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A-1357-84
Victor Manuel Regalado Brito (appelant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
RÉPERTORIÉ: BRITO C. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION)
Cour d'appel, juges Marceau, MacGuigan et Lacombe -Montréal, 2 et 3 juin; Ottawa, 11 juil- let 1986.
Immigration - Expulsion - L'appelant, après avoir été déclaré inadmissible par une attestation signée par le Ministre et le solliciteur général, a fait l'objet d'une ordonnance d'ex- pulsion quoique reconnu être un réfugié au sens de la Conven tion - L'attestation fait-elle foi de son contenu? - L'appe- lant invoque la Charte et la Déclaration canadienne des droits - La délivrance de l'attestation constitue-t-elle un traitement cruel et inusité - Le libellé de la Loi montre que l'attestation est concluante - La Loi ne confère pas un droit à une personne dont le statut de réfugié est reconnu - Les événe- ments sont antérieurs à la Charte - Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 2, 4(1),(2), 5(1), 19(1)c),d),e),f),g), 23(3), 27(2)g), 39, 40, 41, 42, 47, 72(2),(3), 75(1)a),b), 76(1)a), 84, 119 - Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III, art. 2e) - Charte cana- dienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 7, 12 - Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, S.R.C. 1970, chap. I-13 (abrogée par S.C. 1976-77, chap. 52, art. 128), art. 21 - Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, S.C. 1984, chap. 21, art. 80.
Déclaration canadienne des droits - Ordonnance d'expul- sion - L'appelant, après avoir été déclaré inadmissible par une attestation signée par le Ministre et le solliciteur général, a fait l'objet d'une ordonnance d'expulsion quoique reconnu être un réfugié au sens de la Convention - L'impossibilité pour la personne visée de faire une preuve à l'encontre de l'attestation n'est pas contraire à l'art. 2e) de la Déclaration des droits - La Loi sur l'immigration ne confère pas de droit à celui dont le statut de réfugié est reconnu - L'arbitre, en reprenant l'enquête après que l'appelant ait été reconnu comme réfugié au sens de la Convention, a-t-il déterminé des droits et des obligations - Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 2, 4(1),(2), 5(1), 19(1)c),d),e),f),g), 23(3), 27(2)g), 39, 40, 41, 42, 47, 72(2),(3), 75(1)a),b), 76(1)a), 84, 119 - Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III, art. 2e).
Droit constitutionnel - Charte des droits - Non-rétroacti- vité - Il n'est pas permis d'invoquer la Charte pour contester une ordonnance d'expulsion antérieure à l'entrée en vigueur de la Charte en s'opposant à la décision postérieure à la Charte par laquelle la Commission rejetait l'appel formé contre l'or- donnance - Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 7, 12 Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 2, 4(1),(2), 5(1), 19(1)c),d),e),f),g), 23(3), 27(2)g), 39, 40, 41, 42, 47, 72(2),(3), 75(1)a),6), 76(1)a), 84, 119.
Lorsque l'appelant a demandé la première fois la permission d'entrer au Canada en réclamant la qualité de réfugié, le ministre de l'Emploi et de l'Immigration et le solliciteur général l'ont déclaré non admissible. Ils ont signé une attestation précisant qu'à la lumière des rapports secrets qu'ils détenaient en matière de sécurité et de criminalité et que la nécessité de protéger les sources de renseignements empêchait de divulguer, ils croyaient que l'appelant allait travailler ou inciter au renver- sement d'un gouvernement par la force.
L'appelant a cherché une seconde fois à être admis au pays, encore en qualité de réfugié. Bien que sa qualité de réfugié ait été reconnue, son expulsion a été décrétée par l'arbitre, au motif qu'il appartenait à une catégorie de personnes non admis- sibles vu l'attestation des deux ministres.
Il s'agit d'un appel formé par l'appelant contre le rejet par la Commission d'appel de l'immigration de l'appel qu'il avait interjeté à l'encontre de l'ordonnance d'expulsion rendue par l'arbitre. La Commission s'est demandée si l'attestation visée par l'article 39 constituait en principe une preuve irréfragable, et elle a conclu qu'elle n'avait pas à se prononcer sur la question de façon définitive. Comme les motifs sous-jacents à l'attesta- tion n'étaient pas connus et ne pouvaient être divulgués, il n'était pas possible de savoir si la preuve réunie par l'appelant était pertinente et suffisait à prouver que l'opinion des Minis- tres était sans fondement. La Commission a été d'avis que le refus de communiquer les motifs à la base de l'attestation constituait un «traitement cruel et inusité» en contravention de l'article 12 de la Charte, mais elle a aussi estimé qu'il s'agissait d'une restriction conforme aux limites raisonnables dont la justification peut se démontrer dans une société libre et démocratique.
Arrêt: l'appel devrait être rejeté.
Le juge Marceau: La Commission a conclu à bon droit que, vu le secret entourant les motifs et les sources de l'attestation, il était illusoire d'espérer prouver sa fausseté. Cela revenait à dire que, dans le contexte elle s'insérait, la disposition du para- graphe 39(1) ne pouvait s'interpréter comme prévoyant que seule la signature des Ministres ne pouvait être mise en doute. De fait, le libellé de la Loi (gis proof» en anglais et «fait foi de son contenu» en français) indique clairement que l'attestation doit avoir une force probante définitive.
L'alinéa 2e) de la Déclaration des droits ne s'applique pas à l'espèce parce que le refus de permettre à l'appelant de réfuter l'attestation ne lui a pas été opposé au cours d'une «audition ... de sa cause ... pour la définition de ses droits et obligations». La reprise de l'enquête prévue par le paragraphe 47(1) avait pour seul but de déterminer «si la personne en cause remplit les conditions prévues au paragraphe 4(2)». Comme ce n'était pas le cas, l'appelant n'a jamais eu le droit d'entrer au Canada et la reconnaissance de son statut de réfugié ne lui a pas fait acquérir le droit d'y demeurer. En common law, un étranger n'a aucun droit d'entrer dans ce pays sauf avec la permission de la Couronne, et aux conditions qu'elle juge nécessaires. Dans l'arrêt Singh, la Cour suprême du Canada a statué que la procédure de reconnaissance du statut de réfugié allait à l'en- contre de l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits.
La Cour a pu tirer une telle conclusion parce que la Loi sur l'immigration attribue à celui qui revendique le statut de réfugié le droit de tenter de convaincre les autorités qu'il est effectivement un réfugié. Mais la Loi n'attribue aucun droit à celui dont le statut de réfugié a été reconnu tant qu'il n'aura pas satisfait aux conditions visant son admission.
La Charte ne s'applique pas à l'espèce. La compétence de la Commission en vertu du paragraphe 39(1) est strictement une compétence d'appel. La Commission ne pouvait accueillir un appel fondé sur la Charte sans par le fait même appliquer cette dernière rétroactivement. En réalité, ce sont l'ordonnance d'ex- pulsion et la façon dont elle a été rendue qui sont présentées comme ayant enfreint les droits de l'appelant garantis par la Charte, et ces événements sont antérieurs à l'entrée en vigueur de la Charte. D'ailleurs, même si elle avait été en mesure d'accueillir l'appel, elle aurait s'en tenir à rendre l'ordon- nance de renvoi «que l'arbitre chargé de l'enquête aurait rendre». L'appelant ne peut non plus invoquer la distinction faite par les tribunaux entre une application proprement rétroactive à un acte passé et une application à une consé- quence actuelle ou à un effet continu de cet acte passé. La question ne se pose pas ici: c'est la décision par laquelle la Commission a refusé d'annuler l'ordonnance d'expulsion qui est en cause.
Le juge MacGuigan: Les conclusions du juge Marceau sont bien fondées. Néanmoins, au chapitre de l'application du para- graphe 2e) de la Déclaration canadienne des droits à la Loi sur l'immigration, il y aurait lieu de tirer une conclusion contraire n'eut été de la jurisprudence.
Dans l'arrêt Prata, la Cour suprême du Canada a décidé que la Déclaration ne s'appliquait pas à une attestation ministérielle semblable puisque la personne visée ne cherchait pas à faire reconnaître un droit mais tentait plutôt d'obtenir un privilège discrétionnaire.
Dans l'arrêt Singh, la Cour suprême a statué que la procé- dure de reconnaissance du statut de réfugié établie dans la Loi sur l'immigration de 1976 est incompatible avec les principes de justice fondamentale énoncés dans la Charte ou protégés par l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits.
Il est peu vraisemblable que la Cour suprême continue d'interpréter différemment la même expression (»principes de justice fondamentale») dans les deux documents, surtout étant donné l'arrêt Operation Dismantle, elle a décidé que les décisions du cabinet sont assujetties au contrôle judiciaire en vertu de l'alinéa 32(1)a) de la Charte.
