A-185-86
Vincenzo Demaria (appelant)
c.
Comité régional de classement des détenus et K.
Payne (intimés)
RÉPERTORIÉ: DEMARIA c. COMITÉ RÉGIONAL DE CLASSEMENT
DES DÉTENUS
Cour d'appel, juge en chef Thurlow, juges Maho-
ney et Hugessen—Ottawa, 6 et 13 août 1986.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Certiorari
Équité en matière de procédure — Appel interjeté d'une
décision rejetant une demande de redressement par voie de
certiorari — L'appelant a été transféré d'un établissement à
sécurité moyenne à un établissement à sécurité maximale pour
avoir introduit du cyanure dans une prison — Aucun cyanure
n'a été trouvé — Le détail des allégations le concernant ne lui
a pas été transmis pour le motif que tous les renseignements
visés étaient confidentiels — Appel accueilli — L'appelant a
été traité de façon inéquitable — Lorsque l'on n'entend pas
tenir une audience, il est particulièrement important que l'avis
soit le plus détaillé possible; sinon le droit d'y répondre devient
illusoire — Il s'agit de déterminer non pas s'il existe des
motifs valables pour refuser de communiquer ces renseigne-
ments mais plutôt si les renseignements communiqués suffisent
à permettre à la personne concernée de réfuter la preuve
présentée contre elle — Règles de la Cour fédérale, C.R.C.,
chap. 663, Règle 337(2)6).
Pénitenciers — Un détenu a été transféré d'un établissement
à sécurité moyenne à un établissement à sécurité maximale
pour avoir introduit un objet interdit, à savoir du cyanure,
dans un établissement — Aucun cyanure n'a été trouvé — En
raison du caractère confidentiel des renseignements sur les-
quels les allégations étaient fondées, le détail de celles-ci ne
lui a pas été transmis — Même si les autorités sont justifiées
de ne pas divulguer des sources de renseignement confidentiel-
les, il devrait être possible de transmettre l'essentiel des ren-
seignements tout en ne dévoilant pas l'identité de l'indicateur
— La décision relative au transfèrement est annulée pour le
motif que le détenu a été traité de façon inéquitable.
AVOCATES:
Dianne L. Martin pour l'appelant.
Carolyn Kobernick pour les intimés.
PROCUREURS:
Martin, Gemmell; Associates, Toronto, pour
l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN: Appel est interjeté d'une
décision du juge en chef adjoint [(1986), 2 F.T.R.
157 (C.F. 1te inst.)] rejetant la demande de redres-
sement par voie de certiorari et de mesures ancil-
laires, présentée par l'appelant relativement à une
décision de le transférer de l'établissement de Col-
lins Bay à l'établissement de Millhaven'.
L'appelant purge une peine d'emprisonnement à
perpétuité pour meurtre. Plusieurs années s'écoule-
ront avant qu'il ne devienne admissible à une
libération conditionnelle. Après l'imposition de sa
peine en 1982, il a d'abord été emprisonné à
Millhaven, un pénitencier à sécurité maximale. En
temps voulu, sa demande de reclassement à un
niveau de sécurité moindre a été accordée, et, le 12
mars 1985, il a été transféré à Collins Bay, un
établissement à sécurité moyenne. Moins d'une
semaine plus tard, le 18 mars, il a été soupçonné
d'avoir introduit du cyanure dans la prison. 11 a été
mis en isolement en attendant la tenue d'une
enquête et il a été renvoyé à Millhaven le 2 mai
1985, après avoir été reclassé dans la catégorie
sécurité maximale. Aucune mesure disciplinaire ni
procédure criminelle n'a été prise contre lui.
Les motifs invoqués par les autorités de la prison
pour justifier leur décision de le renvoyer à Millha-
ven ont été exposés dans un [TRADUCTION] «avis
de 48 heures» en date du 9 avril 1985, signé par le
directeur de Collins Bay et remis à l'appelant. Cet
avis est ainsi libellé:
[TRADUCTION] AVIS DE 48 HEURES
1. Sachez que j'entends recommander votre transfèrement à un
établissement offrant une plus grande sécurité pour les motifs
qui suivent.
2. J'ai des motifs raisonnables et probables de croire que vous
avez introduit dans cet établissement un objet interdit, à savoir
un poison appelé cyanure.
