A-520-85
Consolidated -Bathurst Limited (appelante)
(demanderesse)
c.
La Reine (intimée) (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: CONSOLIDATED-BATHURST LTD. C. CANADA
Cour d'appel, juges Urie et Stone et juge suppléant
Cowan—Toronto, 28 et 29 octobre; Ottawa, 28
novembre 1986.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Déductions —
Régime d'assurance par lequel des risques de l'appelante sont
assurés auprès d'assureurs canadiens et réassurés auprès d'une
compagnie d'assurance étrangère créée par l'appelante, lesdits
risques étant garantis par l'appelante — Non-déductibilité
des primes d'assurance à titre de frais d'exploitation lorsque le
contribuable assuré, bien qu'assuré en principe, est tenu d'ab-
sorber ses propres pertes — La notion de «famille économi-
que» est rejetée — Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-
71-72, chap. 63, art. 18(1 Je), 95 (mod. par S.C. 1973-74, chap.
14, art. 29; 1974-75-76, chap. 26, art. 59), 245(1) — Loi de
l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, chap. 148, art. 137(1).
La contribuable appelante, une multinationale canadienne
qui fabriquait de la pâte et du papier et pour qui il était devenu
difficile et coûteux de s'assurer au Canada, a fait constituer une
compagnie d'assurance étrangère «satellite» («OI») aux Bermu-
des. Bien qu'il y ait d'autres transactions d'assurance en jeu
dans la présente affaire, les plus importantes portent sur cer-
tains risques contre lesquels l'appelante s'assurait auprès d'as-
sureurs canadiens et ceux-ci se réassuraient auprès de OI. Cette
dernière société se réassurait à son tour contre la plupart de ces
risques sur le marché libre à un coût beaucoup moindre et
protégeait en outre les assureurs canadiens au moyen d'ententes
d'indemnisation qui étaient associées à des lettres de crédit
appuyées par les propres garanties de l'appelante.
Le ministre a refusé la plupart des «dépenses pour fins
d'assurance» réclamées à titre de déductions pour les années
d'imposition 1971 1975. En outre, il a attribué à l'appelante,
aux fins de l'impôt, les gains tirés d'intérêts et du change
réalisés par OI au cours des années 1972 à 1975.
Le juge de première instance a conclu que les primes versées
à OI directement ou indirectement ont réduit de façon factice
le revenu de l'appelante et ne pouvaient donc pas, en vertu du
paragraphe 245(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, être
déduites de son revenu. En fait, ces débours étaient des sommes
transférées à un fonds de réserve et ne sont donc pas déducti-
bles en vertu de l'alinéa 18(1)e) de la Loi. Cela consistait à
canaliser des fonds de l'appelante vers un intermédiaire sur
lequel elle avait un pouvoir total. Et vu que OI dépendait des
garanties de l'appelante pour acquitter les réclamations d'assu-
rance qui dépassaient sa capacité de payer, il n'y a pas eu de
transfert véritable du risque. Le juge de première instance a
également conclu que le ministre avait commis une erreur en
attribuant à l'appelante les gains tirés d'intérêts et du change
réalisés par OI car, en l'absence d'une règle précise au con-
traire, il faut respecter les distinctions qui existent normale-
ment entre une compagnie mère et sa filiale.
Il s'agit d'un appel et d'un appel incident formés à l'encontre
de cette décision.
Arrêt: l'appel portant sur la déductibilité des primes d'assu-
rance devrait être rejeté en ce qui concerne les années d'imposi-
tion 1971 à 1974 mais alloué en ce qui concerne l'année 1975.
L'appel incident portant sur les gains tirés d'intérêts et du
change réalisés par OI devrait être rejeté.
De 1971 à 1974, les indemnités, les lettres de crédit et les
garanties protégeaient les assureurs canadiens contre les pertes
pouvant résulter des risques réassurés auprès de OI. Pendant
ces années-là, l'appelante était dans une position où elle aurait
pu être tenue d'absorber une perte qu'elle avait prétendu
assurer. Étant donné qu'aucune protection réelle n'a été ache-
tée, la déduction, à titre de frais d'exploitation, des primes
payées entraînait une réduction factice du revenu. Il n'était pas
nécessaire de déterminer si les paiements constituaient ou non
une réserve au sens de l'alinéa 18(1)e) de la Loi.
Au cours de l'année d'imposition 1975, la situation différait
de celle des années précédentes en ce qu'aucune indemnité ni
aucune garantie n'ont été demandées. Le versement des primes
d'assurance durant cette année-là n'a pas réduit le revenu de
l'appelante de façon factice car il y a eu un transfert réel du
risque même si c'était à une compagnie appartenant à la même
«famille économique». Cette expression a été utilisée pour dési-
gner des compagnies appartenant à un même groupe aux fins
de l'impôt sur les corporations. Les tribunaux américains ont
jugé qu'aucune déduction d'impôt sur le revenu ne peut être
réclamée en ce qui a trait au transfert de risques, au moyen de
versements de primes, à une compagnie appartenant au même
groupe. Cette notion n'est pas acceptable, car cela équivaut à
nier l'existence de compagnies distinctes indépendamment des
circonstances d'un cas particulier.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS SUIVIES:
Harris v. Minister of National Revenue, [1966] R.C.S.
489; Sellars c. La Reine, [1980] I R.C.S. 527; Clark v.
Canadian National Railway Co.; Attorney -General of
New Brunswick, intervenor (1985), 17 D.L.R. (4th) 58
(C.A.N.-B.).
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Shulman, Isaac v. Minister of National Revenue, [1961]
R.C.É. 410, confirmée sans motifs [1962] R.C.S. viii; 72
DTC 1166; Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984]
1 R.C.S. 536; Helvering v. Le Gierse, 312 U.S. 531
(1941); Carnation Co. v. C.I.R., 640 F. 2d 1010 (9th Cir.
1981); Stearns -Roger Corp., Inc. v. U.S., 577 F. Supp.
833 (D.C. Colo. 1984).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Spur Oil Ltd. c. R., [1982] 2 C.F. 113 (C.A.); Covert et
autres c. Ministre des Finances de la Nouvelle-Écosse,
[1980] 2 R.C.S. 774.
DÉCISION EXAMINÉE:
Jugement rendu le 21 août 1985 par la Haute Cour des
Pays-Bas, n° du greffe: 22929, non publié (intitulé de la
cause non cité).
