A-592-84
Jocelyn Brière, Suzanne Dorval-Brière, Stéphane
Brière, Bruce Brière, Louise St-Hilaire, Germaine
McKenzie (appelants)
c.
Société canadienne d'hypothèques et de logement
(intimée)
RÉPERTORIE: BRIÈRE C. SOCIÉTÉ CANADIENNE D'HYPOTHÈ-
QUES ET DE LOGEMENT (C.A.F.)
Cour d'appel, juges Marceau, Hugessen et Lacom-
be -Montréal, 24 avril et ler mai; Ottawa, 3 juillet
1986.
Compétence de la Cour fédérale - Division de première
instance - Action en responsabilité délictuelle intentée contre
la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL)
pour des dommages dus à l'isolation à la mousse d'urée
formaldéhyde - Appel contre la décision selon laquelle la
Cour n'avait pas compétence - La SCHL est mandataire de la
Couronne et ses employés ne sont pas des préposés de celle-ci
- La Cour a compétence - Cause d'action fondée sur le droit
fédéral - La SCHL ne saurait invoquer une immunité qui
n'existe plus pour la Couronne elle-même depuis l'adoption de
la Loi sur la responsabilité de la Couronne - Il ressort des
art. 7, 8 et 23 que la Loi confère à la Cour une compétence
concomitante de première instance à l'égard d'une action
intentée contre un organisme mandataire de la Couronne,
lorsque la cause d'action relève de l'art. 3 de ladite Loi
Appel accueilli - Loi sur la Société canadienne d'hypothèques
et de logement, S.R.C. 1970, chap. C-16 (mod. par S.C.
1978-79, chap. 16, art. 12), art. 3, 5(1),(3),(4),(5), 11(1), 14(1),
17, 29(1)b) - Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e
Supp.), chap. 10, art. 17(1),(2),(4)b), 26(1) - Loi sur la
responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, chap. C-38, art. 7
(mod. par S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, art. 64), 8 (mod.
par S.C. 1980-81-82-83, chap. 47, art. 11), 23 - Loi modi-
fiant le droit statutaire, S.C. 1950, chap. 51 - Loi sur la Cour
de l'Echiquier, S.R.C. 1952, chap. 98, art. 18.
Couronne - Prérogatives - Société canadienne d'hypothè-
ques et de logement - La Cour fédérale a compétence pour
connaître d'une action en responsabilité délictuelle intentée
contre la Société pour des dommages résultant de l'utilisation
comme isolant de la M.I.U.F. - Une société de la Couronne ne
saurait invoquer une immunité qui n'existe plus pour la Cou-
ronne elle-même en vertu de la Loi sur la responsabilité de la
Couronne - Loi sur la Société canadienne d'hypothèques et de
logement, S.R.C. 1970, chap. C-16 (mod. par S.C. 1978-79,
chap. 16, art. 12), art. 3, 5(1),(3),(4),(5), 11(1), 14(1), 17,
29(1)b) - Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C.
1970, chap. C-38, art. 7 (mod. par S.R.C. 1970 (2 e Supp.),
chap. 10, art. 64), 8 (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 47,
art. 11), 23.
Des propriétaires d'habitations ont subi des dommages
sérieux pour avoir utilisé comme isolant la mousse d'urée
formaldéhyde. Ils ont intenté devant cette Cour deux actions,
l'une contre la Reine, l'autre contre la Société canadienne
d'hypothèques et de logement (SCHL). Ils interjettent mainte-
nant appel de la décision par laquelle la Division de première
instance a accueilli une requête en rejet de l'action intentée
contre la SCHL au motif que cette Cour n'avait pas compé-
tence pour en connaître.
La SCHL est »mandataire de Sa Majesté du chef du
Canada». En vertu du paragraphe 5(4) de la Loi sur la Société
canadienne d'hypothèques et de logement, des actions judiciai-
res peuvent être intentées ou engagées par ou contre la SCHL
en son propre nom. Bien que la Société soit mandataire de la
Couronne, ses administrateurs et employés ne sont ni fonction-
naires ni préposés de la Couronne (paragraphe 14(1)).
Il s'agit de savoir si la SCHL peut être assignée en responsa-
bilité délictuelle, sous son propre nom, devant la Cour fédérale.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
Deux conditions sont requises pour qu'une réclamation relève
de la compétence limitée de la Cour fédérale: (1) la cause
d'action doit être fondée, au moins en partie, sur du droit
fédéral; (2) un texte de loi doit expressément attribuer compé-
tence pour connaître de l'affaire.
Pour déterminer si la première condition a été remplie, il est
nécessaire d'examiner la mesure dans laquelle le droit statutaire
a modifié les principes de droit public relatifs aux immunités et
prérogatives de la Couronne du chef du Canada. Avec l'adop-
tion en 1953 de la Loi sur la responsabilité de la Couronne, le
législateur a mis fin à l'immunité de principe de la Couronne
pour les actifs fautifs de ses préposés. Toutefois, la Loi ne parle
que de la Couronne. Pour voir comment la Loi affecte le droit
commun de la responsabilité délictuelle des sociétés mandatai-
res de la Couronne, il faut distinguer les diverses hypothèses.
Premièrement, la Loi n'a rien changé lorsqu'il y a eu faute de la
part de la société elle-même: c'est encore les règles de la
common law qui s'appliqueront et rendront l'organisme pleine-
ment responsable. On cite souvent les motifs prononcés par le
juge (tel était alors son titre) Dickson dans l'arrêt R. c.
