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T-3340-81
Joseph Charles Gabriel Mentuck, Theresa Men - tuck, Terry Lynn Mentuck, Ivan Arnold James Mentuck, Linda Mae Mentuck, Christopher Char- les Mentuck, Rita Mary Mentuck et Gaylene Bogoslowski (demandeurs)
c.
La Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: MENTUCK C. CANADA
Division de première instance, juge McNair— Winnipeg, 15, 18, 19, 22, 23, 24, 25 octobre 1984, 5 juin et 21 octobre 1985; Ottawa, 12 mai 1986.
Peuples autochtones Un Indien inscrit exploitait une ferme dans une réserve Des fonctionnaires du gouvernement ont encouragé le demandeur à développer son exploitation Ils voulaient le présenter comme un exemple vivant de ce que pouvait donner l'esprit d'initiative d'un Indien Le deman- deur a suivi leurs recommandations Cela a suscité la jalousie d'autres Indiens Le demandeur a été victime de harcèlement et d'intimidation Un représentant du Ministère a offert d'indemniser le demandeur si celui-ci quittait la réserve Le demandeur a agi à son détriment en se fiant à cette promesse Le Ministre a jugé que rien ne justifiait le versement d'une indemnité Il a conseillé au demandeur de s'adresser au service du bien-être social de sa municipalité La Couronne a été poursuivie pour inexécution de contrat ou manquement à ses obligations de fiduciaire Jugement rendu en faveur du demandeur pour le premier motif Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, chap. 149, art. 18(1) Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, chap. I-6, art. 87.
Couronne Fiducies Aucune preuve n'a été apportée quant à l'existence d'une obligation de fiduciaire entre le demandeur et la Couronne, bien qu'un droit reconnu en equity ait pris naissance en faveur du demandeur à cause des rap ports particuliers existant entre les Indiens et la Couronne Distinction faite avec l'affaire Guerin Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, chap. 149, art. 18(1).
Couronne Contrats Y a-t-il eu conclusion d'un con- trat? Un mandataire de la Couronne a offert au demandeur de lui verser une indemnité équivalant à la valeur de ses terres, au préjudice résultant du déménagement et aux frais de réinstallation L'offre a été acceptée par le demandeur, qui a quitté la réserve La contrepartie était le préjudice subi en acceptant de déménager Le fait que le montant de cette indemnité était soumis à l'examen du Ministre était une condition suspensive quant aux modalités de l'exécution et non pas une condition inévitable de la convention Des domma- ges-intérêts ont été accordés pour perte de la valeur des terres et perte financière Loi sur l'expropriation, S.R.C. 1970 (1" Supp.), chap. 16 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 35, 40 Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 324, 337(2)b), 482.
Couronne Mandat Un représentant du Ministère s'est présenté lui-même comme émissaire du Ministre, et le deman-
deur l'a considéré ainsi Rejet du moyen de défense selon lequel ce représentant n'avait pas le pouvoir de conclure un contrat au nom de la Couronne en vertu de certains articles précis de la Loi et du Règlement Les principes ordinaires du mandat s'appliquent aux contrats gouvernementaux Le contrat conclu par un ministre de la Couronne en vertu de son mandat général ou apparent ou par un mandataire agissant dans le cadre de son présumé mandat lie la Couronne, même s'il est conclu sans l'autorisation précise de la loi, en l'absence de dispositions contraires prévues par la loi Loi sur l'admi- nistration financière, S.R.C. 1970, chap. F-10, art. 19, 33 Règlement sur les marchés de l'État, C.R.C., chap. 701, art. 5(1).
Fin de non-recevoir Irrecevabilité fondée sur une pro- messe Doctrine exigeant l'existence préalable d'un lien juridique au moment la promesse est faite Dans le passé, l'irrecevabilité se fondait sur un fait existant et non sur quelque promesse pour l'avenir Récemment, la question de la confiance est devenue de plus en plus importante L'im- mutabilité de la maxime de l'épée et du bouclier est mise en doute Attente découlant implicitement de l'offre faite par le mandataire du Ministère, confiance raisonnable fondée sur celle-ci et changement de situation par la suite La défende- resse est irrecevable à insister sur des droits reconnus par la loi Le demandeur ne fait pas que solliciter quelque chose.
Pratique Plaidoiries La défenderesse soutient que la convention n'était pas permise par la loi ou le Parlement et s'appuie sur la Loi sur l'administration financière Elle ne fait pas valoir de faits pour montrer que la loi et les articles auxquels elle a recours s'appliquent à son cas Il ne suffit pas d'invoquer la loi de façon générale Elle ne peut pas soulever au cours du procès des moyens de défense qui n'ont pas été correctement invoqués.
Jugement: l'action est accueillie.
Pour ce qui concerne les faits de l'espèce, il faut se reporter à la note de l'arrêtiste reproduite ci-dessous.
Le demandeur s'est basé sur l'irrecevabilité fondée sur une promesse (promissory estoppel) ainsi que sur l'obligation de fiduciaire pour appuyer sa thèse selon laquelle une entente avait été conclue. Il a été allégué que l'irrecevabilité fondée sur une promesse pouvait servir à établir une cause d'action. La défen- deresse a invoqué l'absence de contrat en raison d'un consensus ad idem insuffisant, l'absence d'une offre sans équivoque, l'in- certitude quant aux conditions du contrat et l'absence de contrepartie. La question est de savoir s'il y avait contrat et, dans l'affirmative, quelles en étaient les conditions.
Selon la doctrine de l'irrecevabilité fondée sur une promesse, lorsqu'une partie, par ses actes ou ses paroles, fait à l'autre une promesse visant à modifier leurs rapports juridiques, alors, une fois que l'autre partie a agi en conséquence, la partie qui a fait la promesse ne peut pas revenir à leur situation juridique antérieure. La doctrine peut servir de bouclier mais non d'épée. Il doit exister déjà un certain lien juridique entre les parties au moment est faite la promesse visant à modifier le lien juridique ou le comportement de l'autre partie. Selon l'opinion dominante, l'irrecevabilité doit se fonder sur un fait existant et non sur quelque promesse pour l'avenir, mais la règle n'est pas stricte. La décision dépendra souvent de la confiance et de tout changement qui peut être apporté de ce fait à la position d'une partie. La jurisprudence récente a tendance à exprimer un
certain doute sur l'immutabilité de la maxime de l'épée et du bouclier et sur le point de vue que l'irrecevabilité fondée sur une promesse ne peut constituer en elle-même une cause d'action.
Il se pose une question quant à savoir s'il peut régner un climat de confiance raisonnable dans le cas des contrats gouver- nementaux. Il existe une certaine jurisprudence à l'appui de la proposition selon laquelle, lorsqu'il s'agit de contrats gouverne- mentaux, le créancier de l'engagement doit démontrer que le gouvernement avait manifestement l'intention de s'obliger juri- diquement, et les simples déclarations d'intention ou de politi- que générale ne suffisent habituellement pas à créer des obliga tions contractuelles exécutoires. Toutefois, dans l'arrêt Grant v. Province of New Brunswick, la Cour d'appel du Nouveau- Brunswick a récemment rejeté l'idée qu'il doit y avoir une intention.
C'est une question d'interprétation dans chaque cas au moment de déterminer s'il s'agit d'une convention faite sous condition ou réellement conclue. Les tribunaux n'élaboreront pas une nouvelle convention lorsque les éléments essentiels font défaut au point d'indiquer de façon manifeste que les parties n'ont jamais voulu conclure de convention. Ils hésiteront moins à combler les omissions en prévoyant des conditions raisonna- bles lorsque cela est possible et lorsqu'il a été montré qu'on comptait grandement sur la convention. Le critère consistera souvent à déterminer ce qui est raisonnable et juste dans les circonstances.
Quant à savoir s'il y avait une convention exécutoire, M. Steacy s'est présenté lui-même comme émissaire du Ministre, et c'est ainsi qu'il a été considéré par le demandeur. M. Steacy lui a proposé de quitter la réserve, en contrepartie de quoi il serait indemnisé d'une somme représentant la valeur de ses terres, le préjudice subi à cette occasion et les frais de réinstal- lation. Le montant réel de l'indemnité serait fixé au moyen d'une évaluation faite conformément aux lignes directrices de la Loi sur l'expropriation, et le montant total du règlement serait soumis à l'examen du Ministre. Les choses avaient dépassé le stade des déclarations d'intention.
