A-531-85
Wiebe Door Services Ltd. (requérante)
c.
Ministre du Revenu national (intimé)
RÉPERTORIÉ: WIEBE DOOR SERVICES LTD. c. M.R.N. (C.A.F.)
Cour d'appel, juges Pratte, Mahoney et MacGui-
gan—Calgary, Ler mai; Ottawa, 18 juin 1986.
Commettant et préposé — Demande d'annulation de la
décision de la Cour canadienne de l'impôt qui confirmait une
cotisation obligeant la requérante à verser des primes d'assu-
rance-chômage et des contributions au Régime de pensions du
Canada — La requérante exploite son commerce par l'inter-
médiaire d'installateurs et de réparateurs de portes qui ont
accepté de payer eux-mêmes les contributions au programme
d'assurance-chômage et au Régime de pensions du Canada —
La Cour canadienne de l'impôt a décidé que les employés ont
exercé un emploi assurable — La demande est accueillie — Le
critère d'«intégration» ou d'«organisation» exposé par lord
Denning a été appliqué à tort — Ce critère a été critiqué
comme étant d'application difficile — La Cour préfère le
critère général appliqué par lord Wright dans Montreal Loco
motive Works, qui met l'accent sur l'ensemble des éléments qui
entrent dans le cadre des opérations — Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28.
Assurance-chômage — Nature des rapports entre la compa-
gnie et les installateurs et réparateurs de portes — Entente en
vertu de laquelle les employés exercent leurs activités de façon
autonome et se chargent de payer leurs impôts et leurs contri
butions au programme d'assurance-chômage et au Régime de
pensions du Canada — La Cour canadienne de l'impôt a eu
tort d'appliquer le critère de l'..intégration» pour statuer que
les employés exerçaient un emploi assurable — Il est préféra-
ble de s'en remettre au critère appliqué dans Montreal Loco
motive Works — Il est nécessaire de peser tous les facteurs
pertinents.
Demande d'annulation de la décision de la Cour canadienne
de l'impôt qui confirme une cotisation obligeant la requérante à
verser des primes d'assurance-chômage et des contributions au
Régime de pensions du Canada. La requérante installe des
portes et répare des portes basculantes. Elle exploite son com
merce par l'intermédiaire d'installateurs, avec lesquels elle s'est
entendue expressément et individuellement pour que chacun
exerce ses activités de façon autonome et paie ses impôts et ses
contributions au programme d'assurance-chômage et au
Régime de pensions du Canada. La Cour canadienne de l'impôt
a décidé que les employés de la requérante exerçaient un emploi
assurable en appliquant le «critère d'intégration» exposé par
lord Denning dans Stevenson Jordan and Harrison, Ltd. v.
Macdonald and Evans. Selon ce critère, en vertu d'un contrat
de louage de services, une personne est employée en tant que
partie d'une entreprise et son travail fait partie intégrante de
l'entreprise, alors qu'en vertu d'un contrat d'entreprise, son
travail n'est pas intégré à l'entreprise mais lui est seulement
accessoire. La Cour canadienne de l'impôt a décidé que le
travail des installateurs faisait partie intégrante de l'entreprise
de la requérante. Cette dernière soutient que la Cour cana-
dienne de l'impôt a employé à tort le critère d'intégration, qui
ne s'applique qu'à des travailleurs ayant acquis de grandes
aptitudes professionnelles.
Arrêt: la demande devrait être accueillie.
Pour pallier aux lacunes du critère de contrôle appliqué pour
déterminer la nature des rapports entre employeur et employés,
lord Wright a appliqué un critère différent dans Montreal v.
Montreal Locomotive Works Ltd. Il comprend les éléments
suivants: (1) le contrôle, (2) la propriété des instruments de
travail, (3) la possibilité de profit, (4) le risque de perté. Dans
son contexte, le critère est général et comporte qu'il faut, pour
résoudre la question, «examiner l'ensemble des divers, éléments
qui composent la relation entre les parties». Le critère exposé
par lord Denning (habituellement qualifié de «critère d'organi-
sation» mais appelé «critère d'intégration» par la Cour - cana-
dienne de l'impôt) est aussi un critère général bien accepté au
Canada. Il a été reçu avec moins d'enthousiasme dans d'autres
juridictions de common law qui lui préfèrent un critère «multi-
ple», qui prend tous les facteurs en considération. Le critère de
lord Wright est plus général que celui de lord Denning, car il
insiste sur «l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre
des opérations.» Il est plus difficile d'appliquer le critère de lord
Denning, car souvent on donne une réponse en fonction de
l'énoncé même de la question, en établissant que sans le travail
des «employés», l'«employeur» n'aurait pu exploiter son com
merce. Appliqué de la sorte, ce critère ne sera jamais équitable
parce que, dans une situation de fait où il existe un lien de
dépendance mutuelle, il donne toujours une réponse affirma
tive. Si les entreprises des deux parties sont structurées de telle
façon qu'elles exercent leurs activités l'une grâce à l'autre, elles
ne pourraient survivre indépendamment sans être restructurées.
