T-64-80
T-2207-80
T-3346-80
T-707-84
T-5652-80
La Reine (demanderesse)
c.
Amway of Canada Limited/Amway du Canada
Ltée et Amway Corporation (défenderesses)
RÉPERTORIÉ: R. c. AMWAY DU CANADA LTÉE
Division de première instance, juge Reed -Mont-
réal, 26 mars; Ottawa, 6 juin 1986.
Douanes et accise - Loi sur les douanes - Pratique
«Confiscation présumée» conformément aux art. 180 et 192 de
la Loi sur les douanes - La Cour peut-elle ordonner aux
membres de la direction des défenderesses de se soumettre à
un interrogatoire préalable? - S'agit-il d'actions de nature
civile ou d'actions de nature pénale et quasi criminelle? - La
procédure de confiscation ne constitue pas une confiscation in
rem - Le privilège de common law contre l'auto-incrimina
tion a été aboli à l'échelle fédérale en 1893 - Les dispositions
législatives donnent droit à l'interrogatoire préalable et à la
communication des documents et il s'agit d'un droit étendu -
Suivant la common law, les défenderesses peuvent être con-
traintes à témoigner - Le droit de ne pas être contraint de
témoigner garanti par l'art. 11c) de la Charte s'applique, mais
le droit à l'interrogatoire préalable constitue une limite rai-
sonnable au sens de l'art. 1 - Règles de la Cour fédérale,
C.R.C., chap. 663, Règles 465(1)b),(6),(8),(9),(11), 494(9) -
Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap. C-40, art. 2, 22 (mod.
par S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 32, art. 2), 102, 160, 161,
180, 192, 248, 249 (mod. par S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10,
art. 64(2)), 250, 251, 252 (mod. par S.R.C. 1970 (2e Supp.),
chap. 10, art. 64(2)) - Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. 1970,
chap. E-13, art. 58 - Charte canadienne des droits et libertés,
qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 1, 7, 8, 11c),d),e),f),g),h), 13 - Loi sur les stupéfiants,
S.R.C. 1970, chap. N-1, art. 10, 11 - Loi sur les contami
nants de l'environnement, S.C. 1974-75-76, chap. 72, art.
13(2) - Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, chap. F-14, art.
58(5) - Acte de la preuve en Canada, 1893, S.C. 1893, chap.
31, art. 5 - An Act to amend The Law of Evidence, 1851, 14
& 15 Vict., chap. 99, art. 2, 3 (R.-U.) - Criminal Evidence
Act, 1898, 61 & 62 Vict., chap. 36, art. 1a),b),e) (R.-U.) - The
Public Health Act, 1875, 38 & 39 Vict., chap. 55 (R.-U.)
Civil Evidence Act, 1968, 1968, chap. 64 (R.-U.) - Loi sur la
preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, art. 2, 3, 5
Rules of the Supreme Court (Revision) 1965, S.I. 1965/1776
- The Evidence Act, R.S.S. 1909, chap. 60 - An Act for the
further Alteration and Amendment of the Laws and Duties of
Customs, 1854, 17 & 18 Vict., chap. 122, art. 15 (R.-U.)
The Supplemental Customs Consolidation Act, 1855, 18 & 19
Vict., chap. 96, art. 36 (R.-U.) - The Customs Amendment
Act, 1857, 20 & 21 Vict., chap. 62, art. 14, 15 (R.-U.) - The
Crown Suits, & c. Act, 1865, 28 & 29 Vict., chap. 104, art. 34
(R.-U.) - The Customs Consolidation Act, 1876, 39 & 40
Vict., chap. 36, art. 259 (R.-U.) - Acte concernant les Doua-
nes, S.C. 1867, chap. 6, art. 102 - Acte pour amender et
refondre les actes concernant les douanes, S.C. 1877, chap. 10,
art. 103 - L'Acte des Douanes, 1883, S.C. 1883, chap. 12, art.
188, 190, 191 - Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e
Supp.), chap. 10, art. 3 - Loi sur l'immigration de 1976, S.C.
1976-77, chap. 52 - Loi de l'impôt sur le revenu, S.C.
1970-71-72, chap. 63 - Code criminel, S.R.C. 1970, chap.
C-34.
Pratique - Communication de documents et interrogatoire
préalable - Interrogatoire préalable - «Confiscation présu-
mée» en vertu de la Loi sur les douanes - La Cour peut-elle
ordonner la tenue d'un interrogatoire préalable lorsqu'on
réclame le paiement d'amendes ou la confiscation de biens? -
Le privilège de common law contre l'auto-incrimination a été
aboli à l'échelle fédérale en 1893 - Les dispositions législati-
ves donnent droit à l'interrogation préalable et à la communi
cation des documents et ce droit est très étendu - Suivant la
common law, les défenderesses peuvent être contraintes à
témoigner - Même si le droit de ne pas être contraint de
témoigner garanti par l'art. 11c) de la Charte s'applique, le
droit à l'interrogatoire préalable constitue une limite raison-
nable au sens de l'art. 1 - Il n'est pas prématuré de trancher
une question portant sur la Charte au stade de l'interrogatoire
préalable - Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663,
Règles 465(1)b),(6),(8),(9),(11), 494(9) - Loi sur les douanes,
S.R.C. 1970, chap. C-40, art. 2, 22 (mod. par S.R.C. 1970 (2 e
Supp.), chap. 32, art. 2), 102, 160, 161, 180, 192, 248, 249
(mod. par S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 64(2)), 250,
251, 252 (mod. par S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art.
64(2)) - Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. 1970, chap. E-13,
art. 58 - Charte canadienne des droits et libertés, qui consti-
tue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 7, 8,
11c),d),e)f),g),h), 13 - Loi sur la preuve au Canada, S.R.C.
1970, chap. E-10, art. 2, 3, 5.
Droit constitutionnel - Charte des droits - Procédures
criminelles et pénales - Droit de ne pas être contraint à
témoigner - «Confiscation présumée» en vertu de la Loi sur
les douanes - Une ordonnance enjoignant aux défenderesses
de faire témoigner des membres de leur direction contrevient-
elle à l'art. 11c) de la Charte? - Le seul argument suivant
lequel l'interrogatoire préalable contrevient prima facie à la
Charte repose sur la distinction qui veut que le membre de la
direction parle «au nom de» la compagnie à l'interrogatoire
préalable mais non au procès - L'art. 11c) s'applique car il
vise à la fois les affaires pénales et les affaires criminelles
La disposition des procédures de «confiscation présumée»
exigeant la tenue d'un interrogatoire préalable constitue une
limite raisonnable apportée au droit à la non-contraignabilité
énoncé à l'art. 11c) de la Charte, dont la justification peut se
démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique -
Il n'est pas prématuré de trancher une question portant sur la
Charte au stade de l'interrogatoire préalable - Règles de la
Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 465(1)6),(6),(8),
(9),(11), 494(9) - Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap.
C-40, art. 2, 22 (mod. par S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 32,
art. 2), 102, 160, 161, 180, 192, 248, 249 (mod. par S.R.C.
1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 64(2)), 250, 251, 252 (mod. par
S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 64(2)) - Loi sur la taxe
d'accise, S.R.C. 1970, chap. E-13, art. 58 — Charte cana-
dienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi
constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 7, 8, 11c),d),e)f),g),h),
13 — Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N-1, art. 10,
11 — Loi sur les contaminants de l'environnement, S.C. 1974-
75-76, chap. 72, art. 13(2) — Loi sur les pêcheries, S.R.C.
1970, chap. F-14, art. 58(2) — Loi sur la Cour fédérale,
S.R.C. 1970 (2 » Supp.), chap. 10, art. 3 — Loi sur l'immigra-
tion de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52 — Loi de l'impôt sur le
revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63 — Code criminel, S.R.C.
1970, chap. C-34.
On réclame aux défenderesses en vertu du paragraphe 180(2)
et de l'alinéa 192(2)a) de la Loi sur les douanes le versement
de droits de douane et de taxes non payés ainsi que le paiement
d'une somme pour la confiscation présumée de marchandises
qu'elles auraient omis de déclarer et qu'elles auraient passé en
contrebande au Canada et ce, en violation de la Loi.
La présente demande vise à obtenir que la Cour enjoigne aux
défenderesses de soumettre deux membres de leur direction à
un interrogatoire préalable.
Deux points ont été soulevés: 1) serait-il contraire à l'alinéa
11c) de la Charte d'ordonner aux membres de la direction de se
soumettre à un interrogatoire préalable? et 2) la règle de
common law portant que le tribunal ne peut ordonner la tenue
d'un interrogatoire préalable lorsqu'on réclame le paiement
d'amendes ou la confiscation de marchandises est-elle toujours
en vigueur et s'applique-t-elle à l'espèce?
Jugement: la demande devrait être accueillie.
Il est évident que la perpétration d'une infraction est en cause
dans la réclamation faite même si la Couronne a choisi d'invo-
quer la confiscation présumée plutôt que de procéder par voie
de déclaration sommaire de culpabilité ou par voie de mise en
accusation comme elle aurait pu le faire. Il est question d'in-
fractions au paragraphe 192(2) de la Loi, mot dont la définition
est suffisamment large pour englober les faits de l'espèce. On
ne peut pas qualifier la procédure de confiscation in rem des
marchandises. C'est le comportement des «auteurs de l'infrac-
tion» qui les assujettit à une «confiscation présumée». Et même
si les dispositions des articles 180 et 192 de la Loi concernant la
confiscation présumée prévoient le recours à une procédure
civile, il s'agit là d'un moyen par lequel une peine est imposée
pour la perpétration d'une infraction.