Eldorado Nucléaire Liée, [1983] 2 R.C.S. 551, pour soutenir
que la société pourrait jouir d'une certaine immunité. Toute-
fois, l'arrêt Eldorado ne portait pas sur la responsabilité délic-
tuelle mais sur une inconduite criminelle commise à l'intérieur
des limites du mandat de la société. On ne saurait écarter la
position non équivoque du juge Martland, qui est conforme au
principe général de la responsabilité délictuelle de l'agent pour
sa faute propre.
Deuxièmement, lorsqu'il y a eu faute de la part d'un employé
de la société préposé de la Couronne, le principe de l'absence de
responsabilité indirecte entre préposés de la Couronne s'appli-
que, ce qui fait que la société ne sera pas tenue responsable.
Une société qui est mandataire de la Couronne et dont les
employés sont préposés de celle-ci est un intermédiaire hiérar-
chique qui n'est pas responsable par représentation.
Troisièmement, lorsque la faute a été commise par un
employé de la société qui n'est pas préposé de la Couronne, la
Loi a un effet inévitable: la société ne peut plus invoquer, en
tant que mandataire de la Couronne, une immunité qui n'existe
plus pour la Couronne elle-même.
La faute des employés d'une société qui ne sont pas préposés
de la Couronne n'engage pas celle-ci. Le recours de la victime
ne peut être que contre l'organisme lui-même. Ce recours se
rattache directement au droit fédéral, puisqu'il n'existe que
depuis que la Loi sur la responsabilité de la Couronne est
venue modifier les règles de droit public relatives à l'immunité
de la Couronne. La première condition a donc été remplie.
Pour ce qui est de la compétence de la Cour, la Loi sur la
Cour fédérale ne contient aucune disposition expresse couvrant
une action en responsabilité délictuelle contre une société de la
Couronne. La Loi n'est toutefois pas la seule source de la
compétence de la Cour. En vertu de son paragraphe 26(1), aune
loi du Parlement» peut conférer compétence. Il ressort des
articles 7, 8 et 23 de la Loi sur la responsabilité de la
Couronne, malgré leur formulation sinueuse, que le Parlement
entendait attribuer à la Cour fédérale une compétence conco-
mitante de première instance à l'égard d'une action intentée
contre un organisme public mandataire de la Couronne, lorsque
la cause d'action relèverait de l'article 3 de ladite Loi.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Conseil des Ports Nationaux v. Langelier et al., [1969]
R.C.S. 60; R. c. Eldorado Nucléaire Ltée, [1983] 2
R.C.S. 551; Quebec North Shore Paper Co. et autre c.
Canadien Pacifique Ltée et autre, [1977] 2 R.C.S. 1054.
DÉCISIONS CITÉES:
Smith v. C.B.C., [1953] 1 D.L.R. 510 (H.C. Ont.);
Administration de la voie maritime du Saint-Laurent c.
Candiac Development Corp., [1978] C.A. 499 (Qué.);
McNamara Construction (Western) Ltd. et autre c. La
Reine, [1977] 2 R.C.S. 654; Bensol Customs Brokers
Ltd. c. Air Canada, [1979] 2 C.F. 575 (C.A.); R. c. La
Commission de transport de la Communauté urbaine de
Montréal, [1980] 2 C.F. 151 (C.A.); Bainbridge v. Post-
master-General, [1906] 1 K.B. 178 (C.A.); Lees c. La
Reine, [1974] 1 C.F. 605 (1'e inst.); La bande indienne de
Lubicon Lake c. R., [1981] 2 C.F. 317 (1 ' s inst.); Ras-
mussen c. Breau, [1986] 2 C.F. 500 (C.A.).
AVOCATS:
Guy Morin pour les appelants.
Jacques Ouellet, c.r. et Gaspard Côté, c.r.,
pour l'intimée.
PROCUREURS:
Lemay, Dubé, Laflamme & Associés, Sher-
brooke, Québec, pour les appelants.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE MARCEAU: La question de compétence
juridictionnelle que pose cet appel paraîtra, de
prime abord, sans nouveauté et d'un intérêt prati-
que pour le moins douteux. Il s'agit de savoir si la
Société canadienne d'hypothèques et de logement
peut être assignée en responsabilité délictuelle,
sous son propre nom, devant cette Cour. On serait
porté à penser que la possibilité d'une action en
Cour fédérale contre une corporation de la Cou-
ronne a certes dû faire l'objet d'une prise de
position jurisprudentielle et avoir été rejetée puis-
que les rapports ne font pas état de cas où elle
aurait été admise et que de toute façon, comme
c'est la Couronne que la victime veut rejoindre, la
présence comme partie au litige de la corporation
elle-même est pour le moins superflue. Cette réac-
tion initiale n'est pourtant pas fondée. D'une part,
il ne semble pas qu'une réponse définitive et d'ap-
plication générale ait jamais été formulée au sujet
de la question, et, d'autre part, il est loin d'être sûr
que l'action contre la corporation elle-même ne
soit pas, en certaines circonstances, utile, et même
nécessaire. L'analyse, je pense, le fera voir
suffisamment.
