T-1202-86
Société de transport de la Communauté urbaine de
Montréal (requérante)
c.
L'honorable Thomas McMillan, ministre d'Envi-
ronnement Canada (intimé)
et
Procureur général du Canada (intimé)
RÉPERTORIÉ: COMMUNAUTÉ URBAINE DE MONTRÉAL
(SOCIÉTÉ DE TRANSPORT) c. CANADA (MINISTRE DE
L'ENVIRONNEMENT)
Division de première instance, juge Dubé—Mont-
réal, 28 octobre; Ottawa, 5 novembre 1986.
Accès à l'information — Recours en révision de la décision
de communiquer certains renseignements fournis à l'intimé par
la requérante — Le directeur régional auteur de la décision n'a
pas été mandaté par arrêté du ministre en vertu de l'art. 73 de
la Loi — La décision a-t-elle été prise par une autorité
compétente? — Non-applicabilité de la théorie de la déléga-
tion implicite — Annulation de la décision — Loi sur l'accès à
l'information, S.C. 1980-81-82-83, chap. 111 (annexe I), art.
2, 3, 20(1), 28, 73.
Environnement Canada a reçu une demande, fondée sur la
Loi sur l'accès à l'information, tendant à l'obtention de rensei-
gnements préalablement fournis au Ministère par la Société de
transport de la Communauté urbaine de Montréal. Dans sa
réponse à l'avis aux tiers envoyé par le Ministère, la société
s'est opposée à une telle publication. Le directeur régional du
Ministère pour la région de Montréal a néanmoins décidé de
communiquer les renseignements parce qu'ils ne font pas l'objet
d'une exception en vertu de la Loi. La question se pose de
savoir si le directeur régional était en droit de rendre la décision
au nom d'Environnement Canada.
Jugement: la décision est infirmée et l'affaire renvoyée au
ministre.
En vertu de l'alinéa 28(5)b), c'est le responsable d'une
institution qui est tenu de prendre une décision quant à la
communication du document. Le responsable d'Environnement
Canada est le ministre lui-même. L'article 73 accorde au
ministre le pouvoir de délégation, et une méthode précise de
déléguer, soit par «arrêté». Il a été admis que le ministre n'avait
délégué aucune attribution au directeur régional lorsque ce
dernier rendit sa décision.
L'argument de l'intimé selon lequel le directeur régional
possédait un pouvoir suffisant selon la théorie de la délégation
implicite doit être rejeté. Bien que la jurisprudence actuelle se
soit assouplie en ce qui concerne la possibilité de délégation
implicite au niveau gouvernemental, cette délégation ne doit
pas entrer en conflit avec l'intention du législateur. L'économie
de la Loi indique que le législateur a eu l'intention de confier au
ministre un pouvoir discrétionnaire important. L'article 73 doit
être analysé dans ce contexte et considéré comme autorisant le
ministre à ne déléguer son autorité que de façon contrôlée,
c'est-à-dire à procéder par arrêté. En conséquence, le directeur
régional n'étant pas mandaté par arrêté du ministre, il n'avait
pas l'autorité de décider de communiquer l'information.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Ramawad c. Ministre de la Main-d'œuvre et de l'Immi-
gration, [1978] 2 R.C.S. 375.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Carltona, Ltd. v. Works Comrs., [1943] 2 All E.R. 560
(C.A.); Ahmad c. Commission de la Fonction publique,
[1974] 2 C.F. 644 (C.A.); R. c. Harrison, [1977] 1
R.C.S. 238.
AVOCATS:
Daniel Robert pour la requérante.
Michelle Joubert et Marcelle Bourassa pour
les intimés.
PROCUREURS:
Nadeau, Robert, Montréal, pour la requé-
rante.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Lang Michener Lash Johnston, Ottawa, pour
le Commissaire à l'information.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE DuBÉ: Il s'agit ici d'une requête en
révision d'une décision émanant d'Environnement
Canada de procéder à la communication de certai-
nes informations préalablement fournies à ce
Ministère par la requérante. En l'espèce, il s'agit
plus précisément du premier volet de cette requête
à savoir la légalité de la procédure suivie par
l'intimé et plus particulièrement de la lettre du 7
mai 1986 signée par Georges Mezzetta, directeur
régional du Ministère pour la région de Montréal.
