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T-276-85
Commissaire à l'information (requérant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
RÉPERTORIÉ: COMMISSAIRE À L'INFORMATION (CANADA) c. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION)
Division de première instance, juge en chef adjoint Jerome—Ottawa, 27 novembre 1985 et 2 mai 1986.
Accès à l'information La requérante qui a présenté une demande de résidence permanente s'est vu refuser l'accès à son dossier et à ses documents d'immigration au motif qu'elle n'était ni citoyenne canadienne ni résidente permanente Accès au même dossier demandé par son époux, qui est de citoyenneté canadienne et qui a parrainé la demande de rési- dence permanente, l'épouse ayant signé un document en vertu duquel elle consentait à ce que les documents et renseigne- ments relatifs à ses affaires d'immigration lui soient commu- niqués Accès à seulement 5 des 200 pages Demande de révision du refus fondée sur l'art. 42(1)a) de la Loi L'art. 19(2) de la Loi ne confère pas le pouvoir discrétionnaire de refuser de communiquer lorsque, comme en l'espèce, toutes les conditions ont été remplies Règle d'interprétation applica ble: les dispositions portant autorisation sont toujours obliga- toires lorsqu'elles ont pour objet de reconnaître un droit La Loi vise à codifier le droit du public d'avoir accès aux rensei- gnements détenus par le gouvernement Les exemptions qui constituent l'exception doivent être prévues par la loi Demande accueillie Loi sur l'accès à l'information, S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, annexe I, art. 4, 19, 42(1)a), 48, 49 Loi sur la protection des renseignements personnels, S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, annexe II, art. 3.
Immigration La requérante qui a présenté une demande de résidence permanente s'est vue refuser l'accès à son dossier d'immigration au motif qu'elle n'était ni citoyenne canadienne ni résidente permanente Son époux est de citoyenneté canadienne L'épouse a signé un document en vertu duquel elle consentait à ce que des renseignements soient communi- qués à son époux Accès à seulement 5 des 200 pages Le responsable d'une institution fédérale a-t-il le pouvoir discré- tionnaire de refuser de communiquer des renseignements per- sonnels? Examen du but de la Loi Il est ordonné au Ministre de communiquer les documents demandés en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, annexe I, art. 42(1)a).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Maple Lodge Farms Ltd. c. R., [1981] 1 C.F. 500 (C.A.), confirmé par [1982] 2 R.C.S. 2; Julius v. Oxford (Bishop of) (1880), 5 App. Cas. 214 (H.L.); Labour Relations Board v. The Queen ex rel. F.W. Woolworth Company Limited and Agnes Slabick and Saskatchewan
Joint Board, Retail, Wholesale and Department Store Union, [1956] R.C.S. 82; Maislin Industries Limited c. Ministre de l'Industrie et du Commerce, [1984] 1 C.F. 939 (1" inst.).
AVOCATS:
Bruce Mann pour le requérant. Barbara A. Mclsaac pour l'intimé.
PROCUREURS:
Avocat, Commissaire à l'information du Canada pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME: La pré- sente demande, fondée sur l'alinéa 42(1)a) de la Loi sur l'accès à l'information [S.C. 1980-81- 82-83, chap. 111, annexe I], a été entendue à Ottawa (Ontario), le 27 novembre 1985. Les faits non contestés sont décrits dans un exposé conjoint des faits en date du 15 juillet 1985 qui indique notamment:
[TRADUCTION] 1. Le 23 mai 1984, la Commission de l'emploi et de l'immigration a reçu de D.F., citoyen canadien, une demande fondée sur la Loi sur la protection des renseignements personnels et énonçant ce qui suit:
«Je demande que l'on me communique tout le dossier d'immi- gration concernant mon parrainage de la demande de rési- dence permanente au Canada présentée par ma femme. La partie du dossier de la Commission de l'immigration du Canada conservée au bureau de Vancouver porte le numéro 5133-15-6763. La partie du dossier du Consulat général du Canada, Affaires de l'immigration, conservée à Seattle porte le numéro 6054-B0138-5657. Le nom de ma femme est P.F.»
