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T-814-83
W. & R. Plumbing & Heating Ltd. (demande- resse)
c.
La Reine (défenderesse)
Division de première instance, juge Addy—Cal- gary, 20 et 21 janvier; Vancouver, 3 février 1986.
RÉPERTORIÉ: W. & R. PLUMBING & HEATING LTD. C. R.
Fin de non-recevoir Irrecevabilité fondée sur une pro- messe Marché de construction conclu entre la Couronne et un entrepreneur général La demanderesse a fourni la main-d'oeuvre et l'équipement L'entrepreneur général n'a pas payé la demanderesse La défenderesse a pour politique générale de veiller à ce que l'entrepreneur s'engage à payer les fournisseurs et sous-traitants Les contrats conclus par la Couronne prévoient habituellement des retenues de garantie pour assurer le respect des engagements Politique non suivie La défenderesse a payé à l'entrepreneur général le prix intégral du marché sans effectuer de retenues de garantie
La pratique antérieure de la défenderesse équivaut-elle à une irrecevabilité fondée sur une promesse? Seulement une des six conditions fondamentales de l'irrecevabilité fondée sur une promesse a été remplie Si une action peut reposer sur l'irrecevabilité fondée sur une promesse, ce moyen n'a pas expressément été invoqué Action rejetée.
Couronne Contrats La Couronne a conclu un marché de construction La demanderesse a conclu un contrat de sous-traitance pour fournir la main-d'oeuvre et l'équipement
La défenderesse a payé à l'entrepreneur général le prix intégral du marché sans effectuer de retenues de garantie, contrairement à la pratique habituelle L'entrepreneur géné- ral n'a pas payé la demanderesse La demanderesse a allégué l'enrichissement sans cause et l'irrecevabilité fondée sur une promesse Il n'y a pas eu enrichissement sans cause de la part de la défenderesse Les conditions permettant d'invoquer avec succès l'irrecevabilité fondée sur promesse n'ont pas été remplies Action rejetée.
La défenderesse a conclu avec Dimack Construction Co. un marché pour la construction d'un bâtiment. La société deman- deresse a conclu un contrat avec Dimack selon lequel elle devait fournir la main-d'oeuvre, les matériaux ainsi que l'équipement pour l'installation de la plomberie et des systèmes mécaniques. Dimack n'a pas payé la demanderesse la somme de 19 100 $ exigible à l'achèvement des travaux. Il n'existe aucun contrat, verbal ou écrit, entre les parties à la présente action. Dans son action, la demanderesse invoque l'irrecevabilité fondée sur une promesse et l'enrichissement sans cause.
Jugement: il y a lieu de rejeter l'action.
En matière de marchés de construction, la défenderesse a pour politique générale de veiller à ce que l'entrepreneur géné- ral s'engage à payer tous les fournisseurs et sous-traitants. Pour s'assurer que pareil engagement est respecté, la défenderesse retient telle ou telle somme jusqu'à ce qu'on lui fournisse une preuve suffisante que le paiement a été effectué. En l'espèce, cette méthode n'a pas été suivie. La défenderesse a payé à
Dimack le prix intégral du marché, sans aucune retenue de garantie, après que les travaux eurent été exécutés en grande partie, mais avant que des défectuosités eussent été réparées.
La question se pose de savoir si la conduite de la défenderesse en l'espèce, compte tenu de sa pratique antérieure, constitue une irrecevabilité fondée sur une promesse. La jurisprudence est divisée quant à la question de savoir si l'irrecevabilité fondée sur une promesse peut être invoquée pour étayer une prétention ou peut seulement servir de moyen de défense. La jurisprudence établie semble persister à dire que l'irrecevabilité fondée sur une promesse ne peut servir que de moyen de s'opposer à une prétention. Quoi qu'il en soit, compte tenu des faits de l'espèce, les conditions fondamentales permettant d'invoquer avec succès l'irrecevabilité fondée sur une promesse n'ont pas été remplies: (1) une promesse de la part de la personne contre laquelle cette irrecevabilité est invoquée; (2) la promesse doit être claire et non équivoque; (3) la promesse doit avoir pour effet de modifier la situation de la personne à qui elle a été faite (la majorité des auteurs estime que ce changement doit s'opérer au détriment du bénéficiaire de la promesse, bien que selon d'autres auteurs, il suffise que ce bénéficiaire ait agi par suite de la promesse; (4) un rapport juridique réel entre les parties qui existe, a existé récemment ou est en voie d'être créé; (5) le rapport juridique doit être modifié par la promesse donnant lieu à l'irrecevabilité; (6) volonté de la part de l'auteur de la promesse de modifier le rapport juridique avec le bénéficiaire de cette promesse. La troisième condition a été remplie: il y a preuve que la demande- resse n'aurait pas présenté de soumission pour conclure un contrat avec Dimack si elle n'avait pas été au courant de l'existence, dans le marché principal, des dispositions concer- nant les retenues de garantie. Aucune des autres conditions n'a été remplie.