Au Canada, le privilège de common law qui habilitait un
témoin à refuser de répondre à des questions incriminantes, y
compris à celles qui pouvaient l'exposer à une peine ou à une
confiscation, a été aboli à l'échelle fédérale en 1893 et •a été
remplacé par ce qu'on appelle la protection contre l'emploi
ultérieur des témoignages. Aucune disposition législative
expresse ne renferme les règles de common law relatives aux
amendes et à la confiscation; au contraire, nos règles donnent
expressément droit à l'interrogatoire préalable et à la communi
cation de documents et ce droit est étendu. En fait, la Loi sur la
preuve au Canada a abrogé expressément les règles de common
law invoquées en l'espèce. Étant donné les règles de la Cour
fédérale applicables à l'interrogatoire préalable, une personne
interrogée au préalable est pour l'essentiel un témoin et l'article
5 de la Loi sur la preuve au Canada s'applique.
Il ressort de l'examen de l'historique de la législation anglaise
et canadienne que le défendeur dans une poursuite en confisca
tion intentée en vertu de la Loi sur les douanes serait contraint
de témoigner. On ne saurait donc invoquer le principe de la
non-contraignabilité pour prétendre, sur le fondement de la
common law, ne pas être soumis à un interrogatoire préalable.
Ce n'est pas la compétence de la Cour qui constitue le critère
approprié pour déterminer si l'alinéa 11c) de la Charte s'appli-
que à un cas particulier. La nature des procédures choisies ne
peut pas non plus, dans tous les cas, être déterminante. Même
si l'article 11 était censé s'appliquer principalement aux procé-
dures engagées devant les tribunaux ordinaires de juridiction
criminelle, il ne se limite pas expressément aux procédures
criminelles. En fait, il est question dans la note marginale qui
accompagne cet article, d'affaires criminelles et pénales. Il est
manifeste que la présente action est pénale.
Ce qui est plus important c'est que les articles 180 et 192
prévoient des méthodes parallèles pour obtenir le paiement des
amendes qu'on cherche à imposer: l'une est de nature crimi-
nelle, l'autre, civile. Mais les droits constitutionnels du défen-
deur ne peuvent dépendre de la procédure choisie par la
Couronne.
L'alinéa 11c) s'applique aux procédures engagées devant la
Cour fédérale, du moins en ce qui concerne la «confiscation
présumée». En l'espèce toutefois, la limite apportée au droit de
ne pas être contraint de témoigner a une justification qui peut
se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.
Elle fait partie d'un système d'imposition fondé sur la déclara-
tion volontaire et l'autocotisation. Elle satisfait aux critères
énoncés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Oakes: le
but est suffisamment important et les moyens sont raisonnable-
ment proportionnels aux objectifs recherchés.
Finalement, il n'est pas prématuré de trancher une question
portant sur la Charte, comme c'est le cas en l'espèce, au stade
de l'interrogatoire préalable.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Regina v. Fox et al. (1899), 18 P.R. 343 (C.A. Ont.);
R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; Allardice c. R., [1979]
1 C.F. 13 (1fe inst.); United States v. Bisceglia, 420 U.S.
141 (1975); Customs and Excise Comrs. v. Ingram,
[1948] 1 All E.R. 927 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Belhumeur v. Discipline Ctee. of Que. Bar Assn. (1983),
34 C.R. (3d) 279 (C.S. Qc); Re James, [1983] 2 W.W.R.
316 (C.S.C.-B.); R. v. Wigglesworth (1984), 11 C.C.C.
(3d) 27 (C.A. Sask.); Denton y John Lister Ltd, [1971] 3
All ER 669 (Q.B.D.); Rio Tinto Zinc Corpn. v. Westing-
house Electric Corpn., [1978] A.C. 547 (H.L.), infirmant
[1978] A.C. 553 (C.A.); Mexborough (Earl of) v. Whit-
wood Urban District Council, [1897] 2 Q.B. 111 (C.A.);
R. v. Mingo et al. (1982), 2 C.C.C. (3d) 23 (C.S.C.-B.);
R. v. Belcourt (1982), 69 C.C.C. (2d) 286 (C.S.C.-B.);
R. v. Boron (1983), 3 D.L.R. (4th) 238 (H.C. Ont.);
Caisse Populaire Laurier D'Ottawa Ltée v. Guertin et al.
(No. 2) (1983), 150 D.L.R. (3d) 541 (H.C. Ont.); R. c.
Taylor, [1985] 1 C.F. 331 (1re inst.); Cutter (Can.) Ltd. c.
Baxter Travenol Laboratories of Can. Ltd. (1984), 3
C.I.P.R. 143 (C.A.F.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Marun, Tvrtko Hardy v. The Queen, [1965] 1 R.C.É.
280; Blunt v. Park Lane Hotel, Ld., [1942] 2 K.B. 253
(C.A.); Martin v. Treacher (1886), 16 Q.B.D. 507
(C.A.); R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1
R.C.S. 295; R. v. Wooten (1983), 9 C.C.C. (3d) 513
(C.S.C.-B.); Bowen c. Ministre de l'Emploi et de l'Immi-
gration, [1984] 2 C.F. 507 (C.A.).
DECISIONS CITÉES:
R. v. Bureau, [1949] R.C.S. 367; Smith v. Coral, [1952]
3 D.L.R. 328 (H.C. Ont.); Dubois c. La Reine, [1985] 2
R.C.S. 350; Gosselin v. The King (1903), 33 R.C.S. 255;
Grevas v. R. (1956), 18 W.W.R. 412 (C.A.C: B.); Bart-
leman v. Moretti (1913), 4 W.W.R. 132 (C.S. Sask.);
Chambers v. Jaffray et al. (1906), 12 O.L.R. 377 (C.
div.); Klein v. Bell, [1955] R.C.S. 309; Ziegler c. Hunter,
[1984] 2 C.F. 608; (1984), 51 N.R. 1 (C.A.); Stickney v.
Trusz (1973), 16 C.C.C. (2d) 25 (H.C. Ont.); Attorney
General v. Radloff (1854), 10 Ex. 84; 156 E.R. 366; The
King v. Doull, [1931] R.C.É. 159; Russell c. Radley,
[1984] 1 C.F. 543 (1's inst.); R. v. Cohn (1984), 15
C.C.C. (3d) 150 (C.A. Ont.); Re Lazarenko and Law
Society of Alberta (1983), 4 D.L.R. (4th) 389 (B.R.
Alb.); R. v. Judge of the General Sessions of the Peace
for the County of York, Ex p. Corning Glass Works of
Canada Ltd. (1970), 3 C.C.C. (2d) 204 (C.A. Ont.),
autorisation de pourvoi refusée [1971] R.C.S. viii; R. v.
Paterson (N.M.) and Sons Ltd., [1979] 1 W.W.R. 5
(C.A. Man.).
AVOCATS:
Edward R. Sojonky, c.r. et Michael F. Cia-
vaglia pour la demanderesse.
Marc Noël et Guy Du Pont pour les
défenderesses.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
demanderesse.
Verchère, Noël & Eddy, Montréal, pour les
défenderesses.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE REED: La demanderesse s'adresse à la
Cour afin que celle-ci enjoigne aux sociétés défen-
deresses de soumettre deux membres de leur direc
tion à un interrogatoire préalable et ce, conformé-
ment à l'alinéa 465(1)b) et au paragraphe 465(8)
des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap.
663]. L'interrogatoire préalable concerne cinq
actions que la demanderesse a intentées contre les
défenderesses en vertu de la Loi sur les douanes,
S.R.C. 1970, chap. C-40.
À l'audition initiale de la présente requête, les
défenderesses ont soutenu qu'on ne devrait pas les
soumettre à un interrogatoire préalable parce que
cela contreviendrait à l'alinéa 11c) de la Charte
canadienne des droits et libertés [qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap.
11 (R.-U.)].
11. Tout inculpé a le droit:
c) de ne pas être contraint de témoigner contre lui-même
dans toute poursuite intentée contre lui pour l'infraction
qu'on lui reproche;
Cet argument a été présenté sans que l'avocat de
la partie adverse ou la Cour en soit avisé; c'est
pourquoi celle-ci a demandé aux deux parties de
présenter des plaidoiries écrites et leur a indiqué
que, si une fois les plaidoiries écrites échangées,
l'une ou l'autre des parties souhaitait faire des
observations orales au sujet de l'argument fondé
sur l'alinéa 11c), elle pourrait le faire. La Cour a
par la suite entendu cet argument.
Les défenderesses allèguent également que,
indépendamment de tout argument fondé sur la
Charte qui pourrait s'appliquer à l'espèce, il existe
une règle de common law portant qu'une cour ne
peut ordonner la tenue d'un interrogatoire préala-
ble lorsqu'on réclame le paiement d'amendes ou la
confiscation de marchandises, et que cette règle est
toujours en vigueur et s'applique au cas présent.
On a allégué au cours des procédures engagées
en vertu de la Loi sur les douanes et auxquelles les
cinq requêtes se rapportent que les défenderesses
ont importé des marchandises au Canada; qu'elles
étaient tenues de produire, pour les douanes, des
factures indiquant la juste valeur marchande des-
dites marchandises; qu'elles ont fourni à cet égard
de faux documents au ministère du Revenu natio
nal; qu'elles ont fait de fausses déclarations aux
douanes en ce qui concerne la juste valeur mar-
chande des marchandises et, subsidiairement,
qu'elles ont sous-évalué les marchandises et, par
conséquent, ont fraudé le Revenu en ne payant pas
les droits dus. Une action est donc intentée afin
d'obtenir le versement des droits de douane et des
taxes non payés et le paiement d'une somme pour
la présumée confiscation des marchandises:
droits 16 821 350,80 $
taxe de vente 12 770 989,58 $
valeur des marchandises 118 451 026,20 $
148 043 366,58 $
Dans une des cinq actions (T-707-84), on ne
réclame que les taxes et les droits non payés. On ne
demande pas qu'il y ait confiscation dans ce dos
sier; le délai de prescription applicable était déjà
expiré au moment où l'action a été intentée.
La réclamation des droits non payés repose sur
les articles 102' et 22 [mod. par S.R.C. 1970 (2'
Supp.), chap. 32, art. 2] de la Loi sur les douanes.