Cependant, cette conséquence découle de leur accord de façade
et elle n'indique pas nécessairement quelle est leur relation
intrinsèque. Il est toujours important de déterminer quelle
relation globale les parties entretiennent entre elles. Le critère
d'organisation de lord Denning donne des résultats acceptables
s'il est appliqué de la bonne manière, c'est-à-dire quand la
question d'organisation ou d'intégration est envisagée du point
de vue de l'«employé» et non de celui de l'aemployeur». Le juge
de première instance doit peser tous les facteurs pertinents.
Rien ne confirme l'argument selon lequel le critère de lord
Denning s'applique seulement aux travailleurs hautement qua-
lifiés. Cependant, la Cour canadienne de l'impôt a commis une
erreur de droit en appliquant ce critère.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Montreal v. Montreal Locomotive Works Ltd., [ 1947] 1
D.L.R. 161 (P.C.); Market Investigations, Ltd. v.
Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732
(Q.B.D.); Ferguson v John Dawson & Partners (Contrac-
tors) Ltd, [1976] 3 All ER 817 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Regina v. Walker (1858), 27 L.J.M.C. 207; Hôpital
Notre-Dame de l'Espérance et Théoret c. Laurent,
[1978] 1 R.C.S. 605; Stevenson Jordan and Harrison,
Ltd. v. Macdonald and Evans, [1952] 1 T.L.R. 101
(C.A.); Co -Operators Insurance Association v. Kearney,
[1965] R.C.S. 106.
DÉCISIONS CITÉES:
Massey v. Crown Life Insurance Co., [1978] 1 W.L.R.
676 (C.A. Angl.); Narich Pty. Ltd. v. Commr. of
Pay-roll Tax (1983), 58 A.L.J.R. 30 (P.C.); Mayer v. J.
Conrad Lavigne Ltd. (1979), 27 O.R. (2d) 129 (C.A.);
Re/Max Real Estate Calgary South v. M.N.R., décision
en date du 14 juillet 1982, juge-arbitre en matière d'assu-
rance-chômage, N.R. 1069, non publiée; Sairoglou v.
M.N.R., décision en date du 6 août 1982, juge-arbitre en
matière d'assurance-chômage, N.R. 1085, non publiée;
Terra Engineering Laboratories Ltd. v. M.N.R., décision
en date du 28 août 1979, juge-arbitre en matière d'assu-
rance-chômage, N.R. 858, non publiée; Barnard v. T.M.
Energy House Ltd., [1982] 4 W.W.R. 619 (C. cté C.-B.).
AVOCATS:
Michael A. Wedekind pour la requérante.
Larry Huculak pour l'intimé.
PROCUREURS:
Foster Wedekind, Calgary, pour la requé-
rante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN: Par demande présentée
en vertu de l'article 28 [Loi sur la Cour fédérale,
S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10], la requérante
tente de faire annuler une décision de la Cour
canadienne de l'impôt qui confirme une cotisation
l'obligeant à verser des primes d'assurance-chô-
mage et des contributions au Régime de pensions
du Canada à l'égard des années 1979, 1980 et
1981. L'avocat de la requérante a reconnu devant
la Cour que la cotisation concernant l'année 1979
était établie à juste titre puisqu'à l'époque, les
deux personnes en cause étaient bien des employés
de sa cliente. Il a toutefois maintenu que les douze
personnes pour lesquelles la requérante faisait l'ob-
jet d'une cotisation en 1980 et en 1981 étaient non
pas des employés, mais des entrepreneurs indépen-
dants.
