T-3340-81
Joseph Charles Gabriel Mentuck, Theresa Men -
tuck, Terry Lynn Mentuck, Ivan Arnold James
Mentuck, Linda Mae Mentuck, Christopher Char-
les Mentuck, Rita Mary Mentuck et Gaylene
Bogoslowski (demandeurs)
c.
La Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: MENTUCK C. CANADA
Division de première instance, juge McNair—
Winnipeg, 15, 18, 19, 22, 23, 24, 25 octobre 1984,
5 juin et 21 octobre 1985; Ottawa, 12 mai 1986.
Peuples autochtones — Un Indien inscrit exploitait une
ferme dans une réserve — Des fonctionnaires du gouvernement
ont encouragé le demandeur à développer son exploitation
Ils voulaient le présenter comme un exemple vivant de ce que
pouvait donner l'esprit d'initiative d'un Indien — Le deman-
deur a suivi leurs recommandations — Cela a suscité la
jalousie d'autres Indiens — Le demandeur a été victime de
harcèlement et d'intimidation — Un représentant du Ministère
a offert d'indemniser le demandeur si celui-ci quittait la
réserve — Le demandeur a agi à son détriment en se fiant à
cette promesse — Le Ministre a jugé que rien ne justifiait le
versement d'une indemnité — Il a conseillé au demandeur de
s'adresser au service du bien-être social de sa municipalité —
La Couronne a été poursuivie pour inexécution de contrat ou
manquement à ses obligations de fiduciaire — Jugement rendu
en faveur du demandeur pour le premier motif — Loi sur les
Indiens, S.R.C. 1952, chap. 149, art. 18(1) — Loi sur les
Indiens, S.R.C. 1970, chap. I-6, art. 87.
Couronne — Fiducies — Aucune preuve n'a été apportée
quant à l'existence d'une obligation de fiduciaire entre le
demandeur et la Couronne, bien qu'un droit reconnu en equity
ait pris naissance en faveur du demandeur à cause des rap
ports particuliers existant entre les Indiens et la Couronne
Distinction faite avec l'affaire Guerin — Loi sur les Indiens,
S.R.C. 1952, chap. 149, art. 18(1).
Couronne — Contrats — Y a-t-il eu conclusion d'un con-
trat? — Un mandataire de la Couronne a offert au demandeur
de lui verser une indemnité équivalant à la valeur de ses terres,
au préjudice résultant du déménagement et aux frais de
réinstallation — L'offre a été acceptée par le demandeur, qui a
quitté la réserve — La contrepartie était le préjudice subi en
acceptant de déménager — Le fait que le montant de cette
indemnité était soumis à l'examen du Ministre était une
condition suspensive quant aux modalités de l'exécution et non
pas une condition inévitable de la convention — Des domma-
ges-intérêts ont été accordés pour perte de la valeur des terres
et perte financière — Loi sur l'expropriation, S.R.C. 1970 (1"
Supp.), chap. 16 — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2'
Supp.), chap. 10, art. 35, 40 — Règles de la Cour fédérale,
C.R.C., chap. 663, Règles 324, 337(2)b), 482.
Couronne — Mandat — Un représentant du Ministère s'est
présenté lui-même comme émissaire du Ministre, et le deman-
deur l'a considéré ainsi — Rejet du moyen de défense selon
lequel ce représentant n'avait pas le pouvoir de conclure un
contrat au nom de la Couronne en vertu de certains articles
précis de la Loi et du Règlement — Les principes ordinaires du
mandat s'appliquent aux contrats gouvernementaux — Le
contrat conclu par un ministre de la Couronne en vertu de son
mandat général ou apparent ou par un mandataire agissant
dans le cadre de son présumé mandat lie la Couronne, même
s'il est conclu sans l'autorisation précise de la loi, en l'absence
de dispositions contraires prévues par la loi — Loi sur l'admi-
nistration financière, S.R.C. 1970, chap. F-10, art. 19, 33 —
Règlement sur les marchés de l'État, C.R.C., chap. 701, art.
5(1).
Fin de non-recevoir — Irrecevabilité fondée sur une pro-
messe — Doctrine exigeant l'existence préalable d'un lien
juridique au moment où la promesse est faite — Dans le
passé, l'irrecevabilité se fondait sur un fait existant et non sur
quelque promesse pour l'avenir — Récemment, la question de
la confiance est devenue de plus en plus importante — L'im-
mutabilité de la maxime de l'épée et du bouclier est mise en
doute — Attente découlant implicitement de l'offre faite par le
mandataire du Ministère, confiance raisonnable fondée sur
celle-ci et changement de situation par la suite — La défende-
resse est irrecevable à insister sur des droits reconnus par la
loi — Le demandeur ne fait pas que solliciter quelque chose.
Pratique — Plaidoiries — La défenderesse soutient que la
convention n'était pas permise par la loi ou le Parlement et
s'appuie sur la Loi sur l'administration financière — Elle ne
fait pas valoir de faits pour montrer que la loi et les articles
auxquels elle a recours s'appliquent à son cas — Il ne suffit
pas d'invoquer la loi de façon générale — Elle ne peut pas
soulever au cours du procès des moyens de défense qui n'ont
pas été correctement invoqués.
Jugement: l'action est accueillie.
Pour ce qui concerne les faits de l'espèce, il faut se reporter à
la note de l'arrêtiste reproduite ci-dessous.
Le demandeur s'est basé sur l'irrecevabilité fondée sur une
promesse (promissory estoppel) ainsi que sur l'obligation de
fiduciaire pour appuyer sa thèse selon laquelle une entente avait
été conclue. Il a été allégué que l'irrecevabilité fondée sur une
promesse pouvait servir à établir une cause d'action. La défen-
deresse a invoqué l'absence de contrat en raison d'un consensus
ad idem insuffisant, l'absence d'une offre sans équivoque, l'in-
certitude quant aux conditions du contrat et l'absence de
contrepartie. La question est de savoir s'il y avait contrat et,
dans l'affirmative, quelles en étaient les conditions.
Selon la doctrine de l'irrecevabilité fondée sur une promesse,
lorsqu'une partie, par ses actes ou ses paroles, fait à l'autre une
promesse visant à modifier leurs rapports juridiques, alors, une
fois que l'autre partie a agi en conséquence, la partie qui a fait
la promesse ne peut pas revenir à leur situation juridique
antérieure. La doctrine peut servir de bouclier mais non d'épée.
Il doit exister déjà un certain lien juridique entre les parties au
moment où est faite la promesse visant à modifier le lien
juridique ou le comportement de l'autre partie. Selon l'opinion
dominante, l'irrecevabilité doit se fonder sur un fait existant et
non sur quelque promesse pour l'avenir, mais la règle n'est pas
stricte. La décision dépendra souvent de la confiance et de tout
changement qui peut être apporté de ce fait à la position d'une
partie. La jurisprudence récente a tendance à exprimer un
certain doute sur l'immutabilité de la maxime de l'épée et du
bouclier et sur le point de vue que l'irrecevabilité fondée sur
une promesse ne peut constituer en elle-même une cause
d'action.
Il se pose une question quant à savoir s'il peut régner un
climat de confiance raisonnable dans le cas des contrats gouver-
nementaux. Il existe une certaine jurisprudence à l'appui de la
proposition selon laquelle, lorsqu'il s'agit de contrats gouverne-
mentaux, le créancier de l'engagement doit démontrer que le
gouvernement avait manifestement l'intention de s'obliger juri-
diquement, et les simples déclarations d'intention ou de politi-
que générale ne suffisent habituellement pas à créer des obliga
tions contractuelles exécutoires. Toutefois, dans l'arrêt Grant v.
Province of New Brunswick, la Cour d'appel du Nouveau-
Brunswick a récemment rejeté l'idée qu'il doit y avoir une
intention.
C'est une question d'interprétation dans chaque cas au
moment de déterminer s'il s'agit d'une convention faite sous
condition ou réellement conclue. Les tribunaux n'élaboreront
pas une nouvelle convention lorsque les éléments essentiels font
défaut au point d'indiquer de façon manifeste que les parties
n'ont jamais voulu conclure de convention. Ils hésiteront moins
à combler les omissions en prévoyant des conditions raisonna-
bles lorsque cela est possible et lorsqu'il a été montré qu'on
comptait grandement sur la convention. Le critère consistera
souvent à déterminer ce qui est raisonnable et juste dans les
circonstances.
Quant à savoir s'il y avait une convention exécutoire, M.
Steacy s'est présenté lui-même comme émissaire du Ministre,
et c'est ainsi qu'il a été considéré par le demandeur. M. Steacy
lui a proposé de quitter la réserve, en contrepartie de quoi il
serait indemnisé d'une somme représentant la valeur de ses
terres, le préjudice subi à cette occasion et les frais de réinstal-
lation. Le montant réel de l'indemnité serait fixé au moyen
d'une évaluation faite conformément aux lignes directrices de la
Loi sur l'expropriation, et le montant total du règlement serait
soumis à l'examen du Ministre. Les choses avaient dépassé le
stade des déclarations d'intention.