Suivant l'article 58 de la Loi sur la taxe d'accise,
S.R.C. 1970, chap. E-13, la taxe de vente applica
ble est incluse dans ces réclamations.
La confiscation présumée a été effectuée en
vertu des articles 180 et 192 de la Loi sur les
douanes. Le paragraphe 180(1) prévoit, en corré-
lation avec l'article 18, que toute personne ayant la
charge d'un véhicule arrivant au Canada ou toute
personne arrivant à pied au Canada doit se présen-
ter au bureau de douane le plus rapproché et faire
connaître par écrit la quantité et la valeur des
effets qu'elle importe. Si elle ne le fait pas, les
effets sont saisis. L'article 180 prévoit:
180. (1) Lorsque la personne ayant la charge ou garde de
quelque article mentionné à l'alinéa 18b) a omis de se confor-
mer à l'une des exigences de l'article 18, tous les articles
mentionnés à l'alinéa b) susdit et dont ladite personne a la
charge ou garde, sont acquis légalement et peuvent être saisis et
traités en conséquence.
' 102. Le véritable montant des droits de douane payable à
Sa Majesté, relativement à des marchandises importées au
Canada ou exportées du Canada, constitue, à compter du
moment où ces droits auraient dû être versés ou qu'il aurait dû
en être rendu compte, une dette due et payable à Sa Majesté,
conjointement et solidairement par le propriétaire des marchan-
dises, au moment de leur importation ou de leur exportation, et
par l'importateur ou l'exportateur de ces marchandises, suivant
le cas; et cette dette peut, en tout temps, être recouvrée, avec
frais de la poursuite, devant toute cour compétente; et toutes
marchandises importées ou exportées dans la suite par ledit
propriétaire sont assujetties à un privilège pour cette dette et la
douane peut empêcher la livraison tant que la dette n'a pas été
payée.
(2) Si les articles ainsi confisqués ou l'un d'entre eux ne sont
pas trouvés, le propriétaire au moment de l'importation, et
l'importateur et toute autre personne qui a eu de quelque façon
affaire avec l'importation illégale de ces articles sont passibles
d'une amende égale à la valeur des articles; et, que ces articles
soient trouvés ou non,
a) si la valeur, pour droits de douane, des articles est
au-dessous de deux cents dollars, ils sont passibles en outre,
sur déclaration sommaire de culpabilité devant deux juges de
paix, d'une amende d'au moins cinquante dollars et d'au plus
deux cents dollars, ou d'un emprisonnement d'au moins un
mois et d'au plus un an, ou de l'amende et de l'emprisonne-
ment à la fois; et
b) si la valeur, pour droits de douane, des effets est de deux
cents dollars ou plus, ils sont coupables d'un acte criminel et
passibles, sur déclaration de culpabilité, d'une amende d'au
plus mille dollars et d'au moins deux cents dollars, ou d'un
emprisonnement d'au plus quatre ans et d'au moins un an, ou
à la fois de l'amende et de l'emprisonnement. [C'est moi qui
souligne.]
Et l'article 192 est rédigé comme suit:
192. (1) Si quelqu'un
a) passe en contrebande ou introduit clandestinement au
Canada des marchandises, sujettes à des droits, d'une valeur
imposable inférieure à deux cents dollars;
b) dresse, ou passe ou tente de passer par la douane, une
facture fausse, forgée ou frauduleuse de marchandises de
quelque valeur que ce soit; ou
c) tente, de quelque manière de frauder le revenu en évitant
de payer les droits ou quelque partie des droits sur des
marchandises de quelque valeur que ce soit;
ces marchandises, si elles sont trouvées, sont saisies et confis-
quées, ou, si elles ne sont pas trouvées, mais que la valeur en ait
été constatée, la personne ainsi coupable doit remettre la valeur
établie de ces marchandises, cette remise devant être faite sans
faculté de recouvrement dans le cas de contraventions prévues à
l'alinéa a).
(2) En sus de toute autre peine dont elle est passible pour une
infraction de cette nature, cette personne,
a) doit remettre une somme égale à la valeur de ces mar-
chandises, laquelle somme peut être recouvrée devant tout
tribunal compétent; et
b) sur déclaration sommaire de culpabilité devant deux juges
de paix, est de plus passible d'une amende d'au plus deux
cents dollars et d'au moins cinquante dollars, ou d'un empri-
sonnement d'au plus un an et d'au moins un mois, ou à la fois
de l'amende et de l'emprisonnement. [C'est moi qui
souligne.]
L'article 2 de la Loi contient la définition
suivante:
2. (1) ...
«valeur» relativement à une amende, à une peine ou à une
confiscation imposée par la présente loi et basée sur la valeur
des marchandises ou articles, signifie la valeur à l'acquitté de
ces marchandises ou articles à la date où a été commise
l'infraction pour laquelle est encourue cette amende, cette
peine ou cette confiscation; [C'est moi qui souligne.]
Les droits, les taxes et un montant qui serait dû
à titre de confiscation sont tous trois réclamés par
voie d'une déclaration présentée à la Cour fédérale
conformément aux articles 249 [mod. par S.R.C.
1970 (2° Supp.), chap. 10, art. 64(2)] et 252
[mod., idem]:
249. (1) Outre tout autre recours prévu par la présente loi ou
par la loi et même s'il est prescrit que le contrevenant est ou
devient passible d'une amende ou confiscation après déclaration
sommaire de culpabilité, toutes les amendes et les confiscations
encourues sous le régime de la présente loi ou de toute autre loi
relative aux douanes, au commerce ou à la navigation, ainsi que
tous les frais de poursuite, peuvent être poursuivis, obtenus en
justice et recouvrés, devant la Cour fédérale du Canada ou
devant toute cour supérieure qui a juridiction dans la province
du Canada où la cause de la poursuite a pris naissance, ou dans
laquelle le défendeur a été assigné.
(2) Si le montant de l'amende ou la valeur des choses
confisquées n'excède pas la somme de deux cents dollars, ils
peuvent aussi être poursuivis, obtenus en justice et recouvrés
devant toute cour qui a juridiction, jusqu'à concurrence de cette
somme, dans l'endroit où la cause de la poursuite a pris
naissance, ou dans celui où le défendeur a été assigné.
252. Toute poursuite ou action devant la Cour fédérale du
Canada, ou devant une cour supérieure ou cour compétente,
pour le recouvrement de toute amende ou l'opération de toute
confiscation, imposées par la présente loi ou par toute autre loi
relative aux douanes, au commerce ou à la navigation, peut être
commencée, poursuivie et continuée conformément à toutes
règles de pratique, générales ou spéciales, établies par la cour
pour les poursuites de la Couronne en matière de revenu, ou
conformément à la pratique et à la procédure ordinaires de la
cour dans les causes civiles, en tant que cette pratique et cette
procédure sont applicables, et, lorsqu'elles ne le sont pas,
conformément aux ordres de la cour ou d'un juge.
La demanderesse affirme que les cinq actions
constituent des procédures de recouvrement de
sommes dues par les défenderesses et, par consé-
quent, qu'il s'agit de procédures civiles. En revan-
che, les défenderesses allèguent que les actions en
confiscation sont de nature pénale et quasi
criminelle.
Nature de la réclamation
Je ne pense pas qu'on puisse contester que la
perpétration d'une infraction est en cause dans la
réclamation faite. Tout comme l'article d'interpré-
tation de la Loi, le paragraphe 192(2) qualifie
d'infraction l'acte donnant lieu à la confiscation.
La Couronne doit prouver tous les mêmes éléments
aux fins de ces procédures, comme elle devrait le
faire si elle réclamait seulement la confiscation en
vertu du paragraphe 180(2) et de l'alinéa 192(2)a)
respectivement (sous réserve de ce que je dirai plus
loin au sujet du fardeau de la preuve), et comme
elle devrait également le faire pour obtenir une
déclaration sommaire de culpabilité en vertu de
l'alinéa 180(2)a), une inculpation pour un acte
criminel en vertu de l'alinéa 180(2)b) ou une
déclaration sommaire de culpabilité en vertu de
l'alinéa 192(2)b). L'espèce ne se compare pas aux
affaires Belhumeur v. Discipline Ctee. of Que. Bar
Assn. (1983), 34 C.R. (3d) 279 (C.S. Qc); Re
James, [1983] 2 W.W.R. 316 (C.S.C.-B.) ou R. v.
Wigglesworth ( 1984), 11 C.C.C. (3d) 27 (C.A.
Sask.). On pouvait affirmer dans ces affaires que
le seul acte en cause avait eu plus d'une consé-
quence juridique: par exemple, la violation du
devoir d'une personne envers l'État, une cause
d'action privée à l'égard de la personne blessée, la
violation des devoirs imposés à une personne par sa
charge ou sa profession. Il n'existe pas de telles
violations indépendantes les unes des autres au
paragraphe 180(2) et à l'alinéa 192(2)a). La con
fiscation et les procédures de déclaration sommaire
de culpabilité ou de mise en accusation forment un
seul bloc. Ces articles prévoient pour les infrac
tions qu'ils visent des peines alternatives qui peu-
vent devenir cumulatives. On peut par exemple
comparer ces dispositions à celles de la Loi sur les
stupéfiants 2 qui prévoient la confiscation.
Qui plus est, il faut immédiatement souligner
que si la Couronne avait procédé par voie de
déclaration sommaire de culpabilité conformément
aux alinéas 180(2)a) ou 192(2)b), qui prévoient le
paiement d'une amende de deux cents dollars, ou
par voie de mise en accusation conformément à
l'alinéa 180(2)b), qui prévoit une amende de mille
dollars, il ne ferait aucun doute que la garantie
prévue à l'alinéa 11c) de la Charte s'appliquerait.
