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T-132-78 T-133-78
Docteur Joseph Marotta (demandeur)
c.
La Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: MAROTTA c. R.
Division de première instance, juge McNair— Toronto, 26 novembre 1985; Ottawa, 7 mars 1986.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Nature du revenu Le demandeur est médecin-chef et professeur dans une université Il est membre d'une société de médecins se consacrant à l'enseignement Il a inclus dans son revenu sa part des profits de la société Le Ministre a ajouté à son revenu la rémunération qui lui a été versée pour son enseigne- ment à l'Université La rémunération reçue de l'Université est-elle un revenu d'une charge ou d'un emploi ou s'agit-il d'un revenu d'entreprise tiré de la société? Critères permet- tant d'établir une distinction entre un contrat de travail et un contrat d'entreprise Contrôle, organisation ou intégration, réalité économique, résultat précis Le demandeur était un employé de l'Université et non un entrepreneur indépendant C'est l'Université qui avait le contrôle ultime et qui jouissait de la possibilité de bénéfice et supportait le risque de perte Le travail du demandeur n'était pas limité à un objectif précis de nature contractuelle Il était tout à fait intégré au système d'enseignement de l'Université La rémunération reçue était un salaire Appel rejeté Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 3, 4, 5(1), 6(3), 9(1), 11(2), 96(1)j)), 248(1).
Le demandeur a été engagé comme médecin-chef à l'hôpital St. Michael, un hôpital d'enseignement affilié à la faculté de médecine de l'Université de Toronto. Cet engagement compor- tait aussi un engagement comme professeur à l'Université. En 1971, le demandeur a formé une société avec d'autres médecins de St. Michael. La société offrait des services médicaux y compris l'enseignement à des étudiants en médecine. En calcu- lant son revenu pour les années 1972 et 1973, le demandeur a inclus sa part des profits de la société. Il s'agit d'un appel interjeté contre les cotisations par lesquelles le Ministre a ajouté la rémunération sous forme de salaire versée au deman- deur par l'Université. La question en litige est de déterminer si la rémunération reçue pour l'enseignement est un revenu d'une charge ou d'un emploi tiré de l'Université ou est un revenu d'entreprise tiré d'une société.
Jugement: l'appel doit être rejeté.
La question fondamentale est de savoir si le demandeur a rendu ses services en vertu d'un contrat de travail ou d'un contrat d'entreprise. La loi a établi quatre critères pour tran- cher cette question.
(1) Le critère du contrôle: la personne sera considérée comme engagée en vertu d'un contrat de travail si l'autorité définitive sur l'exécution du travail appartient à l'employeur. Lorsque la personne travaille en vertu d'un contrat d'entreprise, la façon d'exécuter le travail relève d'elle. Dans de nombreux cas, c'est l'existence du droit de contrôler qui importe plus que
son exercice. Bien que l'administration et le contrôle consti tuent un critère de décision important, il ne peut s'agir d'un critère déterminant dans le cas de membres d'une profession libérale possédant une habilité et un savoir-faire précis. Il faut avoir recours à d'autres critères.
(2) Le critère de l'organisation ou de l'intégration du travail: suivant ce critère, le facteur déterminant dépend de ce qu'une personne soit employée dans l'entreprise et que son travail fasse partie intégrante de celle-ci. Lorsque le travail, bien que fait pour l'entreprise, n'y est pas intégré mais en est seulement l'accessoire, la personne est considérée comme un entrepreneur indépendant. Le contrôle et la coordination quant à l'endroit et au moment le travail doit être fait peut compter plus pour déterminer si la personne appartient à l'organisation de l'em- ployeur que le facteur de la manière dont le travail doit être fait.
(3) Le critère de la réalité économique: la question qui se pose est de savoir si la personne poursuit l'activité pour elle- même ou pour un supérieur. Cette question comporte implicite- ment la question suivante: qui supporte le risque de profit ou de perte?
(4) Le critère du résultat précis: ce critère a été formulé dans les termes qui suivent par le président Jackett dans l'affaire Alexander v. M.R.N., [1970] R.C.E. 139: un «contrat de travail n'envisage ordinairement pas l'exécution d'un travail particulier mais stipule ordinairement que le préposé offre ses services au commettant» alors qu'un «contrat de louage de services envisage ordinairement ... l'exécution ... d'une tâche nettement délimi- tée et n'exige ordinairement pas que le contractant exécute personnellement quelque chose».