3. Vous pouvez faire toutes les observations par écrit que vous
jugerez utiles dans un délai de deux (2) jours ouvrables; ces
observations accompagneront ma recommandation.
' La Division de première instance a tenu son audience le 14
août 1985 et rendu son jugement le 28 février 1986. Ni le
dossier ni les brefs motifs du jugement ne révèlent les raisons
d'un tel retard. Une session spéciale a été tenue au cours des
longues vacances en vue de l'audition de cet appel pour le motif
que celui-ci concernait la liberté de la personne.
Une lettre en date du 21 mai 1985 adressée à
l'appelant par l'administrateur régional des Pro
grammes des délinquants et confirmant la décision
de le transférer apporte quelques éclaircissements
sur ces motifs. Cette lettre dit:
[TRADUCTION] Le 2 mai 1985, vous avez été transféré de
l'établissement de Collins Bay à celui de Millhaven. Ce transfè-
rement était fondé, vous a-t-on dit, sur des renseignements
confidentiels qui permettaient de croire que vous aviez introduit
du cyanure dans l'établissement de Collins Bay.
Votre réponse à cette mesure a été examinée. Les circonstances
et les renseignements ayant amené votre transfèrement à un
établissement offrant une plus grande sécurité ont également
été examinés avec attention.
La décision initiale est maintenue. Si vous êtes en désaccord
avec cette décision, vous pouvez vous prévaloir de la procédure
prévue pour les griefs des détenus.
Il est constant que la décision de renvoyer l'ap-
pelant à Millhaven était justifiée si on avait des
motifs raisonnables de croire que celui-ci avait
introduit du cyanure à Collins Bay. Il est égale-
ment acquis qu'en prenant leur décision, les autori-
tés avaient l'obligation d'agir de façon équitable
envers l'appelant. La seule question qui se pose
réellement en l'espèce porte sur l'objet de cette
obligation. Cette question consiste plus particuliè-
rement à savoir si l'appelant a été suffisamment
informé des allégations formulées à son sujet et si
on lui a donné une chance équitable d'y répondre.
J'ai déjà fait mention des seuls renseignements
pertinents qui ont été communiqués par écrit à
l'appelant. Les documents contenus au dossier lais-
sent également entendre que l'appelant a été avisé
verbalement que les informations sur lesquelles les
autorités se fondaient avaient été obtenues du per
sonnel de Millhaven et de la Sûreté de l'Ontario.
On lui a également dit qu'en fait on n'avait pas
trouvé de cyanure.
L'appelant, tout comme son avocate, a tenté à
plusieurs reprises d'obtenir des détails concernant
les allégations formulées à son sujet et les rensei-
gnements sur lesquels celles-ci étaient fondées. Ces
demandes ont été refusées. Le motif donné à l'ap-
pui d'un tel refus, qui figure à l'affidavit déposé
pour le compte de l'intimé, porte
[TRADUCTION] ... que tous les renseignements obtenus par le
Service correctionnel du Canada en matière de sécurité sont
confidentiels et ne peuvent être communiqués à l'avocat d'un
détenu. (Dossier d'appel, page 53.)
Selon moi, il ne fait tout simplement aucun
doute que l'appelant n'a pas bénéficié du traite-
ment équitable auquel il avait droit. Si on exige
qu'un avis soit donné à une personne contre
laquelle on se propose d'agir, c'est pour permettre
à celle-ci d'y répondre intelligemment. Lorsque la
mesure projetée est contestée, une telle réponse
consiste habituellement soit à nier ce qui est allé-
gué soit à alléguer d'autres faits complétant le
tableau ou les deux. Lorsque, comme c'est le cas
en l'espèce, on n'entend pas tenir une audience ni
conférer à la personne en cause le droit d'être mis
directement en présence de la preuve présentée
contre elle, il est particulièrement important que
l'avis soit le plus détaillé possible; sinon le droit d'y
répondre devient tout à fait illusoire. L'espèce
illustre parfaitement de quelle façon un avis insuf-
fisant peut rendre un tel droit inopérant. On fait
savoir à l'appelant qu'il existe des motifs raisonna-
bles de croire qu'il a introduit du cyanure dans la
prison. Aucune indication ne lui est fournie sur la
nature de ces motifs. Les allégations formulées à
son sujet ne comportent aucun détail significatif.
