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A-515-85
La Reine (appelante) (défenderesse)
c.
Bertram S. Miller Ltd. (intimée) (demanderesse)
RÉPERTORIE: BERTRAM S. MILLER LTD. C. R. (C.A.F.)
Cour d'appel, juges Heald, Ryan et Hugessen- Fredericton, 8 et 9 janvier; Ottawa, 19 juin 1986.
Droit constitutionnel - Charte des droits - Procédures criminelles et pénales - Fouilles, perquisitions ou saisies - Arbres infestés - Des arbres importés ont été confisqués et détruits sans mandat en vertu de la Loi sur la quarantaine des plantes - La saisie n'est pas abusive au sens de l'art. 8 de la Charte - Charte canadienne des droits et libertés, qui consti- tue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R-U.), art. 7, 8,
15, 24(1) - Loi sur la quarantaine des plantes, S.R.C. 1970, chap. P-1"3, art. 3(2), 4h), 6(1)a), 9(4),(5)b) - Règlement sur la quarantaine des plantes, DORS/76-763 (consolidé à C.R.C., chap. 1273), art. 4, 5(1), 7 (mod. par DORS/80-246), 16, 22 Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III, art. la),b), 2e) - Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23, art. 26(7) - Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23, art. 10(1),(3).
Agriculture - Arbres importés infestés de larves d'insectes - Confiscation et destruction de ces arbres sans mandat conformément à la Loi sur la quarantaine des plantes - Le droit du public à la destruction des arbres prévaut sur le droit garanti par l'art. 8 de la Charte - Existe-t-il un droit à une indemnisation? - Loi sur la quarantaine des plantes, S.R.C. 1970, chap. P-13, art. 3(2), 4h), 6(1)a), 9(4),(5)b) - Règlement sur la quarantaine des plantes, DORS/76-763 (consolidé à C.R.C., chap. 1273), art. 4, 5(1), 7 (mod. par DORS/80-246),
16, 22 - Charte canadienne des droits et libertés, qui consti- tue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7, 8, 15, 24(1).
Interprétation des lois - Loi sur la quarantaine des plantes - Confiscation et destruction d'arbres infestés en vertu de la Loi - La présomption selon laquelle le législateur n'a pas eu l'intention de prendre possession de biens légalement détenus sans verser d'indemnité confere-t-elle à l'intimée le droit de recevoir une indemnité? - Loi sur la quarantaine des plantes, S.R.C. 1970, chap. P-13, art. 3(2), 4h), 6(1)a), 9(4),(5)b) - Règlement sur la quarantaine des plantes, DORS/76-763 (consolidé à C.R.C., chap. 1273), art. 4, 5(1), 7 (mod. par DORS/80-246), 16, 22 - Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 408(1), 412(1) - Loi sur la commercialisa tion du poisson d'eau douce, S.R.C. 1970, chap. F-13 - Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N-1, art. 3(1).
L'intimée a importé des États-Unis trois lots d'arbres et d'arbustes ornementaux achetés dans trois pépinières différen- tes. Lors de l'inspection des plants, qui, conformément à l'en- tente intervenue entre les parties, a été effectuée dans les locaux de l'intimée sans qu'aucun mandat n'ait été délivré-la Loi sur la quarantaine des plantes n'en exige point-les inspecteurs du
ministère fédéral de l'Agriculture ont jugé que certains des arbres étaient infestés de larves subséquemment identifiées comme des spongieuses. Les inspecteurs ont conclu qu'il y avait des motifs raisonnables de croire que l'ensemble du chargement risquait d'être infesté ou de le devenir à brève échéance. En conséquence, ils ont confisqué les arbres et ordonné à la deman- deresse de les détruire. Celle-ci n'ayant pas obtempéré, les inspecteurs ont eux-même détruit les arbres.
Le juge de première instance, ayant conclu [[1985] 1 C.F. 72] que l'intimée avait été victime d'une fouille, d'une perquisi- tion et d'une saisie abusives qui violaient l'article 8 de la Charte, lui a accordé une indemnité pour les dommages qu'elle avait subis. L'alinéa 6(1)a) de la Loi a été déclaré inopérant dans la mesure il était incompatible avec l'article 8 de la Charte. Appel est interjeté de cette décision.
Arrêt (le juge Heald dissident): l'appel devrait être accueilli.
Le juge Ryan: La preuve présentée reliait de façon suffisante les larves identifiées comme des spongieuses à certains lots et pépinières déterminés.
L'inspection n'a pas été effectuée en vertu de l'alinéa 6(1)a) de la Loi mais en vertu de l'article 7 du Règlement. Cette «fouille ou perquisition» ou inspection n'avait rien d'abusif. L'importateur avait consenti à l'inspection, qui était une inspec tion de routine, de nature purement administrative.
La véritable question est de savoir si la confiscation et la destruction des arbres et arbustes, qui ont été effectuées en vertu du paragraphe 9(4) de la Loi, étaient abusives au sens de l'article 8 de la Charte.
Le paragraphe 9(4) confère à un inspecteur le pouvoir d'or- donner que les plantes infestées soient détruites par la personne à qui elles ont été confisquées, lequel pouvoir est assez large pour autoriser les fonctionnaires du Ministère à procéder à la destruction effective des plantes lorsque leur propriétaire fait défaut d'exécuter l'ordre donné conformément au paragraphe 9(4). L'article 22 du Règlement complète le pouvoir conféré par le paragraphe 9(4) de la Loi en ce qui a trait à la destruction ou autre disposition des plantes confisquées. La destruction des plantes mettait en jeu l'exercice d'un pouvoir ministériel fondé sur l'article 22, pouvoir qui a été délégué conformément à cet article.
La confiscation et la destruction des arbres et arbustes de l'importateur constituaient une saisie au sens donné à ce terme dans l'article 8 de la Charte, saisie qui n'était pas abusive; il s'agissait d'une étape s'inscrivant dans un processus administra- tif et ne relevant aucunement du droit criminel. Il n'est pas souhaitable d'introduire dans notre système de droit adminis- tratif l'exigence relativement peu flexible d'un mandat. En l'espèce, il existait un droit très important du public à la protection des forêts du Nouveau-Brunswick contre ce qui aurait très bien pu devenir une infestation dévastatrice.
Si le droit à la vie privée est le plus important des droits garantis par l'article 8, cet article protège également le droit que possède toute personne d'être à l'abri des saisies abusives de ses biens. En l'espèce, les inspecteurs ont agi dans une «situa- tion d'urgence»; en conséquence, ils n'étaient pas obligés d'obte- nir au préalable un mandat ou autre autorisation d'un arbitre impartial. Qui plus est, le critère prévu au paragraphe 9(4) est raisonnable: l'inspecteur doit croire, en se fondant sur des motifs raisonnables, que les plantes sont dangereuses.
L'absence d'indemnisation ne suffit pas à elle seule à rendre abusive la saisie des biens de l'importateur.
Les inspecteurs croyaient qu'il y avait danger que l'infesta- tion ne se répande; de plus, leur opinion était fondée sur des motifs raisonnables. Il est possible que les inspecteurs aient été exagérément prudents en décidant que la totalité du charge- ment devait être détruite même si un seul des lots avait été trouvé infesté. L'extrême gravité des conséquences possibles d'une «invasion» les justifiaient cependant de le faire.
L'importateur, étant une société, ne peut invoquer les alinéas la) et b) de la Déclaration des droits. De plus, dans cette situation d'urgence, l'obligation de respecter l'équité qu'impose l'alinéa 2e) aux inspecteurs n'impliquait pas qu'ils devaient accorder une audition à l'intimée. L'article 7 de la Charte n'est pas applicable puisqu'il ne garantit aucunement le droit à la sécurité des biens. L'article 15 de la Charte, qui n'était pas en vigueur au moment les événements en l'espèce sont survenus, ne peut non plus être invoqué.
La présomption voulant que le législateur n'ait pas eu l'inten- tion de dépouiller un particulier des biens qu'il détient légale- ment sans lui verser d'indemnité ne s'applique pas en l'espèce. Le libellé de la Loi en l'espèce exclut l'existence d'un droit général à indemnisation indépendant des dispositions de son paragraphe 3(2) et de son alinéa 4h), qui permettent au Ministre d'ordonner une indemnisation relativement à la des truction de certaines plantes ou autre matière.
Le juge de première instance a également commis une erreur en accordant des dommages-intérêts à l'intimée puisque les biens, au moment ils ont été détruits, avaient une valeur marchande peu élevée ou n'avaient aucune valeur en raison de leur infestation par les larves de spongieuses.
Le juge Hugessen: Nous n'avons pas le droit de modifier les conclusions de fait tirées par le juge de première instance. Le litige en l'espèce ne porte que sur une question de droit: les dispositions pertinentes de la Loi et du Règlement contrevien- nent-elles à la Charte? La conclusion du juge de première instance selon laquelle les pouvoirs d'effectuer des «fouilles, perquisitions et saisies» prévus à l'alinéa 6(1)a) de la Loi étaient incompatibles avec l'article 8 de la Charte n'était pas pertinente à l'espèce puisque l'intimée et les inspecteurs s'étaient entendus pour que le chargement soit inspecté dans les locaux de l'intimée.
Reste à savoir si des dispositions du paragraphe 9(4) de la Loi prévoyant la confiscation et la destruction des plantes sont contraires à l'article 8 de la Charte. Le paragraphe 9(4) n'est pas inopérant parce qu'il permettrait une saisie abusive. En vertu de la common law, l'action des inspecteurs n'était pas illégale puisqu'elle s'appuyait sur une croyance fondée sur des motifs raisonnables, conformément au paragraphe 9(4). En ce qui concerne la Charte, le critère servant à déterminer ce qui est «abusif» dans le cadre de l'application de son article 8 variera d'une espèce à l'autre. Toutefois, il existe clairement une certaine catégorie d'inspections reliées à la sécurité et à la santé publiques et effectuées dans des locaux industriels ou commerciaux pour les fins desquelles il est non seulement raisonnable mais essentiel à la protection du public que la fouille, la perquisition et la saisie puissent, ainsi que le prévoit le paragraphe 9(4), se faire sans mandat.
L'objet de la Loi sur la quarantaine des plantes est d'empê- cher que nos forêts et nos fermes ne soient infestées par des parasites. Normalement, les locaux inspectés seront situés à l'extérieur ou seront ouverts au public. Les plantes et les parasites faisant l'objet des perquisitions sont des biens relative- ment auxquels le droit à la vie privée ne peut raisonnablement être réclamé. La fouille et la perquisition doivent être effectuées à un moment raisonnable et la croyance de l'inspecteur doit être fondée sur des motifs raisonnables. Lorsqu'il ressort qu'une plante ou autre matière est infestée et constitue un danger, l'intérêt public exigeant sa saisie et sa destruction doit prévaloir sur les droits dont la Charte assure la protection.
La présomption voulant qu'une personne ait le droit d'être indemnisée ne s'applique pas en l'espèce: premièrement, les faits qui appuieraient une demande d'indemnisation fondée sur ce principe n'ont pas été plaidés; en second lieu, même si cette demande avait été plaidée correctement, les biens saisis ne se trouvaient pas légalement en la possession de l'intimée puis- qu'ils n'avaient pas réussi l'épreuve de l'inspection prévue par la Loi. La privation d'une possession ainsi entachée d'illégalité ne peut créer aucune présomption d'intention de compenser la perte subie.
Le juge Heald (motifs dissidents): L'appel devrait être rejeté.
Il n'est ni nécessaire ni souhaitable d'examiner la question de savoir si l'article 8 de la Charte ou l'article 7 de la Charte ou les alinéas la) et 2e) de la Déclaration des droits sont applica- bles. L'intimée a le droit d'être indemnisée sur le fondement de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Manitoba Fisheries, [1979] 1 R.C.S. 101.
Les biens détruits n'étaient pas sans valeur, ne constituaient pas un danger et n'étaient pas détenus illégalement au moment de la prise de possession. Selon la preuve—les larves n'ont été trouvées que sur 15 arbres, qui faisaient tous partie du même lot—plus de la moitié du chargement ne pouvait donner lieu à aucun soupçon. Et aucune preuve n'a révélé que le vent aurait pu transporter les larves dans les autres arbres. Il n'a pas non plus été prouvé de façon concluante que les larves de spongieu- ses examinées provenaient des arbres en question. En consé- quence, ce chargement avait une valeur réelle et effective, ne constituait pas un danger et se trouvait légalement en la possession de l'intimée.
Concernant l'économie de la Loi et du Règlement, il a été fait référence au principe énoncé par lord Atkinson dans l'af- faire Central Control Board (Liquor Traffic) v. Cannon Bre wery Co., [1919] A.C. 744 (H.L.). La question n'est pas celle de savoir si un droit général à une indemnité découle de la législation: le droit à indemnisation existe à moins que la législation pertinente n'exprime de façon claire et non équivo- que une intention contraire. Ni la Loi sur la quarantaine des plantes ni son Règlement n'exprime cette intention claire et non équivoque.
Rien n'autorise la Cour à modifier les conclusions tirées par le juge de première instance relativement à la valeur du chargement.
S'il est exact que le principe énoncé dans l'arrêt Manitoba Fisheries n'a pas été plaidé explicitement, tous les faits essen- tiels à son application l'ont été, et ces allégations suffisent en l'espèce. De plus, l'avocat de l'appelante a fait valoir son point
de vue sur la question de l'indemnisation à la fois lors du procès et devant la Cour d'appel. En conséquence, les plaidoiries en l'espèce ne sont pas déficientes.
L'intimée a seulement droit à une indemnité à titre de compensation pour la valeur des biens détruits. En supposant que l'intimée aurait droit à des dommages-intérêts en vertu soit de la Charte, soit de la Déclaration des droits, il n'y a pas lieu d'adjuger des dommages-intérêts généraux ou exemplaires en, l'espèce puisque le juge de première instance a conclu que les inspecteurs s'étaient acquittés des obligations que leur impo- saient la Loi et le Règlement.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
R. c. Harrison, [1977] 1 R.C.S. 238; R. v. Rao (1984), 12 C.C.C. (3d) 97 (C.A. Ont.); Camara v. Municipal Court of San Francisco, 387 U.S. 523 (1967); A. M. Smith & Co., Ltd. c. R., [1982] 1 C.F. 153 (C.A.); B.C. Medical Assn. v. R. in Right of B.C. (1984), 58 B.C.L.R. 361 (C.A.); Stein et autres c. «Kathy K. et autres (Le navire), [1976] 2 R.C.S. 802; Donovan v. Dewey, 452 U.S. 594 (1981); 101 S. Ct. 2534 (1981); Re Belgoma Transportation Ltd. and Director of Employment Stan dards (1985), 51 O.R. (2d) 509 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Manitoba Fisheries Ltd. c. La Reine, [1979] 1 R.C.S. 101; Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145.
DÉCISIONS CITÉES:
Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357; Attorney -General v. De Keyser's Royal Hotel, [1920] A.C. 508 (H.L.); Central Control Board (Liquor Traffic) v. Cannon Brewery Co., [1919] A.C. 744 (H.L.); R. du chef de la province de la Colombie-Britan- nique c. Tener et autre, [1985] 1 R.C.S. 533; Lever Brothers, Ltd. v. Bell, [1931] 1 K.B. 557 (C.A.); In re Vandervell's Trusts (No. 2), [1974] Ch. 269 (C.A.); Karas et al. v. Rowlett, [1944] R.C.S. 1; Dhalla v. Jodrey (1985), 16 D.L.R. (4th) 732 (C.A.N.-E.); Entick v. Carrington (1765), 19 St. Tr. 1029; 2 Wils K.B. 275; 95 E.R. 807 (K.B.); White v. Redfern (1879), 5 Q.B.D. 15; De Verteuil v. Knaggs, [1918] A.C. 557 (P.C.).
AVOCATS:
Derek H. Aylen, c.r. et A. R. Pringle pour l'appelante (défenderesse).
Mark M. Yeoman, c.r., pour l'intimée (demanderesse).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour l'appelante (défenderesse).
Yeoman, Savoie, LeBlanc & Assoc., Moncton
(Nouveau-Brunswick), pour l'intimée (demanderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD (dissident): Appel est interjeté d'un jugement de la Division de première instance [[1985] 1 C.F. 72] condamnant l'appelante à payer à l'intimée des dommages-intérêts au mon- tant de 13 439,02 $ ainsi que les dépens. L'intimée a déposé un avis portant qu'elle avait l' [TRADUC- TION] «intention de plaider que la décision de la Division de première instance devrait être modi- fiée». Si l'intimée a fait parvenir cet avis, c'est qu'elle estimait avoir droit à des dommages-inté- rêts généraux et exemplaires en sus des domma- ges-intérêts spéciaux au montant de 13 439,02 $ adjugés par le juge de première instance.