La requérante exploite une entreprise d'installa-
tion de portes et de réparation de portes basculan-
tes dans la région de Calgary; les travaux de
réparation représentent environ 75 % de ses activi-
tés. Elle exploite son commerce par l'intermédiaire
d'un nombre considérable d'installateurs et de
réparateurs de portes avec lesquels elle s'est enten-
due expressément et individuellement pour que
chacun exerce ses activités de façon autonome et,
par conséquent, qu'il se charge lui-même de payer
ses impôts et toutes les contributions aux program
mes d'assurance-chômage et d'indemnisation des
travailleurs ainsi qu'au Régime de pensions du
Canada. En soi, une telle entente ne détermine pas
la relation qui existe entre les parties, et une cour
doit examiner les faits avec soin afin de tirer ses
propres conclusions: Massey v. Crown Life Insu
rance Co., [1978] 1 W.L.R. 676 (C.A. Angl.);
Narich Pty. Ltd. v. Commr. of Pay-roll Tax
(1983), 58 A.L.J.R. 30 (P.C.).
Voici la partie essentielle des motifs de la déci-
sion de la Cour canadienne de l'impôt:
La Cour doit décider si les employés de l'appelante ont
exercé un emploi assurable au cours des années 1979, 1980 et
1981. En ce qui concerne l'année 1979, l'appelante a admis
qu'elle avait employé deux travailleurs, Paul Jeffrey et Clint
Fayant, dont elle s'était occupée d'une manière toute spéciale.
Ils n'avaient pas de camion en 1979, et cette année-là, ils ont
été engagés comme employés. Pour ce qui est de ces deux
employés, l'appel de la cotisation établie en 1979 est rejeté.
Le paragraphe 3(1) de la Loi sur l'assurance-chômage définit
un emploi assurable comme
«un emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs
employeurs, en vertu d'un contrat de louage de services ou
d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'em-
ployé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre
personne et que la rémunération soit calculée soit au temps
ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces,
soit de quelque autre manière;»
La jurisprudence a établi une série de critères pour détermi-
ner si un contrat constitue un contrat de louage de services ou
un contrat d'entreprise. Bien qu'il en existe d'autres, les quatre
critères suivants sont les plus couramment utilisés:
a) le degré, ou l'absence, de contrôle exercé par le prétendu
employeur;
b) la propriété des instruments de travail;
c) les chances de bénéfice et les risques de perte;
d) l'intégration des travaux effectués par les prétendus
employés dans l'entreprise de l'employeur présumé.
Examinons maintenant la preuve à la lumière de chacun de
ces critères.
1. Le critère du contrôle
Les installateurs étaient avant tout des travailleurs autono-
mes. Ils étaient libres d'accepter ou de refuser une demande de
services. Ils n'avaient ni à travailler dans l'établissement de
l'appelante, ni à s'y rendre, sauf pour y prendre une porte ou
des pièces. L'appelante exerçait un certain contrôle sur les
installateurs. Tout d'abord, elle leur assignait les travaux à
accomplir. Ceux-ci étaient garantis pendant un an. Au cours de
cette période, l'appelante exigeait que l'installateur reprenne les
réparations ou travaux d'installation mal effectués. Pour ce qui
est du critère du contrôle, la preuve n'est pas concluante.
2. La propriété des instruments de travail
Chaque installateur possédait son propre camion et ses pro-
pres outils. L'appelante fournissait seulement les supports spé-
ciaux servant au transport des portes et, au besoin, une per-
ceuse à ciment d'un type particulier. Suivant ce critère, les
installateurs semblent être des entrepreneurs indépendants.
3. Les chances de bénéfice et les risques de perte
Les installateurs avaient peu de chances de réaliser des
bénéfices. Ils étaient payés à la pièce. S'ils travaillaient rapide-
ment et efficacement, ils pouvaient exécuter d'autres travaux
pendant la journée, selon la demande. D'autre part, s'ils étaient
négligents et n'effectuaient pas leur travail de la façon voulue,
ils étaient obligés de le reprendre ou de le recommencer en
assumant eux-mêmes les coûts de l'essence, des pièces et des
travaux. Selon ce critère, les travailleurs semblent être des
entrepreneurs indépendants.
4. Le critère de l'intégration
L'appelante exploitait une entreprise d'installation et de
réparation de portes basculantes à commande électrique. Tout
le travail effectué par les installateurs faisait partie intégrante
de l'entreprise de l'appelante. Sans eux, l'appelante n'aurait pu
faire commerce.
Dans Stevenson Jordan et al vs. MacDonald and Evans,
(1951) T.L.R. 101, lord Denning a énoncé un critère qui,
depuis, a été cité en de maintes occasions. Le voici (page 111):
[TRADUCTION] «Une particularité semble se répéter dans
tous les cas: en vertu d'un contrat de louage de services, une
personne est employée en tant que partie d'une entreprise et
son travail fait partie intégrante de l'entreprise; alors qu'en
vertu d'un contrat d'entreprise, son travail, bien qu'il soit fait
pour l'entreprise, n'y est pas intégré mais seulement
accessoire.»
