part, qu'il y avait
abus de pouvoir des Commissioners lorsque leurs agissements
antérieurs étaient tels qu'ils rendaient manifestement injuste
leur décision de recouvrer la taxe.
des décisions quasi judiciaires et, dans bien des
cas, des décisions administratives. Le véritable
reproche que le requérant fait au juge-arbitre, ce
n'est pas d'avoir violé les principes de justice natu-
relle, c'est tout simplement de n'avoir pas appliqué
l'équité plutôt que la loi. Il est certain en effet que
la Commission et ses représentants n'ont pas le
pouvoir de modifier la loi et que, en conséquence,
les interprétations qu'ils peuvent faire de la loi
n'ont pas elles-mêmes force de loi. Il est également
certain que l'engagement que prendrait la Com
mission ou ses représentants, qu'ils soient de bonne
ou de mauvaise foi, d'agir autrement que ne le
prescrit la loi, serait absolument nul et contraire à
l'ordre public. En conséquence, la prétention du
requérant ne peut être autre chose que celle-ci: le
juge-arbitre s'est trompé parce qu'il aurait dû,
pour éviter de causer préjudice au requérant, refu-
ser d'appliquer la loi.
.Il suffit de voir la prétention du requérant sous
son vrai jour pour constater qu'elle doit être reje-
tée. Le juge est lié par la loi. Il ne peut, même pour
des considérations d'équité, refuser de l'appliquer.
Cette vérité élémentaire est, bien sûr, difficile à
concilier avec l'arrêt de la Cour d'appel du Québec
dans Transport Lessard et les affirmations de la
Chambre des lords dans Ex parte Preston 2 . C'est
pourquoi j'incline à croire que ces deux arrêts ne
sont pas à l'abri de toute critique. Mais je n'ai pas
à me prononcer là-dessus parce que, à mon avis,
ces deux décisions n'ont aucune application en
l'espèce. En effet, dans ces deux affaires, on a pris
pour acquis que la loi, en imposant à l'Administra-
tion - l'obligation de percevoir les impôts, lui accor-
dait une certaine discrétion dans le choix des
moyens à prendre pour y arriver'. Et tout ce que la
Cour d'appel et la Chambre des lords ont dit, c'est
que l'Administration ne doit pas exercer cette
discrétion de façon abusive ou manifestement
injuste.
2 Voir note précédente.
3 Dans Reg. v. Inland Revenue Comrs., Ex parte National
Federation of Self -Employed and Small Businesses Ltd.,
[1982] A.C. 617 (H.L.), à la p. 636, lord Diplock écrivait, au
sujet des Inland Revenue Commissioners [Commissaires de
l'impôt]:
[TRADUCTION] En ce qui concerne les pouvoirs et obligations
de la Commission du fisc (Board of Inland Revenue) prévus
par la loi, ils sont décrits et examinés dans plusieurs des
discours prononcés par Vos Seigneuries. Il serait fastidieux que
(Suite à la page suivante)
En l'espèce, le requérant ne prétend pas que la
Commission a mal exercé sa discrétion. Car la Loi,
ici, n'accorde aucune discrétion à la Commission
mais lui impose seulement le devoir de calculer et
payer les prestations conformément à la Loi.
En réalité, le requérant veut obtenir des presta-
tions d'adaptation plus importantes que celles aux-
quelles la Loi lui donne droit afin d'être indemnisé
du dommage lui résultant des représentations
inexactes que la Commission lui a faites. Il est
possible, encore que le dossier ne le révèle pas de
façon certaine, que le requérant ait subi pareil
dommage; il m'apparaît certain, cependant, que ni
le conseil arbitral ni le juge-arbitre n'avaient la
compétence d'en ordonner la réparation.
Je rejetterais la demande.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE HUGESSEN (dissident): Un citoyen
désireux de connaître l'impact sur lui d'une loi de
portée sociale s'adresse aux autorités chargées de
son application. Elles lui fournissent un renseigne-
ment inexact. Sur la foi de ce renseignement, il
pose un geste irrévocable. Par la suite, les autorités
changent d'avis et invoquent au détriment du
citoyen le geste qu'elles ont elles-mêmes largement
provoqué. La loi sanctionnera-t-elle un tel résul-
tat? A mon sens, une réponse négative s'impose.
