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T-1032-86
Champion Truck Bodies Limited (demanderesse)
c.
La Reine du chef du Canada (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: CHAMPION TRUCK BODIES LTD. c. CANADA
Division de première instance, juge Reed— Ottawa, 9 et 11 décembre 1986.
Pratique Communication de documents et interrogatoire préalable Production de documents Requête fondée sur la Règle 448 visant à obtenir la production d'une liste de documents et d'un affidavit attestant l'exactitude de celle-ci L'octroi de l'ordonnance ne constituerait pas un interroga- toire préalable indirect de l'ex-Ministre car les ex-ministres ne peuvent être interrogés au préalable !l n'est pas néces- saire de prouver que la liste de documents produite conformé- ment à la Règle 447 est incomplète pour obtenir une ordon- nance prévue à la Règle 448 Les revendications d'un privilège sont prématurées lorsqu'on cherche à obtenir une liste de documents et non la production de ceux-ci Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 447, 448, 449 Loi sur le développement industriel et régional, S.C. 1980-81- 82-83, chap. 160.
Dans l'action principale, la demanderesse réclame des dom- mages-intérêts pour l'annulation d'une subvention de 400 000 $ qui lui avait été accordée en vertu du Programme de développe- ment industriel et régional, ou l'exécution intégrale de l'entente intervenue à cet effet.
Il s'agit d'une requête visant à obtenir une ordonnance enjoignant à la défenderesse, conformément à la Règle 448, de déposer une liste de documents et un affidavit attestant l'exacti- tude de celle-ci.
Jugement: la requête doit être accueillie.
La demanderesse ne cherche pas à faire indirectement ce qu'elle ne peut faire directement, c'est-à-dire obtenir l'interro- gatoire préalable de l'ex-Ministre Sinclair Stevens, parce qu'un ex-ministre ne peut être interrogé au préalable. Il ne peut ni parler au nom de son ancien ministère ni faire des aveux pour celui-ci car il n'en fait plus partie. En outre, un ministre n'est normalement pas la personne la mieux informée sur les ques tions en cause.
En alléguant que la requête devrait être rejetée parce que la demanderesse n'a pas précisé les documents qui n'ont pas été produits mais que la défenderesse aurait en sa possession, ladite défenderesse prétend en fait que pour être en mesure d'obtenir une ordonnance prévue à la Règle 448, une partie doit prouver que la liste de documents produite par la partie adverse confor- mément à la Règle 447 est incomplète. Ni les Règles ni la jurisprudence n'exigent une telle preuve. Ce serait imposer un fardeau insupportable que d'exiger qu'une partie prouve l'exis- tence de documents dont elle ne peut avoir aucune connaissance précise.
Il est possible que les revendications visant à obtenir la reconnaissance d'un privilège soient justifiées, mais elles sont prématurées à ce stade-ci. La demanderesse ne cherche pas à
obtenir la production de documents mais simplement une liste de ceux-ci. L'existence d'un privilège ne justifie pas l'omission de ces documents sur une liste établie en vertu de la Règle 448, pas plus que le refus de produire une telle liste.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
R. c. CAE Industries Ltd. et autre, [1977] 2 R.C.S. 566.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Descôteaux et autre c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860; (1982), 44 N.R. 462; Bell et al. v. Smith et al., [1968] R.C.S. 664; Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821.
AVOCATS:
Richard P. Bowles pour la demanderesse. Michel H. Duchesne et Patrick Jetté pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Hough & Bowles, Ottawa, pour la demande- resse.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE REED: La demanderesse cherche, par voie de requête, à obtenir une ordonnance enjoi- gnant à la défenderesse, conformément à la Règle 448 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663], de déposer une liste de documents et un affidavit attestant l'exactitude de ladite liste. Cette demande doit être examinée dans son contexte.
