T-2080-85
Harvey Litwack (requérant)
c.
Commission nationale des libérations condition-
nelles (intimée)
RÉPERTORIÉ: LITWACK c. COMMISSION NATIONALE DES LIBÉ-
RATIONS CONDITIONNELLES
Division de première instance, juge Walsh—
Montréal, 18 février; Ottawa, 27 février 1986.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et
sécurité de la personne — Des conditions restrictives empê-
chent pratiquement un détenu mis en liberté conditionnelle
d'être embauché pour un travail qui correspond à sa qualifica
tion — L'art. 7 de la Charte s'applique pour déterminer si le
refus d'annuler ces conditions est déraisonnable — Il s'agit
d'un refus déraisonnable opposé en contravention des principes
de justice fondamentale — La décision de la Commission des
libérations conditionnelles est annulée par voie de certiorari —
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie
I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982
sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7, 12, 24 — Code
criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 98(1), 320(1)d), 332a),
338(1)a) (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 93, art. 32) —
Motor Vehicle Act, R.S.B.C. 1979, chap. 288, art. 94(2) (mod.
par S.B.C. 1982, chap. 36, art. 19).
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Certiorari —
Commission nationale des libérations conditionnelles — Le
requérant a été condamné à une peine d'emprisonnement pour
fraude — Il a terminé ses études collégiales et un cours
universitaire en administration pendant son séjour en prison —
Il a obtenu une libération conditionnelle assortie d'une inter
diction de participer à l'administration d'une entreprise — Il
désirait se joindre à la direction d'une compagnie d'ordina-
teurs — Des rapports présentés par son agent de liberté
conditionnelle indiquaient que le requérant s'est amendé — La
Commission a refusé d'annuler la condition — Les tribunaux
administratifs doivent agir équitablement et raisonnablement
— La condition n'était pas déraisonnable au moment où elle a
été imposée — La Commission n'a pas tenu compte de la
situation actuelle — La réhabilitation est l'un des buts de
l'emprisonnement — Ce but a été atteint dans le présent cas —
La décision majoritaire rendue par les commissaires est
injuste, et la Cour doit intervenir — Un certiorari est accordé
et annule la décision.
Libération conditionnelle — Le requérant a été condamné à
l'emprisonnement pour fraude — Il a terminé ses études
collégiales et un cours universitaire en administration tout en
purgeant sa peine — Il a obtenu une libération conditionnelle
assortie d'une interdiction spéciale de participer à l'adminis-
tration d'une entreprise — On lui a offert le poste de directeur
commercial d'une compagnie qui vend des ordinateurs — Son
agent de liberté conditionnelle a recommandé d'abolir la con
dition spéciale — La majorité des commissaires a refusé
d'abolir la condition — La réhabilitation est l'un des buts de
l'incarcération — Les faits laissent supposer que le requérant
s'est amendé — La Commission n'a attaché que peu d'impor-
tance à la recommandation faite par l'agent de liberté condi-
tionnelle — La condition était justifiée au moment où elle a
été imposée, mais elle ne l'est plus maintenant — La décision
de la Commission est annulée par voie de certiorari.
Après avoir été condamné à l'emprisonnement sous diverses
accusations de fraude, le requérant a, par application régulière
de la loi, obtenu une libération conditionnelle assortie de l'inter-
diction de «participer directement ou indirectement à l'adminis-
tration, à la promotion, à l'achat ou à la vente d'une entreprise
ou d'un organisme, que ce soit à des fins lucratives ou non».
Pendant son séjour en prison, le requérant a terminé ses
études collégiales. Depuis, il a obtenu un certificat en adminis
tration de l'Université McGill, il y étudie actuellement en vue
d'obtenir un diplôme universitaire supérieur en expertise comp-
table et il est inscrit à un programme d'éducation des adultes à
l'Université Concordia où il projette de s'inscrire au pro
gramme de la maîtrise en technologie éducative. Il n'a pas pu
accepter un poste de professeur de publicité et de commerciali
sation dans le cadre d'un séminaire, car il a fallu trop de temps
pour obtenir la permission de la Commission nationale des
libérations conditionnelles. Il a été élu président de l'Associa-
tion des étudiants de l'éducation permanente de l'Université
McGill, mais, deux mois après son élection, la Commission des
libérations conditionnelles lui a demandé de démissionner.
Le requérant a demandé la permission d'accepter un poste de
directeur commercial d'une compagnie qui vend des ordinateurs
et de faire partie de la direction de celle-ci. Son agent de liberté
conditionnelle, qui approuvait ses efforts, a présenté des rap
ports recommandant l'abolition de la condition spéciale. La
Commission des libérations conditionnelles a refusé d'abolir la
condition pour le motif que, lorsque celle-ci avait été imposée,
près de deux ans auparavant, elle était pleinement justifiée pour
des raisons de sécurité publique.
Il s'agit d'une requête en certiorari présentée en vertu de
l'article 24 de la Charte et fondée sur la violation présumée des
articles 7 et 12 de la Charte: la Commission des libérations
conditionnelles aurait agi de façon déraisonnable en refusant
d'abolir les conditions restrictives attachées à la libération
conditionnelle du requérant et ayant pour effet de l'empêcher
pratiquement d'occuper tout genre d'emploi auquel le préparent
son instruction et son expérience.