Le critère de lord Denning a été appliqué et suivi par nos
tribunaux à de nombreuses reprises. En l'espèce, il nous permet
de conclure à l'existence d'un contrat de louage de services, et
non pas d'un contrat d'entreprise.
L'appel est donc rejeté, et la décision de l'intimé est
confirmée.
La requérante a soutenu devant le tribunal que
la Cour canadienne de l'impôt avait commis une
erreur de droit en employant le soi-disant critère
d'«intégration» qui, à son avis, ne s'appliquait avec
raison qu'à des travailleurs ayant acquis de gran-
des aptitudes professionnelles et qui, de ce fait,
n'avait aucun lien avec les faits en litige.
La question de savoir si un contrat est un con-
trat de louage de services, dont l'objet est de créer
une relation commettant-préposé ou des liens
d'emploi, ou un contrat d'entreprise liant des
entrepreneurs indépendants a été soulevée très sou-
vent dans le domaine de la responsabilité délic-
tuelle, comme le démontre une étude récente du
professeur Joseph Eliot Magnet, intitulée Vica
rious Liability and the Professional Employee
(1978-1979), 6 C.C.L.T. 208, et en droit du tra
vail, comme en fait foi l'analyse sommaire du
professeur Michael Bendel dans The dependent
contractor: An unnecessary and flawed develop
ment in Canadian labour law (1982), 32 U.T.L.J.
374.
En common law, le critère traditionnel qui con-
firme l'existence d'une relation employeur-employé
est le critère du contrôle, que le baron Bramwell a
défini dans Regina v. Walker (1858), 27 L.J.M.C.
207, à la page 208:
[TRADUCTION] À mon sens, la différence entre une relation
commettant-préposé et une relation mandant-mandataire est la
suivante:—un mandant a le droit d'indiquer au mandataire ce
qu'il doit faire, mais le commettant a non seulement ce droit,
mais aussi celui de dire comment la chose doit être faite.
Ce critère est tout aussi important aujourd'hui,
comme la Cour suprême du Canada l'a indiqué
dans l'affaire Hôpital Notre-Dame de l'Espérance
et Théoret c. Laurent, [1978] 1 R.C.S. 605, en
souscrivant à l'énoncé suivant, à la page 613: «le
critère essentiel destiné à caractériser les rapports
de commettant à préposé est le droit de donner des
ordres et instructions au préposé sur la manière de
remplir son travail»'.
Néanmoins, dans Vicarious Liability in the Law
of Torts, Londres, Butterworths, 1967, le profes-
seur P. S. Atiyah a affirmé, à la page 41, que
[TRADUCTION] «le critère de contrôle établi par le
baron Bramwell ... est d'une simplicité trompeuse
qui ... tend à perdre toute valeur après analyse».
Ce critère a le grave inconvénient de paraître
assujetti aux termes exacts du contrat définissant
les modalités du travail: si le contrat contient des
instructions et des stipulations détaillées, comme
c'est chose courante dans les contrats passés avec
un entrepreneur indépendant, le contrôle ainsi
exercé peut être encore plus rigoureux que s'il
résultait d'instructions données au cours du travail,
comme c'est l'habitude dans les contrats avec un
préposé, mais une application littérale du critère
pourrait laisser croire qu'en fait, le contrôle exercé
' Même s'il s'agit d'une affaire de droit civil, la Cour estime
qu'en l'espèce, les règles du droit civil sont identiques à celles de
la common law.
est moins strict. En outre, le critère s'est révélé
tout à fait inapplicable pour ce qui est des profes-
sionnels et des travailleurs hautement qualifiés, qui
possèdent des aptitudes bien supérieures à la capa-
cité de leur employeur à les diriger.
Le premier juriste qui a vraiment tenté de régler
ces difficultés a probablement été William O.
Douglas (avant sa nomination comme juge), qui a
élaboré le critère de l'entreprise dans Vicarious
Liability and Administration of Risk I (1928-29),
38 Yale L.J. 584. Dans cet article, il a proposé
quatre traits particuliers qui caractérisent l'entre-
prise: le contrôle, la propriété, les pertes et les
bénéfices. C'est essentiellement ce critère que lord
Wright a appliqué dans Montreal v. Montreal
Locomotive Works Ltd., [1947] 1 D.L.R. 161
(P.C.), (aux pages 169 et 170):
[TRADUCTION] Dans des jugements antérieurs, on s'appuyait
souvent sur un seul critère, comme l'existence ou l'absence de
contrôle, pour décider s'il s'agissait d'un rapport de maître à
préposé, la plupart du temps lorsque des questions de responsa-
bilité délictuelle de la part du maître ou du supérieur étaient en
cause. Dans les situations plus complexes de l'économie
moderne, il faut souvent recourir à des critères plus compliqués.