L'intimée possède et exploite une pépinière à St. Martins, au Nouveau-Brunswick. Certains des arbres et arbustes qu'elle tient dans sa pépinière sont habituellement importés des États-Unis. Les plants dont il est question en l'espèce étaient des arbres et arbustes ornementaux achetés par l'inti- mée de trois pépinières américaines différentes: Bald Hill Nurseries Inc., située à Exeter, dans le Rhode Island (Bald Hill); Cherry Hill Nurseries Inc., se trouvant à West Newbury, dans le Massa- chusetts (Cherry Hill); et Weston Nurseries, de Hopkinton, au Massachusetts (Weston). Le char- gement entier faisant l'objet du litige consistait en quelque 362 plants, dont 175 avaient été achetés de Bald Hill, 96 de Cherry Hill et 91 de Weston. Ce chargement comprenait notamment des arbres et arbustes ornementaux appartenant aux espèces suivantes: l'épinette, le pin, le chêne, le hêtre, le tilleul, l'érable, le génévrier, le rhododendron, le cotonéaster, l'azalée, et le sapin.
Donald Miller est le vice-président de l'intimée et a pour activité principale l'exploitation de cette pépinière; il a demandé et obtenu un permis d'im- portation de M. William Weiler, un agent de programme attaché au bureau de Saint John d'Agriculture Canada. Ce permis a été délivré le 13 mai 1982; il porte que le lieu de livraison aux fins d'inspection est la pépinière de l'intimée située à St. Martins, à environ 100 milles de St. Stephen, au Nouveau-Brunswick, le point d'entrée de la
frontière canado-américaine choisi par l'importa- teur. Le juge de première instance a observé la page 74] que l'inspection des marchandises dans les locaux de l'importateur plutôt qu'à la frontière était «la coutume lorsqu'il s'agit d'envois de ce genre> et procédait de «raisons pratiques à la fois pour l'importateur et pour le Ministère». Cette manière de procéder avait été suivie relativement à des importations antérieures de plants de pépiniè- res, et il est bien établi qu'en l'espèce l'importateur y a consenti. Au moment de la délivrance du permis, M. Weiler a mis Donald Miller en garde contre les spongieuses, qui faisaient des ravages en Nouvelle-Angleterre. Il a également remis à M. Miller un feuillet portant sur la spongieuse, feuillet que M. Miller a lu avant de se rendre aux États- Unis pour prendre possession du chargement en question.
Les arbres et arbustes en cause, qui ont été transportés jusqu'à St. Martins dans un camion fermé, sont arrivés à la pépinière de l'intimée le 19 mai 1982, en fin de soirée. L'inspecteur Holm, d'Agriculture Canada, s'est rendu à St. Martins et s'est présenté à la pépinière pour effectuer son inspection du chargement au cours de l'après-midi du jeudi 20 mai 1982. Il est arrivé au moment du déchargement des arbres et arbustes. Lors de son arrivée, M. Donald Miller et plusieurs autres per- sonnes examinaient un arbre en particulier. Ils ont montré à l'inspecteur Holm des larves se trouvant sur cet arbre. Ce dernier a alors inspecté une quinzaine des arbres à bois dur de plus grandes dimensions (pour la plupart, des érables à sucre et des chênes), pour constater que la plupart de ces 15 arbres portaient des larves. Sur certains des arbres examinés, il a trouvé deux ou trois larves; sur d'autres, il en a relevé entre six et huit. Les feuilles présentaient des symptômes de défoliation. Holm a également examiné certains des arbres à bois mou et quelques arbustes de dimensions plus réduites. Il a trouvé des larves sur certains des arbres à bois mou mais n'en a trouvé aucune sur les arbustes. L'inspection de Holm n'a porté que sur la partie du chargement provenant de la pépi- nière Bald Hill. Il a témoigné que, à sa connais- sance, aucune larve ne se trouvait sur les arbres provenant des deux autres pépinières. Il a égale- ment dit que, croyant que les larves en question pourraient être des malacosomes ou des spongieu- ses mais n'étant pas certain de leur identité, il a
décidé de prélever certains échantillons de celles-ci et de les emporter au bureau de Saint John pour que ses supérieurs en fassent un examen plus poussé. Il a en même temps donné à l'intimée, relativement à la partie du chargement provenant de Bald Hill, un avis de consignation ordonnant la vaporisation d'un insecticide sur tous les plants en question. L'inspecteur Holm a déclaré avoir remis ces échantillons à M. Weiler le matin du vendredi 21 mai 1982 afin que celui-ci les emporte à Frede- ricton, ils seraient identifiés de façon certaine.
M. Fred Titus, un technicien employé par le Service canadien des forêts, a témoigné qu'il avait reçu de M. Weiler certains échantillons de larves provenant de deux endroits distincts au cours de l'après-midi du 21 mai 1982. M. Titus a remis les larves en question à M. L. P. Magasi, chef de l'Étude des maladies des arbres et des insectes forestiers pour le Centre de recherches forestières des Maritimes, à Fredericton. M. Magasi a exa- miné les larves à l'aide d'un microscope. Elles ont également été examinées par M. Douglas G. Embree, le directeur de programme des Services techniques du Service canadien des forêts. Lors du procès, M. Magasi a été désigné comme un expert en entomologie. Les larves examinées par MM. Magasi et Embree provenaient des deux endroits distincts mentionnés plus haut (elles avaient été prélevées dans les locaux de l'intimée et dans ceux de la pépinière Maritime Sod Limited [ci-après appelée Maritime Sod], une concurrente de l'inti- mée située à Saint John qui, comme celle-ci, importait des arbres et arbustes de pépinière des États-Unis; la preuve versée au dossier ne révèle pas que Maritime Sod ait importé ses plants des trois pépinières ayant fait affaire avec l'intimée). M. Magasi a été incapable de dire si les larves qu'il a examinées provenaient des locaux de Mari time Sod ou de ceux de l'intimée. M. Embree a témoigné qu'il avait examiné deux larves à l'aide d'un microscope. Il a déclaré qu'elles étaient indu- bitablement des spongieuses, sans pouvoir préciser si elles avaient été prélevées sur les arbres de l'intimée ou sur ceux de Maritime Sod. MM. Magasi et Embree ont néanmoins recommandé que [TRADUCTION] «les lots atteints» soient brûlés. Un projet de mémoire rédigé et signé par M. Magasi, recommandant notamment la destruction des plants en question par le feu, a été délivré à M. Weiler le vendredi 21 mai 1982. Dans la soirée du
21 mai 1982, M. Weiler a avisé Don Miller et son père que les trois lots du chargement de l'intimée
devraient être détruits en raison de leur infestation
par des spongieuses. Plus tard au cours de cette même soirée, Harvey Holm a signé et délivré des
avis de consignation et de destruction relativement à chacun de ces trois lots. L'intimée n'a pas détruit les plants visés. Plus tard, le mardi 25 mai 1982, un dénommé A. T. Watt, fonctionnaire du minis- tère de l'Agriculture du Nouveau-Brunswick agis- sant à titre d'inspecteur conformément à la Loi sur la quarantaine des plantes, S.R.C. 1970, chap. P-13 et au Règlement [Règlement sur la quaran- taine des plantes, DORS/76-763], a avisé l'intimée par lettre délivrée par porteur que, conformément au paragraphe 9(4) de la Loi, chacun des trois lots d'arbres et arbustes de pépinière importés des États-Unis devait être brûlé. Le mardi 25 mai 1982, des employés du ministère provincial des Forêts ont, à la demande du ministère fédéral de l'Agriculture et à titre de mandataires de celui-ci, détruit tous les arbres et arbustes faisant partie du chargement en question.
Nous ne saurions terminer ce résumé des faits pertinents sans souligner les éléments suivants: les arbres et arbustes provenant de la pépinière Weston ont fait l'objet d'un certificat des autorités compétentes du Massachusetts en date du 17 mai 1982 portant qu'ils étaient [TRADUCTION] «appa- remment exempts de parasites nuisibles aux plan- tes», tandis que, à cette même date, le département américain de l'Agriculture, après un examen com- plet, les a déclarés [TRADUCTION] «essentiellement exempts de maladies et de parasites nuisibles»; le 17 mai 1982, après un examen complet, les autori- tés compétentes du Massachusetts ont délivré rela- tivement aux arbres et arbustes de la pépinière Cherry Hill un certificat portant qu'ils étaient [TRADUCTION] «essentiellement exempts de mala dies et parasites nuisibles»; quant aux arbres et arbustes de la pépinière Bald Hill, les autorités compétentes du Rhode Island, le 17 mai 1982, ont, après un examen complet, certifié qu'ils étaient [TRADUCTION] «essentiellement exempts de mala dies et parasites nuisibles».
Le juge de première instance a conclu que la destruction des biens de l'intimée était illégale et que son droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives, garanti par
l'article 8 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)], avait été violé. En conséquence, il a accordé à l'intimée une indemnité au montant de 13 439,02 $ ainsi que les dépens en application du paragraphe 24(1) de la Charte'. Les motifs qu'il énonce à l'appui de cette conclusion sont les suivants la page 83):
En l'espèce, les inspecteurs ne sont pas entrés sans autorisa- tion à la pépinière lors de leur première visite car ils y avaient été invités implicitement à la suite de l'entente par laquelle les deux parties avaient conclu que l'inspection aurait lieu à cet endroit. Je suis cependant d'avis que, entre le moment de la découverte des larves et la destruction réelle des arbres, un arbitre impartial aurait pu apprécier s'il y avait lieu ou non de saisir et de détruire les marchandises, si c'est ce qu'avait prescrit la Loi.
Il ne m'est pas possible de conclure à partir de la jurispru dence appliquée aux faits de l'espèce que les pouvoirs de fouille et de perquisition sans mandat conférés par l'alinéa 6(1)a) de la Loi sur la quarantaine des plantes sont nécessairement abusifs et qu'ils entrent inévitablement en conflit avec l'article 8 de la Charte. Il peut exister des cas d'urgence il serait impossible d'obtenir un mandat. À mon avis, cependant, l'alinéa 6(1)a) est inopérant dans la mesure il est incompatible avec l'article 8, comme dans le cas présent il n'a pas été démontré qu'il était impossible ou même difficile d'obtenir un tel mandat. Le paragraphe 52(1) de la Charte prévoit les cas de ce genre:
52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.
Étant donné les circonstances, j'estime que la destruction des biens de la demanderesse était illégale et que son droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives, garanti par l'article 8 de la Charte, a été violé.
L'avocat de l'appelante a soutenu que le juge de première instance avait commis une erreur en concluant que les faits établis en l'espèce révélaient l'existence d'une fouille ou perquisition sans mandat constituant une fouille, perquisition et saisie abusives au sens de l'article 8 de la Charte. Étant donné ma conclusion en l'espèce, il n'est ni nécessaire ni souhaitable que j'examine la question. de savoir si l'article 8 de la Charte ou, quant à cela, l'article 7 de la Charte ou les alinéas l a) et
' Le paragraphe 24(1) est ainsi libellé:
24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
2e) de la Déclaration canadienne des droits [S.R.C. 1970, Appendice III] sont applicables ainsi que le prétend l'avocat de l'intimée 2 . Consi- dérant les faits que je viens de résumer, j'ai conclu que les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Manitoba Fisheries Ltd. c. La Reine, [1979] 1 R.C.S. 101 devraient être appli- qués en l'espèce. Dans l'affaire Manitoba Fishe ries, précitée, l'entreprise appelante, depuis plu- sieurs années, achetait du poisson aux pêcheurs de différents lacs du Manitoba pour le traiter et le vendre à des clients dans les autres provinces canadiennes et aux États-Unis. Cette société et ses concurrents avaient constitué au cours des années leur propre clientèle dans un secteur devenu très compétitif. Le Parlement a édicté la Loi sur la commercialisation du poisson d'eau douce [S.R.C. 1970, chap. F-13], qui est entrée en vigueur le l er mai 1969. En vertu de cette Loi, l'intimée a conféré à son mandataire, l'Office de commercialisation du poisson d'eau douce, le droit exclusif d'exporter du poisson hors du Manitoba et des autres provinces participantes. En consé- quence, l'appelante a cesser d'exploiter son entreprise vers le ler mai 1969. La Cour suprême du Canada a jugé que la Loi en question et l'Office qu'elle établissait avaient eu pour effet de priver l'appelante de l'achalandage attaché à son entre- prise en activité et avaient retiré pratiquement toute valeur à ses biens corporels. La Cour suprême a également décidé que l'achalandage qui avait été enlevé à l'appelante constituait un bien pour la perte duquel celle-ci n'avait jamais été indemnisée. À la page 118, M. le juge Ritchie, parlant de cette prise de possession des biens de l'appelante, a dit:
Rien dans la Loi n'autorise le gouvernement à prendre posses sion d'un tel bien sans verser d'indemnité et, puisque je conclus qu'il y a effectivement eu dépossession, je dois conclure que celle-ci n'était pas autorisée ...
Le juge Ritchie a appuyé cette conclusion sur la règle bien établie énoncée par lord Atkinson dans l'affaire Attorney -General v. De Keyser's Royal Hotel, [1920] A.C. 508 (H.L.), à la page 542 dans les termes suivants:
[TRADUCTION] Pour interpréter les lois, la règle est la suivante: sauf si ses termes l'exigent, une loi ne doit pas être interprétée
Z Voir le jugement prononcé par le juge Estey dans l'affaire Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357, la p. 383.
de manière à déposséder une personne de ses biens sans indemnisation.
En l'espèce, les faits établissent que l'intimée était propriétaire du chargement d'arbres et d'ar- bustes litigieux. Il est clair que l'appelante, en brûlant ce chargement, a porté atteinte au droit de propriété de l'intimée. Il est également clair qu'au- cune indemnité n'a été offerte ou payée par l'appe- lante pour cette prise de possession.
Ainsi, de prime abord, le principe énoncé dans l'arrêt Manitoba Fisheries semblerait s'appliquer aux faits de l'espèce. L'avocat de l'appelante a toutefois opposé deux arguments à ce point de vue. Au départ, il prétend que les employés et manda- taires de l'appelante [TRADUCTION] «n'ont pas pris possession de biens de valeur mais ont fait disparaître des arbres et arbustes infestés qui cons- tituaient un danger pour tout le monde, y compris l'intimée». Il prétend également que la Loi sur la quarantaine des plantes ne prévoit pas [TRADUC- TION] «la prise de possession de biens de valeur à des fins publiques mais vise plutôt à empêcher une chose nuisible à tous de faire des ravages. Les motifs justifiant l'indemnisation dans le cadre d'une expropriation sont absents». Ces prétentions, comme, d'ailleurs, le principe énoncé dans l'arrêt Manitoba Fisheries, impliquent que le propriétaire dont les biens ont été pris les détenait légalement avant la prise de possession.
À mon avis, ces prétentions ne valent que dans la mesure est justifiée la présomption sur laquelle elles se fondent, savoir que les biens détruits étaient sans valeur ou constituaient un danger ou n'étaient pas détenus légalement au moment de la prise de possession. Mon apprécia- tion de la preuve présentée en l'espèce m'empêche de souscrire à l'une ou à l'autre de ces propositions. Des certificats en date du 17 mai 1982 délivrés par les autorités étatiques et fédérales américaines por- taient que le chargement de l'intimée était essen- tiellement ou apparemment exempt de parasites nuisibles aux plantes. Le chargement qui a été entièrement détruit par l'appelante comportait quelque 362 arbres et arbustes. Les larves trouvées ne l'ont été que sur quinze des arbres de l'intimée. Des larves ont également été découvertes sur des arbres importés des États-Unis par un des concur- rents de l'intimée dans la ville de Saint John. Un entomologiste employé par l'appelante a examiné
deux larves à l'aide d'un microscope et les a identi fiées comme des larves de spongieuses. Ni cet expert, ni quiconque n'a été capable de dire si les larves de spongieuses examinées provenaient des arbres de l'intimée ou des arbres de Maritime Sod de Saint John. De plus, les plants de pépinière importés par l'intimée provenaient de trois pépiniè- res américaines distinctes. Aucune preuve n'a établi que l'un quelconque des arbres de la pépi- nière Weston ou de la pépinière Cherry Hill conte- nait des larves. Plus de la moitié du chargement de l'intimée ne pouvait donc donner lieu à aucun soupçon à cet égard. L'on a suggéré qu'il était possible que le vent ait transporté les larves se trouvant dans les arbres de la pépinière Bald Hill dans les autres arbres. Il n'a été nullement établi en preuve que ceci s'était produit ou était suscepti ble de s'être produit. Au contraire, la preuve révé- lait que les larves se trouvant sur les arbres de la pépinière Bald Hill étaient parvenues à un stade de leur développement au cours duquel ce transport d'un arbre à l'autre était certainement très peu probable. À mon avis, la preuve a établi la possibi- lité que 15 arbres sur 362 aient été infestés par des larves de spongieuses. Si je dis que la preuve n'établit qu'une possibilité d'infestation, c'est que celle-ci ne révèle pas que les larves de spongieuses provenaient du chargement de l'intimée. En consé- quence, je conclus que ce chargement avait une valeur réelle et effective et ne constituait pas un danger. Je conclus également que lesdits biens étaient légalement en la possession de l'intimée au moment de leur destruction. L'intimée a versé 8 429,19 $ canadiens à trois pépinières américaines pour le chargement en question. Selon le témoi- gnage non contredit de Don Miller, la marge de profit ordinaire était, à l'époque, d'environ 50 %. Ainsi, la preuve a établi que la valeur totale du chargement de l'intimée au moment de sa destruc tion dépassait 13 000 $. Don Miller a également déclaré que même la défoliation des 15 arbres examinés n'était pas suffisamment grave pour entraîner une réduction de leur croissance. Il a dit: [TRADUCTION] «Je n'aurais jamais brûlé ces arbres et arbustes de pépinière ... Je ne crois tout simplement pas que de telles mesures s'impo- saient.» M. Miller était passablement versé dans de telles questions puisqu'il dirigeait l'exploitation de la pépinière depuis un bon moment et qu'il avait obtenu un B.Sc. en agriculture (son sujet d'étude principal était l'horticulture ornementale) de
l'Université de Guelph. Lors d'un contre-interroga- toire, on lui a demandé s'il aurait accepté les 15 arbres partiellement défoliés eut-il connu cet état de choses. Il a répondu: [TRADUCTION] «Je les aurais acceptés quand même puisqu'ils n'avaient pas subi de dommages suffisamment graves pour entraîner une réduction de leur croissance.» Il a ajouté qu'il aurait rejeté tout arbre dont plus de 50 pour cent des feuilles auraient été endommagées. Toutefois, il a indiqué qu'à l'exception d'un seul arbre (un hêtre pourpre), dont environ 40 % des feuilles étaient abîmées, l'arbre le plus endommagé qu'il avait observé était atteint dans environ 20 % de ses feuilles.