Jugement: la requête devrait être accueillie.
Il incombe aux tribunaux administratifs d'agir non seulement
de façon équitable mais également de façon raisonnable. De
plus, il ne suffit pas de respecter l'équité dans la procédure,
mais il faut aussi que la décision repose sur des motifs raisonna-
bles, compte tenu des faits.
On peut se fonder sur l'article 7 de la Charte pour détermi-
ner si les conditions d'une libération conditionnelle sont impo
sées en conformité avec les principes de justice fondamentale.
En premier lieu, il s'est écoulé un délai injuste et déraisonna-
ble avant d'apporter une réponse à la demande du requérant
d'abolir les conditions. En deuxième lieu, il y a eu trois rap
ports, qui tous étaient favorables au requérant et recomman-
daient l'annulation des conditions. Tous ces rapports ont été
rédigés par un employé du Service correctionnel du Canada qui
était en contact continuel avec le libéré conditionnel et le plus
en mesure de juger son comportement. Il semble toutefois que
la majorité des commissaires a adopté la position selon laquelle,
si ce libéré conditionnel était un danger pour la société au
moment où les conditions ont été imposées, il continuerait
toujours de l'être malgré que sa conduite ultérieure indique
qu'il s'est amendé, ce qui constitue l'un des buts de l'emprison-
nement. Cette décision était manifestement injuste au point de
nécessiter l'intervention de la Cour.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S.
486; Kane c. Conseil d'administration (Université de la
Colombie-Britannique), [1980] 1 R.C.S. 1105; (1980),
31 N.R. 214; Blanchard c. Control Data Canada Ltée et
autre, [1984] 2 R.C.S. 476; Re Mia and Medical Servi
ces Commission of British Columbia (1985), 17 D.L.R.
(4th) 385 (C.S.C.-B.); R. v. Weyallon (1983), 47 A.R.
360 (C.S.T.N.-O.).
AVOCATS:
Julius H. Grey pour le requérant.
David Lucas pour l'intimée.
PROCUREURS:
Grey, Cas grain, Montréal, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada, pour
l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE WALSH: Il s'agit d'une requête visant à
obtenir un certiorari ou un autre redressement sur
le fondement de l'article 24 de la Charte cana-
dienne des droits et libertés [qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap.
11 (R.-U.)]. Les articles 7 et 12 de la Charte sont
principalement invoqués pour le motif que la Com
mission des libérations conditionnelles a agi de
façon déraisonnable en n'annulant pas les restric
tions qui sont attachées à la libération condition-
nelle du requérant et qui ont pour effet de l'empê-
cher pratiquement d'exercer le genre de travail
auquel ses études et son expérience l'ont préparé.
Il est donc nécessaire de donner certains détails sur
les faits divulgués dans les pièces et les longs
affidavits versés au dossier. Le requérant tente de
faire supprimer de sa libération conditionnelle la
condition spéciale suivante:
[TRADUCTION] Le détenu ne peut, directement ou indirecte-
ment, participer à l'administration, à la promotion, à l'achat ou
à la vente d'une entreprise ou d'un organisme, que ce soit à des
fins lucratives ou non.
On soutient que cette condition est vague, impré-
cise, ambiguë et contradictoire, qu'elle ne peut pas
être interprétée de façon rationnelle et que la
Commission des libérations conditionnelles a
manqué à son devoir d'équité en imposant cette
condition qui restreint de façon déraisonnable les
droits du requérant. Celui-ci avait été déclaré cou-
pable le 4 décembre 1980, dans le district de
Saint-Maurice (Québec), en vertu de l'alinéa
332a) du Code criminel [S.R.C. 1970, chap.
C-34], d'avoir signé le 8 juin 1978 un bail notarié
au nom de la Caisse d'économie des employés de la
Northern en faveur de l'Auberge du Centre Sha-
winigan Inc. et d'avoir déclaré y être autorisé
lorsqu'il savait que ce n'était pas le cas, avec
l'intention de frauder ladite Caisse d'économie. Le
26 janvier 1981, il a été condamné à une peine
d'emprisonnement de deux ans à purger dans un
pénitencier. Il a interjeté appel de cette condamna-
tion, et celui-ci a été rejeté le 2 juin 1982. En
conséquence de cet appel, il n'avait pas encore
purgé sa peine d'emprisonnement de deux ans
lorsque, le 8 février 1983, il a été reconnu coupa-
ble, en vertu des alinéas 338(1)a) [mod. par S.C.
