T-218-86
Apotex Inc. (demanderesse)
c.
Procureur général du Canada et ministre de la
Santé et du Bien-être social (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: APOTEX INC. c. CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)
Division de première instance, juge Walsh—
Toronto, 3 mars; Ottawa, 6 mars 1986.
Pratique — Parties — Intervention — Qualité pour agir —
Pfizer Canada Inc. cherche à intervenir dans les procédures
visant à obtenir un bref de mandamus ordonnant la délivrance
d'un avis de conformité ou d'un jugement déclaratoire portant
qu'elle y a droit — Pfizer prétend avoir créé le médicament
piroxicam — Elle soutient que le Ministre a agi illégalement
en décidant si la demanderesse avait satisfait aux exigences
prévues à la Loi et son Règlement d'application et en acceptant
de délivrer un avis de conformité pour un produit qui serait
identique — Pfizer a tout intérêt, du point de vue économique,
à ce que la commercialisation du produit de la demanderesse
en tant que drogue générique soit retardée — Absence de
qualité pour intervenir — L'intérêt légal direct requis se
distingue de l'intérêt économique — La présumée violation
d'un droit d'auteur et une demande de contrôle judiciaire, ne
justifient pas l'intervention — Si sa requête est rejetée, Pfizer
peut continuer de vendre ses produits, la baisse éventuelle de
son chiffre d'affaires constituant seulement un intérêt écono-
mique — La requête de la demanderesse contre le Ministre ne
constitue pas le meilleur moyen d'entendre les objections que
Pfizer pourrait soulever à l'encontre de la décision du Ministre
de délivrer l'avis de conformité — Pfizer se trouve à être
l'adversaire du Ministre — La Règle 1716 requiert que l'inter-
venant soit constitué partie défenderesse — En faisant droit à
la requête, on créerait un précédent qui entraînerait une multi
tude de demandes semblables chaque fois qu'un concurrent
chercherait à obtenir un avis de conformité afin de commercia-
liser comme médicament générique un produit semblable à
celui de son auteur — Règles de la Cour fédérale, C.R.C.,
chap. 663, Règles 5, 1716(2) — Règlement sur les aliments et
drogues, C.R.C., chap. 870, art. C.08.002, C.08.004 — Loi des
aliments et drogues, S.R.C. 1970, chap. F-27 — Loi sur la
Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28 — Loi
sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10, art. 37
— Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) — Rules of
Practice, R.R.O. 1970, Reg. 545, Règle 136 — Code de
procédure civile du Québec.
Justice criminelle et pénale — Aliments et drogues —
Pfizer, qui a créé le médicament Feldene (piroxicam), soutient
que le Ministre a agi illégalement en décidant si Apotex avait
satisfait aux exigences de la Loi et son Règlement d'applica-
tion relativement à la délivrance d'un avis de conformité pour
un produit générique identique — Apotex cherche à obtenir un
bref de mandamus ordonnant la délivrance d'un avis avec effet
rétroactif — Pfizer cherche à être constituée partie aux procé-
dures — Selon Pfizer, l'avis ne devrait pas être délivré avant
que le Ministre ne procède à de nouvelles enquêtes — Un
affidavit atteste du fait que le produit d'Apotex contiendrait
des impuretés — Pfizer a intérêt, du point de vue économique,
à retarder la commercialisation du produit d'Apotex — Con-
trairement à la Loi sur les marques de commerce, la Loi des
aliments et drogues ne prévoit pas la possibilité, pour une
partie intéressée, de déposer une opposition — Le rôle du
Ministre est de protéger le public, et non les intérêts économi-
ques des concurrents ou des créateurs — Faire droit à la
demande d'intervention de Pfizer créerait un précédent qui
entraînerait une multitude de demandes semblables —
Requête en intervention rejetée — Loi des aliments et drogues,
S.R.C. 1970, chap. F-27 — Règlement sur les aliments et
drogues, C.R.C., chap. 870, art. C.08.002, C.08.004.
Pfizer Canada Inc. cherche à obtenir l'autorisation d'interve-
nir dans l'action en mandamus présentée par la demanderesse
en vue d'obtenir la délivrance d'un avis de conformité ou d'un
jugement déclaratoire portant qu'elle y a droit. Pfizer prétend
avoir créé le médicament piroxicam et soutient que le Ministre
a agi illégalement en décidant si la demanderesse avait satisfait
aux exigences prévues à la Loi des aliments et drogues et son
Règlement d'application et en acceptant de délivrer l'avis de
conformité. Pfizer a tout intérêt, du point de vue économique, à
retarder la commercialisation du produit identique de la
demanderesse en tant que drogue générique. Elle cherche à
empêcher la délivrance de l'avis de conformité.
