T-70-85
F. K. Clayton Group Limited et Frederick Keith
Clayton (requérants)
c.
Ministre du Revenu national du Canada et James
Bagnall, Directeur-Impôt du Bureau de district de
London du ministère du Revenu national, Impôt
(au 17 avril 1984) et R. O. Bailey, enquêteur
spécial nommé en vertu de la Loi de l'impôt sur le
revenu, et procureur général du Canada (intimés)
RÉPERTORIÉ: F. K. CLAYTON CROUP LTD. C. CANADA
(M.R.N.)
Division de première instance, juge Walsh—
Toronto, 18 mars; Ottawa, 27 mars 1986.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Procédures
criminelles et pénales — Fouilles, perquisitions ou saisies —
Saisie et retenue de documents en vertu de l'art. 231(1)d) et
231(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu — Y a-t-il incompa-
tibilité avec l'art. 8 de la Charte? — L'art. 24(1) de la Charte
exige-t-il une ordonnance de restitution de documents au
propriétaire? — Charte canadienne des droits et libertés, qui
constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 8, 24(1),(2) — Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-
71-72, chap. 63, art. 231(1)d),(2),(4),(9), 239 — Loi relative
aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23, art.
10(1),(3) — Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N-1,
art. 10(1)a).
Impôt sur le revenu — Saisies — Saisie et retenue de
documents en vertu de l'art. 231(1)d) et 231(2) de la Loi — Ces
deux dispositions vont à l'encontre de l'art. 8 de la Charte —
Critère pour l'ordonnance de restitution de documents au
propriétaire — Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72,
chap. 63, art. 231(1)d),(2),(4),(9), 239 — Charte canadienne
des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi
constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 8.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Certiorari —
Impôt sur le revenu — Saisie de documents en vertu de l'art.
231(1)d) de la Loi — Retenue de documents en vertu de
l'ordonnance rendue par un juge de la Cour de comté sous le
régime de l'art. 231(2) de la Loi, en attendant une poursuite
pénale — Demande d'annulation: a) de la saisie, b) de la
demande en vertu de laquelle l'ordonnance de retenue a été
rendue — L'art. 231(1)d) et 231(2) de la Loi va à l'encontre de
l'art. 8 de la Charte — La contestation de la retenue ne
constitue pas une attaque indirecte contre l'ordonnance, puis-
que la contestation ne vise pas l'ordonnance mais le droit de
solliciter une ordonnance de retenue — La saisie n'étant pas
abusive et l'art. 24(1) de la Charte n'exigeant pas nécessaire-
ment une ordonnance portant remise de documents au proprié-
taire, les documents, même s'ils ont illégalement été obtenus,
peuvent être retenus jusqu'à la fin de la poursuite pénale —
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art.
18, 28 — Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap.
63, art. 231(1)d),(2) — Charte canadienne des droits et liber-
tés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R-U.), art. 8, 24(1).
Au cours d'une vérification fiscale, un agent de l'impôt a
découvert une violation possible de l'article 239 de la Loi de
l'impôt sur le revenu et il a saisi divers documents, livres et
registres conformément à l'alinéa 231(1)d) de la Loi. Sur
demande fondée sur le paragraphe 231(2) de la Loi, un juge de
la Cour de comté a rendu une ordonnance autorisant le Minis-
tre à retenir les documents jusqu'à leur production dans une
poursuite pénale.
Les requérants s'appuient sur l'article 18 de la Loi sur la
Cour fédérale et l'article 24 de la Charte pour conclure à une
ordonnance portant annulation de la saisie et de la demande
d'ordonnance de retenue. Ils font valoir que l'alinéa 231(1)d) et
le paragraphe 231(2) de la Loi sont tous deux incompatibles
avec l'article 8 de la Charte, et que la saisie et la demande sont
de ce fait nulles et de nul effet. Ils soutiennent en outre que la
fouille, la perquisition, la saisie, l'enlèvement et la possession
des documents sont abusifs, illégaux, irréguliers, nuls et sans
effet. Il est également sollicité une ordonnance portant restitu
tion des documents.
Jugement: l'alinéa 231(1)d) et le paragraphe 231(2) de la
Loi vont à l'encontre de l'article 8 de la Charte, mais les
documents peuvent être retenus jusqu'à la fin de la poursuite
pénale.
Compte tenu des faits, la conduite de l'agent de l'impôt qui a
ordonné la saisie et le recours à l'alinéa 231(1)d) pour le faire
n'ont rien de répréhensible. Il convient de souligner que, à cette
époque, aucune des décisions (Kruger, Vespoli, Southam) où
les dispositions législatives sur les fouilles, perquisitions ou la
saisie ont été déclarées invalides parce que contraires à l'article
8 de la Charte n'avait été rendue. La véritable question se pose
de savoir si l'alinéa 231(1)d) enfreint la Loi constitutionnelle et
rend donc inopérante la saisie. Compte tenu de l'arrêt majori-
taire de la Cour d'appel dans Kruger et Vespoli—qui ont
déclaré invalide le paragraphe 231(4)—et des déclarations très
générales faites par la Cour suprême du Canada dans Sout-
ham, force est de conclure que l'alinéa 231(1)d) et le paragra-
phe 231(2) sont de la même catégorie que le paragraphe
231(4), et vont à l'encontre de l'article 8 de la Charte.
La contestation de la demande d'ordonnance de retenue ne
constitue pas une attaque indirecte, par voie de bref de préroga-
tive, de l'ordonnance rendue par le juge de la Cour de comté.
Ce n'est pas l'ordonnance du juge de la Cour de comté elle-
même qui est attaquée, mais plutôt le droit sous le régime du
paragraphe 231(2) de solliciter une telle ordonnance, lequel
droit dépend lui-même du droit de saisir les documents sous
l'empire de l'alinéa 231(1)d).
La question principale se pose toutefois de savoir si le
paragraphe 24(1) de la Charte exige la restitution des docu
ments saisis. Cette disposition exige l'examen non seulement de
la question de savoir si la saisie est inconstitutionnelle, mais
aussi de la question de savoir si elle était abusive. Dans les faits,
il n'aurait été ni possible ni raisonnable de différer la prise de
possession des documents; la saisie était donc raisonnable.
Etant donné les critères dégagés par la jurisprudence, le fait
que la saisie n'était pas abusive, que le paragraphe 24(1) de la
Charte n'exige pas nécessairement la restitution au propriétaire
des documents illégalement saisis et que le droit canadien
n'exclut pas forcément de la preuve au procès les éléments de
preuve illégalement obtenus, les documents pertinents peuvent
être retenus jusqu'à la fin de la procédure pénale oui les intimés
ont l'intention de les utiliser. Il convient de souligner que si la
restitution des documents était ordonnée à ce stade, il serait
difficile, voire impossible, pour le juge de première instance de
les obtenir pour se prononcer sur leur admissibilité.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145;
84 DTC 6467; Ministre du Revenu national c. Kruger
Inc., [1984] 2 C.F. 535; 84 DTC 6478 (C.A.); Vespoli, D.
et autres c. La Reine et autres (1984), 84 DTC 6489
(C.A.F.); Lewis, G.B. c. M.R.N. et autres (1984), 84
DTC 6550 (C.F. 1" inst.); The Queen v. Dzagic, D.
(1985), 85 DTC 5252 (H.C. Ont.); Dobney Foundry Ltd.
v. A. G. Can., [1985] 3 W.W.R. 626 (C.A.C.-B.); The
Queen v. Rowbotham, et al., jugement en date du 20
novembre 1984, C.S. Ont., juge Ewaschuk, encore inédit.
DISTINCTION FAITE AVEC;
New Garden Restaurant and Tavern Limited et al. v.
M.N.R. (1983), 83 DTC 5338 (H.C. Ont.); The Queen v.
Roth, R.A. et al. (1984), 84 DTC 6181 (H.C. Ont.).
DECISIONS EXAMINÉES:
Bertram S. Miller Ltd. c. La Reine, [1985] 1 C.F. 72 (1"
inst.); R. v. Rao (1984), 46 O.R. (2d) 80 (C.A.); Re
Belgoma Transportation Ltd. and Director of Employ
ment Standards (1985), 51 O.R. (2d) 509 (C.A.); Skis
Rossignol Canada Ltée/Ltd. c. Hunter, [1985] 1 C.F.