DÉCISIONS CITÉES:
Don Fell Limited c. La Reine (1981), 81 DTC 5282
(C.F. 1"° inst.); Sigma Explorations Ltd. c. La Reine,
[1975] C.F. 624 (1' inst.).
AVOCATS:
Donald G. H. Bowman, c.r. et William I.
Innes pour l'appelante (demanderesse).
John R. Power, c.r., D. C. Olsen et J. D'Au-
ray pour l'intimée (défenderesse).
PROCUREURS:
Stikeman, Elliott, Toronto, pour l'appelante
(demanderesse).
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée (défenderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE STONE: La principale question soule-
vée dans le présent appel porte sur l'applicabilité
du paragraphe 245(1) de la Loi de l'impôt sur le
revenu, S.R.C. 1952, chap. 148, modifié par S.C.
1970-71-72, chap. 63, art. 1. C'est la première du
genre à être soumise à la Cour.
État de la question
L'appelante a été constituée en 1967 la suite
d'une fusion. Pendant les années 1971 1975, elle
fabriquait de la pâte, du papier et des produits
d'emballage au Canada et dans d'autres pays. Elle
possédait à cette fin de vingt à trente filiales dans
le monde entier. Les actions de ces dernières
étaient détenues par sa filiale en propriété exclu
sive St. Maurice Holdings Limited («St. Mau-
rice»), qui avait été constituée dans le but de
détenir les actions des sociétés affiliées et des
filiales situées à l'extérieur du Canada.
Après sa formation, l'appelante est allée sur le
marché des assurances pour combler ses besoins
d'assurance et ceux des filiales, mais il est vite
devenu difficile et coûteux de s'assurer de cette
façon en raison de pertes élevées. Il fallait cepen-
dant que l'appelante contracte de l'assurance pour
satisfaire aux conditions des actes de fiducie
garantissant les dettes de la companie. On n'a pas
tardé à élaborer un régime en vertu duquel on
pensait obtenir une couverture d'une façon diffé-
rente, sans devoir se soumettre à la réglementation
canadienne en matière d'assurances. Le régime a
été mis en place en 1970 lorsque la société Over
seas Insurance Corporation a été constituée en
vertu des lois de Panama et dotée d'un capital-
actions de 120 000 $. Elle a obtenu l'autorisation
d'exploiter une entreprise d'assurance aux Bermu-
des. En 1974, une deuxième société, Overseas
Insurance Limited, a été constituée en vertu des
lois des Bermudes. L'actif de la société pana-
méenne a été transféré à la société des Bermudes,
qui a alors été autorisée à exploiter une entreprise
d'assurance aux Bermudes. Il sera plus pratique de
désigner les deux sociétés simplement par l'abré-
viation «01». Tous les administrateurs et les diri-
geants de OI résidaient aux Bermudes, et toutes
les actions des deux sociétés étaient détenues par
St. Maurice. OI était gérée suivant un contrat
intervenu entre St. Maurice et Insurance Mana
gers Limited, une compagnie des Bermudes qui
était la propriété des courtiers d'assurance cana-
diens de l'appelante. Insurance Managers Limited
avait un personnel nombreux et gérait environ
cinquante-cinq filiales dans le domaine des assu
rances aux Bermudes.
Le régime est entré en vigueur au cours de
l'année 1970 et s'est appliqué pendant les années
d'imposition 1971 1975. OI ne représentait qu'un
de ses éléments essentiels. Il comportait en outre
les opérations suivantes: l'appelante contractait
avec des assureurs canadiens une assurance cou-
vrant un certain nombre de ses propres risques et
de ceux de ses filiales; ces assureurs s'adressaient à
OI pour se réassurer contre la presque totalité de
ces risques conformément aux conditions des
ententes appelées ententes facultatives à découvert
et intervenues entre ces assureurs et OI; OI obte-
nait une garantie en excédent de pertes et de
sinistres au moyen d'une réassurance sur le marché
libre; et, enfin, les assureurs canadiens étaient
protégés par des ententes d'indemnisation qui
étaient associées à des lettres de crédit bancaire
émises par OI en faveur de ces assureurs, garanties
par les investissements de OI et appuyées par les
propres garanties de l'appelante. Les détails de ces
documents ainsi que leur importance relativement
à l'espèce apparaîtront bientôt. L'assureur cana-
dien était Victoria Insurance Company of Canada
en 1970, Scottish & York Insurance Co. Limited
de 1971 1974 inclusivement et Elite Insurance
Company en 1975.
Les risques contre lesquels l'appelante cherchait
à s'assurer en vertu du régime étaient de deux
types. Le premier type comprenait l'ensemble des
franchises contenues dans les polices d'assurance
obtenues à l'origine par l'appelante et ses filiales
sur le marché des assurances. Ces franchises
étaient assurées par les assureurs d'origine en vertu
de soi-disant polices «couvrant les franchises».
Presque tous ces risques étaient réassurés par OI
qui se protégeait alors elle-même en obtenant, sur
le marché libre des réassurances, une assurance en
excédent de pertes pour se protéger contre les
réclamations dépassant ses provisions pour risques
en cours. Le second type de risques visé compre-
nait les risques divers assurés par l'appelante et ses
filiales en vertu de polices «générales». Un certain
pourcentage de ces risques était pris en charge par
différentes entreprises d'assurance et par OI. Au
début, 20 % de ces risques étaient assurés par OI,
cette proportion étant passée à 40 % au cours de la
deuxième année. Les primes étaient payées direc-
tement à OI pour la couverture accordée. La plu-
part de ces risques étaient réassurés par des assu-
reurs de la Lloyds. L'appelante a confié 100 % de
ces risques à ces assureurs pendant la troisième et
la quatrième années du programme et, à leur tour,
ils ont réassuré la plupart d'entre eux en s'adres-
sant à OI. De nouveau, OI s'est protégée elle-
même en obtenant, sur le marché libre des réassu-
rances, une assurance en excédent de pertes pour
se protéger contre les réclamations dépassant ses
provisions pour risques en cours. Il est ressorti de
la preuve qu'à un moment OI accepterait des
risques de personnes autres que l'appelante et les
filiales, mais qu'elle n'a pas accepté de risques de
ce genre au cours des années concernées.