La confiance en une promesse a été un facteur dominant en l'espèce. Il y a eu de fortes incitations de la part d'un manda- taire du Ministère qui avait un pouvoir apparent, et, en répon- dant de façon prévisible à l'attente raisonnable ainsi créée, le demandeur a accepté les conditions de l'offre avec le résultat qu'une convention exécutoire a été conclue. Aux yeux de la défenderesse considérée comme la débitrice de l'engagement, la contrepartie était le préjudice subi par le demandeur en conve- nant de quitter la réserve. L'attente découlant implicitement de l'offre, la confiance raisonnable fondée sur celle-ci et le change- ment de situation par la suite étayent l'idée d'une convention exécutoire. Le fait que le montant du règlement final était soumis à un examen était une condition suspensive quant aux modalités de l'exécution finale et non pas une condition inévita- ble de la convention qui supposait nécessairement l'exécution d'une autre convention entre les parties.
La doctrine de l'irrecevabilité fondée sur une promesse joue un rôle complémentaire important en renforçant les rôles clés de l'attente et de la confiance. Le demandeur pouvait recourir au bouclier de l'irrecevabilité fondée sur promesse à l'encontre d'un moyen de défense qui insistait sur les droits stricts recon- nus par la loi et présentait le demandeur comme une personne
qui ne faisait que solliciter quelque chose. La défenderesse a fait des promesses auxquelles le demandeur pouvait raisonna- blement se fier et auxquelles il s'est effectivement fié à son détriment. Il serait injuste de permettre à la défenderesse de revenir sur ces promesses et garanties. La défenderesse n'a pas respecté la convention et est responsable des dommages qui en ont résulté.
La défenderesse soutient que le mandataire de la Couronne n'avait pas le pouvoir de conclure un contrat en raison des limites imposées par les articles 19 et 33 de la Loi sur l'admi- nistration financière et le paragraphe 5(1) du Règlement sur les marchés de l'État. Elle ne fait qu'alléguer que toute conven tion intervenue l'a été sans autorisation de la loi et du Parle- ment et pour ce faire, se fonde sur les dispositions de la Loi sur l'administration financière. La partie qui se fonde sur une loi doit faire valoir les faits nécessaires pour montrer que cette loi et les articles précis auxquels elle a recours s'appliquent à son cas. Il ne suffit pas d'invoquer la loi de façon générale. La défenderesse ne peut pas maintenant soulever pour la première fois des moyens de défense qui n'ont pas été correctement invoqués. Quoi qu'il en soit, la Couronne est liée par des obligations contractuelles de la même manière qu'un particu- lier, et les principes ordinaires du mandat s'appliquent aux contrats gouvernementaux. Le contrat conclu par un ministre de la Couronne en vertu de son mandat général ou apparent ou celui conclu en son nom par un mandataire agissant dans le cadre de son présumé mandat lie la Couronne, même s'il est conclu sans l'autorisation précise de la loi, en l'absence de dispositions contraires et inéluctables prévues par la loi. Ce moyen de défense est rejeté tant pour des raisons de principe qu'à cause d'un vice de plaidoirie.
Le demandeur allègue que le principe de l'obligation de fiduciaire établie dans l'arrêt Guerin s'applique en l'espèce car le demandeur était, somme toute, à la merci du pouvoir discré- tionnaire de la Couronne. Bien que la position du demandeur soit susceptible de créer un droit reconnu en equity en sa faveur, compte tenu des rapports particuliers existant entre les Indiens et la Couronne, cela ne veut pas dire que, par sa nature même, cette position évoque automatiquement le droit conco mitant relatif à l'obligation de fiduciaire. L'action intentée par le demandeur pour manquement à des obligations de fiduciaire au sens du principe établi dans l'affaire Guerin est tout à fait indéfendable.
Il faudrait accorder des dommages-intérêts pour perte de la valeur des terres et perte financière. Il existait une autre condition du contrat selon laquelle le demandeur serait indem- nisé de toute perte ou de tout préjudice connexe résultant de son déménagement à l'extérieur de la réserve. L'entente relative à l'utilisation des directives législatives pour calculer l'indem- nité indique qu'il était possible que des dommages-intérêts soient payables en cas d'inexécution de la convention. Les parties avaient prévoir que les dommages-intérêts résultant d'un manque à gagner engloberaient une indemnité pour trou ble de jouissance concernant une entreprise ou perte financière attribuable à l'inexécution de la convention, laquelle a privé le demandeur de ses moyens de subsistance.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
Parsons (H.) (Livestock) Ltd. v. Uttley Ingham & Co. Ltd., [1978] Q.B. 791 (C.A.); Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29; 83 DTC 5041.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335; (1985), 55 N.R. 161; 13 D.L.R. (4th) 321; [1984] 6 W.W.R. 481.
DECISIONS EXAMINÉES:
Tanner v Tanner, [1975] 3 All ER 776 (C.A.); Re Dominion Stores Ltd. and United Trust Co. et al. (1973), 42 D.L.R. (3d) 523 (H.C. Ont.) (confirmée par (1974), 52 D.L.R. (3d) 327 (C.A.); confirmée par [1977] 2 R.C.S. 915; (1976), 71 D.L.R. (3d) 72 sub nom. United Trust Co. c. Dominion Stores Ltd. et autres); Calvan Consolidated Oil & Gas Co. v. Manning, [1959] R.C.S. 253; 17 D.L.R. (2d) 1; Von Hatzfeldt-Wildenburg v. Alexander, [1912] 1 Ch. 284; Hillas & Co., Ltd. v. Arcos, Ltd., [1932] All E.R. Rep. 494 (H.L.); Hughes v. Metropolitan Railway Company (1877), 2 App. Cas. 439 (H.L.); Combe v. Combe, [1951] 2 K.B. 215 (C.A.); Wauchope v. Maida et al. (1971), 22 D.L.R. (3d) 142 (C.A. Ont.); Evenden v. Guildford City Association Football Club Ltd., [1975] Q.B. 917 (C.A.); Grant v. Province of New Brunswick (1973), 35 D.L.R. (3d) 141 (C.A.N: B.); Marshall c. Canada (1985), 60 N.R. 180 (C.A.F.).
DECISIONS CITÉES:
Kelly v. Watson (1921), 61 R.C.S. 482; 57 D.L.R. 363; Courtney and Fairbairn Ltd v Tolaini Brothers (Hotels) Ltd, [1975] 1 All ER 716 (C.A.); Sykes (Wessex), Ltd. v. Fine Fare, Ltd., [1967] 1 Lloyd's Rep. 53 (C.A.); Central London Property Trust, Ld. v. High Trees House, Ld., [1947] K.B. 130; Robertson v. Minister of Pensions, [1949] 1 K.B. 227; Ajayi v. R. T. Briscoe (Nig.) Ltd., [1964] 1 W.L.R. 1326; [1964] 3 All E.R. 556 (P.C.); Conwest Exploration Co. et al. v. Letain, [1964] R.C.S. 20; (1963), 41 D.L.R. (2d) 198; Burrows (John) Limited v. Subsurface Surveys Limited et al., [1968] R.C.S. 607; 68 D.L.R. (2d) 354; Canadian Superior Oil Ltd. et autre c. Paddon-Hughes Development Co. Ltd. et autre, [1970] R.C.S. 932; 12 D.L.R. (3d) 427; Re Tudale Explorations Ltd. and Bruce et al. (1978), 20 O.R. (2d) 593; 88 D.L.R. (3d) 584 (C. div.); Edwards et al. v. Harris-Intertype (Canada) Ltd. (1983), 40 O.R. (2d) 558 (H.C. Ont.); Verreault (J.E.) & Fils Ltée c. Procu- reur général (Québec), [1977] 1 R.C.S. 41; (1975), 57 D.L.R. (3d) 403; Banque de Montréal c. Procureur géné- ral (Qué.), [1979] 1 R.C.S. 565; (1978), 96 D.L.R. (3d) 586; R. c. CAE Industries Ltd., [1986] 1 C.F. 129; (1985), 20 D.L.R. (4th) 347; (1985), 61 N.R. 19 (C.A.); confirmant [1983] 2 C.F. 616 (1n inst.).
AVOCATS:
Morris Kaufman et Kenneth Zaifman pour les demandeurs.