162; 15 C.R.R. 184 We inst.); Lagiorgia c. La Reine,
[1985] 1 C.F. 438; 85 DTC 5554 (1m inst.); R. v. Jagodic
et al. (1985), 15 C.R.R. 146 (C.S.N.E.); Re Chapman
and The Queen (1984), 46 O.R. (2d) 65 (C.A.); R. v.
Cameron (1984), 13 C.R.R. 13 (C.A.C.-B.); R. v. Noble
(1984), 48 O.R. (2d) 643 (CA.).
DÉCISIONS CITÉES:
Katz v. United States, 389 U.S. 347 (1967); R. v. Mar-
coux, R. and C. (1985), 85 DTC 5453 (C. prov. Alta.);
The Queen and Stickney, jugement en date du 22 janvier
1985, Alberta, juge McNaughton, encore inédit; Ministre
du Revenu national c. Coopers and Lybrand, [1979] 1
R.C.S. 495; (1978), 78 DTC 6528; Wilson c. La Reine,
[1983] 2 R.C.S. 594; 9 C.C.C. (3d) 97.
AVOCATS:
J. A. Giffen, c.r., pour les requérants.
Susan P. Lee pour les intimés.
PROCUREURS:
Giffen & Partners, London (Ontario), pour
les requérants.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE WALSH: Les requérants se fondent sur
l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C.
1970 (2 e Supp.), chap. 10] et sur l'article 24 de la
Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] pour
solliciter une ordonnance—
a) annulant la saisie de documents effectuée par
l'intimé M. R. O. Bailey le 22 décembre 1983;
b) annulant la demande fondée sur le paragraphe
231(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.R.C.
1952, chap. 148 (mod. par S.C. 1970-71-72, chap.
63, art. 1)] et signée le 17 avril 1984 par l'intimé
James Bagnall pour obtenir que le ministre du
Revenu national retienne les documents jusqu'à
leur production en cour.
POUR LES MOTIFS QUE:
i) L'alinéa 231(1)d) et le paragraphe 231(2) de la
Loi de l'impôt sur le revenu vont à l'encontre de
l'article 8 de la Loi constitutionnelle de 1982 et
sont inopérants.
ii) Ladite demande est incompatible avec l'article
8 de la Loi constitutionnelle de 1982 et est
inopérante.
iii) Ladite demande est illégale, irrégulière, nulle
et sans effet.
iv) Les fouilles ou perquisitions ainsi que la saisie,
l'enlèvement et la possession des effets saisis, par
les intimés et leurs représentants, sont abusifs,
illégaux, irréguliers et nuls et de nul effet.
Les requérants sollicitent également une ordon-
nance en vue d'obtenir la restitution des docu
ments et de leurs copies et extraits, saisis et empor-
tés le 22 décembre 1983 par l'intimé R. O. Bailey
et retenus en vertu de la demande présentée par
l'intimé James Bagnall le 17 avril 1984.
Voici les articles de la Loi de l'impôt sur le
revenu applicables à l'époque en cause:
231. (1) Toute personne qui y est autorisée par le Ministre,
pour toute fin relative à l'application ou à l'exécution de la
présente loi, peut, en tout temps raisonnable, pénétrer dans tous
lieux ou endroits dans lesquels l'entreprise est exploitée ou des
biens sont gardés, ou dans lesquels il se fait quelque chose se
rapportant à des affaires quelconques, ou dans lesquels sont ou
devraient être tenus des livres ou registres, et
a) vérifier ou examiner les livres et registres, et tout compte,
pièce justificative, lettre, télégramme ou autre document qui
se rapporte ou qui peut se rapporter aux renseignements qui
se trouvent ou devraient se trouver dans les livres ou regis-
tres, ou le montant de l'impôt exigible en vertu de la présente
loi,
b) examiner les biens décrits dans un inventaire ou tous
biens, procédés ou matière dont l'examen peut, à son avis, lui
aider à déterminer l'exactitude d'un inventaire ou à contrôler
les renseignements qui se trouvent ou devraient se trouver
dans les livres ou registres, ou le montant de tout impôt
exigible en vertu de la présente loi,
c) obliger le propriétaire ou le gérant des biens ou de
l'entreprise et toute autre personne présente sur les lieux de
lui prêter toute aide raisonnable dans sa vérification ou son
examen, et de répondre à toutes questions appropriées se
rapportant à la vérification ou à l'examen, soit oralement,
soit, si cette personne l'exige, par écrit, sous serment ou par
déclaration exigée par la loi et, à cette fin, obliger le proprié-
taire ou le gérant de l'accompagner sur les lieux, et
d) si, au cours d'une vérification ou d'un examen, il lui
semble qu'une infraction à la présente loi ou à un règlement
a été commise, cette personne autorisée peut saisir et empor-
ter tous documents, registres, livres, pièces ou choses qui
peuvent être requis comme preuves de l'infraction à toute
disposition de la présente loi ou d'un règlement.
(2) Le Ministre doit retourner les documents, livres, regis-
tres, pièces ou choses à la personne sur qui ils ont été saisis
a) dans les 120 jours de la date de la saisie de tous docu
ments, registres, livres, pièces ou choses conformément à
l'alinéa (1)d), ou
b) si pendant ce délai une demande est faite en vertu de ce
paragraphe et est rejetée après l'expiration du délai, immé-
diatement après le rejet de la demande,
à moins qu'un juge d'une cour supérieure ou d'une cour de
comté, sur demande faite par ou pour le Ministre avec preuve
fournie sous serment établissant que le Ministre a des motifs
raisonnables pour croire qu'il y a eu infraction à la présente loi
ou à un règlement et que les documents, registres, livres, pièces
ou choses saisis sont ou peuvent être requis comme preuves à
cet égard, n'ordonne qu'ils soient retenus par le Ministre jus-
qu'à leur production en cour, ordonnance que le juge peut
rendre sur demande ex parte.
(4) Lorsque le Ministre a des motifs raisonnables pour croire
qu'une infraction à cette loi ou à un règlement a été commise
ou sera probablement commise, il peut, avec l'agrément d'un
juge d'une cour supérieure ou d'une cour de comté, agrément
que le juge est investi par ce paragraphe du pouvoir de donner
sur la présentation d'une demande ex parte, autoriser par écrit
tout fonctionnaire du ministère du Revenu national ainsi que
tout membre de la Gendarmerie royale du Canada ou tout
autre agent de la paix à l'assistance desquels il fait appel et
toute autre personne qui peut y être nommée, à entrer et à
chercher, usant de la force s'il le faut, dans tout bâtiment,
contenant ou endroit en vue de découvrir les documents, livres,
registres, pièces ou choses qui peuvent servir de preuve au sujet
de l'infraction de toute disposition de la présente loi ou d'un
règlement et à saisir et à emporter ces documents, livres,
registres, pièces ou choses et à les retenir jusqu'à ce qu'ils soient
produits devant la cour.
(9) Lorsqu'un livre, registre ou autre document a été saisi,
examiné ou produit en vertu du présent article, la personne qui
opère la saisie ou fait l'examen, ou à qui ces pièces sont
produites, ou tout fonctionnaire du ministère du Revenu natio
nal peut faire ou faire faire une ou plusieurs copies de ces
pièces, et un document qui est réputé être certifié par le
Ministre, ou par une personne autorisée à ce faire par le
Ministre, comme étant une copie exécutée en conformité du
présent article, est admissible comme preuve et possède la
même valeur probante que le document original aurait eue si sa
véracité avait été prouvée de la façon ordinaire.
Il est admis que, au cours d'une vérification
fiscale effectuée chez F. K. Clayton Group Limi
ted par R. O. Bailey, fonctionnaire du ministère du
Revenu national, en vertu de l'article 231 de la Loi
de l'impôt sur le revenu, on a examiné des regis-
tres et d'autres livres et documents de la société
portant sur les années 1977 à 1982, ainsi que des
déclarations d'impôt de F. K. Clayton Group
Limited et de Frederick Keith Clayton pour les
années d'imposition 1978 1982.
Cette enquête a fait ressortir que certains achats
de biens ou de services, qui auraient été effectués
au bénéfice de F. K. Clayton ou de sa famille,
avaient été imputés à la société et lorsque, le 21
décembre 1983, M. Bailey l'a interrogé à ce sujet
en présence de R. J. Churchill, un autre fonction-
naire du Ministère, M. Clayton aurait fait certains
aveux relatifs à ces écritures et débours.
Dans son affidavit en date du 17 avril 1984, M.