À l'examen de la preuve résumée ci-dessus, je suis incapable de conclure que l'appelante n'a pas dépossédé l'intimée de biens de valeur légalement détenus. Il n'existe aucune preuve au dossier qui permette de conclure que les arbres et arbustes détruits étaient sans valeur. Au contraire, la preuve révèle clairement que la plupart, sinon tous les arbres et arbustes de pépinière détruits n'étaient infestés ou contaminés d'aucune façon. Ainsi que je l'ai déjà noté, la preuve des dommages ne concerne que 15 arbres parmi les 362 arbres et arbustes. La lettre adressée à l'intimée par le laboratoire du Service canadien des forêts d'Envi- ronnement Canada, dans laquelle ce service identi- fiait l'échantillon que lui avait soumis l'intimée comme des larves de spongieuses, ne mentionnait que les plantes provenant de la pépinière Bald Hill puisque l'échantillon transmis avait été prélevé sur ce lot. De la même façon, il n'existait aucun élément de preuve permettant de conclure en se fondant sur des motifs raisonnables qu'il était un tant soit peu vraisemblable que l'infestation ou la contamination se poursuive. Pour ces motifs, je ne puis, en me fondant sur le présent dossier, sous- crire à la proposition voulant que les plants de pépinière détruits par l'appelante n'aient pas cons- titué des biens de valeur ou qu'ils aient été nuisi- bles. Puisque, selon moi, la preuve est nettement insuffisante pour établir que le chargement de l'intimée n'aurait pas entrer au Canada en raison de son infestation par des spongieuses, je conclus également que l'illégalité de la détention des biens en question par l'intimée au moment de la prise de possession n'a pas été établie. Les inférences et conclusions que j'ai tirées de la preuve non contredite en l'espèce n'entrent en
opposition avec aucune des conclusions de fait du juge de première instance. À cet égard, le juge de première instance n'a pris que les conclusions sui- vantes: (i) les inspecteurs ont exécuté leurs fonc- tions comme le leur prescrivaient la Loi et le Règlement; et (ii) ils ont discuté de la question avec des employés de l'intimée et ont rejeté la solution proposée par celle-ci parce qu'ils étaient d'avis que les larves constituaient un parasite dan- gereux et devaient être détruites immédiatement. Comme le juge de première instance a statué sur les procédures prises en vertu de la Charte sans prendre en considération le principe énoncé dans l'affaire Manitoba Fisheries, il ne lui était pas nécessaire d'examiner la question de savoir si les biens de l'intimée avaient quelque valeur au moment de leur destruction, et par conséquent il n'a été appelé à tirer aucune conclusion de fait particulière à ce sujet. De la même façon, le juge de première instance, vu la façon dont il a envisagé la question, n'a pas eu à faire les inférences que j'ai faire et qui, selon moi, découlent nécessaire- ment de la preuve.
La seconde prétention de l'appelante concernant l'applicabilité en l'espèce du principe énoncé dans l'arrêt Manitoba Fisheries se rapporte à l'écono- mie de la Loi sur la quarantaine des plantes et de son Règlement d'application. L'avocat de l'appe- lante note que le paragraphe 3(2) de la Loi auto- rise le Ministre à ordonner qu'une indemnité soit versée relativement aux plantes détruites en con- formité du Règlement. Le paragraphe 9(4) de la Loi, entre autres, autorise un inspecteur à ordon- ner que des plantes soient détruites lorsqu'il croit, en se fondant sur des motifs raisonnables, que celles-ci constituent un danger parce qu'elles pour- raient être infestées par quelque parasite. L'alinéa (5)b) de l'article 9 de la Loi habilite le gouverneur en conseil à établir des règlements «concernant la destruction ou la disposition de toute plante ou autre matière confisquée par le tribunal ou par l'inspecteur en vertu du présent article et le paie- ment de tous frais raisonnables afférents à cette destruction ou disposition". Un règlement [Règle- ment sur la quarantaine des plantes] a été édicté le 19 novembre 1976 (DORS/76-763) conformé- ment au paragraphe 9(5) de la Loi. Le paragraphe 7(6) du Règlement [tel que consolidé à C.R.C., chap. 1273] porte: «Le coût du traitement, de la destruction ou de la réexpédition de la plante ou
autre matière et les frais connexes sont payés par l'importateur.» L'avocat de l'appelante fait égale- ment référence à l'article 16 du même Règlement, qui autorise le Ministre à accorder une indemnité dont le montant ne peut dépasser 80 % de la valeur des patates détruites parce qu'infestées par le nématode doré ou la tumeur verruqueuse de la pomme de terre. L'avocat de l'appelante s'appuie donc sur les dispositions précitées de la Loi et du Règlement pour prétendre que la Loi n'envisage le versement d'une indemnité que dans certaines si tuations déterminées alors que, dans d'autres cas, le propriétaire des plantes peut être tenu d'acquit- ter le coût de leur destruction sans être indemnisé. Il soutient en se fondant sur la proposition qui précède qu'aucun droit à une indemnité ne découle des dispositions de la Loi sur la quarantaine des plantes et du Règlement. Je ne puis souscrire à cette prétention. Le jugement rendu par lord Atkinson dans l'affaire Central Control Board (Liquor Traffic) v. Cannon Brewery Co., [1919] A.C. 744 (H.L.) me paraît pertinent. Dans cette affaire, le Central Control Board (Liquor Traffic), exerçant les pouvoirs que lui conférait le Defence of the Realm (Amendment) (No. 3) Act, 1915 [5 & 6 Geo. 5, chap. 42] et les Defence of the Realm (Liquor Control) Regulations, 1915, s'est appro- prié certains locaux relativement auxquels des permis avaient été délivrés. La Chambre des lords a décidé que la Lands Clauses Consolidation Act, 1845 [8 & 9 Vict., chap. 18] établissait en faveur du propriétaire un droit à une indemnité, et donc que les possibilités qui étaient offertes à ce dernier ne se limitaient pas à la demande d'une indemnité à titre gracieux. Lord Atkinson a déclaré à la page 752:
[TRADUCTION] On n'a pas prétendu que les Règlements sus- mentionnés ne constituaient pas un excès de pouvoir; on n'a pas soutenu non plus que le principe reconnu par une jurisprudence abondante, notamment les décisions Attorney -General v. Horner ((1884), 14 Q.B.D. 245, 257), Commissioner of Public Works (Cape Colony) v. Logan ([1903] A.C. 355, 363), Wes tern Counties Ry. Co. v. Windsor and Annapolis Ry. Co. ((1882), 7 App. Cas. 178, 188), comme un canon en matière d'interprétation des lois ne s'appliquait pas au corps de législa- tion sous l'empire duquel la commission prétendait agir. Le canon est le suivant: on ne doit pas imputer au législateur l'intention de priver un citoyen d'un bien sans lui donner un droit légitime à indemnisation pour la perte de ce bien, à moins que cette intention ne soit expirée en termes non équivoques. J'ai employé intentionnellement l'expression «droit légitime à indemnisation», car je pense que cette jurisprudence établit que, en l'absence de termes non équivoques à cet effet, on ne peut limiter à une somme donnée à titre gracieux l'indemnité paya-
ble au citoyen. Je ne crois pas que le procureur général ait vraiment contesté cela. Il ne s'est pas non plus, si je l'ai bien compris, opposé au principe selon lequel, lorsque la loi autori- sant à déposséder un citoyen de son bien ou à y infliger quelque dommage ne prévoit aucun tribunal spécial chargé de fixer le montant de l'indemnité qui revient audit citoyen ou lorsque la loi ne prévoit qu'un tribunal qui n'existe plus, le citoyen peut s'adresser à la Haute Cour de Justice pour faire fixer ce montant: Bentley c. Manchester, Sheffield and Lincolnshire Ry. Co. ([1891] 3 Ch. 222). (C'est moi qui souligne.)
Dans cette affaire, l'on a soutenu que l'économie de la Loi et du Règlement permettait à la Cou- ronne de s'approprier des biens sans payer à leur propriétaire d'autre indemnité que celle qu'elle pourrait lui accorder à titre gracieux. En l'espèce, l'avocat de l'appelante soutient le même type d'ar- gument. Il prétend qu'aucun droit général à indemnisation ne découle de la Loi et du Règle- ment puisque ceux-ci prévoient une indemnisation pour la destruction de biens dans certains cas et n'en prévoient pas dans d'autres cas. Le principe énoncé par lord Atkinson dans l'extrait précité est cependant tout autre. Le canon en matière d'inter- prétation des lois auquel il fait référence dit claire- ment qu' [TRADUCTION] «on ne doit pas imputer au législateur l'intention de priver un citoyen d'un bien sans lui donner un droit légitime à indemnisa- tion pour la perte de ce bien, à moins que cette intention ne soit exprimée en termes non équivo- ques». La question n'est pas celle de savoir si un droit général à une indemnité découle de la législa- tion. Le droit à indemnisation existe à moins que la législation pertinente n'exprime de façon claire et non équivoque une intention contraire. Ni la Loi sur la quarantaine des plantes ni son Règlement ne m'apparaissent exprimer cette intention claire et non équivoque. En conséquence, pour les motifs que je viens d'énoncer, je rejette la prétention de l'avocat de l'appelante suivant laquelle la décision rendue dans l'affaire Manitoba Fisheries ne s'ap- plique pas à l'espèce. Il s'ensuit, à mon point de vue, que l'intimée a le droit d'être indemnisée pour la valeur des biens détruits. J'ajouterai, en ce qui regarde l'arrêt Manitoba Fisheries, que la Cour suprême du Canada a récemment réaffirmé le principe qu'il énonce dans la décision qu'elle a prononcée dans l'affaire R. du chef de la province de la Colombie-Britannique c, Tener et autre, [1985] 1 R.C.S. 533, aux pages 563 et 564 des motifs du juge Estey et à la page 551 des motifs du juge Wilson.
En ce qui concerne la valeur des biens saisis, j'ai mentionné plus haut le témoignage de Donald Miller, qui plaçait le coût des plants à 8 429,19 $ canadiens. Il a également déposé que la marge de profit ordinaire était d'environ 50 % à l'époque pertinente. Ainsi a-t-il établi que la valeur des biens détruits était de 13 073,50 $. Le juge de première instance a accepté ce montant. L'appe- lante n'a présenté aucune preuve visant à contester ou à modifier cette somme. En conséquence, je suis d'avis que le juge de première instance a eu raison d'admettre l'évaluation de M. Miller et que, dans les circonstances, rien n'autorise la Cour à en modifier le montant.
La transcription des plaidoiries faites par les avocats lors du procès révèle que tous deux ont discuté de l'arrêt Manitoba Fisheries et fait des observations au juge de première instance relative- ment à l'applicabilité à la présente espèce des principes énoncés dans cette affaire. Le juge de première instance, ni dans ses motifs ni dans sa conclusion, n'a fait aucune référence à cette déci- sion ou au principe qu'elle établissait. Devant cette Cour, les avocats ont discuté du principe énoncé dans l'arrêt Manitoba Fisheries aussi bien dans leur exposé des points d'argument que dans leur plaidoirie. Bien que l'avocat de l'appelante n'ait pas mis en doute le caractère suffisant des plaidoi- ries de l'intimée, je traiterai tout de même briève- ment de cette question puisque le motif pour lequel j'ai conclu que l'intimée devait avoir gain de cause n'a pas été plaidé de façon particulière. La Règle 408(1) [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] est ainsi libellée:
Règle 408. (I) Chaque plaidoirie doit obligatoirement contenir un exposé précis des faits essentiels sur lesquels se fonde la partie qui plaide.
La Règle 412(1) porte:
Règle 412. (1) Une partie peut, par sa plaidoirie, soulever tout point de droit.
En conséquence, il semble clair qu'une plaidoirie doit contenir tous les faits essentiels sur lesquels est fondée la demande mais que les conclusions de droit, si elles peuvent y être comprises, n'ont pas à être plaidées. La question initiale qui doit se poser est donc celle de savoir si tous les faits essentiels à l'établissement d'une demande fondée sur le prin- cipe énoncé dans l'arrêt Manitoba Fisheries ont été plaidés dans la déclaration. Je suis d'avis que, à
cet égard, les faits suivants doivent avoir été plaidés:
a) l'intimée était propriétaire des biens en question;
b) il y a eu prise de possession de ces biens;
c) aucune indemnité n'a été versée pour com- penser cette prise de possession; et
d) les autorités ayant effectué cette prise de possession étaient habilitées à le faire.
À la lecture de la déclaration en l'espèce, je suis convaincu que tous les faits essentiels énumérés ci-dessus ont été plaidés. Les paragraphes 7 et 8 font état d'un droit de propriété sur des biens et allèguent la dépossession de son détenteur. Alors que le paragraphe 13 allègue implicitement qu'au- cune compensation n'a été versée, les paragraphes 4 et 9 plaident les faits relatifs à l'autorité en vertu de laquelle les biens ont été confisqués. Sur le fondement de ces motifs, je conclus que les faits qui devaient être allégués ont été suffisamment plaidés. Une telle conclusion ne suffit toutefois pas nécessairement à trancher cette question lors- qu'une partie soulève des points de droit conformé- ment à la Règle 412(1), comme l'intimée l'a fait en l'espèce. Dans sa déclaration, l'intimée a tiré les trois conclusions de droit suivantes: il y a eu violation de propriété (au paragraphe 8); la Charte n'a pas été respectée (au paragraphe 10); et l'on a contrevenu à la Déclaration canadienne des droits (au paragraphe 11). Ainsi que je l'ai déjà men- tionné, l'avocat de l'intimée a fait référence à l'arrêt Manitoba Fisheries dans la plaidoirie qu'il a présentée au procès. La lecture des pages 539 à 543 du Vol. II de la transcription me convainc toutefois qu'il s'est appuyé sur cet arrêt dans le cadre de ses prétentions fondées sur différentes dispositions de la Charte. Or, dans les présents motifs, j'ai conclu que l'intimée a droit d'être indemnisée en vertu du principe établi dans l'af- faire Manitoba Fisheries, mise à part toute consi- dération ayant trait à la Charte. En conséquence, l'on peut se demander si l'appelante s'est vue accorder la possibilité de traiter et a effectivement traité du principe énoncé dans l'arrêt Manitoba Fisheries autrement qu'en regard des questions relatives à la Charte soulevées par l'intimée. La transcription de la plaidoirie présentée par l'avocat de l'appelante lors du procès apporte une réponse claire à cette question. À la page 580 du Vol. IV, ce dernier affirme:
[TRADUCTION] Votre Seigneurie, je soutiens que, une fois vidées les questions de fait reliées à l'article 9, le problème fondamental qui se pose dans la présente affaire—mon confrère en a d'ailleurs parlé lorsqu'il a traité de cet article—n'est ni celui de la validité des fouilles, perquisitions et saisies en regard de la Charte des droits, ni celui que pose l'alinéa la) de la Déclaration des droits; la question fondamentale sur laquelle porte l'espèce concerne la présomption d'indemnisation issue de la common law, présomption dont mon confrère a parlé ...