Craig Henderson et Barbara Shields pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Margolis Kaufman Cassidy Zaifman Swartz, Winnipeg, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
NOTE DE L'ARRÊTISTE
L'arrêtiste a décidé de publier le présent juge- ment parce qu'il expose bien la doctrine, recon- nue en equity, de l'irrecevabilité fondée sur une promesse (promissory estoppel) ainsi que la façon dont elle s'applique aux contrats gouverne- mentaux.
Il a cependant été décidé de reproduire sous une forme abrégée les quarante-quatre pages que comptent les motifs du jugement et de pré- senter le résumé suivant des faits.
Le demandeur, qui est un Indien inscrit, vivait dans une réserve il faisait de la polyculture. Des fonctionnaires du Ministère, qui voulaient rendre l'exploitation de la ferme plus rentable tout en présentant le demandeur comme un exemple vivant de ce que pouvait donner l'esprit d'initiative et d'entreprise, l'ont encouragé à développer son exploitation agricole en acquérant une plus grande superficie de terrain et de la machinerie supplémentaire. Le Ministère l'aiderait dans l'or- ganisation du financement. Malgré la crainte que d'autres Indiens puissent devenir jaloux, le demandeur a accepté la proposition. Il a loué une autre parcelle de terrain du Ministère. Les appré- hensions du demandeur se sont avérées justi fiées. Des membres de la bande l'ont harcelé de différentes façons, notamment en faisant passer leur bétail sur ses terres, endommageant ainsi ses récoltes. M. Mentuck a poursuivi la bande indienne et son chef en dommages-intérêts pour l'intimidation qu'ils ont exercée à son égard et les atteintes qu'ils ont portées à ses intérêts écono- miques. Il a obtenu gain de cause en première instance et devant la Cour d'appel du Manitoba. À la suite de ce litige, la situation ne pouvait plus être maîtrisée dans la réserve. Des coups de feu ont été échangés, il y a eu des poursuites en automobile sur la grande route, la ferme arbori- cole du demandeur a été endommagée par des
gens qui la traversaient en tracteur, et ses enfants ont changer d'école en raison des menaces proférées à leur égard.
La situation difficile du demandeur a été portée à l'attention des fonctionnaires du Ministère et des dirigeants politiques. Le Ministre a désigné un certain M. Steacy comme son représentant spé- cial pour examiner la situation et formuler des recommandations. M. Steacy avait toutes les qua- lités requises pour remplir son mandat. Il avait déjà été chargé de questions de politique sociale au Bureau du Conseil privé. M. Steacy a rencontré M. Mentuck. Celui-ci a indiqué qu'il préférait que le Ministère intervienne pour rétablir l'ordre public dans la réserve. M. Steacy a expliqué qu'il serait impossible de suivre cette voie étant donné que le gouvernement avait pour politique d'instaurer un gouvernement autonome dans les réserves. La seule solution pratique qui s'offrait à M. Mentuck était de quitter la réserve. Celui-ci a laissé enten- dre que sa ferme valait 1 000 000 $. M. Steacy a toutefois recommandé de la faire évaluer par un expert indépendant.
Leurs discussions ont abouti au consensus sui- vant: M. Mentuck déménagerait et le Ministère l'indemniserait en fonction de la valeur de ses biens et de ses pertes de revenu. M. Steacy a expliqué que le règlement de l'affaire serait soumis à l'approbation du Ministère. M. Steacy a rédigé une note à l'intention du Ministre dans laquelle il recommandait de déplacer M. Mentuck hors de la réserve aux frais du gouvernement et de l'indemniser de ses pertes et de ses souffran- ces conformément aux lignes directrices de la Loi sur l'expropriation [S.R.C. 1970 (1B 1 Supp.), chap. 16].
Le sous-ministre adjoint a ordonné que les biens de M. Mentuck soient évalués et a indiqué que le montant du règlement final serait fixé à une date ultérieure. Les Mentuck ont quitté la réserve, la machinerie agricole a été vendue aux enchères et le produit de la vente a servi à réduire le montant de diverses dettes. Les terres de terrain ont été évaluées à 146 692 $.
Le directeur général des réserves et des fidéi- commis a présenté au sous-ministre adjoint une note dans laquelle il recommandait de verser cette somme à M. Mentuck en même temps que
le paiement des frais de déménagement. Le sous-ministre adjoint a cependant décidé qu'il fallait résoudre l'affaire en recourant aux pro grammes ordinaires du Ministère en matière de réinstallation et d'assistance sociale et il a mis un frein à toute autre possibilité d'envisager une indemnisation «à titre gracieux». Le sous-ministre adjoint était conscient du fait qu'un gouvernement minoritaire était au pouvoir et que le Ministre de l'époque ne voulait pas se trouver mêlé à l'affaire Mentuck.
Le demandeur a donc été avisé de la décision de ne pas lui verser d'indemnité si ce n'est les montants d'aide sociale qu'il recevait déjà.
Plus tard, toutefois, M. Mentuck a reçu de l'ad- joint spécial du Ministre un télégramme laissant entendre qu'une proposition devrait être élaborée en vue de sa réinstallation dans une ferme. L'idée était d'en prévoir le financement au moyen du Manitoba Indian Agricultural Program (MIAP). Cette solution était inacceptable pour M. Mentuck, car 40 % seulement du financement pouvait être obtenu du MIAP. On a retenu les services d'un consultant afin d'effectuer une analyse des coûts afférents à la réinstallation de M. Mentuck dans une ferme. Les demandes de M. Mentuck étaient grandioses et manquaient de bon sens. Le con sultant semble n'avoir fait aucun effort pour tem- pérer les exigences extravagantes du deman- deur. Le consultant a avancé le chiffre de 2 868 614 $, lequel a été rejeté par le Ministère. Le sous-ministre adjoint a écrit au demandeur pour l'informer qu'aucune indemnité ne serait versée.
11y a eu un changement de gouvernement, et le nouveau Ministre a immédiatement repu une lettre du procureur du demandeur, qui passait l'affaire en revue et recommandait un règlement à l'amia- ble pour éviter de recourir aux tribunaux. Le Minis- tre a répondu que le gouvernement fédéral ne pouvait d'aucune façon verser une indemnité. M. Mentuck a changé de procureur pour le représen- ter, et le nouveau a pu organiser une rencontre avec le Ministre, mais celui-ci a confirmé le con- seil juridique selon lequel aucune responsabilité n'incombait à la Couronne. En outre, les alloca tions d'aide sociale devaient prendre fin et M. Mentuck a été invité à se chercher un emploi et à consulter les fonctionnaires du service du bien- être social de sa municipalité.
M. Mentuck a alors intenté la présente action contre la Reine et a réclamé des dommages-inté- rêts pour manquement aux obligations de fidu- ciaire de cette dernière ou, subsidiairement, pour inexécution de contrat. Il a invoqué la doctrine de l'irrecevabilité fondée sur une promesse au cas serait niée l'existence d'une entente visant à accorder au demandeur la propriété d'une ferme entièrement équipée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MCNAIR: Les prétentions des deux parties en cause se résument à peu près ainsi.
L'avocat du demandeur recourt à deux argu ments convergents pour appuyer la conclusion iné- luctable selon laquelle une convention avait été conclue, bien que ce fût sous une forme rudimen- taire, en vue de la réinstallation du demandeur sur une exploitation agricole viable qui serait située dans un endroit de son choix et sur laquelle il aurait un droit de propriété absolu. Il invoque d'abord l'irrecevabilité fondée sur une promesse. L'autre argument repose sur l'obligation de fidu- ciaire selon le principe établi dans l'arrêt Guerin [Guerin et autres c. La Reine et autre, [ 1984] 2 R.C.S. 335; (1985), 55 N.R. 161; 13 D.L.R. (4th) 321; [1984] 6 W.W.R. 481]. L'avocat du deman- deur soutient également que l'irrecevabilité fondée sur une promesse peut servir à établir et à appuyer une cause d'action, que ce soit pour inexécution d'une convention ou d'une obligation de fiduciaire.