Le litige soulève deux questions. La première: est-il néces- saire de nier entièrement le droit au contre-interrogatoire afin de protéger les sources secrètes d'information du gouverne- ment? En l'espèce, l'appelant a prétendu ne même pas savoir quel gouvernement il était censé vouloir renverser. Les moyens doivent être proportionnés au but.
La deuxième question est de savoir si les tribunaux ont la compétence pour rendre de telles décisions. Aux États-Unis, les tribunaux ont affirmé leur droit de vérifier la bonne foi et la suffisance des décisions de l'exécutif. Ces questions restent sans réponse au Canada.
Le juge Lacombe: Le point de vue du juge Marceau est partagé, sauf en ce qui a trait à la portée de l'article 47 de la Loi en regard de l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits.
La personne qui se voit reconnaître le statut de réfugié n'acquiert pas de ce fait le droit automatique de demeurer au Canada, mais elle acquiert certains droits, à portée limitée. En principe, elle a au moins le droit d'établir qu'elle remplit certaines conditions d'admissibilité. En pareil cas, l'arbitre qui reprend une enquête en vertu de l'article 47 peut être appelé à définir les droits et obligations d'un réfugié au sens de la Convention dans le contexte de l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits, et il doit, en conséquence, poursuivre son enquête et rendre sa décision en respectant les principes de justice fondamentale.
En produisant devant l'arbitre l'attestation ministérielle, les Ministres lui ont imposé leur décision et lui ont enlevé le pouvoir de déterminer si l'appelant remplissait ou non les conditions prévues au paragraphe 4(2) de la Loi. Ce sont les Ministres, et non l'arbitre, qui ont défini .les droits et obliga tions» de l'appelant.
Le cas de l'appelant doit être jugé selon la Loi en vigueur au mois de janvier 1982. La Loi laissait à la discrétion ministé- rielle le pouvoir de déterminer si une personne était ou non admissible au Canada, dans les cas prévus aux alinéas 19(1)d), e), f), g) ou 27 ( 2 )g).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Re Regina and Potma (1982), 37 O.R. (2d) 189 (H.C.J.); R. v. Lee ( 1982), 1 C.C.C. (3d) 327 (C.A. Sask.); R. v. Longtin (1983), 5 C.C.C. (3d) 12 (C.A. Ont.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
R. v. Konechny (1983), 10 C.C.C. (3d) 233 (C.A.C: B.); R. v. Antoine (1983), 5 C.C.C. (3d) 97 (C.A. Ont.); R. v. Langevin (1984), 11 C.C.C. (3d) 336 (C.A. Ont.); Re Chapman and The Queen ( 1984), 12 C.C.C. (3d) 1 (C.A. Ont.); Gittens (In re), [1983] 1 C.F. 152 (1' inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Praia c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra- tion, [1976] 1 R.C.S. 376; Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; Abourezk v. Reagan, 592 F.Supp. 880 (1984) (D.C.).
DÉCISIONS CITÉES:
Ernewein c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [ 1980] 1 R.C.S. 639; R v Governor of Pentonville Prison, ex parte Azam, [1973] 2 All ER 741 (C.A.); United States ex rel. John Turner v. Williams, 194 U.S. 279 (1904); Mitchell c. La Reine, [19761 2 R.C.S. 570; Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441; Kleindienst v. Mandel, 408 U.S. 753 (1972); Procureur général du Canada c. Jolly, [1975] C.F. 216 (C.A.).
AVOCATS:
Giuseppe Sciortino pour l'appelant. Normand Lemyre pour l'intimé.
PROCUREURS:
Melançon, Marceau, Grenier & Sciortino, Montréal, pour l'appelant.
Le sous procureur général du Canada pour l'intimé.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE MARCEAU: Par décision datée du 16 juillet 1984, la Commission d'appel de l'immigra- tion rejetait le pourvoi de l'appelant porté à l'en- contre d'une ordonnance d'expulsion rendue contre lui par un arbitre, le 17 février 1982. L'appel dont il s'agit ici, autorisé selon les prescriptions de l'article 84 de la Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, (ci-après (da Loi»), con- teste la validité de cette décision. Les motifs invo- qués sont nombreux et pour en traiter sans redites et développements inutiles, il convient, je pense, de prendre tout le temps nécessaire pour bien situer le litige dans son contexte de faits, revoir avec soin les prescriptions de la loi applicable et résumer fidèlement les parties essentielles de la décision contestée.
I
Le contexte factuel
Certains seulement des faits qui ont donné lieu à ces procédures ont besoin d'être retenus mais leur chronologie a de l'importance. Un énoncé rapide sous forme de compte rendu d'événements, classés selon leur date, sera plus simple et suffisant.
Avril 1980. L'appelant entre au Canada comme visiteur pour une période d'un mois.
Mai 1980. Au cours d'une enquête d'un officier d'immigration, l'appelant réclame le statut de réfugié politique. L'enquête est donc ajournée.
Octobre 1980. L'appelant quitte le pays de lui- même et sans avertissement avec l'idée, semble- t-il, de se rendre au Nicaragua, mais il se retrouve à Mexico il sollicite un visa pour revenir au Canada que le consulat canadien cependant lui refuse.
Novembre 1980. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration et le solliciteur général signent un certificat attestant, notamment, ceci:
[TRADUCTION] ... nous estimons, à la lumière des rapports secrets que nous détenons en matière de sécurité et de crimina- lité, et que la nécessité de protéger les sources de renseigne- ments empêche de divulguer, que
Victor Manuel REGALADO
est une personne visée à l'alinéa 19(1)f) de la Loi sur l'immi- gration de 1976, et que sa présence au Canada est préjudiciable à l'intérêt national.
Janvier 1982. L'appelant se présente à un poste- frontière canadien (après être passé clandestine- ment du Mexique aux Etats-Unis naturellement) et réclame à nouveau le statut de réfugié. Sitôt placé en détention, l'appelant s'adresse d'abord à la Cour supérieure puis à la Cour d'appel pour obtenir l'émission d'un bref d'habeas corpus, mais il échoue.
Février 1982. En date du 8, le greffier du comité consultatif sur le statut de réfugié avise l'appelant que le ministre de l'Emploi et de l'Immigration accepte sa prétention à l'effet qu'il est un réfugié politique au sens de la Convention. Dix jours plus tard, le 17, l'arbitre chargé de reprendre l'enquête et de disposer du cas de l'appelant prononce une ordonnance d'expulsion, l'un des deux motifs invo- qués (et en fait le seul à retenir) étant que, vu l'attestation des deux Ministres, l'appelant ferait partie d'une catégorie de personnes non admissi- bles. L'appelant se prévaut aussitôt de son droit d'appel à la Commission contre la décision de l'arbitre.
Avril 1982. Dans le cadre des procédures devant la Commission, l'appelant fait émettre contre les deux Ministres signataires de l'attestation des sub poenas les enjoignant de comparaître à l'audience pour être entendus comme témoins.
Mai 1982. À l'ouverture de l'audience, la Com mission, à la requête du solliciteur général, excuse les Ministres de ne pas avoir obtempéré à l'ordre de comparaître, expliquant que ce serait «un exer- cice futile et frivole que d'obliger ces messieurs de témoigner». Informée de la volonté de l'appelant de s'adresser à la Cour fédérale pour contrer son attitude, la Commission suspend sans délai l'audience.
Juin 1982. La Cour fédérale, première instance, refuse d'émettre les brefs de prohibition et de mandamus sollicités par l'appelant invoquant sim- plement «pour motif d'irrecevabilité». L'appelant s'inscrit en appel de la décision de première instance.
Mai 1983. La Cour fédérale, division d'appel, confirme l'opinion du juge de première instance à l'effet que le cas n'en était pas un pouvant donner ouverture à prohibition ou mandamus.
Février 1984. La Commission reprend l'audition de l'appel contre l'ordonnance d'expulsion de l'arbitre.
Septembre 1984. La Commission rejette l'appel.
Les dispositions législatives applicables
II est aisé de se rendre compte que toutes les définitions de la Loi, ses grandes lignes, son orga nisation sont plus ou moins impliquées, sinon directement du moins par référence incidente, dans la discussion d'un cas aussi complexe que celui ici en cause. Il faut bien prendre pour acquis que ces données générales sont connues, quitte à rappeler l'une ou l'autre au fil de la discussion, si besoin est. Ce ne sont que les dispositions spécifiquement impliquées que cette revue préliminaire entend couvrir.
a) Parmi les dispositions de principe du début, il convient de relire les paragraphes 4(1), 4(2) et 5(1):
4. (1) Tout citoyen canadien, ainsi que les résidents perma nents non visés au paragraphe 27(1), ont le droit d'entrer au Canada.