La demanderesse réclame des dommages-inté- rêts à la suite de l'annulation d'une subvention de 400 000 $ qui lui avait été accordée en vertu du Programme de développement industriel et régio- nal' ou l'exécution intégrale de l'entente interve- nue à cet effet. Le 13 août 1986, l'avocat de la demanderesse a écrit aux avocats de la défende- resse; il leur a fait parvenir une copie de la réponse de sa cliente et leur a proposé de procéder en temps voulu à un échange d'affidavits attestant l'exactitude des documents et à la tenue d'interro-
' Programme établi conformément à la Loi sur le développe- ment industriel et régional, S.C. 1980-81-82-83, chap. 160.
gatoires préalables en septembre. L'avocat de la demanderesse prévoyait que son affidavit attestant lesdits documents serait prêt le 25 août 1986.
Les parties ont, par la suite, pris des dispositions non définitives pour que les interrogatoires préala- bles aient lieu le 20 octobre 1986 et, bien que les listes de documents prévues à la Règle 447 n'aient pas été échangées, il semble que l'on ait en quelque sorte présumé de part et d'autre, du moins en date du 9 septembre 1986, que chaque partie permet- trait à l'autre d'examiner ses documents respectifs avant la date de l'interrogatoire préalable. La demanderesse a cherché à obtenir que M. Sinclair Stevens soit cité comme témoin par la défenderesse à l'interrogatoire préalable. Celle-ci s'est opposée à cette demande pour le motif que le Ministre n'était pas la personne la mieux informée et que, de toute manière, il ne pouvait être cité comme témoin à l'interrogatoire préalable parce qu'il n'était plus Ministre. Le moment exact la défenderesse a fourni à la demanderesse la liste de documents prévue à la Règle 447 n'est pas déterminé avec précision. Le 15 octobre, la demanderesse s'est plainte du fait que la défenderesse n'avait pas encore produit tous ses documents. Les interroga- toires préalables fixés au 20 octobre n'ont jamais eu lieu. Le 4 novembre 1986, la demanderesse a fait parvenir à la défenderesse la liste de docu ments prévue à la Règle 447, mais celle-ci ne revêtait pas la forme exigée par les Règles. (L'avo- cat de la demanderesse s'est engagé à fournir un document modifié afin de s'y conformer.)
Je souligne en passant que ce sont les avocats de la défenderesse qui, en me soumettant des argu ments et en remettant à la Cour diverses lettres échangées, ont fourni une grande partie des élé- ments du «contexte» exposé plus haut. En principe, aucun de ces éléments de preuve ne fait partie du dossier. S'il existe des faits que les avocats considè- rent pertinents pour les fins d'une requête et que la Cour est priée de les examiner avant de prendre sa décision, ces faits devraient être soumis de la manière appropriée, c'est-à-dire par voie d'affida- vit. En l'espèce, l'affidavit produit au soutien de la requête de la demanderesse a été déposé le 17 novembre 1986. Le délai écoulé était suffisamment long pour permettre qu'un affidavit soit produit en guise de réponse. Bien que j'aie tenu compte des faits mentionnés par l'avocat de la défenderesse, il
faut admettre que le dossier est incomplet quant au fondement des arguments avancés.
La demanderesse cherche maintenant à obtenir une ordonnance fondée sur la Règle 448. Il faut tout d'abord remarquer que la Règle 447(2) prévoit:
Règle 447. .. .
(2) ... une partie doit, dans les 20 jours qui suivent celui les plaidoiries de l'action sont censées avoir pris fin ... déposer et signifier à [I']autre partie une liste des documents dont elle a connaissance à ce moment et qui pourraient être présentés comme preuve
a) pour établir ou aider à établir une allégation de fait dans une plaidoirie déposée par elle; ou
b) pour réfuter ou aider à réfuter une allégation de fait dans une plaidoirie déposée par une autre partie ... [C'est moi qui souligne.]
La Règle 448 (1) porte:
Règle 448. (1) La Cour pourra ordonner à toute partie à une action d'établir, déposer et signifier à toute autre partie une liste des documents qui sont ou ont été en sa possession, sous sa garde ou son autorité et qui ont trait à tout point litigieux de l'affaire ou de la question ... [C'est moi qui souligne.]