La confiance en une promesse a été un facteur dominant en
l'espèce. Il y a eu de fortes incitations de la part d'un manda-
taire du Ministère qui avait un pouvoir apparent, et, en répon-
dant de façon prévisible à l'attente raisonnable ainsi créée, le
demandeur a accepté les conditions de l'offre avec le résultat
qu'une convention exécutoire a été conclue. Aux yeux de la
défenderesse considérée comme la débitrice de l'engagement, la
contrepartie était le préjudice subi par le demandeur en conve-
nant de quitter la réserve. L'attente découlant implicitement de
l'offre, la confiance raisonnable fondée sur celle-ci et le change-
ment de situation par la suite étayent l'idée d'une convention
exécutoire. Le fait que le montant du règlement final était
soumis à un examen était une condition suspensive quant aux
modalités de l'exécution finale et non pas une condition inévita-
ble de la convention qui supposait nécessairement l'exécution
d'une autre convention entre les parties.
La doctrine de l'irrecevabilité fondée sur une promesse joue
un rôle complémentaire important en renforçant les rôles clés
de l'attente et de la confiance. Le demandeur pouvait recourir
au bouclier de l'irrecevabilité fondée sur promesse à l'encontre
d'un moyen de défense qui insistait sur les droits stricts recon-
nus par la loi et présentait le demandeur comme une personne
qui ne faisait que solliciter quelque chose. La défenderesse a
fait des promesses auxquelles le demandeur pouvait raisonna-
blement se fier et auxquelles il s'est effectivement fié à son
détriment. Il serait injuste de permettre à la défenderesse de
revenir sur ces promesses et garanties. La défenderesse n'a pas
respecté la convention et est responsable des dommages qui en
ont résulté.
La défenderesse soutient que le mandataire de la Couronne
n'avait pas le pouvoir de conclure un contrat en raison des
limites imposées par les articles 19 et 33 de la Loi sur l'admi-
nistration financière et le paragraphe 5(1) du Règlement sur
les marchés de l'État. Elle ne fait qu'alléguer que toute conven
tion intervenue l'a été sans autorisation de la loi et du Parle-
ment et pour ce faire, se fonde sur les dispositions de la Loi sur
l'administration financière. La partie qui se fonde sur une loi
doit faire valoir les faits nécessaires pour montrer que cette loi
et les articles précis auxquels elle a recours s'appliquent à son
cas. Il ne suffit pas d'invoquer la loi de façon générale. La
défenderesse ne peut pas maintenant soulever pour la première
fois des moyens de défense qui n'ont pas été correctement
invoqués. Quoi qu'il en soit, la Couronne est liée par des
obligations contractuelles de la même manière qu'un particu-
lier, et les principes ordinaires du mandat s'appliquent aux
contrats gouvernementaux. Le contrat conclu par un ministre
de la Couronne en vertu de son mandat général ou apparent ou
celui conclu en son nom par un mandataire agissant dans le
cadre de son présumé mandat lie la Couronne, même s'il est
conclu sans l'autorisation précise de la loi, en l'absence de
dispositions contraires et inéluctables prévues par la loi. Ce
moyen de défense est rejeté tant pour des raisons de principe
qu'à cause d'un vice de plaidoirie.
Le demandeur allègue que le principe de l'obligation de
fiduciaire établie dans l'arrêt Guerin s'applique en l'espèce car
le demandeur était, somme toute, à la merci du pouvoir discré-
tionnaire de la Couronne. Bien que la position du demandeur
soit susceptible de créer un droit reconnu en equity en sa
faveur, compte tenu des rapports particuliers existant entre les
Indiens et la Couronne, cela ne veut pas dire que, par sa nature
même, cette position évoque automatiquement le droit conco
mitant relatif à l'obligation de fiduciaire. L'action intentée par
le demandeur pour manquement à des obligations de fiduciaire
au sens du principe établi dans l'affaire Guerin est tout à fait
indéfendable.
Il faudrait accorder des dommages-intérêts pour perte de la
valeur des terres et perte financière. Il existait une autre
condition du contrat selon laquelle le demandeur serait indem-
nisé de toute perte ou de tout préjudice connexe résultant de
son déménagement à l'extérieur de la réserve. L'entente relative
à l'utilisation des directives législatives pour calculer l'indem-
nité indique qu'il était possible que des dommages-intérêts
soient payables en cas d'inexécution de la convention. Les
parties avaient dû prévoir que les dommages-intérêts résultant
d'un manque à gagner engloberaient une indemnité pour trou
ble de jouissance concernant une entreprise ou perte financière
attribuable à l'inexécution de la convention, laquelle a privé le
demandeur de ses moyens de subsistance.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
Parsons (H.) (Livestock) Ltd. v. Uttley Ingham & Co.
Ltd., [1978] Q.B. 791 (C.A.); Nowegijick c. La Reine,
[1983] 1 R.C.S. 29; 83 DTC 5041.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S.
335; (1985), 55 N.R. 161; 13 D.L.R. (4th) 321; [1984] 6
W.W.R. 481.
DECISIONS EXAMINÉES:
Tanner v Tanner, [1975] 3 All ER 776 (C.A.); Re
Dominion Stores Ltd. and United Trust Co. et al. (1973),
42 D.L.R. (3d) 523 (H.C. Ont.) (confirmée par (1974),
52 D.L.R. (3d) 327 (C.A.); confirmée par [1977] 2
R.C.S. 915; (1976), 71 D.L.R. (3d) 72 sub nom. United
Trust Co. c. Dominion Stores Ltd. et autres); Calvan
Consolidated Oil & Gas Co. v. Manning, [1959] R.C.S.
253; 17 D.L.R. (2d) 1; Von Hatzfeldt-Wildenburg v.
Alexander, [1912] 1 Ch. 284; Hillas & Co., Ltd. v.
Arcos, Ltd., [1932] All E.R. Rep. 494 (H.L.); Hughes v.
Metropolitan Railway Company (1877), 2 App. Cas. 439
(H.L.); Combe v. Combe, [1951] 2 K.B. 215 (C.A.);
Wauchope v. Maida et al. (1971), 22 D.L.R. (3d) 142
(C.A. Ont.); Evenden v. Guildford City Association
Football Club Ltd., [1975] Q.B. 917 (C.A.); Grant v.
Province of New Brunswick (1973), 35 D.L.R. (3d) 141
(C.A.N: B.); Marshall c. Canada (1985), 60 N.R. 180
(C.A.F.).
DECISIONS CITÉES:
Kelly v. Watson (1921), 61 R.C.S. 482; 57 D.L.R. 363;
Courtney and Fairbairn Ltd v Tolaini Brothers (Hotels)
Ltd, [1975] 1 All ER 716 (C.A.); Sykes (Wessex), Ltd. v.
Fine Fare, Ltd., [1967] 1 Lloyd's Rep. 53 (C.A.); Central
London Property Trust, Ld. v. High Trees House, Ld.,
[1947] K.B. 130; Robertson v. Minister of Pensions,
[1949] 1 K.B. 227; Ajayi v. R. T. Briscoe (Nig.) Ltd.,
[1964] 1 W.L.R. 1326; [1964] 3 All E.R. 556 (P.C.);
Conwest Exploration Co. et al. v. Letain, [1964] R.C.S.
20; (1963), 41 D.L.R. (2d) 198; Burrows (John) Limited
v. Subsurface Surveys Limited et al., [1968] R.C.S. 607;
68 D.L.R. (2d) 354; Canadian Superior Oil Ltd. et autre
c. Paddon-Hughes Development Co. Ltd. et autre,
[1970] R.C.S. 932; 12 D.L.R. (3d) 427; Re Tudale
Explorations Ltd. and Bruce et al. (1978), 20 O.R. (2d)
593; 88 D.L.R. (3d) 584 (C. div.); Edwards et al. v.
Harris-Intertype (Canada) Ltd. (1983), 40 O.R. (2d)
558 (H.C. Ont.); Verreault (J.E.) & Fils Ltée c. Procu-
reur général (Québec), [1977] 1 R.C.S. 41; (1975), 57
D.L.R. (3d) 403; Banque de Montréal c. Procureur géné-
ral (Qué.), [1979] 1 R.C.S. 565; (1978), 96 D.L.R. (3d)
586; R. c. CAE Industries Ltd., [1986] 1 C.F. 129;
(1985), 20 D.L.R. (4th) 347; (1985), 61 N.R. 19 (C.A.);
confirmant [1983] 2 C.F. 616 (1n inst.).