Dans le calcul de son revenu imposable pour les
années d'imposition 1971 à 1975, l'appelante a
déduit à titre de frais d'exploitation la totalité des
primes versées au titre de la couverture «générale»
et de la couverture relative aux «franchises». Le
ministre n'était pas d'accord sur ce point et a
établi la cotisation de l'appelante en tenant pour
acquis qu'une partie importante de la déduction
devrait être refusée. En outre, il a établi une
cotisation à l'égard des gains tirés d'intérêts et du
change réalisés par OI au cours des années d'impo-
sition 1972 1975 en tenant pour acquis qu'ils
auraient dû être attribués à l'appelante aux fins de
l'impôt. En Division de première instance, le juge
Strayer s'est prononcé contre l'appelante sur le
premier point et en sa faveur sur le second'. Le
présent appel découle de cette décision.
Les questions
Deux questions se posent au sujet de ces déci-
sions. Premièrement, le juge de première instance
a-t-il commis une erreur en maintenant la cotisa-
tion établie par le ministre, qui refusait d'admettre
comme frais d'exploitation une certaine partie des
primes d'assurance versées au cours des années
d'imposition 1971 1975? Deuxièmement, le juge
de première instance a-t-il commis une erreur en
modifiant la cotisation établie par le ministre et en
excluant les gains que OI a tirés d'intérêts et du
change au cours des années d'imposition 1972 à
1975?
Je vais maintenant traiter de ces questions.
Dépenses pour fins d'assurance
Le ministre a admis comme frais d'exploitation
seulement les montants versés aux assureurs cana-
diens à titre de primes pour la couverture des
«franchises» qui n'ont pas été réassurées par 01 et
les primes versées directement par l'appelante pour
la couverture «générale». Dans la minute du juge-
ment, les primes versées par OI pour une assu
rance en excédent de pertes et en excédent de
sinistres ainsi que les commissions et les taxes
versées pour l'obtention d'une telle réassurance ont
également été admises. Les autres montants versés
à OI, moins les pertes sur les polices, ont été
rejetés. Étant donné que, dans le cas des polices
«couvrant les franchises», les assureurs canadiens
ont retenu seulement sept et demi pour cent des
risques durant les années 1971 1974 et deux et
demi pour cent en 1975, les montants rejetés sont
assez substantiels.
L'appelante prétend que tous les montants ont
été versés pour une couverture d'assurance et que,
comme tels, ils ont été dûment déduits à titre de
I [1987] I C.F. 223; [1985] 1 CTC 142; 85 DTC 5120.
dépenses pour fins d'assurance. L'intimée soutient
qu'il s'agissait d'un régime compliqué d'auto-assu
rance par l'intermédiaire de OI qui n'était pas
authentique et qu'il s'agissait en réalité d'une
réserve dont la déduction réduirait de façon factice
le revenu de l'appelante en contravention du para-
graphe 245(1) et de l'alinéa 18(1)e) de la Loi.
L'intimée a allégué que le régime était un trompe-
mais le juge de première instance n'était pas
d'accord sur ce point. Il était également d'avis que
l'existence d'un but commercial véritable ne pou-
vait pas soustraire l'appelante à l'assujettissement
à l'impôt si le régime entraînait, sous d'autres
rapports, une imposition. Il a jugé, à la page 147,
que l'un des facteurs qui ont motivé la mise en
place du régime était la difficulté qu'éprouvait
l'appelante à cette époque à obtenir de l'assurance
ou à en obtenir à un prix raisonnable. Par ailleurs,
il a estimé, à la page 148, que la recherche d'avan-
tages fiscaux entrait aussi en ligne de compte pour
l'appelante. Il ne lui était pas possible d'établir, et
effectivement il n'a pas établi, dans quelle mesure
ces facteurs ou d'autres ont influé sur la décision
d'élaborer le régime.
L'alinéa 18(1)e) et le paragraphe 245(1) de la
Loi sont libellés ainsi:
18. (1) Dans le calcul du revenu du contribuable, tiré d'une
entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas
déductibles:
e) une somme transférée ou créditée au compte d'une réserve,
à un compte de prévoyance ou à une caisse d'amortissement,
sauf ce qui est expressément permis par la présente Partie;
245. (1) Dans le calcul du revenu aux fins de la présente loi,
aucune déduction ne peut être faite à l'égard d'un débours fait
ou d'une dépense faite ou engagée, relativement à une affaire
ou opération qui, si elle était permise, réduirait indûment ou de
façon factice le revenu.
En rejetant la position fondamentale de l'appelante
selon laquelle les montants versés ont été déduits à
juste titre, le juge de première instance a formulé
les observations suivantes, aux pages 236 et 237
C.F.; 149 et 150 CTC; 5125 DTC:
OI a conservé la portion des risques se rapportant aux biens
de la demanderesse qui n'était ni assurée ni réassurée par des
compagnies non affiliées. Tout l'actif d'OI provenait essentielle-
ment de la demanderesse. C'est St. Maurice, la filiale en
propriété exclusive de la demanderesse, qui lui a fourni son
capital initial de 120 000 $; son revenu, elle l'a reçu directe-
ment de la demanderesse à titre de primes d'assurance, ou
indirectement de la demanderesse à titre de primes de réassu-
rance versées par les assureurs de celle-ci; elle a également pu
obtenir des ristournes ou commissions en assurant ou en réassu-
rant les biens de la demanderesse, ainsi qu'un intérêt sur les
fonds excédentaires dont la demanderesse était la source
ultime. OI n'avait pas d'autres clients entre lesquels elle pouvait
répartir les risques, ni aucune autre source de fonds à partir de
laquelle la demanderesse pouvait être indemnisée des pertes
faisant partie des risques conservés par OI. Par conséquent, le
«programme d'assurance» doit être assimilé à un moyen permet-
tant à la demanderesse de canaliser ses fonds vers l'un de ses
intermédiaires qu'elle contrôlait complètement et à qui elle
devait s'adresser pour réparer les pertes faisant partie des
risques conservés par OI. Les fonds dont disposait OI prove-
naient de la demanderesse. Tout excédent dont 0I pouvait
bénéficier était en fin de compte sous le contrôle de la deman-
deresse à titre d'unique actionnaire de l'unique actionnaire
d'OI. C'est la demanderesse qui était tenue aux pertes qu'OI ne
pouvait couvrir en raison d'un manque de fonds. Ce qui en
résulte est semblable à l'établissement par une institution ou
une société d'un fonds de réserve dont elle se servirait pour
réparer les pertes non assurées causées à ses biens.