Où? Quand? Comment? D'où provenait le poison?
Comment avait-il été obtenu? Pour quelles fins?
Quelle en était la quantité? Les allégations sont
censées être fondées sur des renseignements obte-
nus du personnel de Millhaven et de la Sûreté de
l'Ontario. Quels renseignements proviennent de
quelle source? Y a-t-il un indicateur en cause? Si
tel est le cas, quelle partie de sa déclaration
peut-on dévoiler tout en gardant son identité
secrète? La police a-t-elle poursuivi son enquête?
A-t-elle procédé à des arrestations? Les questions
s'enchaînent presque à l'infini.
Comme il était simplement allégué qu'il existait
des motifs de croire qu'il avait introduit du cya-
nure dans la prison, l'appelant était réduit à nier
les faits allégués—ce qui en soi est presque tou-
jours moins convaincant qu'une affirmation—et à
se livrer à des spéculations futiles sur la nature
réelle de la preuve présentée contre lui.
Il ne fait naturellement aucun doute que les
autorités étaient justifiées de ne pas divulguer des
sources de renseignement confidentielles. Un péni-
tencier n'est pas un établissement pour enfants de
choeur et, si certains renseignements provenaient
d'indicateurs (le dossier en l'espèce ne permet de
tirer aucune conclusion à ce sujet), il est important
que ces derniers soient protégés. Mais, même si
cela était le cas, il devrait toujours être possible de
transmettre l'essentiel des renseignements tout en
ne dévoilant pas l'identité de l'indicateur. Il
incombe toujours aux autorités d'établir qu'elles
n'ont refusé de transmettre que les renseignements
dont la non-communication était strictement
nécessaire à de telles fins. Outre son caractère
invraisemblable 2 , une affirmation générale,
comme celle en l'espèce, voulant que [TRADUC-
TION] «tous les renseignements concernant la sécu-
rité préventive» soient «confidentiels et (ne puis-
sent) être communiqués», est tout simplement trop
large pour être acceptée par un tribunal chargé de
protéger le droit d'une personne à un traitement
équitable. En dernière analyse, il s'agit de détermi-
ner non pas s'il existe des motifs valables pour
refuser de communiquer ces renseignements mais
plutôt si les renseignements communiqués suffisent
à permettre à la personne concernée de réfuter la
preuve présentée contre elle. Mais quelle que soit
la façon dont ce critère est énoncé, on n'y a pas
satisfait en l'espèce.
À mon avis, nous devrions accueillir l'appel,
annuler le jugement de première instance et pro-
noncer une ordonnance de certiorari cassant la
décision attaquée. Il n'est pas nécessaire de faire
droit aux conclusions subsidiaires de l'appelant qui
sollicite un bref de mandamus ordonnant qu'il soit
à nouveau transféré à Collins Bay.
Il reste à solutionner une difficulté technique
mineure. Dans ses motifs de jugement, le juge de
première instance a déclaré [à la page 158]:
[TRADUCTION] ... les parties conviennent que les intimés sont
désignés incorrectement dans l'intitulé de la cause. Le procu-
reur de la Couronne était disposé à consentir à une modifica
tion de l'intitulé de la cause; toutefois, à la lumière de la
décision rendue en l'espèce, aucune modification n'est requise.
[Dossier d'appel, page 71.]
Les parties n'ont présenté aucun argument rela-
tivement à cette question lors de l'audition de
l'appel. Si l'on considère qu'il est nécessaire de
modifier l'intitulé de la cause, cette modification
devrait être faite avant l'inscription du jugement
officiel. En conséquence, je prescrirais, conformé-
ment à la Règle 337(2)b) 3 , que l'appelant, après
avoir obtenu une modification de l'intitulé de la
2 Quiconque a déjà examiné un dossier que l'on dit de
«sécurité» sait qu'une grande partie des documents qui s'y
trouvent contiennent des renseignements courants pouvant faci-
lement être obtenus ailleurs.
3 Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663.
cause, si une telle modification lui est conseillée,
prépare un projet de jugement donnant effet à la
décision de la Cour et demande que ce jugement
soit prononcé.
LE JUGE EN CHEF THURLOW: Je souscris à ces
motifs.
LE JUGE MAHONEY: Je souscris à ces motifs.
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