AVOCATS:
Morris Kaufman et Kenneth Zaifman pour
les demandeurs.
Craig Henderson et Barbara Shields pour la
défenderesse.
PROCUREURS:
Margolis Kaufman Cassidy Zaifman Swartz,
Winnipeg, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
NOTE DE L'ARRÊTISTE
L'arrêtiste a décidé de publier le présent juge-
ment parce qu'il expose bien la doctrine, recon-
nue en equity, de l'irrecevabilité fondée sur une
promesse (promissory estoppel) ainsi que la
façon dont elle s'applique aux contrats gouverne-
mentaux.
Il a cependant été décidé de reproduire sous
une forme abrégée les quarante-quatre pages
que comptent les motifs du jugement et de pré-
senter le résumé suivant des faits.
Le demandeur, qui est un Indien inscrit, vivait
dans une réserve où il faisait de la polyculture.
Des fonctionnaires du Ministère, qui voulaient
rendre l'exploitation de la ferme plus rentable tout
en présentant le demandeur comme un exemple
vivant de ce que pouvait donner l'esprit d'initiative
et d'entreprise, l'ont encouragé à développer son
exploitation agricole en acquérant une plus
grande superficie de terrain et de la machinerie
supplémentaire. Le Ministère l'aiderait dans l'or-
ganisation du financement. Malgré la crainte que
d'autres Indiens puissent devenir jaloux, le
demandeur a accepté la proposition. Il a loué une
autre parcelle de terrain du Ministère. Les appré-
hensions du demandeur se sont avérées justi
fiées. Des membres de la bande l'ont harcelé de
différentes façons, notamment en faisant passer
leur bétail sur ses terres, endommageant ainsi
ses récoltes. M. Mentuck a poursuivi la bande
indienne et son chef en dommages-intérêts pour
l'intimidation qu'ils ont exercée à son égard et les
atteintes qu'ils ont portées à ses intérêts écono-
miques. Il a obtenu gain de cause en première
instance et devant la Cour d'appel du Manitoba. À
la suite de ce litige, la situation ne pouvait plus
être maîtrisée dans la réserve. Des coups de feu
ont été échangés, il y a eu des poursuites en
automobile sur la grande route, la ferme arbori-
cole du demandeur a été endommagée par des
gens qui la traversaient en tracteur, et ses enfants
ont dû changer d'école en raison des menaces
proférées à leur égard.
La situation difficile du demandeur a été portée
à l'attention des fonctionnaires du Ministère et
des dirigeants politiques. Le Ministre a désigné un
certain M. Steacy comme son représentant spé-
cial pour examiner la situation et formuler des
recommandations. M. Steacy avait toutes les qua-
lités requises pour remplir son mandat. Il avait
déjà été chargé de questions de politique sociale
au Bureau du Conseil privé. M. Steacy a rencontré
M. Mentuck. Celui-ci a indiqué qu'il préférait que
le Ministère intervienne pour rétablir l'ordre public
dans la réserve. M. Steacy a expliqué qu'il serait
impossible de suivre cette voie étant donné que
le gouvernement avait pour politique d'instaurer
un gouvernement autonome dans les réserves. La
seule solution pratique qui s'offrait à M. Mentuck
était de quitter la réserve. Celui-ci a laissé enten-
dre que sa ferme valait 1 000 000 $. M. Steacy a
toutefois recommandé de la faire évaluer par un
expert indépendant.
Leurs discussions ont abouti au consensus sui-
vant: M. Mentuck déménagerait et le Ministère
l'indemniserait en fonction de la valeur de ses
biens et de ses pertes de revenu. M. Steacy a
expliqué que le règlement de l'affaire serait
soumis à l'approbation du Ministère. M. Steacy a
rédigé une note à l'intention du Ministre dans
laquelle il recommandait de déplacer M. Mentuck
hors de la réserve aux frais du gouvernement et
de l'indemniser de ses pertes et de ses souffran-
ces conformément aux lignes directrices de la Loi
sur l'expropriation [S.R.C. 1970 (1B 1 Supp.), chap.
16].
Le sous-ministre adjoint a ordonné que les
biens de M. Mentuck soient évalués et a indiqué
que le montant du règlement final serait fixé à une
date ultérieure. Les Mentuck ont quitté la réserve,
la machinerie agricole a été vendue aux enchères
et le produit de la vente a servi à réduire le
montant de diverses dettes. Les terres de terrain
ont été évaluées à 146 692 $.
Le directeur général des réserves et des fidéi-
commis a présenté au sous-ministre adjoint une
note dans laquelle il recommandait de verser
cette somme à M. Mentuck en même temps que
le paiement des frais de déménagement. Le
sous-ministre adjoint a cependant décidé qu'il
fallait résoudre l'affaire en recourant aux pro
grammes ordinaires du Ministère en matière de
réinstallation et d'assistance sociale et il a mis un
frein à toute autre possibilité d'envisager une
indemnisation «à titre gracieux». Le sous-ministre
adjoint était conscient du fait qu'un gouvernement
minoritaire était au pouvoir et que le Ministre de
l'époque ne voulait pas se trouver mêlé à l'affaire
Mentuck.
Le demandeur a donc été avisé de la décision
de ne pas lui verser d'indemnité si ce n'est les
montants d'aide sociale qu'il recevait déjà.
Plus tard, toutefois, M. Mentuck a reçu de l'ad-
joint spécial du Ministre un télégramme laissant
entendre qu'une proposition devrait être élaborée
en vue de sa réinstallation dans une ferme. L'idée
était d'en prévoir le financement au moyen du
Manitoba Indian Agricultural Program (MIAP).
Cette solution était inacceptable pour M. Mentuck,
car 40 % seulement du financement pouvait être
obtenu du MIAP. On a retenu les services d'un
consultant afin d'effectuer une analyse des coûts
afférents à la réinstallation de M. Mentuck dans
une ferme. Les demandes de M. Mentuck étaient
grandioses et manquaient de bon sens. Le con
sultant semble n'avoir fait aucun effort pour tem-
pérer les exigences extravagantes du deman-
deur. Le consultant a avancé le chiffre de
2 868 614 $, lequel a été rejeté par le Ministère.
Le sous-ministre adjoint a écrit au demandeur
pour l'informer qu'aucune indemnité ne serait
versée.
11y a eu un changement de gouvernement, et le
nouveau Ministre a immédiatement repu une lettre
du procureur du demandeur, qui passait l'affaire
en revue et recommandait un règlement à l'amia-
ble pour éviter de recourir aux tribunaux. Le Minis-
tre a répondu que le gouvernement fédéral ne
pouvait d'aucune façon verser une indemnité. M.
Mentuck a changé de procureur pour le représen-
ter, et le nouveau a pu organiser une rencontre
avec le Ministre, mais celui-ci a confirmé le con-
seil juridique selon lequel aucune responsabilité
n'incombait à la Couronne. En outre, les alloca
tions d'aide sociale devaient prendre fin et M.
Mentuck a été invité à se chercher un emploi et à
consulter les fonctionnaires du service du bien-
être social de sa municipalité.
M. Mentuck a alors intenté la présente action
contre la Reine et a réclamé des dommages-inté-
rêts pour manquement aux obligations de fidu-
ciaire de cette dernière ou, subsidiairement, pour
inexécution de contrat. Il a invoqué la doctrine de
l'irrecevabilité fondée sur une promesse au cas
où serait niée l'existence d'une entente visant à
accorder au demandeur la propriété d'une ferme
entièrement équipée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MCNAIR: Les prétentions des deux
parties en cause se résument à peu près ainsi.
L'avocat du demandeur recourt à deux argu
ments convergents pour appuyer la conclusion iné-
luctable selon laquelle une convention avait été
conclue, bien que ce fût sous une forme rudimen-
taire, en vue de la réinstallation du demandeur sur
une exploitation agricole viable qui serait située
dans un endroit de son choix et sur laquelle il
aurait un droit de propriété absolu. Il invoque
d'abord l'irrecevabilité fondée sur une promesse.
L'autre argument repose sur l'obligation de fidu-
ciaire selon le principe établi dans l'arrêt Guerin
[Guerin et autres c. La Reine et autre, [ 1984] 2
R.C.S. 335; (1985), 55 N.R. 161; 13 D.L.R. (4th)
321; [1984] 6 W.W.R. 481]. L'avocat du deman-
deur soutient également que l'irrecevabilité fondée
sur une promesse peut servir à établir et à appuyer
une cause d'action, que ce soit pour inexécution
d'une convention ou d'une obligation de fiduciaire.