Le paragraphe pertinent de ladite lettre se lit
comme suit:
Nous avons examiné vos arguments et avons jugé que l'infor-
mation dont la communication a été demandée ne fait pas
l'objet d'une exception en vertu du paragraphe 20(1) de la Loi
sur l'accès à l'information.
Le paragraphe 20(1) précité stipule que le res-
ponsable d'une institution fédérale est tenu dans
certains cas de refuser la communication de docu-
ments. L'article 3 de la Loi sur l'accès à l'infor-
mation' définit ainsi le «responsable d'institution
fédérale»:
«responsable d'institution fédérale»
a) Le membre du Conseil privé de la Reine pour le Canada
sous l'autorité de qui est placé un ministère ou un départe-
ment d'État;
b) la personne désignée par décret du conseil, conformément
au présent alinéa, en qualité de responsable, pour l'applica-
tion de la présente loi, d'une institution fédérale autre que
celles mentionnées à l'alinéa a).
Attendu qu'il s'agit ici d'un ministère, le respon-
sable d'Environnement Canada est le ministre lui-
même. Le pouvoir de délégation du responsable
d'une institution fédérale est prévu à l'article 73:
73. Le responsable d'une institution fédérale peut, par arrêté,
déléguer certaines de ses attributions à des cadres ou employés
de l'institution.
Le procureur de l'intimé a admis au début de
l'audition que le ministre n'avait pas, à la date de
la lettre précitée, soit le 7 mai 1986, délégué par
arrêté aucune attribution au directeur régional
Georges Mezzetta. Le procureur de la requérante,
on l'a déjà deviné, demande donc l'annulation de
ladite décision.
Afin de mieux cerner le problème il est néces-
saire de reprendre les faits essentiels de cette
affaire et de les considérer en fonction de l'écono-
mie de la Loi.
Tel qu'en fait foi l'affidavit de son secrétaire
Jean Y. Nadeau, la requérante («S.T.C.U.M.») est
une entreprise à caractère public créée en vertu de
la Loi sur la Communauté urbaine de Montréal 2
et sa mission est d'assurer le transport en commun
dans les limites de la Communauté urbaine de
Montréal. Le 18 décembre 1985, Environnement
Canada a reçu une demande en vertu de la Loi
requérant l'inventaire des équipements électriques
contenant des BPC, leur localisation sur le terri-
toire de la Ville de Montréal et leur volume en
BPC. De tels renseignements avaient déjà été four-
nis par la S.T.C.U.M. au Ministère.
' S.C. 1980-81-82-83, chap. 111 (annexe l).
2 L.R.Q., chap. C-37.2.
Cet avis de la part du Ministère à la
S.T.C.U.M. constituait un avis aux tiers tel que
prévu à l'article 28 de la Loi. Le paragraphe 28(1)
stipule que le responsable d'une institution fédérale
qui a l'intention de donner communication d'un
document est tenu, si le document est susceptible
de contenir des secrets industriels ou d'autres ren-
seignements prévus à l'article 20, de donner au
tiers, dans les trente jours suivant la réception de
la demande, avis écrit de son intention de divul-
guer ledit document. En vertu de l'alinéa 28(5)a)
le responsable doit accorder au tiers vingt jours
pour présenter ses observations sur les raisons qui
justifieraient un refus de communication.
Le 16 janvier 1986 la S.T.C.U.M. informait le
Ministère de ses objections à une telle publication
«pour des motifs touchant la sécurité publique,
l'inventaire des équipements électriques contenant
des BPC et leur localisation sur le territoire de la
Ville de Montréal». La S.T.C.U.M. observait éga-
lement qu'elle «ne peut qu'appréhender les néfastes
conséquences ... tous ces équipements ne pour-
raient qu'être vulnérables au sabotage ou au
vandalisme».