L'avocat de la défenderesse s'oppose à la requête présentée par la demanderesse en vue d'obtenir l'ordonnance prévue à la Règle 448 pour les motifs suivants: (1) la demanderesse cherche à faire indi- rectement ce qu'elle ne peut faire directement, c'est-à-dire obtenir l'interrogatoire préalable de l'ex-Ministre Sinclair Stevens; (2) l'affidavit que la demanderesse a déposé au soutien de sa requête ne précise pas adéquatement (sauf dans un cas) les documents qui ne lui ont pas déjà été fournis ou dont elle connaît l'existence mais au sujet desquels la défenderesse revendique un privilège; (3) la demande présentée par la demanderesse est trop vague parce qu'elle vise à obtenir que la défende- resse fournisse une liste des documents qui pour- raient exister en ce qui a trait aux délibérations des fonctionnaires du MEIR, des directeurs exécu- tifs régionaux, du Conseil de développement éco- nomique et d'autres, se rapportant à l'approbation de la subvention originale, à l'annulation de ladite subvention, à l'approbation d'une deuxième sub- vention, etc.
Pour ce qui est du premier argument de l'avocat de la défenderesse, le fait d'exiger que soit établie une liste des documents qui sont ou qui ont été autrefois en la possession de la Couronne et qui ont trait à un point litigieux n'équivaut pas à obtenir
indirectement qu'un ex-ministre soit interrogé au préalable à titre de préposé de la défenderesse. Un ex-ministre ne peut être interrogé au préalable parce que, suivant les Règles de la Cour fédérale, c'est la partie qui est interrogée et non les person- nes qui pourraient être citées comme témoins à l'instruction. Par conséquent, la personne interro- gée au préalable doit pouvoir parler au nom de la défenderesse, être sous ses ordres et pouvoir faire des aveux pour celle-ci: R. c. CAE Industries Ltd. et autre, [1977] 2 R.C.S. 566, la page 567. Un ex-ministre n'est pas dans cette position car il ne fait plus partie de «l'organisation» de la défende- resse. (Dans le même ordre d'idées, un ex-employé d'une société n'est pas la personne appropriée pour répondre au nom de celle-ci au cours d'un interro- gatoire préalable.) Une autre raison pour laquelle les ministres ne constituent généralement pas les personnes qualifiées pour répondre à un interroga- toire préalable est qu'ils ne sont normalement pas les mieux informés sur les questions en cause. Il y aura habituellement au sein du ministère une per- sonne occupant un poste inférieur à celui de minis- tre et qui possède les connaissances requises pour répondre à l'interrogatoire préalable.
Ainsi, les motifs justifiant le refus d'enjoindre à un ministre ou à un ex-ministre de comparaître pour être interrogé au préalable à titre de préposé d'une partie n'ont rien à voir avec le fait d'empê- cher la divulgation de renseignements que ces per- sonnes seraient en mesure de fournir ou des rensei- gnements contenus dans des documents qui sont entre les mains du ministère et qui se rapportent aux points litigieux. Par conséquent, on ne peut affirmer que le._ fait d'exiger qu'une liste de docu ments soit établie constitue un interrogatoire préa- lable indirect du Ministre.
Le deuxième argument de la défenderesse, c'est-à-dire que sauf pour un document, la deman- deresse n'a pas réussi à préciser les documents qui n'ont pas été produits mais que la défenderesse a en sa possession, est fondé. Soulignons que pour arriver à une telle conclusion, je dois tenir compte des documents que l'avocat de la défenderesse a remis de main à main à la Cour à l'audition de la requête et qui ne sont pas présentés dans un affida vit. Celui-ci a également raison lorsqu'il affirme qu'il faut accorder peu de force probante à la déclaration du président de la demanderesse sui-
vant laquelle la défenderesse a en sa possession au moins quarante dossiers qui se rapportent à l'es- pèce. Cette affirmation est purement spéculative et concerne des renseignements dont la demanderesse ne pouvait être au courant.