1974-75-76, chap. 93, art. 32] et 320(1)d) du
Code criminel, d'avoir, le 7 avril 1981, escroqué un
certain Jean Côté d'une somme de 28 000 $ par
supercherie ou autre moyen frauduleux, d'avoir, le
21 juillet 1981, escroqué Sun Bee Kim de la
somme de 15 000 $ par supercherie et autre moyen
frauduleux et d'avoir, au mois de juillet 1981,
obtenu une somme de 20 000 $ de Jean Côté tout
en sachant qu'une fausse déclaration écrite avait
été faite relativement à sa situation financière et à
celle du Comptoir de Cuisine/Kitchen Counter
Corporation, dans laquelle il détenait une partici
pation et qu'il représentait. Le 28 février 1983, il a
été condamné sous chaque chef d'accusation à une
peine d'emprisonnement de trois ans à purger con-
curremment et consécutivement à toute autre
peine. Bien que ces dernières accusations aient pu
découler du même événement, ainsi que le laisse
entendre l'avocat du requérant, celui-ci a néan-
moins commis les actes qui lui sont reprochés
pendant qu'il était en liberté en attendant que le
tribunal se prononce sur l'appel interjeté à l'égard
de la peine qui lui avait été imposée lors de sa
première condamnation.
Le 14 juin 1983, il a été reconnu coupable, sous
deux autres chefs d'accusation, en vertu de l'alinéa
338(1)a) du Code criminel, d'avoir, durant le mois
d'octobre 1981, par supercherie ou autre moyen
frauduleux, escroqué Joseph H. Doyon d'une
somme de 25 000 $ et d'avoir, entre les 8 et 30 juin
1982, par supercherie ou autre moyen frauduleux,
escroqué la Banque Nationale du Canada d'une
somme de 70 000 $. Le 14 juin 1983, il a été
condamné sous chacun des chefs d'accusation à
une peine d'emprisonnement de trois ans à purger
concurremment.
Le 21 décembre 1983, il est devenu admissible à
une libération conditionnelle de jour à compter du
13 janvier 1984 et à une libération conditionnelle
totale à compter du 13 mai 1984, qui lui a été
accordée sous réserve de la condition ci-dessus
mentionnée. Il ne pourra pas être affranchi com-
plètement de sa libération conditionnelle avant
d'avoir purgé la totalité de ses peines, c'est-à-dire
le 4 juin 1987.
Dans son affidavit, il signale que, pendant son
séjour en prison, il a terminé ses études collégiales
au cégep Vanier. Le 14 juin 1985, il a obtenu un
baccalauréat de l'Université d'Athabasca. Le 6
novembre 1984, il a obtenu un certificat en admi
nistration de l'Université McGill et il y étudie
actuellement en vue d'obtenir un diplôme universi-
taire supérieur en expertise comptable. Il a deux
enfants âgés de 12 et 14 ans qui sont à sa charge.
En juin 1984, il a reçu une offre d'emploi d'un
organisme connu sous le nom de Performance
Seminar Group afin d'enseigner la publicité et la
commercialisation et, le 28 juin, il a demandé à
son agent de probation, M. Gérald Dion, la per
mission d'accepter cet emploi. On l'a informé le 16
juillet 1984 que la Commission des libérations
conditionnelles refusait cette demande car celle-ci
irait à l'encontre de la condition spéciale de sa
libération conditionnelle. Le 20 juillet, l'avocat du
requérant a demandé à la Commission de reconsi-
dérer sa décision et, le 6 septembre 1984, celui-ci a
été avisé par M. Dion que la Commission lui avait,
en date du 7 août 1984, donné la permission
d'accepter l'emploi à titre de professeur, nonob-
stant la condition spéciale. Toutefois, il était déjà
trop tard à ce moment-là pour qu'il puisse obtenir
l'emploi en question.
En avril 1985, il a obtenu de M. Dion la permis
sion de se déplacer en vue de trouver des clients
possibles pour une entreprise reliée aux ordina-
teurs et autre matériel d'informatique dont la
clientèle se composerait d'étudiants et de coopéra-
tives étudiantes. Le 13 juin 1985, le ministère de
l'Industrie et du Commerce l'a jugé admissible à
une subvention dans le cadre du programme de
subventions à l'entreprise destiné aux jeunes pro-
moteurs. Le 2 août 1985, il a obtenu de la Banque
de Nouvelle-Écosse, dans le cadre de ce pro
gramme, un crédit autorisé de 25 000 $ disponible
jusqu'au 30 septembre 1985.
Vers le mois d'avril 1985, il a demandé à son
agent de probation la permission d'accepter le
poste de directeur commercial d'une compagnie
faisant la vente d'ordinateurs et de participer à la
direction de ladite compagnie. Le 23 avril 1985,
M. Dion, son agent de probation, lui a fait lecture
d'un rapport qu'il était sur le point de présenter à
la Commission des libérations conditionnelles et
qui recommandait l'abolition de la condition spé-
ciale. Le 7 août 1985, comme il était sans nouvel-
les à ce sujet, le requérant a de nouveau écrit à M.
Dion et lui a exposé la situation financière précaire
dans laquelle il se trouvait en précisant qu'il devait
être autorisé à accepter un emploi dans une com-
pagnie qui fournit des services d'informatique. Il a
également exprimé le désir de participer lui-même
à la gestion étudiante à l'Université. Le 12 août
1985, M. Dion l'a informé que la Commission des
libérations conditionnelles refusait d'abolir la con
dition. Le même jour, il écrivait à la Commission
pour lui demander d'être entendu sur cette
question.
