T-814-83
W. & R. Plumbing & Heating Ltd. (demande-
resse)
c.
La Reine (défenderesse)
Division de première instance, juge Addy—Cal-
gary, 20 et 21 janvier; Vancouver, 3 février 1986.
RÉPERTORIÉ: W. & R. PLUMBING & HEATING LTD. C. R.
Fin de non-recevoir — Irrecevabilité fondée sur une pro-
messe — Marché de construction conclu entre la Couronne et
un entrepreneur général — La demanderesse a fourni la
main-d'oeuvre et l'équipement — L'entrepreneur général n'a
pas payé la demanderesse — La défenderesse a pour politique
générale de veiller à ce que l'entrepreneur s'engage à payer les
fournisseurs et sous-traitants — Les contrats conclus par la
Couronne prévoient habituellement des retenues de garantie
pour assurer le respect des engagements — Politique non
suivie — La défenderesse a payé à l'entrepreneur général le
prix intégral du marché sans effectuer de retenues de garantie
— La pratique antérieure de la défenderesse équivaut-elle à
une irrecevabilité fondée sur une promesse? — Seulement une
des six conditions fondamentales de l'irrecevabilité fondée sur
une promesse a été remplie — Si une action peut reposer sur
l'irrecevabilité fondée sur une promesse, ce moyen n'a pas
expressément été invoqué — Action rejetée.
Couronne — Contrats — La Couronne a conclu un marché
de construction — La demanderesse a conclu un contrat de
sous-traitance pour fournir la main-d'oeuvre et l'équipement
— La défenderesse a payé à l'entrepreneur général le prix
intégral du marché sans effectuer de retenues de garantie,
contrairement à la pratique habituelle — L'entrepreneur géné-
ral n'a pas payé la demanderesse — La demanderesse a
allégué l'enrichissement sans cause et l'irrecevabilité fondée
sur une promesse — Il n'y a pas eu enrichissement sans cause
de la part de la défenderesse — Les conditions permettant
d'invoquer avec succès l'irrecevabilité fondée sur promesse
n'ont pas été remplies — Action rejetée.
La défenderesse a conclu avec Dimack Construction Co. un
marché pour la construction d'un bâtiment. La société deman-
deresse a conclu un contrat avec Dimack selon lequel elle devait
fournir la main-d'oeuvre, les matériaux ainsi que l'équipement
pour l'installation de la plomberie et des systèmes mécaniques.
Dimack n'a pas payé la demanderesse la somme de 19 100 $
exigible à l'achèvement des travaux. Il n'existe aucun contrat,
verbal ou écrit, entre les parties à la présente action. Dans son
action, la demanderesse invoque l'irrecevabilité fondée sur une
promesse et l'enrichissement sans cause.
Jugement: il y a lieu de rejeter l'action.
En matière de marchés de construction, la défenderesse a
pour politique générale de veiller à ce que l'entrepreneur géné-
ral s'engage à payer tous les fournisseurs et sous-traitants. Pour
s'assurer que pareil engagement est respecté, la défenderesse
retient telle ou telle somme jusqu'à ce qu'on lui fournisse une
preuve suffisante que le paiement a été effectué. En l'espèce,
cette méthode n'a pas été suivie. La défenderesse a payé à
Dimack le prix intégral du marché, sans aucune retenue de
garantie, après que les travaux eurent été exécutés en grande
partie, mais avant que des défectuosités eussent été réparées.
La question se pose de savoir si la conduite de la défenderesse
en l'espèce, compte tenu de sa pratique antérieure, constitue
une irrecevabilité fondée sur une promesse. La jurisprudence
est divisée quant à la question de savoir si l'irrecevabilité fondée
sur une promesse peut être invoquée pour étayer une prétention
ou peut seulement servir de moyen de défense. La jurisprudence
établie semble persister à dire que l'irrecevabilité fondée sur
une promesse ne peut servir que de moyen de s'opposer à une
prétention. Quoi qu'il en soit, compte tenu des faits de l'espèce,
les conditions fondamentales permettant d'invoquer avec succès
l'irrecevabilité fondée sur une promesse n'ont pas été remplies:
(1) une promesse de la part de la personne contre laquelle cette
irrecevabilité est invoquée; (2) la promesse doit être claire et
non équivoque; (3) la promesse doit avoir pour effet de modifier
la situation de la personne à qui elle a été faite (la majorité des
auteurs estime que ce changement doit s'opérer au détriment
du bénéficiaire de la promesse, bien que selon d'autres auteurs,
il suffise que ce bénéficiaire ait agi par suite de la promesse; (4)
un rapport juridique réel entre les parties qui existe, a existé
récemment ou est en voie d'être créé; (5) le rapport juridique
doit être modifié par la promesse donnant lieu à l'irrecevabilité;
(6) volonté de la part de l'auteur de la promesse de modifier le
rapport juridique avec le bénéficiaire de cette promesse. La
troisième condition a été remplie: il y a preuve que la demande-
resse n'aurait pas présenté de soumission pour conclure un
contrat avec Dimack si elle n'avait pas été au courant de
l'existence, dans le marché principal, des dispositions concer-
nant les retenues de garantie. Aucune des autres conditions n'a
été remplie.