2. Par lettre en date du- 13 juillet 1984, on a communiqué audit D.F. tous les renseignements personnels le concernant. En vertu de l'article 26 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, on a refusé de communiquer les renseignements personnels concernant P.F.
3. Le 23 mai 1984, la Commission de l'emploi et de l'immigra- tion a reçu de P.F. la demande suivante fondée sur la Loi sur la protection des renseignements personnels:
«Je demande que l'on me communique tout le dossier d'immi- gration. La partie du dossier de la Commission de l'immigra- tion du Canada conservée au bureau de Vancouver porte le numéro 5133-15-6763. La partie du dossier du Consulat général du Canada, Affaires de l'immigration, conservée à Seattle porte le numéro 6054-B0138-5657. Je demande qu'on me communique tous les documents et dossiers se trouvant à ces bureaux, y compris la correspondance, les notes de service et tout autre document relatif à moi-même, à mes affaires
d'immigration, à ma demande de résidence permanente, à ma situation familiale au Canada, et à la question de savoir si j'ai été auparavant mariée aux Philippines.»
4. Par lettre en date du 13 juillet 1984, P.F. s'est vu refuser la communication des renseignements personnels qu'elle avait demandés pour le motif qu'elle n'était ni citoyenne canadienne ni résidente permanente comme l'exige le paragraphe 12(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
5. Le 23 mai 1984, la Commission de l'emploi et de l'immigra- tion a reçu de D.F. la demande suivante fondée sur la Loi sur l'accès à l'information:
«Le document auquel on veut avoir accès est le dossier d'immigration concernant mon parrainage de la demande de résidence permanente présentée par ma femme, P.F. La partie du dossier de la Commission de l'immigration du Canada conservée au bureau de Vancouver porte le numéro 5133-15-6763. La partie du dossier du Consulat général du Canada, Affaires de l'immigration, conservée par ce bureau à Seattle porte le numéro 6054-B0138-5657. Je demande qu'on me communique tout le dossier se trouvant à ces bureaux, y compris la correspondance, les notes de service et tout autre document relatif à moi-même, à mon parrainage de la demande de ma femme, aux questions d'immigration connexes et à l'allégation de la Commission de l'immigration du Canada selon laquelle mon mariage avec ma femme est entaché de nullité en raison de son présumé mariage antérieur.»
6. Par lettre en date du 13 juillet 1984, on a informé ledit D.F. que les renseignements qu'il avait demandés constituaient des renseignements personnels qui devraient lui être communiqués en vertu de la Loi sur la protection des renseignements person- nels et que, puisqu'il avait soumis une demande en vertu de celle-ci, il recevrait tous les renseignements personnels auxquels il avait droit en réponse à sa demande fondée sur ladite Loi.
7. Le 23 mai 1984, la Commission de l'emploi et de l'immigra- tion a reçu du plaignant Gerald G. Goldstein une demande fondée sur la Loi sur l'accès à l'information. Cette demande est mentionnée dans l'affidavit de Douglas W. McGibbon.
8. Ledit Gerald G. Goldstein est un avocat qui exerce sa profession en Colombie-Britannique et qui représente ladite P.F.
En même temps que sa demande de communica tion, le plaignant a soumis un document signé par P.F. aux termes duquel celle-ci consent à ce que les documents et renseignements relatifs à ses affaires d'immigration lui soient communiqués. Le 13 juil- let 1984, l'intimé a informé le plaignant qu'il ne pouvait, sur le fondement de la Loi sur l'accès à l'information, obtenir les renseignements qu'il avait demandés parce qu'il s'agissait de renseigne- ments personnels concernant une autre personne. Une plainte a été déposée auprès du Commissaire à l'information qui, à l'issue d'une enquête, a recommandé que les renseignements soient com- muniqués. L'intimé a par la suite permis au plai-
gnant d'avoir accès à des documents comprenant 5 pages, mais il a refusé de lui communiquer plus de 200 autres pages. Le requérant se fonde sur l'ali- néa 42(1)a) de la Loi sur l'accès à l'information pour exercer un recours en révision de ce refus:
42. (1) Le Commissaire à l'information a qualité pour:
a) exercer lui-même, à l'issue de son enquête et dans les délais prévus à l'article 41, le recours en révision pour refus de communication totale ou partielle d'un document, avec le consentement de la personne qui avait demandé le document;
b) comparaître devant la Cour au nom de la personne qui a exercé un recours devant la Cour en vertu de l'article 41;
c) comparaître, avec l'autorisation de la Cour, comme partie à une instance engagée en vertu des articles 41 ou 44.