En l'espèce, la preuve démontrait que les relations du deman- deur avec l'Université étaient celles d'un employé. Le critère du contrôle ne pouvait être déterminant à cause des grandes réalisations professionnelles du demandeur et du degré de liberté que lui laissaient l'Université et l'hôpital. Néanmoins, le contrôle ultime appartenait à l'Université. Si le demandeur n'avait pas rempli les attentes placées en lui, on aurait pris les moyens pour lui retirer son poste.
Les caractéristiques du contrat de travail l'emportaient de beaucoup sur celles du contrat d'entreprise. L'entreprise à laquelle le demandeur travaillait principalement était celle de l'Université et non la sienne, et le travail qu'il faisait était tout à fait intégré au système d'enseignement de l'Université. C'est l'Université qui jouissait de la possibilité de bénéfice et suppor- tait le risque de perte. Le demandeur a mis sa compétence à la disposition de l'Université en échange d'une rémunération. Le travail n'était ni défini, ni limité à une tâche ou un objectif précis de quelque nature contractuelle.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Alexander v. M.R.N., [1970] R.C.É. 139; (1969), 70 DTC 6006; Rosen, H.L. c. La Reine (1976), 76 DTC 6274 (C.F. P"» inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
Simmons v. Heath Laundry Company, [1910] 1 K.B. 543 (C.A.); Stagecraft, Limited v. Minister of National
Insurance, [1952] S.C. 288; Morren v. Swinton and Pendlebury Borough Council, [1965] 2 All E.R. 349 (Q.B.D.); Short v. J. W. Henderson, Limited (1946), 62 T.L.R. 427 (H.L.); Argent v. Minister of Social Security, [1968] 1 W.L.R. 1749 (Q.B.D.); Humberstone v. Northern Timber Mills (1949), 79 C.L.R. 389 (H.C.A.); Sim, James v. Minister of National Revenue, [1966] R.C.É. 1072; 66 DTC 5276; Market Investigations Ltd. v. Minister of Social Security, [1969] 2 Q.B. 173; Ste- venson Jordon and Harrison, Ltd. v. Macdonald and Evans, [1952] 1 T.L.R. 101 (C.A.); Co -Operators Insu rance Association v. Kearney, [1965] R.C.S. 106; (1964), 48 D.L.R. (2d) 1; Montreal v. Montreal Locomotive Works Ltd., [1947] 1 D.L.R. 161 (P.C.); R. v. Mac's Milk Ltd. (1973), 40 D.L.R. (3d) 714 (C.A. Alb.); Boardman c. La Reine, [1979] 2 C.F. 422; 79 DTC 5110 (P' inst.).
AVOCATS:
B. R. Carr et C. Campbell pour le demandeur.
L. P. Chambers, c.r. et E. Thomas, c.r., pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Davies, Ward & Beck, Toronto, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MCNAIR: Il s'agit d'un appel interjeté par le demandeur contre les nouvelles cotisations du Ministre à l'égard des années d'imposition 1972 et 1973 en vertu desquelles la rémunération d'un certain travail a été considérée comme le revenu d'une charge ou d'un emploi et non comme des gains tirés d'une société professionnelle. Il y a eu une déclaration pour chaque année d'imposition en cause et une défense produite en réponse à celle-ci. Au début du procès, il y a eu ordonnance, confor- mément à une entente intervenue entre les avocats, que les deux affaires seraient entendues et jugées ensemble sur une même preuve.
La question en litige est de déterminer si la rémunération payée au demandeur par l'Université de Toronto pour de l'enseignement à des étudiants en médecine est un revenu d'une charge ou d'un emploi auprès de l'Université et constitue un revenu pendant l'année civile dans laquelle la rémunération a été touchée ou s'il s'agit d'un
revenu d'entreprise tiré d'une société, à inclure dans le revenu du demandeur pour l'année finan- cière au cours de laquelle la société l'a reçu.