Si une action peut reposer sur l'irrecevabilité fondée sur une
promesse, ce moyen doit être expressément invoqué dans la
déclaration. En l'espèce, non seulement on n'a pas expressé-
ment invoqué ce moyen, mais on n'a invoqué aucun rapport
juridique passé, présent ou à venir, auquel pourrait se rapporter
une promesse quelconque.
Pour ce qui est de la question de l'enrichissement sans cause,
il ressort de la preuve que la défenderesse a payé à Dimack
l'intégralité des travaux exécutés. Dimack Construction était la
seule entité à bénéficier d'un enrichissement sans cause, ayant
reçu paiement pour les travaux qu'elle n'a pas effectués. Il ne
saurait donc être question d'enrichissement sans cause de la
part de la défenderesse.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Pettkus c. Becker, [1980] 2 R.C.S. 834; Re Union Con
struction Ltd. and Nova Scotia Power Corp. Ltd. et al.
(1980), 111 D.L.R. (3d) 728 (C.A.N: E.); Burrows
(John) Limited v. Subsurface Surveys Ltd. et al., [1968]
R.C.S. 607.
DÉCISIONS CITÉES:
Crown Lumber Co. Ltd. v. Smythe et al., [1923] 3
D.L.R. 933 (C.A. Alb.); Re Bodner Road Construction
Ltd., [1963] 43 W.W.R. 641 (B.R. Man.); Re Tudale
Explorations Ltd. and Bruce et al. (1978), 88 D.L.R.
(3d) 584 (H.C. Ont.).
AVOCATS:
J. K. Megaffin pour la demanderesse.
Ian Donahoe pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Megaffin, Wong, Calgary, pour la demande-
resse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE ADDY: Les faits de la cause sont fort
simples. La défenderesse a conclu avec Dimack
Construction Company (ci-après appelée
«Dimack») un marché pour la construction d'un
bâtiment sur des terrains appartenant à la pre-
mière. La demanderesse a conclu avec Dimack un
contrat selon lequel elle devait fournir la main-
d'oeuvre, les matériaux ainsi que l'équipement pour
l'installation de la plomberie et des systèmes méca-
niques spécifiés dans le marché ci-dessus. La
demanderesse a exécuté tous les travaux prévus
par son contrat avec Dimack, mais celle-ci ne lui a
pas payé la somme de 19 100 $ qui représente le
solde légalement dû et payable à la date de l'achè-
vement des travaux.
Bien qu'elle n'ait pas officiellement déclaré fail-
lite, Dimack est dans les faits insolvable et n'est
manifestement pas en mesure de payer cette
somme. En fait, la Cour suprême de l'Alberta a
rendu en faveur de la demanderesse un jugement
condamnant Dimack à payer la somme de
19 100 $ avec intérêts.
Il n'existe aucun contrat, verbal ou écrit, entre
les deux parties à la présente action. Cependant, la
demanderesse allègue, dans sa déclaration, l'enri-
chissement sans cause de la défenderesse pour
réclamer la somme susdite de 19 100 $ avec inté-
rêts en sus. Après l'échange des plaidoiries écrites
initiales, la défenderesse a présenté une requête en
rejet fondée sur l'absence de cause d'action,
requête qui a été refusée, mais en même temps, la
Cour a accueilli une requête en modification de la
déclaration. A l'ouverture du procès, la défende-
resse a présenté une autre requête en rejet pour le
motif que les faits allégués dans la nouvelle décla-
ration ne faisaient ressortir aucun fondement juri-
dique qui permette de conclure à l'enrichissement
sans cause, puisqu'il n'était nullement allégué que
la défenderesse avait vraiment reçu quelque chose
pour lequel elle n'avait pas payé.