Si une action peut reposer sur l'irrecevabilité fondée sur une promesse, ce moyen doit être expressément invoqué dans la déclaration. En l'espèce, non seulement on n'a pas expressé- ment invoqué ce moyen, mais on n'a invoqué aucun rapport juridique passé, présent ou à venir, auquel pourrait se rapporter une promesse quelconque.
Pour ce qui est de la question de l'enrichissement sans cause, il ressort de la preuve que la défenderesse a payé à Dimack l'intégralité des travaux exécutés. Dimack Construction était la seule entité à bénéficier d'un enrichissement sans cause, ayant reçu paiement pour les travaux qu'elle n'a pas effectués. Il ne saurait donc être question d'enrichissement sans cause de la part de la défenderesse.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Pettkus c. Becker, [1980] 2 R.C.S. 834; Re Union Con struction Ltd. and Nova Scotia Power Corp. Ltd. et al. (1980), 111 D.L.R. (3d) 728 (C.A.N: E.); Burrows (John) Limited v. Subsurface Surveys Ltd. et al., [1968] R.C.S. 607.
DÉCISIONS CITÉES:
Crown Lumber Co. Ltd. v. Smythe et al., [1923] 3 D.L.R. 933 (C.A. Alb.); Re Bodner Road Construction Ltd., [1963] 43 W.W.R. 641 (B.R. Man.); Re Tudale
Explorations Ltd. and Bruce et al. (1978), 88 D.L.R. (3d) 584 (H.C. Ont.).
AVOCATS:
J. K. Megaffin pour la demanderesse. Ian Donahoe pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Megaffin, Wong, Calgary, pour la demande- resse.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE ADDY: Les faits de la cause sont fort simples. La défenderesse a conclu avec Dimack Construction Company (ci-après appelée «Dimack») un marché pour la construction d'un bâtiment sur des terrains appartenant à la pre- mière. La demanderesse a conclu avec Dimack un contrat selon lequel elle devait fournir la main- d'oeuvre, les matériaux ainsi que l'équipement pour l'installation de la plomberie et des systèmes méca- niques spécifiés dans le marché ci-dessus. La demanderesse a exécuté tous les travaux prévus par son contrat avec Dimack, mais celle-ci ne lui a pas payé la somme de 19 100 $ qui représente le solde légalement et payable à la date de l'achè- vement des travaux.
Bien qu'elle n'ait pas officiellement déclaré fail- lite, Dimack est dans les faits insolvable et n'est manifestement pas en mesure de payer cette somme. En fait, la Cour suprême de l'Alberta a rendu en faveur de la demanderesse un jugement condamnant Dimack à payer la somme de 19 100 $ avec intérêts.
Il n'existe aucun contrat, verbal ou écrit, entre les deux parties à la présente action. Cependant, la demanderesse allègue, dans sa déclaration, l'enri- chissement sans cause de la défenderesse pour réclamer la somme susdite de 19 100 $ avec inté- rêts en sus. Après l'échange des plaidoiries écrites initiales, la défenderesse a présenté une requête en rejet fondée sur l'absence de cause d'action, requête qui a été refusée, mais en même temps, la Cour a accueilli une requête en modification de la déclaration. A l'ouverture du procès, la défende-
resse a présenté une autre requête en rejet pour le motif que les faits allégués dans la nouvelle décla- ration ne faisaient ressortir aucun fondement juri- dique qui permette de conclure à l'enrichissement sans cause, puisqu'il n'était nullement allégué que la défenderesse avait vraiment reçu quelque chose pour lequel elle n'avait pas payé.