Bailey a déclaré que, vu la situation, il avait des
motifs raisonnables pour croire que F. K. Clayton
Group Limited et son président Frederick Keith
Clayton avaient violé l'article 239 de la Loi de
l'impôt sur le revenu; c'est ainsi que, au cours de
son enquête, il a saisi, en application de l'alinéa
231(1)d) de la Loi, divers documents, registres,
livres, pièces ou choses ayant trait aux activités des
requérants durant les exercices financiers de 1978
à 1982, cette saisie ayant été pratiquée le 22
décembre 1983; il a ajouté que ces documents
pourraient servir à prouver en cour les infractions
à la Loi de l'impôt sur le revenu citées en détail
dans son affidavit. Cet affidavit, établi à l'appui
d'une demande fondée sur le paragraphe 231(2) de
la Loi, a amené le juge Street de la Cour de comté
de Middlesex, lieu de la saisie, à rendre le 19 avril
1984 une ordonnance autorisant le Ministre à
retenir lesdits documents jusqu'à leur production
en cour.
Dans un deuxième affidavit en date du 12 juin
1985, M. Bailey affirme que son enquête avait
commencé en juin 1983, après qu'un autre vérifi-
cateur lui eut renvoyé le dossier au sujet, semble-
t-il, de dépenses que la société n'était pas autorisée
à déduire et que M. Clayton n'avait pas incluses
dans ses déclarations d'impôt. Il y a également eu
des enquêtes faites auprès de tiers. Rendez-vous
fut donc pris avec M. Clayton pour le 21 décem-
bre. Dans son affidavit, M. Bailey déclare que ce
dernier avait, lui semblait-il, sciemment contre-
venu à l'article 239 de la Loi en faussant le
montant de l'impôt à payer, que les registres, livres
et autres documents étaient requis comme preuve
desdites infractions et que, le contribuable ayant
été confronté à la preuve des dépenses irrégulière-
ment déclarées et déduites, il y avait lieu de proté-
ger ces registres qui [TRADUCTION] «n'auraient
pas été en sécurité entre les mains des contribua-
bles». Il les a donc saisis, après en avoir dressé
l'inventaire dont une copie a été envoyée à Clayton
en date du 16 janvier 1984, date à laquelle, avec le
consentement de celui-ci, il a obtenu d'autres rele-
vés bancaires couvrant le mois de décembre 1982
pour les ajouter à ceux qui figuraient dans l'inven-
taire et qui s'arrêtaient au 9 décembre. Ces relevés
bancaires additionnels ne sont pas en cause pui-
qu'ils n'ont pas été saisis, et qu'ils ont été retournés
depuis lors.
Le 16 août 1985, diverses accusations ont été
portées non seulement contre les requérants à l'ins-
tance, mais aussi contre Gary M. Ballas, l'expert-
comptable indépendant de Clayton. Il n'a pas saisi
la Cour d'une demande semblable, pour ce qui est
de documents saisis qui lui appartiendraient.
Il ressort de la liste abrégée des chefs d'accusa-
tion qu'à l'exception d'un Betamex acheté le 18
décembre 1980, au prix de 1 710,93 $, aucun d'eux
ne porte sur les dépenses qui auraient été abusive-
ment inscrites pour les années antérieures à 1980,
toutes les accusations se rapportant aux années
d'imposition 1981 et 1982. Bien que cela ne figure
pas dans le dossier, les avocats ont avisé la Cour
que les instructions étaient prévues pour le 21 avril
1986.
S'appuyant sur le contre-interrogatoire de M.
Bailey au sujet de ses affidavits, l'avocat des
requérants fait valoir que ce dernier aurait dû, au
lieu de prendre possession des documents, obtenir
un mandat de perquisition en vertu du Code crimi-
nel [S.R.C. 1970, chap. C-34]. M. Bailey a déclaré
qu'il avait eu des motifs raisonnables pour croire
qu'on avait enfreint l'article 239 de la Loi de
l'impôt sur le revenu. À la différence des paragra-
phes 231(4) et 231(2) qui exigent tous deux une
intervention judiciaire, l'alinéa 231(1)d) n'exige
pas l'agrément ou l'autorisation d'un juge ou d'un
juge de paix pour qu'un mandat puisse être
décerné. Le paragraphe 231(4) a déjà été déclaré
incompatible avec l'article 8 de la Loi constitu-
tionnelle de 1982 par deux arrêts rendus par la
Cour d'appel fédérale à la majorité dans Ministre
du Revenu national c. Kruger Inc., [1984] 2 C.F.
535; 84 DTC 6478, et Vespoli, D. et autres c. La
Reine et autres (1984), 84 DTC 6489 (C.A.F.),
ces deux jugements portant la date du 27 septem-
bre 1984, ainsi que dans des affaires ultérieures,
telles que Lewis, G.B. c. M.R.N. et autres (1984),
84 DTC 6550 (C.F. 1`e inst.); ces jugements n'ont
pas fait l'objet d'un pourvoi devant la Cour
suprême, mais l'affaire Hunter et autres c. Sou-
tham Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; 84 DTC 6467,
quoique portant sur les paragraphes 10(1) et (3)
de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions
[S.R.C. 1970, chap. C-23] plutôt que sur l'article
231 de la Loi de l'impôt sur le revenu, applique les
mêmes principes. Il est dit ceci à la page 152
R.C.S.; 6470 DTC du jugement:
... à moins de circonstances exceptionnelles les dispositions de
l'art. 443 du Code criminel, qui étendent aux enquêtes sur les
infractions prévues au Code criminel les garanties en matière
de procédure que la common law exige quant aux fouilles et
aux perquisitions visant des biens volés, constituent les condi
tions préalables minimales pour que des fouilles, des perquisi-
tions et des saisies soient raisonnables dans le cas d'une enquête
portant sur une infraction criminelle et notamment sur des
violations possibles de la Loi relative aux enquêtes sur les
coalitions.
Comme en l'espèce, ce n'était pas la conduite
des appelants qui était en cause, mais plutôt la loi
en vertu de laquelle ils ont agi. On ne s'est nulle-
ment plaint de la conduite de M. Bailey.
Le juge Dickson [tel était alors son titre] s'est
prononcé en ces termes aux pages 160 et 161
R.C.S.; 6474 DTC de l'arrêt Southam:
L'exigence d'une autorisation préalable, qui prend habituelle-
ment la forme d'un mandat valide, a toujours été la condition
préalable d'une fouille, d'une perquisition et d'une saisie valides
sous le régime de la common law et de la plupart des lois. Une
telle exigence impose à l'État l'obligation de démontrer la
supériorité de son droit par rapport à celui du particulier.
Comme telle, elle est conforme à l'esprit apparent de la Charte
qui est de préférer, lorsque cela est possible, le droit des
particuliers de ne pas subir l'ingérence de l'État au droit de ce
dernier de poursuivre ses fins par une telle ingérence.
Je reconnais qu'il n'est peut-être pas raisonnable dans tous
les cas d'insister sur l'autorisation préalable aux fins de valider
des atteintes du gouvernement aux expectatives des particuliers
en matière de vie privée. Néanmoins, je suis d'avis de conclure
qu'une telle autorisation, lorsqu'elle peut être obtenue, est une
condition préalable de la validité d'une fouille, d'une perquisi-
tion et d'une saisie.
et il a continué à la page 161 en citant l'affaire
américaine Katz v. United States, 389 U.S. 347
(1967):
Avec égards, néanmoins, je suis d'avis d'adopter en l'espèce la
formulation du juge Stewart qui s'applique pareillement au
concept du «caractère abusif» que l'on trouve à l'art. 8, et
j'estime que la partie qui veut justifier une perquisition sans
mandat doit réfuter cette présomption du caractère abusif.
Le contre-interrogatoire de M. Bailey portait
sur le caractère abusif de la saisie des documents
qu'il avait effectuée en vertu de l'alinéa 231(1)d)
de la Loi. Il a indiqué qu'il lui aurait été très
difficile d'obtenir un mandat le 22 décembre, esti-
mant que cela prendrait quelques jours pour pré-
parer les documents pertinents, bien que 5 ou 6
juges de la cour de comté et un certain nombre de
juges de paix se trouvant dans l'immeuble voisin
du service d'impôt de London eussent pu décerner
un mandat de perquisition en vertu du Code crimi-
nel. Ayant mis le contribuable en face des faits, il
a estimé que la sécurité des registres serait com
promise s'ils étaient laissés entre les mains de
celui-ci. À la page 57 de son interrogatoire, il dit
ceci:
[TRADUCTION] La difficulté que j'essaie de faire ressortir ici
est que lorsqu'on doit mettre un contribuable en face des faits,
la situation est alors différente de celle où le contribuable n'a
pas été saisi du problème, et où on peut rédiger un affidavit et
le présenter à un juge. En l'espèce, j'estime que j'ai mis le
contribuable en face des faits et lui ai fait prendre conscience
des infractions à la Loi de l'impôt sur le revenu, et que je ne
pouvais, à ce stade, laisser les dossiers échapper à mon contrôle
parce que, à mon avis, les violations étaient assez graves et
pouvaient donner lieu à une enquête générale et à des accusa
tions sous le régime de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Il n'a donc pas jugé bon de laisser son associé M.