(Suite de la page précédente)
je répète ce que d'autres ont déjà exprimé ou exprimeront
mieux que moi. Qu'il me suffise de dire ici que la loi confie au
fisc la gestion et la perception de l'impôt sur le revenu, de
l'impôt sur les sociétés et de l'impôt sur les gains en capital et
ce, pour le compte de la Couronne. Dans l'exercice de ces
fonctions, la Commission est investie d'une discrétion adminis
trative importante en ce qui a trait aux meilleurs moyens à
prendre pour que, compte tenu du personnel dont elle dispose et
des frais de perception, les impôts dont elle est responsable
rapportent à l'Échiquier national les recettes nettes les plus
élevées possible.
Dans la même affaire, lord Scarman affirmait, toujours au
sujet des [Commissaires] (aux pp. 650 et 651):
[TRADUCTION] La Taxes Management Act 1970 leur confie la
gestion de l'impôt sur le revenu; à cette fin, elle investit les
commissaires et les inspecteurs de l'impôt d'une discrétion très
importante dans l'exercice de leurs pouvoirs.
Le requérant avait été à l'emploi de la compa-
gnie Celanese Canada Inc. pour une période de
bien au-delà de trente-cinq ans. En 1982, la com-
pagnie (et l'industrie du textile en général) vivait
une période difficile. Afin d'éviter des mises à pied,
elle incita ses employés les plus anciens, dont le
requérant, à prendre une retraite anticipée. Le
requérant accepta l'offre de son employeur et, le 4
février 1983, quitta son emploi. Pendant l'année
suivant son départ, il toucha des prestations d'as-
surance-chômage. À la fin de cette période,
c'est-à-dire à partir du 4 février 1984, il devint
admissible aux prestations prévues en vertu de la
Loi sur les prestations d'adaptation pour les tra-
vailleurs (S.C. 1980-81-82-83, chap. 89). Il avait
également le droit de recevoir de son employeur
certains bénéfices dus en vertu du régime de
retraite de ce dernier. Ces bénéfices pouvaient,
selon le choix, irrévocable, du requérant, prendre
la forme soit d'une rente viagère, soit d'une rente
plus élevée qui lui serait payée jusqu'à l'âge de
soixante-cinq ans, soit, enfin, d'une somme forfai-
taire. Tout naturellement, le requérant voulut
savoir quel impact ces bénéfices pourraient avoir
sur ses prestations d'adaptation et si cet impact
serait différent selon la forme de versement des
bénéfices choisie. Donc, avant la fin de son année
d'assurance-chômage et le début de sa période
d'admissibilité aux prestations d'adaptation, il
s'adressa à la Commission de l'emploi et de l'im-
migration du Canada, l'organisme chargé de l'ad-
ministration de la Loi.
Les dispositions législatives pertinentes alors en
vigueur étaient le sous-alinéa 17(1)b)(i) et le para-
graphe 17(3) [mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap.
169, s. 7].
17. (1) Il doit être déduit du montant hebdomadaire des
prestations d'adaptation payable à un employé admissible les
montants suivants:
b) un dollar à chaque dollar que reçoit cet employé à titre
(i) soit de prestations versées en vertu d'un régime de
pension d'un employeur dont bénéficie l'employé en raison
d'une charge ou d'un emploi,
(3) Un employé admissible à qui des prestations d'adaptation
sont versées doit présenter à la Commission un rapport en la
forme, de la façon et à la date qu'ordonne la Commission, où
figurent les montants qu'il a touchés pendant la période à
laquelle ce rapport a trait à titre de rémunérations, revenus,
prestations, pensions et allocations visés aux alinéas (1)a) ou b)
et les autres renseignements qu'exige la Commission.
La Commission a répondu au requérant en lui
fournissant son interprétation de la législation.
Cette interprétation avait été exposée dans un
document, daté du 21 octobre 1982, provenant du
directeur, Programmes de prestations, et adressé
aux directeurs de district et directeurs CEC:
3) Si l'employé transformait son fonds de pension de l'em-
ployeur, en Régime enregistré d'épargne retraite (REER), ses
P.A.T. s'en trouveraient-elles touchées?