De toute manière, la demanderesse n'a pas eu
recours à ces dispositions de la Loi sur les doua-
nes. Invoquant une confiscation présumée, elle a
eu recours au paragraphe 180(2) et à l'alinéa
2 À titre d'exemple d'articles comparables aux dispositions de
la Loi sur les douanes, voir les articles 10 et 11 de la Loi sur les
stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N-1, le paragraphe 13(2) de la
Loi sur les contaminants de l'environnement, S.C. 1974-75-76,
chap. 72 et le paragraphe 58(5) de la Loi sur les pêcheries,
S.R.C. 1970, chap. F-14; il faut toutefois noter que ces disposi
tions lient directement la confiscation à la condamnation par
voie de déclaration sommaire de culpabilité ou par mise en
accusation.
192(2)a) et a réclamé, comme je l'ai déjà dit plus
haut, une somme de 118 451 026,20 $ plus les
droits et les taxes dus.
Les droits et les taxes non payés découlent de
l'importation elle-même et constituent une dette
exigible, mais ce n'est pas le cas des sommes
réclamées au titre de la «confiscation présumée».
Celle-ci est manifestement une peine infligée pour
un comportement coupable; il s'agit d'une peine
imposée à «la personne ainsi coupable» (dans le
texte anglais «the person so offending») 3 ; il ne
s'agit pas d'une réclamation découlant du non-
paiement de droits et de taxes comme ce serait le
cas, par exemple, de la réclamation d'un intérêt.
Dans l'affaire Belhumeur, précitée, le juge
Hugessen a examiné des définitions en français et
en anglais du terme «infraction» («offence»). Pour
ce qui est des définitions anglaises, il était d'avis
que le terme «offence» (infraction) dans la Charte
était réservé au «délit public puni par l'état» (page
283). Même s'il a conclu que la violation d'une
règle d'éthique ne constituait pas une infraction
aux fins de l'article 11, il a invoqué aux pages 283
et 284 de sa décision la définition qu'on trouve
dans Wharton's Law Lexicon, 14e éd. (1938):
[TRADUCTION] Infraction ... Ce mot est utilisé comme
terme générique pour désigner tout acte criminel et tout acte
délictuel, ou comme terme spécifique pour désigner non pas un
acte criminel mais un acte punissable par déclaration sommaire
de culpabilité ou par paiement d'une amende.
À mon avis, les faits de l'espèce sont visés par cette
définition.
On a cherché à qualifier la procédure de confis
cation in rem des marchandises. Mais tel n'est pas
le cas. Cette procédure ne revêt aucune des carac-
téristiques d'une confiscation in rem. On prend
habituellement ce genre de mesure à l'égard des
marchandises sans tenir compte de l'identité et du
comportement de leur propriétaire ni de sa partici
pation à l'activité proscrite 4 . Il n'en a pas été ainsi
en l'espèce. C'est l'identité ou le comportement du
propriétaire, de l'importateur ou de toute autre
personne qui assujettit ces derniers à une confisca
tion présumée en application du paragraphe
180(2). Et c'est le comportement du propriétaire
Paragraphe 192(2).
° Voir l'affaire Denton y John Lister Ltd, [1971] 3 All ER
669 (Q.B.D.).
ou de tout autre individu accusé d'avoir contrevenu
au paragraphe 192(1) qui assujettit cette personne
à une «confiscation présumée». Toute personne qui
a commis l'infraction, qu'elle soit propriétaire ou
non des marchandises ou qu'elle les ait eues ou non
en sa possession au moment de l'infraction, doit
«remettre» la somme établie. À mon avis, l'expres-
sion «confiscation présumée» désigne tout simple-
ment une amende imposée à la personne reconnue
coupable de l'infraction décrite au paragraphe
192(1).
Les termes du paragraphe 180(2) sont peut-être
moins clairs que ceux des alinéas 192(1)b) et c)
quant à savoir si une infraction doit avoir été
commise; le paragraphe 180(2) semble en effet
frapper d'une confiscation présumée chaque per-
sonne qui a «eu de quelque façon affaire avec
l'importation illégale» des articles mais il ne men-
tionne pas expressément qu'il doit y avoir eu
infraction. La portée même de ce paragraphe sou-
lève, pour d'autres motifs que ceux qui ont été
invoqués en l'espèce, une foule de questions quant
à sa constitutionnalité. On peut se demander, par
exemple, s'il n'est pas inconstitutionnel parce qu'il
contrevient à l'article 7 ou à l'article 8 de la
Charte. De toute manière, ces considérations ne
font pas l'objet du présent litige et, selon moi, les
termes exigeant que la personne frappée d'une
confiscation présumée soit une personne qui a eu
de quelque façon «affaire avec l'importation illé-
gale» indiquent que ladite confiscation constitue
une amende imposée en raison de la perpétration
d'une infraction. Dans le texte français, on parle
de la remise «[d']une amende égale à la valeur des
articles» («forfeit a sum equal to the value of the
articles»).
On allègue que la demande de confiscation cons-
titue une procédure de recouvrement de dettes
parce que: 1) la confiscation est automatique lors-
que l'importation de marchandises viole la Loi sur
les douanes; 2) ces marchandises deviennent
immédiatement propriété de la Couronne; 3) une
dette pécuniaire est ainsi créée et 4) les actions
intentées sont des procédures civiles visant à recou-
vrer une telle somme ainsi déterminée qui serait
due à la Couronne. Cette argumentation repose
sur les commentaires du juge Cattanach dans l'af-
faire Marun, Tvrtko Hardy v. The Queen, [ 1965]
1 R.C.É. 280, à la page 295:
[TRADUCTION] La confiscation prévue aux articles 178 et
183 est automatique et se produit dès qu'il y a importation
illégale au sens de l'alinéa 2(1)q) de la Loi sur les douanes qui
porte:
2.(1) Dans la présente loi ou toute autre loi relative aux
douanes, l'expression
q) «saisi et confisqué», «passible de confiscation» ou toute
autre expression qui pourrait par elle-même impliquer
la nécessité d'un acte quelconque postérieur à l'infrac-
tion, en vue d'opérer la confiscation, ne doit pas
s'interpréter comme rendant cet acte postérieur néces-
saire, mais la confiscation résulte du fait même de
l'infraction à l'égard de laquelle la peine de confisca
tion est imposée, à compter du moment où l'infraction
est commise;
La confiscation n'est pas le fait d'un acte des autorités
douanières ou des fonctionnaires du Ministère; elle est la
conséquence juridique inévitable de l'importation illégale des
marchandises par le fournisseur, Marun. Les marchandises sont
devenues dès lors propriété de la Couronne et la confiscation ne
peut être annulée par aucun fonctionnaire de la Couronne. Par
conséquent, toute irrégularité qui pourrait exister dans les avis
ou dans la procédure suivie par le Ministère sous le régime des
articles 150 et 158 est sans importances. [C'est moi qui
souligne.]
Je ne suis pas convaincue que cette analyse soit
de quelque utilité pour la demanderesse. L'alinéa
invoqué par le juge Cattanach, l'alinéa 2(1)q),
indique clairement que la confiscation résulte
d'une infraction décrite à l'article 192 et frappe la
personne qui l'a commise. Je ne crois pas que le
fait de qualifier de «dette» la somme qui serait
ainsi due soit utile pour la demanderesse. Il me
semble qu'on pourrait également affirmer que la
peine imposée à une personne par suite de sa
condamnation pour une infraction par les cours
criminelles est une dette envers la Couronne.
Il est essentiel pour bien comprendre les présen-
tes procédures de faire l'historique des dispositions
législatives relatives aux douanes. La Loi sur les
douanes trouve manifestement son origine dans les
lois sur les douanes et les lois sur la navigation du
Royaume-Uni, antérieures à la confédération.
Dans ce contexte, il n'était pas nécessaire de quali
fier de criminelles ou de civiles les dispositions de
ces lois. C'est la Cour de l'Échiquier qui faisait
respecter les lois sur les douanes (et les lois sur la
navigation) afin de protéger les revenus du Souve-
Voir aussi R. v. Bureau, [1949] R.C.S. 367; Allardice c. R.,
[1979] 1 C.F. 13 (P» inst.); Smith v. Goral, [1952] 3 D.L.R.
328 (H.C. Ont.).
rain. Les actions en confiscation étaient intentées
devant la Cour de l'Échiquier par le dépôt d'une
dénonciation au civil soit par un procureur de la
Couronne soit par un particulier poursuivant en
son nom et en celui de l'État 6 ; il s'agissait de
procédures in personam ou in rem suivant le texte
législatif en cause ou la nature de la saisie. La
«procédure devant la Cour de l'Échiquier» qui
consistait à poursuivre une personne, en ayant
recours à une procédure civile, pour un acte qui
constituait essentiellement une infraction pénale a
tout simplement été exportée de ce côté de l'Atlan-
tique et, avant la création de la confédération, est
devenue partie intégrante des lois préconfédérati-
ves des colonies qui se sont finalement unies pour
former le Canada.
Je souligne encore une fois que l'espèce ne con-
cerne pas une confiscation «in rem» où, par exem-
ple, des effets ou des véhicules sont saisis au
moment où ils franchissent la frontière et où on
pourrait affirmer que les effets [TRADUCTION]
«parlent par eux-mêmes». L'article 160 de la Loi
sur les douanes prévoit que, lorsqu'il y a une
confiscation, un agent de douanes en fait rapport
au Ministre. En l'espèce, il s'agit d'un rapport
d'enquête indiquant que des droits ont été payés
sur le fondement de fausses factures, et exigeant le
paiement des droits et taxes dus ainsi que le verse-
ment par les défenderesses d'un montant égal à la
valeur des marchandises. Conformément à l'article
6 La capacité des particuliers d'engager une poursuite leur a
été retirée dès 1859; l'article 250 de l'actuelle Loi sur les
douanes continue cet état de choses:
250. Toutes les amendes et confiscations imposées par la
présente loi ou par toute autre loi concernant les douanes, le
commerce ou la navigation, à moins qu'il ne soit établi
d'autres dispositions pour leur recouvrement, sont poursui-
vies, obtenues en justice et recouvrées, avec dépens, par le
procureur général du Canada, ou aux nom ou noms du
sous-ministre ou d'un préposé ou de préposés, ou d'une autre
personne ou d'autres personnes à ce autorisées par le gouver-
neur en conseil, soit expressément, soit par règlement ou
décret général, et par nulle autre personne. [C'est moi qui
souligne.]