J'aurais été enclin à faire droit à cette requête
mais, puisque les deux parties étaient prêtes à
donner immédiatement suite au procès, que la
défenderesse n'avait pas l'intention de faire com-
paraître de témoins et que la demanderesse n'en
citerait que deux, qui n'auraient besoin que de
trois à quatre heures d'audience, j'ai décidé de
prendre la requête en délibéré et d'entendre les
témoins au cas où il en ressortirait un élément qui
justifie le recouvrement réclamé par la demande-
resse, sous réserve peut-être d'une nouvelle modifi
cation des plaidoiries le cas échéant.
Dans Pettkus c. Becker, [1980] 2 R.C.S. 834, le
juge Dickson, tel était alors son titre, s'est pro-
noncé en ces termes à la page 848:
Dans l'arrêt Rathwell, je me suis risqué à avancer qu'il y a trois
conditions à respecter pour que l'on puisse dire qu'il y a
enrichissement sans cause: un enrichissement, un appauvrisse-
ment correspondant et l'absence de tout motif juridique à
l'enrichissement. Il me semble que cette façon de voir est
appuyée par les principes généraux d'equity que les cours ont
modelés pendant des siècles, bien que, de l'aveu général, cela
n'ait pas été fait dans les litiges concernant les biens
matrimoniaux.
Il ressort du débat que non seulement la défen-
deresse avait payé à Dimack l'intégralité des tra-
vaux exécutés dans le cadre du marché principal,
mais encore que ce paiement était probablement
en trop, puisque de nombreuses défectuosités
n'avaient pas encore été corrigées. De toute évi-
dence, il ne saurait donc être question d'enrichisse-
ment sans cause de la défenderesse et il appert
que, de ce point de vue, l'action était mal fondée à
l'origine même. Dimack était la seule à bénéficier
d'un enrichissement sans cause, ayant reçu paie-
ment pour les travaux effectués par la demande-
resse, et non par elle-même.
Au cours du procès cependant, l'avocat de la
demanderesse a fait valoir que sa prétention repo-
sait également sur la doctrine de l'irrecevabilité
fondée sur une promesse (promissory estoppel),
connue en equity, bien qu'il n'en ait pas fait état
dans la déclaration modifiée.
Il appert qu'en matière de marchés de construc
tion, la défenderesse a pour politique de veiller à ce
que l'entrepreneur général s'engage à payer tous
les fournisseurs et sous-traitants, et que les fondés
de pouvoir de la défenderesse cherchent habituelle-
ment à s'assurer que pareil engagement est res
pecté en retenant telle ou telle somme jusqu'à ce
qu'on leur fournisse une preuve suffisante que les
fournisseurs et sous-traitants ont été effectivement
payés. Cette preuve que la défenderesse requiert
des entrepreneurs avec qui elle contracte prend
habituellement la forme d'une déclaration solen-
nelle, fournie de temps à autre par le fondé de
pouvoir ou autre représentant de l'entrepreneur
général. Le marché renferme aussi des dispositions
générales à cet effet. Un spécimen de la formule
générale du marché en question fait partie inté-
grante de la documentation concernant l'appel
d'offres et peut être fourni sur demande à quicon-
que veut présenter une soumission en vue de con-
clure un contrat de sous-traitance avec l'entrepre-
neur général. En l'espèce, un représentant de la
demanderesse avait examiné une copie des docu
ments relatifs au projet de marché avant de pré-
senter une soumission à Dimack.
Il a également été établi qu'à plusieurs reprises,
la demanderesse avait présenté une soumission en
vue de conclure un contrat de sous-traitance avec
des entrepreneurs généraux qui effectuaient des
travaux de construction pour l'État. Chaque fois,
un représentant de la demanderesse avait examiné
la documentation concernant l'appel d'offres desti
née à l'entrepreneur principal, parce qu'il voulait,
bien sûr, vérifier les plans, cahiers des charges et
autres conditions se rapportant à la portion des
travaux qu'elle était appelée à exécuter pour l'en-
trepreneur général, en plus d'examiner d'autres
conditions telles que l'échéancier des diverses
phases et sous-traitances, la qualité requise des
travaux à exécuter, ainsi que la nature et l'étendue
des garanties que pourrait exiger le propriétaire.