Il convient de se rappeler que l'article 17 de la Loi parle de «un
dollar à chaque dollar que reçoit cet employé» et que la version
anglaise précise «received that week». Par conséquent, le
moment où s'effectue cette transformation importe peu aux fins
de la Loi sur les p.a.t. Ce qu'il faut considérer plutôt, c'est le
moment où les prestations sont ou ont été versées. Donc, si le
versement se fait avant que le personne ne touche des p.a.t., le
montant de celles-ci ne sera pas modifié. En revanche, le
montant total devra être recouvré des p.a.t. subséquentes seule-
ment si l'employé le reçoit en même temps qu'il touche des
p.a.t. Toutefois, si à la demande de son employé, l'employeur
verse directement le fonds de pension dans un Régime enregis-
tré d'épargne de retraite, qu'importe le moment, cette somme,
n'étant pas touchée par l'employé, n'est pas une rémunération
pour fin du paragraphe 17(1)(b) de la Loi. [C'est moi qui
souligne.]
Fort de cette interprétation, le requérant agit. Il
dépose sa demande de prestations d'adaptation le
22 novembre 1983 et il opte de recevoir du régime
de retraite de son employeur une rente mensuelle
payable à partir du mois de janvier 1984 jusqu'à
l'âge de soixante-cinq ans (1989) et demande que
les mensualités de cette pension, au montant de
452,09 $, soient versées directement dans un
Régime enregistré d'épargne-retraite (R.E.É.R.).
À partir du 4 février 1984, il reçoit, comme prévu,
le plein montant des prestations d'adaptation sans
déduction pour le montant versé dans son
R.E.E.R.
Peu de temps après, la Commission change
d'avis. Dans une directive datée du 23 mars 1984,
dont la substance a été communiquée au requérant
le 13 avril 1984, nous pouvons lire:
Prestations d'adaptation pour les travailleurs—Pension de
retraite versée par l'employeur dans un régime enregistré
d'épargne—retraite.
Le but de la présente communication est de vous faire part
d'une décision relative au traitement de la pension de retraite
susmentionnée pendant qu'un individu a droit de toucher des
prestations d'adaptation pour les travailleurs.
Par le passé, nous avons avisé certaines régions que lorsqu'un
employeur versait directement la pension de retraite dans un
régime enregistré d'épargne-retraite au nom de l'employé certi-
fié, cette pension ne constituait pas des gains aux fins du
sous-alinéa 17(1)(b)(i) de la Loi sur les p.a.t.
Nous étions alors d'avis que l'individu ne recevait pas cette
somme à ce moment-là. Selon notre contentieux, l'individu
entre effectivement en possession de cette pension et exerce un
certain contrôle sur son utilisation, car il peut toujours retirer la
somme investie. Etant donné cet avis juridique, nous devons
modifier nos directives antérieures.
Pour assurer un traitement uniforme de cette pension, nous
avons jugé à-propos de communiquer avec toutes les régions à
ce sujet. Ainsi, dès que les centres d'emploi prendront connais-
sance de cette nouvelle décision, il (sic) devront, s'ils ne le font
pas présentement, commencer aussitôt à déduire des p.a.t.
conformément au sous-alinéa 17(1)(b)(i) de la Loi sur les p.a.t.
tout versement futur dans un REER. Par contre, aucun trop-
payé ne devra être établi dans de tels cas pour une période
antérieure à la mise en œuvre de cette directive.
Le requérant interjette appel de la décision de la
Commission qui applique cette nouvelle politique à
son cas. Le conseil arbitral lui donne raison,
jugeant correcte la première interprétation fournie
par la Commission. Cette décision du conseil arbi-
tral est renversée par le juge-arbitre, qui, lui, est
d'avis que seule la seconde interprétation de l'arti-
cle 17 est bonne. De là la demande formulée à
cette Cour en vertu de l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10].
Il est constant que le texte même de la Loi ne
permet pas la première interprétation fournie par
la Commission et que seule la seconde est valide.