Voir l'ouvrage de L. A. Harper intitulé English Navigation
Laws (1964), qui décrit cette procédure aux pp. 111 à 113. Je
souligne que la jurisprudence américaine semble avoir insisté
sur le fait que la distinction entre les confiscations in rem et les
confiscations in personam est importante pour les fins constitu-
tionnelles de cette juridiction: voir J. R. Maxeiner, Bane of
American Forfeiture Law—Banished at Last? (1977), 62 Cor-
nell L. Rev. 768.
161, le Ministre avise ensuite «l'individu censé
avoir encouru l'amende ou la confiscation». Il n'est
pas nécessaire d'examiner le reste de la procédure
prévue aux articles 161 et suivants. Il suffit de dire
que la Couronne intente finalement une action
devant la Cour pour obtenir des défenderesses le
paiement des sommes réclamées pour le motif
qu'elles ont sous-évalué les marchandises, fraudé le
revenu, etc. Comme je l'ai déjà dit, il est clair que
les dispositions des articles 180 et 192 de la Loi sur
les douanes concernant la confiscation présumée
prévoient l'imposition d'une peine en cas de perpé-
tration d'une infraction et ce, par le biais d'une
procédure civile.
Common law—Privilège accordant une protection
contre l'auto-incrimination
Mis à part les arguments fondés sur la Charte,
les défenderesses prétendent qu'on ne peut les
soumettre à un interrogatoire préalable parce qu'il
existe une règle de common law qui prévoit que les
cours n'autorisent pas la tenue d'un interrogatoire
préalable dans les cas où l'on réclame une amende
ou une confiscation. Elles fondent cet argument
sur la décision rendue dans l'affaire Rio Tinto
Zinc Corpn. v. Westinghouse Electric Corpn.,
[1978] A.C. 547 (H.L.), infirmant [1978] A.C.
553 (C.A.), en particulier les commentaires de
lord Denning de la Cour d'appel à la page 563, et
sur la décision rendue dans l'affaire Mexborough
(Earl of) v. Whitwood Urban District Council,
[1897] 2 Q.B. 111 (C.A.).
Les commentaires pertinents de lord Denning
dans l'affaire Rio Tinto Zinc (qui concernait la
tentative d'un tribunal américain d'obtenir d'une
société du Royaume-Uni qu'elle fournisse des
documents et qu'elle réponde à un interrogatoire
préalable relativement à l'existence alléguée d'un
cartel de l'uranium) sont les suivants [à la page
563]:
[TRADUCTION] Il existe dans ce pays une règle interdisant
l'auto-incrimination. La common law reconnaît depuis des siè-
cles qu'une personne n'est pas tenue de répondre à une question
qui peut lui faire encourir une peine, une amende ou une
confiscation. Aux États-Unis, le Cinquième Amendement con-
fère à l'individu (et non à une compagnie) un privilège en vertu
duquel il n'est pas obligé de répondre aux questions qui peuvent
l'incriminer.
Examinons d'abord la position des tribunaux anglais. Cette
question a été examinée dans une décision récente, Comet
Products U.K. Ltd. v. Hawkex Plastics Ltd., [1971] 2 Q.B. 67.
À la p. 73, j'ai cité le lord juge Bowen qui a dit dans Redfern v.
Redfern [1891] P. 139, à la p. 147:
«Suivant un des principes enracinés du droit anglais, on ne
peut contraindre une partie à répondre à un interrogatoire
préalable si ses réponses tendent à l'exposer à une peine, à
une amende, à une confiscation ... "nul n'est tenu de
s'incriminer".»
C'est ce privilège qui a prévalu en Angleterre jusqu'à une
enquête du Comité de réforme du droit [Law Reform Commit
tee], 16» rapport en 1967 (Cmnd. 3472). Le Comité a recom-
mandé que ce privilège soit aboli en ce qui concerne la confisca
tion. Cette recommandation a été confirmée dans l'affaire Earl
of Mexborough v. Whitwood Urban District Council [1897] 2
Q.B. 111. Le privilège a été expressément aboli, par l'alinéa
16(1)a) de la Civil Evidence Act 1968.
L'affaire Mexborough portait sur la résiliation
d'un bail pour violation de l'une de ses clauses. La
Cour d'appel a refusé de permettre la production
de documents ou de procéder à des interrogatoires.
Lord Esher, maître des rôles, a dit en prononçant
les motifs de sa décision, aux l pages 114 et 115:
[TRADUCTION] Je pense qu'il existe deux règles de droit qui
font partie depuis toujours de la common law anglaise et que
les cours, qu'il s'agisse de cours de justice ou de cours d'equity,
reconnaissent comme telles; en outre, aucune loi n'a jamais
abrogé les droits que confèrent ces règles. Suivant la première
règle, lorsqu'un indicateur [common informer] intente une
action en vue de faire rentrer une amende, les procédures
judiciaires ne lui seront d'aucune utilité; je crois qu'une règle
semblable a été établie et suivie depuis le tout début en ce qui a
trait aux actions intentées pour obtenir la déchéance d'un droit
foncier. Il ne fait aucun doute que ce sont des règles de
procédure, mais il s'agit de beaucoup plus que cela: ce sont des
règles destinées à protéger les biens des personnes et à protéger
celles-ci contre les indicateurs. On a longuement cherché à
expliquer l'existence de ces règles; mais cela n'indique pas
quelles sont ces raisons et s'il s'agit de règles reconnues qui
existent depuis des temps immémoriaux. Les raisons de leur
existence ont toutefois été énoncées à plusieurs reprises. On a
allégué que les cours n'aideraient pas le demandeur dans une
action visant à recouvrer une amende parce qu'il s'agit d'une
poursuite criminelle. Mais ce n'est pas le cas. Il n'y a pas de
poursuite criminelle. Une action visant à recouvrer une amende
est une poursuite civile tout comme une action intentée pour
obtenir une confiscation. On fait souvent appel à ce sujet à la
règle qui permet à un témoin d'éviter d'avoir à répondre aux
questions qui peuvent tendre à l'incriminer, mais celle-ci n'a
vraiment rien à voir avec les deux règles que je viens de
mentionner. [C'est moi qui souligne.]
À mon avis, ni l'affaire Rio Tinto Zinc ni
l'affaire Mexborough ne s'appliquent au Canada
parce que l'historique de nos lois sur la preuve
diffère de celui des lois du Royaume-Uni. Au
Canada, le privilège de common law qui habilitait
un témoin à refuser de répondre à des questions
incriminantes, y compris à celles qui pouvaient
l'exposer à une peine ou à une confiscation 8 , a été
aboli à l'échelle fédérale en 1893. On l'a remplacé
par ce qu'on appelle souvent la protection contre
l'emploi ultérieur des témoignages 9 . L'article 5 de
l'Acte de la preuve en Canada, 1893 [S.C. 1893,
chap. 31], qui a précédé la loi actuelle, portait:
5. Personne [témoin] ne sera exempté de répondre à aucune
question pour le motif que la réponse à cette question pourrait
tendre à l'incriminer, ou pourrait tendre à établir sa responsabi-
lité dans une poursuite civile à l'instance de la Couronne ou de
qui que ce soit; néanmoins, nul témoignage ainsi rendu ne
pourra être utilisé ou ne sera admissible comme preuve contre
cette personne dans aucune poursuite criminelle intentée
ensuite contre elle, sauf dans une poursuite pour parjure
commis en rendant ce témoignage.
Il n'existe aucune disposition comparable dans les
lois du Royaume-Uni. En fait, c'est plutôt le con-
traire. Lorsque la Evidence Act de 1851 [An Act
to amend The Law of Evidence, 1851, 14 & 15
Vict., chap. 99 (R.-U.)] a modifié, au Royaume-
Uni, la règle de common law suivant laquelle les
parties n'étaient pas aptes à témoigner ni ne pou-
vaient être contraintes à le faire dans des procédu-
res civiles, le droit d'un témoin de ne pas être
contraint à répondre à des questions incriminantes
a été expressément maintenu dans la loi:
[TRADUCTION] II. À l'instruction d'un litige ... les parties
en cause . .. sont ... aptes à témoigner et peuvent y être
contraintes ...
III. Rien aux présentes ... ne permet de contraindre une
personne à répondre à toute question qui pourrait l'incriminer
... [C'est moi qui souligne.]
Et lorsque des personnes accusées dans des pour-
suites criminelles devenaient aptes à témoigner,
l'immunité qui les protégeait contre l'obligation de
témoigner était préservée par la loi.
Il faut souligner que la loi canadienne semble
faire une distinction entre les réponses qui peuvent
tendre à «incriminer» une partie et celles qui ten-
dent à établir sa responsabilité dans une procédure
civile (amendes et confiscations), alors que les lois
du Royaume-Uni emploient le terme «incriminer»
dans un sens plus large qui inclut la responsabilité
8 Ce qui a été décrit dans la loi comme la «responsabilité dans
une poursuite civile à l'instance de la Couronne ou de qui que
ce soit».
On trouve un renvoi récent à cette immunité dans la
décision dissidente du juge McIntyre dans l'arrêt Dubois c. La
Reine, [1985] 2 R.C.S. 350, aux pp. 376 et 377).
pour une condamnation au criminel, l'imposition
d'amendes et la confiscation 10 . Le lord juge God-
dard a dit dans Blunt v. Park Lane Hotel, Ld.,
[1942] 2 K.B. 253 (C.A.), à la page 257:
[TRADUCTION] ... la règle veut que personne ne soit obligé de
répondre à une question si, de l'avis du juge, la réponse à
celle-ci tend à exposer le déposant à une accusation criminelle,
à une amende, ou à une confiscation, qui, selon le juge,
donnerait vraisemblablement lieu à un acte d'accusation ou à
une poursuite.