L'avocat de la Couronne assimile la position du demandeur à celle de quelqu'un qui tente de gagner une action politique contre la Couronne plutôt qu'à celle d'une personne qui exerce un recours juridique. Il allègue qu'il ne faudrait pas étendre trop librement le principe établi dans l'af- faire Guerin et créer ainsi un rapport de fiduciaire dans toutes les situations qui mettent en cause les Indiens et le Gouvernement du Canada. Il fait valoir notamment que le principe ne peut pas être étendu afin d'imposer à la Couronne une obliga tion de prudence très générale et impossible à remplir, c'est-à-dire empêcher que tout acte crimi- nel ou délictuel soit commis par des tiers irrespon- sables et vindicatifs. L'avocat de la Couronne sou- tient qu'il n'existe aucun lien découlant d'un contrat ou d'une loi pour justifier l'irrecevabilité
fondée sur une promesse et il rejette l'idée que cette doctrine puisse être utilisée pour établir une cause d'action. Essentiellement, il ne s'agit selon la Couronne que d'une affaire fondée sur l'«absence de contrat», c'est-à-dire sur un consentement ad idem insuffisant, sur l'absence d'une offre sans équivoque, sur l'incertitude quant aux conditions du contrat en raison des différentes versions propo sées par le demandeur et sur l'absence de contre- partie. La première question est donc de savoir s'il y avait contrat et quelles en étaient les conditions.
Les principes applicables à la question de savoir s'il existe une convention conditionnelle ou irrévo- cable sont faciles à établir mais difficiles à appli- quer. C'est une question d'interprétation dans chaque cas. Les auteurs Cheshire et Fifoot s'expri- ment ainsi dans leur ouvrage intitulé The Law of Contracts, 6e éd., à la page 34:
[TRADUCTION] Le devoir des tribunaux est de faire ressortir l'intention des parties tant à partir des termes de leur corres- pondance que des circonstances qui s'ensuivent, et la question de l'interprétation peut se résumer ainsi. La rédaction d'un document supplémentaire est-elle une condition suspensive de la formation d'un contrat ou constitue-t-elle seulement un élément accessoire dans l'exécution d'une obligation qui lie déjà les parties?
Dans The Law of Contracts, Waddams aborde ainsi le sujet aux pages 37 et 38:
[TRADUCTION] Le débiteur de l'engagement est-il lié par une convention ferme ou se réserve-t-il un certain pouvoir discré- tionnaire de signer ou non la convention formelle? Dans le premier cas, il existe une convention exécutoire. Dans le second cas, il n'y en a pas. Si le créancier s'attend raisonnablement à un engagement ferme, il sera protégé même si le document en bonne et due forme n'est jamais signé. En outre, les tribunaux semblent particulièrement enclins à protéger une telle attente lorsqu'elle se traduit par un comportement qui dépend de la convention.
Voir à cet égard l'arrêt Tanner y Tanner, [1975] 3 All ER 776 (C.A.). Dans ce cas, le tribunal a statué que la maîtresse d'un homme marié avait un privilège contractuel qui lui permettait d'occuper leur domicile conjugal aussi longtemps que les jumelles nées de leur union étaient d'âge scolaire, et le fait d'avoir laissé son appartement à la demande de son compagnon constituait une bonne raison dans les circonstances. La question de l'irre- cevabilité avait également été soulevée, mais l'af- faire a été tranchée sur le fondement d'un contrat tacite.
L'affaire Re Dominion Stores Ltd. and United Trust Co. et al. (1973), 42 D.L.R. (3d) 523 (H.C. Ont.); confirmée par (1974), 52 D.L.R. (3d) 327 (C.A.); confirmée par [ 1977] 2 R.C.S. 915; (1976), 71 D.L.R. (3d) 72 citée sous l'intitulé United Trust Co. c. Dominion Stores Ltd. et autres est instructive sur la question de la conven tion conditionnelle ou irrévocable. Le juge Grant siégeant en première instance a clairement énoncé le principe suivant aux pages 528 et 529:
[TRADUCTION] À mon avis, il ressort des décisions que, lorsque l'offre ou l'acceptation est formulée «sous réserve du contrat», «sous réserve des conditions d'un bail» (Raingold v. Bromley, [1931] 2 Ch. 307); «sous réserve d'un bail qui sera rédigé par les procureurs de nos clients» (H.C. Berry Ltd. v. Brighton and Sussex Building Society, [1939] 3 All E.R. 217); «sous réserve des conditions d'une convention en bonne et due forme qui sera élaborée par leurs procureurs» (Spottiswoode, Ballantyne & Co., Ltd. v. Doreen Appliances, Ltd. and G. Barclay (London), Ltd., [1942] 2 All E.R. 65), la convention sera interprétée, en l'absence de circonstances indiquant une intention contraire, comme étant conditionnelle et encore sujette à négociation jusqu'à ce que les parties aient signé un document plus solennel, même si leurs procureurs ont déjà convenu de toutes les conditions.
En l'espèce, cependant, on ne dit pas expressément que le contrat est conclu «sous réserve du bail», et à la lumière du principe énoncé dans l'affaire Winn v. Bull, précitée, cela devient donc une question d'interprétation «de savoir si les parties voulaient que les conditions convenues soient simple- ment couchées sur papier, ou si elles devraient faire l'objet d'une nouvelle convention dont les conditions ne sont pas énoncées dans le détail».
Dans l'affaire Calvan Consolidated Oil & Gas Co. v. Manning, [1959] R.C.S. 253; 17 D.L.R. (2d) 1, la Cour suprême du Canada devait répon- dre à deux questions importantes, premièrement celle de savoir si le contrat en cause était nul en raison de son incertitude et deuxièmement celle de savoir si une disposition prévoyant la conclusion éventuelle d'une convention en bonne et due forme dont les conditions seraient susceptibles d'être fixées par un arbitre seul empêchait le contrat d'avoir force obligatoire immédiatement. La Cour a jugé que le contrat n'était pas nul pour cause d'incertitude. Sur l'autre point, il a été statué que les parties étaient liées par les conditions de leur convention informelle concernant l'échange d'une participation partielle dans des permis d'exploita- tion de pétrole et de gaz naturel et qu'il n'en fallait pas plus, en ce sens que les deux parties avaient posé des gestes importants et qu'il y avait eu une acceptation sans conditions qui serait constatée éventuellement par un contrat en bonne et due
forme; il a été également statué qu'il ne s'agissait pas d'une acceptation soumise à des conditions expresses devant être remplies plus tard.
Le juge Judson a cité et approuvé la page 261 R.C.S.; aux pages 6 et 7 D.L.R.] le principe énoncé en ces termes par le juge Parker dans l'arrêt Von Hatzfeldt-Wildenburg v. Alexander, [1912] 1 Ch. 284, aux pages 288 et 289:
[TRADUCTION] La jurisprudence semble établir clairement que, si les documents ou lettres constituant un contrat prévoient la conclusion d'un contrat supplémentaire entre les parties, c'est une question d'interprétation de décider si la conclusion du contrat supplémentaire constitue une condition de l'accord ou s'il ne s'agit que d'un simple désir exprimé par les parties quant à la façon dont sera exécutée la transaction qui a déjà été conclue. Dans le premier cas, le contrat n'est pas valable soit parce que la condition n'est pas remplie soit parce que le droit ne reconnaît pas un contrat par lequel une personne s'engage à conclure un autre contrat. Dans l'autre cas, le contrat est valable et on peut ignorer la référence à un document plus solennel.
Dans l'affaire Hillas & Co., Ltd. v. Arcos, Ltd., [1932] All E.R. Rep. 494 (H.L.), lord Tomlin a déclaré d'un ton incisif, à la page 499:
[TRADUCTION] ... il s'agit toujours pour un tribunal d'inter- prétation d'équilibrer les choses de façon à ce que les marchés conclus par les hommes puissent, dans la mesure du possible, être considérés comme valides sans qu'il y ait violation d'un principe essentiel, et qu'on ne puisse reprocher au législateur de défaire volontairement ces marchés.