Churchill sur place, pendant qu'il se présenterait
devant un juge pour obtenir un mandat. La docu
mentation qu'il a préparée et soumise au juge
Street pour obtenir une ordonnance de rétention
continue en vertu du paragraphe 231(2) tend à
confirmer la nécessité d'une préparation considéra-
ble.
Il faut se rappeler qu'il ne s'agissait pas de
rechercher dans les registres des requérants la
preuve de la perpétration d'infractions criminelles
pour laquelle un mandat de perquisition était
nécessaire, mais plutôt de continuer une vérifica-
tion qui laissait pressentir des infractions à la Loi
de l'impôt sur le revenu; cette vérification, à
mesure qu'elle mettait au jour de nombreuses ins
criptions et factures supposément irrégulières, ten-
dait à confirmer ces soupçons jusqu'à ce que M.
Bailey eût des motifs raisonnables pour croire que
tel était le cas, et informât M. Clayton qu'il s'agis-
sait d'une situation grave qui pourrait donner lieu
à une poursuite pénale. Il a alors pris possession
des registres en question conformément à l'alinéa
231(1)d).
Il convient de noter que, à ce moment-là, les
décisions Kruger, Vespoli et Southam n'avaient
pas été rendues, et qu'il n'y avait pas lieu pour M.
Bailey de douter de la légalité de la saisie des
documents en vertu de cet article. L'avocat des
requérants conteste non pas le droit du Ministre de
faire enquête en se fondant sur l'article 231 de la
Loi, mais simplement le droit de saisir et de retenir
des documents en appliquant l'alinéa 231(1)d).
Bien que, à certains égards, une enquête en
matière d'impôt sur le revenu puisse ressembler à
une perquisition, aucun mandat de perquisition de
ce genre n'est requis dans la plupart des cas. Il
faut faire la distinction entre une enquête effectuée
dans le cadre d'une vérification et la saisie réelle
de registres et de documents.
Bien que les notes rédigées par M. Bailey au
cours de la première semaine de janvier 1984
relativement à ce qui s'est passé le 22 décembre
1983 diffèrent légèrement de ce qu'il dit dans ses
affidavits et dans le contre-interrogatoire qui s'y
rapporte, la différence ne revêt, à mon avis, aucune
importance. Dans son aide-mémoire, il s'exprime
en ces termes:
[TRADUCTION] Bailey a ensuite informé Clayton que, comme
les mêmes dépenses se répétaient à chaque année, la situation
exigeait un examen plus approfondi. Il a alors produit son
autorisation ministérielle, et montré à Clayton l'alinéa 231(1)d)
qui autorise la saisie de registres et de livres. Bailey a dit à
Clayton que ses registres étaient saisis et seraient retenus
pendant une période de 120 jours pour lui permettre de pour-
suivre l'enquête. On déciderait à ce moment-là si la poursuite a
besoin de ces registres comme moyen de preuve et, dans
l'affirmative, on obtiendrait de la Cour une ordonnance permet-
tant de les retenir.
Je n'attache non plus aucune importance au fait
que Bailey avait déjà dans sa voiture des boites
pour emporter les registres saisis, ni au fait que
certains des registres saisis chez F. K. Clayton
Group Limited appartenaient à Dianne Clayton
(Mme F. K. Clayton) ou à M. Clayton, ni au fait
qu'aucune accusation n'a été portée pour les
années d'imposition 1977, 1978 ou 1979, une seule
accusation ayant été portée pour 1980. Certes, il se
peut qu'on ait saisi ou retenu plus de documents
qu'il n'en faut maintenant pour la poursuite crimi-
nelle; cependant, la question que la Cour doit
trancher en l'espèce est de savoir non pas si quel-
ques documents et registres apparemment inutiles
doivent être retournés mais si tous les documents
saisis doivent l'être.
Compte tenu des faits, je conclus que la con-
duite de M. Bailey et la saisie qu'il a pratiquée en
vertu de l'alinéa 231(1)d) de la Loi n'ont rien de
répréhensible. La véritable question soumise à la
Cour est de savoir si l'alinéa 231(1)d) va à l'encon-
tre de la Loi constitutionnelle et si, de ce fait, la
saisie est nulle.
On a cité l'affaire Bertram S. Miller Ltd. c. La
Reine, [1985] 1 C.F. 72 (1 `e inst.), où, à la page
83, le juge Dubé s'est prononcé en ces termes à
propos de la fouille ou de la perquisition sans
mandat sous le régime de la Loi sur la quaran-
taine des plantes [S.R.C. 1970, chap. P-13]:
Il ne m'est pas possible de conclure à partir de la jurispru
dence appliquée aux faits de l'espèce que les pouvoirs de fouille
et de perquisition sans mandat conférés par l'alinéa 6(1)a) de la
Loi sur la quarantaine des plantes sont nécessairement abusifs
et qu'ils entrent inévitablement en conflit avec l'article 8 de la
Charte. Il peut exister des cas d'urgence où il serait impossible
d'obtenir un mandat. À mon avis, cependant, l'alinéa 6(1)a) est
inopérant dans la mesure où il est incompatible avec l'article 8,
comme dans le cas présent où il n'a pas été démontré qu'il était
impossible ou même difficile d'obtenir un tel mandat.
Les avocats ont informé la Cour que ce jugement
avait fait l'objet d'un appel, mais qu'aucun arrêt
n'avait été rendu, l'appel ayant été entendu par la
Cour au mois de janvier. Cela soulève une fois de
plus la question de fait de savoir si, compte tenu
des faits de l'espèce, il était impossible ou même
difficile d'obtenir un mandat de perquisition en
vertu du Code criminel. Il faut encore une fois
souligner qu'il n'y avait pas lieu à perquisition au
sens du paragraphe (4) de l'article 231 qui a été
déclaré inopérant par l'affaire Kruger et par d'au-
tres causes (précitées).
Dans l'affaire The Queen v. Dzagic, D. (1985),
85 DTC 5252, qui portait sur des documents reçus
au cours d'une vérification qui a donné lieu à des
poursuites contre le contribuable sous divers chefs
d'évasion fiscale, la Haute Cour de justice de
l'Ontario a jugé que l'alinéa 231(1)d) de la Loi de
l'impôt sur le revenu contrevenait à l'article 8 de
la Charte canadienne des droits et libertés [qui
constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.)]. La Cour n'a cependant pas
conclu à l'inadmissibilité de ces documents en
preuve, et elle a jugé que l'inconstitutionnalité ne
suffisait pas en soi à justifier l'exclusion des élé-
ments de preuve pertinents. D'autres raisons con-
vaincantes seraient nécessaires. A propos de la
constitutionnalité de l'alinéa 231(1)d), la Cour n'a
pas suivi les décisions New Garden Restaurant and
Tavern Limited et al. v. M.N.R. (1983), 83 DTC
5338 (H.C. Ont.), et The Queen v. Roth, R.A. et
al. (1984), 84 DTC 6181 (H.C. Ont.), qui
n'avaient pu s'inspirer de l'arrêt Southam. Il con-
vient toutefois de souligner que la décision rendue
à l'unanimité par la Cour d'appel de l'Alberta dans
l'affaire Southam et confirmée par la Cour
suprême, déclarant le paragraphe 231(4) inconsti-
tutionnel, était antérieure à ces jugements. L'af-
faire Southam a été mentionnée dans la cause
New Garden Restaurant, mais n'a pas été suivie.
Aux pages 5340 et 5341 du jugement publié dans
83 DTC 5338, le juge White s'exprime en ces
termes:
[TRADUCTION] J'interprète l'arrêt de la Cour d'appel de l'Al-
berta comme statuant que l'art. 10 de la Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions implique nécessairement que, avant
qu'une fouille ou perquisition ne soit effectuée, la Commission
sur les pratiques restrictives du commerce, qui autorisait ladite
fouille ou perquisition, était déjà convaincue de la culpabilité
probable de la partie visée. À mon avis, l'art. 231(1)d) de la Loi
n'implique pas en soi une telle idée préconçue de culpabilité, et
c'est ce qui, à mon avis, distingue l'affaire Southam de l'espèce
présente.