Il a été jugé plus convenable dans certains cas d'appliquer un
critère qui comprendrait les quatre éléments suivants: (1) le
contrôle; (2) la propriété des instruments de travail; (3) la
possibilité de profit; (4) le risque de perte. Le contrôle en
lui-même n'est pas toujours concluant. Ainsi, le capitaine d'un
vaisseau affrété est généralement l'employé de l'armateur, bien
que l'affréteur puisse diriger l'embauchage sur le navire.
Encore une fois, la loi apporte souvent des limites aux droits de
l'employeur de diriger la conduite de l'employé, comme le font
les règlements relatifs aux syndicats ouvriers. Dans bien des
cas, il faut, pour résoudre la question, examiner l'ensemble des
divers éléments qui composent la relation entre les parties.
Ainsi, il est dans certains cas possible de décider en posant la
question «à qui appartient l'entreprise», en d'autres mots, en
demandant si la partie exploite l'entreprise, c'est-à-dire qu'elle
l'exploite pour elle-même ou pour son propre compte et pas
seulement pour un supérieur. Dans le cas qui nous occupe,
l'objet de l'entreprise ou de l'activité commerciale est de fabri-
quer des véhicules de guerre. L'intimée aurait pu les fabriquer
dans le but de les vendre à profit au gouvernement. Dans ce
cas, le gouvernement pourrait, à titre d'acquéreur, avancer des
fonds ou subventionner les travaux: la Couronne pourrait, en
toute probabilité, exercer des pouvoirs de supervision, d'inspec-
tion ainsi que de réglementation et déterminer les tests de
vérification que chaque vehicule doit subir. Le gouvernement
pourrait même fournir les matériaux ou l'usine au fabricant.
Les pouvoirs précités et d'autres pouvoirs semblables pourraient
être très larges sans empêcher le fabricant d'effectuer les
travaux pour son propre bénéfice et à ses propres risques.
Cependant, après avoir examiné les contrats qui sont les élé-
ments décisifs du présent litige, les lords ont résolu, en toute
déférence pour les juges des tribunaux inférieurs qui ont
exprimé une opinion différente, de souscrire au jugement de la
Cour suprême. À leur avis, il serait impossible d'en arriver à
une autre conclusion à la lumière de l'ensemble des éléments
qui entraient dans le cadre des opérations. L'usine, le terrain
sur lequel elle était construite, le matériel d'exploitation et les
machines appartenaient tous au gouvernement, qui en avait
obtenu l'affectation ou les avait fait construire dans le but
précis de faire fabriquer des véhicules militaires. Tous les
matériaux appartenaient au gouvernement, tout comme les
véhicules eux-mêmes, de la première à la dernière étape de
fabrication. L'intimée n'a ni investi des fonds, ni assumé un
risque financier ou une responsabilité, sauf dans le cas très
particulier de mauvaise foi ou de négligence délibérée: le gou-
vernement assumait tous les autres risques. Il est vrai que
l'intimée avait reçu les pouvoirs les plus étendus en matière de
gestion et d'administration, mais elle était soumise en toutes
circonstances au contrôle du gouvernement. Des «honoraires»
étaient versés pour chaque véhicule terminé mais, compte tenu
de l'ensemble des activités, ils ne constituaient qu'une récom-
pense pour services personnels rendus relativement à la gestion
de toute l'entreprise. Cette situation est très différente de celle
de l'entrepreneur indépendant, qui doit tirer avantage des
occasions de profit et assumer les risques de perte. La Cou-
ronne prenait en charge tous les frais et, de la même façon, le
gouvernement supportait tous les risques éventuels de perte ou
de détérioration sauf, comme nous l'avons déjà dit, dans les cas
très peu probables de mauvaise foi ou de négligence délibérée
de l'intimée. À toutes les étapes de sa réalisation, le projet fut
celui du gouvernement, et non de l'intimée qui était tout
simplement un mandataire ou un gestionnaire agissant au nom
de la Couronne. Il n'est pas possible de contredire l'énoncé
affirmatif de chacun des contrats, selon lequel l'intimée devait
agir comme mandataire du gouvernement à toutes les fins
stipulées. [C'est moi qui souligne.]