Il y a une ligne de démarcation ténue entre une convention qui a vraiment été faite sous condition en ce sens qu'elle dépend entièrement de la rédac- tion définitive d'un contrat supplémentaire ou de formalités contractuelles supplémentaires et celle qui a été conclue sous une forme rudimentaire ou suffisante pour suggérer une véritable rencontre des volontés mais qui est soumise à une condition suspensive quant à la manière dont elle sera exécu- tée. Les tribunaux n'élaboreront pas une nouvelle convention à la place des parties lorsque, à pre- mière vue, les éléments essentiels font défaut au point d'indiquer de façon manifeste que les parties n'ont jamais réellement voulu conclure de conven tion. Cependant, ils hésiteront moins à combler les omissions en prévoyant des conditions raisonnables lorsque cela est possible et lorsqu'on a montré qu'on comptait grandement sur la présumée con vention. En dernière analyse, le critère consistera la plupart du temps à déterminer ce qui est raison- nable et juste dans les circonstances: voir Wad - dams, op. cit., pages 30 et 31; Kelly v. Watson
(1921), 61 R.C.S. 482; 57 D.L.R. 363; Hillas & Co., Ltd. v. Arcos, Ltd., [1932] All E.R. Rep. 494 (H.L.); Courtney and Fairbairn Ltd y Tolaini Brothers (Hotels) Ltd, [1975] 1 All ER 716 (C.A.); et Sykes (Wessex), Ltd. v. Fine Fare, Ltd., [1967] 1 Lloyd's Rep. 53 (C.A.).
Qu'en est-il de la doctrine de l'irrecevabilité fondée sur une promesse ou, comme on l'appelle parfois, de l'irrecevabilité reconnue en equity? L'usage retient la première appellation.
La notion de l'irrecevabilité fondée sur une pro- messe vient d'un énoncé de lord Cairns dans l'arrêt Hughes v. Metropolitan Railway Company (1877), 2 App. Cas. 439 (H.L.), à la page 448:
[TRADUCTION] ... c'est le premier principe qui guide toutes les cours d'equity, que lorsque des personnes qui ont consenti à des clauses précises et explicites entraînant certaines conséquences juridiques—certaines sanctions ou déchéances de droits—adop- tent ultérieurement par leur acte personnel ou de leur plein gré une ligne de conduite qui a pour effet de laisser supposer à l'une des parties que les droits stricts découlant du contrat ne seront pas exercés, ou resteront en suspens, ou demeureront inappli- qués, la personne qui, autrement, eût pu faire valoir ces droits ne pourra le faire lorsque cela serait injuste, eu égard à ce qui s'est ainsi passé entre les parties.
On a accordé beaucoup d'attention à cette doc trine dans une série d'arrêts rendus en Angleterre: Central London Property Trust, Ld. v. High Trees House, Ld., [1947] K.B. 130; Robertson v. Minis ter of Pensions, [1949] 1 K.B. 227; Combe v. Combe, [1951] 2 K.B. 215 (C.A.); Ajayi v. R. T. Briscoe (Nig.) Ltd., [1964] 1 W.L.R. 1326; [1964] 3 All E.R. 556 (P.C.).
Dans la cause Combe v. Combe, précitée, lord Denning s'est senti obligé de tempérer quelque peu la position intransigeante qu'il avait adoptée dans l'arrêt High Trees en énonçant de nouveau en ces termes le principe de l'irrecevabilité fondée sur une promesse la page 220]:
[TRADUCTION] Le principe est, à mon avis, que lorsqu'une partie, par ce qu'elle a dit ou ce qu'elle a fait, a fait à l'autre partie une promesse ou lui a donné une assurance visant à modifier leurs rapports juridiques avec l'intention que l'on s'y fie, alors, une fois que l'autre partie s'est fiée à sa parole et a agi en conséquence, on ne peut par la suite permettre à la partie qui a fait la promesse ou donné l'assurance de revenir à leur situation juridique antérieure comme si elle n'avait pas fait cette promesse ou donné cette assurance; elle doit accepter leurs rapports juridiques avec les restrictions qu'elle y a elle-même apportées, même si elles ne s'appuient sur aucun motif de droit mais uniquement sur sa parole.
Comme le principe n'engendre jamais à lui seul de cause d'action, il faut toujours qu'il y ait une contrepartie quand cela constitue un élément essentiel de la cause d'action. La doctrine de la contrepartie est trop bien établie pour être renversée de façon indirecte.
Cet arrêt traitait également de la maxime selon laquelle l'irrecevabilité fondée sur une promesse peut servir d'épée mais non de bouclier et statuait que cette doctrine ne pouvait pas constituer une cause d'action par elle-même mais qu'elle pouvait jouer un rôle complémentaire important dans une cause d'action.
La doctrine de l'irrecevabilité fondée sur une promesse a été examinée par la Cour suprême du Canada dans trois arrêts faisant autorité: Conwest Exploration Co. et al. v. Letain, [1964] R.C.S. 20; (1963), 41 D.L.R. (2d) 198; Burrows (John) Limi ted v. Subsurface Surveys Limited et al., [ 1968] R.C.S. 607; 68 D.L.R. (2d) 354; et Canadian Superior Oil Ltd. et autre c. Paddon-Hughes Development Co. Ltd. et autre, [1970] R.C.S. 932; 12 D.L.R. (3d) 247.
Fondamentalement, ces arrêts viennent appuyer le principe selon lequel la doctrine de l'irrecevabi- lité fondée sur une promesse ne peut être invoquée avec succès que s'il existe déjà un certain lien juridique, contractuel ou autre, entre les parties au moment est donnée la promesse ou l'assurance visant à modifier le lien juridique ou le comporte- ment de l'autre partie. Le principe de l'irrecevabi- lité fondée sur une promesse ne peut pas s'appli- quer à vide. Il doit y avoir au moins un certain lien juridique entre les parties. Selon l'opinion domi- nante, l'irrecevabilité doit se fonder sur un fait existant et non sur quelque promesse pour l'avenir. La règle n'est pas stricte du tout et, dans nombre de cas, la décision dépendra souvent de la con- fiance et de tout changement qui peut être apporté de ce fait à la position d'une partie. La jurispru dence récente a tendance à exprimer un certain doute sur l'immutabilité de la maxime de l'épée et du bouclier en ce qui concerne l'irrecevabilité fondée sur une promesse, et sur la question de savoir si elle peut constituer en elle-même une cause d'action. La question est loin d'être tran- chée, et les perspectives traditionnelles changent et s'élargissent continuellement: voir Wauchope v. Maida et al. (1971), 22 D.L.R. (3d) 142 (C.A. Ont.); Re Tudale Explorations Ltd. and Bruce et al. (1978), 20 O.R. (2d) 593; 88 D.L.R. (3d) 584
(C. div.); Edwards et al. v. Harris-Intertype (Canada) Ltd. (1983), 40 O.R. (2d) 558 (H.C. Ont.); et Evenden v. Guildford City Association Football Club Ltd., [1975] Q.B. 917 (C.A.).
Dans l'arrêt Evenden v. Guildford, précité, lord Denning, agissant à titre de maître des rôles, est allé jusqu'à conclure la page 924] que l'irrece- vabilité fondée sur une promesse s'appliquait [TRADUCTION] «chaque fois qu'il y a une promesse ou une assurance, de fait ou de droit, actuelle ou future, qui vise à lier une personne et à l'amener à s'y conformer et qu'elle s'y conforme».
Le juge Schroeder de la Cour d'appel a souligné l'importance de la confiance dans l'arrêt Wau- chope v. Maida, précité, lorsqu'il a précisé à la page 148:
[TRADUCTION] En equity, on ne tient pas compte, semble- t-il, de la supposée distinction entre une modification et une renonciation, et la doctrine de common law selon laquelle seul un fait existant et non une promesse pour l'avenir peut entraî- ner l'irrecevabilité ne peut être invoquée contre une partie qui a modifié sa position en se fiant à une promesse pour l'avenir.
Peut-il régner un climat de confiance raisonna- ble dans le cas des contrats gouvernementaux? Il existe une certaine jurisprudence à l'appui de la proposition selon laquelle les contrats gouverne- mentaux sont dans une situation un peu particu- lière en ce sens que le créancier de l'engagement doit démontrer que le gouvernement avait manifes- tement l'intention de s'obliger juridiquement et que les simples déclarations d'intention ou de poli- tique générale ne suffisent habituellement pas à créer des obligations contractuelles exécutoires.