L'avocat de la Couronne assimile la position du
demandeur à celle de quelqu'un qui tente de
gagner une action politique contre la Couronne
plutôt qu'à celle d'une personne qui exerce un
recours juridique. Il allègue qu'il ne faudrait pas
étendre trop librement le principe établi dans l'af-
faire Guerin et créer ainsi un rapport de fiduciaire
dans toutes les situations qui mettent en cause les
Indiens et le Gouvernement du Canada. Il fait
valoir notamment que le principe ne peut pas être
étendu afin d'imposer à la Couronne une obliga
tion de prudence très générale et impossible à
remplir, c'est-à-dire empêcher que tout acte crimi-
nel ou délictuel soit commis par des tiers irrespon-
sables et vindicatifs. L'avocat de la Couronne sou-
tient qu'il n'existe aucun lien découlant d'un
contrat ou d'une loi pour justifier l'irrecevabilité
fondée sur une promesse et il rejette l'idée que
cette doctrine puisse être utilisée pour établir une
cause d'action. Essentiellement, il ne s'agit selon la
Couronne que d'une affaire fondée sur l'«absence
de contrat», c'est-à-dire sur un consentement ad
idem insuffisant, sur l'absence d'une offre sans
équivoque, sur l'incertitude quant aux conditions
du contrat en raison des différentes versions propo
sées par le demandeur et sur l'absence de contre-
partie. La première question est donc de savoir s'il
y avait contrat et quelles en étaient les conditions.
Les principes applicables à la question de savoir
s'il existe une convention conditionnelle ou irrévo-
cable sont faciles à établir mais difficiles à appli-
quer. C'est une question d'interprétation dans
chaque cas. Les auteurs Cheshire et Fifoot s'expri-
ment ainsi dans leur ouvrage intitulé The Law of
Contracts, 6e éd., à la page 34:
[TRADUCTION] Le devoir des tribunaux est de faire ressortir
l'intention des parties tant à partir des termes de leur corres-
pondance que des circonstances qui s'ensuivent, et la question
de l'interprétation peut se résumer ainsi. La rédaction d'un
document supplémentaire est-elle une condition suspensive de
la formation d'un contrat ou constitue-t-elle seulement un
élément accessoire dans l'exécution d'une obligation qui lie déjà
les parties?
Dans The Law of Contracts, Waddams aborde
ainsi le sujet aux pages 37 et 38:
[TRADUCTION] Le débiteur de l'engagement est-il lié par une
convention ferme ou se réserve-t-il un certain pouvoir discré-
tionnaire de signer ou non la convention formelle? Dans le
premier cas, il existe une convention exécutoire. Dans le second
cas, il n'y en a pas. Si le créancier s'attend raisonnablement à
un engagement ferme, il sera protégé même si le document en
bonne et due forme n'est jamais signé. En outre, les tribunaux
semblent particulièrement enclins à protéger une telle attente
lorsqu'elle se traduit par un comportement qui dépend de la
convention.
Voir à cet égard l'arrêt Tanner y Tanner, [1975]
3 All ER 776 (C.A.). Dans ce cas, le tribunal a
statué que la maîtresse d'un homme marié avait un
privilège contractuel qui lui permettait d'occuper
leur domicile conjugal aussi longtemps que les
jumelles nées de leur union étaient d'âge scolaire,
et le fait d'avoir laissé son appartement à la
demande de son compagnon constituait une bonne
raison dans les circonstances. La question de l'irre-
cevabilité avait également été soulevée, mais l'af-
faire a été tranchée sur le fondement d'un contrat
tacite.
L'affaire Re Dominion Stores Ltd. and United
Trust Co. et al. (1973), 42 D.L.R. (3d) 523 (H.C.
Ont.); confirmée par (1974), 52 D.L.R. (3d) 327
(C.A.); confirmée par [ 1977] 2 R.C.S. 915;
(1976), 71 D.L.R. (3d) 72 citée sous l'intitulé
United Trust Co. c. Dominion Stores Ltd. et
autres est instructive sur la question de la conven
tion conditionnelle ou irrévocable. Le juge Grant
siégeant en première instance a clairement énoncé
le principe suivant aux pages 528 et 529:
[TRADUCTION] À mon avis, il ressort des décisions que,
lorsque l'offre ou l'acceptation est formulée «sous réserve du
contrat», «sous réserve des conditions d'un bail» (Raingold v.
Bromley, [1931] 2 Ch. 307); «sous réserve d'un bail qui sera
rédigé par les procureurs de nos clients» (H.C. Berry Ltd. v.
Brighton and Sussex Building Society, [1939] 3 All E.R. 217);
«sous réserve des conditions d'une convention en bonne et due
forme qui sera élaborée par leurs procureurs» (Spottiswoode,
Ballantyne & Co., Ltd. v. Doreen Appliances, Ltd. and G.
Barclay (London), Ltd., [1942] 2 All E.R. 65), la convention
sera interprétée, en l'absence de circonstances indiquant une
intention contraire, comme étant conditionnelle et encore
sujette à négociation jusqu'à ce que les parties aient signé un
document plus solennel, même si leurs procureurs ont déjà
convenu de toutes les conditions.
En l'espèce, cependant, on ne dit pas expressément que le
contrat est conclu «sous réserve du bail», et à la lumière du
principe énoncé dans l'affaire Winn v. Bull, précitée, cela
devient donc une question d'interprétation «de savoir si les
parties voulaient que les conditions convenues soient simple-
ment couchées sur papier, ou si elles devraient faire l'objet
d'une nouvelle convention dont les conditions ne sont pas
énoncées dans le détail».
Dans l'affaire Calvan Consolidated Oil & Gas
Co. v. Manning, [1959] R.C.S. 253; 17 D.L.R.
(2d) 1, la Cour suprême du Canada devait répon-
dre à deux questions importantes, premièrement
celle de savoir si le contrat en cause était nul en
raison de son incertitude et deuxièmement celle de
savoir si une disposition prévoyant la conclusion
éventuelle d'une convention en bonne et due forme
dont les conditions seraient susceptibles d'être
fixées par un arbitre seul empêchait le contrat
d'avoir force obligatoire immédiatement. La Cour
a jugé que le contrat n'était pas nul pour cause
d'incertitude. Sur l'autre point, il a été statué que
les parties étaient liées par les conditions de leur
convention informelle concernant l'échange d'une
participation partielle dans des permis d'exploita-
tion de pétrole et de gaz naturel et qu'il n'en fallait
pas plus, en ce sens que les deux parties avaient
posé des gestes importants et qu'il y avait eu une
acceptation sans conditions qui serait constatée
éventuellement par un contrat en bonne et due
forme; il a été également statué qu'il ne s'agissait
pas d'une acceptation soumise à des conditions
expresses devant être remplies plus tard.
Le juge Judson a cité et approuvé [à la page 261
R.C.S.; aux pages 6 et 7 D.L.R.] le principe
énoncé en ces termes par le juge Parker dans
l'arrêt Von Hatzfeldt-Wildenburg v. Alexander,
[1912] 1 Ch. 284, aux pages 288 et 289:
[TRADUCTION] La jurisprudence semble établir clairement
que, si les documents ou lettres constituant un contrat prévoient
la conclusion d'un contrat supplémentaire entre les parties, c'est
une question d'interprétation de décider si la conclusion du
contrat supplémentaire constitue une condition de l'accord ou
s'il ne s'agit que d'un simple désir exprimé par les parties quant
à la façon dont sera exécutée la transaction qui a déjà été
conclue. Dans le premier cas, le contrat n'est pas valable soit
parce que la condition n'est pas remplie soit parce que le droit
ne reconnaît pas un contrat par lequel une personne s'engage à
conclure un autre contrat. Dans l'autre cas, le contrat est
valable et on peut ignorer la référence à un document plus
solennel.
Dans l'affaire Hillas & Co., Ltd. v. Arcos, Ltd.,
[1932] All E.R. Rep. 494 (H.L.), lord Tomlin a
déclaré d'un ton incisif, à la page 499:
[TRADUCTION] ... il s'agit toujours pour un tribunal d'inter-
prétation d'équilibrer les choses de façon à ce que les marchés
conclus par les hommes puissent, dans la mesure du possible,
être considérés comme valides sans qu'il y ait violation d'un
principe essentiel, et qu'on ne puisse reprocher au législateur de
défaire volontairement ces marchés.