Ensuite, aux pages 581 583, l'avocat de l'appe-
lante a traité de l'arrêt Manitoba Fisheries, fait mention de l'économie de la Loi et du Règlement et fait valoir devant le juge de première instance des arguments semblables à ceux qu'il nous a présentés à l'encontre de l'application du principe énoncé dans l'arrêt Manitoba Fisheries. En consé- quence, je suis convaincu que l'avocat de l'appe- lante a fait valoir son point de vue sur l'applicabi- lité du principe énoncé dans l'arrêt Manitoba Fisheries, ou de la [TRADUCTION] «présomption d'indemnisation issue de la common law», pour employer ses propres termes, à la fois lors du procès et devant la Cour d'appel. Dans ces circons- tances, gardant à l'esprit le principe selon lequel il n'est pas obligatoire, selon nos Règles, de plaider les conclusions de droit, j'ai conclu que les plaidoi- ries en l'espèce ne sont pas déficientes. Ce point de vue trouve un appui dans les motifs prononcés par le lord juge Scrutton dans l'affaire Lever Brothers, Ltd. v. Bell, [1931] 1 K.B. 557 (C.A.), aux pages 582 et 583, il est dit:
[TRADUCTION] Selon mon opinion, les tribunaux ont eu pour pratique d'examiner les conséquences juridiques des faits plai dés et de statuer en droit sur ceux-ci même si les conclusions juridiques particulières alléguées n'étaient pas mentionnées dans les plaidoiries, sauf lorsque l'appréciation de la justesse des conséquences juridiques alléguées exigerait l'examen de faits nouveaux et litigieux n'ayant pas été examinés lors du procès.
Ce point de vue trouve également un appui dans le jugement rendu par lord Denning dans l'affaire In re Vandervell's Trusts (No. 2), [ 1974] Ch. 269 (C.A.), aux pages 321 et 322, dans lequel celui-ci a dit:
[TRADUCTION] Il suffit que le plaideur énonce les faits impor- tants. Il n'est pas tenu d'indiquer les conséqences juridiques. S'il le fait pour fins de commodité, il n'est pas lié ni limité par ce qu'il a déclaré. Il peut exposer, à titre d'argument, toute conséquence juridique qui découle des faits.
Pour tous les motifs qui précèdent, j'ai conclu que l'intimée a droit à une indemnité au montant de 13 073,50 $ à titre de compensation pour la valeur
des biens détruits. Le juge de première instance a adjugé à l'intimée la somme de 13 439,02 $. A la somme de 13 073,50 $, qui représente la valeur des biens détruits, il a ajouté le coût de la location d'un vaporisateur, c'est-à-dire 108 5, les honoraires d'un courtier, s'élevant à 165 $, et les frais d'interur- bains, qui atteignaient 92,52 $. Ces postes pou- vant, selon moi, être considérés comme accessoires à celui de la valeur des biens de l'intimée, je ne modifierais pas le montant de l'indemnité accordée par le juge de première instance.
La seule question sur laquelle il reste à statuer est l'appel incident qu'a interjeté l'intimée pour obtenir que des dommages-intérêts généraux et exemplaires soient ajoutés aux dommages-intérêts spéciaux accordés par le juge de première instance. Je répèterai que l'intimée a le droit d'être indemni- sée pour la destruction de ses biens. Le montant accordé dans de telles circonstances s'apprécie au moyen de l'évaluation des biens détruits et non en fonction des dommages que la personne lésée a pu subir. Toutefois, en supposant sans en décider que l'intimée aurait droit à des dommages-intérêts en vertu soit de la Charte, soit de la Déclaration des droits, je ne suis pas d'avis qu'il y ait lieu d'adjuger des dommages-intérêts généraux ou exemplaires puisque le juge de première instance a tiré la conclusion de fait suivante (aux pages 75 et 76): «Je suis tout à fait convaincu que les inspecteurs se sont acquittés des obligations que leur imposent la Loi sur la quarantaine des plantes et le Règlement 3 .»
Pour tous les motifs qui précèdent, je rejetterais l'appel avec dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE RYAN: Appel est interjeté d'un juge- ment de la Division de première instance qui a accordé une indemnité à l'intimée, Bertram S. Miller Ltd. ([TRADUCTION] «l'importateur»), au
3 Au sujet de la question des dommages-intérêts généraux, examiner la présente affaire en la rapprochant de l'arrêt Karas et al. v. Rowlett, [1944] R.C.S. 1, à la p. 10.
Concernant la question des dommages exemplaires, voir: Dhalla v. Jodrey (1985), 16 D.L.R. (4th) 732 (C.A.N: É.), à la p. 739.
motif que son droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives, garanti par l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés («la Charte») avait été violé.
L'importateur avait fait venir au Canada des arbres et des arbustes ornementaux qu'il avait achetés de trois pépinières américaines, dont une était située au Rhode Island et les deux autres au Massachusetts. Les inspecteurs du ministère de l'Agriculture, exerçant les pouvoirs que leur con- fère le paragraphe 9(4) de la Loi sur la quaran- taine des plantes («la Loi»), ont confisqué et détruit ces arbres et arbustes. Le paragraphe 9(4) autorise un inspecteur à confisquer des plantes ou autres matières et à ordonner leur destruction lorsqu'il croit, en se fondant sur des motifs raison- nables, que ces plantes constituent un danger parce qu'elles sont ou pourraient être infestées par un parasite.
Le juge de première instance était apparemment d'avis que la décision de confisquer et de détruire les arbres et arbustes avait été prise à la suite d'une «fouille ou perquisition» effectuée par les inspecteurs du ministère de l'Agriculture confor- mément à l'alinéa 6(1)a) de la Loi, qui est ainsi libellé:
6. (1) Un inspecteur peut, à tout moment raisonnable,
a) entrer dans tout lieu ou local dans lesquels il a des raisons de croire qu'il y a un parasite ou une plante ou autre matière auxquels s'applique la présente loi, et il peut ouvrir tout récipient ou colis qui s'y trouve ou examiner toute chose qui s'y trouve lorsqu'il a des raisons de croire qu'ils contiennent un tel parasite ou une telle plante ou autre matière, et en prélever des échantillons ...
Les inspecteurs ont effectué la recherche sans avoir, au préalable, obtenu de mandat. Le juge de première instance a été d'avis que le pouvoir prévu à l'alinéa 6(1)a) d'effectuer une fouille ou perqui- sition sans mandat n'était pas nécessairement abusif. Il a déclaré qu'il pouvait exister des cas d'urgence il serait impossible d'obtenir un mandat. Il était cependant d'avis que l'alinéa en question était inopérant dans la mesure il était incompatible avec l'article 8 de la Charte. Il a conclu qu'il y avait incompatibilité dans le présent cas puisqu'il n'avait pas été démontré qu'il était impossible d'obtenir un mandat.
L'appelante, la Couronne, a fondé son appel sur l'argument selon lequel le juge de première ins-
tance a commis une erreur en concluant que la fouille et la perquisition avaient été effectuées sans mandat et que, en conséquence, il y avait eu fouille, perquisition et saisie abusives au sens de l'article 8 de la Charte. C'est sur cette question que porte essentiellement l'appel en l'espèce.
Une décision portant que les droits garantis à l'importateur par l'article 8 de la Charte n'ont pas été violés pourrait toutefois donner lieu à une nouvelle question, celle de savoir si l'importateur aurait néanmoins le droit d'être indemnisé en application du principe énoncé dans l'arrêt Mani- toba Fisheries Ltd. c. La Reine, [1979] 1 R.C.S. 101, suivant lequel une personne dépossédée de ses biens par la Couronne dans l'exercice d'un pouvoir conféré par une loi a droit à une indemnité à moins que cette loi n'indique clairement une intention contraire.
Dans ses motifs, le juge Heald a exposé les faits de la présente affaire. Je soulignerai uniquement ceux de ces faits qui sont nécessaires à mes motifs. Il pourra arriver à l'occasion que je mentionne certains faits qui ne figurent pas dans son exposé.
L'importateur a transporté au Canada les trois lots d'arbres et d'arbustes litigieux en un seul chargement. Il avait obtenu un permis d'importa- tion pour chacun de ceux-ci. Il appert que ces permis ont été délivrés conformément à l'article 4 du Règlement sur la quarantaine des plantes («le Règlement»).
Le paragraphe 5(1) du Règlement porte que:
5. (1) Sous réserve des conditions établies aux articles 6, 7 et 9, une plante ou autre matière susceptible d'être infestée de parasites peut être introduite au Canada si
a) un permis en autorise l'introduction; et si
b) elle est accompagnée d'un certificat sanitaire.
Les arbres et arbustes étaient accompagnés des certificats sanitaires requis.
Une formule d'«autorisation de libération» a été délivrée relativement à chacun des trois lots. Les formules indiquaient que le chargement serait ins pecté à destination, c'est-à-dire à l'adresse de l'im- portateur à St. Martins, au Nouveau-Brunswick. Les formules ont été signées par M. Holm, un inspecteur du ministère de l'Agriculture de Saint John. Ainsi que le dit le juge Heald, l'importateur a acquiescé à cette manière de procéder. Je pré-
sume que l'objet de l'autorisation de libération était de permettre au chargement de traverser le point d'entrée sans subir d'examen.
Les trois lots ont été délivrés à St. Martins au cours de la soirée du mercredi 19 mars 1982. Je suppose que l'introduction des lots au Canada a eu lieu conformément à l'article 5 du Règlement. Cette introduction était donc sujette aux condi tions énoncées à l'article 7 de ce même Règlement [mod. par DORS/80-246], qui prévoit notamment que:
7. (1) Pour déterminer si elles sont infestées, les plantes ou autres matières introduites au Canada selon l'article 5 doivent être examinées par un inspecteur à leur point d'entrée au Canada ou à un endroit au Canada précisé par écrit par un inspecteur.
(1.1) Les plantes ou autres matières admises au Canada selon l'article 5 ne peuvent être introduites qu'aux points d'entrée suivants:
h) Saint-Jean (Nouveau-Brunswick);
(2) Lorsqu'un endroit a été précisé par écrit par un inspec- teur selon le paragraphe (1), il est interdit
a) de déplacer la plante ou autre matière vers un endroit non spécifié; ou
b) d'ouvrir le contenant ou l'emballage de la plante ou autre matière, sans le consentement de l'inspecteur.
(3) Lorsque, à la suite de l'examen visé au paragraphe (1), l'inspecteur décide qu'un traitement est nécessaire pour s'assu- rer qu'elle n'est pas infestée, la plante ou autre matière est traitée tel qu'il l'exige, puis réexaminée.
(4) Si, à la suite de l'inspection visée aux paragraphes (1) ou (3), l'inspecteur décide que la plante ou autre matière n'est pas infestée, il délivre à son importateur un certificat stipulant qu'elle a été examinée et qu'elle ne semble pas infestée.
(5) S'il semble à un inspecteur qu'une plante ou autre matière inspectée selon les paragraphes (1) ou (3) ne peut pas être traitée dans la mesure nécessaire pour s'assurer qu'elle n'est pas infestée, elle est réexpédiée à son lieu d'origine ou détruite.
(6) Le coût du traitement, de la destruction ou de la réexpé- dition de la plante ou autre matière et les frais connexes sont payés par l'importateur.
Au cours de l'après-midi du jeudi 20 mai, M. Holm, l'inspecteur qui avait signé les formules d'autorisation de libération, a inspecté le charge- ment. Je présume qu'il s'agissait de l'examen par un inspecteur requis par le paragraphe 7(1) du
Règlement. Au cours de son inspection, M. Holm a ordonné à l'importateur de vaporiser un insecti cide sur toutes les plantes de la pépinière Bald Hill, du Rhode Island. Je suppose que cet ordre a été donné conformément au paragraphe 7(3) du Règlement. M. Holm a également prélevé des échantillons des larves qu'il a trouvées dans ce lot, échantillons qu'il a emportés à Saint John, à des fins d'examen plus poussé. Il a pris ces mesures parce qu'il n'avait pu identifier avec certitude les larves en question. Ces échantillons, de même que des échantillons prélevés à Saint John sur les plantes de Maritime Sod, une autre pépinière, ont été emportés à Frederiction par M. Weiler, le supérieur hiérarchique pour Saint John de M. Holm, pour être identifiés.
Mon appréciation de la preuve et celle de M. le juge Heald divergent à ce point-ci. M. le juge Heald est d'avis qu'il n'existe aucune preuve con- vaincante établissant que l'une quelconque des larves emportées à Fredericton et subséquemment identifiées comme des spongieuses était de celles qui avaient été prélevées par M. Holm de la pépinière de l'importateur située à St. Martins. Avec déférence pour le point de vue de mon collè- gue, mon interprétation de la preuve diffère passa- blement de la sienne.
M. Weiler a emporté deux fioles ou ampoules à Fredericton; l'une contenait des larves prélevées à la pépinière de l'importateur, l'autre des larves en provenance d'une pépinière de Saint John. Il a été dit que la preuve n'établissait pas que les larves contenues dans l'une ou l'autre fiole ont été exami nées séparément et identifiées comme des spon- gieuses. Dans l'hypothèse les larves examinées n'appartenaient qu'à une seule fiole, l'on ne peut avec certitude inférer de la preuve que celles-ci provenaient de la pépinière de l'importateur. Si les larves des deux fioles ont été mélangées avant l'examen, l'on ne peut affirmer au sujet d'aucune des larves particulières identifiées comme des spongieuses qu'elle a été prise à la pépinière de l'importateur. Malheureusement, la preuve n'est pas claire sur la question de savoir si les larves, après avoir été immergées dans l'alcool (elles l'ont toutes été avant d'être examinées), ont été repla cées dans leur fiole d'origine ou, au contraire, ont été mélangées.
M. Embree, un expert qui, avec d'autres person- nes, a examiné les larves, était directeur de pro gramme pour les Services techniques du Service canadien des forêts. Il a identifié les larves qui lui ont été transmises pour être examinées comme des larves de spongieuses. Il a examiné deux des larves à l'aide d'un microscope et les a identifiées comme des larves de spongieuses. S'il s'était limité à cela, il est certain que son identification serait suspecte. Ce n'est cependant pas le cas, puisqu'il a aussi examiné d'autres larves en appliquant un système de classification fondé sur des critères d'identifica- tion. Il a témoigné que toutes les larves qu'il a examinées étaient des larves de spongieuses. En contre-interrogatoire, il a affirmé catégoriquement qu'il n'était pas nécessaire d'examiner chacune des larves en particulier à l'aide d'un microscope pour effectuer une identification fiable. Dans ces cir- constances, il m'apparaît probable qu'au moins une partie des larves qu'il a identifiées comme des spongieuses provenait de la pépinière de l'importa- teur située à St. Martins. Il me semble que ce scientifique, appelé à contribuer à l'identification de toutes les larves qui lui étaient soumises et à donner une opinion d'expert, ne les aurait pas identifiées comme telles à moins d'avoir été raison- nablement convaincu que tous les spécimens cons- tituaient des larves de spongieuses.
Outre le témoignage d'expert de M. Embree, il existait une preuve distincte de l'appartenance des larves trouvées dans le lot de Bald Hill à la catégorie des larves de spongieuses. M. Donald Miller, qui dirigeait en fait l'exploitation de la pépinière, a lui-même transmis différents spéci- mens aux autorités provinciales, qui ont conclu que ces spécimens étaient des spongieuses. En fait, l'intimé lui-même a admis dans son exposé des faits et du droit que les larves trouvées dans le lot de Bald Hill étaient des larves de spongieuses.
Je poursuivrai à présent ma propre étude de la preuve. Les larves ont également été examinées à Fredericton par M. L. P. Magasi, le chef de l'Étude des maladies des arbres et des insectes forestiers du Centre de recherches forestières des Maritimes, situé à Fredericton. Après que les larves eurent été identifiées comme des spongieu- ses, M. Magasi a rédigé un rapport recommandant qu'elles soient brûlées. Ce rapport a été montré à M. Weiler le vendredi 21 mai 1982. Plus tard dans
l'après-midi, MM. Weiler, Wayne Parker et Andrew Watt ont conféré (apparemment par télé- phone) et décidé, en se fondant au moins en partie sur le rapport prémentionné, que les arbres et arbustes devaient être détruits. Le bureau de M. Parker se trouvait à Fredericton. Il était le direc- teur régional pour le Nouveau-Brunswick de la Direction de l'inspection agricole du ministère de l'Agriculture. M. Watt était responsable de pro gramme pour la Direction de la production et de l'inspection des végétaux. Son bureau était situé à Moncton. MM. Parker et Watt travaillaient sous la supervision de la même personne. MM. Weiler, Parker et Watt étaient inspecteurs.
Dans la soirée du vendredi 21 mai, M. Weiler (qui était retourné à Saint John) et M. Holm se sont rendus à St. Martins. M. Holm a placé une étiquette de consignation sur un des arbres afin de consigner le chargement dans son entier. MM. Holm et Weiler ont vu M. Bertram Miller, qui était président de la société importatrice, ainsi que son fils Donald Miller qui en était le vice-prési- dent.
M. Holm a signé trois documents intitulés «Avis de refus d'entrée», un pour chacun des lots qu'il avait examinés conformément à l'article 7 des Règlements. Chacun de ces avis était adressé à l'importateur et portait ce qui suit:
Conformément aux termes de la loi et du règlement sur la Quarantaine des plantes nous vous informons que l'introduction au Canada des plantes ou des articles connexes décrits plus loin est interdite. Ils doivent donc être retournés à l'expéditeur ou détruits sous la supervision d'un inspecteur.
Chaque avis décrivait le lot en question et excipait de l' [TRADUCTION] «infestation par les spongieu- ses» comme motif de refus. Ces avis ont été trans- mis aux Miller.