Dans ce contexte, les quatre critères établis par
lord Wright constituent une règle générale, et
même universelle, qui nous oblige à «examiner
l'ensemble des divers éléments qui composent la
relation entre les parties». Quand il s'est servi de
cette règle pour déterminer la nature du lien exis-
tant dans l'affaire Montreal Locomotive Works,
lord Wright a combiné et intégré les quatre critè-
res afin d'interpréter l'ensemble de la transaction.
Dans Stevenson Jordan and Harrison, Ltd. v.
Macdonald and Evans, [1952] 1 T.L.R. 101
(C.A.), le lord juge Denning (tel était alors son
titre) a établi une règle générale semblable qui est
habituellement appelée «critère d'organisation»
(quoique, dans le présent litige, la Cour cana-
dienne de l'impôt l'ait appelée «critère d'intégra-
tion»). En voici l'énoncé, à la page 111:
[TRADUCTION] Une particularité semble se répéter dans la
jurisprudence: en vertu d'un contrat de louage de services, une
personne est employée en tant que partie d'une entreprise et son
travail fait partie intégrante de l'entreprise; alors qu'en vertu
d'un contrat d'entreprise, son travail, bien qu'il soit fait pour
l'entreprise, n'y est pas intégré mais seulement accessoire.
Le critère d'organisation a été confirmé par la
Cour suprême du Canada dans l'affaire Co -Ope
rators Insurance Association v. Kearney, [1965]
R.C.S. 106. En l'espèce, le juge Spence, qui s'ex-
primait au nom de la Cour, a cité, à la page 112,
avec approbation le passage suivant tiré de Fle-
ming, The Law of Torts (2 e éd., 1961), aux pages
328 et 329:
[TRADUCTION] Sous la contrainte de situations nouvelles, les
tribunaux se sont rendus de plus en plus compte qu'on étirait la
règle traditionnelle [du critère du contrôle] et, dans les déci-
sions les plus récentes, ils ont eu manifestement tendance à la
remplacer par une règle qui ressemble à un critère d'»organisa-
tion». Le soi-disant préposé faisait-il partie de l'organisation de
son employeur? Est-ce que le lieu et le temps d'exécution du
travail faisaient l'objet d'un contrôle de type organisationnel,
ou était-ce plutôt la façon de l'exécuter?
Comme M. Bendel l'a souligné (précité, à la
page 381), le critère d'organisation est maintenant
[TRADUCTION] «bien accepté au Canada». Dans
l'extrait suivant, il en explique l'intérêt (précité, à
la page 382):
[TRADUCTION] Le grand intérêt qui est porté au critère
d'organisation en matière de relations de travail tient au fait
que l'intégration du travail dans l'entreprise d'un tiers, point
essentiel du critère, est un indicateur de dépendance économi-
que très utile. Voici comment (dans une affaire entendue avant
l'adoption des modifications législatives concernant les entre
preneurs dépendants en Ontario) la Commission des relations
de travail de l'Ontario a expliqué le lien entre intégration et
dépendance économique:
Au fond, exploiter une entreprise, c'est offrir à une clientèle
divers biens et services au meilleur prix possible, compte tenu
des contraintes que la concurrence fait subir à un marché
donné. D'après la Commission, il est bien évident qu'une
entreprise ne peut prospérer si sa croissance est totalement
liée aux opérations d'un certain client. L'indépendance de
l'entrepreneur est le facteur principal qui permet de le distin-
guer de l'employé ... Dans les cas où le soutien financier du
chauffeur est inextricablement lié aux activités de l'intimé,
nous croyons qu'il ne peut être considéré comme un entrepre
neur indépendant.
D'après une opinion récente du juge MacKin-
non, juge en chef adjoint de la Cour d'appel de
l'Ontario, le critère d'organisation est une exten
sion du critère énoncé par lord Wright et probable-
ment un critère plus approprié (Mayer v. J.
Conrad Lavigne Ltd. (1979), 27 O.R. (2d) 129
(C.A.), à la page 132). Cependant, il a été reçu
avec moins d'enthousiasme dans d'autres juridic-
tions de common law. En fait, dans Who is a
Servant? (1979), 53 Austr. L.J. 832, la page 834,
A. N. Khan a osé s'exprimer ainsi à l'égard des
décisions rendues en Angleterre et en Australie:
[TRADUCTION] Toutefois, s'il est pris isolément, le critère
d'«intégration» ou d'«organisation» peut donner des solutions
aussi impraticables et absurdes que le critère du contrôle. Par
conséquent, les tribunaux en sont arrivés à la conclusion qu'il
faudrait appliquer un critère «multiple» parce que tous les
facteurs doivent être pris en considération. Ainsi, tans Morren
v. Swinton & Pendlebury Borough Council, [[1965] 1 W.L.R.