Donc, si la seule question devant le juge-arbitre
avait été de savoir quel sens donner à l'article 17,
celui-ci n'aurait pas commis d'erreur en droit.
La position de la Commission est alors bien
simple. Elle admet franchement que sa première
interprétation était erronée. Elle ne conteste pas
que cette interprétation a été fournie au requérant
et à d'autres et que le requérant a agi sur la foi des
renseignements qu'elle a fournis. Ces renseigne-
ments étant inexacts, les gestes que le requérant
croyait à son avantage étaient en réalité à son
détriment. S'il avait obtenu un renseignement
exact en temps utile, il aurait pu choisir différem-
ment et d'une manière plus avantageuse. Cepen-
dant elle a non seulement le pouvoir, mais aussi le
devoir, d'appliquer dans toute sa rigueur le texte
de la Loi au cas du requérant. Dura lex, sed lex.
Tant pis!
À mon avis, cette attitude est inadmissible. Il fut
un temps, peut-être, où les tribunaux pouvaient
fermer les yeux sur la réalité et déclarer que, si
injustes que puissent être les résultats, le législa-
teur voulait toujours que sa loi soit appliquée.
C'était à son péril que le citoyen se fiait à l'inter-
prétation de la loi donnée par les autorités.
[TRADUCTION] ... la doctrine de la fin de non-recevoir (estop-
pel) ne pourra jamais empêcher l'application en bonne et due
forme des dispositions législatives adoptées par le Parlement.
(Municipal Council of Peterboro and Victoria v.
The Grand Trunk Railway Co. (1859), 18
U.C.Q.B. 220, à la page 224.)
Heureusement, cette doctrine n'a maintenant
plus cours. Dans une série de décisions, principale-
ment mais non pas exclusivement sous la plume de
lord Denning, les tribunaux anglais ont admis que,
dans certaines circonstances, la théorie de l'estop-
pel pouvait s'appliquer pour empêcher l'autorité
publique d'agir d'une manière qui, autrement,
aurait été permise. (Voir, à ce sujet: Robertson v.
Minister of Pensions, [1948] 2 All E.R. 767
(K.B.D.); Falmouth Boat Construction, Ltd. v.
Howell, [1950] 1 All E.R. 538 (C.A.); Wells v.
Minister of Housing and Local Government,
[1967] 2 All E.R. 1041 (C.A.); Lever (Finance)
Ltd v Westminster Corpn, [1970] 3 All ER 496
(C.A.); Re L (A C) (an infant), [1971] 3 All ER
743 (Ch. D.); H.T.V. Ltd. v. Price Commission,
[ 1976] I.C.R. 170 (C.A.).)
Dans aucune de ces décisions, il est vrai, n'a-t-il
été question d'un estoppel ayant pour effet de
relever une autorité publique d'un devoir qui lui
était imposé par la loi.
Mais voilà que tout récemment la Chambre des
lords, en Angleterre, déclare dans un arrêt de
principe, que même l'exercice d'un devoir statu-
taire est susceptible de révision judiciaire s'il a lieu
dans des circonstances où l'application de la loi
elle-même pourrait constituer un abus de pouvoir.
Dans In re Preston, [1985] A.C. 835 (H.L.), un
contribuable prétendait que, comme conséquence
d'échanges avec le fisc, il avait renoncé à certaines
déductions réclamées dans sa déclaration de reve-
nus pour fins d'impôt, à la condition que des
transactions de ventes d'actions révélées dans la
même déclaration soient acceptées telles que décla-
rées. Plusieurs années plus tard, et alors que le
contribuable ne pouvait plus réclamer les déduc-
tions auxquelles il avait ainsi renoncé, les autorités
ont entamé des procédures de re-cotisation concer-
nant ces mêmes transactions. Le contribuable a
intenté des procédures de révision judiciaire au
motif que le geste des autorités était inéquitable
(unfair). Dans un arrêt unanime, la Chambre des
lords déclare que, même si les autorités accom-
plisssent un devoir ou exercent un pouvoir que la
loi impose ou accorde, elles peuvent commettre un
abus qui rende leur geste illégal. Voici comment
s'exprime lord Templeman au nom de tous ses
collègues [à la page 864].