La preuve n'a pas non plus établi que ce n'était là qu'une
conséquence accessoire d'une entente exigée par la demande-
resse pour obtenir une assurance de tierces parties. Par exem-
ple, il ressort de la preuve que les primes versées à Scottish and
York, l'assureur canadien, étaient les mêmes que celles que cet
assureur aurait fait payer à n'importe quel assuré, que l'assuré
ait ou non une compagnie d'assurances satellite pour agir à titre
de réassureur. Cela laisse également entendre qu'il n'y avait,
sur le plan du marché, aucun intérêt à avoir un réassureur
satellite. De même, bien qu'on ait dit que l'une des raisons de
l'établissement d'un assureur satellite était l'accès à des mar-
chés de réassurance qui n'est possible que par le recours à une
compagnie d'assurances satellite, la preuve révèle en fait que la
réassurance obtenue était accessible à toute compagnie d'assu-
rances, qu'elle soit satellite ou non. Par conséquent, le recours à
une compagnie d'assurances satellite en partie pour couvrir les
risques qui ne sont pas autrement réassurés n'était pas simple-
ment accessoire à un accord conclu pour obtenir de tierces
parties une réassurance qui n'était pas autrement disponible.
En conséquence, je conclus que les prétendues «primes» ver
sées par la demanderesse concernant les risques dont son inter-
médiaire, 01, a assumé la responsabilité étaient des débours qui
réduisaient de façon factice le revenu de la demanderesse et ne
pouvaient donc pas, en vertu du paragraphe 245(1), être dédui-
tes de son revenu. En fait, ces débours étaient des sommes
transférées à un fonds de réserve et ne sont donc pas déducti-
bles en vertu de l'alinéa 18(1)e) de la Loi de l'impôt sur le
revenu.
Le juge de première instance s'est appuyé sur
des décisions traitant de la facticité dans le con-
texte du paragraphe qui a précédé le paragraphe
245(1) et notamment sur une décision rendue par
la Cour de l'Échiquier du Canada dans l'affaire
Shulman, Isaac v. Minister of National Revenue,
[1961] R.C.É. 410 (confirmée sans motifs par la
Cour suprême du Canada, [ 1962] R.C.S. viii; 72
DTC 1166), dans laquelle le juge suppléant Rit-
chie a déclaré, â la page 425:
[TRADUCTION] Dans le présent contexte, «de façon factice»
signifie de façon «anormale», «contraire à ce qui est naturel» ou
«qui n'est pas normale».
J'interprète le paragraphe (1) comme s'il se lisait:
Dans le calcul du revenu aux fins de la présente Loi,
aucune déduction qui, si elle était permise, réduirait indû-
ment ou de façon factice le revenu ne peut être faite à l'égard
d'un débours ou d'une dépense contractée relativement à une
affaire ou opération.
Si l'on étudie l'application de l'article 137(1) toute déduc-
tion de revenu, il faut aussi tenir compte de la nature de la
transaction ayant donné lieu à la déduction. Tout artifice
surgissant au cours d'une transaction peut vicier une dépense
s'y rapportant et l'empêcher d'être déductible du calcul du
revenu imposable.
Les décisions rendues par la Division de première
instance dans les affaires Don Fell Limited c. La
Reine (1981), 81 DTC 5282 et Sigma Explora
tions Ltd. c. La Reine, [1975] C.F. 624, ont égale-
ment été invoquées. Il n'a pas été convaincu par les
allégations de l'appelante qui a fait valoir que les
parties à des transactions juridiques indubitable-
ment exécutoires étaient des entités juridiques dis-
tinctes, ni par l'absence d'un rapport mandant/
mandataire entre l'appelante et OI. Il était d'avis,
à la page 149, qu'«il est permis de percer, occasion-
nellement, le voile qui couvre les sociétés». A ce
propos, il s'est reporté à la décision rendue par la
majorité des juges de la Cour suprême du Canada
dans l'affaire Covert et autres c. Ministre des
Finances de la Nouvelle-Écosse, [1980] 2 R.C.S.
774, où, à la page 796, la Cour s'est estimée tenue
d'«examiner la véritable situation» et a conclu
qu'une filiale «était à la merci de la compagnie
mère et devrait lui obéir au doigt et à l'oeil». Les
faits de cette affaire étaient exceptionnels. Néan-
moins, le juge de première instance a déduit, à la
page 149, que OI devait faire tout ce que St.
Maurice et l'appelante lui disaient de faire. A mon
avis, il y a insuffisance de preuve à l'appui de cette
déduction. L'intimée se fonde sur une directive
générale donnée par l'appelante à OI relativement
aux investissements, mais je considère que, prise
isolément, il ne s'agit de rien de plus que l'intérêt
légitime d'un investisseur principal à l'égard du
succès financier de sa filiale.
En contestant la décision portée en appel, l'ap-
pelante reprend des allégations présentées en pre-
mière instance, qui tendaient toutes à démontrer
que l'application du régime n'avait pas réduit son
revenu «de façon factice» durant l'une des années
en question mais qu'il constituait plutôt un pro
gramme légitime destiné à combler les besoins
d'assurance de l'appelante. Elle soutient en consé-
quence qu'aucune partie des primes n'aurait dû
être refusée à titre de frais d'exploitation même s'il
en avait résulté un dégrèvement. L'intimée com
pare le régime à un train qui se déplace sur une
voie simple entre deux points donnés. Chaque
année à la date d'échéance de la couverture
annuelle et au moment où il fallait avoir recours à
une nouvelle couverture, le régime prenait le relais
et, comme le train, amorçait un parcours réglé
d'avance. L'appelante, a-t-on avancé, s'était enga
gée dans un programme qui équivalait en réalité à
une réserve pour paiement des pertes à venir. Les
indemnités, les lettres de crédit et les garanties ne
pouvaient que signifier que l'appelante et St. Mau-
rice s'étaient engagées à compenser tout déficit
survenant entre les réclamations d'assurance pré-
sentées et les fonds dont disposait OI pour les
acquitter. Ce n'est pas parce que le régime revêtait
l'aspect d'un programme d'assurance, allègue l'in-
timée, qu'il en constituait un.