Le demandeur a reçu son diplôme de la faculté de médecine de l'Université de Toronto en 1949. En 1956, après avoir terminé son internat et un supplément de spécialisation médicale, il s'est joint au personnel de l'hôpital St. Michael, à Toronto, à titre de neurologue. St. Michael était et est encore un hôpital d'enseignement affilié à la faculté de médecine de l'Université de Toronto. L'engage- ment du demandeur à St. Michael comportait aussi un engagement à l'Université, le Dr Marotta est devenu maître de conférence. En 1969, le demandeur est devenu médecin-chef à l'hôpital. Ce poste comportait le rang de professeur à l'Univer- sité. A titre de médecin-chef, le demandeur était considéré comme le représentant de l'Université à l'égard des tâches d'enseignement à St. Michael et il répondait au président de la faculté de médecine de la qualité de l'enseignement dispensé aux étu- diants en médecine à l'hôpital.
En décembre 1971, le demandeur a, avec d'au- tres médecins de St. Michael, formé une société professionnelle désignée sous le nom de «St. Michael's Hospital Physicians Association». Il y a eu contrat écrit de société. Le préambule du con- trat décrit les rapports avec l'Université de la façon suivante:
[TRADUCTION] ET ATTENDU QUE l'Hôpital est un hôpital d'enseignement affilié à l'Université de Toronto et plus précisé- ment à la Faculté de médecine de ladite Université;
L'objet de la société y est décrit comme [TRA- DUCTION] «la prestation de services médicaux». Ces services englobent trois autres catégories de services, soit: l'enseignement, la clientèle et l'hôpi- tal. Dans l'ensemble, ils comportent l'enseigne- ment à des étudiants en médecine, la poursuite de recherches médicales connexes, la prestation de conseils et de soins à des patients privés et à des patients de l'unité d'enseignement de l'hôpital, l'acccomplissement d'examens médicaux et de tests de laboratoire de même que de la recherche et d'autres activités accessoires.
Le revenu professionnel des sociétaires est consi- déré comme revenu de la société. Le comité direc- teur de la société a le pouvoir, entre autres, d'éta- blir la répartition des profits ou des pertes. Malgré cela, le médecin-chef de l'hôpital a l'autorité défi-
nitive de déterminer la répartition et la distribu tion de toutes les rémunérations salariales et des autres revenus perçus de l'Université de Toronto relativement aux fonctions d'enseignement des sociétaires de même que la formulation et l'appli- cation de toutes les politiques et de tous les pro grammes universitaires reliés à l'hôpital et à son département de médecine. Tous les chèques perçus de l'Université de Toronto pour rémunératon d'en- seignement étaient versés directement aux destina- taires individuels plutôt qu'à la société. La société fonctionne en vertu du principe du «surplus». Un revenu maximum y est déterminé pour chaque sociétaire. Tous revenus professionnels excédant le maximum sont retenus par la société et versés dans un fonds commun plutôt que d'être payés aux sociétaires individuels. Ils sont ensuite répartis parmi les sociétaires moins favorisés, dont le revenu total se trouve inférieur à leur maximum respectif. Une partie des surplus peut aussi servir à l'enrichissement universitaire.
L'année financière de la société se termine le dernier jour de février. Sa première année finan- cière a pris fin le 29 février 1972. En calculant son revenu pour l'année d'imposition 1972, le deman- deur a inclus sa part des profits de la société pour la période de deux mois terminée le 29 février 1972. Il a inclus dans son revenu pour l'année d'imposition 1973, sa part des profits de la société pour l'année financière terminée le 28 février 1973.
Par avis de nouvelles cotisations datées du 5 décembre 1975, le Ministre a cotisé de nouveau le revenu imposable du demandeur pour les années d'imposition 1972 et 1973 en ajoutant la rémuné- ration sous forme de salaire de 32 569,86 $ et 34 103,88 $ versée au contribuable par l'Université de Toronto pour ces années. Le demandeur inter- jette appel de ces nouvelles cotisations.