J'aurais été enclin à faire droit à cette requête mais, puisque les deux parties étaient prêtes à donner immédiatement suite au procès, que la défenderesse n'avait pas l'intention de faire com- paraître de témoins et que la demanderesse n'en citerait que deux, qui n'auraient besoin que de trois à quatre heures d'audience, j'ai décidé de prendre la requête en délibéré et d'entendre les témoins au cas il en ressortirait un élément qui justifie le recouvrement réclamé par la demande- resse, sous réserve peut-être d'une nouvelle modifi cation des plaidoiries le cas échéant.
Dans Pettkus c. Becker, [1980] 2 R.C.S. 834, le juge Dickson, tel était alors son titre, s'est pro- noncé en ces termes à la page 848:
Dans l'arrêt Rathwell, je me suis risqué à avancer qu'il y a trois conditions à respecter pour que l'on puisse dire qu'il y a enrichissement sans cause: un enrichissement, un appauvrisse- ment correspondant et l'absence de tout motif juridique à l'enrichissement. Il me semble que cette façon de voir est appuyée par les principes généraux d'equity que les cours ont modelés pendant des siècles, bien que, de l'aveu général, cela n'ait pas été fait dans les litiges concernant les biens matrimoniaux.
Il ressort du débat que non seulement la défen- deresse avait payé à Dimack l'intégralité des tra- vaux exécutés dans le cadre du marché principal, mais encore que ce paiement était probablement en trop, puisque de nombreuses défectuosités n'avaient pas encore été corrigées. De toute évi- dence, il ne saurait donc être question d'enrichisse- ment sans cause de la défenderesse et il appert que, de ce point de vue, l'action était mal fondée à l'origine même. Dimack était la seule à bénéficier d'un enrichissement sans cause, ayant reçu paie- ment pour les travaux effectués par la demande- resse, et non par elle-même.
Au cours du procès cependant, l'avocat de la demanderesse a fait valoir que sa prétention repo- sait également sur la doctrine de l'irrecevabilité fondée sur une promesse (promissory estoppel), connue en equity, bien qu'il n'en ait pas fait état dans la déclaration modifiée.
Il appert qu'en matière de marchés de construc tion, la défenderesse a pour politique de veiller à ce que l'entrepreneur général s'engage à payer tous les fournisseurs et sous-traitants, et que les fondés de pouvoir de la défenderesse cherchent habituelle- ment à s'assurer que pareil engagement est res pecté en retenant telle ou telle somme jusqu'à ce qu'on leur fournisse une preuve suffisante que les fournisseurs et sous-traitants ont été effectivement payés. Cette preuve que la défenderesse requiert des entrepreneurs avec qui elle contracte prend habituellement la forme d'une déclaration solen- nelle, fournie de temps à autre par le fondé de pouvoir ou autre représentant de l'entrepreneur général. Le marché renferme aussi des dispositions générales à cet effet. Un spécimen de la formule générale du marché en question fait partie inté- grante de la documentation concernant l'appel d'offres et peut être fourni sur demande à quicon- que veut présenter une soumission en vue de con- clure un contrat de sous-traitance avec l'entrepre- neur général. En l'espèce, un représentant de la demanderesse avait examiné une copie des docu ments relatifs au projet de marché avant de pré- senter une soumission à Dimack.