[TRADUCTION] . .. un contribuable ne peut se plaindre d'une
injustice pour la seule raison que les commissaires décident
d'exercer les fonctions dont la loi les investit, y compris celle,
prévue à l'article 460, d'établir des cotisations et de voir à ce
qu'elles soient acquittées. Les commissaires peuvent décider de
ne pas exercer leurs pouvoirs et fonctions pour le motif qu'un
tel exercice serait injuste, mais ils doivent garder à l'esprit que
leur obligation première est de percevoir les impôts et non d'en
exempter les contribuables. S'ils décident de procéder à leur
recouvrement, la Cour ne peut, en l'absence de circonstances
exceptionnelles, juger injuste ce que les commissaires, en inten-
tant des procédures contre le contribuable, ont jugé équitable.
Ceux-ci possèdent une compétence tout à fait particulière en ce
qui regarde les pratiques et les politiques fiscales. Le secret
auquel ils sont tenus envers chaque contribuable leur interdit de
présenter au tribunal les motifs détaillés de leurs décisions.
La cour ne peut exercer un contrôle judiciaire pour enjoindre
aux commissaires de s'abstenir d'exercer leurs fonctions ou
leurs pouvoirs prévus par la loi que si elle est convaincue que
«l'iniquité» alléguée par le requérant fait en sorte que lesdits
commissaires commettent un abus de pouvoir lorsqu'ils insis
tent pour exercer ces fonctions ou pouvoirs. [C'est moi qui
souligne.]
Le savant juriste cite ensuite certains des arrêts
que j'ai mentionnés plus haut et enchaîne comme
suit [aux pages 866 et 867]:
[TRADUCTION] En l'espèce, l'appelant ne prétend pas que les
commissaires ont invoqué l'article 460 à des fins ou pour des
motifs erronés ni qu'ils ont mal interprété leurs pouvoirs ou
fonctions. Toutefois, il découle de l'arrêt H.T.V. et de la
jurisprudence qui y est citée que les commissaires commettent
une «iniquité» équivalente à un abus de pouvoir lorsque le fait
pour eux d'intenter des procédures en vertu de l'article 460
permettrait à l'appelant, dont l'adversaire serait une instance
autre que la Couronne, d'obtenir une injonction ou des domma-
ges-intérêts fondés sur l'inexécution du contrat ou d'invoquer
une fin de non-recevoir résultant des déclarations de l'autre
partie (estoppel by representation). En principe, je ne vois
aucune raison pour laquelle l'appelant n'aurait pas le droit de
demander l'examen judiciaire d'une décision rendue par les
commissaires si une telle décision est injuste à son endroit parce
que leur conduite équivaut à l'inexécution d'un contrat ou va à
l'encontre de déclarations antérieures (breach of representa
tion). Une telle décision participe d'un abus de pouvoir contre
lequel le seul redressement approprié, en l'espèce, est l'examen
judiciaire. Il peut arriver que des agissements tenant de l'inexé-
cution d'un contrat ou de la non-conformité à des déclarations
antérieures ne constituent pàs un abus de pouvoir; il est proba
ble que, dans certaines circonstances, le tribunal exerce son
pouvoir discrétionnaire en n'accordant pas le redressement
demandé par voie d'examen judiciaire, même si les agissements
en cause tiennent de l'inexécution de contrat ou ne sont pas
conformes à des déclarations antérieures. En l'espèce, toutefois,
je suis d'avis qu'un redressement doit être accordé à l'appelant
par voie d'examen judiciaire pour le motif que les commissaires
ont commis une «iniquité» constituant un abus de pouvoir si
leurs agissements équivalent à l'inexécution d'un contrat ou
vont à l'encontre de déclarations antérieures.
La seule question qu'il reste maintenant à trancher est celle
de savoir si les lettres échangées entre l'appelant et M. Thomas
en 1978, interprétées comme elles doivent l'être, indiquent que
les commissaires, représentés par M. Thomas, ont eu l'intention
de renoncer ou de déclarer qu'ils renonçaient à fixer de nouvel-
les cotisations pour l'appelant en ce qui regarde les années
1974-75 et 1975-76 si celui-ci retirait sa demande visant à
obtenir la déduction de certains intérêts et d'une perte de
capital relativement aux années en question. [C'est moi qui
souligne.]