Il me semble que l'applicabilité du paragraphe
245(1) doit être examinée de deux points de vue
distincts: premièrement, dans les circonstances
existant durant la période allant de 1971 à 1974 en
tenant compte des indemnités, des lettres de crédit
et des garanties et, deuxièmement, en l'absence de
toute indemnité ou garantie de ce genre durant
l'année d'imposition 1975. Ces éléments n'ont pas
été inclus dans le régime initial bien qu'ils sem-
blent avoir été envisagés. Ils ont été ajoutés durant
l'année d'imposition 1972. Les indemnités avaient
pour effet de protéger à la fois Victoria Insurance
Company of Canada et Scottish & York Insurance
Co. Limited contre les pertes pouvant résulter de
toute couverture cédée par l'une d'entre elles à OI
conformément à l'entente facultative à découvert.
Selon les modalités prévues, St. Maurice s'est
engagée tant vis-à-vis de Victoria Insurance Com
pany of Canada que vis-à-vis de sa société soeur,
Scottish & York Insurance Co. Limited, à titre de
«personne admissible» définie ci-après, de la façon
suivante:
[TRADUCTION] En considération des avantages que représen-
tent pour ST. MAURICE HOLDINGS LIMITED les opérations de sa
filiale en propriété exclusive OVERSEAS INSURANCE CORPORA
TION, ci-après appelée «OVERSEAS», ST. MAURICE HOLDINGS
LIMITED indemnisera et tiendra à couvert toute partie admissi
ble, définie ci-dessous, de toutes dettes, pertes et dépenses
courantes, dont les frais d'avocat s'élevant à un montant raison-
nable, que la partie admissible pourra assumer si OVERSEAS
néglige d'exécuter l'une ou la totalité de ses obligations à
l'égard de la partie admissible relativement aux transactions
intervenues entre cette partie et ST. MAURICE HOLDINGS LIMI
TED et/Ou CONSOLIDATED-BATHURST LIMITED, ou l'une de
leurs filiales, ou pour procéder en défense ou en demande dans
toute poursuite, action ou autre procédure intentée à ce sujet ou
pour obtenir ou tenter d'obtenir une mainlevée à cet égard.
ST. MAURICE HOLDINGS LIMITED s'engage à rembourser sur
demande ladite partie admissible ou à lui verser toute somme
d'argent que celle-ci versera ou sera tenue par la loi de verser
en raison de ce qui précède, et elle effectuera ce paiement à la
partie admissible aussitôt que celle-ci en deviendra redevable,
qu'elle ait ou non déboursé ces sommes en tout ou en partie.
L'obligation de ST. MAURICE HOLDINGS LIMITED d'indemniser
toute «partie admissible» aux termes des présentes durera aussi
longtemps qu'une obligation sera due par OVERSEAS à cette
«partie admissible».
À quelques reprises pendant les années 1971 à
1974, OI a consenti des lettres de crédit bancaire
en faveur de Victoria Insurance Company of
Canada et de Scottish & York Insurance Co.
Limited grâce auxquelles l'une ou l'autre de ces
compagnies pouvait sur demande tirer des fonds,
dont les limites étaient spécifiées, selon des modali-
tés semblables, sinon tout à fait identiques, aux
modalités suivantes qui figuraient dans la lettre de
crédit de 1972:
[TRADUCTION] Le montant ainsi tiré sera payable sur présen-
tation par Scottish & York Insurance Co. Ltd. et/ou Victoria
Insurance Co. of Canada d'un certificat attestant que la société
Overseas Insurance Corporation n'a pas rempli ses obligations
courantes envers Scottish & York Insurance Co. Ltd. et/ou
Victoria Insurance Co. of Canada, et qu'une demande écrite à
cet égard a été expédiée à Overseas Insurance Corporation,
dont copie à St. Maurice Holdings Ltd., au moins 30 jours
avant la présentation de ce certificat.
Chacun de ces effets a été garanti par des dépôts à
terme faits par OI aux Bermudes. La preuve a
démontré que les sociétés Scottish & York Insu
rance Co. Limited et Victoria Insurance Company
of Canada les ont exigés parce que OI n'était pas
un assureur canadien autorisé comme le requiert le
surintendant des assurances. Enfin, l'appelante a
fourni à la banque ses propres garanties pour
garantir davantage les lettres de crédit. Chacune
de ces garanties était libellée en partie comme suit:
[TRADUCTION] En considération des transactions conclues par
la (banque) et Overseas Insurance Corporation, ci-après appe-
lée la cliente, la soussignée garantit par les présentes à ladite
banque le paiement de toutes les dettes présentes et futures,
directes, indirectes ou autrement, qui sont dues présentement
ou le seront en tout temps par la suite à ladite banque par la
cliente, et qui découlent d'une demande effectuée en vertu de la
lettre de crédit ..
Lorsqu'en 1975 la société Elite Insurance Com
pany est intervenue à titre d'assureur canadien,
aucune indemnité ni aucune garantie n'ont été
exigées à l'appui de la lettre de crédit. De nouveau,
cette lettre de crédit a été fournie directement par
OI.
Je suis d'accord en toute déférence avec la con
clusion du juge de première instance en ce qui
concerne les années d'imposition 1971 à 1974
inclusivement. Il me semble que les garanties con-
senties par l'appelante ont eu pour effet, au cours
de ces années, de la placer dans une position où
elle aurait pu être tenue d'absorber une perte
qu'elle avait prétendu assurer. OI en était alors à
ses débuts, et son capital était relativement peu
élevé. Il est vrai qu'elle possédait une couverture
de réassurance pour ses risques en cours et qu'elle
ne s'attendait pas à ce qu'on lui demande, et de
fait on ne lui a pas demandé, de verser un dédom-
magement en vertu de ses garanties. Je ne crois
pas que cela ait une quelconque importance. En
effet, selon les arrangements relatifs aux garanties,
dans l'éventualité où un imprévu aurait empêché
OI de satisfaire aux réclamations présentées par
les assureurs canadiens en vertu de l'entente facul-
tative à découvert, l'appelante elle-même aurait dû
absorber toute perte en résultant par ailleurs cou-
verte par les modalités de ses contrats d'assurance.