Il faut donc se demander si, malgré l'abolition
dans notre droit du privilège accordé à une per-
sonne de refuser de répondre à des questions qui
l'incriminent ou qui tendent à établir sa responsa-
bilité civile, il existe, comme le prétendent les
défenderesses, un fondement indépendant lui con-
férant le droit de refuser de se soumettre à un
interrogatoire préalable. Il est difficile de répondre
à cette question parce qu'il n'est pas facile de
déterminer l'origine et la portée des règles régle-
mentant les interrogatoires préalables. Comme je
l'ai déjà souligné, lord Esher a déclaré dans l'af-
faire Mexborough (qui concernait la résiliation
d'un bail) que ces règles n'avaient rien à voir avec
le principe protégeant une personne contre l'auto-
incrimination. Qui plus est, il a conclu que ces
règles s'appliquaient lorsque le demandeur cher-
chait à obtenir la déchéance d'un droit foncier ou
intentait une action en vue de recouvrer une péna-
lité à titre d'indicateur. (Aucune de ces conditions
n'est pertinente en l'espèce.) Dans l'affaire Martin
v. Treacher (1886), 16 Q.B.D. 507 (C.A.), où le
demandeur réclamait, à titre d'indicateur, des
amendes contre le défendeur en vertu de la The
Public Health Act, 1875, [38 & 39 Vict., chap. 55
(R.-U.)], lord Esher, maître des rôles, a toutefois
refusé de permettre l'interrogatoire du défendeur
et, commentant les motifs de cette décision, il a dit
aux pages 511 et 512:
1 » Ce n'est pas la seule différence terminologique qui rend
difficile une étude comparative de l'évolution du droit dans ces
deux pays. Les lois du Royaume-Uni font une distinction très
nette entre la capacité de témoigner et la contraignabilité:
l'article 2 de la Evidence Act de 1851 porte que [TRADUCTION]
«les parties .. sont aptes à témoigner et peuvent y être
contraintes» et l'article 3 ajoute que [TRADUCTION] «Rien aux
présentes ne permet de rendre apte ou contraignable à témoi-
gner ... une personne qui, dans une procédure criminelle, est
accusée...» Voir aussi la Criminal Evidence Act, 1898 [61 &
62 Vict., chap. 36 (R.-U.)], plus loin à la p. 26. L'article 3 de
notre loi [Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap.
E-10] ne contient que l'énoncé énigmatique suivant, «Nul n'est
inhabile ...». Mais voir aussi l'arrêt Gosselin v. The King
(1903), 33 R.C.S. 255, la p. 276 et Schiff, Evidence in the
Litigation Process, 2' éd., (1983), la p. 171.
[TRADUCTION] Les motifs donnés semblent pour l'essentiel se
résumer à ceci: même si l'amende ne constitue pas en droit
strict une sanction pénale, l'action n'en demeure pas moins une
accusation criminelle contre le défendeur; il est évident dans un
tel cas qu'il s'agit d'une recherche à l'aveuglette, le demandeur
intentant tout d'abord son action et cherchant ensuite, en
interrogeant le défendeur, à obtenir les éléments nécessaires
pour la justifier; et, comme l'action avait pour but de faire en
sorte qu'une sanction pénale soit imposée au défendeur, il serait
scandaleux de permettre au demandeur d'intenter son action à
partir d'hypothèses et ensuite, tout en admettant qu'il ne
possède pas les éléments requis pour fonder son action, de
demander au défendeur de fournir ces éléments de preuve par
son témoignage et ainsi de s'incriminer.
Et le juge Lopes a dit, à la page 514:
[TRADUCTION] Je crois que le véritable principe applicable est
le suivant: lorsqu'on intente une action dans le seul but d'appli-
quer des sanctions, il n'y a pas lieu de procéder à des interroga-
toires car l'action constitue une procédure criminelle ...
À la page 276 de son ouvrage intitulé Evidence
(5e éd., 1979), Cross estime que le principe suivant
lequel l'equity n'est d'aucune utilité à l'indicateur
est à l'origine des règles de l'interrogatoire préala-
ble concernant les amendes. À son avis, la règle
concernant les confiscations découle du principe
suivant lequel on ne peut, en vertu de l'equity,
permettre la communication préalable ni ordonner
la tenue d'interrogatoires pour faciliter la confisca
tion d'un bien. Le rapport du Comité de réforme
du droit (Law Reform Committee) que lord Den-
ning a mentionné dans l'affaire Rio Tinto Zinc,
précitée aux pages 17 et 18, ne nous éclaire pas
beaucoup plus sur l'origine de ces règles. Il indique
(paragraphe 13) que la règle relative aux amendes
n'a que peu d'importance pratique de nos jours et
que (paragraphe 14) la règle concernant les confis
cations est un héritage historique montrant com-
bien il répugne à l'equity de faciliter la confisca
tion d'un bien. On a recommandé d'abroger cette
règle (ce qui a été fait) parce que les cours sont
maintenant habilitées à accorder un redressement
contre la confiscation dans la plupart des cas. On y
indique également que ces règles découlent du
principe que la Cour de la Chancellerie ne permet-
trait un interrogatoire préalable que pour faciliter
les procédures devant les cours de common law
dans les actions portant sur des droits civils et non
dans les actions se rapportant à une mise en accu
sation ou une dénonciation: Wigram, Points in the
Law of Discovery (1840), aux pages 5, 79 85; 8
Wigmore, Evidence § 2256 (McNaughton rev.
1961), aux pages 334 à 336. L'ouvrage de
Meagher, Gummow et Lehane, intitulé Equity
Doctrines and Remedies (2 e éd., 1984), expose ces
règles d'equity aux pages 418 et suivantes.
Je ne pense pas qu'on devrait considérer que ces
[TRADUCTION] «curieuses règles», telles qu'on les
a qualifiées ", relatives à l'interrogatoire préalable
existent indépendamment des principes concernant
l'auto-incrimination par ailleurs reconnus par le
droit canadien (fédéral ou provincial selon le cas).
Il en est ainsi non seulement parce que les lois sur
les règles de la preuve diffèrent dans les deux
juridictions mais aussi parce que les règles de
pratique quant à l'interrogatoire préalable et à la
communication de documents sont différentes. Je
souligne par exemple que l'ordonnance 24, règle
2(3) des Rules of the Supreme Court (Revision)
1965 [S.I. 1965/1776] prévoyait expressément,
avant la modification apportée par la Civil Évi-
dence Act, 1968 [1968, chap. 64 (R.-U.)], que
cette cour n'ordonnerait pas la communication
préalable de documents afin d'obliger
[TRADUCTION] le défendeur à une action en recouvrement
d'une amende due en vertu d'une disposition législative quel-
conque à communiquer des documents, ou afin de forcer le
défendeur à une action intentée en vue d'obtenir l'exécution
d'une confiscation à communiquer tout document se rapportant
à cette question de la confiscation.
De toute manière, s'il existe aux fins d'un procès
une règle concernant le privilège contre l'auto-
incrimination ou un autre privilège, les règles rela
tives à l'interrogatoire préalable devraient s'y con-
former. Mais en l'absence d'une règle applicable à
l'étape du procès et limitant l'obligation de fournir
des éléments de preuve, je ne vois pas pourquoi une
règle relative à l'interrogatoire préalable devrait
s'appliquer isolément et fournir une protection ou
un privilège plus étendu, à moins qu'une disposi
tion législative expresse ou une règle de pratique
ne le prévoie. Aucune disposition législative
expresse renfermant les règles de common law
relatives aux amendes et à la confiscation ne s'ap-
plique comme le prétendent les défenderesses. Au
contraire, nos règles donnent expressément droit à
l'interrogatoire préalable et à la communication de
documents et il s'agit d'un droit étendu. À mon
avis, ce sont ces dispositions expresses qui
s'appliquent.
" Grevas v. R. (1956), 18 W.W.R. 412 (C.A.C.-B.), à la p.
414.
En outre, l'article 5 de la Loi sur la preuve au
Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, a pour effet
d'abroger expressément les règles de common law
invoquées en l'espèce. La Loi s'applique «à toutes
les procédures criminelles et à toutes les procédu-
res civiles, ainsi qu'à toutes les autres matières de
la compétence du Parlement du Canada»
(article 2). Il est clair que les procédures d'interro-
gatoire préalable engagées en vertu des Règles de
la Cour fédérale dans une action en matière de
douanes intentée devant la Cour fédérale sont
visées par cette définition. Comme je l'ai déjà dit,
l'article 5 abroge le privilège conféré par la
common law qui permet à une personne de refuser
de répondre à des questions pour le motif qu'elles
tendent à l'incriminer ou à établir sa responsabilité
dans des procédures civiles (c'est-à-dire qu'elles
l'exposent à une amende et à la confiscation).
Selon moi, il importe peu que les règles relatives à
l'interrogatoire préalable reposent sur le privilège
du témoin de refuser de répondre à des questions
parce qu'elles l'incriminent ou sur une autre source
indépendante de l'equity' 2 , car elles ont été expres-
sément abolies par les articles 5 et 2. Telle fut
l'opinion exprimée à la majorité par la Cour d'ap-
pel de l'Ontario dans l'affaire Regina v. Fox et al.
(1899), 18 P.R. 343 13 , et j'estime qu'elle est
convaincante.
Un point de vue différent a été adopté dans
l'affaire Grevas v. R. (1956), 18 W.W.R. 412
(C.A.C.-B.). Même si la Cour d'appel de la
Colombie-Britannique a conclu à l'existence des
règles relatives à l'interrogatoire préalable, elle a
statué qu'elles ne s'appliquaient pas aux faits de
l'espèce.