M. Holm a également signé un document inti- tulé «avis de consignation». Cet avis était égale- ment adressé à l'importateur. Les phrases suivan- tes y figuraient:
Aux termes de la Loi sur la quarantaine des plantes, nous désirons vous informer que le contenu de l'envoi indiqué ci-des- sous a été mis en consignation pour être soumis aux traitements ou mesures suivants:
Description de la plante ou autre matière, location, raison de la saisie.
La description des plantes ou autres matières sai- sies que contient l'avis de consignation relatif au lot de la pépinière Bald Hill est ainsi libellée:
[TRADUCTION] Tous les plants en provenance de Bald Hill Nurseries à Exter (R.I.) visés par le certificat phytosanitaire 0079 et se trouvant sur la propriété de Bertram S. Miller, de St. Martins, doivent être détruits sur place; un insecticide doit être vaporisé dans la zone environnante.
Ces avis ont également été remis aux Miller.
Le week-end du 21 mai était un long week-end; l'importateur n'a pas détruit les arbres et les arbustes en question. Le mardi 25 mai, M. Watt s'est rendu à Saint John. Il a rédigé et signé une lettre. Celle-ci était datée du 25 mai 1982 et adressée à Bertram S. Miller Ltd. Cette lettre disait notamment:
[TRADUCTION] La présente est pour vous informer qu'il s'est avéré que le chargement d'arbres et d'arbustes provenant des pépinières sousmentionnées, que vous avez importé par camion le 19 mai 1982, est infesté de larves de spongieuses (Lymantria dispar).
La lettre, après avoir identifié les lots, ajoute:
[TRADUCTION] Les arbres et arbustes prémentionnés doivent être brûlés et les zones qui les environnent vaporisées. Le brûlage et la vaporisation seront effectués par le personnel du ministère des Ressources naturelles du Nouveau-Brunswick conformément à la Loi et au Règlement sur la quarantaine des plantes, dont l'application relève d'Agriculture Canada.
Le brûlage et la vaporisation sont effectués en vertu de l'art. 9(4) de la Loi sur la quarantaine des plantes, des articles 7, 14, 15, 21, 22 et 25 (1) à (3) du Règlement sur la quarantaine des plantes et de l'article 2 du Règlement d'urgence sur l'infesta- tion des plantes, dont l'application relève d'Agriculture Canada. Des copies de ces articles et paragraphes sont jointes à la présente lettre.
MM. Watt et Parker ont alors emporté la lettre à St. Martins. M. Watt l'a personnellement signi- fiée à l'importateur. Les arbres et arbustes ont été brûlés au cours de l'après-midi du 25 mai par des fonctionnaires du ministère provincial des Forêts agissant à titre de mandataires du ministère fédé- ral de l'Agriculture.
J'en reviens aux avis signés par M. Holm et signifiés dans la soirée du vendredi 21 mai. M. Holm était, on s'en souvient, l'inspecteur ayant effectué l'inspection prévue à l'article 7 du Règle- ment. Au moment M. Holm a délivré l'avis de refus d'entrée à l'importateur, l'inspection visée à l'article 7, à laquelle l'importateur avait consenti, était en fait complétée. Il est clair que les Miller
n'ont pas acquiescé à l'ordre de destruction qui leur a été signifié à la même occasion. Ils ont insisté pour qu'il leur soit permis de retourner les arbres et arbustes à leur lieu d'origine. La formule d'avis de refus d'entrée semblait leur offrir cette possibilité.
Selon mon interprétation du dossier, M. Holm n'a pas effectué son inspection des arbres et arbus- tes en vertu de l'alinéa 6(1)a) de la Loi. Il s'est fondé sur l'article 7 du Règlement. Je ne vois rien d'abusif dans cette inspection ou dans cette «fouille ou perquisition». L'importateur avait consenti à l'inspection, mais même si cela n'avait pas été le cas, il s'agissait d'une inspection de routine effec- tuée en liaison avec l'importation au Canada des arbres et arbustes ornementaux. Elle était de nature purement administrative et, dans ces cir- constances particulières, ne laisse aucunement croire qu'il ait pu y avoir «fouille ou perquisition» abusives.
La question réellement soulevée en l'espèce, en ce qui a trait à l'article 8 de la Charte, est celle de savoir si la confiscation et la destruction des arbres et arbustes, qui semblaient effectuées en vertu du paragraphe 9(4) de la Loi, constituaient une saisie abusive.
L'article 8 de la Charte est ainsi libellé:
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.
Cet article protège à la fois des fouilles et perquisitions abusives et des saisies abusives.
Il me semble clair que les inspecteurs se sont fondés sur le paragraphe 9(4) de la Loi pour ordonner la destruction des arbres et arbustes.
Les paragraphes 9(4) et 9(5) de la Loi portent notamment:
9....
(4) Chaque fois qu'un inspecteur croit, en se fondant sur des motifs raisonnables, qu'une plante ou autre matière constitue un danger parce qu'elle est ou pourrait être infestée par un parasite ou qu'elle constitue un obstacle biologique à la lutte contre un parasite, il peut confisquer cette plante ou autre matière et peut ordonner qu'elle soit détruite ou qu'il en soit disposé immédiatement.
(5) Le gouverneur en conseil peut établir des règlements
b) concernant la destruction ou la disposition de toute plante ou autre matière confisquée par le tribunal ou par l'inspec- teur en vertu du présent article et le paiement de tous frais raisonnables afférents à cette destruction ou disposition.
L'article 22 du Règlement semble avoir été édicté en vertu de l'alinéa 9(5)b) de la Loi. L'arti- cle 22 déclare notamment que:
22. Une plante ou autre matière confisquée ... selon le paragraphe 9(4) ... peut être détruite ou il peut en être disposé selon la décision du Ministre et le propriétaire paie tous les frais raisonnables relatifs à leur destruction ou la façon d'en disposer.
Le paragraphe 9(4), selon mon interprétation, habilite un inspecteur à confisquer une plante ou autre matière et à ordonner qu'elle soit détruite ou qu'il en soit disposé immédiatement chaque fois qu'il croit, en se fondant sur des motifs raisonna- bles, qu'une telle plante ou autre matière constitue un danger parce qu'elle est ou pourrait être infes- tée par un parasite. Je n'interprète pas ce paragra- phe comme conférant à un inspecteur le choix entre, d'une part, confisquer la plante ou autre matière et, d'autre part, ordonner qu'elle soit détruite ou qu'il en soit disposé. Selon moi, l'ins- pecteur peut ordonner que la plante ou autre matière soit détruite ou qu'il en soit disposé autre- ment seulement s'il la confisque. Ce pouvoir doit évidemment être exercé par un inspecteur. Je pré- sume toutefois que ce pouvoir pourrait être exercé par plus d'un inspecteur pourvu que ceux-ci aient cru, en se fondant sur des motifs raisonnables, qu'une plante constituait un danger parce qu'elle était ou aurait pu être infestée par un parasite: voir le paragraphe 26(7) de la Loi d'interprétation [S.R.C. 1970, chap. 1-23].
Je noterai également que le paragraphe 9(4) confère à un inspecteur le pouvoir de confisquer une plante ou autre matière et d'ordonner qu'elle soit détruite ou qu'il en soit disposé par la personne à qui elle a été confisquée. s'arrête cependant le pouvoir qu'il confère à un inspecteur. Ce paragra- phe n'habilite ni l'inspecteur ni ses mandataires à détruire ou autrement disposer des matières confis- quées. L'article 22 du Règlement, toutefois, inves- tit le Ministre de ce pouvoir de destruction de la plante ou autre matière confisquée selon le para- graphe 9(4) en l'autorisant à prescrire la manière dont celle-ci devra être détruite ou dont il devra en être autrement disposé. J'interpréterais cette dis position conférant ce pouvoir de façon large. À
mon sens, non seulement habilite-t-elle le Ministre à prescrire le mode de destruction mais encore est-elle assez large pour autoriser les fonctionnai- res du Ministère à procéder à la destruction effec tive des plantes lorsque leur propriétaire a fait défaut d'exécuter l'ordre donné conformément au paragraphe 9(4).
Le pouvoir conféré au Ministre par l'article 22 du Règlement, dans la mesure il se rapporte à la destruction ou autre sort des plantes ou autres matières confisquées, complète le pouvoir conféré aux inspecteurs en vertu du paragraphe 9(4) de la Loi. L'article 22 du Règlement n'investit pas le Ministre d'un pouvoir de confiscation. Ce pouvoir doit être exercé par un inspecteur conformément au paragraphe 9(4) de la Loi. À mon avis, le pouvoir que l'article 22 accorde au Ministre de faire détruire ces plantes par le Ministère lui- même, bien qu'il soit important, n'est pas d'une nature telle qu'il doive être exercé personnellement par le Ministre.
J'interpréterais l'article 22 du Règlement comme conférant au Ministre un pouvoir qu'il pourrait déléguer et même que des fonctionnaires supérieurs du Ministère pourraient exercer en l'ab- sence d'une délégation expresse de pouvoir si cette délégation était [TRADUCTION] «communiquée de façon générale et non officielle par les supérieurs hiérarchiques du fonctionnaire conformément à la pratique ayant cours dans le ministère». Voir De Smith, Judicial Review of Administrative Action (4e éd.), à la page 307.
Je cite à cet égard l'extrait suivant des motifs prononcés par le juge Dickson (tel était alors son titre) dans l'affaire R. c. Harrison, [1977] 1 R.C.S. 238, aux pages 245 et 246:
A mon avis, le procureur général a l'autorité implicite de déléguer son pouvoir de donner des instructions aux termes du par. (1) de l'art. 605. Je ne pense pas que ce paragraphe exige que dans chaque cas le procureur général interjette appel personnellement ou donne lui-même à l'avocat des instructions à cette fin. Bien qu'il existe une règle générale d'interprétation de la loi selon laquelle une personne doit exercer personnelle- ment le pouvoir discrétionnaire dont elle est investie (delegatus non potest delegare), elle peut être modifiée par les termes, la portée ou le but d'un programme administratif donné. Le pouvoir de délégation est souvent implicite dans un programme qui donne au ministre le pouvoir d'agir. Comme le remarque le professeur Willis dans «Delegatus Non Potest Delagare», (1943), 21 Can. Bar Rev. 257 à la p. 264:
[TRADUCTION] ... dans leur application du principe delega- tus non potest delegare aux organismes du gouvernement, les tribunaux ont préféré le plus souvent s'éloigner de l'interpré- tation étroite du texte de loi qui les obligerait à y voir le mot «personnellement», et adopter l'interprétation qui convient le mieux aux rouages modernes du gouvernement qui, étant théoriquement le fait des représentants élus mais, en prati- que, celui des fonctionnaires ou des agents locaux, leur commandent sans aucun doute d'y voir l'expression «ou toute personne autorisée par lui».
Voir aussi S. A. DeSmith, Judicial Review of Administrative Action, éd., à la p. 271. Lorsque l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire est confié à un ministre du gouvernement, on peut alors supposer que les mesures nécessaires seront prises par les fonctionnaires responsables du ministère et non par le ministre lui-même: Carltona Ltd. v. Commissioners of Works ([1943] 2 All E.R. 560 (C.A.)). De nos jours, les fonctions d'un ministre du gouvernement sont si nombreuses et variées qu'il serait exagéré de s'attendre à ce qu'il les remplisse personnelle- ment. On doit présumer que le ministre nommera des sous- ministres et des fonctionnaires expérimentés et compétents et que ceux-ci, le ministre étant responsable de leurs actes devant la législature, s'acquitteront en son nom de fonctions ministé- rielles dans les limites des pouvoirs qui leur sont délégués. Toute autre solution n'aboutirait qu'au chaos administratif et à l'incurie. Il est vrai qu'en l'espèce rien ne prouve que le procureur général de la Colombie-Britannique ait donné per- sonnellement des instructions à McDiarmid d'agir en son nom pour en appeler des jugements ou des verdicts d'acquitte- ment prononcés par les tribunaux de première instance. Toute- fois, il est raisonnable de présumer que le «Directeur de la section de droit pénal» de la province est autorisé à donner ces instructions.
M. Parker, faisant référence à l'article 22 du Règlement, a témoigné au sujet de ce pouvoir qu'il croyait que [TRADUCTION] «le système mis sur pied en prévoit la délégation». Quant à M. Watt, il a témoigné que, après avoir pris la décision de détruire les parasites par le feu, il a pris soin d'obtenir l'avis et l'approbation d'un fonctionnaire supérieur à Ottawa, M. Bruce Hopper, qui était alors directeur intérimaire de la Division de la protection des végétaux du Ministère. En contre- interrogatoire, M. Watt a été questionné au sujet de l'article 22 du Règlement. On lui a demandé s'il ne découlait pas implicitement des dispositions de cet article qu'il devait en référer à la [TRADUC- TION] «plus haute autorité du Ministère» lorsqu'il était question de destruction de plantes. M. Watt a répondu que c'était la raison pour laquelle, dans des circonstances telles que celles de l'espèce, la question était renvoyée devant le directeur de la Division.
À mon point de vue, la seule question qui se pose est celle de savoir si la preuve permet de conclure
que M. Bruce Hopper exerçait un pouvoir ministé- riel conformément à l'article 22 du Règlement lorsqu'il a approuvé la proposition de M. Watt de brûler les arbres et arbustes de l'importateur.
Les témoignages de M. Parker et de M. Watt diffèrent sur ce point. Si tous deux conviennent que le pouvoir visé à l'article 22 du Règlement est délégué, chacun prête à cette délégation une éten- due différente. Je suis d'avis que le témoignage de M. Watt est le plus susceptible de correspondre à la situation de fait; qui plus est, il indique assez clairement qu'il est de pratique courante de ren- voyer devant le directeur de la Division de la protection des végétaux les cas mettant en jeu l'exercice du pouvoir prévu à l'article 22. Il n'est pas nécessaire que je me prononce sur la validité d'une délégation de ce pouvoir à une personne occupant un poste inférieur à celui de directeur de Division. C'est une question difficile; cependant, dans les circonstances de l'espèce, je suis d'avis que l'approbation donnée par M. Hopper répondait aux exigences de l'article 22 du Règlement. Selon moi, M. Watt n'aurait pas procédé au brûlage des arbres sans l'approbation de M. Hopper.
La question de savoir si les arbres et les arbustes avaient été confisqués préalablement à l'ordre por- tant leur destruction m'a posé certains problèmes. Il me semble toutefois vraisemblable que l'étique- tage des arbres effectué par M. Holm au cours de la soirée du vendredi 21 mai constituait une confis cation puisque l'ordre de destruction était alors sur le point d'être prononcé. De plus, l'ordre qu'il a donné fait lui-même mention d'une [TRADUC- TION] «saisie». Quoiqu'il en soit, même dans l'hy- pothèse ou cet étiquetage de M. Holm n'aurait pas équivalu à une confiscation, la seule saisie des arbres et arbustes et de leur destruction par le feu le mardi après-midi aurait eu l'effet d'une confiscation.
Il est évident qu'en l'espèce, il s'agit non seule- ment d'une simple saisie, mais encore de la confis cation et de la destruction des arbres et arbustes en question. M. le juge Hugessen a traité de la ques tion de savoir si l'article 8 de la Charte s'applique aux dispositions du paragraphe 9(4) de la Loi prévoyant la confiscation et la destruction d'une plante ou autre matière. Je suis, moi aussi, d'avis que cette question ne devrait pas être tranchée en
l'espèce. Comme le juge Hugessen, je tiens pour acquis que, pour les fins de la présente affaire, la confiscation et la destruction des arbres et arbustes de l'importateur constituaient une saisie au sens donné à ce terme dans l'article 8 de la Charte.
Le pouvoir de confiscation est un pouvoir très considérable. Il l'est d'autant plus que la condition préalable à son exercice par l'inspecteur n'est pas l'infestation mais le fait pour ce dernier de croire en se fondant sur des motifs raisonnables (mais peut-être erronés) que les plantes constituent un danger.
La saisie était-elle abusive au sens donné à ce terme dans l'article 8 de la Charte?
Je remarquerai tout d'abord que la saisie dont il est question en l'espèce se distingue de la [TRA- DUCTION] «fouille, perquisition et saisie» du droit criminel. Cette saisie a été effectuée dans le cadre de l'application de la Loi sur la quarantaine des plantes. Il s'agissait d'une étape s'inscrivant dans un processus administratif. Je crois qu'il est impor tant que nous ayons à l'esprit cette distinction. Je cite à cet égard l'extrait suivant de la décision rendue par le juge Martin dans l'affaire R. v. Rao (1984), 12 C.C.C. (3d) 97 (C.A. Ont.), à la page 112:
[TRADUCTION] J'estime ... qu'il faut distinguer nettement le pouvoir général d'entrer dans des locaux privés sans mandat pour rechercher des marchandises de contrebande et des preu- ves d'infractions et le pouvoir conféré aux fonctionnaires dési- gnés d'entrer dans des locaux aux fins d'inspection et de vérification et pour saisir des registres, échantillons ou produits relatifs à des activités et à des entreprises soumises à la réglementation gouvernementale.