En vertu de l'article 48 de la Loi sur l'accès à l'information, il incombe à l'intimé d'établir le bien-fondé du refus de communication du docu ment demandé:
48. Dans les procédures découlant des recours prévus aux articles 41 ou 42, la charge d'établir le bien-fondé du refus de communication totale ou partielle d'un document incombe à l'institution fédérale concernée.
L'avocate de l'intimé fait valoir qu'une telle auto- risation existe en vertu de l'article 19 de la Loi:
19. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le responsable d'une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant les renseignements personnels visés à l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
(2) Le responsable d'une institution fédérale peut donner communication de documents contenant des renseignements personnels dans les cas où:
a) l'individu qu'ils concernent y consent;
b) le public y a accès;
c) la communication est conforme à l'article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
Il n'est pas contesté que le document litigieux contient des renseignements personnels au sens de l'article 3 de la Loi sur la protection des rensei- gnements personnels [S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, annexe II], ni que l'individu qu'ils concernent a consenti à leur communication. L'avocate de l'intimé soutient toutefois que puisque le paragra- phe 19(2) prévoit que le responsable d'une institu tion fédérale peut donner communication de ren- seignements personnels, il établit du même coup le pouvoir discrétionnaire de refuser de communiquer lors même que les conditions du paragraphe 19(2) seraient remplies.
Je rejette cet argument pour deux raisons: pre- mièrement-du point du droit, il va à l'encontre des principes d'interprétation des lois; deuxièmement, il contredit le but même pour lequel la législation a été édictée, ainsi qu'il est dit dans les dispositions expresses de la Loi et confirmé dans la jurisprudence.
Pour ce qui est de l'interprétation des lois, lors- que le législateur a l'intention de créer une obliga tion de faire, il emploie le mot «shall» (doit). Par contre, s'il veut établir un pouvoir discrétionnaire ou un droit de faire, il emploie le mot «may» (peut). Si le législateur avait voulu en l'espèce investir le responsable d'une institution fédérale du pouvoir discrétionnaire de ne pas donner commu nication de renseignements, même si les conditions du paragraphe 19(2) ont été remplies, il aurait employé ce langage approprié et explicite. Bien entendu, la Loi n'établit pas le pouvoir discrétion- naire de ne pas communiquer de renseignements dans ces circonstances (auquel cas l'argument de l'intimé pourrait être fondé). Il ressort du langage choisi l'intention d'établir le pouvoir discrétion- naire de donner, dans certains cas, communication de renseignements personnels. C'est dire que, une fois ces conditions remplies, le responsable de l'ins- titution fédérale est tenu de communiquer ces renseignements surtout lorsque le but pour lequel la Loi a été édictée est, comme en l'espèce, de conférer au public le droit d'y avoir accès. À l'appui de l'argument contraire, l'avocate de l'in- timé s'est appuyée sur l'arrêt de la Cour suprême du Canada Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouverne- ment du Canada, [ 1982] 2 R.C.S. 2. Voici toute- fois un passage important qui figure dans l'arrêt de la Cour d'appel fédérale [[1981] 1 C.F. 500, la page 508] rendu par le juge Le Dain et confirmé par la Cour suprême du Canada:
La présente affaire ne donne pas lieu à l'application du principe reconnu dans l'affaire Julius c. The Right Rev. the Lord Bishop of Oxford (1879-80) 5 App. Cas. 214, et mentionné dans l'affaire The Labour Relations Board of Saskatchewan c. La Reine ex rel. F.W. Woolworth Co. Ltd., [1956] R.C.S. 82, à la page 87, selon lequel des termes accordant une faculté peuvent s'interpréter comme créant un devoir s'ils confèrent un pouvoir dont l'exercice est nécessaire pour donner effet à un droit.