Dans un affidavit subséquent, le requérant
expose qu'en septembre 1985, il a été élu président
de l'Association des étudiants de l'éducation per-
manente de l'Université McGill, qui est une asso
ciation étudiante reconnue par le Conseil de l'uni-
versité. En 1984, il avait été élu administrateur de
l'association et en avait informé son agent de
liberté conditionnelle, qui n'avait formulé aucune
objection. L'association gère un budget d'environ
90 000 $, mais son président n'est pas autorisé à
signer des chèques ni à dépenser des fonds; tous les
paiements sont affectés directement par l'Univer-
sité McGill sur l'avis de la direction, qui se com
pose de cinq membres. Le trésorier est directement
responsable du budget, mais il doit faire appel à un
autre membre de la direction pour demander à
l'Université d'émettre des chèques. Le requérant
ajoute que, deux mois après qu'il eut été élu,
l'intimée lui a demandé de démissionner de son
poste bien qu'aucune objection n'ait été soulevée
lorsqu'il avait informé son agent de liberté condi-
tionnelle en avril 1985 de son intention de se
présenter au poste de président. Il a donc obtenu
l'autorisation de quitter son poste de président
le 29 novembre 1985 afin d'éviter le risque d'être
arrêté de nouveau. Il a également été élu représen-
tant des étudiants au Conseil de l'Université
McGill et il en est encore membre. Il répète qu'il
n'est qualifié que pour la gestion et l'administra-
tion et que ce n'est qu'en occupant un poste admi-
nistratif ou en travaillant dans une entreprise qu'il
peut pourvoir à ses besoins et à ceux de sa famille,
mais qu'il en est empêché par la condition spéciale
suivant l'interprétation qu'en donne l'intimée.
Dans l'affidavit présenté pour le compte de la
Commission des libérations conditionnelles, on
énumère les condamnations criminelles du requé-
rant et on ajoute que, lorsqu'elle a reçu le 24 juillet
1984 un rapport de l'agent de liberté condition-
nelle du requérant lui demandant si elle consenti-
rait à ce qu'il accepte un emploi d'enseignant pour
le Performance Seminar Group, ladite Commis
sion a accédé à cette demande le 7 août 1984. Le 2
mai 1985, elle a reçu un rapport de l'agent de
liberté conditionnelle lui demandant d'annuler la
condition exigeant que le requérant se présente
chaque mois à la police, et cette demande a été
accordée le 31 mai 1985. Le 25 avril 1985, elle a
également reçu un rapport lui demandant d'abolir
la condition spéciale que le requérant cherche à
faire supprimer, mais, à la suite d'une erreur admi
nistrative, cette demande n'a été portée à son
attention qu'en juillet 1985. Le 5 août 1985, les
commissaires ont refusé d'annuler la condition. Le
rapport spécial émanant de l'agent de liberté con-
ditionnelle du requérant expliquait en détail com
ment celui-ci entendait lancer une compagnie pour
vendre des ordinateurs aux étudiants universitaires
à des prix inférieurs à ceux auxquels ils pouvaient
les obtenir d'autres sources. Il avait retenu les
services d'un avocat afin de constituer la compa-
gnie, présenté une demande en vue d'obtenir la
subvention de 25 000 $ et déjà acheté des échantil-
lons d'ordinateurs pour la somme totale de 8 400 $,
qu'il avait payée comptant. La compagnie aurait
des représentants sur le campus des universités
McGill, Concordia, Sherbrooke et Laval, situées
au Québec, et il espérait étendre ce service aux
autres universités du pays. L'agent de liberté con-
ditionnelle a déclaré qu'à son avis, la nouvelle
compagnie du requérant reposait sur un plan bien
imaginé, qu'elle se conformait aux opérations com-
merciales normales et que, jusqu'à ce moment-là,
les opérations commerciales du détenu étaient par-
faitement légitimes ainsi que le confirmait son
avocat. Le rapport signale qu'en plus d'étudier à
l'Université McGill, le requérant est inscrit à
l'Université Concordia dans le cadre du pro
gramme d'éducation des adultes et qu'il a l'inten-
tion de s'inscrire à la maîtrise en technologie édu-
cative offerte à cet endroit et de se spécialiser dans
ce dernier domaine. Le rapport ajoute: [TRADUC-
TION] «Étant donné que le requérant a le droit de
parfaire ses études dans le domaine qui l'intéresse
et qu'il a décidé de faire carrière dans le domaine
de la gestion des entreprises, il ne semblerait guère
indiqué de maintenir la présente condition spéciale
qui de fait ne lui reconnaît pas le droit de se lancer
dans des activités commerciales.»
Il y avait une voix dissidente quant au refus
d'annuler la condition spéciale. Le 22 août 1985,
l'agent de liberté conditionnelle du requérant a
présenté un autre rapport favorable qui demandait
une fois de plus de supprimer la condition spéciale
et, le 6 septembre, la Commission des libérations
conditionnelles a autorisé le requérant à faire des
observations par écrit, ce qu'il a fait par lettre en
date du 17 septembre 1985. Le 27 septembre de la
même année, l'agent de liberté conditionnelle a
présenté un autre rapport dans lequel il demandait
que l'on annule la condition spéciale et, le 10
octobre, la Commission a encore une fois décidé de
ne pas y donner suite. Il ressort du texte de la
décision que sa lettre n'ajoute rien de nouveau et
renvoie à la condition qui a été maintenue par les
décisions en date du 5 août et du 6 septembre 1985
et que, lorsque la condition spéciale a été imposée
en décembre 1983, elle était pleinement justifiée
pour des raisons de sécurité publique.