(2) Sous réserve des lois du Parlement, le citoyen canadien, le résident permanent ainsi que le réfugié au sens de la Conven tion qui se trouve légalement au Canada, ont le droit d'y demeurer à l'exception
a) du résident permanent visé au paragraphe 27(1); et
b) du réfugié au sens de la Convention qui tombe sous le coup des alinéas 19(1)c), d), e), f) ou g) ou 27(1)c) ou d) ou 27(2)c) ou qui, déclaré coupable d'une infraction prévue par une loi du Parlement,
(i) a été condamné à plus de six mois de prison, ou
(ii) est passible d'au moins cinq ans de prison.
5. (1) Seules les personnes visées à l'article 4 ont le droit d'entrer au Canada et d'y demeurer.
b) L'article 19, en tête de la Partie III intitulée EXCLUSION ET RENVOI, énumère en son paragra- phe (1), les «Catégories de personnes non admissi- bles». A noter l'alinéa f):
19. (I) Ne sont pas admissibles
f) les personnes au sujet desquelles il existe de bonnes raisons de croire que, pendant leur séjour au Canada, elles travaille- ront ou inciteront au renversement d'un gouvernement par la force;
c) Les articles 39 42 sont groupés sous le titre «Sûreté et sécurité publiques» (Safety and Secu rity of Canada). Il faut les avoir tous présents à l'esprit en même temps que l'article 119 qui s'y rattache:
39. (I) Nonobstant toute disposition de la présente loi, l'attestation, concernant une personne autre qu'un citoyen canadien ou un résident permanent, signée par le Ministre et le solliciteur général, et remise à un agent d'immigration, à un agent d'immigration supérieur ou à un arbitre, déclarant que le Ministre et le solliciteur général estiment qu'à la lumière des rapports secrets qu'ils détiennent en matière de sécurité ou de criminalité et que la nécessité de protéger les sources de renseignements empêche de divulguer, la personne désignée dans l'attestation est visée par les alinéas 19(1)d), e), f) ou g) ou 27(2)c), fait foi de son contenu, l'authenticité des signatures et le caractère officiel des personnes l'ayant apparemment signée ne pouvant être contestés que par le Ministre ou par le solliciteur général.
(2) Le Ministre doit déposer devant le Parlement dans les trente premiers jours de chaque exercice financier ou, si le Parlement ne siège pas, dans les trente premiers jours de la séance suivante, un rapport précisant le nombre d'attestations visées au paragraphe (1) délivrées au cours de la précédente année civile.
40. (1) Au cas le Ministre et le solliciteur général estiment qu'à la lumière des rapports secrets qu'ils détiennent en matière de sécurité ou de criminalité, un résident permanent est visé par le sous-alinéa 19(1)d)(ii), ou les alinéas 19(1)e) ou g) ou 27(1)c), ils peuvent adresser un rapport au président du conseil consultatif spécial institué en vertu de l'article 41.
(2) Le conseil consultatif spécial, dans l'examen du rapport adressé par le Ministre et le solliciteur général conformément au paragraphe (1), doit
a) demander au Ministre ou au solliciteur général les rensei- gnements supplémentaires qu'il estime nécessaires et perti- nents; et
b) consulter les ministères du gouvernement du Canada qui, à son avis, peuvent lui permettre de déterminer les renseigne- ments qui ne doivent pas être divulgués au motif que leur divulgation serait préjudiciable à la sécurité nationale ou à la sécurité de personnes se trouvant au Canada.
(3) Le président du conseil consultatif spécial doit prendre les précautions nécessaires
a) pour éviter la divulgation de renseignements qui, à son avis, ne doivent pas être divulgués au motif que leur divulga- tion serait préjudiciable à la sécurité nationale ou à la sécurité de personnes se trouvant au Canada; et
b) pour assurer le caractère secret des sources de renseigne- ments visés à l'alinéa a).
(4) Le président du conseil consultatif spécial, saisi d'un rapport visé au paragraphe (1), doit convoquer, dès que les circonstances le permettent, une réunion du conseil pour exami ner le rapport et doit adresser à la personne visée, à sa dernière adresse connue,
a) un avis précisant que son renvoi du Canada en vertu du présent article est proposé;
b) un exposé résumant les renseignements dont dispose le conseil consultatif spécial et qui, de l'avis de son président, informeront, dans la mesure du possible, la personne de la nature des allégations portées contre elle, compte tenu des fonctions incombant au conseil et à son président en vertu des paragraphes (2) et (3); et
e) un avis des dates et lieu la personne pourra être entendue au sujet de son renvoi proposé du Canada.
(5) Le conseil consultatif spécial doit permettre à la personne faisant l'objet du rapport adressé par le Ministre et le solliciteur général en vertu du paragraphe (1), de présenter des preuves d'être entendue en personne ou par l'intermédiaire d'un conseil et de citer les personnes susceptibles de rendre un témoignage important en sa faveur.
(6) La procédure devant le conseil consultatif spécial se déroule à huis clos.
(7) Sous réserve de l'article 119, le conseil consultatif spécial peut exiger que toute personne, autre que celle qui fait l'objet du rapport adressé par le Ministre et le solliciteur général en vertu du paragraphe (1), lui fournisse des renseignements pertinents à l'examen visé au paragraphe (2); il peut recevoir les preuves et renseignements qu'il considère dignes de foi.
(8) Au cas le conseil consultatif spécial, avant d'adresser un rapport conformément au paragraphe (9), estime que les renseignements portés à sa connaissance sont de telle nature que leur divulgation ne serait préjudiciable ni à la sécurité nationale ni à la sécurité de personnes se trouvant au Canada, il doit mettre fin à la procédure engagée en vertu du présent article et en aviser le Ministre et le solliciteur général.
(9) Le conseil consultatif spécial, après avoir constaté que la personne faisant l'objet du rapport du Ministre et du solliciteur général, visé au paragraphe (1), a eu l'occasion de se faire entendre conformément au présent article, doit immédiatement adresser un rapport au gouverneur en conseil sur toutes ques tions relatives à ce sujet.
(10) Si le conseil consultatif spécial n'a pas, en vertu du paragraphe (8), mis fin à la procédure engagée en vertu du présent article, le gouverneur en conseil peut prononcer par décret l'expulsion de toute personne dont il est convaincu, après examen des rapports visés aux paragraphes (1) et (9), qu'elle tombe sous le coup du sous-alinéa 19(1)d)(ii), ou des alinéas 19(1)e) ou g) ou 27(1)c).
41. (1) Est institué le conseil consultatif spécial, composé d'au plus trois membres nommés par le gouverneur en conseil; au moins un des membres doit être un juge d'une cour supé- rieure à la retraite.
(2) Le gouverneur en conseil désigne, parmi les membres visés au paragraphe (1), un président et un vice-président.
42. Le conseil consultatif spécial a pour tâche
a) d'examiner les rapports que lui adressent le Ministre et le solliciteur général conformément au paragraphe 40(1); et
b) de conseiller le Ministre sur les questions qu'il lui soumet, relatives à la sûreté et la sécurité publiques et relevant de sa compétence en vertu de la présente loi.
119. Nul ne peut, devant une Cour ou dans une procédure quelconque, exiger la production des rapports secrets en matière de sécurité ou de criminalité, visés au paragraphe 39(1), 40(1) ou 83(1).
(Les textes ci-haut reproduits sont ceux qui exis- taient au moment des décisions en cause. Il con- vient de noter en passant qu'ils ont été modifiés en 1984 par l'article 80 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, S.C. 1984, chap. 21. Aujourd'hui un comité de surveillance, qui remplace le conseil consultatif d'autrefois, informe la personne intéressée, même si non rési- dente, des circonstances qui ont donné lieu au rapport, reçoit ses représentations, fait enquête et avise le gouverneur général en conseil qui, lui,
émet le certificat, s'il le juge à-propos.)
d) L'article 47 indique la conséquence immé- diate d'une reconnaissance de statut de réfugié par le Ministre en ces termes:
47. (1) L'agent d'immigration supérieur, informé que le Ministre ou la Commission a reconnu, à la personne qui le revendique, le statut de réfugié au sens de la Convention, doit faire reprendre l'enquête soit par l'arbitre qui en était chargé, soit par un autre arbitre qui détermine si la personne en cause remplit les conditions prévues au paragraphe 4(2).
(2) L'arbitre doit prononcer le renvoi ou l'interdiction de séjour du réfugié au sens de la Convention qui, selon lui, ne remplit pas les conditions prévues au paragraphe 4(2).
(3) Par dérogation à la présente loi et aux règlements, l'arbitre doit autoriser le réfugié au sens de la Convention qui, selon lui, remplit les conditions prévues au paragraphe 4(2), à demeurer au Canada.
e) Enfin, ce sont les paragraphes (2) et (3) de l'article 72 qui donnaient à l'appelant son droit d'appel à la Commission:
72....