Le contexte factuel dans lequel la question se
soulève a son importance, mais il est relativement
simple. Les appelants sont des propriétaires d'habi-
tations qui disent avoir dû assumer des dépenses
inutiles et considérables et avoir subi des domma-
ges sérieux pour avoir utilisé comme isolant dans
les murs de leurs maisons un produit contre-indi-
qué, soit la mousse d'urée formaldéhyde. Attri-
buant leur situation malheureuse à un comporte-
ment fautif de la part de la Société canadienne
d'hypothèques et de logement (ci-après la «Société»
ou la «SCHL») et de ses préposés, ils ont intenté
devant cette Cour deux actions en responsabilité,
l'une contre Sa Majesté la Reine, l'autre contre la
Société. Dans les déclarations qu'ils ont produites
au soutien des deux actions, ils ont fait valoir les
mêmes faits, formulé les mêmes allégations de
fautes à l'encontre de la Société, les unes visant la
Société elle-même, les autres ses préposés, et
réclamé les mêmes dommages. Peut-être était-il
inutile, voire même incorrect, d'avoir deux actions
distinctes au lieu d'une seule joignant les deux
défenderesses, mais ce n'est là qu'un point mineur
de procédure qui pourra aisément se résoudre, si
besoin est. La question qui se pose en est une de
fond qui se poserait tout aussi bien dans le cas
d'une seule action contre les deux défenderesses.
L'intimée, la SCHL, a fait valoir en première
instance qu'elle ne pouvait être poursuivie en son
propre nom devant cette Cour et que de toute
façon sa présence comme défenderesse était inutile
et le juge des requêtes lui a donné raison sur le
premier point. C'est contre le jugement
[T-6046-81, juge Rouleau, 6 avril 1984, non
publié] accordant la requête pour rejet d'action au
motif que cette Cour n'aurait pas la compétence
juridictionnelle pour en connaître que cet appel a
été logé.
Avant d'entreprendre l'étude même de la ques
tion à résoudre, il est une démarche préliminaire
qui s'impose. On ne saurait discuter juridiction
ratione personae sans d'abord bien voir à qui on a
affaire. Il faut prendre soin de dégager au départ
les caractéristiques juridiques de la SCHL telles
que définies par sa loi constitutive, la Loi sur la
Société canadienne d'hypothèques et de logement,
S.R.C. 1970, chap. C-16 [mod. par S.C. 1978-79,
chap. 16, art. 12].
La SCHL a été constituée en corporation (arti-
cle 3)'. Elle est «à toutes fins, mandataire de Sa
Majesté du chef du Canada» (paragraphe 5(1)).
Un Conseil voit à l'administration de ses affaires
(paragraphe 11(1)) 2 mais ce Conseil doit se con-
former aux instructions qu'il peut recevoir à l'oc-
casion du gouvernement (paragraphe 5(5)) 3 . Elle
reçoit son capital du Fonds du revenu consolidé
(article 17) 4 . Elle peut faire tous genres d'actes
juridiques, être titulaire de toutes espèces de droits
et contracter toutes espèces d'obligations; elle peut
'3. Est par les présentes créée une corporation appelée la
«Société canadienne d'hypothèques et de logement , composée
du Ministre et des personnes qui constituent, à l'occasion, le
conseil d'administration.
2 11. (1) Le Conseil administre les affaires de la Société et en
conduit les opérations. A cette fin, il peut exercer tous les
pouvoirs de la Société.
3 5....
(5) La Société doit se conformer aux instructions qui lui sont
données, à l'occasion, par le gouverneur en conseil ou le Minis-
tre relativement à l'exercice ou accomplissement de ses pou-
voirs, devoirs et fonctions.
17. A la requête de la Société et avec l'assentiment du
gouverneur en conseil, le Ministre peut, au besoin, verser à la
Société, à même les deniers non attribués du Fonds du revenu
consolidé, un ou plusieurs montants n'excédant pas un total de
vingt-cinq millions de dollars, lequel constitue le capital de la
Société.
ainsi acquérir, détenir, aliéner, vendre des biens
réels (alinéa 29(1)b)) 5 , mais les biens qu'elle
acquiert deviennent la propriété de Sa Majesté
(paragraphe 5(3)) 6 . Et je termine par deux parti-
cularités d'importance majeure pour notre propos
dont font état les paragraphes 5(4) et 14(1) qu'il
convient d'avoir bien présent à l'esprit:
5....
(4) Des actions, poursuites ou autres procédures judiciaires
concernant un droit acquis ou une obligation contractée par la
Société pour le compte de Sa Majesté, soit en son propre nom,
soit au nom de Sa Majesté, peuvent être intentées ou engagées
par ou contre la Société, au nom de cette dernière, devant toute
cour qui aurait juridiction si la Société n'était pas mandataire
de Sa Majesté.
14. (1) La Société peut, en son propre nom, employer des
fonctionnaires et préposés pour les fins et aux conditions que
prescrit le comité de direction. Ces fonctionnaires et préposés
ne sont ni fonctionnaires ni préposés de Sa Majesté.
Cette disposition du paragraphe 5(4) relative au
droit d'ester en justice est fort connue. Elle se
retrouve dans la plupart des lois constitutives de
corporation de la Couronne. Elle existe dans la loi
sur la SCHL depuis 1950 alors que, par une loi
spéciale appelée Loi modifiant le droit statutaire,
S.C. 1950, chap. 51, le Parlement en faisait une
disposition formelle de 16 différentes lois constitu-
tives de corporation. On aura noté que son libellé
peut laisser l'impression qu'elle ne s'applique qu'à
des poursuites en matière contractuelle. La juris
prudence a cependant refusé de restreindre ainsi sa
portée et personne aujourd'hui ne semble limiter la
possibilité pour l'organisme d'ester en justice sous
son propre nom, devant n'importe quel tribunal et
en quelque matière que ce soit (cf. Smith v.