Passons maintenant aux nombreux arrêts de
jurisprudence cités par le requérant, que j'ai tous
examinés mais que je ne me propose pas d'exami-
ner exhaustivement, sauf dans la mesure où cer-
tains d'entre eux dégagent des principes fonda-
mentaux dans l'interprétation de plus en plus
libérale qui est faite de la Charte. On peut dire
qu'il va maintenant de soi que les tribunaux admi-
nistratifs doivent agir non seulement de façon
équitable mais également de façon raisonnable. En
outre, il ne suffit pas de respecter l'équité dans la
procédure, il faut de plus que la décision soit
fondée sur des motifs raisonnables, compte tenu
des faits. Le renvoi constitutionnel relatif au para-
graphe 94(2) de la Motor Vehicle Act [R.S.B.C.
1979, chap. 288 (mod. par S.B.C. 1982, chap. 36,
art. 19)] de la Colombie-Britannique [Renvoi:
Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S.
486] constitue un bon exemple lorsqu'on examine
les observations faites par certains des juges dans
les motifs de leur décision respective. Il s'agit
d'une décision rendue récemment par la Cour
suprême le 17 décembre 1985. À la page 501, le
juge Lamer dit:
... j'estime qu'il serait erroné d'interpréter l'expression «jus-
tice fondamentale» comme synonyme de justice naturelle ...
A la page 513, il ajoute:
Cela ne revient pas à dire cependant que les principes de justice
fondamentale se limitent aux seules garanties en matière de
procédure. La façon dont il faut déterminer les principes de
justice fondamentale est tout simplement celle qui, comme l'a
écrit le professeur L. Tremblay, reconnaît que [TRADUCTION]
«la croissance future reposera sur des racines historiques» ...
À la page 531, madame le juge Wilson déclare:
Je doute sérieusemment que la dichotomie entre le fond et la
procédure qui a peut-être été utile dans d'autres domaines du
droit comme le droit administratif et le droit international privé
doive s'appliquer à l'art. 7 de la Charte. Dans un bon nombre
de cas, la démarcation entre le fond et la procédure est très
ténue.
Dans l'arrêt Kane c. Conseil d'administration
(Université de la Colombie-Britannique), [1980] 1
R.C.S. 1105; (1980), 31 N.R. 214, le juge en chef
Dickson précise, aux pages 1112 et 1113 R.C.S.;
221 N.R., en parlant des membres du conseil
d'administration:
Ils ne sont pas liés par les règles de preuve strictes et les autres
règles applicables aux procédures engagées devant une cour de
justice. Il suffit que la cause soit entendue dans un esprit
d'impartialité et conformément aux principes de justice fonda-
mentale: lord Parmoor dans Local Government Board v.
Arlidge ([1915] A.C. 120), à la p. 140.
Bien que l'arrêt Blanchard c. Control Data
Canada Ltée et autre, [1984] 2 R.C.S. 476, ne soit
pas favorable au requérant, le principe approprié
est énoncé, à la page 493, dans le jugement rendu
par le juge Lamer:
Autrement dit, l'interprétation de la Commission est-elle
déraisonnable au point de ne pouvoir rationnellement s'ap-
puyer sur la législation pertinente et d'exiger une intervention
judiciaire?
C'est là un test très sévère et qui marque une approche restric
tive en ce qui concerne le contrôle judiciaire. C'est pourtant le
test que cette Cour a appliqué et applique encore.
À la page 494, il ajoute:
Dans la recherche de l'erreur portant atteinte à la juridiction,
l'emphase placée par cette Cour sur la dichotomie du caractère
raisonnable-déraisonnable de l'erreur remet en question l'op-
portunité de faire, à même celle-ci, la distinction entre l'erreur
de droit et l'erreur de fait. Outre la difficulté de qualification,
la distinction se bute à celle que les tribunaux ont donné aux
erreurs de fait déraisonnables. L'erreur de fait déraisonnable a
été qualifiée d'erreur de droit. La distinction voudrait qu'en un
deuxième temps cette erreur de droit soit à l'abri de la clause
privative à moins d'être déraisonnable. Que faut-il de plus à la
conclusion de fait déraisonnable, pour que, en devenant erreur
de droit elle devienne une erreur de droit déraisonnable. Le
tribunal administratif a la compétence voulue pour se tromper,
et même gravement, mais n'a pas celle d'être déraisonnable. Ce
qui est déraisonnable n'atrophie pas moins la juridiction du fait
que la conclusion en est une de fait plutôt que de droit. La
justification de l'intervention judiciaire est la conclusion
déraisonnable.