Dans l'arrêt Grant y. Province of New Bruns- wick (1973), 35 D.L.R. (3d) 141, la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick a rejeté l'idée qu'il doit y avoir une intention. Dans cette affaire, le gouver- nement a annoncé, sans y être autorisé par la loi, un plan ou programme de stabilisation concernant l'achat de surplus de pommes de terre à des prix subventionnés et leur écoulement d'une façon jugée satisfaisante par un inspecteur nommé par la province. Le demandeur a offert ses pommes de terre dans le cadre du programme de subventions; elles ont été acceptées par l'inspecteur et écoulées en conséquence. Le comité chargé d'approuver les demandes de subventions a rejeté celle du deman- deur parce qu'il n'avait pas prouvé qu'il était le propriétaire des pommes de terre en question. Le
demandeur a intenté une action pour réclamer la subvention, et le juge de première instance lui a donné raison pour le motif que la publicité consi- dérable faite au sujet du programme constituait une offre de la part du gouvernement et non pas une simple déclaration d'intention d'acheter les pommes de terre. La Cour a confirmé cette déci- sion en appel en statuant qu'une personne raison- nable qui était dans la position du demandeur serait justifiée de présumer qu'en se conformant aux conditions précises du programme, elle aurait le droit de vendre ses pommes de terre au gouver- nement et que celui-ci était donc légalement tenu de les acheter et d'en payer le prix. En arrivant à cette conclusion, le juge en chef Hughes a approuvé et adopté expressément le critère suivant la page 146]:
[TRADUCTION] Pour interpréter une offre, je pense qu'il faut appliquer le critère objectif, qui est énoncé de la façon suivante dans l'ouvrage intitulé Williston on Contracts, 3e éd., 1957, vol. 1, sect. 94, la page 339:
Il s'ensuit que le critère de l'interprétation véritable d'une offre ou d'une acceptation est non pas ce que la partie qui l'a faite ou donnée pensait qu'elle voulait dire ou qu'elle était censée vouloir dire, mais ce qu'une personne raisonnable se trouvant dans la position des parties aurait pensé qu'elle voulait dire.
Il importe de noter que l'offre faite à M. Grant dans le cadre du programme de subventions l'a été sans autorisation expresse de la loi, bien que ce point ne semble pas avoir été débattu. Le tribunal a cependant choisi de trancher le litige en se fondant de façon générale sur ce qui était raison- nable et juste dans les circonstances. Contraire- ment à la démarche adoptée dans l'affaire Grant, l'avocat de la défenderesse soulève ce point même dans ses allégations. Il soutient que toute promesse ou offre faite par un fonctionnaire ou mandataire de la Couronne ne constitue pas un contrat en raison des limites imposées par les articles 19 et 33 de la Loi sur l'administration financière [S.R.C. 1970, chap. F-10] et le paragraphe 5(1) du Règle- ment sur les marchés de l'Etat [C.R.C., chap. 701].
Ces dispositions législatives apparaissent pour la première fois au cours des plaidoiries. La défende- resse ne les invoque nulle part de façon précise, sauf dans les allégations générales de sa réponse au demandeur portant que toute convention interve- nue entre le demandeur et la défenderesse l'a été sans l'autorisation de la loi et du Parlement et que
la défenderesse se fonde [TRADUCTION] «sur les dispositions de la Loi sur l'administration finan- cière». La partie qui se fonde sur une loi doit faire valoir les faits nécessaires pour montrer que cette loi et les articles précis auxquels elle a recours s'appliquent à son cas. Il ne suffit pas d'invoquer la loi de façon générale: Williston & Rolls, The Law of Civil Procedure, vol. 2, pages 641 et 642, 692 et 693; et Odgers, Pleading and Practice, 17e éd., page 95. La défenderesse ne peut pas maintenant être autorisée.à soulever pour la première fois des moyens de défense qui n'ont pas été correctement ou suffisamment invoqués au tout début des procédures.
Même si on accordait cette faveur à la défende- resse, le fait d'invoquer l'inhabilité à conclure un contrat valable doit sûrement aller à l'encontre des notions plus larges du mandat général et du pou- voir apparent. Il me semble que le principe à appliquer peut être formulé ainsi: la Couronne est liée par des obligations contractuelles de la même manière qu'un particulier, et les principes ordinai- res du mandat s'appliquent aux contrats gouverne- mentaux de sorte que le contrat conclu par un ministre de la Couronne en vertu de son mandat général ou apparent ou celui conclu en son nom par un mandataire agissant dans le cadre de son présumé mandat lie la Couronne, même s'il est conclu sans l'autorisation précise de la loi, en l'absence de dispositions contraires et inéluctables prévues par la loi. Voir Verreault (J.E.) & Fils Liée c. Procureur général (Québec), [ 1977] 1 R.C.S. 41; (1975), 57 D.L.R. (3d) 403; Banque de Montréal c. Procureur général (Qué.), [ 1979] 1 R.C.S. 565; (1978), 96 D.L.R. (3d) 586; et R. c. CAE Industries Ltd., [1986] 1 C.F. 129; (1985), 20 D.L.R. (4th) 347; (1985), 61 N.R. 19 (C.A.), qui confirme [1983] 2 C.F. 616 (ire inst.).
J'estime que l'argument de la défenderesse sur ce point doit être rejeté tant pour des raisons de principe qu'à cause d'un vice de plaidoirie.
L'avocat du demandeur souligne l'importance de la décision rendue récemment par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S 335' et soutient que le principe de l'obligation de fiduciaire établie
' Publiée également dans (1985), 55 N.R. 161; 13 D.L.R. (4th) 321; [1984] 6 W.W.R. 481.
dans l'arrêt Guerin s'applique en l'espèce car le demandeur était, somme toute, à la merci du pouvoir discrétionnaire de la Couronne. Je ne puis pas être de cet avis. C'est une chose de dire que la position du demandeur à l'égard de la défenderesse est susceptible de créer un droit reconnu en equity en sa faveur, compte tenu des rapports particuliers existant entre les Indiens et la Couronne, et c'est une toute autre chose d'affirmer que, par sa nature même, cette position évoque automatiquement le droit concomitant relatif à l'obligation de fidu- ciaire. Dans l'affaire Guerin, le litige portait sur la cession d'une terre d'une réserve à des fins de louage et il s'agissait de savoir si le paragraphe 18(1) de la Loi sur les Indiens [S.R.C. 1952, chap. 149] imposait à la Couronne une obligation exécu- toire à cet égard. Et d'ailleurs la preuve présentée en l'espèce n'indique rien d'analogue à l'inexécu- tion d'une obligation de fiduciaire qui pourrait se transformer au moment de la cession en une fidu- cie explicite d'une terre déterminée à une fin pré- cise. L'action intentée par le demandeur pour manquement aux obligations de fiduciaire au sens du principe établi dans l'affaire Guerin est tout à fait indéfendable.
À mon avis, le seul et unique point de l'arrêt Guerin qui pourrait un tant soit peu appuyer la revendication du demandeur est la règle énoncée par le juge Dickson [tel était alors son titre], à la page 389, concernant l'irrecevabilité fondée sur une promesse:
Dans la présente instance, l'aspect pertinent de la norme de conduite requise est défini par un principe analogue à celui qui sous-tend la doctrine de l'exception promissoire ou reconnue en equity. Sa Majesté ne peut promettre à la bande qu'elle louera ses terres à certaines conditions précises, incitant ainsi la bande à modifier sa situation juridique en cédant lesdites terres, et ensuite simplement ignorer cette promesse au détriment de la bande. Voir, par exemple, les affaires Central London Property Trust Ltd. v. High Trees House Ltd., [1947] K.B. 130; Robertson v. Minister of Pensions, [1949] 1 K.B. 227 (CA.).
Je reviens encore une fois à la question posée en premier lieu—y avait-il une convention exécutoire et quelles en étaient les conditions?
Newton C. Steacy a été nommé représentant spécial du Ministre pour tenter de trouver une solution aux problèmes qui opposaient depuis long- temps le demandeur et la bande indienne de Valley River. Il s'est présenté lui-même au demandeur comme émissaire du Ministre et c'est ainsi qu'il a été considéré par le demandeur. Ce fait est d'une grande importance pour le déroulement des événe-
ments subséquents. M. Steacy a précisé au début des discussions que le Ministère n'était pas disposé à intervenir directement en restreignant le pouvoir de la bande au point de restaurer le statu quo et de satisfaire les aspirations du demandeur, qui voulait poursuivre paisiblement son métier d'agriculteur. Cela ouvrait la voie à la seule autre solution de rechange. M. Steacy a alors offert au demandeur et à sa famille de quitter la réserve et de se réinstaller ailleurs, en contrepartie de quoi le demandeur serait indemnisé d'une somme repré- sentant la valeur de ses terres ainsi que du préju- dice subi à cette occasion et le Ministère assume- rait ses frais de réinstallation. Ce n'était pas une proposition fortuite et de dernière minute. M. Steacy avait envisagé cette solution comme la plus plausible dans sa note initiale du 5 février 1979 et il n'y a jamais dérogé. De fait, il avait l'appui total du directeur général des réserves et des fidéicom- mis ainsi que d'autres fonctionnaires du Ministère. L'offre prévoyait également que le montant réel de l'indemnisation serait fixé au moyen d'une évalua- tion faite conformément aux lignes directrices de la Loi sur l'expropriation et que le montant total du règlement qui en résulterait serait soumis à l'examen du Ministre. On avait donc mis en place le mécanisme visant à fixer la somme payable au demandeur pour qu'il consente à quitter la réserve. Que cela ait été voulu ou non, les choses avaient dépassé le stade des déclarations d'intention.