Il y a une ligne de démarcation ténue entre une
convention qui a vraiment été faite sous condition
en ce sens qu'elle dépend entièrement de la rédac-
tion définitive d'un contrat supplémentaire ou de
formalités contractuelles supplémentaires et celle
qui a été conclue sous une forme rudimentaire ou
suffisante pour suggérer une véritable rencontre
des volontés mais qui est soumise à une condition
suspensive quant à la manière dont elle sera exécu-
tée. Les tribunaux n'élaboreront pas une nouvelle
convention à la place des parties lorsque, à pre-
mière vue, les éléments essentiels font défaut au
point d'indiquer de façon manifeste que les parties
n'ont jamais réellement voulu conclure de conven
tion. Cependant, ils hésiteront moins à combler les
omissions en prévoyant des conditions raisonnables
lorsque cela est possible et lorsqu'on a montré
qu'on comptait grandement sur la présumée con
vention. En dernière analyse, le critère consistera
la plupart du temps à déterminer ce qui est raison-
nable et juste dans les circonstances: voir Wad -
dams, op. cit., pages 30 et 31; Kelly v. Watson
(1921), 61 R.C.S. 482; 57 D.L.R. 363; Hillas &
Co., Ltd. v. Arcos, Ltd., [1932] All E.R. Rep. 494
(H.L.); Courtney and Fairbairn Ltd y Tolaini
Brothers (Hotels) Ltd, [1975] 1 All ER 716
(C.A.); et Sykes (Wessex), Ltd. v. Fine Fare, Ltd.,
[1967] 1 Lloyd's Rep. 53 (C.A.).
Qu'en est-il de la doctrine de l'irrecevabilité
fondée sur une promesse ou, comme on l'appelle
parfois, de l'irrecevabilité reconnue en equity?
L'usage retient la première appellation.
La notion de l'irrecevabilité fondée sur une pro-
messe vient d'un énoncé de lord Cairns dans l'arrêt
Hughes v. Metropolitan Railway Company
(1877), 2 App. Cas. 439 (H.L.), à la page 448:
[TRADUCTION] ... c'est le premier principe qui guide toutes les
cours d'equity, que lorsque des personnes qui ont consenti à des
clauses précises et explicites entraînant certaines conséquences
juridiques—certaines sanctions ou déchéances de droits—adop-
tent ultérieurement par leur acte personnel ou de leur plein gré
une ligne de conduite qui a pour effet de laisser supposer à l'une
des parties que les droits stricts découlant du contrat ne seront
pas exercés, ou resteront en suspens, ou demeureront inappli-
qués, la personne qui, autrement, eût pu faire valoir ces droits
ne pourra le faire lorsque cela serait injuste, eu égard à ce qui
s'est ainsi passé entre les parties.
On a accordé beaucoup d'attention à cette doc
trine dans une série d'arrêts rendus en Angleterre:
Central London Property Trust, Ld. v. High Trees
House, Ld., [1947] K.B. 130; Robertson v. Minis
ter of Pensions, [1949] 1 K.B. 227; Combe v.
Combe, [1951] 2 K.B. 215 (C.A.); Ajayi v. R. T.
Briscoe (Nig.) Ltd., [1964] 1 W.L.R. 1326; [1964]
3 All E.R. 556 (P.C.).
Dans la cause Combe v. Combe, précitée, lord
Denning s'est senti obligé de tempérer quelque peu
la position intransigeante qu'il avait adoptée dans
l'arrêt High Trees en énonçant de nouveau en ces
termes le principe de l'irrecevabilité fondée sur une
promesse [à la page 220]:
[TRADUCTION] Le principe est, à mon avis, que lorsqu'une
partie, par ce qu'elle a dit ou ce qu'elle a fait, a fait à l'autre
partie une promesse ou lui a donné une assurance visant à
modifier leurs rapports juridiques avec l'intention que l'on s'y
fie, alors, une fois que l'autre partie s'est fiée à sa parole et a
agi en conséquence, on ne peut par la suite permettre à la partie
qui a fait la promesse ou donné l'assurance de revenir à leur
situation juridique antérieure comme si elle n'avait pas fait
cette promesse ou donné cette assurance; elle doit accepter leurs
rapports juridiques avec les restrictions qu'elle y a elle-même
apportées, même si elles ne s'appuient sur aucun motif de droit
mais uniquement sur sa parole.
Comme le principe n'engendre jamais à lui seul de cause
d'action, il faut toujours qu'il y ait une contrepartie quand cela
constitue un élément essentiel de la cause d'action. La doctrine
de la contrepartie est trop bien établie pour être renversée de
façon indirecte.
Cet arrêt traitait également de la maxime selon
laquelle l'irrecevabilité fondée sur une promesse
peut servir d'épée mais non de bouclier et statuait
que cette doctrine ne pouvait pas constituer une
cause d'action par elle-même mais qu'elle pouvait
jouer un rôle complémentaire important dans une
cause d'action.
La doctrine de l'irrecevabilité fondée sur une
promesse a été examinée par la Cour suprême du
Canada dans trois arrêts faisant autorité: Conwest
Exploration Co. et al. v. Letain, [1964] R.C.S. 20;
(1963), 41 D.L.R. (2d) 198; Burrows (John) Limi
ted v. Subsurface Surveys Limited et al., [ 1968]
R.C.S. 607; 68 D.L.R. (2d) 354; et Canadian
Superior Oil Ltd. et autre c. Paddon-Hughes
Development Co. Ltd. et autre, [1970] R.C.S. 932;
12 D.L.R. (3d) 247.
Fondamentalement, ces arrêts viennent appuyer
le principe selon lequel la doctrine de l'irrecevabi-
lité fondée sur une promesse ne peut être invoquée
avec succès que s'il existe déjà un certain lien
juridique, contractuel ou autre, entre les parties au
moment où est donnée la promesse ou l'assurance
visant à modifier le lien juridique ou le comporte-
ment de l'autre partie. Le principe de l'irrecevabi-
lité fondée sur une promesse ne peut pas s'appli-
quer à vide. Il doit y avoir au moins un certain lien
juridique entre les parties. Selon l'opinion domi-
nante, l'irrecevabilité doit se fonder sur un fait
existant et non sur quelque promesse pour l'avenir.
La règle n'est pas stricte du tout et, dans nombre
de cas, la décision dépendra souvent de la con-
fiance et de tout changement qui peut être apporté
de ce fait à la position d'une partie. La jurispru
dence récente a tendance à exprimer un certain
doute sur l'immutabilité de la maxime de l'épée et
du bouclier en ce qui concerne l'irrecevabilité
fondée sur une promesse, et sur la question de
savoir si elle peut constituer en elle-même une
cause d'action. La question est loin d'être tran-
chée, et les perspectives traditionnelles changent et
s'élargissent continuellement: voir Wauchope v.
Maida et al. (1971), 22 D.L.R. (3d) 142 (C.A.
Ont.); Re Tudale Explorations Ltd. and Bruce et
al. (1978), 20 O.R. (2d) 593; 88 D.L.R. (3d) 584
(C. div.); Edwards et al. v. Harris-Intertype
(Canada) Ltd. (1983), 40 O.R. (2d) 558 (H.C.
Ont.); et Evenden v. Guildford City Association
Football Club Ltd., [1975] Q.B. 917 (C.A.).
Dans l'arrêt Evenden v. Guildford, précité, lord
Denning, agissant à titre de maître des rôles, est
allé jusqu'à conclure [à la page 924] que l'irrece-
vabilité fondée sur une promesse s'appliquait
[TRADUCTION] «chaque fois qu'il y a une promesse
ou une assurance, de fait ou de droit, actuelle ou
future, qui vise à lier une personne et à l'amener à
s'y conformer et qu'elle s'y conforme».
Le juge Schroeder de la Cour d'appel a souligné
l'importance de la confiance dans l'arrêt Wau-
chope v. Maida, précité, lorsqu'il a précisé à la
page 148:
[TRADUCTION] En equity, on ne tient pas compte, semble-
t-il, de la supposée distinction entre une modification et une
renonciation, et la doctrine de common law selon laquelle seul
un fait existant et non une promesse pour l'avenir peut entraî-
ner l'irrecevabilité ne peut être invoquée contre une partie qui a
modifié sa position en se fiant à une promesse pour l'avenir.
Peut-il régner un climat de confiance raisonna-
ble dans le cas des contrats gouvernementaux? Il
existe une certaine jurisprudence à l'appui de la
proposition selon laquelle les contrats gouverne-
mentaux sont dans une situation un peu particu-
lière en ce sens que le créancier de l'engagement
doit démontrer que le gouvernement avait manifes-
tement l'intention de s'obliger juridiquement et
que les simples déclarations d'intention ou de poli-
tique générale ne suffisent habituellement pas à
créer des obligations contractuelles exécutoires.