La demanderesse m'a cependant convaincu qu'elle
n'aurait pas présenté de soumission en vue de
conclure un contrat de sous-traitance avec Dimack
si elle n'avait pas été au courant de la politique
générale de la défenderesse, qui consiste à cher-
cher à protéger sous-traitants et fournisseurs de la
façon indiquée ci-dessus. Par le passé, la demande-
resse avait, à quatre reprises, réussi à obtenir un
contrat de sous-traitance concernant des projets de
construction gouvernementaux et il lui est arrivé,
une fois, d'avoir eu du mal à se faire payer par
l'entrepreneur général et d'avoir finalement recou-
vré son dû parce que la défenderesse avait retenu
des sommes qu'elle devait à l'entrepreneur général
jusqu'à ce que celui-ci eût acquitté sa dette envers
la demanderesse.
En l'espèce, la défenderesse a payé à Dimack le
prix intégral du marché après que les travaux
eurent été exécutés en grande partie, mais avant
que de nombreuses défectuosités n'eussent été
réparées. Il a également été prouvé que les travaux
se rapportant à d'autres parties du marché princi
pal n'avaient pas été exécutés de façon satisfai-
sante. Dans ce contexte, le paiement du prix inté-
gral du marché était manifestement contraire à la
politique normale de la défenderesse. Il s'explique
en l'espèce, semble-t-il, par le fait que l'année
financière de la défenderesse touchait à sa fin et
qu'il restait chez le «ministère client», en l'espèce le
ministère de l'Agriculture, un reliquat des crédits
alloués pour l'année en cours. Autrement dit, ce
Ministère s'adonnait au gaspillage qui se fait habi-
tuellement au sein des différents ministères gou-
vernementaux et qui consiste à dépenser le plus
vite possible tous les crédits de l'année financière
pour s'assurer d'avoir le maximum de crédits l'an-
née suivante.
Il convient également de noter qu'au lieu d'adju-
ger un seul marché à l'entrepreneur général, on a
divisé les travaux qui étaient relativement mineurs
et fort simples en trois phases; chacune d'elles
faisait l'objet d'un marché conclu séparément avec
Dimack, ce qui gardait le prix de ces marchés dans
les limites du pouvoir de dépenser du Ministère
intéressé, sans que celui-ci ait besoin de faire
approuver la dépense par une autorité supérieure,
approbation qui aurait été nécessaire si un seul
marché avait été conclu avec Dimack pour l'exécu-
tion de ces travaux. En outre, contrairement à la
méthode habituelle qui consiste en des paiements
partiels avec retenues de garantie après l'inspec-
tion périodique des travaux au fur et à mesure de
leur exécution, les coûts des travaux effectués dans
le cadre des trois marchés ont été acquittés inté-
gralement et en même temps, sans aucune retenue
de garantie, juste avant la clôture de l'année finan-
cière. La liste complète des défectuosités n'a été
établie que deux mois plus tard.
En voulant expliquer à la demanderesse pour-
quoi il n'avait pas suivi les méthodes habituelles, le
ministre des Travaux publics a invoqué une [TRA-
DUCTION] «erreur administrative» de la part du
Ministère. Il n'y a pas de doute qu'un terme bien
plus vigoureux conviendrait mieux. Cependant,
quelque tentation qu'on puisse avoir de critiquer la
manière dont les autorités ministérielles responsa-
bles se sont comportées dans cette affaire, eu égard
à leurs responsabilités de fonctionnaires, cette
question n'est pas soumise à la Cour: il s'agit
seulement de savoir si la conduite de la défende-
resse en l'espèce, eu égard à sa pratique antérieure,
peut donner lieu à une irrecevabilité fondée sur
une promesse ou à l'application de tout autre
principe juridique sur lequel la demanderesse
pourrait s'appuyer.
Un sous-traitant ne peut, pour recouvrer son dû
des mains du propriétaire, invoquer le fait que le
marché principal renferme certaines dispositions
portant obligation pour l'entrepreneur principal
d'acquitter les comptes des sous-traitants. (Voir:
Crown Lumber Co. Ltd. v. Smythe et al., [1923] 3
D.L.R. 933 (C.A. Alb.); Re Bodner Road Con
struction Ltd., [1963] 43 W.W.R. 641 (B.R.