En outre, la confiance doit être considérée comme un facteur dominant. Il y a eu de fortes incitations de la part d'un mandataire du Minis- tère qui avait un pouvoir apparent, et, en répon- dant de façon prévisible à l'attente raisonnable ainsi créée, le demandeur a accepté les conditions de l'offre avec le résultat qu'une convention exécu- toire a été conclue. Aux yeux de la défenderesse considérée comme la débitrice de l'engagement, la contrepartie était le préjudice subi ou assumé par le demandeur lorsqu'il a convenu de quitter la réserve. Les conséquences juridiques de cette situa tion sont décrites avec justesse dans l'extrait sui- vant de l'ouvrage du American Law Institute inti- tulé Restatement of the Law of Contracts, section 90:
[TRADUCTION] Une promesse faite par une personne qui devrait normalement s'attendre à ce qu'elle amène une action ou une abstention précise et importante de la part du créancier de l'engagement et qui amène effectivement une telle action ou abstention est exécutoire si une injustice ne peut être évitée que par la réalisation de la promesse.
L'attente découlant implicitement de l'offre ou de l'incitation, la confiance raisonnable fondée sur celle-ci et le changement de situation par la suite ont contribué à étayer l'idée d'une convention exé- cutoire et à dissiper toute illusion d'un simple «accord pour la forme». À mon avis, l'ensemble de la preuve vient appuyer cette conclusion. Le fait que le montant du règlement final était soumis à l'examen du Ministre n'est, me semble-t-il, rien de plus qu'une condition suspensive quant aux moda- lités de l'exécution finale, qui ne pourrait pas, même avec un effort d'imagination juste et raison- nable, être considérée comme une condition inévi- table de la convention qui supposait nécessaire- ment l'exécution d'une autre convention entre les parties. Selon moi, le rôle du Ministre à cet égard peut tout au plus se comparer à celui de l'arbitre dans l'arrêt Calvin Consolidated Oil & Gas, précité.
Il existe selon moi d'autres circonstances à l'ap- pui de cette conclusion.
D'abord, le comportement subséquent des par ties vient confirmer l'existence même de la conven tion que la défenderesse a essayé de résilier après la rencontre du 19 novembre 1979 on a opposé un véto aux revendications du demandeur. À titre d'exemple, M. Brown avait, au cours de sa rencon- tre du ler juin 1979 avec M. Leask et M. Steacy, consenti à faire évaluer les biens de M. Mentuck conformément aux lignes directrices de la Loi sur l'expropriation. Bien que M. Brown puisse avoir envisagé cette démarche seulement comme une mesure préalable au règlement final de l'affaire Mentuck, il me semble qu'un observateur raison- nable et impartial y verrait probablement les caractéristiques d'une convention, étant donné que M. Mentuck avait déjà quitté la réserve et franchi le Rubicon. L'avocat de la Couronne a allégué dans sa plaidoirie le fait que le demandeur détenait encore ses certificats de possession et aurait pu retourner sur la réserve en tout temps et reprendre son métier d'agriculteur. Je rejette cette préten- tion. La défenderesse n'a présenté aucun élément de preuve pour montrer que les conditions s'étaient améliorées sur la réserve après le départ du demandeur. La seule conclusion logique est que le demandeur ne pouvait pas retourner sur la réserve sans jouer le rôle de vaincu et sans s'exposer probablement encore plus aux humiliations, aux
calomnies et au harcèlement. La défenderesse n'a produit non plus aucun élément de preuve quant à l'état actuel des avoirs fonciers du demandeur. On doit en conclure que les parcelles de terre louées ne sont plus disponibles. En outre, la machinerie et l'outillage agricoles ont été liquidés en juin 1979. Vu ces circonstances, je suis obligé de conclure que le demandeur ne peut plus d'aucune façon retour- ner dans la réserve de Valley River.
À mon avis, il faut considérer que la doctrine de l'irrecevabilité fondée sur une promesse joue un rôle complémentaire important en renforçant les rôles clés de l'attente et de la confiance. S'il y a un aspect de la cause de la défenderesse qui devrait être tempéré par l'irrecevabilité, c'est bien l'insis- tance sur les droits stricts reconnus par la loi, lorsqu'on considère que le demandeur ne fait que solliciter quelque chose et que la parole donnée n'indique rien de plus qu'une intention de négocier un règlement possible. L'attente et la confiance, étayées par l'irrecevabilité, aboutissent toutes deux à la même chose: la défenderesse a fait des pro- messes ou donné des garanties auxquelles le demandeur pouvait raisonnablement se fier et aux- quelles il s'est effectivement fié à son détriment, et il serait injuste et inéquitable dans les circons- tances de permettre à la défenderesse de revenir par la suite sur ces promesses et garanties.
Tout compte fait, j'estime que la défenderesse n'a pas exécuté la convention conclue avec le demandeur et doit être tenue responsable des dom- mages-intérêts en résultant. Il y a probablement eu inexécution anticipée à la fin de décembre 1979 lorsque la défenderesse a fait connaître verbale- ment son intention de résilier la convention, mais le rejet explicite de la convention est survenu avec la lettre de M. Nicholson du 26 février 1980, qui peut servir à fixer la date réelle de l'inexécution.
Les parties ont elles-mêmes établi leur propre régime d'indemnisation en adoptant les lignes directrices de la Loi sur l'expropriation du Canada, ce qui a abouti à l'engagement de M. D. L. Hoover. Le témoignage de ce dernier n'a pas été sérieusement contesté, et je n'hésite pas à accepter son évaluation de 146 692 $ comme le montant exact des dommages subis par le demandeur pour le manque à gagner résultant de la perte de sa terre et pour la perte subséquente de revenus pour les années 1978 et 1979.
L'évaluation comprenait notamment une somme de 11 300 $ pour les arbres du demandeur, M. Hoover ayant cependant précisé que, pour fins d'exactitude, il faudrait recourir aux services d'un expert en arboriculture. Effectivement, un expert du nom de Carl Pedersen a produit un rapport en date du 15 novembre 1979, dont copie a été annexée au rapport de M. Hoover, qui est en date du 19 octobre 1979. M. Pedersen n'a pas été assigné comme témoin au procès pour lire en preuve tout ou partie de son rapport et répondre à un contre-interrogatoire. Si j'ai bien compris, les avocats ne se sont pas entendus pour qu'on puisse accepter cette preuve telle qu'elle a été lue ou sans être contestée. A mon avis, cette preuve fournie par l'expert est loin de se conformer aux exigences de la Règle 482 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] et n'est rien de plus que du pur ouï-dire. En conséquence, je la rejette en entier. Vu les circonstances, le rapport de M. Hoover constitue la meilleure preuve de la valeur des arbres du demandeur et j'accepte d'emblée son évaluation de 11 300 $.
M. Hoover a refusé d'évaluer le trouble de jouissance concernant une entreprise et prévue au sous-alinéa 24(3)b)(ii) de la Loi sur l'expropria- tion. Il a prétendu qu'il y avait beaucoup trop de facteurs inconnus qui militaient, à ce moment-là, contre une fixation réaliste des dommages réels résultant du trouble de jouissance concernant une entreprise. Il a reconnu que la Loi prévoyait, à défaut, une indemnité n'excédant pas 15 % de la valeur marchande dans les cas il n'est pas possible d'évaluer ou de déterminer en pratique les frais, dépenses et pertes attribuables ou connexes au trouble de jouissance subi par le titulaire. Il a néanmoins décidé de n'inclure aucune indemnisa- tion de ce genre dans le montant total de son évaluation.