Il a également été établi qu'à plusieurs reprises, la demanderesse avait présenté une soumission en vue de conclure un contrat de sous-traitance avec des entrepreneurs généraux qui effectuaient des travaux de construction pour l'État. Chaque fois, un représentant de la demanderesse avait examiné la documentation concernant l'appel d'offres desti née à l'entrepreneur principal, parce qu'il voulait, bien sûr, vérifier les plans, cahiers des charges et autres conditions se rapportant à la portion des travaux qu'elle était appelée à exécuter pour l'en- trepreneur général, en plus d'examiner d'autres conditions telles que l'échéancier des diverses phases et sous-traitances, la qualité requise des travaux à exécuter, ainsi que la nature et l'étendue des garanties que pourrait exiger le propriétaire. La demanderesse m'a cependant convaincu qu'elle n'aurait pas présenté de soumission en vue de conclure un contrat de sous-traitance avec Dimack si elle n'avait pas été au courant de la politique générale de la défenderesse, qui consiste à cher- cher à protéger sous-traitants et fournisseurs de la façon indiquée ci-dessus. Par le passé, la demande- resse avait, à quatre reprises, réussi à obtenir un contrat de sous-traitance concernant des projets de
construction gouvernementaux et il lui est arrivé, une fois, d'avoir eu du mal à se faire payer par l'entrepreneur général et d'avoir finalement recou- vré son parce que la défenderesse avait retenu des sommes qu'elle devait à l'entrepreneur général jusqu'à ce que celui-ci eût acquitté sa dette envers la demanderesse.
En l'espèce, la défenderesse a payé à Dimack le prix intégral du marché après que les travaux eurent été exécutés en grande partie, mais avant que de nombreuses défectuosités n'eussent été réparées. Il a également été prouvé que les travaux se rapportant à d'autres parties du marché princi pal n'avaient pas été exécutés de façon satisfai- sante. Dans ce contexte, le paiement du prix inté- gral du marché était manifestement contraire à la politique normale de la défenderesse. Il s'explique en l'espèce, semble-t-il, par le fait que l'année financière de la défenderesse touchait à sa fin et qu'il restait chez le «ministère client», en l'espèce le ministère de l'Agriculture, un reliquat des crédits alloués pour l'année en cours. Autrement dit, ce Ministère s'adonnait au gaspillage qui se fait habi- tuellement au sein des différents ministères gou- vernementaux et qui consiste à dépenser le plus vite possible tous les crédits de l'année financière pour s'assurer d'avoir le maximum de crédits l'an- née suivante.
Il convient également de noter qu'au lieu d'adju- ger un seul marché à l'entrepreneur général, on a divisé les travaux qui étaient relativement mineurs et fort simples en trois phases; chacune d'elles faisait l'objet d'un marché conclu séparément avec Dimack, ce qui gardait le prix de ces marchés dans les limites du pouvoir de dépenser du Ministère intéressé, sans que celui-ci ait besoin de faire approuver la dépense par une autorité supérieure, approbation qui aurait été nécessaire si un seul marché avait été conclu avec Dimack pour l'exécu- tion de ces travaux. En outre, contrairement à la méthode habituelle qui consiste en des paiements partiels avec retenues de garantie après l'inspec- tion périodique des travaux au fur et à mesure de leur exécution, les coûts des travaux effectués dans le cadre des trois marchés ont été acquittés inté- gralement et en même temps, sans aucune retenue de garantie, juste avant la clôture de l'année finan- cière. La liste complète des défectuosités n'a été établie que deux mois plus tard.
En voulant expliquer à la demanderesse pour- quoi il n'avait pas suivi les méthodes habituelles, le ministre des Travaux publics a invoqué une [TRA- DUCTION] «erreur administrative» de la part du Ministère. Il n'y a pas de doute qu'un terme bien plus vigoureux conviendrait mieux. Cependant, quelque tentation qu'on puisse avoir de critiquer la manière dont les autorités ministérielles responsa- bles se sont comportées dans cette affaire, eu égard à leurs responsabilités de fonctionnaires, cette question n'est pas soumise à la Cour: il s'agit seulement de savoir si la conduite de la défende- resse en l'espèce, eu égard à sa pratique antérieure, peut donner lieu à une irrecevabilité fondée sur une promesse ou à l'application de tout autre principe juridique sur lequel la demanderesse pourrait s'appuyer.
Un sous-traitant ne peut, pour recouvrer son des mains du propriétaire, invoquer le fait que le marché principal renferme certaines dispositions portant obligation pour l'entrepreneur principal d'acquitter les comptes des sous-traitants. (Voir: Crown Lumber Co. Ltd. v. Smythe et al., [1923] 3 D.L.R. 933 (C.A. Alb.); Re Bodner Road Con struction Ltd., [1963] 43 W.W.R. 641 (B.R. Man.).) Ce principe s'applique même si le marché principal autorise le propriétaire à payer les sous- traitants directement, ce qui n'est certainement pas le cas en l'espèce.