À mon avis, l'art. 231(1)d) de la Loi ne suppose pas nécessai-
rement une conduite abusive de l'enquêteur fiscal et, de par sa
formulation même, ne porte pas atteinte à l'expectative raison-
nable du contribuable concernant la protection de sa vie privée,
droit qui est protégé par l'art. 8 de la Charte.
En effet, la Loi de l'impôt sur le revenu prévoit un système
de perception de l'impôt fondé sur l'obligation du contribuable
de faire une déclaration juste et honnête de son revenu. Un tel
système fiscal exige que le gouvernement soit normalement
habilité à vérifier les registres commerciaux du contribuable
afin de s'assurer de l'exactitude raisonnable des déclarations
d'impôt sur le revenu qui ont été produites. La vérification et la
collation de ces registres par le gouvernement ne portent pas
atteinte à l'expectative du contribuable concernant la protection
de sa vie privée puisque, en produisant sa déclaration, celui-ci
sait qu'il doit fournir des documents à l'appui de sa déclaration
d'impôt sur le revenu, et que les documents utilisés pour la
préparation de cette déclaration sont susceptibles de vérifica-
tion au même titre que cette dernière. C'est seulement lors-
qu'un enquêteur fiscal, se fondant sur des motifs raisonnables,
est convaincu de la culpabilité du contribuable que l'expectative
du contribuable concernant la protection de sa vie privée joue
de nouveau à l'égard de ses registres et documents. Dans ces
circonstances, l'obtention d'une ordonnance sous le régime de
l'art. 231(4) de la Loi, qui est en fait un mandat de perquisi-
tion, est une condition suspensive pour qu'une fouille, une
perquisition et une saisie légales des registres du contribuable
soient pratiquées par l'enquêteur, et une saisie sans mandat
pratiquée en vertu de l'art. 231(1)d) de la Loi constituerait une
violation des droits du contribuable.
De plus, l'intérêt public qui exige un système raisonnable-
ment efficace de perception de l'impôt l'emporte sur l'expecta-
tive du contribuable concernant la protection de sa vie privée
dans les circonstances envisagées par l'art. 231(1)d) de la Loi
qui, selon moi, autorise la saisie sans mandat lorsque l'enquê-
teur fiscal trouve par hasard des pièces à conviction au cours de
sa vérification, sans avoir été, antérieurement à la vérification,
convaincu de la culpabilité de la personne faisant l'objet d'une
fouille ou d'une perquisition.
Dans le même jugement, il ajoute à la page 5341:
[TRADUCTION] Pour les motifs invoqués ci-dessus, je conclus
que l'art. 231(1)d) de la Loi ne suppose pas nécessairement, de
par sa formulation même, une conduite abusive de l'enquêteur
fiscal et ne viole donc pas, en soi, le droit des requérants à la
protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies
abusives. De même, je conclus, par voie de conséquence, que
l'art. 231(2) de la Loi n'enfreint pas l'art. 8 de la Charte.
Conclure, comme je l'ai fait, que l'art. 231(1)d) et, par voie
de conséquence, l'art. 231(2) de la Loi n'enfreignent pas, en soi,
l'art. 8 de la Charte n'empêcherait toutefois pas les requérants,
dans des actions subséquentes, d'invoquer l'art. 24(2) de la
Charte pour solliciter une ordonnance excluant les registres et
documents saisis en vertu de l'art. 231(1)d) de la Loi pour le
motif que, compte tenu des faits, M. Piirik n'a procédé aux
saisies en vertu de l'art. 231(1)d) qu'après avoir conclu à la
culpabilité probable des requérants, au moment où l'ordon-
nance ou le mandat prévu à l'art. 231(4) de la Loi aurait dû
être obtenu avant la saisie des documents.
L'avocat des requérants a également mentionné
l'affaire R. v. Marcoux, R. and C., Cour provin-
ciale de l'Alberta, (1985), 85 DTC 5453, qui
portait sur la constitutionnalité du paragraphe
231(3) de la Loi, celui-ci n'étant pas en litige en
l'espèce. À la page 5459 du jugement, on lit cet
aveu, reproduit ici pour ce qu'il vaut:
[TRADUCTION] L'avocat de la Couronne a commencé par
admettre que l'art. 231(1)d) de la Loi de l'impôt sur le revenu
est incompatible avec l'article 8 de la Charte des droits et
libertés, et qu'il est donc inopérant.
S'appuyant sur la décision The Queen and Stick-
ney, non publiée, rendue le 22 janvier 1985 par le
juge McNaughton en Alberta, l'avocat de la Cou-
ronne a cependant fait valoir que, même si l'alinéa
231(1)d) est inopérant, les documents saisis en
vertu de celui-ci devraient être admis en preuve
puisque la défense n'a pas établi le caractère dérai-
sonnable des actes des fonctionnaires du ministère
du Revenu national, et ce ne serait pas déconsidé-
rer l'administration de la justice que d'admettre
ainsi ces documents en preuve. Toutefois, dans
l'affaire Marcoux, la Cour a jugé que les vérifica-
teurs avaient déjà conclu à l'existence de contra
dictions dans les registres et les déclarations d'im-
pôt des défendeurs et qu'ils avaient eu des livres et
registres en leur possession pendant plusieurs mois
lorsqu'ils arrivèrent chez les Marcoux sous pré-
texte de demander des explications et éclaircisse-
ments au sujet de ces livres et registres. La Cour a
jugé que les vérificateurs auraient dû mettre les
livres à la disposition des Marcoux avant leur
interrogatoire, et qu'en donnant à ces derniers un
relevé inexact de leur actif net, ils ont agi injuste-
ment et abusivement.
Comme le souligne l'avocate des intimés, le
procureur des requérants s'est bien gardé de
demander l'annulation de l'ordonnance rendue par
le juge Street en vertu du paragraphe 231(2) de la
Loi, puisque cette Cour n'aurait pas le droit de le
faire; il a simplement voulu faire annuler la
demande formulée par James Bagnall en vertu de
ce paragraphe pour retenir les documents jusqu'à
leur production en cour.
L'avocate des intimés a fait valoir que la requête
constitue une attaque indirecte contre l'ordon-
nance du juge Street, puisque c'est lui qui devrait
décider, avant de décerner l'ordonnance autorisant
la garde des documents au-delà de 120 jours, s'ils
avaient été valablement saisis. Selon cet argument,
la Cour infirmerait l'ordonnance du juge Street si
elle ordonnait la restitution des documents saisis
pour le motif que l'alinéa 231(1)d) est inconstitu-
tionnel. Pour être juste envers le juge Street, il
faudrait souligner que son ordonnance constituait
plutôt une procédure ex parte selon l'économie de
l'article 231 de la Loi, et il est très improbable
qu'il ait été saisi de la question constitutionnelle. À
cet égard, l'avocate des intimés a cité l'arrêt de la
Cour suprême du Canada Wilson c. La Reine,
[1983] 2 R.C.S. 594; 9 C.C.C. (3d) 97, où le juge
McIntyre a fait cette remarque à la page 604
R.C.S.; pages 120 et 121 C.C.C.:
Les arrêts déjà cités ainsi que la jurisprudence qui y est
mentionnée confirment la règle bien établie et fondamentale-
ment importante sur laquelle la Cour d'appel du Manitoba s'est,
fondée en l'espèce. Cette règle porte qu'une ordonnance d'une
cour, qui n'a été ni annulée ni modifiée en appel, ne peut faire
l'objet d'une attaque indirecte et doit être appliquée
intégralement.
Il a toutefois déclaré à la page 599 R.C.S.; 117
C.C.C.:
Selon un principe fondamental établi depuis longtemps, une
ordonnance rendue par une cour compétente est valide, con-
cluante et a force exécutoire, à moins d'être infirmée en appel
ou légalement annulée. De plus, la jurisprudence établit très
clairement qu'une telle ordonnance ne peut faire l'objet d'une
attaque indirecte; l'attaque indirecte peut être décrite comme
une attaque dans le cadre de procédures autres que celles visant
précisément à obtenir l'infirmation, la modification ou l'annula-
tion de l'ordonnance ou du jugement.