C.B.C., [1953] 1 D.L.R. 510 (H.C. Ont.); Admi
nistration de la voie maritime du Saint-Laurent c.
Candiac Development Corp., [1978] C.A. 499
(Qué.)). Mais si la disposition du paragraphe 5(4)
ne soulève plus de difficulté quant à sa portée,
toute autre est celle du paragraphe 14(1) dont la
5 29. (1) La Société peut,
b) acquérir et détenir des biens réels ou immeubles pour son
usage véritable dans l'exploitation et la gestion de ses affai-
res, les vendre ou aliéner, et acquérir à leur place d'autres
biens de même nature pour les mêmes fins;
6 5....
(3) Les biens acquis par la Société deviennent la propriété de
Sa Majesté, et le titre y afférent peut être dévolu au nom de Sa
Majesté ou en son propre nom.
phrase finale ne peut manquer d'étonner et d'avoir
pour notre analyse une grande importance. Je me
contente de noter, pour le moment, qu'il s'agit
d'une disposition qui se retrouve, elle, dans deux
autres lois constitutives de corporation seulement
et dont la raison d'être semble n'avoir jamais été
clairement élucidée.
Ayant ainsi complété la revue des textes de la loi
qui définissent le statut juridique de la SCHL, on
peut en venir à la question elle-même. L'approche
à adopter est tout indiquée. Depuis les décisions de
la Cour suprême dans McNamara Construction
(Western) Ltd. et autre c. La Reine, [1977] 2
R.C.S. 654 et Quebec North Shore Paper Co. et
autre c. Canadien Pacifique Ltée et autre,
[1977] 2 R.C.S. 1054 et celles complémentaires
qu'elles ont suscitées, entre autres Bensol Customs
Brokers Ltd. c. Air Canada, [1979] 2 C.F. 575
(C.A.) et R. c. La Commission de transport de la
Communauté urbaine de Montréal, [1980] 2 C.F.
151 (C.A.), on sait que deux conditions sont requi-
ses pour que cette cour d'exception qu'est la Cour
fédérale ait juridiction pour connaître d'une récla-
mation: il faut, premièrement, que la cause d'ac-
tion soit fondée, au moins en partie, sur du droit
fédéral et, deuxièmement, qu'un texte de loi exprès
lui ait attribué compétence pour en disposer. Ce
n'est qu'en examinant si, en l'espèce, les deux
conditions existent, qu'on pourra répondre à la
question posée.
I — La vérification de la première condition ne
sera manifestement pas aisée. Se soulève en effet
tout le problème de la responsabilité civile extra-
contractuelle des corporations mandataires de la
Couronne, un problème dont la complexité est
attestée autant par les divergences de vues des
auteurs que par les obscurités de certains arrêts. Il
n'est toutefois pas possible d'éviter d'en traiter, et
voici donc ce que j'en comprends.
Au départ, i.e. au seul niveau des principes
généraux de common law, il ne fait pas de doute
que, dans le cas d'une corporation agent de la
Couronne, entrera en jeu, dans une certaine
mesure au moins, le principe d'immunité fondé sur
la vieille maxime «The King can do no wrong».
Mais il y a aussi, je pense, un autre principe dont il
faut prendre soin de tenir compte, celui de l'ab-
sence de responsabilité indirecte ou de représenta-
tion (vicarious liability) entre préposés de la Cou-
ronne. On sait en effet que si on n'a jamais douté
que le préposé de la Couronne devait être tenu
directement responsable de sa faute personnelle
comme n'importe qui, on a toutefois pensé qu'il ne
devait pas être tenu responsable indirectement de
la faute d'autrui. Un officier supérieur préposé de
la Couronne ne répond pas des actes de ses subor-
donnés hiérarchiques également préposés de la
Couronne, à moins, bien sûr, qu'il n'ait lui-même
ordonné ou autorisé l'acte car alors une faute
personnelle de participation peut lui être imputée.
Le principe est définitivement acquis depuis au
moins l'arrêt de la Cour d'appel d'Angleterre dans
Bainbridge v. Postmaster-General, [1906] 1 K.B.
178 qui rejeta la tentative de la victime d'un
accident survenu sur un trottoir en mauvais état
d'entretien de tenir le Postmaster-General respon-
sable indirectement pour la faute de ses employés.
Soulignant que les employés du Post Office étaient
des préposés de la Couronne, le juge Collins, M.R.,
pour la Cour écrit (à la page 189):
[TRADUCTION] Or, il ressort de ces passages dont j'ai pris
connaissance que la Cour a adopté le raisonnement de l'orga-
nisme dans l'affaire antérieure et a conclu que ces employés
subalternes sont des préposés de la Couronne et qu'il n'existe
pas de rapport d'employé à supérieur.
Ce sont là, je pense, les deux principes de base de
droit public susceptibles d'influer directement sur
la responsabilité délictuelle de common law des
corporations publiques, agents de la Couronne.