Dans Re Union Construction Ltd. and Nova Scotia Power Corp. Ltd. et al. (1980), 111 D.L.R. (3d) 728 (C.A.N.-E.), le juge de première instance avait décidé que les clauses du marché principal concernant les retenues de garantie constituaient un encouragement pour les sous-traitants, dont un élément donnant lieu à une fiducie par interpréta- , tion en faveur de ces derniers. Cette conclusion a été catégoriquement rejetée en appel. Prononçant l'arrêt de la Cour d'appel, le juge Cooper s'est exprimé en ces termes à la page 747 du recueil susmentionné:
[TRADUCTION] Il s'agit essentiellement de savoir en l'espèce si le juge Burchell siégeant en première instance a commis une erreur en concluant que Nova Scotia Power Corporation déte- nait la somme de 213 843,70 $ à titre de retenue de garantie en vertu du contrat qu'elle avait conclu avec Lundrigans Limited pour la construction de sa centrale électrique de Lingan, et à titre de fiduciaire par interprétation, et que les bénéficiaires de cette fiducie sont les personnes appelées sous-traitants, créan- ciers pour ce qui est de l'exécution des travaux ou mis-en-cause.
Nous sommes tous d'avis que, sauf le respect que nous lui devons, le juge de première instance a commis une erreur en concluant à l'existence d'une telle fiducie. La notion de fiducie par interprétation ne s'applique pas en l'espèce.
Pour ce qui est de l'irrecevabilité fondée sur une promesse, il appert qu'en règle générale, les tribu- naux ont refusé de considérer la possibilité d'y recourir comme moyen d'étayer une prétention, et n'y voient qu'un moyen de défense. Comme on l'a très souvent dit, cette irrecevabilité ne peut servir que de bouclier, et non d'épée. Certains jugements de lord Denning mettent cependant en doute pareille application restrictive de la doctrine de l'irrecevabilité fondée sur une promesse. À ce sujet, le juge Ritchie qui s'est prononcé au nom de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Bur rows (John) Limited v. Subsurface Surveys Ltd. et al., [1968] R.C.S. 607, aux pages 614 et 615, s'est livré à l'analyse suivante:
[TRADUCTION] La décision rendue par lord Denning dans Central London Property Trust Ltd. v. High Trees House Ltd. ([1947] K.B. 130) a suscité un long débat, tant dans le monde universitaire que devant les tribunaux, sur la question de savoir si ladite décision n'a pas étendu la doctrine de l'irrecevabilité au-delà des limites qui avaient été fixées jusque-là, mais dans l'arrêt de cette Cour Conwest Exploration Co. Ltd. et al. v. Letain ([1964] R.C.S. 20, à la page 28), le juge Judson, qui s'est prononcé au nom de la majorité des membres de la Cour, a conclu que la décision de lord Denning n'avait fait que refor- muler le principe énoncé en ces termes par lord Cairns dans Hughes v. Metropolitan Railway Co. ((1877), 2 App. Cas. 439):
C'est le premier principe qui guide toutes les cours d'equity, que lorsque des personnes qui ont consenti à des clauses précises et explicites entraînant certaines conséquen- ces juridiques—certaines sanctions ou déchéances de droits— adoptent ultérieurement par leur acte personnel ou de leur plein gré une ligne de conduite qui a pour effet de laisser supposer à l'une des parties que les droits stricts découlant du contrat ne seront pas exercés, ou resteront en suspens, ou demeureront inappliqués, la personne qui, autrement eût pu faire valoir ces droits, ne pourra le faire lorsque cela serait injuste, eu égard à ce qui s'est ainsi passé entre les parties.