La portée de l'article 5 de la Loi sur la preuve
au Canada soulève quelque incertitude dans la
mesure où cet article se rapporte aux règles de
common law concernant l'interrogatoire préalable
dans les cas de confiscation parce que ledit article
12 Au Royaume-Uni, il semble évident qu'elles ne reposaient
sur aucune règle concernant la non-contraignabilité. Cross dans
son ouvrage sur la preuve et le rapport du Comité de réforme
du droit (précité à la p. 21) lient les deux au privilège du
témoin de refuser de répondre à des questions. J'ai cependant
examiné la question de la contraignabilité aux p. 25 et
suivantes.
13 Dans Bartleman v. Moretti (1913), 4 W.W.R. 132 (C.S.
Sask.), la cour a adopté le même raisonnement et l'a appliqué à
la Evidence Act de la Saskatchewan [The Evidence Act, R.S.S.
1909, c. 60].
s'applique aux «témoins». On a déjà affirmé que
lorsqu'elles sont interrogées, les parties ne sont pas
des «témoins»: voir le jugement dissident du juge
Rose dans Regina v. Fox et al. (1899), 18 P.R.
343 (C.A. Ont.), à la page 357. Il semble en même
temps que cette question soit clairement résolue
lorsque la règle de pratique applicable prévoit que
la personne qui est interrogée au préalable doit
témoigner [TRADUCTION] «de la même manière,
aux mêmes conditions et sous réserve des mêmes
règles qui s'appliquent à l'interrogatoire d'un
témoin». Dans un tel cas, l'article 5 de la Loi sur la
preuve au Canada s'applique et il n'existe aucun
privilège permettant de refuser de répondre aux
questions posées pour le motif qu'elles pourraient
être incriminantes (ou engager la responsabilité
civile de la personne): Chambers v. Jaffray et al.
(1906), 12 O.L.R. 377 (C. div.), en particulier le
juge en chef Mulock à la page 380 et le juge en
chef Meredith (C.A.) aux pages 381 et 382. Dans
l'arrêt Klein v. Bell, [1955] R.C.S. 309 aux pages
313 et 317, la Cour suprême a approuvé le raison-
nement suivi dans l'affaire Chambers v. Jaffray.
Les Règles de la Cour fédérale ne contiennent
aucune disposition comparable à la règle onta-
rienne qui porte qu'une personne interrogée au
préalable doit témoigner de la même manière
qu'un témoin. J'estime néanmoins qu'une telle per-
sonne est un «témoin» aux fins de l'article 5 de la
Loi sur la preuve au Canada. La Règle 494(9) des
Règles de la Cour fédérale prévoit l'utilisation en
preuve de l'interrogatoire préalable au cours de
l'instruction; à ce stade, le témoignage de la per-
sonne interrogée devient un élément de preuve
comme s'il avait été obtenu de vive voix d'un
témoin. L'interrogatoire préalable a lieu devant un
protonotaire, une personne agréée par les parties
ou un juge (Règle 465(6)). La personne qui doit
être interrogée peut être citée à comparaître par
subpoena (Règle 465(9)) «de la même façon qu'un
témoin cité pour interrogatoire». À moins qu'il
n'en soit autrement convenu, l'interrogatoire se
fait sous serment (Règle 465(11)). Selon moi, une
personne interrogée au préalable est donc pour
l'essentiel un témoin et l'article 5 s'applique.
Un dernier point. Même si les défenderesses
avaient raison et que les anciennes règles relatives
à l'interrogatoire préalable en matière de confisca
tion et d'amendes existaient encore et s'appli-
quaient à l'espèce, elles n'exempteraient les défen-
deresses de l'interrogatoire préalable qu'en ce qui
concerne les confiscations présumées et non pour
ce qui est des droits et des taxes dus. Il est évident
que, dans les cas «mixtes», la Cour n'ordonnera
qu'un interrogatoire limité aux questions autres
que celles concernant l'amende et la confiscation:
Mexborough (Earl of) v. Whitwood Urban District
Council, [1897] 2 Q.B. 111 (C.A.), à la page 117.
Contraignabilité
Le principe de la protection contre l'auto-incri
mination comporte deux éléments: 1) le privilège
permettant de refuser de répondre à des questions,
qui a été abrogé au Canada et remplacé par la
protection contre l'emploi ultérieur des témoigna-
ges, et 2) le droit de ne pas être contraint à
témoigner ' 4 . Ces deux éléments ont des origines
historiques différentes et indépendantes; voir
Cross, Evidence (5 6 éd., 1979), aux pages 163 à
166, 170 à 172 et 275 278. J'ai examiné plus
haut le premier de ces éléments (le privilège). Je
me pencherai sur le second en regard du présent
cas, compte tenu tout d'abord de sa portée au
cours des années qui ont précédé l'adoption de la
Charte et ensuite, à la lumière de l'alinéa 11c).
Il semble impossible dans ce domaine du droit
de comprendre les règles actuelles sans fouiller
dans le passé lointain. C'est pourquoi j'estime qu'il
est essentiel de commencer avec la Evidence Act
de 1851 du Royaume-Uni (1851, 14 & 15 Vict.,
chap. 99 (R.-U.)). Cette loi a modifié la règle de
common law alors applicable qui prévoyait que les
parties n'étaient pas aptes à témoigner et ne pou-
vaient y être contraintes:
[TRADUCTION] II. A l'instruction d'un litige ... les parties
en cause ... sont ... aptes à témoigner et peuvent y être
contraintes...
III. Rien aux présentes ne permet d'habiliter ou de contrain-
dre à témoigner en sa faveur ou contre elle-même une personne
qui, dans une procédure criminelle, est accusée d'avoir commis
un acte criminel ou une infraction punissable sur déclaration
sommaire de culpabilité ... [C'est moi qui souligne.]
14 Voir, par exemple, Ziegler c. Hunter, [1984] 2 C.F. 608;
(1984), 51 N.R. 1 (C.A.); Stickney v. Trusz (1973), 16 C.C.C.
(2d) 25 (H.C. Ont.), en particulier aux pp. 28 et 29; Ratushny,
Is There a Right Against Self-Incrimination in Canada
(1973), 19 McGill L.J. 1 et son ouvrage Self-Incrimination in
the Canadian Criminal Process (Carswell, 1979), en particulier
à la p. 92.
Par la suite, en 1898, les personnes accusées
d'infractions étaient aptes à témoigner mais ne
pouvaient y être contraintes; voir la Criminal Évi-
dence Act, 1898, 61 & 62 Vict., chap. 36 (R.-U.):
[TRADUCTION] 1. Toute personne accusée d'une infraction
... est apte à témoigner pour la défense à chacun des stades des
procédures...
a.) Une personne ainsi accusée ne peut être citée comme
témoin conformément à la présente Loi, sauf à sa propre
demande:
b.) Le fait pour toute personne accusée d'une infraction ...
de ne pas témoigner ne peut faire l'objet de commentaires
par la poursuite:
e.) Il est possible, au cours d'un contre-interrogatoire, de
poser n'importe quelle question à la personne accusée et citée
comme témoin conformément à la présente Loi, même si ses
réponses tendent à l'incriminer:
Peu après l'adoption de la Loi de 1851 mais
avant celle de la Loi de 1898, il a fallu déterminer
si le défendeur dans une action en confiscation
concernant les douanes où l'on revendiquait la
triple valeur des marchandises était une personne
accusée [TRADUCTION] «dans une procédure cri-
minelle». La Cour a statué que tel était le cas:
Attorney General v. Radloff (1854), 10 Ex. 84;
156 E.R. 366. La Customs Act a par la suite été
modifiée afin de préciser que le défendeur dans
une poursuite ou une action visant [TRADUCTION]
«le recouvrement d'amendes ou une confiscation,
conformément à toute loi ... concernant les doua-
nes ou le revenu» n'était pas apte à témoigner ni ne
pouvait y être contraint 15 : An Act for the further
Alteration and Amendment of the Laws and
Duties of Customs, 1854, 17 & 18 Vict., chap.
122, art. 15 (R.-U.); The Supplemental Customs
Consolidation Act, 1855, 18 & 19 Vict., chap. 96,
art. 36 (R.-U.); The Customs Amendment Act,
1857, 20 & 21 Vict., chap. 62, art. 14 (R.-U.).
Cette dernière loi prévoyait:
[TRADUCTION] XIV. Les diverses lois qui déclarent qu'un
défendeur est apte à témoigner et peut être contraint de le faire
dans une action ou une procédure à laquelle il peut être partie,
ne sont pas censées s'appliquer aux défendeurs dans une action
ou une procédure engagée en vertu d'une loi concernant les
douanes.
L'article 15 de cette même loi portait:
[TRADUCTION] XV. Attendu qu'il existe des doutes sur la
question de savoir si plusieurs des articles de la «The Customs
Consolidation Act, 1853,p ... et de la «The Supplemental
15 C'est-à-dire que ces procédures étaient considérées comme
des procédures criminelles.
Customs Consolidation Act, 1855,» s'appliquent aux possessions
britanniques situées à l'étranger: il est déclaré par les présentes
que lesdites lois et les nombreuses dispositions qu'elles renfer-
ment sont applicables et pleinement exécutoires dans les diver-
ses possessions britanniques situées à l'étranger, sauf lorsque
lesdites lois prévoient expressément le contraire ... et sauf
lorsque ces possessions auront prévu, par une loi ou une ordon-
nance locale et avec la sanction et l'approbation de Sa Majesté
et de ses successeurs, des dispositions portant sur l'administra-
tion et la réglementation des douanes et de la navigation dans
ces possessions, ou auront adopté de la même manière des
dispositions expresses remplaçant ou modifiant l'une ou l'autre
des dispositions desdites lois aux fins de leur application dans la
possession.
En 1865, on a adopté The Crown Suits, & c.