Voyons maintenant comment les principes énon-
cés dans l'arrêt Preston s'appliquent en l'espèce.
Le requérant était en droit de s'adresser à la
Commission et cette dernière avait l'obligation de
lui fournir des renseignements au meilleur de sa
connaissance. Sur la foi des renseignements ainsi
obtenus, il a agi, irrévocablement, à son détriment.
Si la Commission était une personne privée, la
doctrine de l'estoppel by representation s'applique-
rait pour l'empêcher de changer sa position et de
décider maintenant de déduire des prestations
d'adaptation payables au requérant les montants
versés dans son R.E.É.R. Comme elle est une
autorité publique, sa décision, même conforme au
texte de la Loi, constitue un abus de pouvoir et est
sujette à la révision judiciaire. Cette décision est
donc illégale et le juge-arbitre n'aurait pas dû
réviser la décision du conseil arbitral.
Deux observatior.s, avant de terminer.
1. Il ne s'agit pas ici d'un refus par le tribunal
d'appliquer la Loi. Au contraire. La Loi est en
vigueur et elle s'applique à tout le monde. Notam-
ment, elle s'applique dans toute sa rigueur à tous
ceux qui, même s'ils ont obtenu de la Commission
des renseignements inexacts, n'ont pas en consé-
quence modifié leur position à leur détriment.
Toutefois, quant au requérant, en raison des cir-
constances exceptionnelles de son cas, un autre
principe du droit, celui de l'abus du pouvoir, empê-
che les autorités d'invoquer à son égard certaines
de ses dispositions.
2. Si la décision du juge-arbitre était maintenue,
les circonstances du présent cas donneraient lieu, à
mon avis, à une action en dommages contre la
Couronne. (Voir Hedley Byrne & Co. Ltd. v.
Heller & Partners Ltd., [ 1964] A.C. 465 (H.L.),
et Windsor Motors Ltd. v. District of Powell River
(1969), 4 D.L.R. (3d) 155 (C.A.C.-B.) 4 .) Or, pour
compenser les dommages que subirait le requérant,
je ne connais de meilleure méthode que d'empê-
cher qu'ils se produisent, ce que je me propose de
faire.
Pour ces motifs, j'accueillerais la demande; je
casserais la décision du juge-arbitre; j'ordonnerais
que l'affaire lui soit retournée pour nouvelle déci-
sion en tenant pour acquis que la décision de la
Commission constituait un abus illégal de pouvoir.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE LACOMBE: Je m'accorde avec les
motifs de monsieur le juge Pratte pour rejeter le
pourvoi, en y ajoutant les quelques considérations
suivantes.
En ce qui a trait aux arrêts de la Cour d'appel
du Québec et de la Chambre des lords dans les
affaires Transport Lessard et Ex parte Preston il
suffit de mentionner que ces décisions ont été
rendues dans un contexte législatif différent de
celui de la Loi sur les prestations d'adaptation
pour les travailleurs (S.C. 1980-81-82-83, chap.
89), ce qui les rend inapplicables aux données de la
présente cause.
Tant dans Ex parte Preston que dans son arrêt
antérieur Reg. v. Inland Revenue Comrs., Ex
parte National Federation of Self -Employed and
Small Businesses Ltd., [1982] A.C. 617, la Cham-
4 Une décision récente de la Division de première instance
dans la cause de Rothwell v. The Queen, du 23 décembre 1985,
numéro de dossier T-1-83 [encore inédite], fournit un autre
exemple. Le demandeur avait pris une retraite anticipée de la
Fonction publique. Sur la foi des renseignements inexacts
obtenu des autorités, il a tardé à exercer son choix quant au
mode de paiement de sa pension. Le juge Strayer lui a accordé
des dommages en se basant sur le principe de negligent misre
presentation [déclaration erronée faite par négligence].
bre des lords a montré que les Commissioners of
Inland Revenue possèdent une discrétion statutaire
dans l'administration des lois fiscales, qui n'est pas
reconnue au Canada aux représentants du fisc.