Selon la preuve, les garanties de ce genre sont
assez fréquentes dans l'industrie de l'assurance
entre l'assureur et le réassureur mais non entre
l'assuré et le réassureur. Cela va de soi. Il me
semblerait qu'une demande de garantie de cette
nature de la part de l'assureur pourrait, dans des
circonstances ordinaires, soulever à juste titre l'in-
crédulité de son assuré et, j'en ai le sentiment, se
voir opposer un rejet catégorique. De la même
façon, bien que les polices «générales» n'aient fait
l'objet d'aucune garantie, l'appelante aurait dû
également absorber toute perte sous leur régime
pour la couverture conservée par OI parce que
celle-ci aurait pu ne pas disposer de fonds suffi-
sants. En ce qui concerne les risques conservés par
OI, je ne vois pas comment l'arrangement qui était
en vigueur durant les années d'imposition 1971 à
1974 peut être considéré comme fournissant une
couverture d'assurance véritable en vertu de
laquelle le risque a été transféré et réparti de façon
à permettre la déduction, à titre de frais d'exploi-
tation, de montants payés comme primes par l'ap-
pelante. Étant donné qu'aucune couverture de ce
genre n'a été achetée au cours de ces années, la
déduction de ces montants entraînait une réduc-
tion factice du revenu de l'appelante.
L'intimée soutient instamment que ces paie-
ments constituaient une «réserve» au sens de l'ali-
néa 18(1)e) de la Loi et que le juge de première
instance y a souscrit. Il ne me semble toutefois pas
nécessaire de qualifier ces paiements de cette façon
ou de toute autre façon particulière. Il suffit de
dire qu'ils ne peuvent pas être considérés comme
des primes d'assurance déductibles du revenu. Il en
est ainsi parce que, dans les circonstances, ils
constituaient des paiements exceptionnels dont la
déduction réduirait le revenu «de façon factice»
selon le critère de facticité énoncé dans l'arrêt
Shulman. Un contrat d'assurance est un contrat
prévoyant l'indemnisation des pertes de l'assuré,
dans la mesure prévue par les modalités du con-
trat. À mon avis, une condition ou un arrangement
par lequel un assuré peut être tenu d'absorber une
partie des pertes visées par l'indemnité ne donne
pas lieu à une couverture d'assurance véritable.
Les sommes d'argent versées à cet égard à titre de
primes ne peuvent donc pas être déduites du
revenu à titre de frais d'exploitation 2 .
Je n'ai pas oublié les autres moyens de l'appe-
lante, bien que je ne puisse les accepter. Elle
s'appuie sur la décision rendue par la Cour dans
Spur Oil Ltd. c. R., [1982] 2 C.F. 113 et notam-
ment à la page 125, relativement à la façon dont
celle-ci a interprété le mot «artificial» (factice) qui
figurait au paragraphe 137(1) de la Loi de l'impôt
sur le revenu en vigueur à l'époque [S.R.C. 1952,
chap. 148]. Cette affaire ne concernait pas un
régime d'assurance. De plus, bien que des obliga
tions exécutoires prévues par la loi aient été con
2 Voir Harris v. Minister of National Revenue, [1966]
R.C.S. 489, les motifs du juge Cartwright, à la p. 505. Bien
qu'il ne soit pas nécessaire que la Cour se prononce sur le
paragraphe 137(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.R.C.
1952, chap. 148], je crois que je dois me sentir lié par cette
décision vu que la question «a été pleinement débattue» (Sellars
c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 527; et voir Clark v. Canadian
National Railway Co.; Attorney -General of New Brunswick,
intervenor (1985), 17 D.L.R. (4th) 58 (C.A.N.-B.), les motifs
du juge d'appel La Forest, à la p. 66).
tractées, la transaction ne dispensait pas, comme
en l'espèce, de l'exécution d'une obligation fonda-
mentale si le besoin s'en était fait sentir. En outre,
l'appelante soutient qu'en ce qui concerne le
«revenu étranger accumulé, tiré de biens», les
règles de l'article 95 de la Loi, tel qu'il a été
modifié en 1972 [S.C. 1970-71-72, chap. 63] et
était en vigueur en 1976 [mod. par S.C. 1973-74,
chap. 14, art. 29; 1974-75-76, chap. 26, art. 59] et
pendant les années suivantes, doivent être considé-
rées comme exprimant l'intention du législateur
que les montants versés à titre de primes au cours
des années faisant l'objet de l'examen ne soient pas
considérés comme contraires au paragraphe
245(1). On a avancé que, selon ces règles, le
revenu d'un assureur satellite international est con-
sidéré comme le revenu de sa compagnie mère
canadienne. Cet argument ne m'est d'aucun
secours, car il me semble que la question de savoir
si le régime est prohibé par le paragraphe 245(1)
doit reposer sur l'interprétation à donner à son
libellé indifféremment de l'existence, durant cer-
taines de ces années, de règles nouvellement adop-
tées qui attendent d'entrer en vigueur.
Mais qu'en est-il de l'année d'imposition 1975?
Le résultat devrait-il être quelque peu différent?
La situation différait de celle des années précéden-
tes en ce qu'aucune indemnité ni aucune garantie
n'ont été demandées. En 1975, OI était déjà en
exploitation depuis quelques années et avait accu-
mulé des avoirs importants. La preuve tendrait à
montrer qu'en raison de la solidité de sa situation
financière au cours de cette année-là, elle n'a pas
eu besoin de demander de garantie ni d'indemnité.
En effet, dans son exposé des faits et du droit,
l'intimée semble en dire autant en déclarant que,
[TRADUCTION] «dès 1975, des fonds suffisants
avaient été transférés soit directement ou indirec-
tement par l'appelante à OI ... de sorte qu'aucune
garantie n'a été demandée». En outre, OI avait fait
fructifier ses propres investissements et continuait
de protéger ses provisions pour risques en cours
contre les réclamations de réassurance en se réas-
surant, sur le marché libre, en excédent de pertes
ou de sinistres.
Le juge de première instance n'a pas considéré,
à la page 151, les indemnisations et les garanties
comme «essentielles à la conclusion que la deman-
deresse ou ses intermédiaires n'ont, à aucun
moment au cours des années en question, transféré
de risque». Il a été influencé dans sa conclusion par
des décisions de tribunaux américains sur la nature
de l'assurance dans le contexte d'une loi fiscale
(Helvering v. Le Gierse, 312 U.S. 531 (1941)) et
notamment la possibilité de déduire du revenu des
montants versés à titre de primes qui étaient desti
nées fondamentalement à une filiale satellite (Car-
nation Co. v. C.I.R., 640 F. 2d 1010 (9th Cir.