Les dispositions pertinentes de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.R.C. 1952, chap. 148 (mod. par S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 1)] sont les articles 3 et 4, les paragraphes 5(1), 6(3), 9(1), 11(2), 248(1) et l'alinéa 96(1)f). Le paragraphe 5(1) de la Loi est ainsi conçu:
5. (1) Sous réserve de la présente Partie, le revenu d'un contribuable, pour une année d'imposition, tiré d'une charge ou d'un emploi est le traitement, salaire et autre rémunération, y compris les gratifications, que ce contribuable a reçus dans l'année.
Il n'est pas nécessaire de citer les autres textes verbatim.
La question fondamentale est de savoir si la rémunération du contribuable constitue un revenu tiré d'une charge ou d'un emploi ou un revenu tiré d'une entreprise ou si, considérés en soi, de manière objective, en fonction de l'embauchage ou de l'engagement même, les services en cause ont été rendus en vertu d'un contrat de travail ou d'un contrat d'entreprise.
Il faut décider chaque cas selon ses circons- tances propres, mais la loi a établi dans l'ensemble quatre critères pour déterminer si l'engagement sous examen est un contrat de travail ou un con- trat d'entreprise. Historiquement, les tribunaux ont insisté sur le «critère du contrôle» pour quali fier un contrat de services. En vertu de ce critère, la personne rendant le service est un employé, ou considérée comme engagée en vertu d'un contrat de travail, si l'autorité définitive sur l'exécution de son travail appartient à son employeur, en ce sens que la personne est assujettie aux ordres de son employeur. D'autre part, lorsqu'une personne tra- vaille en vertu d'un contrat d'entreprise, la façon d'exécuter son travail relève d'elle; l'employeur peut indiquer l'objet sur lequel l'habilité de la personne doit porter, mais il a relativement peu de possibilités de contrôler la manière dont la per- sonne exerce son habilité dans les circonstances. Dans de nombreux cas, c'est l'existence du droit de contrôler qui importe plus que son exercice: voir Simmons v. Heath Laundry Company, [ 1910] 1 K.B. 543 (C.A.); Stagecraft, Limited v. Minister of National Insurance, [1952] S.C. 288; Morren v. Swinton and Pendlebury Borough Council, [1965] 2 All E.R. 349 (Q.B.D.); Short v. J. W. Hender- son, Limited (1946), 62 T.L.R. 427 (H.L.); Argent v. Minister of Social Security, [1968] 1 W.L.R. 1749 (Q.B.D.); Humberstone v. Northern Timber Mills (1949), 79 C.L.R. 389 (H.C.A.) le juge Dixon, à la page 404; Sim, James v. Minister of National Revenue, [1966] R.C.É. 1072; 66 DTC 5276; et Market Investigations Ltd. v. Minister of Social Security, [1969] 2 Q.B. 173.
L'arrêt Short v. Henderson, précité, a statué qu'un débardeur syndiqué, employé par l'intimée pour décharger son navire était l'employé de cel- le-ci et, même si le droit de sélection de l'em- ployeur était restreint et même si son contrôle sur
les salaires, la surveillance et le renvoi était limité, il n'en résultait pas nécessairement que l'employé était un entrepreneur indépendant. Dans ce cas-là, l'intimée conservait l'administration et le contrôle sur la façon de faire le travail et c'était le facteur décisif dans les circonstances.
Il s'ensuit donc que le fait que la décision d'en- gager ou de renvoyer le médecin-chef devait être prise conjointement par l'hôpital St. Michael et l'Université de Toronto n'amène pas nécessaire- ment à conclure qu'il s'agit en l'espèce d'un con- trat d'entreprise.
L'administration et le contrôle constituent un critère de décision important, mais il ne peut s'agir d'un critère déterminant dans le cas d'un membre d'une profession libérale possédant une habilité et un savoir-faire précis. Dans ces cas, il ne saurait être question que l'employeur lui dise comment faire son travail: Morren v. Swinton, etc., précité. Il faut souvent avoir recours à d'autres critères.
Un des critères souvent appliqués dans le cas de membres d'une profession libérale est celui de l'organisation ou de l'intégration du travail. Dans ce cas, le facteur déterminant qui fait distinguer le contrat de travail du contrat d'entreprise dépend de ce qu'une personne soit employée dans l'entre- prise et que son travail fasse partie intégrante de celle-ci ou que, même si son travail est fait pour l'entreprise, il n'y soit pas intégré, mais en soit seulement l'accessoire: Stevenson Jordon and Harrison, Ltd. v. Macdonald and Evans, [1952] 1 T.L.R. 101 (C.A.).