•
Dans le renvoi Re Mia and Medical Services
Commission of British Columbia (1985), 17
D.L.R. (4th) 385 (C.S.C.-B.), le juge en chef
McEachern a déclaré, aux pages 411 et 412:
[TRADUCTION] Certains auteurs ont laissé entendre que le
mot «liberté» utilisé à l'art. 7 ne concerne que la liberté
physique, c'est-à-dire le fait de ne pas être en captivité, et non
pas l'activité ou le comportement humains; qu'il ne se rapporte
pas aux questions économiques; ou que son sens peut être limité
de diverses façons. Bien qu'il doive toujours y avoir des limites
au droit des personnes libres de faire tout ce qu'elles désirent,
les derniers mots de l'art. 7 ainsi que l'art. 1, que je citerai plus
loin, prescrivent que ces limites doivent être raisonnables, mais,
de façon générale, les limites aux libertés traditionnelles
devraient être appliquées avec circonspection et de façon très
prudente.
Je sais qu'en général, les tribunaux américains ont hésité à
intervenir dans le règlement des problèmes économiques par des
mesures législatives. C'est là une règle générale, j'en conviens,
mais je ne tiens pas compte dans le présent cas des lois adoptées
en bonne et due forme et, même si je le faisais, il y a certains
droits dont jouissent nos concitoyens, y compris le droit de
travailler et de pratiquer une profession, qui sont si fondamen-
taux qu'il faut les protéger même s'ils comportent un élément
économique.
En dernier lieu, je citerai l'arrêt R. v. Weyallon
(1983), 47 A.R. 360, qui a été rendu par la Cour
suprême des Territoires du Nord-Ouest; dans cette
affaire, un chasseur et trappeur indien qui avait
besoin d'une arme à feu pour assurer sa subsis-
tance a été reconnu coupable d'un acte de violence
en vertu du paragraphe 98(1) du Code criminel,
qui lui interdisait de posséder une arme à feu
pendant cinq ans. En refusant d'appliquer cette
disposition obligatoire, la Cour s'est reportée aux
articles 7 et 12 de la Charte.
Le requérant soutient également que les disposi
tions de la limite imposée par la Commission des
libérations conditionnelles sont si vagues et si géné-
rales qu'elles ne peuvent faire l'objet d'aucune
interprétation et de plus qu'elles le privent de toute
possibilité de gagner sa vie en exécutant le travail
pour lequel il est qualifié. Les termes «directement
ou indirectement participer» sont certainement très
larges tout comme les mots «à l'administration, à
la promotion, à l'achat ou à la vente d'une entre-
prise ou d'un organisme, que ce soit à des fins
lucratives ou non». Évidemment, en imposant cette
condition, que le requérant devait naturellement
accepter, la Commission voulait s'assurer qu'il ne
serait pas en mesure d'escroquer quelqu'un par des
manœuvres financières durant sa liberté condition-
nelle, comme il l'avait fait dans le passé. Cette fin
ne constituait pas une condition déraisonnable, et
l'utilisation d'un libellé plus précis aurait pu
entraîner des difficultés. On ne demande pas à la
Cour d'interpréter la condition, mais, si c'était le
cas, je serais enclin à conclure que son effet n'a
peut-être pas une aussi grande portée que le pré-
tend l'avocat du requérant. Elle ne semble pas
empêcher le requérant de travailler dans une
entreprise commerciale ou d'occuper un poste de
vendeur par exemple. Mais il est évident que l'in-
terprétation de cette condition a effectivement
posé certains problèmes dans le passé à l'agent de
liberté conditionnelle du requérant, qui s'est
demandé si ce dernier pouvait, par exemple, accep-
ter un poste d'enseignant; l'agent a soumis la
question à la Commission, qui a finalement jugé
que la restriction ne s'étendait pas à ce cas, mais
au moment où elle a rendu sa décision, il était trop
tard pour que le requérant puisse occuper le poste
qui lui avait été offert. L'agent s'est également
demandé si le fait pour le requérant d'accepter le
poste de président de l'Association des étudiants de
l'éducation permanente de l'Université McGill vio-
lerait la condition, et finalement s'il pouvait siéger
au Conseil de cette Université. Dans certains cas,
ces questions ont été soulevées par le requérant
lui-même avec l'aide de son agent de liberté condi-
tionnelle, car il ne voulait pas contrevenir aux
conditions. Il a dû en fin de compte démissionner
du poste de président de l'Association des étu-
diants de l'éducation permanente de l'Université
McGill mais non du poste qu'il occupait au Con-
seil de cette Université.
Ainsi que le fait remarquer l'avocat de l'intimée,
l'agent de liberté conditionnelle du requérant, M.
Gérald Dion, est un employé du Service correc-
tionnel du Canada, qui est un organisme distinct
de la Commission des libérations conditionnelles.