Dans l'arrêt Combe v. Combe ([1951] 1 All E.R. 767), lord Denning a reconnu que certaines personnes avaient considéré sa décision dans l'affaire High Trees comme étendant le principe qu'a énoncé lord Cairns et il a pris soin de reformuler la question comme suit:
Le principe est, à mon avis, que lorsqu'une partie, par ce qu'elle a dit ou ce qu'elle a fait, a fait à l'autre partie une promesse ou lui a donné une assurance visant à modifier leurs rapports juridiques avec l'intention que l'on s'y fie, alors, une fois que l'autre partie s'est fiée à sa parole et a agi en conséquence, on ne peut par la suite permettre à la partie qui a fait la promesse ou donné l'assurance de revenir à leur situation juridique antérieure comme si elle n'avait pas fait
cette promesse ou donné cette assurance; elle doit accepter leurs rapports juridiques avec les restrictions qu'elle y a elle-même apportées, même si elles ne s'appuient sur aucun motif de droit mais uniquement sur sa parole.
Dans Re Tudale Explorations Ltd. and Bruce et al. (1978), 88 D.L.R. (3d) 584 (H.C. Ont.), le juge Grange a, lui aussi, adopté le principe selon lequel l'irrecevabilité fondée sur une promesse pouvait être invoquée par le demandeur à l'appui de sa prétention.
Cependant, la jurisprudence établie semble per- sister à dire que l'irrecevabilité fondée sur une promesse ne peut servir que de moyen de défense. Qu'on puisse ou non l'invoquer à l'appui d'une demande, il est certain que pour invoquer l'irrece- vabilité fondée sur une promesse, qui est différente de l'irrecevabilité fondée sur la propriété (proprie- tary estoppel), certaines conditions fondamentales doivent être remplies:
1. Il faut qu'il y ait promesse de la part de la personne contre laquelle cette irrecevabilité est invoquée.
2. La promesse doit être claire et non équivoque.
3. La promesse doit avoir pour effet de modifier la situation de la personne à qui elle a été faite. La majorité des fauteurs estime que ce changement doit s'opérer au détriment du bénéficiaire de la promesse, bien que selon d'autres autorités, dont lord Denning, il suffise que ce bénéficiaire ait agi par suite de la promesse.
4. Il doit y avoir entre les parties un rapport juridique réel, qui existe ou qui, selon les opinions incidentes qu'on trouve dans certaines décisions, a existé récemment ou est en voie d'être créé.
5. Le rapport juridique doit être modifié par la promesse donnant lieu à l'irrecevabilité.
6. Il faut qu'il y ait volonté de la part de l'auteur de la promesse de modifier le rapport juridique avec le bénéficiaire de cette promesse.
La demanderesse a rempli la troisième condition ci-dessus, puisqu'elle m'a convaincu qu'elle n'au- rait pas présenté de soumission pour conclure un contrat avec Dimack et, par voie de conséquence, n'aurait pas été privée des 19 100 $ qu'elle réclame en l'espèce si elle n'avait pas été au courant de l'existence, dans le marché principal de la défende-
resse, des dispositions concernant les retenues de garantie, etc., comme je l'ai déjà indiqué. Cepen- dant, elle ne satisfait, même indirectement, à aucune des cinq autres conditions de l'irrecevabi- lité fondée sur une promesse. Sa prétention doit donc être rejetée.
Bien que l'action ne soit pas fondée, il y a lieu de noter que si une action peut reposer en droit sur l'irrecevabilité fondée sur une promesse (et je m'abstiens de me prononcer sur ce sujet), il semble alors évident qu'un moyen aussi inédit doit être expressément invoqué dans la déclaration. À l'au- dience, l'avocat de la défenderesse s'est opposé à juste titre à ce qu'on invoque l'irrecevabilité fondée sur une promesse, puisque ce moyen n'avait jamais été soulevé dans les plaidoiries écrites. La deman- deresse a, de son côté, refusé d'accéder à la requête de la Cour qui la priait de modifier sa déclaration. Non seulement elle n'a pas expressément étayé sa prétention par l'irrecevabilité fondée sur une pro- messe, mais elle n'a évoqué aucune promesse que la défenderesse lui aurait expressément faite à quelque moment que ce soit, ni aucun détail de cette promesse. Elle n'a invoqué aucun rapport juridique passé, présent ou à venir, auquel pourrait se rapporter une promesse quelconque.
L'action est rejetée avec dépens.
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