L'argument de la défenderesse sur ce point équi- vaut pour l'essentiel à dire que pour être en mesure d'obtenir une ordonnance prévue à la Règle 448, une partie doit prouver que la liste de documents produite par la partie adverse conformément à la Règle 447 est incomplète. Cette exigence n'existe ni dans les Règles ni dans la jurisprudence. La liste produite en vertu de la Règle 447 concerne les documents dont la partie a connaissance au moment les plaidoiries prennent fin ou dans les vingt jours qui suivent. Elle vise les documents qui pourraient établir ou aider à établir des allégations de fait dans les plaidoiries ou à réfuter ces faits. Il n'est pas nécessaire qu'un affidavit soit joint à ladite liste. La Règle 448 est libellée différem- ment. Elle vise tous les documents qui sont ou ont été en la possession, sous la garde ou sous l'auto- rité de la partie et qui ont trait à tout point litigieux de l'affaire. Un affidavit attestant l'exac- titude de la liste doit y être joint. Il se peut qu'une partie ne cherche pas à obtenir une ordonnance prévue à la Règle 448 si elle est convaincue que tous les documents ont été divulgués dans la liste produite en vertu de la règle 447; mais, à mon avis, cela ne signifie pas que la partie qui cherche à obtenir cette ordonnance doit prouver que la liste produite en vertu de la Règle 447 est incomplète. La nature ou l'existence des documents demandés sont connues de la partie qui refuse de les divul- guer. Ce serait imposer un fardeau insupportable que d'exiger que la partie qui cherche à obtenir une ordonnance en vertu de la Règle 448 prouve l'existence de documents dont elle ne peut avoir aucune connaissance précise.
Pour ce qui est du troisième argument de la défenderesse selon lequel la réclamation est formu- lée de manière trop vague, les termes auxquels son avocat fait allusion se trouvent dans une lettre que l'avocat de la demanderesse a reçue de sa cliente et qui est annexée à l'affidavit produit au soutien de la requête de cette dernière. La cliente a indiqué à son avocat qu'à son avis les documents [TRADUC- TION] «qui pourraient exister» mais qui n'ont pas encore été produits concernent
[TRADUCTION] Les délibérations des fonctionnaires du MEIR, du conseil interne, des directeurs exécutifs régionaux, du Con- seil de développement économique, du sous-ministre adjoint et des ministres aux petites entreprises relatives à:
1. l'approbation de la subvention originale
2. l'annulation de la subvention originale
3. l'approbation d'une deuxième subvention
4. l'annulation de la deuxième subvention
5. l'approbation d'une troisième subvention
6. l'annulation de la troisième subvention.
Mais l'avocat de la demanderesse n'a pas rédigé sa requête en employant les termes de sa cliente. Il ne demande pas à la défenderesse d'établir la liste des documents qui [TRADUCTION] «pourraient exister». Sa requête reprend le libellé de la Règle 448 (voir le texte de l'avis de requête):
[TRADUCTION] ... établir, déposer et signifier une liste des documents qui sont ou qui ont été en sa possession, sous sa garde ou sous son autorité et qui ont trait à tout point litigieux de la présente affaire ou question ...
C'est à cette demande que la défenderesse est priée de répondre.
Il reste un dernier point à examiner. La défende- resse prétend que certains des documents dont la demanderesse a connaissance mais qui n'ont pas été produits sont protégés par le privilège du secret professionnel de l'avocat. Des copies des docu ments en question ont été remises à la Cour et les arrêts pertinents cités: Descôteaux et autre c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860, aux pages 876 et 881; (1982), 44 N.R. 462, aux pages 521 et 526; Bell et al. v. Smith et al., [1968] R.C.S. 664, la page 671; Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821, aux pages 834, 836 et 837. Il se peut bien que les revendications visant à faire reconnaître l'exis- tence d'un privilège soient justifiées, mais elles sont prématurées à ce stade-ci. La demanderesse ne cherche pas pour le moment à obtenir la pro duction de documents mais simplement une liste de documents par renvois à leur titre, date, expédi- teur, destinataire ou à tout autre élément qui permet de déterminer avec précision le document. Une telle liste peut indiquer précisément les docu ments qui sont considérés comme protégés par le privilège et que la partie n'est pas disposée à produire pour cette raison. La Règle 449 énonce les exigences à cet égard. Si la partie adverse cherche par la suite à obtenir la production de documents qui font l'objet d'une demande de privi-
lège, la question du privilège deviendra alors perti- nente. Mais l'existence du privilège ne justifie pas l'omission de ces documents sur une liste établie en vertu de la Règle 448, pas plus que l'omission de produire une telle liste.
Par ces motifs, la demanderesse a droit à l'or- donnance sollicitée.
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