Jugement: la requête doit être rejetée.
Il est à tout le moins douteux que Pfizer ait qualité pour
intervenir. Une partie ne saurait avoir le statut d'intervenant à
moins d'avoir un intérêt légal direct et distinct d'un intérêt
économique. Dans la cause Re Doctors Hospital and Minister
of Health et al. (1976), 68 D.L.R. (3d) 220 (H.C. Ont.),
l'approbation donnée à un hôpital de fonctionner à titre d'hôpi-
tal public a été révoquée, et on a reconnu aux médecins dont
l'établissement retenait les services, la qualité d'intervenant
dans l'action visant l'obtention d'un jugement déclarant que la
décision devait être annulée. Les médecins concernés risquaient
de perdre leur emploi, tandis que Pfizer peut continuer de
vendre ses produits, la baisse éventuelle de son chiffre d'affaires
constituant seulement un intérêt économique. Suivant les motifs
du jugement prononcés dans Solosky c. La Reine, [1978] 1
C.F. 609; (1977), 17 N.R. 92 (C.A.), un requérant doit établir
qu'il est une partie lésée et qu'il possède un intérêt patrimonial
dans l'objet de l'appel. Dans l'affaire La compagnie Rothmans
de Pall Mall Canada Limitée c. Le ministre du Revenu natio
nal (N° 1), [1976] 2 C.F. 500 (C.A.), il a été statué qu'une
personne ne devrait pas avoir le droit d'intervenir dans une
action administrative concernant un concurrent dans le seul but
de l'empêcher d'obtenir un avantage.
Bien que Pfizer ait intenté une action en violation de droit
d'auteur contre la demanderesse, cela ne justifie pas l'interven-
tion de Pfizer dans les procédures auxquelles la demanderesse
et le Ministre sont parties. Pfizer a également institué des
poursuites sur le fondement de l'article 28 de la Loi sur la Cour
fédérale contre la présumée décision du Ministre de délivrer un
avis de conformité. Entamer une action sur le fondement de
l'article 28, qui exige qu'une décision ait déjà été rendue, et
chercher en même temps à intervenir dans une requête pour
essayer d'empêcher la délivrance d'un avis de conformité, une
étape de nature administrative qui ne nécessiterait aucune autre
décision, paraît tout à fait contradictoire. Pfizer peut difficile-
ment soutenir le droit de défendre des positions contraires sur la
question. En vertu du paragraphe 28(3) de la Loi sur la Cour
fédérale, lorsque la Cour d'appel a compétence pour examiner
une ordonnance, la Division de première instance n'est pas
habilitée à connaître des procédures relatives à cette ordon-
nance. Une décision de nature administrative ne saurait être
annulée par voie d'examen judiciaire qu'en des circonstances
exceptionnelles. La preuve tendant à démontrer que le Ministre
ne s'est pas acquitté du rôle qui lui incombe est insuffisante. La
question de l'équilibre à atteindre entre le droit d'une société
pharmaceutique ayant investi beaucoup d'argent et de temps
pour mettre au point un produit, et le droit du public de pouvoir
acheter les médicaments fabriqués à un prix plus bas, ne saurait
être débattue en la présente instance.
Si on reconnaissait à Pfizer la qualité d'un intervenant, il
faudrait conclure que le Ministre ne peut représenter adéquate-
ment le titulaire d'un droit de propriété sur des produits
pharmaceutiques lorsqu'il est saisi d'une demande de licence
pour un produit générique semblable, et que, dans tous les cas
du même genre où une société pharmaceutique est titulaire de
droits de propriété sur un produit original, elle doit être consti-
tuée partie défenderesse dans toute demande que présente une
autre partie qui sollicite une licence pour un produit similaire.
La Loi ne comporte pas une telle exigence, et la Cour ne doit
pas créer une règle de droit nouvelle en appliquant une règle de
pratique de façon à exiger que cette partie soit constituée
défenderesse. En faisant droit à la demande de Pfizer, on
créerait un précédent qui entraînerait vraisemblablement une
multitude de demandes semblables presque à chaque fois où un
concurrent chercherait à obtenir un avis de conformité.
Il n'est pas opportun de permettre à Pfizer d'intervenir du
fait qu'elle se trouve à être l'adversaire du Ministre relative-
ment à la décision de celui-ci de délivrer un avis de conformité.