À mon avis, il n'est pas souhaitable d'introduire dans notre système de droit administratif l'exi- gence relativement peu flexible d'un mandat. Le critère établi par l'adjectif «abusives» à l'article 8 de la Charte me semblerait devoir nous guider. La latitude laissée par celui-ci permettrait l'adoption de lois et de règlements d'ordre administratif offrant des garanties qui, tout en assurant la pro tection voulue, seraient plus souples et novatrices: voir, par exemple, Donovan v. Dewey, 452 U.S. 594 (1981); et voir, pour une approche plus géné- rale, Reid and Young, «Administrative Search and Seizure under the Charter», (1985) 10 Queen's Law Journal 392.
À mon avis, le droit à la protection contre les fouilles et les perquisitions abusives d'une part et, d'autre part, le droit à la protection contre les saisies abusives, bien qu'ils puissent se chevaucher, ont des objets distincts: c'est habituellement dans le cadre d'une fouille ou d'une perquisition qu'une saisie a lieu. Les fouilles et les perquisitions abusi- ves violent le droit de chacun à la vie privée; les saisies abusives portent atteinte au droit des indivi- dus à la possession paisible de leurs biens. En l'espèce, une fois la «fouille ou perquisition» termi- née, la possibilité pour l'importateur d'invoquer le droit à la vie privée relativement aux arbres et arbustes était, à tout le moins, très limitée. Les arbres et arbustes en question avaient été examinés et se trouvaient exposés à la vue de tous, sur le terrain même le camion avait été déchargé.
L'importateur, évidemment, était propriétaire des arbres et des arbustes. À toutes fins utiles, le droit qu'il possédait dans ceux-ci immédiatement avant leur confiscation était uniquement un droit de propriété: il résidait dans la possession paisible, à l'abri des saisies, des arbres et arbustes en ques tion. Ce droit entrait toutefois en conflit avec un droit public très important. Dès que les inspecteurs ont eu des motifs raisonnables de croire que ces arbres et arbustes étaient infestés par des spon- gieuses, un parasite dangereux, le droit très impor tant du public à la protection des forêts du Nou- veau-Brunswick contre ce qui aurait très bien pu devenir une infestation dévastatrice, est entré en jeu. Le juge de première instance a dit la page 76]:
Selon les inspecteurs, une nouvelle vaporisation ne détruirait pas les larves et le renvoi des arbres infestés aux États-Unis pouvait propager l'infestation. Ils ont considéré que les larves constituaient des parasites dangereux qui devaient être détruits sur le champ. A leur avis, ils avaient des motifs raisonnables de croire que les arbres étaient infestés de parasites ... [C'est moi qui souligne.]
Dans ses motifs de jugement, le juge de pre- mière instance s'appuie sur la décision rendue par M. le juge Dickson (tel était alors son titre) dans l'affaire Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145. Le paragraphe 10(1) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions [S.R.C. 1970, chap. C-23] autorisait le directeur des Enquêtes et recherches de la Direction des enquê- tes sur les coalitions ou son représentant à péné- trer, pour les fins d'une enquête tenue en vertu de cette Loi, dans tout local le directeur croyait
qu'il pouvait exister des preuves se rapportant à l'objet de l'enquête. Le paragraphe 10(3) de la Loi exigeait que le directeur, avant d'exercer le pou- voir conféré par le paragraphe (1), produise un certificat d'un membre de la Commission sur les pratiques restrictives du commerce, lequel pouvait être accordé à la demande ex parte du directeur, autorisant l'exercice de ce pouvoir. La Cour suprême a conclu que les paragraphes 10(1) et 10(3) étaient incompatibles avec l'article 8 de la Charte parce qu'ils ne spécifiaient aucun critère approprié applicable à la délivrance des mandats et parce qu'ils ne désignaient pas un arbitre impar tial pour les décerner.
M. le juge Dickson [tel était alors son titre] a dit de l'article 8 de la Charte à la page 158: «Il garantit un droit général à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives.» Il a déclaré à la page 157:
Puisque la façon appropriée d'aborder l'interprétation de la Charte canadienne des droits et libertés est de considérer le but qu'elle vise, il est d'abord nécessaire de préciser le but fonda- mental de l'art. 8 pour pouvoir évaluer le caractère raisonnable ou abusif de l'effet d'une fouille ou d'une perquisition ou d'une loi autorisant une fouille ou une perquisition: en d'autres termes, il faut d'abord délimiter la nature des droits qu'il vise à protéger.
Historiquement, la protection qu'offre la common law contre les fouilles, les perquisitions et les saisies effectuées par le gouvernement se fonde sur le droit de toute personne à la jouissance de ses biens et elle est liée au droit applicable en matière d'intrusion. C'est à partir de cela que, dans l'arrêt célèbre Entick v. Carrington (1765), 19 St. Tr. 1029, 1 Wils. K.B. 275, la cour a refusé d'approuver une perquisition appa- remment autorisée par le pouvoir exécutif en vue de chercher des éléments de preuve qui auraient pu relier le demandeur à certains libelles séditieux. Avant d'examiner les droits en ques tion, lord Camden affirme, à la p. 1066 [19 St. Tr. 1029]:
[TRADUCTION] Les hommes ont formé une société dans le but ultime de protéger leurs biens. Ce droit est protégé, sacré et inaliénable dans tous les cas il n'a été ni supprimé ni limité par une loi publique pour le bien de la collectivité.
Aux pages 158 et 159, il dit:
À mon avis, les droits protégés par l'art. 8 ont une portée plus large que ceux qui sont énoncés dans l'arrêt Entick v. Carring- ton. L'article 8 est une disposition constitutionnelle enchâssée. Les textes législatifs ne peuvent donc pas empiéter sur cet article de la même façon que sur la protection offerte par la common law. En outre, le texte de l'article ne le limite aucune- ment à la protection des biens ni ne l'associe au droit applicable en matière d'intrusion. Il garantit un droit général à la protec tion contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives.
Le Quatrième amendement de la Constitution des États-Unis garantit également un droit général. Il prévoit:
[TRADUCTION] Le droit des citoyens d'être garantis dans leurs personnes, domiciles, papiers et effets, contre des perquisitions et saisies abusives ne sera pas violé, et aucun mandat ne sera délivré, si ce n'est pour un motif plausible, soutenu par serment ou affirmation, ni sans qu'il décrive avec précision le lieu à fouiller et les personnes ou choses à saisir.
Interprétant cette disposition dans l'arrêt Katz v. United States, 389 U.S. 347 (1967), le juge Stewart qui a prononcé le jugement de la Cour suprême des États-Unis à la majorité déclare, à la p. 351, que [TRADUCTION] «le Quatrième amende- ment protège les personnes et non les lieux». Il a rejeté tout lien nécessaire entre cet amendement et le concept d'intrusion. Avec égards, j'estime que ce point de vue est également applicable à l'interprétation de la protection offerte par l'art. 8 de la Charte des droits et libertés.
Dans l'arrêt Katz, le juge Stewart a analysé la notion de droit à la vie privée qu'il décrit, à la p. 350, comme [TRADUCTION] «son droit de ne pas être importuné par autrui». Même si le juge Stewart a pris soin de ne pas assimiler le Quatrième amende- ment exclusivement à la protection de ce droit, ni de considérer cet amendement comme l'unique disposition de la Déclaration des droits applicable à son interprétation, il est clair que cette notion a joué un rôle important dans son interprétation de la nature et des limites de la protection offerte par la Constitution américaine contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives.
Il a ajouté aux pages 159 et 160:
À l'instar de la Cour suprême des États-Unis, j'hésiterais à exclure la possibilité que le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives protège d'autres droits que le droit à la vie privée mais, pour les fins du présent pourvoi, je suis convaincu que la protection qu'il offre est au moins aussi étendue. La garantie de protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives ne vise qu'une attente raisonnable. Cette limitation du droit garanti par l'art. 8, qu'elle soit exprimée sous la forme négative, c'est-à-dire comme une protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies «abusives», ou sous la forme positive comme le droit de s'attendre «raisonnablement» à la protection de la vie privée, indique qu'il faut apprécier si, dans une situation donnée, le droit du public de ne pas être importuné par le gouvernement doit céder le pas au droit du gouvernement de s'immiscer dans la vie privée des particuliers afin de réaliser ses fins et, notam- ment, d'assurer l'application de la loi.
M. le juge Dickson a étudié le moment devait être faite cette appréciation de la question de savoir si «dans une situation donnée, le droit du public de ne pas être importuné par le gouverne- ment doit céder le pas au droit du gouvernement de s'immiscer dans la vie privée des particuliers afin de réaliser ses fins et, notamment, d'assurer l'application de la loi.» [C'est moi qui souligne.] M. le juge Dickson a dit aux pages 160 et 161:
Si la question à résoudre en appréciant la constitutionnalité des fouilles et des perquisitions effectuées en vertu de l'art. 10 était de savoir si en fait le droit du gouvernement d'effectuer une fouille ou une perquisition donnée l'emporte sur celui d'un
particulier de résister à l'intrusion du gouvernement dans sa vie privée, il y aurait alors lieu de déterminer la prépondérance des droits en concurrence après que la perquisition a été effectuée. Cependant, une telle analyse après le fait entrerait sérieuse- ment en conflit avec le but de l'art. 8. Comme je l'ai déjà dit, cet article a pour but de protéger les particuliers contre les intrusions injustifiées de l'État dans leur vie privée. Ce but requiert un moyen de prévenir les fouilles et les perquisitions injustifiées avant qu'elles ne se produisent et non simplement un moyen de déterminer, après le fait, si au départ elles devaient être effectuées. Cela ne peut se faire, à mon avis, que par un système d'autorisation préalable et non de validation subséquente.
L'exigence d'une autorisation préalable, qui prend habituelle- ment la forme d'un mandat valide, a toujours été la condition préalable d'une fouille, d'une perquisition et d'une saisie valides sous le régime de la common law et de la plupart des lois. Une telle exigence impose à l'État l'obligation de démontrer la supériorité de son droit par rapport à celui du particulier. Comme telle, elle est conforme à l'esprit apparent de la Charte qui est de préférer, lorsque cela est possible, le droit des particuliers de ne pas subir l'ingérence de l'État au droit de ce dernier de poursuivre ses fins par une telle ingérence.
Je reconnais qu'il n'est peut-être pas raisonnable dans tous les cas d'insister sur l'autorisation préalable aux fins de valider des atteintes du gouvernement aux expectatives des particuliers en matière de vie privée. Néanmoins, je suis d'avis de conclure qu'une telle autorisation, lorsqu'elle peut être obtenue, est une condition préalable de la validité d'une fouille, d'une perquisi- tion et d'une saisie.
Ici encore, l'arrêt Katz, précité, est pertinent. Dans l'arrêt United States v. Rabinowitz, 339 U.S. 56 (1950), la Cour suprême des États-Unis avait jugé qu'une perquisition sans mandat n'était pas ipso facto abusive. Mais dix-sept ans plus tard, le juge Stewart a conclu dans l'arrêt Katz qu'une perquisi- tion sans mandat était à première vue «abusive» en vertu du Quatrième amendement. Les termes de ce Quatrième amende- ment diffèrent de ceux de l'art. 8 et on ne peut transposer les décisions américaines dans le contexte canadien qu'avec énor- mément de prudence. Avec égards, néanmoins, je suis d'avis d'adopter en l'espèce la formulation du juge Stewart qui s'ap- plique pareillement au concept du «caractère abusif» que l'on trouve à l'art. 8, et j'estime que la partie qui veut justifier une perquisition sans mandat doit réfuter cette présomption du caractère abusif.
Je crois qu'il est important, en lisant ces extraits, de tenir compte du fait que M. le juge Dickson partait de la prémisse voulant que le droit en jeu dans l'affaire Southam fût le droit à la vie privée. Il est évident que, dans ces circonstances, l'autorisation préalable était de toute première importance. Le simple fait de procéder à une fouille ou perquisition illégale violerait le droit à la vie privée. Le préjudice subi ne pourrait être adé- quatement compensé par les dommages-intérêts. La situation ne serait pas nécessairement la même
si le droit auquel il était porté atteinte était un droit de propriété. Une telle atteinte, si elle était illégale, pourrait bien être compensée de façon adéquate par l'adjudication de dommages-intérêts.
Ainsi, le juge Dickson a-t-il conclu de façon très claire dans l'affaire Southam, que la vie privée était un droit protégé par l'article 8 de la Charte; il n'a toutefois pas écarté la possibilité que la protec tion accordée par cet article pourrait s'appliquer à d'autres droits que le droit à la vie privée. Ainsi que je l'ai déjà indiqué dans les présents motifs, je tiens pour acquis, pour les fins de l'appel en l'es- pèce, que la confiscation et la destruction des arbres et arbustes de l'importateur constituaient une saisie au sens ce terme est utilisé à l'article 8 de la Charte, et ce, malgré le fait qu'il y a eu non seulement prise de possession mais confiscation et destruction des biens. La question qui se pose, selon mon point de vue, est celle de savoir si une prise de possession effectuée au moyen d'une saisie pourrait être une «saisie» au sens de l'article 8 si elle ne constituait pas également une [TRADUC- TION] «atteinte à la vie privée».
Il me semble que le droit à la vie privée est le plus important des droits que garantit l'article 8. Je suis toutefois d'avis que la protection prévue à cet article ne s'applique pas qu'à ce seul droit. Il est vrai qu'il s'est effectué une évolution impor- tante depuis l'arrêt Entick v. Carrington [(1765), 19 St. Tr. 1029; 2 Wils K.B. 275; 95 E.R. 807 (K.B.)], et que les valeurs respectives de la [TRA- DUCTION] «propriété» et de la [TRADUCTION] «personne» se sont modifiées. Toutefois, il ne s'en- suit pas que la valeur que représente la propriété n'est protégée d'aucune façon par l'article 8 de la Charte.
Le législateur a délibérément omis d'inclure la [TRADUCTION] «protection de la propriété» à l'ar- ticle 7 de la Charte. La protection de la propriété ne bénéficie donc pas d'une garantie comme celle qui est accordée par l'article 7 à la protection de la personne. Cela n'empêche toutefois pas nécessaire- ment qu'un aspect particulier du droit que possède le propriétaire dans son bien soit protégé par la Charte. Il m'apparaît certes ressortir du libellé même de l'article 8 que celui-ci protège un des droits du propriétaire: le droit que possède toute
personne d'être à l'abri des saisies abusives de ses biens. La signification du terme «saisie» à l'article
8 de la Charte ainsi que la nature des droits de propriété protégés en vertu de ses dispositions peu-
vent évidemment soulever certaines questions. Il se peut que les réponses qui leur seront apportées reposent dans une large mesure sur les principes qui se sont dégagés au cours des ans de notre jurisprudence en matière de «fouilles, de perquisi- tions et de saisies». Il ne fait aucun doute qu'il serait sage de procéder cas par cas.
Les biens en l'espèce sont éminemment saisissa- bles, et, ainsi que je l'ai déjà indiqué, je suis d'avis, pour les fins du présent appel, que les arbres et arbustes de l'importateur ont été effectivement saisis.
Je traiterai maintenant de la question de savoir si la saisie est abusive par le seul fait qu'elle a été effectuée sans mandat.
Les tribunaux américains ont décidé que la pro tection prévue au Quatrième amendement s'appli- quait aussi bien aux fouilles et perquisitions d'or- dre administratif pratiquées dans les résidences privées qu'à celles effectuées dans des locaux com- merciaux privés, tout en montrant moins de rigi- dité face aux fouilles et perquisitions sans mandat dans ce dernier cas; cette tolérance est due au fait que le respect de l'inviolabilité d'un établissement commercial auquel est en droit de s'attendre son propriétaire [TRADUCTION] «diffère considérable- ment des égards dus à son domicile»: voir Donovan v. Dewey, prémentionné, aux pages 598 et 599.
La proposition suivant laquelle la protection accordée par le Quatrième amendement s'applique aux fouilles et perquisitions d'ordre administratif pratiquées dans les résidences et dans les locaux commerciaux privés doit toutefois être accompa- gnée d'une réserve importante. Dans l'affaire Camara v. Municipal Court of San Francisco, 387 U.S. 523 (1967) (dans laquelle il a été décidé que le Quatrième amendement est applicable à une fouille ou perquisition d'ordre administratif prati- quée dans une maison privée), M. le juge White a dit à la page 539:
[TRADUCTION] Comme notre décision fait ressortir l'impor- tance du critère fondamental du caractère raisonnable, souli- gnons que rien de ce que nous disons aujourd'hui ne vise à interdire les inspections immédiates, même effectuées sans mandat, que la jurisprudence a traditionnellement jugées vali- des dans des situations d'urgence. Voir: North American Cold Storage Co. v. City of Chicago, 211 U.S. 306, 29 S.Ct. 101, 53 L.Ed. 195 (saisie d'aliments impropres à la consommation); Jacobson v. Massachusetts, 197 U.S. 11, 25 S.Ct. 358, 49 L.Ed. 643 (obligation de se faire vacciner contre la variole);
Compagnie Française v. Board of Health, •186 U.S. 380, 22 S.Ct. 811, 46 L.Ed. 1209 (mise en quarantaine pour protéger la santé publique); Kroplin v. Truax, 119 Ohio St. 610, 165 N.E. 498 (destruction sommaire du bétail atteint de tuberculose). [C'est moi qui souligne.]