1981) et Stearns -Roger Corp., Inc. v. U.S., 577 F.
Supp. 833 (D.C. Colo. 1984)). Dans l'étude de ces
affaires, je dois garder à l'esprit la remarque du
juge Estey dans l'arrêt Stubart Investments Ltd. c.
La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, à la page 555,
selon laquelle l'Internai Revenue Code et les lois
qui l'ont précédé «ne comportaient pas de disposi
tion visant l'évitement de l'impôt semblable à celle
de l'art. 137».
Selon ces décisions, l'assurance comporte le
transfert et la répartition de risques. J'en conviens.
Cette opinion était au centre des arrêts Carnation
et Stearns -Roger et elle représentait le point de
vue adopté par la Cour suprême des États-Unis
dans l'arrêt Le Gierse. L'affaire Carnation concer-
nait la déduction d'une prime versée par la compa-
gnie mère à un assureur américain, la cession de la
plus grande partie de la couverture à une société
satellite internationale et le versement d'un pour-
centage proportionnel de la prime. La Cour d'ap-
pel du 9e circuit des États-Unis (United States
Court of Appeals for the 9th Circuit) a conclu
que, comme il n'y avait eu ni transfert ni réparti-
tion de risques, il n'en résultait pas d'assurance et
que, par conséquent, le montant versé à titre de
prime ne pouvait pas être déduit du revenu confor-
mément à l'Internai Revenue Code. Dans l'affaire
Stearns -Roger, la compagnie mère avait versé un
certain montant à titre de prime à sa compagnie
d'assurance satellite américaine, mais sa déduction
du revenu avait été rejetée pour le motif que la
compagnie mère et la filiale appartenaient à la
même «famille économique». Pour en arriver à sa
conclusion, le juge de première instance a formulé
les remarques suivantes, aux pages 238 C.F.; 150
CTC; 5125 DTC:
En l'espèce, à l'égard des pertes non assurées par des tiers, la
demanderesse a dû s'adresser à son propre intermédiaire, 0I,
pour obtenir les fonds nécessaires au remplacement de ses biens
endommagés. Si l'argent—qui, incidemment, provenait directe-
ment ou indirectement de la demanderesse—n'était pas dispo-
nible, alors celle-ci n'était pas indemnisée de ses pertes, à moins
qu'elle ne fournisse à cette filiale de sa filiale les fonds à même
lesquels elle se remboursait. Par conséquent, il n'y a eu ni
transfert ni répartition de risques.
et il a ajouté, aux pages 240 C.F.; 151 et 152 CTC;
5126 DTC:
Bien que la jurisprudence canadienne ne semble pas faire
mention de la notion de «famille économique», nous devrions, à
mon avis, tirer la même conclusion, savoir que, dans un cas
comme l'espèce, il n'y a pas eu transfert de risques à quiconque,
sauf à un intermédiaire de l'assuré, intermédiaire dont tout
l'actif provient directement ou indirectement de celui-ci et qui,
au cas où son actif ne serait pas suffisant, s'adresserait unique-
ment à l'assuré pour trouver les fonds nécessaires à la répara-
tion des pertes couvertes par l'assurance. Sans recourir à des
métaphores faisant appel à la notion de famille, je peux con-
clure que, en l'espèce, il n'y a pas eu de transfert véritable de
risques et que, par conséquent, le paiement de «primes» à un tel
«assureur» satellite réduirait de façon factice le revenu de
l'«assuré».
Je dois souligner que, contrairement à l'espèce,
aucune de ces décisions américaines ne concernait
la réassurance d'une quelconque partie des risques
au-delà de la compagnie satellite elle-même. D'ail-
leurs, dans l'affaire Carnation, la demande formu-
lée par l'assureur américain selon laquelle la corn-
panie mère devait souscrire un capital
supplémentaire a été considérée par la Cour, à la
page 1013, comme [TRADUCTION] «essentielle» à
l'arrangement au moyen duquel la compagnie
mère pouvait assurer ses risques. Ce facteur est
totalement absent dans la présente affaire en ce
qui concerne l'année d'imposition 1975 car, au
cours de cette année là, aucune augmentation du
capital de OI ni aucune garantie n'ont été deman-
dées ou accordées.
En outre, la notion de «famille économique» n'a
pas été reconnue par la jurisprudence et n'est
généralement pas admise. Devant la Cour, l'appe-
lante invoque pour la première fois une décision
rendue par la Haute Cour des Pays-Bas le 21 août
1985 (no du greffe: 22929).. Le nom des parties
n'est pas mentionné. Si je comprends bien, une
entreprise nationale s'est assurée et a assuré ses
autres compagnies auprès d'une filiale internatio-
nale constituée en société en vertu des lois des
Antilles néerlandaises. Elle a fait l'objet d'une
cotisation pour le motif que les risques n'étaient
pas couverts par l'assurance et qu'aucune relation
d'affaires n'existait entre la compagnie mère et la
filiale internationale. Ce tribunal a exprimé son
désaccord, à la page 26 de la traduction certifiée
remise à notre Cour:
[TRADUCTION] Pour le reste, la plaidoirie se fonde sur l'opinion
qu'en ce qui concerne les compagnies appartenant à un même
groupe aux fins de l'impôt sur les corporations, il ne faut prêter
aucune attention au transfert de risques à une compagnie
appartenant au groupe au moyen du versement d'une prime,
étant donné que, dans ce cas, ces risques restent à l'intérieur de
l'entreprise.
Cette opinion est erronée. Lorsque, dans le cadre d'un groupe,
une prime est exigée pour le transfert de risques, selon les
pratiques commerciales habituelles—et donc indépendamment
des rapports eux-mêmes qui jouent à l'intérieur de cette entre-
prise—, il doit être tenu compte du versement de la prime dans
l'établissement de l'impôt sur les corporations.
Malgré la prudence que nous devons montrer à
l'égard de ce jugement fondé sur des lois étrangè-
res avec lesquelles nous ne sommes pas familiers,
nous pouvons considérer qu'il rejette la notion de
«famille économique». À mon sens, l'adoption de
cette notion équivaudrait à nier l'existence de com-
pagnies distinctes indépendamment des circons-
tances d'un cas particulier. J'estime que c'est
inacceptable.