(2) Toute personne, frappée par une ordonnance de renvoi, qui
a) n'est pas un résident permanent mais dont le statut de réfugié au sens de la Convention a été reconnu par le- Ministre ou par la Commission, ou
b) demande l'admission et était titulaire d'un visa en cours de validité lorsqu'elle a fait l'objet du rapport visé au paragra- phe 20(1),
peut, sous réserve du paragraphe (3), interjeter appel à la Commission en invoquant l'un ou les deux motifs suivants:
c) un moyen d'appel comportant une question de droit ou de fait ou une question mixte de droit et de fait;
d) le fait que, compte tenu de considérations humanitaires ou de compassion, elle ne devrait pas être renvoyée du Canada.
(3) Lorsqu'une personne, visée aux alinéas (2)a) ou b), est frappée d'une ordonnance d'expulsion et
a) a fait l'objet d'une attestation visée au paragraphe 39(1), ou
b) appartient, selon la décision d'un arbitre, à une catégorie non admissible visée aux alinéas 19(1 )e),J) ou g),
elle ne peut interjeter appel à la Commission qu'en se fondant sur un motif d'appel comportant une question de droit ou de fait ou une question mixte de droit et de fait.
La décision attaquée
Les commissaires, après avoir affirmé ne retenir dans la motivation de l'arbitre que le motif de non-admissibilité fondé sur l'alinéa 19(1)j), s'in- terrogent longuement sur la prétention de l'appe- lant à l'effet que la Loi telle que libellée ne prohi- bait pas la présentation d'une preuve à l'encontre d'une attestation émise selon l'article 39 de la Loi. Ils en viennent à la conclusion finalement qu'il n'est pas nécessaire pour eux, dans les circons- tances, de prendre partie définitivement sur le point de savoir si une attestation selon l'article 39 constitue ou non en principe une preuve irréfraga- ble; étant donné, disent-ils, que dans le cas présent, les motifs qui sont sous-jacents à l'attestation ne sont pas connus et ne peuvent être divulgués, ils n'auraient de toute façon aucun moyen de savoir si la preuve que l'appelant soumettrait constitue vrai- ment une preuve pertinente et surtout suffisante pour leur permettre de conclure que l'opinion des Ministres est fausse et sans fondement.
Les Commissaires analysent ensuite les préten- tions de l'appelant fondées sur la Charte cana- dienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap.
11 (R.-U.)]. S'ils ne croient pas que l'article 7 puisse recevoir application, car la vie, la liberté et la sécurité de l'appelant ne seraient pas mises en péril par l'ordonnance d'expulsion mais bien plutôt par les agissements d'États étrangers, ils acceptent au contraire que le refus de communiquer à l'appe- lant les motifs à la base du certificat constitue un «traitement cruel et inusité», en contravention de l'article 12 de la Charte. Examinant alors la situa tion sous l'angle de l'article 1 de la Charte, ils expriment l'avis que les droits de l'appelant n'ont été restreints que dans des limites raisonnables dont la justification peut se démontrer dans une société libre et démocratique, personne ne contes tant la nécessité de protéger les sources de rensei- gnements. Les commissaires ne voient donc aucun motif de contester la validité de l'ordonnance d'ex- pulsion et ils refusent d'intervenir.
II
Au soutien de son attaque contre cette décision de la Commission, l'appelant fait valoir plusieurs arguments qui sont en somme de même ordre que ceux qu'il a déjà soulevés au soutien de son appel contre la décision de l'arbitre. Il laisse dans le vague la portée exacte qu'il attribue à certains de ses moyens, et je le note tout de suite à dessein pour y revenir plus tard, mais on peut, je pense, aisément les regrouper en trois catégories: ceux qui se rattachent à l'interprétation de la Loi, ceux qui mettent en cause la Déclaration canadienne des droits [S.R.C. 1970, Appendice III] et ceux qui font appel à la Charte canadienne des droits et libertés.
1—L'appelant prétend qu'en lui refusant d'in- terroger les Ministres signataires du certificat et de soumettre une preuve à l'encontre de ce que le certificat énonçait, l'arbitre d'abord et la Commis sion ensuite ont mal apprécié la portée que la Loi entend attribuer à une attestation émise sous le paragraphe 39(1). Il soumet qu'une interprétation correcte de la disposition ne permet pas de dire qu'une telle attestation doit constituer une preuve concluante et il reprend les mêmes arguments qu'il avait fait valoir devant la Commission. D'après lui, tenant compte de la règle d'interprétation tirée de la maxime inclusio unius exclusio alterius est et du fait que le législateur n'avait pas repris l'expres- sion claire «preuve péremptoire» qui se trouvait dans l'article 21 de la Loi sur la Commission
d'appel de l'immigration [S.R.C. 1970, chap. I-13 (abrogée par S.C. 1976-77, chap. 52, art. 128)] qu'il s'agissait de remplacer, il fallait considérer que seules les signatures des Ministres devaient rester à l'abri de contestation. Je crois que les commissaires ont répondu valablement aux deux arguments et je ne crois pas nécessaire de repren- dre ce qu'ils ont dit à leur sujet. Je crois aussi qu'ils ont eu raison de considérer que, vu le secret entourant les motifs et les sources de l'attestation, il était illusoire pour le requérant de penser être en mesure de convaincre qui que ce soit de sa faus- seté, ce qui revenait en somme à dire que, dans le contexte elle s'insérait, la disposition du para- graphe 39(1) ne pouvait s'interpréter comme sug- géré par l'appelant. Mais, en fait, il n'était même pas nécessaire, à mon sens, de passer par un aussi long chemin pour contester la prétention de l'appe- lant car celle-ci me paraît contredite par les termes mêmes de la Loi. Relisons la disposition dans ses deux versions:
39. (1) Nonobstant toute disposition de la présente loi, l'attestation, concernant une personne autre qu'un citoyen canadien ou un résident permanent, signée par le Ministre et le solliciteur général, et remise à un agent d'immigration, à un agent d'immigration supérieur ou à un arbitre, déclarant que le Ministre et le solliciteur général estiment qu'à la lumière des rapports secrets qu'ils détiennent en matière de sécurité ou de criminalité et que la nécessité de protéger les sources de renseignements empêche de divulguer, la personne désignée dans l'attestation est visée par les alinéas 19(1)d), e), f) ou g) ou 27(2)c), fait foi de son contenu, l'authenticité des signatures et le caractère officiel des personnes l'ayant apparemment signée ne pouvant être contestés que par le Ministre ou par le solliciteur général.
39. (1) Notwithstanding anything in this Act, where, with respect to any person other than a Canadian citizen or perma nent resident, a certificate signed by the Minister and the Solicitor General is filed with an immigration officer, a senior immigration officer or an adjudicator stating that in the opin ion of the Minister and the Solicitor General, based on security or criminal intelligence reports received and considered by them, which cannot be revealed in order to protect information sources, the person named in the certificate is a person described in paragraph 19(1)(d), (e), (I) or (g) or in paragraph 27(2)(c), the certificate is proof of the matters stated therein without proof of the signatures or official character of the persons appearing to have signed the certificate unless called into question by the Minister or the Solicitor General. (Les soulignés sont ajoutés.)
Il me semble que l'intention du législateur d'attri- buer au certificat une force probante définitive est clairement exprimée du fait que, dans la version anglaise, on ne dit pas «is a proof» mais «is proof»,
et surtout que, dans la version française, on dit «fait foi de son contenu», expression qui en langage législatif québécois et français veut dire «attester sans possibilité de contestation», sauf parfois dans des limites précises expressément et formellement autorisées et alors dans le cadre d'une procédure spéciale, l'«inscription en faux».
Tel que je lis les textes en cause et comprends le contexte dans lequel ils s'insèrent, le Parlement n'envisageait pas qu'un certificat émis sous le paragraphe 39(1) puisse faire l'objet d'une contes- tation et donner ouverture à une enquête de carac- tère judiciaire.