Dans la décision Rosen, H.L. c. La Reine (1976), 76 DTC 6274 (C.F. i re inst.) le juge Marceau a appliqué le critère décisif de l'intégra- tion formulé par lord Denning dans l'arrêt Steven- son Jordon pour conclure qu'un maître de confé- rence d'université à temps partiel était un employé et non un entrepreneur indépendant parce que les sujets de cours faisaient partie intégrante du pro gramme de l'université de sorte que l'entreprise à laquelle il participait activement était celle de l'université et non la sienne propre. L'affaire dépendait de ce point et le savant juge a néan- moins rejeté l'argumentation du contribuable selon laquelle l'université n'avait pas suffisamment de contrôle sur lui pour qu'il y ait relation d'em- ployeur à employé. Il dit à la page 6276 du recueil D.T.C.:
D'autre part, le degré de contrôle que les universités pou- vaient exercer sur l'enseignement du demandeur n'est guère différent, à mon avis, du degré de contrôle exercé par les universités de nos jours sur les membres spécialisés du corps enseignant qui sont sans aucun doute des employés. La latitude dont disposait le demandeur pour enseigner à ses étudiants et pour les examens qu'il leur donnait n'a rien d'exceptionnel à l'heure actuelle, surtout au niveau des études supérieures ou dans une division d'éducation permanente.
Le contrôle et la coordination quant à l'endroit et au moment le travail doit être fait peut compter plus, pour déterminer si celui qui est censé être employé appartient à l'organisation de l'em- ployeur, que le facteur de la manière dont le travail doit être fait: Co -Operators Insurance Association v. Kearney, [1965] R.C.S. 106, aux
pages 111 113; (1964), 48 D.L.R. (2d) 1, aux pages 22 et 23.
Le troisième critère est celui de la réalité écono- mique; ainsi dans la plupart des cas on peut résou- dre le litige en posant la question déterminante de qui relève le commerce ou l'entreprise, c'est-à-dire la personne poursuit-elle l'activité pour elle-même ou pour son propre compte et non pour le compte d'un supérieur? Cette question comporte implicite- ment la question suivante: qui supporte le risque de profit ou de perte? Montreal v. Montreal Locomo tive Works Ltd., [1947] 1 D.L.R. 161 (P.C.), lord Wright, aux pages 169 et 170; R. v. Mac's Milk Ltd. (1973), 40 D.L.R. (3d) 714 (C.A. Alb.), aux pages 727 à 729; et Boardman c. La Reine, [ 1979] 2 C.F. 422; 79 DTC 5110 inst.).
Le dernier critère, relativement nouveau celui-ci, est celui du résultat précis; il est formulé dans la décision Alexander v. M.R.N., [1970] R.C.É. 139; (1969), 70 DTC 6006. L'affaire inté- resse un radiologue diplômé engagé par contrat par un hôpital pour agir comme directeur de département et pour fournir des services profes- sionnels dans son domaine de spécialité. On a estimé qu'il n'était pas tout à fait étranger à la question que l'administration de l'hôpital n'ait pas considéré le radiologue comme un employé pour les fins de pension et de déductions à la source de l'impôt sur le revenu à la différence des autres directeurs de département.