Pour voir comment et dans quelle mesure, il faut
considérer séparément le cas d'une faute de la
corporation elle-même et celui d'une faute de ses
préposés.
Dans l'hypothèse d'une faute de la corporation
elle-même—le dommage étant dû, par exemple, à
une décision formelle de son bureau de direction
ou encore à un manquement, à un défaut d'agir
non attribuable à un préposé en particulier—il ne
semble pas y avoir de raison pour que la responsa-
bilité de l'organisme ne soit pas engagée. Ainsi
s'exprimait le juge Martland au nom de la Cour
suprême dans la cause Conseil des Ports Natio-
naux v. Langelier et al., [1969] R.C.S. 60, la
page 70:
[TRADUCTION] Il s'agit en l'espèce de la responsabilité d'une
personne, physique ou morale, qui, bien qu'elle soit mandataire
de l'État et qu'elle prétende agir en cette qualité, commet un
acte illégal. À mon avis, cet acte entraîne en droit une responsa-
bilité personnelle. Il y a responsabilité non parce qu'elle est
mandataire de l'État, mais parce que, bien qu'elle le soit, elle ne
peut se prévaloir dans ce cas de l'immunité de l'État.
Il est vrai qu'un flottement d'opinion subsiste à cet
égard et on cite souvent certains passages des notes
du juge en chef Dickson [alors juge puîné] dans
l'arrêt R. c. Eldorado Nucléaire Ltée, [1983] 2
R.C.S. 551, pour soutenir que la corporation pour-
rait même là faire appel à une certaine immunité,
entre autres le passage suivant qu'on trouve aux
pages 565 et 566:
Lorsqu'un mandataire de l'État agit conformément aux fins
publiques qu'il est autorisé légalement à poursuivre, il a le droit
de se prévaloir de l'immunité de l'État à l'encontre de l'applica-
tion des lois parce qu'il agit pour le compte de l'État. Cepen-
dant, lorsque le mandataire outrepasse les fins de l'État, il agit
personnellement et non pour le compte de l'État, et il ne peut
invoquer l'immunité dont bénéficie le mandataire de l'État.
Cela découle du fait que l'art. 16 de la Loi d'interprétation
s'applique à l'avantage de l'État et non à l'avantage du manda-
taire personnellement.
Mais l'arrêt Eldorado ne portait pas sur un simple
cas de responsabilité délictuelle mais de culpabilité
criminelle et l'acte reproché avait là été posé par
l'organisme à l'intérieur des limites de son mandat
et sans aucunement enfreindre les prescriptions de
sa loi constitutive. On pourrait même se demander
s'il s'agissait encore de faute au sens du droit de la
responsabilité civile. En tout cas, il paraît difficile
de mettre de côté la position non équivoque du
juge Martland d'ailleurs conforme au principe
général de la responsabilité délictuelle de l'agent
pour sa faute propre. On peut s'en tenir, je pense, à
ce qu'écrit P. Hogg sur le sujet dans son livre
Liability of the Crown (aux pages 109 et 110):
[TRADUCTION] Il se pose la question de savoir si ces sociétés
publiques qui sont des préposées de la Couronne peuvent encou-
rir une responsabilité délictuelle. Cette question n'est pas d'une
grande importance pratique puisque c'est la Couronne elle-
même qui est responsable des fautes commises par les employés
de la société, celle-ci n'étant qu'une employée supérieure. Si,
toutefois, on applique les règles ordinaires, la société serait
responsable des fautes qu'elle a commises à titre personnel,
lorsque, par exemple, son conseil d'administration a adopté une
résolution lui ordonnant de commettre la faute. Il est probable
qu'il s'agisse là d'un point de droit. D'autre part, Glanville
Williams a fait valoir qu'une société publique se distingue des
particuliers qui sont des employés de la Couronne par le fait
qu'elle n'a pas de biens personnels pour satisfaire à un juge-
ment et que les biens de l'État ne servent jamais à satisfaire à
un jugement rendu contre un employé personnellement. Il a
conclu que «règle générale, on ne peut intenter d'action en
responsabilité délictuelle contre une telle société—pas même
une action visant à obtenir un jugement symbolique». Il est peu
probable que ce point de vue soit approuvé car cela reviendrait
à mettre ces sociétés publiques qui sont des préposées de la
Couronne à l'abri de toutes actions, qu'elles reposent sur un
délit civil, sur un contrat ou sur toute autre branche du droit.
Ainsi, dans le cas de faute de la corporation elle-
même, il semble bien que les règles de common
law de la responsabilité délictuelle s'appliqueront
sans qu'aucun principe de droit public n'inter-
vienne.
Mais le plus souvent évidemment il y aura faute,
non de la corporation elle-même, mais d'un de ses
employés. Or, dans cette hypothèse, personne ne
semble douter que l'organisme ne peut être recher-
ché en responsabilité sur la seule base des règles de
common law. Pourquoi? On aurait peine à dégager
une réponse claire chez les autorités mais je sug-
gère que, des deux principes de droit public invo-
qués ci-haut, c'est le second qui joue principale-
ment. Il n'y a pas de responsabilité indirecte ou de
représentation parmi les préposés de la Couronne.