Selon les dispositions de l'alinéa 28(5)b), le
responsable est tenu de prendre dans les trente
jours suivant la transmission de l'avis précité une
décision quant à la communication du document et
de donner avis de sa décision au tiers. C'est cette
décision qui a été communiquée à la S.T.C.U.M.,
non pas par le responsable de l'institution, soit le
ministre, mais bien par le directeur régional tel
que mentionné plus haut.
Il y a lieu de souligner à ce stade que la Loi
comprend une clause exposant l'objet de cette
législation. L'existence d'une telle clause mérite
d'être particulièrement soulignée puisqu'elle est
plutôt rare et donc significative. Les deux paragra-
phes de l'article 2 sont ici reproduits:
2. (1) La présente loi a pour objet d'élargir l'accès aux
documents de l'administration fédérale en consacrant le prin-
cipe du droit du public à leur communication, les exceptions
indispensables à ce droit étant précises et limitées et les déci-
sions quant à la communication étant susceptibles de recours
indépendants du pouvoir exécutif.
(2) La présente loi a pour objet de compléter les modalités
d'accès aux documents de l'administration fédérale; elle ne vise
pas à restreindre l'accès aux renseignements que les institutions
fédérales mettent normalement à la disposition du grand public.
Il ressort donc clairement de cette exposition de
principe que le but de la Loi est d'offrir au public
une ouverture plus grande aux documents du gou-
vernement. Par contre, les exceptions indispensa
bles à cet accès généreux devront être précises et
limitées, vu que «les décisions quant à la communi
cation [sont] susceptibles de recours».
Il faut retenir également que la Loi réserve les
décisions importantes au «responsable d'institution
fédérale». Finalement, l'article 73 accorde au res-
ponsable le pouvoir de délégation et une méthode
précise de déléguer, soit «par arrêté».
La première réaction du procureur de la requé-
rante, et la mienne également, c'est que le législa-
teur ne parle pas pour rien dire: s'il a prévu une
méthode précise de délégation, c'est précisément
cette méthode que le responsable doit suivre.
Par contre, le procureur des intimés se replie sur
l'arrêt Carltona, Ltd. v. Works Comrs. 3 et la
théorie de délégation implicite adoptée dans une
certaine mesure par la jurisprudence contempo-
raine au Canada. Il devient donc nécessaire de
reprendre, aussi brièvement que possible, l'histori-
que et la nature de la délégation des pouvoirs
administratifs.
En principe, la législation prévoit un titulaire.
Cependant, la complexité et la diversité des tâches
confiées aux chefs administratifs dans un état
moderne nécessitent inévitablement la délégation
de pouvoirs à des subalternes. Le responsable d'un
ministère ne peut évidemment remplir lui-même
toutes les tâches qui lui sont dévolues. Son effica-
cité sera donc accrue par la délégation de l'exer-
cice de ses fonctions. Dand certaines législations ce
pouvoir est explicitement prévu. Toutefois, en l'ab-
sence de toute stipulation à cet effet, il est généra-
lement acquis qu'au moins certaines tâches admi-
nistratives peuvent être implicitement déléguées.
Tel que l'affirme le professeur Patrice Garant
dans son tome de Droit Administratif, 2e édition,
1985 aux pages 266 et suivantes, la jurisprudence
actuelle semble s'être considérablement assouplie
en ce qui concerne la possibilité de délégation
implicite au niveau gouvernemental. L'auteur se
3 [1943] 2 All E.R. 560 (C.A.).
réfère plus précisément à la décision Ahmad c. La
Commission de la fonction publique', où la Cour
d'appel fédérale adopte les principes énoncés par
lord Green dans l'arrêt Carltona précité de la
House of Lords. Ce que lord Green disait, en gros,
c'est que dans le régime d'administration publique
de l'Angleterre les fonctions conférées aux minis-
tres sont si variées que les pouvoirs sont normale-
ment exercés sous leur autorité par les fonctionnai-
res responsables du ministère: [à la page 651 ] «S'il
en était autrement, tout l'appareil de l'État serait
paralysé». Par contre, le ministre est responsable et
doit répondre au Parlement des actions de ses
fonctionnaires.
Dans l'affaire Ahmad précitée, la Cour d'appel
fédérale, sous la plume du juge en chef Jackett,
reprend les mêmes principes à l'endroit des respon-
sabilités du sous-chef d'un ministère canadien.