Le président Jackett énonce le critère dans les termes suivants à la page 152 R.C.É.; page 6011 DTC:
Il semble évident que ce qui peut dans un cas être une façon valable d'envisager la solution du problème, n'est pas forcément utile dans un autre cas. D'une part, un contrat de travail est un contrat en vertu duquel une partie, le préposé ou l'employé, convient, pour une période déterminée ou un temps indéfini, et à temps complet ou à temps partiel, de travailler pour l'autre partie, le commettant ou l'employeur. D'une part, un contrat de louage de services est un contrat en vertu duquel une partie accepte d'effectuer pour une autre un certain travail très précis, stipulé au contrat. Un contrat de travail n'envisage ordinaire- ment pas l'exécution d'un travail particulier mais stipule ordi- nairement que le préposé offre ses services au commettant pour une certaine période de temps. Un contrat de louage de services envisage ordinairement, par contre, l'exécution d'un travail ou d'une tâche nettement délimitée et n'exige ordinairement pas que le contractant exécute personnellement quelque chose. Si, en l'espèce, on avait confié à l'appelant un poste de radiologue à plein temps à l'hôpital, pour une période de temps indéterminée et à un salaire annuel, je pense que l'on ne pourrait douter qu'il ait été engagé par l'hôpital comme fonctionnaire ou comme employé. Si, par contre, l'appelant avait pratiqué la médecine de façon normale et s'était engagé à faire exactement ce qu'il était effectivement tenu de faire par le contrat, mais d'effectuer à son cabinet, quand il pourrait en trouver le temps, la partie administrative de son travail, et ce aux mêmes conditions de traitement que celles stipulées au présent contrat, je ne pense pas qu'on ait pu douter qu'il s'agissait du travail ordinaire d'un praticien, c'est-à-dire, d'un cas typique de travail effectué en vertu d'un contrat de louage de services.
Dans cette jurisprudence, le problème découle du fait qu'il peut exister un contrat de travail présentant certaines des caractéristiques habituelles d'un contrat de louage de services, ou un contrat de louage de services présentant certaines des caractéristiques d'un contrat de travail.
Le juge Collier cite ces observations dans la décision Boardman c. La Reine, précitée, mais conclut que le psychiatre du gouvernement était, selon la réalité économique et financière, un sala- rié malgré l'intention mutuelle des parties d'arriver à l'engagement d'un entrepreneur indépendant.
En vertu d'une entente du 30 juin 1972 interve- nue entre l'Université et l'hôpital, la nomination du médecin-chef ou du chef du département d'en- seignement médical à l'hôpital devait être faite par l'hôpital, mais sur la recommandation d'un comité conjoint de recherche et avec l'approbation d'un comité conjoint de coordination. Les deux comités comptent des représentants de l'hôpital et de l'Uni- versité. Le demandeur avait été nommé à ce poste en 1969 avant que la convention ne prenne effet, mais il n'y a pas de doute que la nomination a été faite conjointement par l'Université et l'hôpital. Le D' K. J. R. Wightman, professeur de médecine (Sir John and Lady Eaton) à l'Université de Toronto, a écrit au D' Marotta pour confirmer
qu'il avait été recommandé au poste de médecin- chef et pour solliciter son acceptation. Les deuxième et troisième alinéas de la lettre résument les conditions d'engagement:
[TRADUCTION] La nomination comporte le rang de profes- seur d'université et un poste à plein temps à l'Université avec permanence. Le salaire de base de l'Université est de 30 000 $ par année plus une somme de 1 500 $ payable sur présentation des justificatifs de dépenses engagées pour les voyages ou frais de représentations nécessaires. La nomination est une nomina tion à plein temps dans le sens que vous aurez un bureau et une ou deux secrétaires à votre disposition à l'Hôpital. Il est cepen- dant prévu que vous pourrez continuer à exercer une certaine pratique privée. Elle devrait cependant être limitée de sorte que votre revenu net de pratique privée ne dépasse pas 15 000 $.
Si vous acceptez ce poste à ces conditions, je ferai parvenir ma recommandation à l'Hôpital et au doyen. Je crois qu'il serait dans l'ordre, après votre nomination, de voir à ce qu'un comité de révision soit constitué après que vous aurez occupé le poste pendant cinq ans pour vous permettre à vous, à l'Univer- sité et à l'Hôpital d'évaluer l'évolution de la situation. Je suis certain que vous réalisez que toutes les nominations faites par l'Hôpital sont des nominations annuelles. Cependant, si à la fin de la période de cinq ans, vous estimez ne pas devoir demeurer chef du département de médecine de l'Hôpital, il vous serait possible de démissionner sans perte de rang ou de salaire auprès de l'Université.