Dans l'arrêt Grant y. Province of New Bruns-
wick (1973), 35 D.L.R. (3d) 141, la Cour d'appel
du Nouveau-Brunswick a rejeté l'idée qu'il doit y
avoir une intention. Dans cette affaire, le gouver-
nement a annoncé, sans y être autorisé par la loi,
un plan ou programme de stabilisation concernant
l'achat de surplus de pommes de terre à des prix
subventionnés et leur écoulement d'une façon
jugée satisfaisante par un inspecteur nommé par la
province. Le demandeur a offert ses pommes de
terre dans le cadre du programme de subventions;
elles ont été acceptées par l'inspecteur et écoulées
en conséquence. Le comité chargé d'approuver les
demandes de subventions a rejeté celle du deman-
deur parce qu'il n'avait pas prouvé qu'il était le
propriétaire des pommes de terre en question. Le
demandeur a intenté une action pour réclamer la
subvention, et le juge de première instance lui a
donné raison pour le motif que la publicité consi-
dérable faite au sujet du programme constituait
une offre de la part du gouvernement et non pas
une simple déclaration d'intention d'acheter les
pommes de terre. La Cour a confirmé cette déci-
sion en appel en statuant qu'une personne raison-
nable qui était dans la position du demandeur
serait justifiée de présumer qu'en se conformant
aux conditions précises du programme, elle aurait
le droit de vendre ses pommes de terre au gouver-
nement et que celui-ci était donc légalement tenu
de les acheter et d'en payer le prix. En arrivant à
cette conclusion, le juge en chef Hughes a
approuvé et adopté expressément le critère suivant
[à la page 146]:
[TRADUCTION] Pour interpréter une offre, je pense qu'il faut
appliquer le critère objectif, qui est énoncé de la façon suivante
dans l'ouvrage intitulé Williston on Contracts, 3e éd., 1957, vol.
1, sect. 94, la page 339:
Il s'ensuit que le critère de l'interprétation véritable d'une
offre ou d'une acceptation est non pas ce que la partie qui l'a
faite ou donnée pensait qu'elle voulait dire ou qu'elle était
censée vouloir dire, mais ce qu'une personne raisonnable se
trouvant dans la position des parties aurait pensé qu'elle
voulait dire.
Il importe de noter que l'offre faite à M. Grant
dans le cadre du programme de subventions l'a été
sans autorisation expresse de la loi, bien que ce
point ne semble pas avoir été débattu. Le tribunal
a cependant choisi de trancher le litige en se
fondant de façon générale sur ce qui était raison-
nable et juste dans les circonstances. Contraire-
ment à la démarche adoptée dans l'affaire Grant,
l'avocat de la défenderesse soulève ce point même
dans ses allégations. Il soutient que toute promesse
ou offre faite par un fonctionnaire ou mandataire
de la Couronne ne constitue pas un contrat en
raison des limites imposées par les articles 19 et 33
de la Loi sur l'administration financière [S.R.C.
1970, chap. F-10] et le paragraphe 5(1) du Règle-
ment sur les marchés de l'Etat [C.R.C., chap.
701].
Ces dispositions législatives apparaissent pour la
première fois au cours des plaidoiries. La défende-
resse ne les invoque nulle part de façon précise,
sauf dans les allégations générales de sa réponse au
demandeur portant que toute convention interve-
nue entre le demandeur et la défenderesse l'a été
sans l'autorisation de la loi et du Parlement et que
la défenderesse se fonde [TRADUCTION] «sur les
dispositions de la Loi sur l'administration finan-
cière». La partie qui se fonde sur une loi doit faire
valoir les faits nécessaires pour montrer que cette
loi et les articles précis auxquels elle a recours
s'appliquent à son cas. Il ne suffit pas d'invoquer la
loi de façon générale: Williston & Rolls, The Law
of Civil Procedure, vol. 2, pages 641 et 642, 692 et
693; et Odgers, Pleading and Practice, 17e éd.,
page 95. La défenderesse ne peut pas maintenant
être autorisée.à soulever pour la première fois des
moyens de défense qui n'ont pas été correctement
ou suffisamment invoqués au tout début des
procédures.
Même si on accordait cette faveur à la défende-
resse, le fait d'invoquer l'inhabilité à conclure un
contrat valable doit sûrement aller à l'encontre des
notions plus larges du mandat général et du pou-
voir apparent. Il me semble que le principe à
appliquer peut être formulé ainsi: la Couronne est
liée par des obligations contractuelles de la même
manière qu'un particulier, et les principes ordinai-
res du mandat s'appliquent aux contrats gouverne-
mentaux de sorte que le contrat conclu par un
ministre de la Couronne en vertu de son mandat
général ou apparent ou celui conclu en son nom
par un mandataire agissant dans le cadre de son
présumé mandat lie la Couronne, même s'il est
conclu sans l'autorisation précise de la loi, en
l'absence de dispositions contraires et inéluctables
prévues par la loi. Voir Verreault (J.E.) & Fils
Liée c. Procureur général (Québec), [ 1977] 1
R.C.S. 41; (1975), 57 D.L.R. (3d) 403; Banque de
Montréal c. Procureur général (Qué.), [ 1979] 1
R.C.S. 565; (1978), 96 D.L.R. (3d) 586; et R. c.
CAE Industries Ltd., [1986] 1 C.F. 129; (1985),
20 D.L.R. (4th) 347; (1985), 61 N.R. 19 (C.A.),
qui confirme [1983] 2 C.F. 616 (ire inst.).
J'estime que l'argument de la défenderesse sur
ce point doit être rejeté tant pour des raisons de
principe qu'à cause d'un vice de plaidoirie.
L'avocat du demandeur souligne l'importance de
la décision rendue récemment par la Cour suprême
du Canada dans l'affaire Guerin et autres c. La
Reine et autre, [1984] 2 R.C.S 335' et soutient
que le principe de l'obligation de fiduciaire établie
' Publiée également dans (1985), 55 N.R. 161; 13 D.L.R.
(4th) 321; [1984] 6 W.W.R. 481.
dans l'arrêt Guerin s'applique en l'espèce car le
demandeur était, somme toute, à la merci du
pouvoir discrétionnaire de la Couronne. Je ne puis
pas être de cet avis. C'est une chose de dire que la
position du demandeur à l'égard de la défenderesse
est susceptible de créer un droit reconnu en equity
en sa faveur, compte tenu des rapports particuliers
existant entre les Indiens et la Couronne, et c'est
une toute autre chose d'affirmer que, par sa nature
même, cette position évoque automatiquement le
droit concomitant relatif à l'obligation de fidu-
ciaire. Dans l'affaire Guerin, le litige portait sur la
cession d'une terre d'une réserve à des fins de
louage et il s'agissait de savoir si le paragraphe
18(1) de la Loi sur les Indiens [S.R.C. 1952, chap.
149] imposait à la Couronne une obligation exécu-
toire à cet égard. Et d'ailleurs la preuve présentée
en l'espèce n'indique rien d'analogue à l'inexécu-
tion d'une obligation de fiduciaire qui pourrait se
transformer au moment de la cession en une fidu-
cie explicite d'une terre déterminée à une fin pré-
cise. L'action intentée par le demandeur pour
manquement aux obligations de fiduciaire au sens
du principe établi dans l'affaire Guerin est tout à
fait indéfendable.
À mon avis, le seul et unique point de l'arrêt
Guerin qui pourrait un tant soit peu appuyer la
revendication du demandeur est la règle énoncée
par le juge Dickson [tel était alors son titre], à la
page 389, concernant l'irrecevabilité fondée sur
une promesse:
Dans la présente instance, l'aspect pertinent de la norme de
conduite requise est défini par un principe analogue à celui qui
sous-tend la doctrine de l'exception promissoire ou reconnue en
equity. Sa Majesté ne peut promettre à la bande qu'elle louera
ses terres à certaines conditions précises, incitant ainsi la bande
à modifier sa situation juridique en cédant lesdites terres, et
ensuite simplement ignorer cette promesse au détriment de la
bande. Voir, par exemple, les affaires Central London Property
Trust Ltd. v. High Trees House Ltd., [1947] K.B. 130;
Robertson v. Minister of Pensions, [1949] 1 K.B. 227 (CA.).
Je reviens encore une fois à la question posée en
premier lieu—y avait-il une convention exécutoire
et quelles en étaient les conditions?
Newton C. Steacy a été nommé représentant
spécial du Ministre pour tenter de trouver une
solution aux problèmes qui opposaient depuis long-
temps le demandeur et la bande indienne de Valley
River. Il s'est présenté lui-même au demandeur
comme émissaire du Ministre et c'est ainsi qu'il a
été considéré par le demandeur. Ce fait est d'une
grande importance pour le déroulement des événe-
ments subséquents. M. Steacy a précisé au début
des discussions que le Ministère n'était pas disposé
à intervenir directement en restreignant le pouvoir
de la bande au point de restaurer le statu quo et de
satisfaire les aspirations du demandeur, qui voulait
poursuivre paisiblement son métier d'agriculteur.
Cela ouvrait la voie à la seule autre solution de
rechange. M. Steacy a alors offert au demandeur
et à sa famille de quitter la réserve et de se
réinstaller ailleurs, en contrepartie de quoi le
demandeur serait indemnisé d'une somme repré-
sentant la valeur de ses terres ainsi que du préju-
dice subi à cette occasion et le Ministère assume-
rait ses frais de réinstallation. Ce n'était pas une
proposition fortuite et de dernière minute. M.