576] lord Parker (en sa qualité de juge en chef) a affirmé que
le critère du contrôle était peut-être trop simple. Il a ajouté que
[TRADUCTION] «manifestement la surveillance et le contrôle ne
pouvaient être le critère décisif lorsqu'on avait affaire à un
professionnel ou à un homme de métier». Partant, les tribunaux
ont commencé à modifier et à transformer le critère pour qu'il
devienne un critère du «bon sens» [le lord juge Somervell dans
Cassidy v. Minister of Health, [1951] 2 K.B. 343] ou un
critère «multiple» [voir le juge Mocatta dans Whittaker v.
Minister of Pensions & National Insurance [1967] 1 Q.B.
156].
Le professeur Atiyah (précité, aux pages 38 et 39)
a fini par adopter le critère énoncé par lord Wright
dans l'affaire Montreal Locomotive Works, car il
le considère comme un critère plus général que
celui de lord Denning qui, à son avis, n'apporte une
solution que dans certains cas.
Je suis porté à me rallier à ce point de vue pour
les mêmes raisons. Je considère le critère de lord
Wright non pas comme une règle comprenant
quatre critères, comme beaucoup l'ont interprété,
mais comme un seul critère qui est composé de
quatre parties intégrantes et qu'il faut appliquer en
insistant toujours sur ce que lord Wright a appelé
ci-dessus «l'ensemble des éléments qui entraient
dans le cadre des opérations», et ce, même si je
reconnais l'utilité des quatre critères subordonnés.
Il est peut-être plus difficile d'appliquer le cri-
tère de lord Denning, car il a été utilisé à mauvais
escient comme une formule magique par la Cour
canadienne de l'impôt dans la présente affaire et
dans plusieurs autres causes citées par l'intimée où,
en fin de compte, on donnait une réponse en
fonction de l'énoncé même de la question, en éta-
blissant que, sans le travail des «employés», l'«em-
ployeur» n'aurait pu exploiter son commerce
2 Voir les décisions des juges-arbitres appelés à examiner
l'appel de décisions du M.R.N. dans Re/Max Real Estate
Calgary South v. M.N.R., décision en date du 14 juillet 1982,
N.R. 1069, non publiée; Sairoglou v. M.N.R., décision en date
du 6 août 1982, N.R. 1085, non publiée; Terra Engineering
Laboratories Ltd. v. M.N.R., décision en date du 28 août 1979,
N.R. 858, non publiée, et Barnard v. T.M. Energy House Ltd.,
[1982] 4 W.W.R. 619 (C. cté C.-B.).
(«Sans eux, l'appelante n'aurait pu faire com
merce.»). Appliqué de la sorte, ce critère ne sera
jamais équitable parce que, dans une situation de
fait où il existe un lien de dépendance mutuelle, il
donne toujours une réponse affirmative. Si les
entreprises des deux parties sont structurées de
telle façon qu'elles exercent leurs activités l'une
grâce à l'autre, elles ne pourraient survivre indé-
pendamment sans être restructurées. Cependant,
cette conséquence découle de leur accord de façade
et elle n'indique pas nécessairement quelle est leur
relation intrinsèque.
Il est toujours important de déterminer quelle
relation globale les parties entretiennent entre
elles. À ce propos, le conseil qu'a donné P. S.
Atiyah (précité, à la page 38) est, à mon avis, très
précieux:
[TRADUCTION] [N]ous doutons fortement qu'il soit encore
utile de chercher à établir un critère unique permettant d'iden-
tifier les contrats de louage de services ... La meilleure chose à
faire est d'étudier tous les facteurs qui ont été considérés dans
ces causes comme des facteurs influant sur la nature du lien
unissant les parties. De toute évidence, ces facteurs ne s'appli-
quent pas dans tous les cas et n'ont pas toujours la même
importance. De la même façon, il n'est pas possible de trouver
une formule magique permettant de déterminer quels facteurs
devraient être tenus pour déterminants dans une situation
donnée. Il reste que, dans un grand nombre de cas, le tribunal
doit se contenter de comparer deux solutions en évaluant
l'importance des facteurs qui tendent vers une solution et en les
équilibrant par ceux qui tendent vers la solution contraire. Dans
l'ordre des choses, il ne faut pas s'attendre à ce que cette
opération soit effectuée avec une précision scientifique.
Ce point de vue semble se concilier avec les remarques qu'a
formulées LORD WRIGHT, du Conseil privé, dans une décision
peu connue intitulée Montreal Locomotive Works .. .