Ses employés surveillent simplement la conduite
des prisonniers auxquels une libération condition-
nelle a été accordée pour s'assurer que ceux-ci
observent les conditions de cette libération, et ils
en font rapport à la Commission. Advenant qu'ils
interprètent les conditions de façon trop stricte ou
trop restrictive, la Commission ne peut pas en être
blâmée. En l'espèce toutefois, M. Dion ne peut pas
être blâmé du fait que l'intimée, la Commission
des libérations conditionnelles, continue d'imposer
la restriction. De fait, non seulement M. Dion mais
également ses supérieurs Lily Tranche, directrice
du Service correctionnel national du district de
Montréal, et Caroline Soulié, gestionnaire régio-
nale, ont soutenu fermement que la conduite du
requérant indiquait qu'il s'était amendé à la suite
de son emprisonnement, qu'il essayait de refaire sa
vie et qu'il ne pouvait plus être considéré comme
un danger pour le public. Bien que la Commission
ne soit pas tenue d'accepter ces recommandations,
celles-ci devraient certainement avoir beaucoup de
poids car elles émanent de personnes qui ont
affaire directement avec le libéré conditionnel.
L'avocat de l'intimée allègue que l'article 7 de la
Charte, qui est libellé ainsi:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor-
mité avec les principes de justice fondamentale.
ne s'applique pas, étant donné que les limites
imposées ne privent pas le requérant du droit à la
vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; la
libération conditionnelle vise au contraire à lui
donner davantage accès à ces droits plutôt qu'à le
priver de quelque chose car, sans cette libération
conditionnelle, il resterait en prison pour purger sa
peine. Ce raisonnement me semble cependant quel-
que peu spécieux, surtout si l'on tient compte de la
version française de l'article 7 qui utilise les mots
«porté atteinte» au lieu de «privé» (deprived). Je
suis donc d'avis qu'on peut également examiner les
conditions qui sont imposées à un détenu mis en
liberté conditionnelle et qui limitent cette liberté
pour déterminer si elles sont imposées en confor-
mité avec les principes de justice fondamentale.
Je doute encore plus que l'article 12, qui est
rédigé ainsi:
12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou
peines cruels et inusités.
puisse s'appliquer, bien qu'il soit possible de soute-
nir que les conditions qui privent le requérant de la
possibilité de gagner sa vie en exécutant un genre
de travail pour lequel il a été formé constituent
peut-être des «traitements inusités», vu que la libé-
ration conditionnelle vise fondamentalement à per-
mettre au détenu de reprendre sa place dans la
société et, si possible, d'obtenir ou de se procurer
un emploi utile.
En premier lieu, la condition imposée ne sem-
blait pas déraisonnable et n'était certainement pas
[TRADUCTION] «manifestement déraisonnable»,
mais là n'est pas la question en ce moment. Ni le
temps pris par la Commission pour accueillir la
demande du requérant en vue de l'autoriser à
accepter un poste d'enseignant. Le premier refus
d'accorder la permission découlait apparemment
des réserves faites par les gens du Service correc-
tionnel lorsqu'ils ont interprété la condition, à la
suite de quoi ils ont soumis la question à la Com
mission, ce qui a entraîné le délai et la perte du
poste.
Je ne doute pas que, s'il avait simplement
accepté le poste et si, par la suite, sa libération
conditionnelle avait été révoquée, le requérant
aurait pu réussir, au moyen d'un bref de préroga-
tive approprié, à obtenir une décision portant que
cela ne violait pas la condition spéciale. La Com
mission des libérations conditionnelles a elle-même
fini par le reconnaître. Cela aurait très vraisembla-
blement été le cas également en ce qui concerne
son élection au poste de président de l'Association
des étudiants de l'éducation permanente de l'Uni-
versité McGill et de représentant des étudiants au
Conseil de l'Université. Cependant il n'a pas jugé
bon d'emprunter cette voie en défiant ses surveil-
lants de liberté conditionnelle et la Commission
des libérations conditionnelles, mais il a plutôt
tenté d'obtenir leur permission.
Le long délai qui s'est écoulé après le 23 avril
1985, date à laquelle son agent de liberté condi-
tionnelle a rédigé un rapport spécial où il donnait
tous les détails du projet d'entreprise du requérant
et recommandait fortement que l'on annule la
condition spéciale, avec le consentement de son
surveillant, a, semble-t-il, été causé par une cer-
taine confusion dans l'administration au sein des
bureaux de la Commission des libérations condi-
tionnelles, ce qui a obligé l'agent de liberté condi-
tionnelle à rédiger un deuxième rapport à la
demande du requérant le 14 août, à la suite duquel
la Commission des libérations conditionnelles a, le
9 septembre, reporté sa décision afin de permettre
au requérant de faire des observations par écrit. Ce
n'est que le 10 octobre, soit presque six mois après
la demande initiale, que la Commission des libéra-
tions conditionnelles s'est prononcée sur la ques
tion et a rejeté la demande. Bien que des erreurs
puissent se produire dans tout organisme adminis-
tratif et que, dans le présent cas, cela n'eût fait
aucune différence de toute façon, étant donné que
la demande d'annulation de la restriction a été
refusée, le délai n'était certainement pas juste et
raisonnable à l'égard du requérant qui s'était lon-
guement préparé avant de lancer son entreprise et
avait même obtenu une marge de crédit garantie
par le gouvernement.
Si toutefois le délai était le seul point à prendre
en considération, j'aurais peine à conclure que la
décision de refuser d'annuler ces restrictions était
manifestement déraisonnable à tel point que la
Cour devrait intervenir. Mais, pour juger qu'il en
était ainsi et que cette décision devrait être annu-
lée, je me suis fondé sur plusieurs facteurs.