En droit fiscal canadien, la jurisprudence est
constante à l'effet que la Couronne n'est pas liée
par les représentations faites et les interprétations
données aux contribuables par les représentants
autorisés du fisc, si telles représentations et inter-
prétations sont contraires aux dispositions claires
et impératives de la loi: Woon, Bert W. v. Minister
of National Revenue, [1951] R.C.E. 18, Stickel c.
Le ministre du Revenu national, [1972] C.F. 672
(1r 0 inst.) 5 , M.R.N. c. Inland Industries Limited,
[1974] R.C.S. 514. La décision de la Cour
suprême du Canada dans cette dernière cause fait
toujours autorité et lie cette Cour tant et aussi
longtemps que la Cour suprême ne décidera pas
elle-même de s'en écarter. Il s'agissait dans cette
affaire de la déductibilité de certaines contribu
tions versées à des régimes de pension qui avaient
reçu l'approbation préalable du Ministre. Le
Ministre, plus tard, refusa les déductions et cotisa
la contribuable en conséquence. Après avoir décidé
que ces régimes de pension ne rencontraient pas les
exigences de la Loi de l'impôt sur le revenu
[S.R.C. 1952, chap. 148], le juge Pigeon disposa
de l'argument de l'estoppel en disant à la page
523:
Toutefois, il me paraît clair qu'une approbation donnée sans
que les conditions prescrites par la loi ne soient remplies ne lie
pas le ministre.
La jurisprudence arbitrale est aussi unanime
pour appliquer le même principe en matière d'as-
surance-chômage. On y décide que les renseigne-
ments erronés que peuvent donner aux prestataires
les préposés de la Commission de l'emploi et de
l'immigration sur l'interprétation de la Loi et les
représentations qu'ils peuvent leur faire concer-
nant leur situation particulière et qui jouent plus
tard à leur détriment ne lient pas la Commission et
n'autorisent pas les prestataires à lui opposer le
plaidoyer de l'estoppel. Le recours du prestataire
ainsi lésé est l'action en dommages qu'il doit exer-
cer par voie directe devant les tribunaux de droit
5 Infirmé par cette Cour et la Cour suprême du Canada pour
d'autres motifs, [1973] C.F. 259 (C.A.); [1975] 2 R.C.S. 233.
commun et non par la voie détournée de la révision
judiciaire.
Par exemple, dans l'affaire Sydney J. Brooks,
CUB 4909, le juge Cattanach, siégeant comme
juge-arbitre, écrivait:
Les circonstances précitées ne modifient en rien le fait brutal
et évident que le prestataire n'est pas admissible au bénéfice des
prestations d'assurance-chômage.
Dans son cas, la seule démarche possible, s'il peut en démon-
trer le bien-fondé, c'est d'intenter une action devant les tribu-
naux compétents contre le fonctionnaire qui l'a conseillé et
contre la Commission elle-même, si le fonctionnaire agissait
dans le cadre des fonctions de son emploi, afin d'obtenir des
dommages-intérêts à cause d'une présentation erronée des faits.
La solution n'est pas d'en appeler devant un juge-arbitre de la
décision du conseil arbitral.
La Loi sur les prestations d'adaptation pour les
travailleurs étant pari materia, et prévoyant la
même procédure d'appel à l'encontre des décisions
de la Commission intimée devant un conseil arbi-
tral et de là, devant un juge-arbitre, il n'y a pas
lieu de déroger à cette jurisprudence arbitrale
fermement établie sous la Loi de 1971 sur
l'assurance- chômage.
En l'espèce, la Commission intimée n'a aucune
discrétion concernant le calcul du montant initial
des prestations d'adaptation, de leur paiement aux
prestataires, de leur ajustement annuel et des
déductions à y faire. Elle doit obligatoirement se
conformer aux dispositions impératives des articles
14, 15, 16 et 17 de la Loi sur les prestations
d'adaptation pour les travailleurs. Ceci étant, elle
n'était pas autorisée à accorder initialement au
requérant une exemption que la Loi ne lui recon-
naissait pas, et ce, même par suite d'une interpré-
tation erronée du sous-alinéa 17(1)b)(i) et du
paragraphe 17(3) de la Loi.