Les requérants font valoir toutefois que le juge
Street n'avait pas compétence pour rendre l'ordon-
nance puisque celle-ci faisait suite à une demande
fondée sur l'alinéa 231(1)d) qui est inconstitution-
nel, ce qui fait que l'ordonnance rendue en vertu
du paragraphe 231(2) est inopérante. Dans l'af-
faire Kruger (précitée), la Cour d'appel fédérale
s'est penchée sur l'argument selon lequel on ne
saurait, au moyen d'un bref de prérogative, atta-
quer indirectement une ordonnance rendue par un
juge d'une autre cour; le juge Pratte, qui rendait
l'arrêt, s'est prononcé en ces termes à la page 545
C.F.; 6841 DTC:
L'avocat des appelants a également prétendu que l'autorisa-
tion du Ministre ne peut être contestée par voie de certiorari
parce qu'une telle contestation constitue en fait une contesta-
tion indirecte de la décision du juge Ducros qui a approuvé
l'autorisation. Comme la décision du juge Ducros ne pouvait
être contestée directement par voie de certiorari, elle ne pou-
vait, selon l'avocat, faire l'objet d'une contestation indirecte. En
outre, l'avocat invoque la règle voulant que la décision d'un
tribunal supérieur qui n'a été ni annulée ni modifiée par voie
d'appel ne peut être attaquée subsidiairement. La réponse à cet
argument est que la contestation par les intimés de l'autorisa-
tion du Ministre ne constitue pas une contestation subsidiaire
ou indirecte de l'approbation du juge Ducros. Les intimés
contestent la validité de l'autorisation permettant les recherches
et la saisie. Le juge Ducros a approuvé ladite autorisation, mais
il ne l'a pas donnée. En fait, c'est au Ministre et non au juge
que le paragraphe 231(4) confère le pouvoir d'autoriser des
recherches et une saisie. En contestant l'autorisation du Minis-
tre en se fondant sur des motifs de compétence, les intimés ne
demandent pas à la Cour de ne pas tenir compte de l'approba-
tion donnée par le juge Ducros; ils font simplement valoir que,
malgré cette approbation et pour des motifs qui lui sont tout à
fait étrangers, l'autorisation est nulle parce que le Ministre
n'était pas habilité à la donner.
À propos de l'alinéa 231(1)d), aucune autorisation
ministérielle n'est, bien entendu, nécessaire, mais
on peut dire qu'il est encore moins exigeant que le
paragraphe 231(4) en ce sens qu'il investit le
vérificateur qui examine les livres du pouvoir dis-
crétionnaire de saisir les registres s'il le juge néces-
saire sans avoir à demander l'autorisation préala-
ble de ses supérieurs ou d'une cour. Le paragraphe
231(2) ne fait que permettre de retenir les regis-
tres pendant plus de 120 jours. Je vois difficile-
ment comment l'alinéa 231(1)d) peut demeurer
incontesté alors que le paragraphe 231(4) a été
déclaré inconstitutionnel, et si l'alinéa 231(1)d) ne
permet pas la saisie des documents au cours d'une
vérification, à coup sûr, une ordonnance fondée sur
le paragraphe 231(2) ne saurait permettre de les
retenir.
Dans l'affaire Ministre du Revenu national c.
Coopers and Lybrand, [1979] 1 R.C.S. 495;
(1978), 78 DTC 6528, cause antérieure à la pro
mulgation de la Charte et portant sur le contrôle
judiciaire exercé par la Cour d'appel sur une saisie
pratiquée en vertu du paragraphe 231(4) de la Loi,
la Cour a fait, à la page 509 R.C.S.; 6534 DTC, la
distinction entre d'une part les actes du Ministre
qui étaient de nature administrative et n'étaient
pas soumis au contrôle prévu à l'article 28 et
d'autre part la compétence du juge qui agissait à
titre de juge et non de persona designata en déci-
dant de décerner le mandat sans que la Cour
d'appel puisse intervenir après avoir été saisie
d'une demande fondée sur l'article 28. La Cour a
refusé de trancher la question de savoir si on
pouvait interjeter appel, devant les cours provin-
ciales, de l'autorisation du Ministre ou de l'agré-
ment du juge.
L'avocate des intimés soutient toutefois que
puisqu'il n'est nullement question d'autorisation
ministérielle au paragraphe 231(2), les présentes
procédures constituent une attaque directe contre
l'ordonnance du juge Street, qui ne saurait être
infirmée au moyen d'un bref de certiorari devant
cette Cour.
Pour les motifs exposés ci-dessus et bien que la
jurisprudence soit quelque peu contradictoire, je ne
conclus pas que la demande visant à obtenir une
ordonnance devrait être rejetée parce qu'elle cons-
titue une attaque indirecte contre la décision du
juge Street; le paragraphe 231(2) accorde en effet
le droit de solliciter une ordonnance, lequel droit
dépend du droit de saisir les documents en vertu de
l'alinéa 231(1)d) et c'est ce droit qui est attaqué et
non l'ordonnance du juge Street.
Le deuxième volet de l'argumentation des inti-
més porte sur la constitutionnalité de l'alinéa
231(1)d). Certaines causes en la matière ont déjà
été mentionnées, et il y en a d'autres, antérieures
et postérieures à la Charte, qui traitent des fouil-
les, perquisitions et saisies sans mandat.
Dans l'arrêt R. v. Rao (1984), 46 O.R. (2d) 80
(C.A.) qui porte sur l'alinéa 10(1)a) de la Loi sur
les stupéfiants [S.R.C. 1970, chap. N-1], le juge
Martin de la Cour d'appel tient ces propos à la
page 96:
[TRADUCTION] À l'appui de son argument selon lequel les
fouilles et perquisitions sans mandat sont acceptées partout au
Canada, le procureur de la Couronne, M' Dambrot, nous a
renvoyés à certaines lois fédérales qui confèrent aux fonction-
naires désignés le pouvoir d'entrer dans des locaux commer-
ciaux et d'y effectuer des fouilles ou des perquisitions, des
inspections ou des vérifications, et ce, sans mandat. Ces lois
sont énumérées à l'annexe .A». J'estime toutefois qu'il faut
distinguer nettement le pouvoir général d'entrer dans des
locaux privés sans mandat pour rechercher des marchandises de
contrebande et des preuves d'infractions et le pouvoir conféré
aux fonctionnaires désignés d'entrer dans des locaux aux fins
d'inspection et de vérification et pour saisir des registres,
échantillons ou produits relatifs aux activités d'une entreprise
soumises à la réglementation gouvernementale.
Dans l'affaire Re Belgoma Transportation Ltd.
and Director of Employment Standards (1985),
51 O.R. (2d) 509 (C.A.), qui est également posté-
rieure à la Charte et dans laquelle l'arrêt Southam
et d'autres décisions ont été discutés, il est dit ceci
à la page 512:
[TRADUCTION] Les critères du caractère raisonnable d'une
fouille, d'une perquisition ou d'une saisie et de la nécessité d'un
mandat pour les fins d'une enquête criminelle ne sauraient être
les mêmes que pour les fouilles, les perquisitions ou saisies
effectuées en application d'un règlement administratif. Sous
l'empire de la Employment Standards Act, il n'est nullement
nécessaire que le fonctionnaire ait la preuve qu'il y a eu
violation de la Loi. En exerçant des fonctions administratives en
vertu de la Loi, on peut effectuer ce qu'on appelle communé-
ment «une vérification ponctuelle» pour s'assurer du respect de
la Loi. Les pouvoirs limités conférés à cette fin, tels qu'ils sont
exposés à l'article, ne sont pas déraisonnables. La «fouille,
perquisition ou la saisie» en l'espèce, si perquisition ou saisie il y
a, vise non pas à détecter une activité criminelle, mais plutôt,
comme il a été indiqué, à faire observer les dispositions de la
Loi qui a été adoptée pour protéger l'intérêt public.
L'avocate fait valoir que l'alinéa 231(1)d) et le
paragraphe 231(2) font partie d'un régime ins-
tauré par la Loi de l'impôt sur le revenu en raison
de la nécessité reconnue de tous d'examiner et de
vérifier les registres d'un contribuable.
Ces arguments sont d'autant plus convaincants
que la jurisprudence est encore incertaine en la
matière mais, vu la décision rendue à la majorité
par la Cour d'appel fédérale dans les affaires
Kruger et Vespoli (précitées) relativement au
paragraphe 231(4), et les règles générales et fon-
damentales énoncées par la Cour suprême dans
l'affaire Southam, je dois conclure que l'alinéa
231(1)d) et le paragraphe 231(2) sont de la même
catégorie que le paragraphe 231(4) et vont à l'en-
contre de l'article 8 de la Charte.