Les Règles de la Cour fédérale ne permettent pas à une partie
d'intervenir. Celui qui désire intervenir doit, s'il est fait droit à
sa demande, être constitué partie défenderesse, conformément à
la Règle 1716(2)b). D'autres possibilités s'offrent à Pfizer pour
demander la révision de la décision du Ministre.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Solosky c. La Reine, [1978] 1 C.F. 609; (1977), 17 N.R.
92 (C.A.); La compagnie Rothmans de Pall Mall
Canada Limitée c. Le ministre du Revenu national (N°
1), [1976] 2 C.F. 500 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Re Doctors Hospital and Minister of Health et al.
(1976), 68 D.L.R. (3d) 220 (H.C. Ont.); Re Liverpool
Taxi Owners' Association, [1972] 2 All ER 589 (C.A.);
Nova Scotia Board of Censors c. McNeil, [1976] 2
R.C.S. 265; (1975), 55 D.L.R. (3d) 632; Re Starr and
Township of Puslinch et al. (1976), 12 O.R. (2d) 40 (C.
div.); Société canadienne de la Croix-Rouge c. Simpson
Limited, [1983] 2 C.F. 372 (1fe inst.).
DÉCISION CITÉE:
Smith Kline & French Canada Ltd. c. Frank W. Horner,
Inc. (1982), 68 C.P.R. (2d) 42 (C.F. 1' inst.).
AVOCATS:
Harry B. Radomski pour la demanderesse.
Brian R. Evernden pour les défendeurs.
Jack R. Miller pour Pfizer Canada Inc.
PROCUREURS:
Goodman & Goodman, Toronto, pour la
demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour
les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE WALSH: Par requête entendue à
Toronto, le, 3 mars 1986, Pfizer Canada Inc. cher-
che à être constituée partie à l'action intentée en
l'espèce par Apotex, conformément à la Règle
1716(2) des Règles de la Cour fédérale [C.R.C.,
chap. 663] et à intervenir conformément à la
Règle 5 pour le motif qu'elle aurait dû être avisée
d'une requête qu'a présentée Apotex le 31 janvier
1986 et dont l'audition a maintenant été ajournée
au 10 mars 1986. Dans sa requête en intervention,
Pfizer Canada Inc. demande également de pouvoir
contester par écrit la déclaration d'Apotex et
requiert que l'audition de la requête d'Apotex soit
reportée afin qu'elle puisse contre-interroger les
déposants dont les affidavits ont été déposés à
l'appui de la requête.
La requête à laquelle Pfizer souhaite intervenir
est une requête en mandamus que la demanderesse
a présentée afin que lui soit délivré, conformément
au règlement C.08.004 [Règlement sur les ali-
ments et drogues, C.R.C., chap. 870] adopté en
vertu de la Loi des aliments et drogues, S.R.C.
1970, chap. F-27, un avis de conformité prenant
effet le 24 janvier 1986 relativement au produit
appelé Apo-Piroxicam, vendu en comprimés de 10
et 20 mg, ou, subsidiairement, un jugement décla-
ratoire portant que la demanderesse a droit à ce
que lui soit délivré un tel avis de conformité avec
effet rétroactif au 24 janvier 1986. Cet effet
rétroactif est important parce que la demanderesse
soutient que son produit pourrait être exclu de la
liste de médicaments génériques de l'Ontario qui
sera publiée en juillet 1986à l'intention de tous les
pharmaciens de cette province et qu'une situation
identique pourrait se produire à l'égard des dates
limites prévues dans d'autres provinces, ce qui lui
causerait des dommages considérables pour les-
quels elle a intenté une action en dommages-inté-
rêts dont fait partie la requête qui doit être enten-
due le 10 mars. Elle allègue que, à cette date, elle
avait satisfait à toutes les exigences de la Loi et de
son Règlement d'application.