Je présume que les situations mentionnées dans l'extrait qui précède sont de celles qui justifient une saisie sans mandat. Il doit être noté que, à ce point-ci de mes motifs, je ne traite plus de la question de la fouille ou de la perquisition: rins- pection, la «fouille ou perquisition», avait été com- plétée avant la saisie des biens.
M. le juge White n'a pas cherché à disserter sur la nature ou le champ d'application de l'expression [TRADUCTION] «situation d'urgence» dont il parle dans son jugement, se contentant de l'illustrer de certains exemples. Ce que je dirai sur la nature et le champ d'application de l'expression «situation d'urgence» sera donc le fruit de mes propres réflexions.
Les «aliments impropres à la consommation> menacent la santé publique et le «bétail atteint de tuberculose» met en péril la santé publique et les troupeaux voisins. Ces circonstances donnent lieu, selon mon interprétation, à des «situations d'ur- gence» qui peuvent nécessiter une action immé- diate. Devant de telles situations, si une loi auto- rise une «saisie» à des conditions qui sont en elles-mêmes raisonnables, cette mesure peut être prise sans mandat. Le libellé même du paragraphe 9(4) de la Loi évoque l'urgence. Ce paragraphe parle de «danger» ainsi que d'«infestation par des parasites» et utilise les termes «qu'elle soit détruite ou qu'il en soit disposé immédiatement». Une telle situation constitue en elle-même une «urgence». Je suis donc d'avis que les inspecteurs en l'espèce, à la condition que le critère établi en vertu du paragra- phe 9(4) soit raisonnable et qu'ils s'y soient confor més, ont agi dans une «situation d'urgence» et qu'ils n'étaient en conséquence pas obligés d'obte- nir au préalable un mandat ou autre autorisation d'un arbitre impartial.
Je noterai également que le temps mis à exécu- ter l'ordre donné conformément au paragraphe 9(4), exécution qui n'a eu lieu qu'après le long week-end, n'a atténué en rien le caractère «urgent» de la «situation». En effet, étant donné mon inter- prétation du paragraphe 9(4), aucun retard n'a été
mis à exécuter l'ordre en question puisque les fonctionnaires concernés se sont employés pendant ce temps à solliciter la permission de leur supérieur afin d'appliquer eux-mêmes l'article 22 du Règlement.
Toutefois, lorsqu'un fonctionnaire public prati- que une saisie sans mandat dans une telle situa tion, lui-même et l'État s'exposent à être poursui- vis. Le tribunal saisi d'une telle action doit décider si le libellé de la Loi établit un critère raisonnable applicable aux saisies et si le fonctionnaire s'y est conformé. Selon les circonstances, la partie qui s'estime lésée intentera une action pour violation d'un droit garanti par l'article 8 de la Charte ou une action délictuelle.
Comme j'ai conclu qu'une saisie effectuée sans mandat ne contrevient pas en tant que telle à l'article 8 de la Charte, les seules questions qu'il reste à trancher sont celles de savoir si les condi tions prévues au paragraphe 9(4) sont elles-mêmes raisonnables et si les inspecteurs ont respecté les limites des pouvoirs qui leur sont conférés en vertu de ce paragraphe.
Je traiterai à présent du paragraphe 9(4) de la Loi, que je me permets de citer à nouveau:
9....
(4) Chaque fois qu'un inspecteur croit, en se fondant sur des motifs raisonnables, qu'une plante ou autre matière constitue un danger parce qu'elle est ou pourrait être infestée par un parasite ou qu'elle constitue un obstacle biologique à la lutte contre un parasite, il peut confisquer cette plante ou autre matière et peut ordonner qu'elle soit détruite ou qu'il en soit disposé immédiatement.
Je suis d'avis que le critère prévu au paragraphe 9(4) de la Loi est raisonnable: pour agir en appli cation de cette disposition, un inspecteur doit croire, en se fondant sur les motifs raisonnables, que les plantes ou autres matières à confisquer sont dangereuses parce qu'elles sont ou pourraient être infestées par un parasite. J'admets cependant que la stipulation portant qu'un inspecteur peut agir lorsqu'il croit, en se fondant sur des motifs raisonnables, que les plantes ou autres matières sont ou pourraient être infestées m'a fait hésiter à prendre cette conclusion. Je suis toutefois con- vaincu que l'intérêt du public à prévenir la propa gation de l'infestation visée est suffisant pour justi- fier le caractère assez peu exigeant de ce critère.
L'intimée a soutenu que la confiscation sans indemnisation suffisait à elle seule à rendre abu sive la saisie des biens de l'importateur. Je ne considère pas cette thèse pertinente à l'interpréta- tion de l'article 8 de la Charte. Dans l'appréciation du caractère abusif ou raisonnable d'une saisie, il importe peu que la loi qui l'autorise prévoit ou non une indemnité pour toute perte éventuelle. L'ap- préciation du «caractère raisonnable» prévu dans cet article ne saurait mettre en question le bien- fondé de la politique sur laquelle se base la législa- tion en cause: voir Rosenberg, Unreasonable Search and Seizure: Hunter v. Southam Inc. (1985), 19 U.B.C. Law Rev. 271, aux pages 278 et 279.
Voyons maintenant si les inspecteurs ont agi conformément au paragraphe 9(4). Ainsi que je l'ai déjà noté, la décision prise par les «inspecteurs» au cours de l'après-midi du vendredi 21 mai était la décision ferme de confisquer et de détruire les arbres et arbustes de l'importateur. L'ordre de destruction signé le vendredi soir, pourvu qu'il ait été validement donné, avait pour effet d'obliger immédiatement l'importateur à procéder à la des truction des plants visés. La validité des ordres de destruction donnés par un ou des inspecteurs en vertu du paragraphe 9(4) de la Loi est soumise à plusieurs conditions. Une de celle-ci veut que les inspecteurs croient réellement que les plantes con- fisquées sont ou pourraient être infestées par un parasite et qu'elles constituent un danger. Le juge de première instance a conclu clairement que les inspecteurs étaient effectivement de cet avis. Cependant, le paragraphe 9(4) de la Loi exige aussi de l'inspecteur agissant en vertu de ce para- graphe qu'il fonde son opinion sur des motifs raisonnables.
L'intimée a prétendu que les inspecteurs n'avaient pas des motifs raisonnables de croire que les arbres et arbustes étaient effectivement infestés parce que, selon elle, les larves qui ont été trouvées étaient soit mortes, soit très inertes: selon l'argu- ment de l'intimée, celles-ci étaient incapables de causer quelque dommage que ce soit.
Il existe toutefois une preuve selon laquelle au moins quelques-unes des larves découvertes dans les plants de la pépinière Bald Hill étaient vivan- tes: M. Holm en a témoigné. Et M. Weiler, dans son interrogatoire préalable dont la transcription a
été lue lors du procès, a déclaré que les larves qu'il avait vues étaient vivantes. M. Parker, qui avait examiné certaines des larves emportées à Frederic- ton par M. Weiler, a témoigné qu'elles bougeaient lorsqu'on les touchait. M. Watt, bien qu'il n'ait vu lui-même aucune des larves, était justifié de s'en remettre aux informations qu'il avait reçues des fonctionnaires de son Ministère, y compris celles de M. Parker et de M. Weiler. Il a déclaré que sa décision d'ordonner la destruction des arbres et arbustes avait été particulièrement influencée par les informations que lui avait transmis M. Parker. Il lui a également lu le mémoire signé par M. Magasi dans lequel il était question de larves vivantes.
À mon avis, les éléments de preuve présentés permettaient de conclure que des larves de spon- gieuses vivantes avaient été trouvées dans les plants de la pépinière Bald Hill; les inspecteurs avaient donc des motifs de croire que, à tout le moins, les plants de Bald Hill étaient infestés par des parasites.
Il a toutefois été également soutenu que les inspecteurs n'avaient aucun motif raisonnable de croire que les autres plants, ceux des pépinières Cherry Hill et Weston respectivement, étaient infestés par des larves de spongieuses. Et il est vrai que M. Holm n'a trouvé de larves sur aucun de ces plants. Toutefois, il est également vrai que tous ces plants d'arbres ont été transportés au Canada dans le même camion fermé. Je ne suis pas convaincu que, dans ces circonstances, la conclusion voulant que les trois lots aient pu être infestés ne soit pas appropriée. Il est bien possible que les inspecteurs aient été exagérément prudents en décidant que la totalité du chargement devait être détruite. Cepen- dant, ainsi qu'il a été indiqué plus haut, ils étaient en droit de le faire et devant le risque d'une «invasion» de spongieuses, ils étaient justifiés, selon moi, d'agir avec beaucoup de prudence.
De tout ce qui précède, je conclus que, s'il est possible, dans les circonstances de l'espèce, qu'il y ait eu saisie au sens ce terme est utilisé à l'article 8 de la Charte, la «saisie» en question n'était pas abusive pour le seul motif qu'elle a été pratiquée sans mandat: le critère prévu au para- graphe 9(4), dont l'application dépend de l'exis- tence d'un état d'urgence, est en soi raisonnable, et les inspecteurs ont agi conformément à ce critère.
L'importateur a également invoqué les alinéas 1a) et lb) de la Déclaration canadienne des droits. Cependant l'importateur est une société et ne peut à ce titre s'appuyer sur ni l'un ni l'autre de ces alinéas.
L'intimée a également fait appel à l'alinéa 2e) de la Déclaration des droits. L'ordre de destruction de l'inspecteur a toutefois été donné dans ce que j'ai appelé une «situation d'urgence», c'est-à-dire conformément au paragraphe 9(4). L'obligation faite aux inspecteurs de respecter l'équité n'impli- quait pas qu'ils devaient, dans cette situation d'ur- gence, accorder une audition à l'intimée. Voir White v. Redfern (1879), 5 Q.B.D. 15 et De Verteuil v. Knaggs, [1918] A.C. 557 (P.C.), aux pages 560 et 561.
On a également invoqué l'article 7 de la Charte. Toutefois, cet article ne garantit aucunement le droit à la sécurité des biens, mais le droit «à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne». L'argu- ment de l'intimée fondé sur l'article 15 de la Charte est également non fondé. En effet, l'article 15 n'était même pas en vigueur au moment les événements en l'espèce sont survenus.
Voyons à présent si le principe énoncé dans l'affaire Manitoba Fisheries donne gain de cause à l'intimée.
Ce principe procède de la thèse voulant qu'une loi autorisant la Couronne à s'approprier des biens impose à celle-ci l'obligation d'indemniser la per- sonne dépossédée. Ainsi que je l'ai dit dans une autre affaire, le devoir de payer une indemnité «découle implicitement de la Loi même; en termes courants, il résulte d'une condition implicite de la loi»: voir A. M. Smith & Co., Ltd. c. R., [1982] 1 C.F. 153 (C.A.), à la page 160.
Comme l'indique le juge Heald, la présomption voulant qu'un droit à indemnisation découle impli- citement de la Loi ne peut être renversée que par des termes clairs. Il reste toutefois que cette pré- somption, découlant d'une condition implicite, peut être renversée. Son maintien ou son renverse- ment dépendra des dispositions de la loi elle-même. Dans l'affaire B.C. Medical Assn. v. R. in Right of B.C. (1984), 58 B.C.L.R. 361 (C.A.), le juge Lambert a dit à la page 366:
[TRADUCTION] La règle ne consiste pas d'une part, à exami ner la disposition législative de manière purement mécanique
pour constater s'il y est expressément écrit que la prise de possession s'effectuera sans indemnisation c'est-à-dire «sans indemnité d'aucune sorte» ou autre expression équivalente, et d'autre part, à imposer l'indemnisation en l'absence de tels termes.
Il s'agit plutôt de rechercher l'intention du législateur. Il sera présumé que celui-ci n'a pas sanctionné une injustice à moins que son intention de le faire ne ressorte clairement. La règle ne prévaut cependant pas sur l'intention du législateur. Elle n'est pas un instrument qu'utiliseraient les tribunaux pour permettre à un demandeur de tourner la loi.
Je cite le paragraphe 3(2) et l'alinéa 4h) de la Loi. Ces dispositions sont ainsi libellées:
3....
(2) Le Ministre peut ordonner qu'une indemnité soit versée relativement à une plante ou autre matière détruite ou dont la vente est prohibée ou restreinte ou à toute restriction à l'utilisa- tion d'un bien ou local en conformité de la présente loi, selon les montants qu'approuvent les règlements et sous réserve des modalités qui y sont prescrites.
4. Le gouverneur en conseil peut établir des règlements pour empêcher ou contrôler l'introduction, l'admission ou la propa gation au Canada ou le transport au Canada ou hors du Canada d'un parasite, d'une plante ou d'une autre matière mentionnés à l'article 3 et, sans limiter la portée générale de ce qui précède, il peut à cette fin établir des règlements
h) prévoyant l'attribution par le Ministre d'une indemnité pour une plante ou autre matière détruite ou dont la vente est prohibée ou restreinte ou pour toute restriction à l'utilisation d'un bien ou local, en conformité de la présente loi, et prescrivant les modalités selon lesquelles cette indemnité peut être accordée ainsi que le montant maximum d'une telle indemnité;
Ces dispositions, comme je les conçois, me semble- raient exclure l'existence d'un droit à indemnisa- tion qui découlerait implicitement de la Loi. Si un tel droit implicite existait, on s'attendrait à ce que le Ministre soit investi du pouvoir de réglementer ou même de limiter ce droit. Or, je conclus que le pouvoir conféré par la Loi au Ministre d' «ordonner qu'une indemnité soit versée relative- ment à une plante ou autre matière détruite» est incompatible avec l'existence d'un droit général à l'indemnisation qui ne dépendrait aucunement d'un ordre du Ministre. Ce raisonnement me con- vainc que le législateur n'a pas entendu prévoir implicitement l'indemnisation.
Finalement, je souligne que la Couronne a sou- tenu que le juge de première instance, en adju- geant des dommages-intérêts, a erronément tenu pour acquis qu'il avait été admis que la valeur des biens détruits était de 13 073,50 $. La Couronne a
allégué n'avoir jamais reconnu de tels faits. Et il ressort clairement des pages 33 et 34 de la trans cription des procédures que la Couronne a reconnu uniquement que le prix d'achat en argent canadien des biens en question s'élevait à 8 429,19 $; ce prix avait été payé en dollars américains. L'importateur a sollicité et obtenu du premier juge une majora- tion de 50 % à titre de marge commerciale bénéfi- ciaire, et la somme totale fut portée à 13 073,50 $.
L'avocat de la Couronne a soutenu que les biens, au moment ils ont été détruits, avaient une valeur marchande peu élevée ou n'avaient aucune valeur puisqu'ils étaient infestés de larves de spon- gieuses. S'il était nécessaire de trancher cette ques tion, je souscrirais à cette prétention. J'ai jugé que les inspecteurs avaient des motifs raisonnables de croire que les biens constituaient un danger parce qu'ils étaient infestés par des spongieuses et qu'ils étaient justifiés d'ordonner à l'importateur de les détruire. En conséquence, même si l'importateur avait réussi à établir le bien-fondé de l'une ou l'autre de ses demandes, il aurait été très difficile, sinon impossible, d'apprécier les dommages ou même d'adjuger quelque indemnité en vertu du principe énoncé dans l'arrêt Manitoba Fisheries, même s'il était applicable.
Pour tous les motifs que je viens de mentionner, j'accueillerais l'appel et rejetterais l'action de l'in- timée. Je souscris à la proposition faite par M. le juge Hugessen relativement à l'adjudication des dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN: Appel est interjeté d'un jugement de la Division de première instance con- damnant la Couronne à payer à la demanderesse des dommages-intérêts s'élevant à 13 439,02 $ ainsi que les dépens.
Les faits essentiels de la présente affaire peuvent être énoncés succinctement. La demanderesse a importé des États-Unis des plants de pépinière. Conformément à une entente intervenue entre les parties, les arbres en question n'ont pas été inspec tés à la frontière mais peu après leur arrivée, dans les locaux de la demanderesse elle-même. Celle-ci a consenti à l'inspection. Les inspecteurs ont cons-
taté que certains des arbres étaient infestés de larves subséquemment identifiées d'une façon qu'ils ont jugée convaincante (ainsi, d'ailleurs que les représentants de la demanderesse) comme des spongieuses. Les inspecteurs ont conclu qu'il y avait des motifs raisonnables de croire que l'en- semble du chargement était infesté ou qu'il le deviendrait à brève échéance. La spongieuse est un parasite dangereux, tout particulièrement pour un pays et une province dont l'économie est largement tributaire de l'industrie forestière. Les inspecteurs ont confisqué les arbres et ordonné à la demande- resse de les détruire. Celle-ci n'ayant pas obtem- péré, les inspecteurs, après quatre jours de délai, ont eux-mêmes détruit les arbres.