2—Le second groupe de moyens invoqués par l'appelant au soutien de son appel met en cause la Déclaration canadienne des droits. Il soutient essentiellement que si le paragraphe 39(1) doit s'interpréter comme devant avoir effet sans que la personne visée ait la possibilité de faire une preuve à l'encontre de l'attestation des ministres, il s'agit d'une disposition incompatible avec l'alinéa 2e) de la Déclaration qui dispose comme suit:
2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonob- stant la Déclaration canadienne des droits, doit s'interpréter et s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme
e) privant une personne du droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations;
Il ressort, de la seule lecture du texte, que pour pouvoir invoquer l'alinéa 2e) de la Déclaration, l'appelant doit montrer que le refus de contredire l'attestation des Ministres lui a été opposé au cours d'une «audition .. . de sa cause ... pour la définition de ses droits et obligations». Or, il ne me semble pas que ce soit le cas. La reprise de l'en- quête en vertu du paragraphe 47(1) a pour seul but de déterminer «si la personne en cause remplit les conditions prévues au paragraphe 4(2),» pour être admise à demeurer au Canada, et l'une de ces conditions, dans le cas d'un réfugié au sens de la Convention, est qu'il ne tombe pas sous le coup de l'alinéa 19(1)f). L'appelant n'a jamais eu le droit d'entrer au Canada et la reconnaissance de son
statut de réfugié ne lui a pas fait acquérir le droit d'y demeurer. Je me permettrai de reproduire de nouveau ce passage souvent cité du jugement du maître des rôles, lord Denning, dans l'affaire R v Governor of Pentonville Prison, ex parte Azam, [1973] 2 All ER 741 (C.A.), au sujet de la situa tion d'un étranger en common law, passage que le juge Martland a approuvé dans Prata c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [ 1976] 1 R.C.S. 376, la page 380:
[TRADUCTION] En common law, un étranger n'a aucun droit d'entrer dans ce pays sauf avec la permission de la Couronne, permission qu'elle peut refuser sans fournir aucun motif: voir Schmidt v. Secretary of State for Home Affairs [1969] 2 Ch. 149, à la p. 168. Lorsque permission lui est accordée, la Couronne peut imposer les conditions qu'elle juge nécessai- res, à l'égard de la durée de son séjour ou à tout autre égard. Il n'a aucun droit absolu de demeurer ici. Il est susceptible d'être renvoyé dans son propre pays si en aucun temps, la Couronne juge que sa présence ici ne contribue pas à l'intérêt public; et à cette fin, les autorités peuvent le mettre sous arrêt et le conduire à bord d'un navire ou d'un aéronef à destination de son pays: voir R. v. Brixton Prison (Governor), ex parte Soblen [1963] 2 Q.B. 243 aux pp. 300 et 301. La situation des étrangers en common law a depuis fait l'objet de divers règlements mais les principes demeurent inchangés.
J'ajouterai aussi ces commentaires de Milton Kon- vitz dans son livre, Civil Rights in Immigration, Cornell University Press, Ithaca, New York, E.-U., 1953, aux pages 40 et 41, au sujet de la décision de la Cour suprême des Etats-Unis, dans United States ex rel. John Turner v. Williams, 194 U.S. 279 (1904):
[TRADUCTION] Le Congrès, a dit la cour, a le pouvoir d'exclure les étrangers; de prescrire les modalités de leur admission au pays; et d'expulser les étrangers qui sont entrés en violation de la loi. Il n'est plus possible, a dit la cour, de s'opposer à ces pouvoirs pour des motifs constitutionnels, que les pouvoirs reposent sur a) le principe de droit international selon lequel tout État souverain a le pouvoir, «inhérent à la souveraineté et essentiel à sa propre conservation,» d'exclure les étrangers ou de ne les admettre «que dans les cas et selon les conditions qu'il estime indiqué de prescrire»; ... Le juge en chef Fuller a cité en l'approuvant une opinion antérieure de la cour: «Les tribu- naux ne peuvent imposer aucune limite au pouvoir qu'a le Congrès de protéger ... le pays contre la présence des étran- gers dont la race ou les moeurs en font des citoyens indésirables, et de les expulser s'ils sont déjà entrés dans notre pays et continuent d'y demeurer illégalement.» [C'est moi qui souligne.]
Le procureur de l'appelant fait naturellement grand état de la décision de la Cour suprême dans l'affaire Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177 le juge Beetz, en son nom et au nom de deux autres
membres de la Cour, a reconnu que la procédure de reconnaissance du statut de réfugié qui avait été suivie dans le cas de l'appelant Singh et les autres semblables au sien allait à l'encontre de l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits. S'il en est ainsi pour celui qui revendique le statut de réfugié, fait valoir le procureur, à plus forte raison devrait-il en être ainsi pour celui dont le statut de réfugié a déjà été reconnu. C'est oublier, je pense, une différence majeure. La Loi de l'immigration attribue un droit à celui qui revendique le statut de réfugié, soit celui de tenter de convaincre les auto- rités qu'il est effectivement réfugié, et c'est ce droit fondamental pour l'exercice duquel la procédure établie a paru non conforme aux impératifs de la justice fondamentale. Mais la Loi de l'immigration n'attribue aucun droit à celui dont le statut de réfugié a été reconnu tant qu'il n'aura pas été constaté que les conditions pour qu'il soit admis à demeurer au Canada sont remplies. Le droit qui était en cause dans la décision Singh, l'appelant l'a exercé puisque son statut de réfugié a été reconnu. Devant l'arbitre, lors de la réouverture de l'en- quête, il n'a pas de droit à exercer, et la décision imposée à l'arbitre par le dépôt du certificat ne viendra pas porter atteinte à ses droits. (Il n'est pas uniquement question de distinguer entre droit et privilège comme dans l'arrêt Mitchell c. La Reine, [1976] 2 R.C.S. 570 il s'agissait d'un cas de révocation d'une libération conditionnelle, une dis tinction que, dans l'arrêt Singh, Mme le juge Wilson ne retient pas pour l'application de la Charte la page 208 et s.) et que le juge Beetz ne croit pas valide dans les circonstances de l'espèce la page 228). Il est question ici d'une absence totale de droit ou de privilège, car je le répète, en vertu de la Loi de l'immigration, la reconnaissance par le ministère du statut de réfugié ne donne aucun droit tant que l'arbitre n'aura pas constaté l'existence des conditions du paragraphe 4(2)).
L'appelant ne peut, à mon avis, invoquer la Déclaration canadienne des droits et son alinéa 2e) pour prétendre à l'«inopérabilité» du paragra- phe 39(1), et conclure en conséquence à l'absence de fondement juridique pouvant valider la décision de l'arbitre et partant celle de la Commission.
3—L'appelant finalement invoque la Charte canadienne des droits et libertés. J'ai parlé plus haut de la portée vague de certains des moyens
invoqués au soutien de l'appel; j'avais spécialement à l'esprit ceux rattachés à la Charte. L'appelant soumet simplement «avoir été privé devant la Com mission de certains droits prévus dans la Charte» (page 16 de son mémoire), soit ceux dont il est question à l'article 7 relativement à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne et à l'article 12 concernant la protection contre les traitements cruels et inusités. L'appelant admet, avec la Com mission, que le principe de non-rétroactivité l'em- pêche d'invoquer les dispositions de la Charte pour attaquer les procédés adoptés par l'arbitre ou l'or- donnance d'expulsion elle-même, puisqu'il s'agit de faits ou d'actes survenus avant l'entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]. C'est pourquoi il prend soin de dire que c'est devant la Commission qu'il a été privé de droits garantis par la Charte. Mais il ne fournit aucune autre précision. Les Commissaires non plus d'ailleurs n'expliquent pas ce qu'ils entendent par «événements», lorsqu'ils affirment que la Charte doit s'appliquer aux «événements postérieurs» à son entrée en vigueur. Mais évidemment des précisions sont requises et c'est en les apportant qu'on se rend compte que la tentative de l'appelant de contour- ner l'effet du principe de non-rétroactivité est vaine.
Il ne faut pas oublier, je pense, que la compé- tence de la Commission dans le cas d'une ordon- nance d'expulsion rendue contre une personne qui a fait l'objet d'une attestation visée au paragraphe 39(1) en est une strictement d'appel. C'est ce qui ressort clairement des paragraphes 72(2) et 72(3) déjà cités auxquels on peut ajouter les alinéas 75(1)a) et 75(1)b) ainsi que l'alinéa 76(1)a):
75. (1) La Commission statuant sur un appel visé à l'article 72, peut
a) l'accueillir;
b) le rejeter; ou
76. (1) La Commission, en accueillant un appel visé, à l'article 72, doit annuler l'ordonnance de renvoi et peut
a) prononcer toute autre ordonnance de renvoi que l'arbitre chargé de l'enquête aurait rendre; ou
Comment alors la Commission pourrait-elle accueillir un appel pour des motifs tirés de la Charte sans par le fait même appliquer la Charte rétroactivement, c'est-à-dire à des événements
passés? Il n'est pas douteux que ce soient l'ordre de déportation et la façon dont il a été rendu que l'appelant, en réalité, tente de présenter comme ayant enfreint ses droits garantis par la Charte, et ces «événements», pour reprendre le terme utilisé par les commissaires, sont survenus avant l'entrée en vigueur de la Charte; ce sont des événements passés. La Commission n'avait pas le pouvoir d'an- nuler un ordre de déportation rendu conformément à la loi et d'ailleurs si, par impossible, elle avait été en mesure d'accueillir l'appel, c'est l'ordonnance de renvoi que «l'arbitre chargé de l'enquête aurait rendre» qu'elle pouvait prononcer. Ainsi, l'audi- tion devant la Commission était bien un «événe- ment» postérieur à l'entrée en vigueur de la Charte, mais c'était un événement sans effet possi ble sur les droits que l'appelant pouvait prétendre lui avoir été garantis par la Charte.