Pendant l'instruction de l'action que Pfizer
Canada Inc. a intentée contre le procureur général
Canada, le ministre de la Santé nationale et du
Bien-être social et Apotex Inc., n° du greffe
T-451-86, et visant à obtenir une injonction inter-
disant au Ministre de délivrer ledit avis de confor-
mité, l'avocat représentant le Ministre et le procu-
reur général a déclaré à la Cour que ses clients
avaient l'intention de délivrer immédiatement
l'avis à moins que l'injonction provisoire demandée
ne les en empêche. Ces procédures, qui ont été
déclenchées par voie de demande d'injonction pro-
visoire ex parte, se sont déroulées à Montréal dans
l'après-midi du 27 février et ont été ajournées
jusqu'au samedi 28 février à 9 h 30, afin de per-
mettre à l'avocat représentant le procureur général
du Canada et le ministre de la Santé et du Bien-
être social et l'avocat de la défenderesse Apotex,
qui se trouvaient à Toronto, d'être présents. A
l'issue d'une audience qui a duré toute la journée,
le juge Teitelbaum a refusé d'accorder l'injonction
demandée. Il ressort des motifs de son jugement
que les arguments soulevés dans cette cause sont
essentiellement les mêmes que ceux que Pfizer
Canada Inc. a fait valoir devant moi, à Toronto,
lorsqu'elle a demandé d'intervenir dans la présente
instance. Pfizer Canada Inc., qui prétend avoir
créé le médicament Feldene (nom de commerce du
piroxicam) qu'elle fabrique et distribue et à l'égard
duquel elle détient un avis de conformité, soutient
que le Ministre a agi illégalement en décidant si
Apotex avait satisfait à toutes les exigences pré-
vues à la Loi des aliments et drogues et son
Règlement d'application et en acceptant de déli-
vrer à Apotex un avis de conformité pour un
produit qui, selon Apotex, est un produit générique
identique. Pfizer soutient que, en demandant une
injonction provisoire à si bref délai à Montréal,
elle visait à maintenir le statu quo jusqu'à ce que
sa requête en intervention dans les présentes procé-
dures se déroulant à Toronto puisse être entendue
et tranchée. Puisque l'injonction provisoire lui a
été refusée, rien n'empêche le Ministre de délivrer
l'avis de conformité, ce qu'il a indiqué vouloir
faire, et il est fort possible que l'avis de conformité
auquel Pfizer Canada Inc. s'oppose ait déjà été
délivré avant que ne soit entendue, le 10 mars à
Toronto, la requête en intervention de Pfizer
Canada Inc. Même s'il se peut que l'avis ne soit
pas rétroactif au 24 janvier 1986, comme le sou-
haite la demanderesse dans sa requête, il s'agit
manifestement d'une question dont devront débat-
tre la demanderesse et le Ministre. Ce que Pfizer
Canada Inc. demande c'est que l'avis de confor-
mité ne soit pas délivré tant que le ministre de la
Santé nationale et du Bien-être social n'aura pas
procédé à de nouvelles enquêtes et qu'Apotex
n'aura pas ajouté de renseignements à la brochure
qu'elle a soumise dans le but d'obtenir son avis de
conformité, ainsi que l'exige le règlement C.08.002
du Règlement sur les aliments et drogues. Apotex
détient une licence obligatoire de Pfizer relative-
ment au procédé de fabrication, mais Pfizer pré-
tend avoir fait beaucoup plus de recherches qu'A-
potex sur les effets secondaires indésirables du
produit et qu'en plus, le médicament générique
qu'Apotex projette de vendre pourrait contenir des
impuretés et ne serait pas complètement identique
à son produit. Un affidavit de Dane Carmichael,
son gérant du contrôle de la qualité, qui n'a été
produit que le 3 mars à Toronto pendant l'audition
de la présente requête de Pfizer, révèle que,
d'après certaines indications, le produit d'Apotex
contiendrait des impuretés non identifiées qui ne se
trouvent pas dans le produit de Pfizer et que, par
conséquent, on ne peut pas dire qu'il est non
toxique ou inhabituel. Toutefois, les résultats de
ses épreuves n'ont été présentés que le 26 février et
n'ont probablement pas encore été portés à l'atten-
tion du Ministre. Apotex soutient pour sa part que
sa brochure contient en fait plus d'avertissements
que celle de Pfizer et que cette dernière doit
modifier la sienne afin d'y ajouter ces avertisse-
ments.
Même si l'avocat de Pfizer soutient avec élo-
quence que le Ministre de la Santé nationale et du
Bien-être social se doit, avant de délivrer un avis
de conformité relativement à un nouveau médica-
ment, d'appliquer rigoureusement le Règlement
afin de protéger le public, il ne fait également pas
de doute que Pfizer a tout intérêt, du point de vue
commercial et économique, à ce que la commercia
lisation du produit identique ou à tout le moins
semblable de la demanderesse en tant que drogue
générique soit retardée le plus longtemps possible.
L'avocat de Pfizer a déclaré à l'audience que la
société qu'il représente avait également intenté
contre Apotex une action en violation de droit
d'auteur relativement à la documentation dont
celle-ci s'est servie dans sa demande et qu'elle
aurait tirée de la brochure de Pfizer. Ce n'est pas
la première fois que les tribunaux sont saisis de
cette question (voir, par exemple, Smith Kline &
French Canada Ltd. c. Frank W. Homer, Inc.