Le juge de première instance a accueilli l'action au motif que la demanderesse avait été victime d'une fouille, d'une perquisition et d'une saisie abusives, et que l'article 8 de la Charte des droits avait été violé. Il est toutefois important de noter que le juge de première instance était d'opinion que l'abus tenait aux dispositions de la Loi elle- même et non à quelque irrégularité de la part des fonctionnaires. Le juge de première instance la page 79] a même pris la peine de qualifier les inspecteurs, qu'il avait, pour la plupart, vus et entendus, de «fonctionnaires très responsables». Ailleurs dans ses motifs, il a déclaré [aux pages 75 et 76]:
Je suis tout à fait convaincu que les inspecteurs se sont acquittés des obligations que leur imposent la Loi sur la quarantaine des plantes et le Règlement.
Il a ajouté la page 76]:
Il ressort, à mon avis, de la preuve que les inspecteurs n'ont pas refusé d'entendre la version de la demanderesse. Les inspec- teurs ont, en fait, discuté de l'affaire avec Donald Miller et son père, qui est le président de la compagnie demanderesse, mais ils n'ont pas accepté les solutions proposées par ces derniers. Selon les inspecteurs, une nouvelle vaporisation ne détruirait pas les larves et le renvoi des arbres infestés aux États-Unis pouvait propager l'infestation. Ils ont considéré que les larves constituaient des parasites dangereux qui devaient être détruits sur le champ. À leur avis, ils avaient des motifs raisonnables de croire que les arbres étaient infestés de parasites et ils étaient donc habilités par la Loi sur la quarantaine des plantes à ordonner leur destruction.
Le juge de première instance était entièrement justifié de tirer les conclusions qui précèdent sur le
fondement de la preuve qui lui était présentée, et nous n'avons, en notre qualité de cour d'appel, aucun droit de les modifier'.
En fait, la preuve de l'infestation des arbres par la spongieuse et du danger qu'elle représente ne se limite pas à celle présentée par la Couronne. Après la première visite des inspecteurs, M. Donald Miller, le vice-président de la demanderesse, a lui-même prélevé des échantillons de larves de plusieurs arbres et les a fait parvenir pour analyse au ministère provincial des forêts, à Fredericton. De fait, pour une raison quelconque, qui n'a pas été divulguée, les autorités provinciales ont trans- mis ces larves au laboratoire du Service canadien des forêts d'Environnement Canada. Le résultat de ces tests est consigné dans une lettre adressée à M. Miller et faisant partie des pièces lors du procès. Il est utile que nous le reproduisions:
[TRADUCTION] Les échantillons de larves que vous avez préle- vés le 20 mai sur des tilleuls, des érables ou des chênes faisant partie d'un chargement de plants de pépinière en provenance du Rhode Island ont été identifiés comme des spongieuses ou Lymantria dispar. Jusqu'à maintenant, l'application stricte des règlements canadiens a permis de tenir nos forêts du Nouveau- Brunswick et des autres provinces maritimes libres de ce para site qui ravage les feuillus du nord-est des États-Unis.
Cette découverte alarmante révélant l'existence d'un risque important d'infestation si ces chenilles spongieuses n'étaient pas totalement éliminées, j'aviserai de cette situation la Division des opérations de la Direction générale de la production et de l'inspection des aliments d'Agriculture Canada, à Saint John. Je crois comprendre que cette agence vous conseille déjà sur les mesures à prendre contre la spongieuse.
Entre temps, il faut tenter par tous les moyens de faire dispa- raître toute trace de ces chenilles—l'enjeu est si important! Le feuillet ci-joint expose dans le détail les aspects pertinents de l'historique et du cycle biologique de cet insecte.
À la lumière de ces documents, la demanderesse ne peut aucunement prétendre que les larves n'étaient pas des spongieuses ou que les conclu sions de fait du juge de première instance en ce qui a trait à cette question n'étaient pas entièrement justifiées par la preuve.
Le litige ne porte donc maintenant que sur une question de droit: les dispositions de la Loi sur la quarantaine des plantes et de son Règlement d'ap- plication sont-elles incapables de coexister avec la Charte des droits?
Il ne fait aucun doute que la Loi sur la quaran- taine des plantes prévoit les fouilles, les perquisi-
° Stein et autres c. «Kathy et autres (Le navire), [1976] 2 R.C.S. 802.
tions et les saisies (et même la confiscation et la destruction) de biens sans autorisation judiciaire préalable. Référons-nous particulièrement à son alinéa 6(1)a) et à son paragraphe 9(4).
6. (1) Un inspecteur peut, à tout moment raisonnable,
a) entrer dans tout lieu ou local dans lesquels il a des raisons de croire qu'il y a un parasite ou une plante ou autre matière auxquels s'applique la présente loi, et il peut ouvrir tout récipient ou colis qui s'y trouve ou examiner toute chose qui s'y trouve lorsqu'il a des raisons de croire qu'ils contiennent un tel parasite ou une telle plante ou autre matière, et en prélever des échantillons ...
9....
(4) Chaque fois qu'un inspecteur croit, en se fondant sur des motifs raisonnables, qu'une plante ou autre matière constitue un danger parce qu'elle est ou pourrait être infestée par un parasite ou qu'elle constitue un obstacle biologique à la lutte contre un parasite, il peut confisquer cette plante ou autre matière et peut ordonner qu'elle soit détruite ou qu'il en soit disposé immédiatement.
Le juge de première instance a d'abord fondé sa décision sur sa conclusion selon laquelle l'alinéa 6(1)a) était incompatible avec l'article 8 de la Charte parce qu'il permettait une fouille ou per- quisition sans mandat en n'importe quelles circons- tances. À strictement parler, cette conclusion n'était pas pertinente à l'espèce puisque, ainsi que je l'ai dit, la demanderesse et les inspecteurs s'étaient entendus pour que le chargement importé soit inspecté dans les locaux de la demanderesse. L'inspection a donc eu lieu de consentement, et les inspecteurs n'ont pas eu besoin de faire appel au pouvoir que leur conférait l'alinéa 6(1)a). La ques tion ne s'arrête toutefois pas puisque l'inspection a été suivie de la confiscation et de la destruction prévues au paragraphe 9(4).
Il a été soutenu devant nous que l'article 8 de la Charte ne protège pas le droit de propriété et ne s'étend donc pas aux dispositions du paragraphe 9(4) prévoyant la confiscation et la destruction de plantes; je préfère cependant que cette question difficile soit tranchée à une autre occasion. Je veux bien tenir pour acquis, pour les fins de la décision en l'espèce, que la confiscation et la destruction des plants de pépinière de la demanderesse par les inspecteurs constituaient une saisie au sens de l'article 8 de la Charte. Toutefois, même dans une telle hypothèse, je ne suis pas d'avis que les dispo sitions du paragraphe 9(4) sont inopérantes parce qu'elles permettraient une saisie «abusive».
Il me semble que, dans l'évaluation de l'effet de la Charte et, en particulier, de son article 8, sur une quelconque disposition législative, à la fois le libellé de cette disposition et le contexe dans lequel elle s'inscrit doivent être pris en considération.
En ce qui concerne le libellé, je note que l'alinéa 6(1)a) et le paragraphe 9(4) exigent tous deux que la mesure visée soit raisonnable. Toute action qu'un inspecteur est autorisé à faire doit s'appuyer sur une croyance fondée sur des motifs raisonna- bles. Cette règle, bien qu'elle n'écarte pas la con clusion selon laquelle les dispositions en question sont rendues inopérantes par la Charte, est un facteur qui doit être pris en considération par un tribunal saisi, ainsi que nous le sommes en l'espèce, d'une demande fondée sur la violation d'un droit de propriété indépendamment de toute question relative à la vie privée ou à la protection contre les poursuites abusives. Le fait pour les inspecteurs d'avoir agi de manière déraisonnable suffisant à lui seul à rendre leur action illégale, le citoyen possède alors un recours et n'a aucun besoin de faire appel à la Charte. Toutefois, ainsi qu'il a déjà été indi- qué, le juge de première instance a tiré des conclu sions bien précises annulant toute prétention que la demanderesse aurait pu appuyer sur un tel fonde- ment en l'espèce.
En ce qui a trait au contexte, je suis d'avis que le critère servant à déterminer ce qui est «abusif» dans le cadre de l'application de l'article 8 de la Charte variera d'une espèce à l'autre. Sans préten- dre à l'exhaustivité, il m'apparaît que devront tou- jours entrer en considération le but du mécanisme de la loi qui autorise les fouilles, les perquisitions et les saisies, la nature des biens ou des objets saisis, le caractère des lieux dans lesquels il est normalement prévisible que les fouilles, les perqui- sitions et les saisies seront effectuées ainsi que les intérêts et attentes légitimes non seulement du public en général mais encore de la personne sou- mise auxdites mesures. Ce qui est raisonnable en ce qui a trait à l'entrée d'inspecteurs dans une cuisine de restaurant, une laiterie commerciale, une manufacture ou une mine et à l'inspection de celles-ci différera radicalement de ce qui est rai- sonnable dans le cas de la fouille, la perquisition et la saisie de documents privés dans une maison d'habitation. Pareillement existe-t-il une distinc tion entre le mécanisme législatif prévoyant de
façon évidente la tenue, à des moments raisonna- bles et dans le cours normal des affaires, d'inspec- tions et de vérifications de routine et le mécanisme conçu pour permettre, lorsque cela s'avère néces- saire, à des personnes armées de pénétrer de force dans un endroit à trois heures du matin. Bref, la perquisition du domicile d'un particulier et le son- dage sanitaire de tuyaux de vidange représentent des inconvénients de natures différentes.
Selon mon opinion, il existe clairement une cer- taine catégorie d'inspections reliées à la sécurité et à la santé publiques et effectuées dans des locaux industriels ou commerciaux pour les fins desquelles il est non seulement raisonnable mais essentiel à la protection du public que la fouille, la perquisition et la saisie puissent se faire sans mandat.
Telle est l'interprétation donnée par les tribu- naux américains aux dispositions du Quatrième amendement, qui sont il est vrai différentes de celle de l'article 8:
Donovan v. Dewey, 101 S. Ct. 2534 (1981), la page 2538
[TRADUCTION] Si les fouilles et les perquisitions effectuées dans les maisons privées, pour n'être pas abusives en regard du Quatrième amendement, doivent généralement être autorisées par un mandat, les mécanismes législatifs permettant les fouil- les et les perquisitions sans mandat dans les locaux commer- ciaux à des fins administratives ne contreviennent pas forcé- ment au Quatrième amendement ... Cette plus grande latitude dans la tenue d'inspections sans mandat dans les locaux com- merciaux montre bien que le respect de l'inviolabilité d'un établissement commercial auquel est en droit de s'attendre son propriétaire diffère considérablement des égards dus à son domicile, et que ce droit à l'inviolabilité peut, dans certaines circonstances, être adéquatement protégé par des règlements qui autorisent des inspections sans mandat. (motifs du juge Marshall)
Des échos de cette doctrine se retrouvent au Canada même si la Charte n'est en vigueur que depuis peu:
R. v. Rao (1984), 12 C.C.C. (3d) 97 (C.A. Ont.), à la page 112
[TRADUCTION] J'estime toutefois qu'il faut distinguer nette- ment le pouvoir général d'entrer dans des locaux privés sans mandat pour rechercher des marchandises de contrebande et des preuves d'infractions et le pouvoir conféré aux fonctionnai- res désignés d'entrer dans des locaux aux fins d'inspection et de vérification et pour saisir des registres, échantillons ou produits relatifs aux activités d'une entreprise soumises à la réglementa- tion gouvernementale. (motifs du juge d'appel Martin)
Re Belgoma Transportation Ltd. and Director of Employment Standards (1985), 51 O.R. (2d) 509 (C.A.), à la page 512
[TRADUCTION] Les critères du caractère raisonnable d'une fouille, d'une perquisition ou d'une saisie et de la nécessité d'un mandat pour les fins d'une enquête criminelle ne sauraient être
les mêmes que pour les fouilles, les perquisitions ou les saisies effectuées en application d'un règlement administratif. (motifs du juge en chef adjoint de l'Ontario MacKinnon)
L'objet évident de la Loi sur la quarantaine des plantes est d'empêcher que nos forêts et nos fermes ne soient infestées par des parasites. Les locaux dans lesquels des inspecteurs chargés d'appliquer la Loi exerceront vraisemblablement leurs pouvoirs d'effectuer des fouilles, des perquisitions et des saisies seront, dans pratiquement tous les cas, exposés à la vue du public et, la plupart du temps, situés à l'extérieur ou dans des locaux commer- ciaux auxquels le public a accès. Les objets des perquisitions sont essentiellement, par définition, des plantes ou des parasites, c'est-à-dire des objets relativement auxquels on ne peut légitimement pas réclamer le droit à la vie privée. La fouille et la perquisition doivent être effectuées à un moment raisonnable et la croyance de l'inspecteur doit être fondée sur des motifs raisonnables; si ce n'est le cas, l'administré peut exercer un recours devant les tribunaux.
Lorsqu'il ressort d'une fouille ou d'une perquisi- tion qu'une plante ou autre matière est infestée et constitue un danger, l'intérêt public exigeant sa saisie et sa destruction immédiate doit certaine- ment prévaloir sur les droits dont l'article 8 de la Charte assure la protection.
Tout bien considéré, je suis d'avis que les dispo sitions précitées de la Loi n'autorisent pas les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives.
Les autres prétentions de la demanderesse se rapportant aux articles 7 et 15 de la Charte et à l'alinéa 2e) de la Déclaration des droits sont dénuées de tout fondement.
Il reste à examiner la prétention que, sans trop de conviction, l'avocat de la demanderesse a avan- cée pour la première fois en appel, suivant laquelle l'action pourrait être accueillie à titre de demande de compensation en application du principe exprimé dans l'arrêt Manitoba Fisheries'.
Selon mon interprétation de cet arrêt, une telle demande impliquerait de la part de la Couronne une prise de possession autorisée par une loi sans indemnisation en retour. À mon avis, la demande-
s Manitoba Fisheries Ltd. c. La Reine, [1979] 1 R.C.S. 101.
resse a omis de plaider les faits qui appuieraient une telle demande; sa déclaration, en effet, ne contient qu'une demande de dommages-intérêts pour violation et destruction de propriété, alléga- tions qui diffèrent totalement de celles requises pour appuyer une demande fondée sur le principe énoncé dans l'arrêt Manitoba Fisheries.
Je ne veux toutefois pas que la décision que je propose en l'espèce s'appuie uniquement sur mon opinion selon laquelle la procédure écrite n'étaie pas une demande fondée sur le principe de l'arrêt Manitoba Fisheries; en effet, je suis également d'avis que, même plaidée correctement, une telle demande devrait être rejetée.
La décision rendue dans l'affaire Manitoba Fisheries, si je l'ai bien comprise, procède d'un principe d'interprétation des lois: l'on doit présu- mer que le Parlement n'a pas l'intention de priver un citoyen de la propriété qu'il détient légalement sans lui verser d'indemnité. Ce principe n'est donc applicable que lorsque la loi autorise la prise de possession; en effet, si celle-ci n'est pas autorisée, le droit à l'indemnisation découle du caractère illégal du geste posé et non de quelque présomp- tion de l'intention du Parlement. Il ne peut égale- ment s'appliquer que lorsque la propriété est déte- nue légalement. Mise à part toute question relative au titre de propriété, lorsqu'une personne s'est vue retirer des biens qui, par leur nature, ne peuvent être possédés légalement (ce qui est le cas, par exemple, des substances visées au paragraphe 3(1) de la Loi sur les stupéfiants [S.R.C. 1970, chap. N-1]), il est certain que celle-ci ne bénéficie d'au- cune présomption voulant que le législateur ait eu l'intention de l'indemniser pour cette perte.
Les faits non contredits de la présente affaire révèlent que la propriété dont la demanderesse prétend avoir été privée a été importée dans ce pays. Cette importation était conditionnelle à la réussite de l'épreuve de l'inspection prévue à la Loi sur la quarantaine des plantes, ce qui n'a pas été le cas. En conséquence, les dispositions de la Loi et du Règlement ont rendu illégale la possession de cette propriété au Canada. La privation d'une possession ainsi entachée d'illégalité ne peut créer aucune présomption d'intention de compenser la perte subie. Pour prendre un exemple banal, le voyageur qui, au retour des États-Unis, est trouvé en possession d'une quantité de boissons alcoolisées
dépassant la limite légale ne peut sûrement pas réclamer d'indemnité pour les bouteilles qui sont confisquées et détruites à la frontière.
Pour ces motifs, et avec déférence pour l'opinion contraire, je conclus que l'action de la demande- resse ne peut davantage être accueillie sur le fon- dement du principe énoncé dans l'arrêt Manitoba Fisheries qu'elle ne pourrait l'être sur le fonde- ment des prétentions plaidées en premier lieu.
En conséquence, j'accueillerais l'appel, j'annule- rais le jugement porté en appel et je rejetterais l'action de la demanderesse.
Je n'adjugerais aucuns dépens, l'avocat de la Couronne ayant d'ailleurs indiqué qu'il ne les réclamait ni devant cette Cour ni devant la Divi sion de première instance.
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