Bien entendu, j'estime que c'est précisément le cas en l'espèce, et j'aborde donc les passages suivants des deux décisions mentionnées ci-dessus. Dans Julius v. Oxford (Bishop of) (1880), 5 App. Cas.
214 (H.L.), lord Blackburn s'est prononcé en ces termes aux pages 242 et 243:
[TRADUCTION] Mais il existe des cas il ne s'agit pas d'exercer un acte judiciaire en vertu de l'autorité ou du pouvoir conféré, et pourtant la personne désignée est tenue d'exercer ce pouvoir s'il appert qu'elle en est investie dans le but de faire valoir un droit et que les titulaires de ce droit lui demandent de l'exercer dans leur intérêt.
Et dans l'affaire Labour Relations Board v. The Queen ex rel. F.W. Woolworth Company Limited and Agnes Slabick and Saskatchewan Joint Board, Retail, Wholesale and Department Store Union, [1956] R.C.S. 82, le juge Locke a déclaré à la page 86:
[TRADUCTION] La partie de l'art. 5 qui concerne cet aspect de la question est ainsi rédigée:-
5. La Commission a le pouvoir de rendre des ordonnances:—
(i) annulant ou modifiant toute ordonnance ou décision du Conseil.
Bien que le texte soit rédigé dans une forme qui comporte autorisation, à mon avis il impose à la commission l'obligation d'exercer ce pouvoir lorsqu'une partie intéressée et ayant le droit de faire la requête le lui en fait la demande (Drysdale v. Dominion Coal Company ((1904) 34 Can. R.C.S. 328, la p. 336): le juge Killam). Les dispositions portant autorisation sont toujours obligatoires lorsqu'elles ont pour objet de reconnaître un droit (Julius c. Lord Bishop of Oxford ((1880) 5 A.C. 214, à la p. 243): le lord Blackburn).
Pour ce qui est du but de la Loi, il convient peut-être de revenir encore une fois aux propos que j'ai tenus dans l'affaire Maislin Industries Limited c. Ministre de l'Industrie et du Commerce, [1984] 1 C.F. 939 [aux pages 942 et 943]:
Il faut cependant souligner que, puisque le principe de base de ces lois est de codifier le droit du public à l'accès aux docu ments du gouvernement, deux conséquences en découlent: d'abord, les tribunaux ne doivent pas neutraliser ce droit sauf pour les motifs les plus évidents, de sorte qu'en cas de doute, il faut permettre la communication; deuxièmement, le fardeau de convaincre la cour doit incomber à la partie qui s'oppose à la communication, qu'il s'agisse, comme en l'espèce, d'une société privée ou d'un citoyen ou, dans d'autres cas, du gouvernement. Il convient de citer le paragraphe 2(1):
2. (1) La présente loi a pour objet d'élargir l'accès aux documents de l'administration fédérale en consacrant le prin- cipe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif.
Cette interprétation se trouve renforcée par la disposition expresse de l'article 4:
4. (1) Sous réserve de la présente loi mais nonobstant toute autre loi du Parlement, ont droit à l'accès aux documents des institutions fédérales et peuvent se les faire communiquer sur demande:
a) les citoyens canadiens; ou
b) les résidents permanents au sens de la Loi sur l'immigra- tion de 1976.
Je le répète, la Loi sur l'accès à l'information vise à codifier le droit d'accès aux renseignements déte- nus par le gouvernement. Il ne s'agit pas de codi- fier le droit du gouvernement de refuser cet accès. L'accès devrait être la règle, et les exemptions qui constituent l'exception doivent être expressément prévues par la Loi. En l'espèce, c'est à juste titre qu'on a informé le requérant que les renseigne- ments demandés ne pouvaient être obtenus que par un citoyen canadien ou un résident, et ne pou- vaient donner lieu à la communication de rensei- gnements personnels concernant une autre per- sonne sans son consentement. Une fois ces conditions remplies, et c'est le cas en l'espèce, on aurait communiquer les renseignements en question.
La demande doit donc être accueillie. Il sera rendu, en vertu de l'article 49 de la Loi, une ordonnance enjoignant à l'intimé de communiquer les documents litigieux au plaignant Gerald G. Goldstein. Le requérant devrait avoir droit à ses dépens de la présente requête.
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