(1982), 68 C.P.R. (2d) 42 (C.F. lie inst.)). Bien
qu'il ne fasse aucun doute que Pfizer a le droit
d'intenter ces procédures, je ne vois pas en quoi la
présumée violation de son droit d'auteur par
Apotex dans l'une ou l'autre de ses présentations
au ministre de la Santé nationale et du Bien-être
social afin d'obtenir la délivrance d'un avis de
conformité pour vendre son produit concurrent en
tant que drogue générique, justifie l'intervention
de Pfizer dans les procédures entre Apotex et le
Ministre et je ne vois pas non plus comment une
intervention dans la requête de la demanderesse
serait une procédure appropriée pour trancher l'al-
légation de violation du droit d'auteur de Pfizer.
Outre les procédures d'injonction intentées à
Montréal et l'action en violation du droit d'auteur
déjà mentionnée, Pfizer Canada Inc. a institué des
poursuites sur le fondement de l'article 28 de la
Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.),
chap. 10] contre la décision présumée du Ministre
de délivrer un avis de conformité à Apotex. Enta-
mer une action sur le fondement de l'article 28, qui
exige qu'une décision ait déjà été rendue, et cher-
cher en même temps à intervenir dans la requête
de la demanderesse, dont l'audition doit avoir lieu
le 10 février à Toronto, pour essayer d'empêcher la
délivrance d'un avis de conformité me paraît tout à
fait contradictoire. Bien qu'un délai puisse s'écou-
ler entre le moment où la décision de délivrer l'avis
est rendue et celui où l'avis est effectivement déli-
vré, il semble que la seconde étape soit de nature
purement administrative et ne nécessite aucune
autre décision, et, ainsi que je l'ai déjà dit, il se
peut que l'avis ait déjà été délivré. L'avocat de
Pfizer a soutenu qu'il se peut que la Cour d'appel
décide que la décision de délivrer l'avis ne consti-
tue pas vraiment une décision lui conférant compé-
tence en vertu de l'article 28 tant que l'avis lui-
même n'aura pas été délivré, mais la distinction
entre les deux paraît ténue et Pfizer peut difficile-
ment soutenir ou revendiquer le droit de soutenir
des positions contraires sur la question. De plus, en
vertu du paragraphe 28(3) de la Loi sur la Cour
fédérale, lorsque la Cour d'appel a compétence
pour examiner et annuler une décision ou une
ordonnance, la Division de première instance n'est
pas habilitée à connaître des procédures relatives à
cette décision ou ordonnance.
De toute évidence Pfizer remue ciel et terre pour
influencer la décision du Ministre, si possible avant
que ne soit délivré l'avis de conformité. Bien que
les tribunaux aient statué dans des décisions récen-
tes rendues en application de la Charte canadienne
des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)],
décisions dont le détail n'a pas a être examiné ici,
que même une décision ministérielle est susceptible
d'être examinée si elle n'a pas été rendue de
manière équitable ou raisonnable, et qu'elle peut
certainement l'être si elle contrevient à la loi et
aux règlements, les cours ne doivent évidemment
pas examiner et annuler à la légère les décisions de
nature administrative puisque l'on ne saurait s'y
opposer ou les faire annuler par voie d'examen
judiciaire qu'en des circonstances très exception-
nelles et très inhabituelles. La partie qui sollicite
un tel examen doit posséder un intérêt juridique
évident et non un simple intérêt commercial ou
économique dans la décision.
Même si William Heessels, qui est vice-prési-
dent et directeur général de la division des produits
pharmaceutiques de Pfizer Canada Inc., expose
dans son affidavit l'intérêt de sa compagnie dans le
processus de délivrance des permis et défend sa
bonne réputation et celle de son produit, il est
indéniable que son intérêt principal est de nature
commerciale. Il est bien sûr fréquent que l'on fasse
valoir un argument d'ordre philosophique et de
principe relativement à l'équilibre à atteindre entre
le droit d'une société pharmaceutique qui a investi
beaucoup d'argent et de temps dans la recherche et
qui a ainsi réussi à mettre au point un produit utile
pour lequel elle a droit de toucher les bénéfices
provenant de la commercialisation, (d'autant plus
qu'elle doit également être indemnisée pour les
recherches infructueuses sur d'autres produits qui
ne se sont jamais rendus au stade de la commercia
lisation), et, d'autre part, le droit du public de
pouvoir acheter le médicament fabriqué par une
société de produits génériques compétitrice pour
un prix qui sera probablement beaucoup plus bas.