La corporation agent de la Couronne, dont les
employés sont préposés de la Couronne, est un
intermédiaire hiérarchique qui n'est pas responsa-
ble par représentation. Ce n'est que si ce second
principe ne peut jouer qu'on doit faire appel au
principe d'immunité, ce qui ne peut avoir lieu que
dans les cas où les employés de l'organisme ne sont
pas préposés de la Couronne, cas fort rares appa-
remment mais parmi lesquels se trouve, comme on
a vu, celui qui se présente ici.
C'est ainsi que je vois la situation des corpora
tions agents de la Couronne quant à leur responsa-
bilité délictuelle sur le seul plan des principes
généraux de droit public et des règles de common
law. Mais reste à voir dans quelle mesure le droit
statutaire a pu intervenir pour modifier cette situa
tion de départ. Il n'y a pas lieu, je pense, de
s'arrêter ici à cette loi de 1950, dont on a parlé
ci-haut en citant le paragraphe 5(4) de la Loi sur
la SCHL, par laquelle le Parlement a confirmé la
possibilité de poursuites contre les organismes
mandataires de la Couronne devant les tribunaux
de droit commun. La jurisprudence a bien refusé
de limiter la portée de cette disposition à la respon-
sabilité contractuelle, comme on a vu, mais per-
sonne n'a jamais douté qu'il s'agissait là stricte-
ment d'une confirmation de nature procédurale qui
ne touchait pas le droit substantif. Jusqu'en 1953,
le droit commun de la responsabilité délictuelle de
la Couronne et de ses agents n'était touché, en
autant que je sache, que par une seule disposition
législative, celle de l'article 18 de la Loi sur la
Cour de l'Echiquier, S.R.C. 1952, chap. 98, qui
permettait à cette Cour, sur pétition de droit,
d'entendre et de disposer de réclamations contre la
Couronne dans un certain nombre d'hypothèses
précises.
Ce n'est qu'en 1953, avec l'adoption de la Loi
sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970,
chap. C-38, qu'est survenue la grande transforma
tion du droit commun de la responsabilité délic-
tuelle de la Couronne. Le Parlement, en effet,
mettait fin là à l'immunité de principe de la Cou-
ronne pour les actes fautifs de ses préposés, ne
maintenant que l'exigence purement procédurale
de la pétition de droit qui elle-même devait tôt
disparaître avec la création de la Cour fédérale.
Mais la Loi sur la responsabilité de la Couronne
parle de la Couronne; on ne voit pas tout de suite
comment et dans quelle mesure elle a pu affecter
le droit commun de la responsabilité délictuelle des
corporations agents de la Couronne. Il faut pour
cela distinguer encore les diverses hypothèses.
Dans l'hypothèse d'une faute de la corporation
elle-même, la Loi n'a certes rien changé et c'est
encore les règles de common law qui s'applique-
ront et rendront l'organisme pleinement responsa-
ble. Dans l'hypothèse d'une faute d'un employé de
la corporation préposé de la Couronne, la Loi, là
encore, me semble n'avoir rien changé, car le
principe de l'absence de responsabilité indirecte
entre préposés de la Couronne est resté le même et
il s'oppose toujours à ce que la corporation soit
elle-même obligée. Mais dans l'hypothèse d'une
faute d'un employé de la corporation, qui n'est pas
préposé de la Couronne, là, à mon avis, la Loi a eu
un effet inévitable: la corporation ne peut évidem-
ment plus faire appel, en tant qu'agent de la
Couronne, à une immunité qui n'existe plus pour
la Couronne elle-même.
De l'ensemble de cette analyse que je viens de
faire du problème de la responsabilité extracon-
tractuelle des corporations mandataires de la Cou-
ronne, tel que je le comprends, se dégagent trois
propositions. Premièrement, si les exemples de cor
porations assignées devant la Cour fédérale man-
quent, ce n'est pas d'abord pour des questions de
juridiction ou de forme, comme on le dit souvent,
mais bien de fond, soit l'absence de responsabilité
personnelle des organismes publics pour la faute de
leurs employés mandataires de la Couronne.
Deuxièmement, dans les quelques cas de corpora
tions dont les employés ne sont pas préposés de la
Couronne, la faute des employés n'engage pas la
Couronne et le recours de la victime ne peut être
que contre l'organisme lui-même. Troisièmement,
ce recours de la victime contre la corporation
elle-même pour la faute de ses préposés est un
recours qui n'existe que depuis que la Loi sur la
responsabilité de la Couronne est venue modifier
les règles de droit public propres à la Couronne
fédérale en matière d'immunité et de prérogatives,
et se rattache ainsi directement au droit fédéral.
On peut citer ici ce que disait l'ancien juge en chef
Laskin dans l'arrêt Quebec North Shore Paper,
supra, à la page 1063:
Il est bon de rappeler que le droit relatif à la Couronne a été
introduit au Canada comme partie du droit constitutionnel ou
du droit public de la Grande-Bretagne; on ne peut donc préten-
dre que ce droit est du droit provincial. Dans la mesure où la
Couronne, en tant que partie à une action, est régie par la
common law, il s'agit de droit fédéral pour la Couronne du chef
du Canada, au même titre qu'il s'agit de droit provincial pour
la Couronne du chef d'une province, qui, dans chaque cas, peut
être modifié par le Parlement ou la législature compétente.
La première des deux conditions requises pour que
la Cour puisse avoir juridiction, soit que le recours
se fonde au moins en partie sur du droit fédéral,
est donc présente. Passons à la seconde.