L'affaire n'est pas tranchée pour autant, puisque
le litige principal porte sur la restitution des docu
ments saisis. L'avocate des intimés doute qu'on
puisse ordonner la production de ces documents ou
de leurs copies en vue d'une poursuite criminelle
même s'ils étaient disponibles après avoir été
retournés aux requérants. Si je devais en ordonner
la restitution, je serais tenté de spécifier que les
contribuables doivent les retenir pour usage ulté-
rieur. Cela pourrait toutefois constituer une ingé-
rence dans les affaires du juge présidant le procès
criminel au cours duquel la question de la receva-
bilité de ces documents peut être soulevée; mais
comme je n'en ordonne pas la restitution, je n'ai
pas à trancher la question de savoir si une telle
restitution pourrait être assujettie à des conditions.
À propos de la restitution des documents saisis,
il existe une jurisprudence selon laquelle il devrait
appartenir au juge de première instance de déter-
miner si la preuve est admissible. Dans une cause
toute récente, Lagiorgia c. La Reine, [1985] 1
C.F. 438; 85 DTC 5554 (ire inst.), le juge Joyal de
cette Cour a examiné la jurisprudence en la
matière, dont ma décision Lewis, G.B. c. M.R.N. et
autres (1984), 84 DTC 6550 (C.F. 1'e inst.), le
jugement rendu par le juge Denault dans l'affaire
Skis Rossignol Canada LtéelLtd. c. Hunter,
[1985] 1 C.F. 162; 15 C.R.R. 184 (ire inst.), et le
jugement rendu par le juge Ewaschuk dans The
Queen v. Rowbotham, et al., cause non publiée en
date du 20 novembre 1984. Dans l'affaire Skis
Rossignol Canada Ltée/Ltd., le juge Denault,
après avoir examiné la jurisprudence, notamment
la décision Southam, a conclu [à la page 171 C.F.;
192 C.R.R.] qu'il n'avait été démontré aucune
circonstance particulière lui permettant d'accorder
les conclusions recherchées par les requérantes:
L'affidavit des intimés à l'effet qu'ils ont besoin de la preuve
recueillie dans une plainte déjà portée contre les requérantes
justifie la Cour de rejeter cette requête. Il appartiendra au juge
de la Cour des sessions de la Paix d'évaluer si les éléments de
preuve ainsi recueillis sont «susceptible[s] de déconsidérer l'ad-
ministration de la justice».
La Cour a ordonné la restitution des documents
saisis à l'exception de ceux qui étaient nécessaires
à la poursuite pénale. Dans l'affaire Lagiorgia, le
juge Joyal tient ces propos à la page 446 C.F.;
5559 DTC:
Effectivement, les décisions précitées du juge Walsh et du
juge Denault mènent au même résultat. Chacune permet au
juge d'instance de déterminer si la preuve qui lui serait soumise
devrait ou ne devrait pas être admise, compte tenu du test
qu'impose le paragraphe 24(2). Je reconnais le mérite aussi
bien que la logique de cette disposition. La détermination que
doit faire le juge d'instance peut se faire de façon beaucoup
plus judicieuse. Le juge d'instance serait saisi non seulement de
la preuve illégalement obtenue mais de toutes les autres cir-
constances pertinentes du procès. Il pourrait juger de l'impor-
tance des documents saisis comme preuves d'infraction, des
moyens de défense autres que l'exclusion de la preuve auxquels
le demandeur aurait recours, et des circonstances qui auraient
entouré la saisie.
Cela dit, il a toutefois souligné que, étant donné
l'aspect constitutionnel du paragraphe 231(4) de la
Loi de l'impôt sur le revenu qui a été déclaré nul
parce qu'étant inconstitutionnel, la Cour doit
imposer la sanction qui exige la restitution des
documents saisis à leur propriétaire. L'autorité
publique peut se prévaloir d'autres moyens légiti-
mes pour remplir ses responsabilités légales et
assurer le respect des lois.
Ainsi qu'il a été indiqué, c'est le paragraphe
24(1) de la Charte qui est en cause en l'espèce et
non le paragraphe 24(2), sur lequel il appartient
au juge de première instance de se prononcer.
Il semble toutefois que l'application du paragra-
phe 24(1) ne se limite pas à la question de savoir si
la saisie est inconstitutionnelle, mais embrasse
aussi celle de savoir si elle est raisonnable. Dans
l'affaire R. v. Jagodic et al. (1985), 15 C.R.R. 146
(C.S.N.-E.), on a examiné, aux pages 148 et 149,
l'arrêt Southam dont les extraits suivants sont tirés
des pages 157, 159 et 160 des motifs du juge
Dickson [tel était alors son titre]:
... que la constitutionnalité d'une fouille, d'une perquisition et
d'une saisie ou d'une loi autorisant une fouille, une perquisition
ou une saisie doit être appréciée en fonction surtout de l'effet
«raisonnable» ou «abusif» sur l'objet de la fouille, de la perquisi-
tion ou de la saisie et non simplement en fonction de sa
rationalité dans la poursuite de quelque objectif gouvernemen-
tal valable.
La garantie de protection contre les fouilles, les perquisitions et
les saisies abusives ne vise qu'une attente raisonnable. Cette
limitation du droit garanti par l'art. 8, qu'elle soit exprimée
sous la forme négative, c'est-à-dire comme une protection
contre les fouilles, les perquisitions et les saisies «abusives», ou
sous la forme positive comme le droit de s'attendre «raisonna-
blement» à la protection de la vie privée, indique qu'il faut
apprécier si, dans une situation donnée, le droit du public de ne
pas être importuné par le gouvernement doit céder le pas au
droit du gouvernement de s'immiscer dans la vie privée des
particuliers afin de réaliser ses fins et, notamment, d'assurer
l'application de la loi.
et de nouveau à la page 149 [page 161 R.C.S.]:
Je reconnais qu'il n'est peut-être pas raisonnable dans tous
les cas d'insister sur l'autorisation préalable aux fins de valider
des atteintes du gouvernement aux expectatives des particuliers
en matière de vie privée. Néanmoins, je suis d'avis de conclure
qu'une telle autorisation, lorsqu'elle peut être obtenue, est une
condition préalable de la validité d'une fouille, d'une perquisi-
tion et d'une saisie.
J'ai déjà conclu que, compte tenu des faits de
l'espèce, il n'aurait été ni possible ni raisonnable de
différer la saisie des documents étant donné les
affidavits et documents très longs qu'il fallait pré-
parer pour obtenir d'un juge un mandat de perqui-
sition en vertu du Code criminel, d'autant plus
qu'il ne s'agissait pas d'une «perquisition» propre-
ment dite, mais simplement d'une saisie.
Dans l'arrêt Dobney Foundry Ltd. v. A. G. Can.
rendu par la Cour d'appel de la Colombie-Britan-
nique, [1985] 3 W.W.R. 626, le juge d'appel Esson
a discuté [à la page 635] d'un arrêt récent de la
Cour d'appel de l'Ontario, Re Chapman and The
Queen (1984), 46 O.R. (2d) 65, où le juge en chef
adjoint MacKinnon de l'Ontario s'est prononcé en
ces termes à la page 72:
[TRADUCTION] «Ces causes très récentes semblent corrobo-
rer l'argument de la Couronne selon lequel la cour n'est en fait
investie d'aucun pouvoir discrétionnaire, mais arrivent exacte-
ment à la conclusion contraire quant au résultat—savoir que les
articles saisis en vertu d'un mandat de perquisition illégal
doivent être restitués. Je ne pense pas que cette règle soit
absolue au même titre que l'argument avancé par la Couronne,
à savoir que les articles doivent être retenus.»
Le juge en chef adjoint de l'Ontario, MacKinnon, a ajouté
que l'adoption de la Charte a fait intervenir «un nouvel élément
dans ce domaine». Si je comprends bien son argument, le
paragraphe 24(1) de la Charte vient confirmer le pouvoir
discrétionnaire de la cour qui, après avoir annulé un mandat de
perquisition, peut ordonner la restitution des articles saisis en
dépit du fait que la Couronne affirme qu'il s'agit là de pièces à
conviction dans une procédure pénale. Ce qui importe en
l'espèce, c'est que cette décision n'étaie pas l'idée que les
articles doivent être restitués.