Cette question ne saurait toutefois être débattue
dans la présente instance. Si une société qui
demande qu'un médicament générique soit
approuvé devait à chaque fois non seulement con-
vaincre le ministre de la Santé nationale et du
Bien-être social que la délivrance d'un avis de
conformité est appropriée et ne présente aucun
danger, mais également réfuter les arguments et
les objections soulevés par le créateur du produit,
qui bien sûr ne se réjouit pas de l'arrivée d'un
produit concurrent, le ministre de la Santé natio-
nale et du Bien-être social serait placé dans une
position presque intolérable.
Bien que l'article 37 de la Loi sur les marques
de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10, dispose
expressément qu'une partie intéressée peut déposer
des oppositions à une demande d'enregistrement
d'une marque de commerce, et que le registraire
doit alors examiner ces oppositions ainsi que la
preuve soumise relativement à la demande, la Loi
des aliments et drogues ne contient pas, probable-
ment pour une raison valable, de disposition sem-
blable. Le rôle du Ministre et de son équipe d'ex-
perts techniques est d'appliquer la Loi et le
Règlement et de protéger le public, et non pas de
protéger les intérêts commerciaux et économiques
des concurrents ou même des créateurs du produit
en question. Même si, ainsi que je l'ai dit, ces
décisions ne sont pas complètement à l'abri de tout
examen, il semblerait, sans pour autant trancher
de quelque manière la question soulevée dans la
présente requête qui ne porte que sur la demande
d'intervention de Pfizer, que la preuve tendant à
démontrer que le Ministre ne s'est pas acquitté du
rôle qui lui incombe en l'espèce est, et c'est le
moins qu'on puisse dire, actuellement insuffisante.
À la page 6 des motifs de jugement qu'il a pronon-
cés dans la procédure d'injonction, n° du greffe
T-451-86 (précité), le juge Teitelbaum se réfère à
un affidavit que M. Heessels a déposé en marge de
ces procédures et dans lequel il déclare au paragra-
phe 17:
Je crois qu'une telle entente (délivrance d'un avis de confor-
mité) peut être illégale et contraire à l'intérêt public parce qu'il
se peut qu'elle ne soit pas fondée sur des données appropriées.
Le juge Teitelbaum souligne que le mot «peut» est
utilisé à deux reprises et que, selon toute appa-
rence, M. Heessels n'était pas tout à fait certain.
Au cours des plaidoiries, l'avocat de Pfizer a
déclaré qu'il avait demandé à participer ou du
moins à assister à l'interrogatoire préalable des
témoins d'Apotex relativement à leur demande
d'avis de conformité. Pfizer n'a pas été autorisée à
le faire parce qu'elle n'était pas partie à l'instance,
ce qui explique qu'elle veut maintenant intervenir.
L'avocat a toutefois déclaré que ces interrogatoires
préalables ont duré quelque vingt (20) heures, ce
qui indique certainement que les représentants du
Ministre ont examiné avec soin la demande de
certification d'Apotex.
Pour pouvoir intervenir, Pfizer devait franchir
deux obstacles. Il s'agit de déterminer en premier
lieu si elle a la qualité requise pour intervenir et,
même en supposant que oui, s'il est opportun de lui
permettre de le faire. En ce qui concerne la ques
tion de la qualité pour intervenir, l'avocat de Pfizer
a cité certaines décisions, y compris l'affaire onta-
rienne Re Doctors Hospital and Minister of
Health et al. (1976), 68 D.L.R. (3d) 220 (H.C.
Ont.). Dans cette affaire, l'hôpital était au nombre
de plusieurs hôpitaux dont l'accréditation à titre
d'hôpital public avait été révoquée aux termes
d'une décision du ministre de la Santé et du lieute-
nant-gouverneur en conseil. L'hôpital a demandé
un jugement déclarant que cette décision devait
être révoquée pour motif d'incompétence, et les
médecins employés par l'hôpital ont cherché à
intervenir. En réponse à l'argument selon lequel les
médecins se trouvaient dans une situation identi-
que à celle de l'hôpital et ne pouvaient avancer
d'arguments spécifiques à leur cas, la Cour a
déclaré, à la page 232 de la décision:
[TRADUCTION] D'autre part, d'un point de vue pratique, ils ont
un intérêt marqué et quelque peu spécial dans l'issue de ces
procédures.