Steacy avait envisagé cette solution comme la plus
plausible dans sa note initiale du 5 février 1979 et
il n'y a jamais dérogé. De fait, il avait l'appui total
du directeur général des réserves et des fidéicom-
mis ainsi que d'autres fonctionnaires du Ministère.
L'offre prévoyait également que le montant réel de
l'indemnisation serait fixé au moyen d'une évalua-
tion faite conformément aux lignes directrices de
la Loi sur l'expropriation et que le montant total
du règlement qui en résulterait serait soumis à
l'examen du Ministre. On avait donc mis en place
le mécanisme visant à fixer la somme payable au
demandeur pour qu'il consente à quitter la réserve.
Que cela ait été voulu ou non, les choses avaient
dépassé le stade des déclarations d'intention.
En outre, la confiance doit être considérée
comme un facteur dominant. Il y a eu de fortes
incitations de la part d'un mandataire du Minis-
tère qui avait un pouvoir apparent, et, en répon-
dant de façon prévisible à l'attente raisonnable
ainsi créée, le demandeur a accepté les conditions
de l'offre avec le résultat qu'une convention exécu-
toire a été conclue. Aux yeux de la défenderesse
considérée comme la débitrice de l'engagement, la
contrepartie était le préjudice subi ou assumé par
le demandeur lorsqu'il a convenu de quitter la
réserve. Les conséquences juridiques de cette situa
tion sont décrites avec justesse dans l'extrait sui-
vant de l'ouvrage du American Law Institute inti-
tulé Restatement of the Law of Contracts, section
90:
[TRADUCTION] Une promesse faite par une personne qui
devrait normalement s'attendre à ce qu'elle amène une action
ou une abstention précise et importante de la part du créancier
de l'engagement et qui amène effectivement une telle action ou
abstention est exécutoire si une injustice ne peut être évitée que
par la réalisation de la promesse.
L'attente découlant implicitement de l'offre ou
de l'incitation, la confiance raisonnable fondée sur
celle-ci et le changement de situation par la suite
ont contribué à étayer l'idée d'une convention exé-
cutoire et à dissiper toute illusion d'un simple
«accord pour la forme». À mon avis, l'ensemble de
la preuve vient appuyer cette conclusion. Le fait
que le montant du règlement final était soumis à
l'examen du Ministre n'est, me semble-t-il, rien de
plus qu'une condition suspensive quant aux moda-
lités de l'exécution finale, qui ne pourrait pas,
même avec un effort d'imagination juste et raison-
nable, être considérée comme une condition inévi-
table de la convention qui supposait nécessaire-
ment l'exécution d'une autre convention entre les
parties. Selon moi, le rôle du Ministre à cet égard
peut tout au plus se comparer à celui de l'arbitre
dans l'arrêt Calvin Consolidated Oil & Gas,
précité.
Il existe selon moi d'autres circonstances à l'ap-
pui de cette conclusion.
D'abord, le comportement subséquent des par
ties vient confirmer l'existence même de la conven
tion que la défenderesse a essayé de résilier après
la rencontre du 19 novembre 1979 où on a opposé
un véto aux revendications du demandeur. À titre
d'exemple, M. Brown avait, au cours de sa rencon-
tre du ler juin 1979 avec M. Leask et M. Steacy,
consenti à faire évaluer les biens de M. Mentuck
conformément aux lignes directrices de la Loi sur
l'expropriation. Bien que M. Brown puisse avoir
envisagé cette démarche seulement comme une
mesure préalable au règlement final de l'affaire
Mentuck, il me semble qu'un observateur raison-
nable et impartial y verrait probablement les
caractéristiques d'une convention, étant donné que
M. Mentuck avait déjà quitté la réserve et franchi
le Rubicon. L'avocat de la Couronne a allégué
dans sa plaidoirie le fait que le demandeur détenait
encore ses certificats de possession et aurait pu
retourner sur la réserve en tout temps et reprendre
son métier d'agriculteur. Je rejette cette préten-
tion. La défenderesse n'a présenté aucun élément
de preuve pour montrer que les conditions s'étaient
améliorées sur la réserve après le départ du
demandeur. La seule conclusion logique est que le
demandeur ne pouvait pas retourner sur la réserve
sans jouer le rôle de vaincu et sans s'exposer
probablement encore plus aux humiliations, aux
calomnies et au harcèlement. La défenderesse n'a
produit non plus aucun élément de preuve quant à
l'état actuel des avoirs fonciers du demandeur. On
doit en conclure que les parcelles de terre louées ne
sont plus disponibles. En outre, la machinerie et
l'outillage agricoles ont été liquidés en juin 1979.
Vu ces circonstances, je suis obligé de conclure que
le demandeur ne peut plus d'aucune façon retour-
ner dans la réserve de Valley River.
À mon avis, il faut considérer que la doctrine de
l'irrecevabilité fondée sur une promesse joue un
rôle complémentaire important en renforçant les
rôles clés de l'attente et de la confiance. S'il y a un
aspect de la cause de la défenderesse qui devrait
être tempéré par l'irrecevabilité, c'est bien l'insis-
tance sur les droits stricts reconnus par la loi,
lorsqu'on considère que le demandeur ne fait que
solliciter quelque chose et que la parole donnée
n'indique rien de plus qu'une intention de négocier
un règlement possible. L'attente et la confiance,
étayées par l'irrecevabilité, aboutissent toutes deux
à la même chose: la défenderesse a fait des pro-
messes ou donné des garanties auxquelles le
demandeur pouvait raisonnablement se fier et aux-
quelles il s'est effectivement fié à son détriment, et
il serait injuste et inéquitable dans les circons-
tances de permettre à la défenderesse de revenir
par la suite sur ces promesses et garanties.
Tout compte fait, j'estime que la défenderesse
n'a pas exécuté la convention conclue avec le
demandeur et doit être tenue responsable des dom-
mages-intérêts en résultant. Il y a probablement eu
inexécution anticipée à la fin de décembre 1979
lorsque la défenderesse a fait connaître verbale-
ment son intention de résilier la convention, mais
le rejet explicite de la convention est survenu avec
la lettre de M. Nicholson du 26 février 1980, qui
peut servir à fixer la date réelle de l'inexécution.
Les parties ont elles-mêmes établi leur propre
régime d'indemnisation en adoptant les lignes
directrices de la Loi sur l'expropriation du
Canada, ce qui a abouti à l'engagement de M. D.
L. Hoover. Le témoignage de ce dernier n'a pas été
sérieusement contesté, et je n'hésite pas à accepter
son évaluation de 146 692 $ comme le montant
exact des dommages subis par le demandeur pour
le manque à gagner résultant de la perte de sa
terre et pour la perte subséquente de revenus pour
les années 1978 et 1979.
L'évaluation comprenait notamment une somme
de 11 300 $ pour les arbres du demandeur, M.
Hoover ayant cependant précisé que, pour fins
d'exactitude, il faudrait recourir aux services d'un
expert en arboriculture. Effectivement, un expert
du nom de Carl Pedersen a produit un rapport en
date du 15 novembre 1979, dont copie a été
annexée au rapport de M. Hoover, qui est en date
du 19 octobre 1979. M. Pedersen n'a pas été
assigné comme témoin au procès pour lire en
preuve tout ou partie de son rapport et répondre à
un contre-interrogatoire. Si j'ai bien compris, les
avocats ne se sont pas entendus pour qu'on puisse
accepter cette preuve telle qu'elle a été lue ou sans
être contestée. A mon avis, cette preuve fournie
par l'expert est loin de se conformer aux exigences
de la Règle 482 [Règles de la Cour fédérale,
C.R.C., chap. 663] et n'est rien de plus que du pur
ouï-dire. En conséquence, je la rejette en entier.
Vu les circonstances, le rapport de M. Hoover
constitue la meilleure preuve de la valeur des
arbres du demandeur et j'accepte d'emblée son
évaluation de 11 300 $.
M. Hoover a refusé d'évaluer le trouble de
jouissance concernant une entreprise et prévue au
sous-alinéa 24(3)b)(ii) de la Loi sur l'expropria-
tion. Il a prétendu qu'il y avait beaucoup trop de
facteurs inconnus qui militaient, à ce moment-là,
contre une fixation réaliste des dommages réels
résultant du trouble de jouissance concernant une
entreprise. Il a reconnu que la Loi prévoyait, à
défaut, une indemnité n'excédant pas 15 % de la
valeur marchande dans les cas où il n'est pas
possible d'évaluer ou de déterminer en pratique les
frais, dépenses et pertes attribuables ou connexes
au trouble de jouissance subi par le titulaire. Il a
néanmoins décidé de n'inclure aucune indemnisa-
tion de ce genre dans le montant total de son
évaluation.