En l'espèce, la question de savoir s'il y a eu
transfert et répartition de risques est une question
de droit. Je ne puis affirmer que, au cours de
l'année d'imposition 1975, il n'y a pas eu de trans-
fert ni de répartition de risques. Contrairement
aux quatre années précédentes, l'assureur canadien
ne pouvait pas, à titre de compagnie de façade,
compter sur l'assuré pour absorber les pertes cou-
vertes par le régime dans l'éventualité où OI ne
remplirait pas ses engagements. Il est vrai que cet
assureur détenait une lettre de crédit émanant de
OI, mais elle n'était pas garantie par l'appelante.
Cela peut laisser croire que OI était en bien meil-
leure posture financière en 1975 que ce put être le
cas au cours des années précédentes. Ainsi que l'a
fait remarquer le juge de première instance, les
avoirs de l'appelante étaient considérables. À mon
avis, les transactions d'assurance effectuées sans
lien de dépendance en 1975 ont créé des obliga
tions légales exécutoires. De plus, il y a eu trans-
fert et répartition de risques pour les autres raisons
suivantes. Premièrement, la couverture convenue
cette année-là était extrêmement large: par exem-
ple, dans le cas des seules «franchises», la couver-
ture était limitée à 750 000 $ pour chaque perte,
accident ou désastre. Deuxièmement, les risques
étaient nombreux et d'un genre semblable. Troisiè-
mement, rien dans le dossier n'incite à croire que
OI aurait pu être contrainte à la même époque de
rembourser des pertes semblables subies par plus
d'une des entités assurées, car il semble que les
risques n'étaient pas interdépendants.
C'est le paragraphe 137(1) qui a précédé le
paragraphe 245(1) 3 . Ce paragraphe 137(1) a fait
l'objet de certaines remarques de la part de la
majorité des juges de la Cour suprême du Canada
dans l'arrêt Stubart, et dont quelques-unes sont
invoquées par l'intimée. Aucune question n'a vrai-
ment été soulevée en ce qui concerne l'application
de ce paragraphe; il se rapportait à l'attribution du
revenu plutôt qu'à la déduction de dépenses. Néan-
moins, à la page 579, le juge Estey a énoncé
comme la première de plusieurs règles d'interpré-
tation de la Loi que l'absence d'une fin commer-
ciale véritable dans une transaction donnée peut
rendre applicables les dispositions générales relati
ves à l'évitement de l'impôt (il s'agissait alors du
paragraphe 137(1), qui est maintenant le paragra-
phe 245(1)) «mais il faut tenir compte de toutes les
circonstances de l'espèce». Le juge de première
instance a conclu qu'une telle fin existait en l'es-
pèce. Précédemment, à la page 576, le juge Estey a
exposé ce qui me semble être l'approche générale à
adopter dans l'interprétation de la Loi pour déter-
miner l'effet d'un régime sur le plan fiscal.
Il paraît plus approprié d'avoir recours à un critère d'interpré-
tation qui permettrait d'appliquer la Loi de manière à viser
seulement la conduite du contribuable qui a comme effet
intentionnel de contourner la volonté expresse du législateur.
En bref, cette technique d'interprétation fait porter la législa-
tion fiscale sur la conduite du contribuable qui relève manifes-
tement de l'objet et de l'esprit des dispositions fiscales. Une
telle façon de voir aurait pour effet de faciliter l'administration
de la Loi de l'impôt sur le revenu, précitée, plutôt que de
l'entraver, sous ces deux aspects, sans gêner l'attribution ou le
retrait, selon le climat économique, d'incitations fiscales. L'ob-
jectif recherché est une règle simple qui amènera l'uniformité
d'application de la Loi dans la société et, par la même occasion,
diminuera l'attrait de plans compliqués et subtiles d'évitement
de l'impôt et diminuera les avantages pour ceux qui sont le plus
en mesure de s'offrir les services de fiscalistes.
Je ne puis conclure à l'existence d'un tel com-
portement durant l'année d'imposition 1975. La
situation de OI avait changé considérablement
depuis les toutes premières années où on doutait à
ce point de sa capacité de payer les réclamations
3 137. (1) Dans le calcul du revenu aux fins de la présente loi,
aucune déduction ne peut être faite à l'égard d'un déboursé fait
ou d'une dépense contractée, relativement à une affaire ou
opération qui, si elle était permise, réduirait indûment ou de
façon factice le revenu.
qu'il fallut recourir à toute une gamme d'indemni-
tés, de lettres de crédit et de garanties déjà men-
tionnées, de crainte que le régime n'avorte. Le fait
qu'aucune indemnité ni aucune garantie n'aient
été demandées en 1975 témoigne plutôt de la
solidité et de l'indépendance financières de OI en
qualité d'assureur durant cette année-là. Ainsi que
je l'ai déjà mentionné, il y a eu au cours de cette
année-là un transfert et une répartition véritables
de risques entre les assureurs et les réassureurs.
J'estime, par conséquent, que les dépenses enga
gées au cours de cette année-là à titre de primes
d'assurance n'ont pas eu pour effet de réduire de
façon factice le revenu de l'appelante en contra
vention du paragraphe 245(1).
Attribution du revenu
Je suis persuadé que le juge de première ins
tance n'a pas commis d'erreur en renvoyant la
question au ministre pour que soit établie une
nouvelle cotisation qui tienne pour acquis que les
revenus tirés d'intérêts et du change par OI au
cours des années d'imposition 1972 à 1975 inclusi-
vement ne pouvaient pas être attribués à l'appe-
lante. L'appel incident devrait être rejeté pour les
raisons données ci-dessous.
Dispositif
Je rejetterais l'appel en ce qui concerne les
années d'imposition 1971 à 1974, mais je l'accueil-
lerais cependant en ce qui a trait à l'année d'impo-
sition 1975 et je renverrais l'affaire au ministre
pour que soit établie une nouvelle cotisation qui
tienne pour acquis que les débours relatifs aux
primes que l'appelante a voulu déduire de son
revenu pour cette année-là n'ont pas réduit son
revenu de façon factice en contravention du para-
graphe 245(1). Je rejetterais l'appel incident avec
dépens. Comme l'appel principal a été accueilli en
partie, je ne crois pas qu'il y ait lieu d'accorder les
dépens à l'une ou l'autre partie.
LE JUGE URIE: Je souscris aux présents motifs.
LE JUGE SUPPLÉANT COWAN: Je souscris aux
présents motifs.
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