On a fait référence à la décision de lord Denning
dans la cause Re Liverpool Taxi Owners' Associa
tion, [1972] 2 All ER 589 (C.A.) où la Cour a
statué que l'association des propriétaires de taxi
avait le droit de requérir la délivrance d'un bref de
prohibition et d'un bref de certiorari à titre de
[TRADUCTION] «personnes lésées» et où elle a
déclaré, à la page 595, que cette expression visait
[TRADUCTION] «toute personne dont les intérêts
peuvent être lésés par ce qui se passe», à condition
qu'elle possède un grief légitime. On a. également
cité l'arrêt de la Cour suprême Nova Scotia Board
of Censors c. McNeil, [1976] 2 R.C.S. 265;
(1975), 55 D.L.R. (3d) 632 où il a été décidé que
les faits avaient un certain rapport avec le règle-
ment de la question de la qualité pour intervenir. Il
a donc été statué dans l'arrêt Doctors Hospital
que, compte tenu des faits de l'espèce, les médecins
avaient le droit d'être entendus.
L'avocat de Pfizer a également mentionné la
cause Re Starr and Township of Puslinch et al.
(1976), 12 O.R. (2d) 40 (C. div.), une affaire
d'aménagement urbain où les parties cherchaient à
être mises en cause en vertu de la règle 136 des
règles de l'Ontario [Rules of Practice, R.R.O.
1970, Reg. 545] qui ressemble à la Règle 1716 des
Règles de la Cour fédérale. La Cour a déclaré, à
la page 42:
[TRADUCTION] Il est indéniable que les requérants ont tous
deux un intérêt commercial considérable dans l'issue de la
demande de contrôle judiciaire parce que, si elle devait être
accueillie, les deux auraient à faire face, non seulement à une
nouvelle demande de zonage, mais également à une modifica
tion du plan officiel et à toutes les conséquences qui pourraient
en découler.
et à la page 43:
[TRADUCTION] Il ne fait également pas de doute que selon une
autre interprétation toute personne dont les droits sont directe-
ment et fortement touchés par l'issue du litige est une personne
«dont la présence est nécessaire pour permettre à la cour de
statuer correctement sur toutes les questions en litige dans
l'action».
Dans la cause Société canadienne de la Croix-
Rouge c. Simpson Limited, [1983] 2 C.F. 372
(PC» inst.) qui, à l'instar de la présente cause, a pris
naissance en Ontario, le juge Mahoney, qui sié-
geait alors à la Division de première instance, a
souligné que les Règles de la Cour fédérale ne
permettent pas à une partie d'intervenir et que la
Règle 5 ne peut y remédier parce que les règles de
l'Ontario applicables sont semblables aux Règles
de la présente Cour. Il a fait remarquer que la
règle des lacunes a été invoquée surtout afin de
permettre la jonction d'intervenants dans la pro
vince de Québec où le Code de procédure civile
prévoit une telle mesure, mais que celui qui désire
intervenir devant la présente Cour doit être consti-
tué partie défenderesse conformément à la Règle
1716(2)b). Dans cette affaire, où on a permis à
Twentieth Century -Fox d'être constituée partie
défenderesse, le juge écrit, à la page 376 du
jugement:
Fox a, en l'espèce, un intérêt direct dans le litige lui-même.
La décision, si la demanderesse a gain de cause, aura des
incidences directes sur les droits et les intérêts pécuniaires de
Fox. Certes, la défenderesse va présenter une défense à l'action,
mais son intérêt dans l'affaire n'est évidemment pas compara
ble à celui de Fox. Fox ne devrait pas être obligée de défendre
ses droits par personne interposée. L'y obliger serait courir le
risque que ses intérêts ne soient pas adéquatement défendus.
Appliqué aux circonstances de l'espèce, ce principe
signifie que si on reconnaît à Pfizer le statut de
défenderesse, il faudrait conclure que, règle géné-
rale, le ministre de la Santé nationale et du Bien-
être social ne peut représenter adéquatement le
titulaire d'un droit de propriété sur des produits
pharmaceutiques lorsqu'il est saisi d'une demande
de licence pour un produit générique semblable, et
que, dans tous les cas du même genre où une
société pharmaceutique est titulaire de droits de
propriété sur un produit original, elle doit être
constituée partie défenderesse dans toute demande
que présente une autre partie qui sollicite un
permis pour un produit similaire ou concurrent.
Ainsi que je l'ai déjà déclaré, la Loi ne comporte
pas une telle exigence, et la Cour ne doit pas créer
une règle de droit nouvelle en appliquant une règle
de pratique de façon à exiger que cette partie soit
constituée défenderesse. Même si Pfizer soutient
bien sûr qu'elle ne fonde sa demande d'interven-
tion que sur les faits de la présente cause, où elle
prétend que le Ministre a mal appliqué le Règle-
ment en examinant la demande d'Apotex, on crée-
rait, en faisant droit à la demande de Pfizer, un
précédent qui entraînerait vraisemblablement une
multitude de demandes semblables presque à
chaque fois où un concurrent chercherait à obtenir
un avis de conformité afin de commercialiser
comme médicament générique un produit sembla-
ble à celui de son auteur.