II — La seconde condition pour que la Cour
fédérale puisse se saisir d'un recours en responsabi-
lité délictuelle contre une corporation de la Cou-
ronne est que le Parlement lui ait formellement
attribué compétence pour en disposer. En est-il
ainsi?
On chercherait en vain dans la Loi sur la Cour
fédérale [S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10] une
disposition qui couvrirait directement un tel
recours. Il est clair qu'une corporation de la Cou-
ronne n'est pas la Couronne elle-même au sens des
paragraphes 17(1) et 17(2)' et il a été déterminé
7 17. (1) La Division de première instance a compétence en
première instance dans tous les cas où l'on demande contre la
Couronne un redressement et, sauf disposition contraire, cette
compétence est exclusive.
(2) Sans restreindre la portée générale du paragraphe (1), la
Division de première instance, sauf disposition contraire, a
compétence exclusive en première instance dans tous les cas où
la propriété, les effets ou l'argent d'une personne sont en
possession de la Couronne, dans tous les cas où la demande
découle ou est née d'un contrat passé par la Couronne ou pour
son compte et dans tous les cas où une demande peut être faite
contre la Couronne pour atteinte défavorable.
plus d'une fois qu'une corporation de la Couronne
n'est pas un «fonctionnaire ou préposé de la Cou-
ronne» au sens de l'alinéa 17(4)6) 8 (cf. Lees c. La
Reine, [1974] 1 C.F. 605 (lie inst.); La bande
indienne de Lubicon Lake c. R., [1981] 2 C.F. 317
(1" inst.). Et ce sont les seuls textes auxquels on
aurait pu penser. Mais la Loi sur la Cour fédérale
prend bien soin de préciser qu'elle n'est pas la
seule source de la juridiction de la Cour. Son
paragraphe 26(1) se lit en effet comme suit:
26. (1) La Division de première instance a compétence en
première instance sur toute question pour laquelle une loi du
Parlement du Canada a donné compétence à la Cour fédérale,
désignée sous son nouveau ou sous son ancien nom, à l'excep-
tion des questions expressément réservées à la Cour d'appel.
[C'est moi qui souligne.]
Or, la Loi sur la responsabilité de la Couronne
contient un article 7 qui se lit comme suit:
7. (1) Sauf dans les cas prévus à l'article 8, et sous réserve de
l'article 23, la Cour de l'Échiquier du Canada a compétence
exclusive pour instruire en première instance toute réclamation
de dommages-intérêts sous le régime de la présente loi et pour
statuer en l'espèce.
(2) La Cour de l'Échiquier du Canada a compétence conco-
mitante de première instance à l'égard des réclamations visées
par le paragraphe 8(2) et de toute réclamation qui peut être le
sujet d'une action, poursuite ou autre procédure judiciaire
mentionnée à l'article 23.
Il faut évidemment pour comprendre connaître les
articles 8 [mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 47,
art. 11] et 23. Voici ce qu'ils édictent:
8. (1) Dans le présent article, l'expression «tribunal provin
cial», à l'égard d'une province où surgit une réclamation qu'on
cherche à faire valoir sous le régime de la présente Partie,
désigne la cour provinciale dans la province de Québec, et dans
toute autre province, la cour de comté ou de district qui serait
compétente si la réclamation était à l'encontre d'un particulier
majeur et capable ou, s'il n'y existe aucune cour de comté ou de
district ou si elles n'ont pas compétence, désigne la cour
supérieure de la province.
(2) Nonobstant la Loi sur la Cour de l'Échiquier, le tribunal
provincial peut instruire une réclamation contre la Couronne,
pour une somme d'au plus mille dollars, résultant d'un décès ou
de dommages à la personne ou aux biens causés par la négli-
gence d'un préposé de la Couronne agissant dans le cadre de ses
8 17....
(4) La Division de première instance a compétence concur-
rente en première instance
b) dans les procédures dans lesquelles on cherche à obtenir
un redressement contre une personne en raison d'un acte ou
d'une omission de cette dernière dans l'exercice de ses fonc-
tions à titre de fonctionnaire ou préposé de la Couronne.
fonctions ou de son emploi. Il y a appel du jugement rendu par
le tribunal provincial dans une instance sous le régime du
présent article, comme d'un jugement rendu dans une instance
semblable entre particuliers.
(3) Aucun tribunal provincial n'est compétent pour connaître
d'une procédure intentée par une personne sous le régime de la
présente Partie, si une procédure que la même personne a
intentée pour la même cause d'action (avant ou après l'institu-
tion de la procédure devant le tribunal provincial) est pendante
en Cour de l'Échiquier.
23. Les paragraphes 7(1) et 8(1) et (2) ne s'appliquent pas
aux actions, poursuites ou autres procédures judiciaires relati
ves à une cause d'action relevant de l'article 3, introduites ou
intentées devant un tribunal autre que la Cour de l'Échiquier
du Canada contre un organisme mandataire de la Couronne,
conformément à une loi du Parlement qui permet de les inten-
ter de cette manière, ni à leur égard. Cependant, toutes les
autres dispositions de la présente loi s'appliquent à ces actions,
poursuites ou autres procédures judiciaires, et à leur égard, sous
réserve des modifications suivantes:
a) toutes ces actions, poursuites ou autres procédures judi-
ciaires sont réputées, aux fins de la présente loi, avoir été
intentées devant un tribunal provincial sous le régime de la
Partie II; et
b) toute somme d'argent attribuée à une personne par juge-
ment dans ces actions, poursuites ou autres procédures judi-
ciaires, et l'intérêt sur cette somme accordé par le ministre
des Finances en vertu de l'article 18, peuvent être payés sur
les fonds gérés par l'organisme en question.