Man.).) Ce principe s'applique même si le marché
principal autorise le propriétaire à payer les sous-
traitants directement, ce qui n'est certainement
pas le cas en l'espèce.
Dans Re Union Construction Ltd. and Nova
Scotia Power Corp. Ltd. et al. (1980), 111 D.L.R.
(3d) 728 (C.A.N.-E.), le juge de première instance
avait décidé que les clauses du marché principal
concernant les retenues de garantie constituaient
un encouragement pour les sous-traitants, dont un
élément donnant lieu à une fiducie par interpréta-
, tion en faveur de ces derniers. Cette conclusion a
été catégoriquement rejetée en appel. Prononçant
l'arrêt de la Cour d'appel, le juge Cooper s'est
exprimé en ces termes à la page 747 du recueil
susmentionné:
[TRADUCTION] Il s'agit essentiellement de savoir en l'espèce
si le juge Burchell siégeant en première instance a commis une
erreur en concluant que Nova Scotia Power Corporation déte-
nait la somme de 213 843,70 $ à titre de retenue de garantie en
vertu du contrat qu'elle avait conclu avec Lundrigans Limited
pour la construction de sa centrale électrique de Lingan, et à
titre de fiduciaire par interprétation, et que les bénéficiaires de
cette fiducie sont les personnes appelées sous-traitants, créan-
ciers pour ce qui est de l'exécution des travaux ou mis-en-cause.
Nous sommes tous d'avis que, sauf le respect que nous lui
devons, le juge de première instance a commis une erreur en
concluant à l'existence d'une telle fiducie. La notion de fiducie
par interprétation ne s'applique pas en l'espèce.
Pour ce qui est de l'irrecevabilité fondée sur une
promesse, il appert qu'en règle générale, les tribu-
naux ont refusé de considérer la possibilité d'y
recourir comme moyen d'étayer une prétention, et
n'y voient qu'un moyen de défense. Comme on l'a
très souvent dit, cette irrecevabilité ne peut servir
que de bouclier, et non d'épée. Certains jugements
de lord Denning mettent cependant en doute
pareille application restrictive de la doctrine de
l'irrecevabilité fondée sur une promesse. À ce
sujet, le juge Ritchie qui s'est prononcé au nom de
la Cour suprême du Canada dans l'affaire Bur
rows (John) Limited v. Subsurface Surveys Ltd. et
al., [1968] R.C.S. 607, aux pages 614 et 615, s'est
livré à l'analyse suivante:
[TRADUCTION] La décision rendue par lord Denning dans
Central London Property Trust Ltd. v. High Trees House Ltd.
([1947] K.B. 130) a suscité un long débat, tant dans le monde
universitaire que devant les tribunaux, sur la question de savoir
si ladite décision n'a pas étendu la doctrine de l'irrecevabilité
au-delà des limites qui avaient été fixées jusque-là, mais dans
l'arrêt de cette Cour Conwest Exploration Co. Ltd. et al. v.
Letain ([1964] R.C.S. 20, à la page 28), le juge Judson, qui
s'est prononcé au nom de la majorité des membres de la Cour, a
conclu que la décision de lord Denning n'avait fait que refor-
muler le principe énoncé en ces termes par lord Cairns dans
Hughes v. Metropolitan Railway Co. ((1877), 2 App. Cas.
439):
C'est le premier principe qui guide toutes les cours
d'equity, que lorsque des personnes qui ont consenti à des
clauses précises et explicites entraînant certaines conséquen-
ces juridiques—certaines sanctions ou déchéances de droits—
adoptent ultérieurement par leur acte personnel ou de leur
plein gré une ligne de conduite qui a pour effet de laisser
supposer à l'une des parties que les droits stricts découlant du
contrat ne seront pas exercés, ou resteront en suspens, ou
demeureront inappliqués, la personne qui, autrement eût pu
faire valoir ces droits, ne pourra le faire lorsque cela serait
injuste, eu égard à ce qui s'est ainsi passé entre les parties.