Les décisions que la demanderesse a citées éta-
blissent qu'une partie ne saurait avoir le statut
d'intervenant à moins qu'elle n'ait un intérêt légal
direct et distinct d'un intérêt économique. L'avocat
de la demanderesse souligne que dans la cause
Doctors Hospital les médecins concernés ris-
quaient de perdre leur emploi tandis que dans la
présente cause Pfizer peut évidemment continuer
de vendre ses produits, la baisse éventuelle de son
chiffre d'affaires constituant seulement un intérêt
économique. On a cité une décision de la Cour
d'appel fédérale, Solosky c. La Reine, [1978] 1
C.F. 609; (1977), 17 N.R. 92, où la Criminal
Lawyers' Association of Ontario a tenté d'interve-
nir dans un appel interjeté par un détenu au sujet
du caractère confidentiel de la correspondance
échangée entre lui et son avocat. On peut lire, à la
page 611 C.F.; à la page 94 N.R. du jugement:
À mon avis, la requérante n'a pas démontré qu'elle avait
qualité pour intervenir dans cette action. Pour avoir qualité, la
requérante devrait démontrer qu'elle est une partie lésée et
qu'elle possède un intérêt patrimonial dans l'objet de l'appel.
Mention est faite, à la même page, du jugement du
juge Le Dain dans l'affaire La compagnie Roth-
mans de Pall Mall Canada Limitée c. Le ministre
du Revenu national (N° I), [1976] 2 C.F. 500
(C.A.), où il est dit, à la page 506:
Les appelantes n'ont pas de grief réel leur permettant de
contester par des poursuites judiciaires l'interprétation ...
Cette interprétation ne porte pas atteinte aux droits des appe-
lantes et ne leur impose aucune obligation légale supplémen-
taire. De même on ne peut soutenir qu'elle porte directement
atteinte à leurs intérêts.
Dans l'affaire Rothmans, la Cour a procédé à une
revue exhaustive de la jurisprudence. Le sommaire
résume en partie la décision et déclare [à la page
501]:
Une personne ne devrait pas avoir le droit d'intervenir dans une
action administrative concernant un concurrent dans le seul but
de l'empêcher d'obtenir un avantage, notamment lorsque la
personne peut librement tirer parti du même avantage. L'inté-
rêt public constitue un élément important lorsqu'on exerce le
pouvoir discrétionnaire visant à reconnaître la qualité pour agir
dans une relation de concurrence.
Ces décisions nous amènent à conclure qu'il est
à tout le moins douteux que Pfizer ait qualité pour
intervenir à titre de partie défenderesse aux pré-
sentes procédures afin qu'elle puisse s'opposer,
dans le cadre de la requête de la demanderesse, à
la délivrance effective de l'avis de conformité que
le Ministre, agissant en qualité de défendeur, pro-
jette de délivrer et pourrait en fait avoir déjà
délivré au moment où aura lieu, le 10 mars, l'audi-
tion de la requête de la demanderesse.
Quant à la seconde question, je suis venu à la
conclusion que même si Pfizer a qualité pour
intervenir, ce dont je doute sérieusement, la
requête en intervention doit être rejetée car la
requête de la demanderesse ne constitue pas le
meilleur moyen d'entendre les objections que
Pfizer souhaite soulever à l'encontre de la décision
du Ministre de délivrer l'avis de conformité. Bien
que Pfizer se trouve bien sûr à être l'adversaire de
la demanderesse Apotex, il appert qu'elle désire se
placer dans une position identique vis-à-vis le
Ministre relativement à la décision de celui-ci de
délivrer l'avis de conformité à Apotex. La décision
de ne pas permettre à Pfizer d'intervenir dans les
présentes procédures opposant la demanderesse
Apotex au Ministre ne l'empêche pas de demander
la révision de la décision du Ministre. Ce n'est pas
le rôle de la Cour de conseiller Pfizer sur les
procédures qu'elle pourrait intenter ou sur les brefs
de prérogative qu'elle pourrait utiliser. Pfizer a
déjà choisi l'un des recours possibles en engageant
des procédures fondées sur l'article 28.
En conclusion, et pour tous les motifs susmen-
tionnés, la requête présentée par Pfizer est rejetée
avec dépens.
ORDONNANCE
La requête présentée par Pfizer Canada Inc.
afin de pouvoir agir à titre d'intervenante dans les
présentes procédures est rejetée avec dépens.
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