De toute évidence, le critère d'organisation
énoncé par lord Denning et d'autres juristes donne
des résultats tout à fait acceptables s'il est appli-
qué de la bonne manière, c'est-à-dire quand la
question d'organisation ou d'intégration est envisa
gée du point de vue de l'«employé» et non de celui
de l'«employeur». En effet, il est toujours très
facile, en examinant la question du point de vue
dominant de la grande entreprise, de présumer que
les activités concourantes sont organisées dans le
seul but de favoriser l'activité la plus importante.
Nous devons nous rappeler que c'est en tenant
compte de l'entreprise de l'employé que lord
Wright a pose la question «À qui appartient
l'entreprise».
C'est probablement le juge Cooke, dans Market
Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security,
[1968] 3 All E.R. 732 (Q.B.D.) 3 , qui, parmi ceux
qui ont examiné le problème, en a fait la meilleure
synthèse (aux pages 738 et 739):
[TRADUCTION] Les remarques de LORD WRIGHT, du LORD
JUGE DENNING et des juges de la Cour suprême des Etats-Unis
laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est
celui-ci: «La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches
les accomplit-elle en tant que personne dans les affaires à son
compte». Si la réponse à cette question est affirmative, alors il
s'agit d'un contrat d'entreprise. Si la réponse est négative, alors
il s'agit d'un contrat de service personnel. Aucune liste exhaus
tive des éléments qui sont pertinents pour trancher cette ques
tion n'a été dressée, peut-être n'est-il pas possible de le faire; on
ne peut non plus établir de règles rigides quant à l'importance
relative qu'il faudrait attacher à ces divers éléments dans un cas
particulier. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faudra toujours
tenir compte du contrôle même s'il ne peut plus être considéré
comme le seul facteur déterminant; et que des facteurs qui
peuvent avoir une certaine importance sont des questions
comme celles de savoir si celui qui accomplit la tâche fournit
son propre outillage, s'il engage lui-même ses aides, quelle est
l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est
responsable des mises de fonds et de la gestion, et jusqu'à quel
point il peut tirer profit d'une gestion saine dans l'accomplisse-
ment de sa tâche. L'utilisation du critère général peut être plus
facile dans un cas où la personne qui s'engage à rendre le
service le fait dans le cadre d'une affaire déjà établie; mais ce
facteur n'est pas déterminant. Une personne qui s'engage à
rendre des services à une autre personne peut bien être un
entrepreneur indépendant même si elle n'a pas conclu de con-
trat dans le cadre d'une entreprise qu'elle dirige actuellement.
Quand il doit régler un tel problème, le juge de
première instance ne peut se soustraire à l'obliga-
tion de peser avec soin tous les facteurs pertinents,
comme l'a indiqué le juge Cooke.
Il est manifeste que rien ne confirme l'argument
de la requérante suivant lequel le critère de lord
Denning s'applique seulement aux travailleurs
hautement qualifiés. Cependant, il est tout aussi
évident que la Cour canadienne de l'impôt a
commis une erreur de droit en appliquant ce cri-
tère comme elle l'a fait dans la présente cause.
Quelles conséquences a eu l'erreur de droit com-
mise en l'espèce? Si, dans la décision de la Cour
canadienne de l'impôt, nous ne tenons pas compte
de l'application erronée du critère d'organisation
ou d'intégration, il nous est difficile d'en dégager
3 Ce critère a été cité de nombreuses fois. Ainsi, dans l'affaire
Ferguson y John Dawson & Partners (Contractors) Ltd, [1976]
3 All ER 817, les trois juges de la Cour d'appel y ont fait
référence, et les deux juges de la majorité l'ont tenu pour
[TRADUCTION] «très utile» (aux p. 824 et 831).
la conclusion, même si la Cour a donné raison à la
requérante d'après deux des trois critères proposés.
Quand elle est saisie d'une demande présentée en
vertu de l'article 28, la Cour fédérale ne peut
procéder à un examen de la preuve en tant que tel,
à moins que les faits ne laissent voir qu'une seule
issue possible de la cause et que toute décision
contraire serait tenue pour déraisonnable. Par con-
séquent, j'accueille la demande, j'annule la déci-
sion du juge de la Cour canadienne de l'impôt
concernant les années d'imposition 1980 et 1981 et
je renvoie la question au juge de la Cour pour
jugement en conformité avec les présents motifs.
LE JUGE PRATTE: J'y souscris.
LE JUGE MAHONEY: J'y souscris.
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