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T-1139-86
Bonnie Ellen Danielson (requérante)
c.
Sous-procureur général du Canada et Ministre du Revenu national (intimés)
RÉPERTORIÉ: DANIELSON C. CANADA (SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL)
Division de première instance, juge McNair— Vancouver, 5 septembre 1986.
Impôt sur le revenu Pratique Requête demandant à la Cour de statuer sur la question de savoir si un ordre du Ministre donné en application de l'art. 225.2(1) de la Loi et enjoignant à la partie de verser immédiatement le montant d'une cotisation établie à son égard était justifié La requé- rante dépend de son époux pour ce qui est de ses moyens de subsistance La situation financière de l'époux était précaire et allait probablement se détériorer Art. 225.2 lu en corré- lation avec l'art. 225.1 L'art. 225.2(1) exige que l'on montre qu'en raison du délai que comporte l'appel, le contribuable sera moins capable de verser le montant de la cotisation L'incapacité de payer ne justifie pas l'ordre de payer Le critère applicable consiste à déterminer si, selon toute probabi- lité, la preuve est suffisante pour permettre de conclure qu'il est plus probable qu'autrement que l'octroi d'un délai compro- mettra le recouvrement Il ne s'agit pas de déterminer si le recouvrement est compromis mais s'il est compromis en raison du délai apporté à l'effectuer Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 225.1 (édicté par S.C. 1985, chap. 45, art. 116), 225.2 (édicté, idem).
AVOCATS:
D. Barry Kirkham, c.r. et David Chesman
pour la requérante.
Margaret Clare pour les intimés.
PROCUREURS:
Owen, Bird, Vancouver, pour la requérante. Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance prononcés à l'audience par
LE JUGE MCNAIR: Par sa requête, la contribua- ble Bonnie E. Danielson demande à la Cour, con- formément au paragraphe 225.2(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.R.C. 1952, chap. 148 (mod. par S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 1; 1985, chap. 45, art. 116)], de statuer sur la question de savoir si l'ordre du Ministre lui enjoignant de
verser immédiatement, en application du paragra- phe 225.2(1) de la Loi [édicté, idem], le montant d'une cotisation d'impôt établie à son égard était justifié en l'espèce.
Voici le texte du paragraphe 225.2(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu:
225.2 (1) Par dérogation à l'article 225.1, lorsqu'il est rai- sonnable de croire que l'octroi à un contribuable d'un délai pour payer le montant d'une cotisation établie à son égard compromettrait le recouvrement de ce montant, et que le ministre, par avis signifié à personne ou envoyé en recommandé à la dernière adresse connue du contribuable, en a avisé celui-ci et lui a ordonné de verser immédiatement tout ou partie de ce montant, le ministre peut prendre immédiatement des mesures visées aux alinéas 225.1(1)a) à g) à l'égard de tout ou partie de ce montant.
Le paragraphe 225.2(5) porte:
225.2.. .
(5) À l'audition d'une requête visée à l'alinéa (2)c), il incombe au ministre de justifier l'ordre.
Selon moi, l'article 225.2 doit être lu en corréla- tion avec l'article 225.1 de la Loi [édicté, idem] qui apporte des restrictions aux moyens par les- quels le Ministre peut recouvrer les cotisations impayées. Les articles 225.1 et 225.2 sont relative- ment nouveaux puisqu'ils ont été adoptés par S.C. 1985, chap. 45 et sont entrés en vigueur après avoir reçu la sanction royale le 29 octobre 1985.
L'article 225.2 prévoit que le Ministre peut donner un avis et ordonner le versement immédiat du montant d'une cotisation établie à l'égard d'un contribuable lorsqu'il est raisonnable de croire que l'octroi d'un délai pour payer le montant de la cotisation ainsi établie compromettrait le recouvre- ment dudit montant. Dans ce cas, le Ministre peut immédiatement prendre l'une ou l'autre des mesu- res prévues aux alinéas a) à g) inclusivement du paragraphe 225.1(1) de la Loi. Et suivant le para- graphe 225.2(5), il incombe manifestement au Ministre de justifier tout ordre ainsi donné.
À mon avis, le litige porte sur la question de savoir si le délai qui découle normalement du processus d'appel compromet le recouvrement. Il semble ressortir du libellé du paragraphe 225.1(1) qu'il est nécessaire de montrer qu'en raison du délai que comporte l'appel, le contribuable sera moins capable de verser le montant de la cotisation.