Il est vrai que si la non-rétroactivité de l'applica- tion de la Charte est un principe que personne ne met en doute (on se réfère souvent sur ce point aux motifs du juge Eberle, dans Re Regina and Potma (1982), 37 O.R. (2d) 189 (H.C.J.); à ceux du juge en chef Bayda de la Cour d'appel de la Saskatche- wan dans R. v. Lee (1982), 1 C.C.C. (3d) 327; et à ceux du juge Blais, de la Cour d'appel d'Ontario dans R. v. Longtin (1983), 5 C.C.C. (3d) 12)), les tribunaux se sont souvent employés à distinguer entre une application proprement rétroactive à un acte passé et une application à une conséquence actuelle ou à un effet continu de cet acte passé. (Voir notamment R. v. Konechny (1983), 10 C.C.C. (3d) 233 (C.A.C.-B.); R. v. Antoine (1983), 5 C.C.C. (3d) 97 (C.A. Ont.); R. v. Lan- gevin (1984), 11 C.C.C. (3d) 336 (CA. Ont.) et Re Chapman and The Queen (1984), 12 C.C.C. (3d) 1 (C.A. Ont.)). Aussi, peut-être serait-il pos sible de prétendre que si l'ordonnance d'expulsion ne peut être invalidée pour des motifs tirés de la Charte, son exécution éventuelle pourrait l'être. C'est ce qu'évoquait le juge Mahoney de cette Cour, alors qu'il siégeait en première instance, dans l'affaire Gittens (In re), [1983] 1 C.F. 152. Mais la question ne se soulève évidemment pas ici: c'est la décision de la Commission refusant d'inva- lider l'ordre de déportation qui est en cause. L'ap- pelant à mon avis ne saurait faire valoir des moyens tirés de la Charte pour contester la validité de cette décision.
Arrivé ainsi au terme de mon analyse, il me reste à tirer la conclusion d'ensemble. Bien que je sois loin de souscrire à tous les motifs invoqués par la Commission et que j'aie de sérieuses réserves quant au raisonnement qu'elle a suivi, je suis d'avis que sa conclusion n'est pas pour autant erronée. L'appelant en tout cas n'a fait valoir aucun motif sur la base duquel cette Cour pourrait intervenir.
Je rejetterais donc l'appel.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE MACGUIGAN: Je souscris aux conclu sions de mon collègue, M. le juge Marceau. Néan- moins, au chapitre de l'application de l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits à la Loi sur l'immigration de 1976, je tirerais une conclu sion contraire n'eût été de la jurisprudence.
D'une part, d'après l'arrêt Praia c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1976] 1 R.C.S. 376, la Déclaration ne s'applique pas à l'attestation ministérielle certifiant que la présence permanente au Canada d'une personne serait con- traire à l'intérêt national, puisque cette personne ne cherche pas à faire reconnaître un droit mais tente plutôt d'obtenir un privilège discrétionnaire.
D'autre part, la Cour suprême a plus récemment statué, dans l'affaire Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, que la procédure de reconnaissance du statut de réfugié établie dans la Loi sur l'immigration de 1976 est incompatible soit avec «les principes de justice fondamentale» énoncés à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (3 juges), soit avec «les principes de justice fondamentale» protégés par le paragraphe 2e) de la Déclaration des droits (3 juges). Au nom du premier groupe de juges, Mme le juge Wilson déclare (aux pages 209
et 210):
La dichotomie entre privilèges et droits a contribué de façon importante à restreindre l'application de la Déclaration cana- dienne des droits, comme il ressort des motifs du juge Martland dans l'arrêt Mitchell c. La Reine, [1976j 2 R.C.S. 570.. .
Je ne crois pas que ce genre d'analyse soit acceptable en ce qui concerne la Charte. Il me semble plutôt que l'adoption récente de la Charte par le Parlement et neuf des dix provinces, comme
partie de la Constitution canadienne, a clairement indiqué aux tribunaux qu'ils devraient réexaminer l'attitude restrictive qu'ils ont parfois adoptée en abordant la Déclaration cana- dienne des droits. Je suis par conséquent d'avis qu'il faut préférer le point de vue adopté, en dissidence, par le juge en chef Laskin dans l'arrêt Mitchell à celui de la majorité lorsqu'il s'agit de savoir si la Charte s'applique à la détermination des droits conférés par la loi à un particulier.
Dans l'affaire Mitchell, il s'agissait de savoir si, en vertu de la Déclaration canadienne des droits, le par. 16(1) de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus devait être interprété de manière à exiger de la Commission des libérations conditionnel- les qu'elle accorde une audition impartiale à la personne en liberté conditionnelle avant de révoquer sa libération condition- nelle. Le juge en chef Laskin a mis l'accent sur les conséquen- ces, pour l'intéressé, de la révocation de sa libération condition- nelle et il a conclu qu'on ne pouvait pas qualifier cette libération de «simple privilège», même si la personne en liberté conditionnelle n'avait aucun droit absolu d'être mise en liberté. Voici ce qu'il affirme, à la p. 585:
Mis ensemble, les al. c)(i) et e) de l'art. 2 [de la Déclaration canadienne des droits] exigent que, pour la révocation de la libération conditionnelle, la procédure offre un minimum de garanties, quoi que l'on puisse dire du caractère confidentiel et délicat du régime de libération conditionnelle.
Il me semble que les appelants en l'espèce disposent d'un argument encore plus solide que celui de l'appelant dans l'af- faire Mitchell. M. Mitchell avait droit tout au plus à ce que la Commission des libérations conditionnelles tienne une audition concernant la révocation de sa libération conditionnelle et à ce qu'elle décide, à partir de considérations pertinentes, si elle devait maintenir sa libération conditionnelle. La Loi ne lui accordait aucun droit à la libération conditionnelle elle-même; il avait plutôt droit à un examen approprié de la question de savoir s'il pouvait demeurer en liberté conditionnelle. Par contre, si les appelants avaient été déclarés réfugiés au sens de la Convention suivant la définition du par. 2(1) de la Loi sur l'immigration de 1976, ils auraient eu droit aux privilèges de ce statut prévus dans la Loi. Étant donné les conséquences que la négation de ce statut peut avoir pour les appelants si ce sont effectivement des personnes «craignant avec raison d'être persé- cutée[s]», il me semble inconcevable que la Charte ne s'appli- que pas de manière à leur donner le droit de bénéficier des principes de justice fondamentale dans la détermination de leur statut.
L'opinion du deuxième groupe de juges est exprimée par M. le juge Beetz la page 228):
En conséquence, la procédure d'examen et de réexamen des revendications du statut de réfugié des appelants comporte la définition de droits et d'obligations à l'égard desquels les appe- lants ont droit, en vertu de l'al. 2e) de la Déclaration cana- dienne des droits, à une audition impartiale selon les principes de justice fondamentale. Il s'ensuit également que cette affaire peut être distinguée de celles un simple privilège a été refusé ou révoqué comme, par exemple, dans les affaires Prata c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1976] 1 R.C.S. 376, et Mitchell c. La Reine, [1976] 2 R.C.S. 570.
Je ne suis pas convaincu que la Cour suprême continue d'interpréter différemment la même expression dans les deux documents, surtout à la lumière de l'arrêt Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441, elle a décidé que les décisions du cabinet sont assujetties au contrôle judiciaire en vertu de l'ali- néa 32(1)a) de la Charte.
Le litige soulève vraiment deux questions. La première: est-il nécessaire de nier entièrement le droit au contre-interrogatoire afin de protéger les sources secrètes d'information du gouvernement? En l'espèce, l'appelant prétend ne même pas savoir de quel gouvernement il s'agit quand référence est faite à l'alinéa 19(1)f) de la Loi sur l'immigration de 1976. Il me semble que les moyens doivent être proportionnés au but.
La deuxième question est de savoir si les tribu- naux possèdent la compétence pour rendre de telles décisions. Aux États-Unis, étant même donné leur prédisposition générale de ne pas contester les décisions d'une superpuissance en matière de sécu- rité nationale (Kleindienst v. Mandel, 408 U.S. 753 (1972)), les tribunaux américains ont néan- moins insisté sur leur droit de vérifier la bonne foi et la suffisance des décisions de l'exécutif.