Ne doit-on pas comprendre à la lecture de ces
textes, spécialement du paragraphe (2) de l'article
7, que le Parlement entendait attribuer à la Cour
de l'Échiquier, aujourd'hui la Cour fédérale [mod.
par S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, art. 64], une
compétence «concomitante» (concurrent en
anglais) de première instance à l'égard d'une
action intentée contre un organisme mandataire de
la Couronne, lorsque la cause d'action relèverait de
l'article 3 de la Loi sur la responsabilité de la
Couronne? C'est bien le sens premier des mots
utilisés malgré la façon «sinueuse» de s'exprimer et
c'est bien ce qu'ont compris tous les auteurs qui s'y
sont arrêtés. (Voir notamment: René Dussault,
Traité de droit administratif canadien et québé-
cois, Les Presses de l'université Laval, Québec,
1974, la page 1463; Henriette Immarigeon, La
responsabilité extra-contractuelle de la Couronne
au Canada, Wilson & Lafleur, à la page 34; Gilles
Pépin et Yves Ouellette, Principes de contentieux
administratif 2e éd., 1982, Les Éditions Yvon
Biais inc., à la page 508.)
Ce paragraphe 7(2) de la Loi sur la responsabi-
lité de la Couronne semble n'avoir jamais fait
l'objet d'une décision judiciaire et les procureurs
de l'intimée ont cherché à en donner une interpré-
tation autre que celle invoquée par les appelants
avec l'appui des auteurs. Ils ont fait valoir en
substance, si j'ai bien compris, que l'article 7 ne
s'occupait pas de questions de compétence ratione
personae, mais uniquement de compétence ratione
materiae, et que l'utilisation au paragraphe (2) de
l'expression «compétence concomitante» avait pour
seul but de signifier que la victime avait le choix
de s'adresser à l'un ou l'autre des deux tribunaux,
les deux pouvant lui assurer compensation. Il est
possible que ce que suggèrent les procureurs de
l'intimée comme étant le sens du paragraphe 7(2)
corresponde à ce que les auteurs du projet de loi
avaient à l'esprit au moment d'en rédiger le texte.
Mais je crois que la Cour pourrait difficilement
retenir, de la disposition telle qu'adoptée, une
interprétation qui non seulement refuse de donner
aux mots clés «compétence concomitante» un sens
plein, mais, bien plus, rend la disposition tout à
fait inutile et sans objet propre en lui enlevant
toute signification indépendante du paragraphe
(1). Et surtout je ne vois pas pourquoi la Cour
adopterait, sans y être tenue, une interprétation
qui, en principe, maintiendrait cette aberration
d'un seul recours à intenter et à poursuivre simul-
tanément devant deux tribunaux différents et, en
pratique dans le cas présent, ferait perdre définiti-
vement aux appelants un droit qu'ils sont mainte-
nant forclos d'exercer par action nouvelle étant
donné l'avènement de la prescription.
Je suis d'avis qu'on peut et qu'on doit interpréter
littéralement le paragraphe 7(2) de la Loi sur la
responsabilité de la Couronne et y voir une attri
bution à la Cour fédérale d'une compétence de
première instance dans le cas d'une action en
responsabilité comme celle ici intentée. La seconde
condition requise pour que cette Cour ait juridic-
tion est donc aussi présente que la première.
Cet appel doit ainsi réussir. Le juge de première
instance a eu tort de prétendre que la Cour n'avait
pas juridiction pour se saisir de l'action telle qu'in-
tentée. Son jugement maintenant la requête pour
rejet doit être cassé et la requête elle-même
rejetée.
Je me permets d'ajouter une toute dernière
remarque. Je suis évidemment au courant que dans
la cause de l'Office canadien du poisson salé et
Joen Pauli Rasmussen et S/LF Bordoyarvik et
Herb Breau, ministre de Pêches et Océans du
Canada et Sa Majesté la Reine [qui sera publiée
dans les Recueils des arrêts de la Cour fédérale
sous l'intitulé Rasmussen c. Breau, [1986] 2 C.F.
500 (C.A.)] , trois autres juges de la Cour, dans un
arrêt daté d'aujourd'hui même, en viennent à la
conclusion que l'action en responsabilité intentée
contre l'Office lui-même ne peut être instruite
devant cette Cour. On pourrait penser à un total
désaccord sur l'approche à adopter et les principes
applicables. Je crois qu'on aurait tort. Le pouvoir
de la Cour de se saisir d'une action contre une
corporation de la Couronne dépend, comme j'ai
tenté de le faire valoir, de la cause de l'action et du
statut particulier de l'organisme. Les caractéristi-
ques juridiques de l'Office canadien du poisson
salé ne sont pas les mêmes que celles de la Société
canadienne d'hypothèques et de logement et l'or-
ganisme était assigné en responsabilité, dans le cas
considéré par mes collègues, sur la base d'allégués
qui étaient, à ce que je comprends, de nature tout
autre que celle des allégués invoqués ici contre la
Société canadienne d'hypothèques et de logement.
LE JUGE HUGESSEN: J'y souscris.
LE JUGE LACOMBE: Je suis d'accord.
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