Dans l'arrêt Combe v. Combe ([1951] 1 All E.R. 767), lord
Denning a reconnu que certaines personnes avaient considéré sa
décision dans l'affaire High Trees comme étendant le principe
qu'a énoncé lord Cairns et il a pris soin de reformuler la
question comme suit:
Le principe est, à mon avis, que lorsqu'une partie, par ce
qu'elle a dit ou ce qu'elle a fait, a fait à l'autre partie une
promesse ou lui a donné une assurance visant à modifier leurs
rapports juridiques avec l'intention que l'on s'y fie, alors, une
fois que l'autre partie s'est fiée à sa parole et a agi en
conséquence, on ne peut par la suite permettre à la partie qui
a fait la promesse ou donné l'assurance de revenir à leur
situation juridique antérieure comme si elle n'avait pas fait
cette promesse ou donné cette assurance; elle doit accepter
leurs rapports juridiques avec les restrictions qu'elle y a
elle-même apportées, même si elles ne s'appuient sur aucun
motif de droit mais uniquement sur sa parole.
Dans Re Tudale Explorations Ltd. and Bruce et
al. (1978), 88 D.L.R. (3d) 584 (H.C. Ont.), le
juge Grange a, lui aussi, adopté le principe selon
lequel l'irrecevabilité fondée sur une promesse
pouvait être invoquée par le demandeur à l'appui
de sa prétention.
Cependant, la jurisprudence établie semble per-
sister à dire que l'irrecevabilité fondée sur une
promesse ne peut servir que de moyen de défense.
Qu'on puisse ou non l'invoquer à l'appui d'une
demande, il est certain que pour invoquer l'irrece-
vabilité fondée sur une promesse, qui est différente
de l'irrecevabilité fondée sur la propriété (proprie-
tary estoppel), certaines conditions fondamentales
doivent être remplies:
1. Il faut qu'il y ait promesse de la part de la
personne contre laquelle cette irrecevabilité est
invoquée.
2. La promesse doit être claire et non équivoque.
3. La promesse doit avoir pour effet de modifier
la situation de la personne à qui elle a été faite. La
majorité des fauteurs estime que ce changement
doit s'opérer au détriment du bénéficiaire de la
promesse, bien que selon d'autres autorités, dont
lord Denning, il suffise que ce bénéficiaire ait agi
par suite de la promesse.
4. Il doit y avoir entre les parties un rapport
juridique réel, qui existe ou qui, selon les opinions
incidentes qu'on trouve dans certaines décisions, a
existé récemment ou est en voie d'être créé.
5. Le rapport juridique doit être modifié par la
promesse donnant lieu à l'irrecevabilité.
6. Il faut qu'il y ait volonté de la part de l'auteur
de la promesse de modifier le rapport juridique
avec le bénéficiaire de cette promesse.
La demanderesse a rempli la troisième condition
ci-dessus, puisqu'elle m'a convaincu qu'elle n'au-
rait pas présenté de soumission pour conclure un
contrat avec Dimack et, par voie de conséquence,
n'aurait pas été privée des 19 100 $ qu'elle réclame
en l'espèce si elle n'avait pas été au courant de
l'existence, dans le marché principal de la défende-
resse, des dispositions concernant les retenues de
garantie, etc., comme je l'ai déjà indiqué. Cepen-
dant, elle ne satisfait, même indirectement, à
aucune des cinq autres conditions de l'irrecevabi-
lité fondée sur une promesse. Sa prétention doit
donc être rejetée.
Bien que l'action ne soit pas fondée, il y a lieu de
noter que si une action peut reposer en droit sur
l'irrecevabilité fondée sur une promesse (et je
m'abstiens de me prononcer sur ce sujet), il semble
alors évident qu'un moyen aussi inédit doit être
expressément invoqué dans la déclaration. À l'au-
dience, l'avocat de la défenderesse s'est opposé à
juste titre à ce qu'on invoque l'irrecevabilité fondée
sur une promesse, puisque ce moyen n'avait jamais
été soulevé dans les plaidoiries écrites. La deman-
deresse a, de son côté, refusé d'accéder à la requête
de la Cour qui la priait de modifier sa déclaration.
Non seulement elle n'a pas expressément étayé sa
prétention par l'irrecevabilité fondée sur une pro-
messe, mais elle n'a évoqué aucune promesse que
la défenderesse lui aurait expressément faite à
quelque moment que ce soit, ni aucun détail de
cette promesse. Elle n'a invoqué aucun rapport
juridique passé, présent ou à venir, auquel pourrait
se rapporter une promesse quelconque.
L'action est rejetée avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.