J'estime qu'on ne devrait pas considérer comme concluant ou comme déterminant le fait que le contribuable était incapable de verser le montant de la cotisation au moment l'ordre lui a été donné de le faire. De plus, le simple soupçon ou la simple crainte que l'octroi d'un délai puisse com- promettre le recouvrement n'est pas suffisant en soi. On peut raisonnablement conclure que le cri- tère qui consiste à se demander si «il est raisonna- ble de croire» que le recouvrement sera compromis équivaut en fait à déterminer si, selon toute proba- bilité, la preuve est suffisante pour permettre de conclure qu'il est plus probable qu'autrement que l'octroi d'un délai compromettra le recouvrement.
De solides éléments de preuve fournis par le Ministre indiquant que le contribuable dissipe ses avoirs ou qu'il les soustrait à la juridiction du ministère du Revenu national et à ses autres créan- ciers éventuels pourraient être très convaincants. Ce serait un cas limite plus difficile à trancher lorsque les biens du contribuable sont périssables ou que leur valeur risque vraisemblablement de diminuer avec le temps.
Que se passe-t-il lorsque le contribuable a peu ou pas de biens? Son incapacité de payer le mon- tant de la cotisation établie à son égard constitue- t-elle à elle seule une justification suffisante pour habiliter le Ministre à invoquer avec succès le paragraphe 225.2(1)? Je ne le crois pas.
À mon avis, il ne s'agit pas de déterminer si le recouvrement lui-même est compromis mais plutôt s'il est en fait compromis en raison du délai à la suite duquel il sera vraisemblablement effectué.
La Couronne fonde sa position sur le fait que la requérante dépend totalement de son époux pour ce qui est de ses moyens de subsistance. Le moins qu'on puisse dire est que la situation financière de ce dernier était précaire le 13 mai 1986 et qu'elle allait probablement se détériorer. Le sort et la prospérité de la requérante sont liés à ceux de son époux. Pour expliquer sa situation, on peut prendre comme analogie un château de cartes. Lorsque les cartes-clés tombent, tout le château s'écroule. L'avocat de la Couronne a conclu en avançant l'allégation suivante:
[TRADUCTION] Elle n'avait aucun revenu, c'est pourquoi le Ministre a agi comme il l'a fait.
Je suis d'avis qu'un tel motif ne répond pas au critère exigé par le paragraphe 225.2(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Outre la simple incapacité de payer, le seul autre élément de preuve tendant à servir de fonde- ment à l'ordre de payer figure dans les derniers paragraphes de l'affidavit de Patricia Colleen Connor, c'est-à-dire aux paragraphes 42 et 43 dont voici les libellés respectifs:
[TRADUCTION] 42. Je crois véritablement que Bonnie Ellen Danielson dépend financièrement de Charles Edward Danielson et qu'en raison de ce fait ainsi que des autres faits allégués en l'espèce, l'octroi d'un délai à Bonnie Ellen Danielson compro- mettrait le recouvrement du montant de la cotisation établie à son égard.
43. Je crois véritablement en outre qu'en raison des faits allégués en l'espèce, le ministre du Revenu national a le droit d'ordonner à la fois à Charles Edward Danielson et à Bonnie Ellen Danielson de verser immédiatement le montant de la cotisation établie.
On trouve toutefois au paragraphe 11 de l'affi- davit de la requérante, fait sous serment le 28 août 1986, une affirmation qui neutralise l'effet de ces énoncés. Voici le texte de ce paragraphe:
[TRADUCTION] 11. En aucun temps avant ou après le 12 avril 1986, je n'ai pris de mesures pour cacher, aliéner mes biens ou autrement entraver des procédures de recouvrement.
Je conclus, par conséquent, qu'en l'absence de tout élément de preuve plus convaincant que le simple fait de soupçonner ou de craindre que la requérante ou d'autres créanciers ou réclamants n'aient pris ou ne prennent des mesures qui com- promettraient probablement le recouvrement du montant de la cotisation établie, l'incapacité de payer de la requérante ne justifie pas l'ordre de payer.
La requête est donc accueillie et l'ordre de payer est, par conséquent, annulé. La requérante a droit aux dépens de sa requête. Une ordonnance sera rendue en conséquence.
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