La convention intervenue entre l'Université et l'hôpital pour la désignation de celui-ci à titre d'hôpital d'enseignement n'a pas substantiellement changé ces conditions d'engagement. Le D r Marotta a continué de disposer d'un bureau et de services de secrétariat à l'hôpital. L'Université lui payait son salaire par chèques libellés à son nom. Les formules T-4 supplémentaires étaient établies à son nom en tant qu'employé de l'Université de Toronto. Il y avait des déductions à la source pour le régime de pension du Canada, l'assurance-chô- mage et l'impôt sur le revenu. De plus, le deman- deur participait au régime enregistré de pension de retraite de l'Université et à ses régimes collectifs d'assurance-vie et d'assurance-invalidité prolongée. Manifestement, l'Université considérait le poste comme celui d'un professeur de médecine, à plein temps qui enseignait par méthode clinique à un hôpital affilié pour l'enseignement, assujetti à une limite absolue de revenu de clientèle privée de 15 000 $. D'après l'Université, celle-ci n'avait pas conclu un contrat d'entreprise pour obtenir les services à temps partiel d'un médecin de pratique privée. Pour l'Université, la tâche consistait à pourvoir au meilleur enseignement possible de la médecine. Le D r Marotta s'y est adonné avec conscience et dévouement.
Le demandeur avait beaucoup de latitude. Il n'était pas tenu à un programme strict et semble avoir été libre quant aux sujets et aux méthodes d'enseignement et quant à la façon de le prodiguer. Le demandeur était libre de prendre des vacances quand il le désirait et il n'était pas tenu de rendre compte de son temps de façon stricte. Le poste de médecin-chef comportait de grandes responsabili- tés. Outre la tâche importante d'enseignement, il y avait des fonctions administratives à remplir comme la préparation des horaires et des program mes et la surveillance du rendement de ses collè- gues professeurs. Le demandeur a reconnu dans son témoignage que son propre rendement était certainement assujetti à une forme quelconque de contrôle de la part des chefs de son département à l'Université et que c'était le doyen de la faculté qui avait la responsabilité ultime de veiller à ce qu'on y enseigne une gamme convenable de spécialités ou de sujets médicaux.
Le Dr Marotta remplissait ses fonctions journa- lières, libre des entraves d'une supervision et d'un contrôle tatillons. Cette absence de contrainte, sous forme de surveillance, n'est pas du tout inha- bituelle dans le milieu universitaire moderne. La nomination au poste de médecin-chef était sujette à révision après cinq ans. Toute décision de le limoger devait être prise conjointement par l'Uni- versité et l'hôpital. Le critère du contrôle ne pou- vait être déterminant dans son cas à cause de ses grandes réalisations professionnelles et le degré de liberté que lui laissaient l'Université et l'hôpital. Néanmoins, on peut en toute logique conclure que s'il avait manqué de façon très grave de remplir les attentes considérables placées en lui, on aurait vite trouvé le moyen de lui retirer le poste. Il ne peut y avoir de doute que le contrôle ultime appartenait à l'Université. Tandis que les rapports établis entre le demandeur et l'Université pouvaient avoir cer- taines caractéristiques d'un contrat d'entreprise, surtout du point de vue du contrôle, j'estime que les caractéristiques du contrat de travail l'empor- tent de beaucoup pour ce qui est des trois autres critères.
L'Université fournissait l'équipement nécessaire à son travail par l'entremise de l'hôpital. C'est l'Université et non le demandeur qui jouissait de la possibilité de bénéfice et supportait le risque de perte. Le D' Marotta a mis sa compétence et son
habilité exceptionnelles à la disposition de l'Uni- versité en échange d'une rémunération. L'entre- prise à laquelle il travaillait principalement était celle de l'Université et non la sienne et le travail qu'il faisait était tout à fait intégré au système d'enseignement ou à l'organisation de l'Université. Enfin, le travail était ni défini, ni limité à une tâche ou un objectif précis de quelque nature contractuelle.
À mon avis, le poids de la preuve démontre que les relations du demandeur avec l'Université de Toronto étaient celles d'un employé et non celles d'un entrepreneur indépendant. La rémunération reçue était de la nature d'un salaire et sa réparti- tion par la société n'en fait pas un revenu d'entre- prise pour les fins de l'impôt.
En conséquence, l'appel du demandeur est rejeté avec dépens.
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