Ce faisant, elle a pu causer un préjudice au
requérant, en ce que c'est sur la foi de cette
interprétation erronée de la Loi, qu'il s'est commis
irrévocablement, parmi d'autres options qui lui
étaient alors ouvertes, à choisir celle qui plus tard
s'est avérée la moins avantageuse pour lui. Dans sa
décision du 13 avril 1984, l'intimée l'informa
qu'elle avait changé son interprétation et qu'en
conséquence, seraient dorénavant déduites du
montant de ses prestations d'adaptation, les men-
sualités de sa pension de retraite que son
employeur lui versait directement dans son régime
enregistré d'épargne-retraite (R.E.E.R.).
Le requérant s'est prévalu des paragraphes
26(2) et (3) de la Loi sur les prestations d'adap-
tation pour les travailleurs pour contester cette
décision de l'intimée et sa nouvelle interprétation
de la Loi. Le conseil arbitral lui donna raison, en
décidant en somme que c'était la première inter-
prétation de l'intimée qui était conforme à la Loi,
alors que sur la même question, le juge-arbitre en
vint à une conclusion diamétralement opposée.
À l'audition devant nous, l'avocat du requérant
a convenu que sur le plan de l'analyse et de
l'interprétation des textes, la décision du juge-arbi-
tre est, en droit, impeccable. Par sa demande
d'annulation faite en vertu de l'article 28 de la Loi
sur la Cour fédérale, le requérant nous demande
de l'annuler quand même au motif que la Commis
sion intimée serait maintenant forclose de faire
valoir contre lui sa deuxième interprétation de la
Loi, parce qu'elle lui cause préjudice.
Le recours de l'article 28 ne peut être utilisé
pour opérer une espèce de compensation sui gene-
ris entre d'une part, les dommages que l'intimée
aurait causés au requérant par la mise en vigueur
de sa décision du 13 avril 1984 et, d'autre part, les
déductions qu'elle avait l'obligation légale d'effec-
tuer à même les prestations d'adaptation, en vertu
du sous-alinéa 17(1)b)(i) de la Loi sur les presta-
tions d'adaptation pour les travailleurs lorsque
cette disposition est interprétée correctement, dans
le sens de la décision du juge-arbitre. Le pouvoir
d'intervention de la Cour, dans une demande de
révision judiciaire est limité à vérifier le bien ou le
mal-fondé de la décision du tribunal dont il s'agit,
pour l'un ou l'autre des motifs énoncés à l'article
28. Une fois acquise la certitude, comme c'est le
cas dans l'espèce, que la décison du juge-arbitre est
inattaquable en droit, cette Cour doit la confirmer.
Pour se rendre à la demande d'examen du requé-
rant, il faudrait conclure que le juge-arbitre aurait
dû empêcher la Commission intimée d'appliquer la
loi à son endroit, alors que sa décision est par
ailleurs parfaitement bien fondée en droit. En fai-
sant droit à l'argument de l'estoppel par représen-
tation du requérant, pour des raisons d'équité, il
faudrait annuler par le biais, la décision de la
Commission intimée plutôt que celle du juge-arbi-
tre, alors que la Cour ne siège pas en équité dans
les cadres du recours présentement exercé par le
requérant.
C'est par une procédure plus appropriée que le
requérant pourrait, le cas échéant, faire valoir que
par sa décision du 13 avril 1984, la Commission
intimée a voulu appliquer la loi d'une manière qui
a été pour lui injuste, inéquitable sinon abusive au
point de constituer un abus de pouvoir. D'ailleurs,
la preuve légale du préjudice souffert est assez
mince et il faudrait en suppléer les carences par
des extrapolations et des inférences qui risque-
raient d'être conjecturales du moins en partie. Le
dossier, tel que présentement constitué, ne révèle
pas la mesure exacte des dommages que le requé-
rant aurait subis. Il serait dès lors et à tout événe-
ment prématuré d'en ordonner actuellement la
réparation.
Je rejetterais la demande du requérant.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.