À titre d'exemple, dans l'affaire Abourezk v. Reagan, 592 F.Supp. 880 (1984) (D.C.), aux pages 887 et 888, un juge fédéral a déclaré:
[TRADUCTION] [2] La Cour estime qu'un étranger invité à transmettre aux citoyens américains des renseignements et des idées dans de telles circonstances ne peut être exclu en vertu du paragraphe (27) seulement en raison du contenu du message envisagé. Car bien que le gouvernement puisse interdire absolu- ment l'entrée au pays aux étrangers, ou pour des motifs parti- culiers, il ne peut pas, selon le Premier Amendement, refuser l'entrée au pays uniquement en raison du contenu d'un discours.
[3] ... les motifs particuliers de l'exclusion de ces quatre étrangers revêtent donc une importance primordiale et cette question, comme on en discute plus bas, exige que la Cour étudie les affidavits secrets soumis par le gouvernement.
V
[4] Le gouvernement a offert de transmettre à la Cour pour qu'elle l'étudie à huis clos, un affidavit secret du sous-secrétaire Eagleburger relativement à chacune de ces trois affaires.
[5] La Cour a en conséquence étudié les affidavits du sous-secrétaire Eagleburger à huis clos. En se fondant sur cet examen, elle a conclu qu'il existe des motifs qui paraissent
légitimes pour refuser un visa aux quatre individus dont l'ad- mission est recherchée dans ces actions. Fondamentalement, ces requérants ne se sont pas vu refuser l'entrée au pays en raison de la teneur des discours envisagés, mais à cause de leur qualité de représentants de gouvernements ou d'organismes hostiles aux États-Unis.
Ces questions restent sans réponse au Canada.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE LACOMBE: Dans ses motifs, le juge Marceau résume bien les données essentielles de la cause, de sorte qu'il n'est pas nécessaire de les reprendre ici à pied d'oeuvre. Si je m'accorde généralement avec lui pour rejeter le présent appel, je ne peux cependant partager complètement son point de vue en ce qui a trait à la portée de l'article 47 de la Loi sur l'immigration de 1976 (ci-après «la Loi»), en regard de l'alinéa 2e) de la. Déclara- tion canadienne des droits.
Depuis le mois de novembre 1980, le ministre de l'Emploi et de l'Immigration et le solliciteur géné- ral du Canada étaient d'avis que l'appelant ne devait pas être admis au Canada pour les motifs énoncés dans leur certificat.
[TRADUCTION] Attestation (Article 39, Loi sur l'immigration de 1976)
Nous, soussignés, certifions par les présentes que nous esti- mons, à la lumière des rapports secrets que nous détenons en matière de sécurité et de criminalité, et que la nécessité de protéger les sources de renseignements empêche de divulguer, que
Victor Manuel REGALADo
est une personne visée à l'alinéa 191)f) de la Loi sur l'immigra- tion de 1976, et que sa présence au Canada est préjudiciable à l'intérêt national.
.Robert Kaplan. «Lloyd Axworthy.
Solliciteur général du Canada Ministre de l'Emploi et de
l'Immigration
Fait à OTTAWA/HULL en Fait à OTTAWA/HULL en Ontario le
Ontario le 14 novembre 1980. 31 octobre 1980.
Cette attestation fut produite le 7 janvier 1982 par le représentant du Ministre intimé devant l'ar- bitre chargée de faire l'enquête prévue au paragra- phe 23(3) de la Loi après que l'appelant eut refait surface au Canada le 5 janvier 1982, cette fois sans visa, pour y réclamer le statut de réfugié «politique» auprès d'un agent d'immigration à un point d'entrée à la frontière américaine. Il faut
préciser qu'un an auparavant, au mois de janvier 1981, le consulat canadien à Mexico lui avait déjà refusé un visa pour le Canada. Il faut conclure qu'en janvier 1982, les autorités de l'immigration canadienne estimaient toujours que l'appelant fai- sait encore partie, à cette date, de la même catégo- rie de personnes non admissibles.
Par lettre en date du 8 février 1982, le greffier du comité consultatif sur le statut de réfugié infor- mait l'appelant que «Le Ministre de l'Emploi et de l'Immigration a décidé que vous êtes un réfugié au sens de la Convention comme le définit l'article 2 de la Loi de l'immigration de 1976».
L'arbitre jugea péremptoire l'attestation minis- térielle du mois de novembre 1980 et, à l'issue de son enquête qu'elle avait reprise conformément à l'article 47, elle émit, le 17 février 1982, une ordonnance d'expulsion contre l'appelant au motif principal qu'il tombait sous le coup d'une excep tion prévue au paragraphe 4(2), soit celle de l'ali- néa 19(1)f). Elle ne permit pas à l'appelant de contester l'opinion des ministres, telle qu'attestée dans leur certificat, en refusant qu'ils soient assi gnés pour être contre-interrogés sur son contenu et en refusant à l'appelant de faire aucune preuve de son cru à l'encontre. Il en fut de même devant la Commission d'appel de l'immigration.
Si l'attestation ministérielle fut la seule preuve qui fut faite et permise, il faut dire que l'arbitre et la Commission laissèrent toute latitude au procu- reur de l'appelant de plaider en droit contre l'émis- sion et le maintien de l'ordonnance d'expulsion.
Il est vrai de dire qu'une personne, qui se voit reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention, n'acquiert pas du seul fait de cette reconnaissance le droit automatique de demeurer au Canada. Elle doit, au surplus, remplir les condi tions prévues au paragraphe 4(2) de la Loi. Il semble cependant que la Loi lui confère certains droits, certes à portée limitée, qu'elle ne reconnaît pas au pur étranger qui ne peut se prévaloir de ce statut.
Dans l'arrêt Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1. R.C.S. 177, on trouve, sous la rubrique générale «L'écono-
mie de la Loi sur l'immigration de 1976», les commentaires suivants de madame le juge Wilson, aux pages 189, 190 et 204:
De même, sous le régime de la common law, un étranger n'a pas le droit d'entrer au Canada ou d'y demeurer sauf avec l'autorisation de Sa Majesté: Prata c. Ministre de la Main- d'oeuvre et de l'Immigration, [1976] 1 R.C.S. 376.
Cependant, la Loi sur l'immigration de 1976 confère aux réfugiés au sens de la Convention certains droits limités d'en- trer au Canada et d'y demeurer ... Lorsqu'il a été reconnu qu'une personne qui se trouve au Canada est un réfugié au sens de la Convention, le par. 47(1) exige que l'arbitre reprenne l'enquête tenue en vertu de l'art. 23 ou de l'art. 27 afin de déterminer si la personne en cause remplit les conditions pré- vues au par. 4(2) de la Loi. Le paragraphe 4(2) prévoit qu'un réfugié au sens de la Convention «qui se trouve légalement au Canada [a] le droit d'y demeurer...» à moins qu'il ne soit établi qu'il fait partie de la catégorie des criminels ou des personnes qui se livrent à des actes de subversion, dont il est question à l'al. 4(2)b). S'il est établi que la personne est un réfugié au sens de la Convention qui remplit les conditions prévues au par. 4(2), le par. 47(3) exige que l'arbitre l'autorise à demeurer au Canada nonobstant toute autre disposition de la Loi ou du Règlement.
Comme nous l'avons déjà fait remarquer, le par. 5(1) de la Loi ne reconnaît qu'aux personnes visées à l'art. 4 le droit d'entrer au Canada et d'y demeurer. Les appelants ne bénéficient donc pas de ce droit. La Loi accorde cependant à un réfugié au sens de la Convention certains droits qu'elle ne confère pas à d'autres, notamment le droit de demander au Ministre de décider, en vertu de principes appropriés, s'il y a lieu de délivrer un permis l'autorisant à entrer au Canada et à y demeurer (par. 4(2) et art. 37), le droit de ne pas être renvoyé dans un pays sa vie ou sa liberté seraient menacées (art. 55) et le droit d'interjeter appel d'une ordonnance de renvoi ou d'une ordon- nance d'expulsion rendue contre lui (al. 72(2)a), al. 72(2)b) et par. 72(3)).
Même si madame le juge Wilson a disposé de cette affaire, avec l'accord de deux autres mem- bres de la Cour, sur la foi de la Charte canadienne des droits et libertés, ses propos ne diffèrent pas de ceux de monsieur le juge Beetz qui s'en est tenu, avec l'accord de ses deux collègues, exclusivement à la Déclaration canadienne des droits. Il affir- mait, à la page 230:
La Loi sur l'immigration de 1976 accorde aux réfugiés au sens de la Convention le droit de «demeurer» au Canada, ou s'il est impossible d'obtenir un permis du Ministre, au moins le droit de ne pas être renvoyé dans un pays leur vie et leur liberté sont menacées et le droit de rentrer au Canada si aucun pays sûr n'est disposé à les accepter. Les droits en cause dans les présentes espèces sont donc d'une importance vitale pour les personnes concernées.