C'est à ce fonctionnaire de s'occuper personnelle-
ment de toutes les questions soulevées dans l'admi-
nistration du ministère et [à la page 651] «il en
découle nécessairement, en l'absence d'indication
contraire expresse ou implicite, que les pouvoirs
des ministres et des sous-ministres, dans la mesure
où ils revêtent un caractère administratif, sont
exercés en leur nom par les instances de leur
ministère».
Cette philosophie est également retenue par la
Cour suprême du Canada dans R. c. Harrison' et
le juge Dickson [tel était alors son titre] remarque
que [à la page 246] «toute autre solution n'abouti-
rait qu'au chaos administratif et à l'incurie».
D'un autre côté, ce pouvoir du ministre de délé-
guer ne peut être illimité et ne doit pas entrer en
conflit avec la volonté du législateur. Dans Rama -
wad c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immi-
gration 6 la Cour suprême du Canada se penchait
encore sur ce même problème et remarquait que
même si le pouvoir de délégation est souvent impli-
cite, tout dépend de la législation. A la page 381 le
juge Pratte rapportait la déclaration du juge Dick-
son dans l'affaire précitée:
L'existence de ce pouvoir ou, en d'autres termes, la présomption
que l'acte sera posé non pas par le Ministre mais par des
fonctionnaires responsables de son ministère dépend toutefois
de l'intention du législateur que l'on peut déterminer à partir du
' [1974] 2 C.F. 644.
5 [1977] 1 R.C.S. 238.
6 [1978] 2 R.C.S. 375.
texte de la loi comme de l'objet du pouvoir discrétionnaire
conféré au Ministre. [C'est moi qui souligne.]
Et dans cette affaire la Cour suprême accueillait le
pourvoi et invalidait la décision de l'enquêteur
spécial.
Dans son volume précité sur le droit administra-
tif l'auteur Patrice Garant ébauche huit règles
pouvant constituer le régime juridique de la délé-
gation et de la sous-délégation de pouvoirs. En
l'espèce, la troisième règle est à retenir:
Au niveau de l'Administration gouvernementale ministé-
rielle, la jurisprudence est à l'effet qu'une sous-délégation
implicite de pouvoir discrétionnaire du ministre à ses fonction-
naires est parfaitement légale, sauf s'il ressort de l'ensemble de
la loi et des règlements que le législateur a eu l'intention de
conférer un large pouvoir discrétionnaire à être exercé person-
nellement par le ministre. [C'est moi qui souligne.]
À mon sens, l'économie de la Loi sur l'accès à
l'information indique que le législateur a eu l'in-
tention de confier au ministre un pouvoir discré-
tionnaire important à être exercé personnellement
par lui, ou du moins à être contrôlé étroitement
par lui. Tel que mentionné plus haut, l'objet de la
Loi préconise l'élargissement de l'accès aux docu
ments de l'administration fédérale et veut que le
nombre d'exceptions indispensables soit contrôlé
par le responsable. De plus, plusieurs articles, y
compris les articles gouvernant les décisions qui
nous concernent, indiquent que c'est le responsable
qui doit décider et le responsable est précisément
et explicitement défini à l'article 3 comme étant le
ministre dans le cas d'un ministère. Finalement,
l'article 73, reconnaissant la haute responsabilité
du ministre, l'autorise à déléguer de façon contrô-
lée son autorité, c'est-à-dire à procéder par arrêté
et donc de ne pas permettre aux fonctionnaires de
s'arroger eux-mêmes le droit implicite d'agir en
son nom.
En conséquence, je dois conclure que le fonc-
tionnaire Georges Mezzetta, n'étant pas mandaté
par arrêté du ministre, n'avait pas l'autorité de
juger que l'information pertinente ne faisait pas
l'objet d'une exception en vertu du paragraphe
20(1) de la Loi sur l'accès à l'information. Sa
décision doit être annulée. L'affaire est donc
retournée au ministre pour qu'il en décide lui-
même ou qu'il mandate, par arrêté, un fonction-
naire pour remplir cette tâche.
La requête est accueillie avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.