Ce que signifie l'arrêt Chapman, c'est que, si la Couronne
affirme que les articles doivent servir de pièces à conviction
dans une poursuite pénale, la cour a le pouvoir discrétionnaire
de décider s'il y a lieu d'ordonner leur restitution ou de
permettre à la Couronne de les retenir.
Voici les critères établis par le jugement Dobney
Foundry à la page 636:
[TRADUCTION] (1) Lorsqu'elle annule un mandat de perqui-
sition, une cour de révision peut ordonner la restitution de
toutes les marchandises saisies en vertu du mandat.
(2) Si la Couronne prouve que les choses saisies doivent être
retenues pour qu'elle puisse s'en servir à titre de pièces à
conviction dans une poursuite déjà intentée ou imminente rela-
tivement à une infraction pouvant donner lieu à une poursuite,
la cour peut refuser d'en ordonner la restitution.
(3) La Couronne n'est subordonnée à aucune formalité parti-
culière pour prouver la nécessité de retenir les choses saisies.
(4) Le pouvoir d'ordonner la restitution des marchandises est
accessoire au pouvoir d'annulation, mais peut également décou-
ler de l'art. 24(1) de la Charte si la fouille, la perquisition et la
saisie sont abusives et illégales.
(5) La conduite des autorités poursuivantes qui ont procédé à
la fouille, à la perquisition et à la saisie est un élément dont il
faut tenir compte pour décider s'il y a lieu d'exercer le pouvoir
discrétionnaire.
(6) Pour les fins de l'exercice du pouvoir discrétionnaire, il
faut prendre en considération d'autres facteurs tels que la
gravité de l'infraction reprochée, la force probante des choses
saisies, la nature de l'irrégularité du mandat et le préjudice qui
pourrait être causé au propriétaire évincé.
Ce qui est en cause, ce n'est pas un mandat de
perquisition proprement dit, mais les critères (2) à
(6) s'appliquent; pour ce qui est du critère (5), on
ne s'est nullement plaint de la conduite du vérifica-
teur qui a saisi les articles en question; quant au
critère (6), ce n'est que maintenant que la saisie
est jugée irrégulière, le vérificateur ayant agi de
bonne foi et en vertu d'un article qui n'avait pas
encore été déclaré nul à l'époque, et les requérants
évincés ne semblent pas avoir subi de préjudice. Il
s'agit non pas de registres de l'année en cours dont
l'absence nuirait à l'exploitation de leur entreprise,
mais d'anciens registres se rapportant aux années
d'imposition en question. Les requérants y ont
accès.
Dans l'affaire The Queen v. Rowbotham, et al.,
dont le jugement non publié a été rendu le 20
novembre 1984, le juge Ewaschuk de la Cour
suprême de l'Ontario s'est prononcé en ces termes,
à la page 12, au sujet de l'admissibilité en preuve
de documents saisis en vertu d'un mandat de per-
quisition illégal:
[TRADUCTION] A supposer que le mandat de perquisition soit
illégal au regard de la Loi applicable, la pratique établie veut
qu'un juge d'une cour supérieure puisse trancher la question
soulevée par la Charte qui est de •savoir si la fouille, la
perquisition ou la saisie est abusive: Re Chapman and the
Queen (1984), 12 C.C.C. (3d) 1 (C.A. Ont.). Si le juge décide
que la fouille, la perquisition ou la saisie est abusive, il peut, en
vertu de l'art. 24(1) de la Charte, ordonner la restitution des
articles saisis: Re Chapman, précitée. Mais il est également
clair que la restitution fondée sur l'art. 24(1) ne tranche pas la
question de l'admissibilité de la preuve dans une action ulté-
rieure. Il en est ainsi puisqu'une cour des requêtes «ne saurait
"tenir compte de tous les faits", la raison étant que, à l'évi-
dence, la Cour n'est pas saisie de tous les faits»: Re Chapman, à
la p. 9.
Il me semble que, lorsque les articles saisis, par exemple des
documents, ont une valeur probante, un juge d'une cour des
requêtes devrait, en exerçant son pouvoir discrétionnaire, ne pas
ordonner la restitution des articles, même abusivement saisis, si
la Couronne le convainc que les articles ont une valeur probante
relativement aux accusations en cours.
Et à la page 8:
[TRADUCTION] Il me semble illogique de qualifier une
fouille, une perquisition et une saisie d'abusives lorsqu'elles ont
été pratiquées de bonne foi et en vertu de la loi en vigueur. Au
contraire, il me semble très raisonnable que la police soit tenue
de se conformer à la loi en vigueur le jour où elle l'applique:
voir par analogie R. c. Ali (1980), 51 C.C.C. (2d) 282
(C.S.C.).
Dans R. v. Cameron (1984), 13 C.R.R. 13
(C.A.C.-B.), le sommaire porte notamment [à la
page 14]:
[TRADUCTION] L'irrégularité du mandat n'a pas nécessaire-
ment rendu abusives la fouille et la perquisition; toutes les
fouilles et perquisitions illégales ne sont pas abusives, mais
même quand elles le sont, cela ne permet pas de conclure qu'il
faudrait exclure la preuve en vertu de l'art. 24 de la Charte.
Dans le sommaire de l'affaire R. v. Noble (1984),
48 O.R. (2d) 643 (C.A.), on peut lire notamment
[à la page 645]:
[TRADUCTION] En décidant s'il y a lieu d'admettre la preuve,
le juge de première instance peut examiner par exemple la
nature et l'importance de l'illégalité, le caractère abusif de la
conduite en cause et la question de savoir si les fonctionnaires
ont agi de bonne foi ou ont sciemment violé les droits de
l'accusé. Le fait qu'une situation d'urgence obligeât la police à
agir rapidement pour prévenir la perte ou la destruction des
éléments de preuve pourrait constituer également un facteur à
prendre en considération. En conséquence, c'est à bon droit que,
au procès de l'accusé, la cour a admis la preuve de la décou-
verte d'une certaine quantité de stupéfiants dans une maison
d'habitation, nonobstant le fait que la fouille et la perquisition,
pratiquées en vertu d'un mandat de main-forte, ont été abusives
et pratiquées à l'encontre de l'art. 8 de la Chârte des droits; il a
en effet été prouvé que le fonctionnaire était de bonne foi en
agissant en vertu de son mandat de main-forte, à un moment où
il n'existait aucun arrêt déclarant inconstitutionnels les man-
dats de main-forte, qu'on a procédé à la fouille et à la perquisi-
tion d'une manière raisonnable en tenant compte des autres
droits constitutionnels de l'accusé et que le fonctionnaire a eu
raison de croire qu'il faisait face à une situation d'urgence qui
rendait difficile l'obtention d'un mandat.
Bien que ces deux dernières décisions portent
sur l'admissibilité des éléments de preuve irréguliè-
rement saisis, il s'agit là, comme je l'ai indiqué,
d'une question que cette Cour n'a pas à trancher
dans la présente requête, et qui concerne le para-
graphe 24(2) plutôt que le paragraphe 24(1) de la
Charte. Le fait pour la Cour d'ordonner mainte-
nant la restitution des documents, en application
du paragraphe 24(1) de la Charte, reviendrait à
empêcher le juge de première instance de se pro-
noncer sur leur admissibilité puisqu'il serait diffi-
cile sinon impossible d'obtenir la production de ces
documents devant ce dernier pour qu'il décide de
leur admissibilité.
Je conclus donc que, bien que l'alinéa 231(1)d)
et le paragraphe 231(2) de la Loi soient inconstitu-
tionnels, la saisie pratiquée n'était pas abusive,
qu'il n'y a pas lieu de conclure automatiquement
que les documents obtenus au moyen d'une saisie
illégale doivent être retournés même s'ils doivent
servir de pièces à conviction dans une poursuite
pénale, et que le paragraphe 24(1) de la Charte
n'exige pas nécessairement une telle ordonnance.
Le droit canadien, à la différence de celui des
États-Unis, n'écarte pas nécessairement de l'ins-
truction les éléments de preuve illégalement obte-
nus. Dans l'état actuel de notre droit, il existe
suffisamment de précédents qui permettent de con-
clure que les documents en question peuvent être
retenus jusqu'à la fin des procédures pénales au
cours desquelles les intimés ont l'intention de les
utiliser; mais les documents qui ne sont pas néces-
saires à ces procédures devraient être restitués
sur-le-champ.
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