Tout d'abord, bien qu'il soit vrai de dire que la
Commission des libérations conditionnelles est tout
à fait indépendante et n'est pas tenue de suivre les
recommandations des gens du Service correction-
nel du Canada qui surveillent la liberté condition-
nelle, leurs rapports ont certainement une grande
valeur probante car ces personnes sont constam-
ment en contact avec le libéré conditionnel et sont
le plus en mesure de porter un jugement sur sa
conduite. En l'espèce, les trois rapports présentés
qui recommandaient l'annulation de la restriction
auraient difficilement pu être rédigés en termes
plus clairs ou être plus favorables au requérant.
Malgré cela, on n'attache que peu d'importance à
ces rapports dans le refus en date du 10 octobre
1985. On y signale au début que, le 13 décembre
1983, la condition spéciale a été imposée parce
qu'elle était nécessaire à la sécurité du public et
qu'elle était justifiée par les observations faites à
cette époque. Ce point n'est nullement contesté. Le
rapport ajoute que cette condition a été maintenue
le 5 août 1985 pour les raisons expliquées dans les
observations du 22 juillet. Cette décision refusait
d'abolir la condition afin de protéger la clientèle
composée de jeunes étudiants contre les manœu-
vres frauduleuses possibles du requérant. On y
déclarait que les commissaires qui avaient imposé
la condition avaient certainement de bonnes rai-
sons de le faire et que rien dans les rapports
actuels ne justifiait son abolition. Toutefois, selon
le commissaire dissident, il n'y avait pas lieu, et il
était même contre-indiqué, de maintenir la condi
tion spéciale imposée précédemment, étant donné
les progrès réalisés à ce moment-là par le requé-
rant ainsi que les circonstances entourant la créa-
tion de la nouvelle entreprise.
Le troisième paragraphe de la décision rendue
le 10 octobre 1985, sur laquelle porte la présente
requête, ajoute que la lettre de M. Litwack en date
du 17 septembre 1985 n'apporte rien de nouveau.
Ses arguments avaient déjà été transmis par son
agent de liberté conditionnelle, et la Commission
n'a aucune raison de modifier ses conclusions anté-
rieures. Encore une fois, une dissidence a été enre-
gistrée sur ce point. La majorité des commissaires
semblent adopter la position selon laquelle, une
fois qu'il a été décidé d'imposer des restrictions en
bonne et due forme, celles-ci ne devraient jamais
être supprimées ou modifiées quels que soient les
changements intervenus dans la situation de la
personne pendant qu'elle est en liberté condition-
nelle. En d'autres mots, au lieu de prendre en
considération la situation actuelle qui leur a été
présentée dans tous ses détails, les commissaires
estiment que, si le libéré conditionnel représentait
un danger pour la société au moment où les condi
tions ont été imposées, il doit toujours le rester
malgré sa conduite subséquente. Celui-ci avait
convaincu tout le monde, sauf la majorité des
membres de la Commission, qu'il s'était réhabilité.
Cela me semble manifestement injuste à tel point
qu'il faut demander à la Cour d'intervenir. L'em-
prisonnement vise notamment à réhabiliter le
détenu et à l'amener à renoncer à sa vie criminelle,
en lui faisant prendre conscience des moyens fau-
tifs auxquels il recourait. Bien que cela ne se
réalise malheureusement pas toujours, nous
sommes ici en présence du cas d'un homme âgé de
48 ans qui a commis ses premiers actes criminels à
l'âge de 42 ans. Depuis lors, il a donné toutes les
raisons de croire qu'il s'est réhabilité mais, sans la
moindre preuve du contraire et malgré les recom-
mandations et les rapports très sérieux présentés
par ceux qui sont le plus en mesure de déterminer
qu'il est peu probable qu'il continue de recourir à
des manoeuvres frauduleuses dans l'entreprise qu'il
projette, la majorité des commissaires insiste
encore pour maintenir la condition restrictive, sans
tenir compte du fait que la situation du requérant
semble avoir changé depuis que cette condition lui
a été imposée.
Ce qui me renforce dans cette conclusion, c'est
qu'il s'agissait simplement d'une décision rendue à
la majorité et que l'un des commissaires a sans
cesse été dissident.
Dans les circonstances, j'accorderai un bref de
certiorari annulant la décision aux termes de
laquelle la Commission des libérations condition-
nelles a refusé, le 10 octobre 1985, d'abolir la
condition spéciale qui est attachée à la libération
conditionnelle du requérant et dont le libellé est si
général qu'il empêche effectivement ce dernier de
s'engager dans une entreprise commerciale ou dans
toute autre entreprise similaire pour lesquelles il
possède les qualités requises en raison de sa
formation.
ORDONNANCE
Un bref de certiorari est accordé à l'encontre de
la décision aux termes de laquelle la Commission
des libérations conditionnelles a refusé, le 10 octo-
bre 1985, d'abolir la condition spéciale attachée à
la libération conditionnelle du requérant, avec les
dépens.
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