Il ne me semble pas possible d'affirmer comme proposition générale que des droits sont reconnus au réfugié au sens de la Convention seulement après que l'arbitre ait déterminé qu'il remplit les conditions prévues au paragraphe 4(2) et que, partant, il n'a jamais de droit à faire valoir devant l'arbitre. En principe et de prime abord, il a au moins le droit d'établir qu'il remplit certaines con ditions d'éligibilité, comme par exemple qu'il se trouve légalement au Canada, qu'il n'a pas commis les infractions criminelles mentionnées à l'alinéa 4(2)b) et à l'alinéa 19(1)c) de la Loi. Il s'agit de faits matériels et vérifiables qui peuvent être prou- vés et contredits en la forme ordinaire et faire l'objet d'une appréciation objective de la part de l'arbitre. En pareils cas, un arbitre qui reprend une enquête en vertu de l'article 47 peut être appelé à définir les droits et obligations d'un réfugié au sens de la Convention dans le contexte de l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits, et il doit, en conséquence, poursuivre son enquête et rendre sa décision en respectant les principes de la justice fondamentale. Mais tel n'est pas le cas de l'appelant.
Les alinéas 19(1)d),e)f) et g) de la Loi rendent inadmissibles au Canada certaines catégories de personnes «au sujet desquelles il existe de bonnes raisons de croire» qu'elles se livreront, si admises au Canada, à des activités d'espionnage, de subver sion, de violence criminelle grave, etc. De telles inadmissibilités, inscrites à l'alinéa 4(2)b) de la Loi, constituent pour le réfugié au sens de la Convention autant d'exceptions qui l'empêchent de revendiquer le droit de demeurer au Canada parce que, selon l'article 47, il ne remplit pas et ne peut remplir les conditions prévues au paragraphe 4(2).
Or, par l'effet de l'émission de l'attestation ministérielle du mois de novembre 1980 et de sa production devant l'arbitre, non seulement l'appe- lant fait-il partie de la catégorie de personnes visées à l'alinéa 19(1)f), mais il tombe par le fait même dans une des exceptions prévues à l'alinéa 4(2)b). Tout ce qui était requis pour qu'il en soit irrémédiablement ainsi, c'était que les deux minis- tres l'attestent dans leur certificat émis sous l'auto- rité du paragraphe 39(1) de la Loi, en vigueur à l'époque. Ils n'avaient pas à dire et à démontrer davantage. Procureur général du Canada c. Jolly, [1975] C.F. 216 (C.A.).
Selon le texte même du paragraphe 39(1) de la Loi, et par la force des choses, l'attestation minis- térielle constituait une preuve concluante et irré- fragable qui liait l'arbitre à l'effet que l'appelant ne remplissait pas, et ce de façon irrémédiable, les conditions d'admissibilité au Canada. D'une part, selon le paragraphe 39(1), les Ministres ne pou- vaient, afin de protéger les sources de renseigne- ments, divulguer la teneur des rapports secrets en matière de sécurité et de criminalité sur lesquels ils s'étaient fondés pour former leur opinion au sujet de l'appelant. D'autre part, l'article 119 de la Loi en interdisait la production. Il s'avérait donc que l'appelant faisait partie d'une catégorie de person- nes non admissibles, celle de l'alinéa 19(1)f), et d'une exception mentionnée à l'alinéa 4(2)b).
L'établissement de l'appelant dans la catégorie de l'alinéa 19(1)f) de personnes non admissibles, ce qui par voie de conséquence le plaçait dans une des exceptions de l'alinéa 4(2)b), relevait de la discrétion administrative et ressortissait exclusi- vement au pouvoir d'appréciation du ministre de l'Emploi et de l'Immigration et du solliciteur géné- ral du Canada. En telle occurrence, la détermina- tion que l'appelant ne remplissait pas les condi tions prévues au paragraphe 4(2) ne relevait pas de l'arbitre qui n'avait aucun pouvoir d'adjudication sur l'opinion ministérielle, telle qu'attestée par les ministres dans leur certificat; l'arbitre n'avait d'autre fonction que celle de constater son exis tence dans la preuve et elle devait, en conséquence, se conformer au paragraphe 47(2) de la Loi, soit «prononcer le renvoi». Elle ne pouvait dès lors déterminer à nouveau ce qui, aux termes de la Loi, avait été effectivement et préalablement déterminé par d'autres à qui la Loi avait conféré le pouvoir de ce faire.
Dans Prata c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [ 1976] 1 R.C.S. 376, il a été décidé que, par le dépôt d'un certificat émis en vertu de l'article 21 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration semblable à celui dont parle le paragraphe 39(1) de la Loi sur l'immigra- tion de 1976, le Ministre et le solliciteur général pouvaient enlever à la Commission d'appel de l'immigration sa juridiction en équité dans un appel validement logé devant elle. En produisant devant l'arbitre l'attestation ministérielle du mois de novembre 1980, les Ministres lui ont imposé
leur décision et lui ont enlevé le pouvoir de déter- miner si l'appelant remplissait ou non les condi tions prévues au paragraphe 4(2) de la Loi, ayant prédéterminé eux-mêmes cette question. La pro duction de l'attestation ministérielle lui a enlevé toute juridiction de décider autrement qu'en avaient décidé les Ministres. Ce sont eux et non pas l'arbitre qui ont défini «les droits et obliga tions» de l'appelant. Dans ce sens, et dans ce sens seulement, il est donc exact de dire que l'arbitre, lors de la reprise de son enquête conformément à l'article 47 de la Loi, n'a pas elle-même procédé «à la définition des droits et obligations» de l'appelant en vertu de l'alinéa 2e) de la Déclaration cana- dienne des droits.
Dans l'espèce, l'appelant n'a pas contesté devant l'arbitre et d'ailleurs devant quiconque qu'il s'agis- sait bien de lui dans l'attestation ministérielle, ni que cette attestation n'avait pas été régulièrement produite devant l'arbitre. Par ailleurs, il n'a jamais attaqué de front par des procédures appropriées la validité du certificat, au motif par exemple que les ministres auraient l'entendre avant de l'émettre en novembre 1980 ou de le faire produire devant l'arbitre en janvier 1982. Il a seulement demandé de pouvoir contredire l'opinion que les ministres s'étaient formée de lui à la lumière de rapports secrets en matières de sécurité et de criminalité qu'ils avaient en leur possession et qu'ils avaient considérés en vue, sans doute, de pouvoir contester la décision qu'ils avaient prise à son sujet. L'arbi- tre (et par la suite la Commission) ne pouvait accéder à telle demande. Comme on l'a déjà vu, selon le paragraphe 39(1), les Ministres ne pou- vaient divulguer le contenu de ces rapports secrets et l'article 119 interdisait à l'appelant d'en deman- der la production; l'arbitre ne s'est donc pas mal dirigée en droit et elle n'a pas pu enfreindre les principes de la justice fondamentale lors de la reprise de son enquête puisque ce n'est pas elle qui a défini les droits et obligations de l'appelant mais les Ministres qui les avaient prédéterminés dans leur certificat du mois de novembre 1980, dont la validité ne saurait faire de doute, ne serait-ce que l'appelant n'a rien fait pour le faire annuler et le faire écarter de son dossier.
Dans Singh, le juge Beetz cite avec approbation (aux pages 231 234) l'opinion dissidente du juge Pigeon dans Ernewein c. Ministre de l'Emploi et
de l'Immigration, [ 1980] 1 R.C.S. 639, on peut lire le passage suivant la page 660]:
Dans Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration c. Hardayal ([1978] 1 R.C.S. 470), cette Cour a admis que lorsque la loi prévoit la délivrance d'un certificat spécial par décision administrative, celle-ci est définitive et exclut la règle audi alteram partem, mais ce n'est pas le cas à l'égard d'une décision portant sur le statut de réfugié.
Le cas de l'appelant doit être jugé selon la loi en vigueur au mois de janvier 1982. La Loi sur l'immigration de 1976 laissait à la discrétion ministérielle le pouvoir de déterminer en premier et dernier ressorts si une personne était ou n'était pas admissible au Canada, dans les cas prévus aux alinéas 19(1)d),e)f),g) ou 27(2)g), par l'émission et, le cas échéant, par la délivrance d'une attesta tion à cet effet.
Il s'ensuit que l'ordonnance d'expulsion de l'ap- pelant a été validement prononcée par l'arbitre selon la loi en vigueur en 1982.
Je disposerais de l'appel de la manière suggérée par le juge Marceau.
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