La question demeure: faudrait-il accorder des dommages-intérêts supplémentaires pour manque à gagner, trouble de jouissance concernant une entreprise ou perte financière, quelle que soit l'ex- pression choisie? J'estime que oui.
Dans l'arrêt Parsons (H.) (Livestock) Ltd. v. Uttley Ingham & Co. Ltd., [1978] Q.B. 791 (C.A.), le lord juge Scarman a énoncé de nouveau le principe applicable sur ce point, à la page 806:
[TRADUCTION] Dans C. Czarnikow Ltd. v. Koufos, [1969] 1 A.C. 350 (une affaire de contrat de transport de marchandises par mer), la Chambre des lords a résolu certaines difficultés de ce domaine du droit. La règle de droit que la Chambre des lords a, dans ce cas, établie ou reconnue comme déjà établie peut être énoncée comme suit: (1) Le principe général régissant les dommages-intérêts pour inexécution de contrat est que, «lorsqu'une partie subit un préjudice en raison de l'inexécution d'un contrat, elle doit, dans la mesure c'est possible monétai- rement, être placée dans la même situation ... comme si le contrat avait été exécuté»: voir les motifs rendus par lord Pearce, à la p. 414, il cite le baron Parke dans Robinson v. Harman (1848) 1 Exch. 850, la page 855. (2) La formulation du critère de l'éloignement n'est pas la même en matière délictuelle qu'en matière contractuelle, car le rapport entre les parties dans le cas d'un contrat diffère de celui qui existe en matière délictuelle: voir les motifs rendus par lord Reid, aux pp. 385 et 386. (3) Les deux règles formulées par le baron Alderson dans Hadley v. Baxendale, 9 Exch. 341, représentent deux aspects d'un même principe général selon lequel la perte subie par le demandeur ne peut être recouvrée dans une action en dommages-intérêts pour inexécution de contrat que lorsqu'on peut raisonnablement supposer que les parties auraient sérieu- sement envisagé une telle possibilité si leur attention avait été attirée sur l'éventualité de l'inexécution du contrat qui, de fait, est survenue.
Avant de faire cet énoncé, le juge a pris la peine de signaler que, dans le cas d'un contrat, [TRA- DUCTION] «on doit reconnaître que les parties à un contrat ont le droit de s'entendre sur le montant des dommages-intérêts qui peut être supérieur ou inférieur à celui que la loi offrirait en l'absence d'une convention».
Il existait une autre condition du contrat, ainsi que je l'ai constaté, selon laquelle le demandeur
serait indemnisé non seulement d'une somme
représentant la valeur de sa terre mais également de toute perte ou de tout préjudice connexe résul-
tant de son déménagement à l'extérieur de la réserve. Il y a en outre le fait que les parties ont choisi le boulier des directives législatives pour calculer le montant exact de l'indemnité, ce qui doit sûrement indiquer qu'elles prévoyaient qu'il était fort possible que ce montant soit payable en cas d'inexécution de la convention. Étant donné ces circonstances, il devient impossible de conclure que les parties n'avaient pas toutes deux prévu que les dommages-intérêts résultant d'un manque à gagner devraient englober une indemnité pour trouble de jouissance concernant une entreprise ou perte financière attribuable à l'inexécution de la convention. En pratique et selon le bon sens, l'inexécution de la convention a privé le deman- deur de ses moyens de subsistance.
À mon avis, le demandeur a droit à quelque chose de plus que la somme de 18 120 $ évaluée par M. Hoover à titre de perte de revenus pour 1978 et 1979, et comprise dans le montant total de son évaluation. M. Hoover a admis en contre-inter- rogatoire que la perte de revenus estimée s'élève- rait en moyenne à 9 060 $ annuellement pour les deux années en question, mais il a refusé d'extra- poler en multipliant cette moyenne par un nombre déterminé d'années pour obtenir le montant d'une perte économique quelle que soit la durée choisie. Il était d'avis que cette méthode n'était pas adé- quate, bien qu'il ait admis que son utilisation pourrait donner quelque approximation.
Je suis convaincu à partir de l'ensemble de la preuve que le demandeur a subi une perte écono- mique ou commerciale résultant de la perte de sa ferme. C'est un aspect des dommages qui est direc- tement attribuable à l'inexécution du contrat. Le lien de cause à effet est reconnu par le contrat lui-même, et le seul point incertain est l'étendue des dommages-intérêts. L'impossibilité d'établir le montant exact des dommages-intérêts au moyen de certains calculs mathématiques précis ne devrait pas nous empêcher d'accorder une juste indemnité. J'estime qu'il ne serait pas abusif dans les circons- tances de calculer cette indemnité sur la base d'une période de quatre ans. Si on applique cela à la moyenne annuelle de 9 060 $ établie par M. Hoover pour la période de deux ans, on obtient un montant non ajusté de 36 240 $. À mon avis, il serait peu réaliste de ne pas appliquer un certain ajustement pour tenir compte des imprévus nor- maux d'une exploitation agricole, tels que des récoltes perdues ou réduites, la fluctuation des prix et des choses du genre. Il me semble qu'un ajuste- ment de 25 % serait équitable pour la période de quatre ans. Il n'est pas nécessaire de prendre en considération l'incidence de l'impôt sur le revenu en raison de l'article 87 de la Loi sur les Indiens et du précédent établi par l'arrêt Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29; 83 DTC 5041. L'appli- cation de ce pourcentage donne un montant de 25 180 $ que j'accorde au demandeur à titre de dommages-intérêts pour ses pertes d'ordre finan cier ou commercial.
Pour les raisons susdites, je rends jugement en faveur du demandeur Joseph Charles Gabriel Mentuck et lui accorde la somme de 171 872 $ à
titre de dommages-intérêts. Les causes d'action respectives des autres demandeurs sont rejetées pour absence de preuve et en raison de la doctrine de la chose jugée, mais sans dépens.
Dans sa déclaration, le demandeur cherche à obtenir que le montant des dommages-intérêts porte intérêt à [TRADUCTION] «un taux approprié depuis le moment les demandeurs ont quitté la réserve jusqu'à la date du jugement». Sous réserve de l'article 35 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10], la Cour peut, dans un cas donné, adjuger un intérêt antérieur au jugement et en fixer le taux approprié. Le taux ainsi établi est souvent la moyenne du taux préfé- rentiel de la Banque du Canada. Il n'a nullement été présenté en preuve quel devrait être ce taux pour la période en question. On pourrait faire remarquer au sujet de l'intérêt antérieur au juge- ment que, dans l'arrêt Marshall c. Canada (1985), 60 N.R. 180, la Cour d'appel fédérale a adjugé un intérêt antérieur au jugement en conformité avec la disposition applicable de la Loi sur l'organisa- tion judiciaire [R.S.O. 1980, chap. 223] de l'Ontario.
Peut-être a-t-on voulu sous-entendre en raison des lignes directrices du contrat ou de la loi que l'intérêt devrait être fixé en conformité avec le taux de base sous le régime de la Loi sur l'expro- priation, qui est le rendement moyen prévu pour les bons du Trésor du gouvernement du Canada. Encore une fois, aucune preuve n'a été apportée à cet effet.
Le fait est que la question de l'intérêt, antérieur ou postérieur au jugement, n'a pas été soulevée ni même effleurée au cours des plaidoiries, sans parler de l'absence totale de preuve à cet effet. Quant à l'intérêt postérieur au jugement, il est maintenant évident que la Cour peut fixer un taux un peu plus élevé que le taux légal mentionné à l'article 40 de la Loi sur la Cour fédérale: voir R. c. CAE Industries Ltd. [[1986] 1 C.F. 129, aux pages 179 et 180]; (1985), 20 D.L.R. (4th) 347, à la page 385 (C.A.).
Je tiens à préciser clairement que je suspends seulement le prononcé du jugement et que les présents motifs sont définitifs. Dans les circons- tances, l'avocat du demandeur peut prendre les mesures nécessaires pour obtenir jugement en con-
séquence conformément à la Règle 337(2)b). La question de l'intérêt peut être soulevée au moment de la requête en jugement, ainsi que toute observa tion relative aux dépens. Je ne vois aucune raison pour laquelle la requête en jugement ne devrait pas être présentée conformément à la Règle 324. Tou- tefois, si l'avocat est d'un autre avis, je devrai alors fixer le moment et l'endroit de l'audience à une date convenable.
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