La question demeure: faudrait-il accorder des
dommages-intérêts supplémentaires pour manque
à gagner, trouble de jouissance concernant une
entreprise ou perte financière, quelle que soit l'ex-
pression choisie? J'estime que oui.
Dans l'arrêt Parsons (H.) (Livestock) Ltd. v.
Uttley Ingham & Co. Ltd., [1978] Q.B. 791
(C.A.), le lord juge Scarman a énoncé de nouveau
le principe applicable sur ce point, à la page 806:
[TRADUCTION] Dans C. Czarnikow Ltd. v. Koufos, [1969] 1
A.C. 350 (une affaire de contrat de transport de marchandises
par mer), la Chambre des lords a résolu certaines difficultés de
ce domaine du droit. La règle de droit que la Chambre des
lords a, dans ce cas, établie ou reconnue comme déjà établie
peut être énoncée comme suit: (1) Le principe général régissant
les dommages-intérêts pour inexécution de contrat est que,
«lorsqu'une partie subit un préjudice en raison de l'inexécution
d'un contrat, elle doit, dans la mesure où c'est possible monétai-
rement, être placée dans la même situation ... comme si le
contrat avait été exécuté»: voir les motifs rendus par lord
Pearce, à la p. 414, où il cite le baron Parke dans Robinson v.
Harman (1848) 1 Exch. 850, la page 855. (2) La formulation
du critère de l'éloignement n'est pas la même en matière
délictuelle qu'en matière contractuelle, car le rapport entre les
parties dans le cas d'un contrat diffère de celui qui existe en
matière délictuelle: voir les motifs rendus par lord Reid, aux pp.
385 et 386. (3) Les deux règles formulées par le baron Alderson
dans Hadley v. Baxendale, 9 Exch. 341, représentent deux
aspects d'un même principe général selon lequel la perte subie
par le demandeur ne peut être recouvrée dans une action en
dommages-intérêts pour inexécution de contrat que lorsqu'on
peut raisonnablement supposer que les parties auraient sérieu-
sement envisagé une telle possibilité si leur attention avait été
attirée sur l'éventualité de l'inexécution du contrat qui, de fait,
est survenue.
Avant de faire cet énoncé, le juge a pris la peine
de signaler que, dans le cas d'un contrat, [TRA-
DUCTION] «on doit reconnaître que les parties à un
contrat ont le droit de s'entendre sur le montant
des dommages-intérêts qui peut être supérieur ou
inférieur à celui que la loi offrirait en l'absence
d'une convention».
Il existait une autre condition du contrat, ainsi
que je l'ai constaté, selon laquelle le demandeur
serait indemnisé non seulement d'une somme
représentant la valeur de sa terre mais également
de toute perte ou de tout préjudice connexe résul-
tant de son déménagement à l'extérieur de la
réserve. Il y a en outre le fait que les parties ont
choisi le boulier des directives législatives pour
calculer le montant exact de l'indemnité, ce qui
doit sûrement indiquer qu'elles prévoyaient qu'il
était fort possible que ce montant soit payable en
cas d'inexécution de la convention. Étant donné
ces circonstances, il devient impossible de conclure
que les parties n'avaient pas toutes deux prévu que
les dommages-intérêts résultant d'un manque à
gagner devraient englober une indemnité pour
trouble de jouissance concernant une entreprise ou
perte financière attribuable à l'inexécution de la
convention. En pratique et selon le bon sens,
l'inexécution de la convention a privé le deman-
deur de ses moyens de subsistance.
À mon avis, le demandeur a droit à quelque
chose de plus que la somme de 18 120 $ évaluée
par M. Hoover à titre de perte de revenus pour
1978 et 1979, et comprise dans le montant total de
son évaluation. M. Hoover a admis en contre-inter-
rogatoire que la perte de revenus estimée s'élève-
rait en moyenne à 9 060 $ annuellement pour les
deux années en question, mais il a refusé d'extra-
poler en multipliant cette moyenne par un nombre
déterminé d'années pour obtenir le montant d'une
perte économique quelle que soit la durée choisie.
Il était d'avis que cette méthode n'était pas adé-
quate, bien qu'il ait admis que son utilisation
pourrait donner quelque approximation.
Je suis convaincu à partir de l'ensemble de la
preuve que le demandeur a subi une perte écono-
mique ou commerciale résultant de la perte de sa
ferme. C'est un aspect des dommages qui est direc-
tement attribuable à l'inexécution du contrat. Le
lien de cause à effet est reconnu par le contrat
lui-même, et le seul point incertain est l'étendue
des dommages-intérêts. L'impossibilité d'établir le
montant exact des dommages-intérêts au moyen de
certains calculs mathématiques précis ne devrait
pas nous empêcher d'accorder une juste indemnité.
J'estime qu'il ne serait pas abusif dans les circons-
tances de calculer cette indemnité sur la base
d'une période de quatre ans. Si on applique cela à
la moyenne annuelle de 9 060 $ établie par M.
Hoover pour la période de deux ans, on obtient un
montant non ajusté de 36 240 $. À mon avis, il
serait peu réaliste de ne pas appliquer un certain
ajustement pour tenir compte des imprévus nor-
maux d'une exploitation agricole, tels que des
récoltes perdues ou réduites, la fluctuation des prix
et des choses du genre. Il me semble qu'un ajuste-
ment de 25 % serait équitable pour la période de
quatre ans. Il n'est pas nécessaire de prendre en
considération l'incidence de l'impôt sur le revenu
en raison de l'article 87 de la Loi sur les Indiens et
du précédent établi par l'arrêt Nowegijick c. La
Reine, [1983] 1 R.C.S. 29; 83 DTC 5041. L'appli-
cation de ce pourcentage donne un montant de
25 180 $ que j'accorde au demandeur à titre de
dommages-intérêts pour ses pertes d'ordre finan
cier ou commercial.
Pour les raisons susdites, je rends jugement en
faveur du demandeur Joseph Charles Gabriel
Mentuck et lui accorde la somme de 171 872 $ à
titre de dommages-intérêts. Les causes d'action
respectives des autres demandeurs sont rejetées
pour absence de preuve et en raison de la doctrine
de la chose jugée, mais sans dépens.
Dans sa déclaration, le demandeur cherche à
obtenir que le montant des dommages-intérêts
porte intérêt à [TRADUCTION] «un taux approprié
depuis le moment où les demandeurs ont quitté la
réserve jusqu'à la date du jugement». Sous réserve
de l'article 35 de la Loi sur la Cour fédérale
[S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10], la Cour peut,
dans un cas donné, adjuger un intérêt antérieur au
jugement et en fixer le taux approprié. Le taux
ainsi établi est souvent la moyenne du taux préfé-
rentiel de la Banque du Canada. Il n'a nullement
été présenté en preuve quel devrait être ce taux
pour la période en question. On pourrait faire
remarquer au sujet de l'intérêt antérieur au juge-
ment que, dans l'arrêt Marshall c. Canada (1985),
60 N.R. 180, la Cour d'appel fédérale a adjugé un
intérêt antérieur au jugement en conformité avec
la disposition applicable de la Loi sur l'organisa-
tion judiciaire [R.S.O. 1980, chap. 223] de
l'Ontario.
Peut-être a-t-on voulu sous-entendre en raison
des lignes directrices du contrat ou de la loi que
l'intérêt devrait être fixé en conformité avec le
taux de base sous le régime de la Loi sur l'expro-
priation, qui est le rendement moyen prévu pour
les bons du Trésor du gouvernement du Canada.
Encore une fois, aucune preuve n'a été apportée à
cet effet.
Le fait est que la question de l'intérêt, antérieur
ou postérieur au jugement, n'a pas été soulevée ni
même effleurée au cours des plaidoiries, sans
parler de l'absence totale de preuve à cet effet.
Quant à l'intérêt postérieur au jugement, il est
maintenant évident que la Cour peut fixer un taux
un peu plus élevé que le taux légal mentionné à
l'article 40 de la Loi sur la Cour fédérale: voir
R. c. CAE Industries Ltd. [[1986] 1 C.F. 129, aux
pages 179 et 180]; (1985), 20 D.L.R. (4th) 347, à
la page 385 (C.A.).
Je tiens à préciser clairement que je suspends
seulement le prononcé du jugement et que les
présents motifs sont définitifs. Dans les circons-
tances, l'avocat du demandeur peut prendre les
mesures nécessaires pour obtenir jugement en con-
séquence conformément à la Règle 337(2)b). La
question de l'intérêt peut être soulevée au moment
de la requête en jugement, ainsi que toute observa
tion relative aux dépens. Je ne vois aucune raison
pour laquelle la requête en jugement ne devrait pas
être présentée conformément à la Règle 324. Tou-
tefois, si l'avocat est d'un autre avis, je devrai alors
fixer le moment et l'endroit de l'audience à une
date convenable.
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