Act, 1865 (28 & 29 Vict., chap. 104 (R.-U.)) qui
portait (à l'article 34) que les articles 2 et 3 de la
Evidence Act de 1851
[TRADUCTION] 34. ... s'étendent et s'appliquent aux procé-
dures engagées devant la division de l'impôt de la Cour; et toute
procédure engagée devant la division de l'impôt de la Cour ne
doit pas être considérée, pour les fins de la présente loi, comme
une procédure criminelle au sens desdits articles et de ladite
Loi, dont l'application est étendue par le présent article.
Cela s'est répercuté dans The Customs Consolida
tion Act, 1876, 39 & 40 Vict., chap. 36, article 259
(R.-U.):
[TRADUCTION] 259. Si, dans toute poursuite relative à des
marchandises saisies en raison du non paiement de droits ou
pour toute autre cause de confiscation, ou visant le recouvre-
ment de toute amende prévue dans les lois sur les douanes, il
existe un différend quant aux questions de savoir si les droits de
douane sur ces marchandises ont été payés, ou si celles-ci ont
été importées et déchargées légalement ou encore, concernant
le lieu d'origine desdites marchandises, le fardeau de la preuve
incombe alors au défendeur à l'action; et lorsque ces procédures
sont engagées devant la Division de l'Échiquier de la Haute
Cour de justice, division de l'impôt, le défendeur est apte à
témoigner et peut y être contraint.
Ainsi, au Royaume-Uni, les défendeurs dans des
actions en confiscation fondées sur la Customs Act
étaient, en vertu de la loi, aptes à témoigner et
pouvaient y être contraints 16
De ce côté de l'Atlantique, la première Loi sur
les douanes (Acte concernant les Douanes) adop-
tée après la confédération (S.C. 1867, chap. 6)
prévoyait à l'article 102:
102. Si la poursuite pour recouvrer une amende ou une
confiscation imposée par le présent, ou par toute autre loi
relative aux douanes, au commerce ou à la navigation, est
intentée dans une cour supérieure de loi dans l'une ou l'autre
16 I1 semble que le juge qui a fait des observations dans
l'affaire The King v. Doull, [1931] R.C.É. 159, ignorait l'état
du droit à cet égard au Royaume-Uni en 1897.
des provinces d'Ontario, de la Nouvelle-Ecosse ou du Nouveau
Brunswick, elle sera instruite et décidée comme les poursuites
pour amendes et confiscations sont instruites et décidées dans la
cour d'échiquier de Sa Majesté, en Angleterre, en tant que la
chose peut être compatible avec la pratique suivie dans la cour
dans laquelle la poursuite est intentée, et avec toute loi relative
à la procédure dans telle province, dans les poursuites instituées
au nom de la Couronne en matières du ressort du revenu;—et la
pratique et la loi ainsi suivies s'appliqueront aux poursuites en
recouvrement de confiscations et d'amendes sous le présent
acte, quelle que soit la cour dans laquelle elles seront instituées,
en tant qu'elles peuvent s'y appliquer d'une manière compatible
avec le présent acte, et la juridiction dans toutes telles poursui-
tes appartiendra à tout comté de la province où elles auront été
instituées, sans alléguer que c'est là que l'offense a été com-
mise. [C'est moi qui souligne.]
Cette disposition a été reproduite sous la même
forme dans la Loi de 1877 [Acte pour amender et
refondre les actes concernant les douanes] (S.C.
1877, chap. 10, art. 103). En 1875, on a créé la
Cour de l'Échiquier du Canada et en 1883 [L'Acte
des Douanes, 1883, S.C. 1883, chap. 12], on a
modifié les articles susmentionnés de la Loi sur les
douanes (voir les articles 188, 190 et 191 de cet
Acte) qui sont devenus les articles 249, 251 et 252
de la Loi actuelle (les articles 249 et 252 sont
reproduits à la page 11). L'article 252 prévoit
expressément que dans les actions en confiscation
on applique «la pratique et [...] la procédure
ordinaires de la cour dans les causes civiles, en tant
que cette pratique et cette procédure sont
applicables».
Compte tenu de l'historique de la législation, je
suis d'avis que, en l'absence de toute disposition
dérogatoire de la Charte, le défendeur dans une
poursuite en confiscation intentée en vertu de la
Loi sur les douanes serait contraint à témoigner.
C'est pourquoi on ne saurait invoquer le principe
de la non-contraignabilité pour prétendre, sur le
fondement de la common law, qu'on ne peut être
soumis à un interrogatoire préalable, comme le
soutiennent les défenderesses.
Alinéa 11c) de la Charte canadienne des droits et
libertés
Il est maintenant nécessaire d'examiner l'alinéa
11c) de la Charte. Pour des raisons pratiques, en
voici une nouvelle fois le texte:
11. Tout inculpé a le droit:
c) de ne pas être contraint de témoigner contre lui-même
dans toute poursuite intentée contre lui pour l'infraction
qu'on lui reproche.
Les avocats de la demanderesse allèguent que
cet article ne doit s'appliquer qu'aux poursuites
intentées devant les tribunaux ordinaires de juri-
diction criminelle, par voie de déclaration som-
maire de culpabilité ou de mise en accusation. Ils
prétendent que c'est ce qu'il ressort de l'emploi du
terme «inculpé» («charged with an offence») et des
autres dispositions de l'article 11' 7 ; que les défen-
deresses n'ont tout simplement pas été inculpées
mais qu'une action en recouvrement de dette a été
intentée contre elles par le dépôt d'une déclaration;
que le fardeau de la preuve qui incombe aux
défenderesses est différent de celui qui s'applique
dans les affaires criminelles; que les autres élé-
ments d'une procédure criminelle n'existent pas en
l'espèce; que les lois fiscales font partie d'une
catégorie à part et sont appliquées suivant les
procédures civiles, et que l'alinéa 11c) de la Charte
n'est tout simplement pas censé s'appliquer aux
lois en question.
Les avocats des défenderesses soutiennent par
contre que l'essence même d'une action en confis
cation est l'imposition d'une peine en raison de la
perpétration d'une infraction; qu'il faut interpréter
les dispositions de la Charte en tenant compte du
but qu'elles visaient; que la procédure suivie ne
doit pas servir de critère pour déterminer si les
droits conférés par la Charte s'appliquent et que
cela peut créer des abus en permettant que l'on
porte indirectement atteinte à des droits garantis
par la constitution. Ils citent l'arrêt de la Cour
suprême R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres,
[1985] 1 R.C.S. 295, la page 344:
Dans l'arrêt Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, la
Cour a exprimé l'avis que la façon d'aborder la définition des
droits et des libertés garantis par la Charte consiste à examiner
l'objet visé. Le sens d'un droit ou d'une liberté garantis par la
Charte doit être vérifié au moyen d'une analyse de l'objet d'une
telle garantie; en d'autres termes, ils doivent s'interpréter en
fonction des intérêts qu'ils visent à protéger.
À mon avis, il faut faire cette analyse et l'objet du droit ou de
la liberté en question doit être déterminé en fonction de la
nature et des objectifs plus larges de la Charte elle-même, des
termes choisis pour énoncer ce droit ou cette liberté, des
origines historiques des concepts enchâssés et, s'il y a lieu, en
fonction du sens et de l'objet des autres libertés et droits
" C'est-à-dire que les alinéas c) et d) visent une procédure où
la Couronne doit faire une preuve hors de tout doute raisonna-
ble; l'alinéa e) vise une procédure qui peut entraîner l'emprison-
nement d'une personne; l'alinéa J) concerne une procédure qui
comporte un procès avec jury, et les alinéas g) et h) visent une
procédure qui a pour résultat une déclaration de culpabilité ou
un acquittement.
particuliers qui s'y rattachent selon le texte de la Charte.
Comme on le souligne dans l'arrêt Southam, l'interprétation
doit être libérale plutôt que formaliste et viser à réaliser l'objet
de la garantie et à assurer que les citoyens bénéficient pleine-
ment de la protection accordée par la Charte. En même temps,
il importe de ne pas aller au delà de l'objet véritable du droit ou
de la liberté en question et de se rappeler que la Charte n'a pas
été adoptée en l'absence de tout contexte et que, par consé-
quent, comme l'illustre l'arrêt de Cour Law Society of Upper
Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357, elle doit être située
dans ses contextes linguistique, philosophique et historique
appropriés.
A l'appui de l'argument suivant lequel
l'article 11 ne vise que les procédures criminelles
au sens strict de cette expression, on a cité les
affaires suivantes: R. v. Belcourt (1982), 69
C.C.C. (2d) 286 (C.S.C.-B.), à la page 287; R. v.
Mingo et al. (1982), 2 C.C.C. (3d) 23 (C.S.C.-B.),
à la page 36; Re James, [1983] 2 W.W.R. 316
(C.S.C.-B.), à la page 319; Belhumeur v. Disci
pline Ctee. of Que. Bar Assn. (1983), 34 C.R. (3d)
279 (C.S. Qc); Caisse Populaire Laurier D'Ot-
tawa Liée v. Guertin et al. (No. 2) (1983), 150
D.L.R. (3d) 541 (H.C. Ont.), à la page 546; R. v.
Boron (1983), 3 D.L.R. (4th) 238 (H.C. Ont.),
aux pages 242 et 243; R. v. Wooten (1983), 9
C.C.C. (3d) 513 (C.S.C.-B.), à la page 516 et
Bowen c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion, [1984] 2 C.F. 507 (C.A.), à la page 509.
J'ai déjà commenté aux pages 12 et 13 quelques-
unes de ces décisions (les affaires James et Belhu-
meur). Elles ne sont pas vraiment pertinentes eu
égard aux faits de l'espèce. Il s'agissait de situa
tions où un seul acte entraînait deux conséquences
juridiques distinctes (ou plus), pour deux person-
nes ou groupes de personnes ou plus.
Parce qu'elle porte sur des infractions à la disci
pline dans les pénitenciers, l'affaire Mingo entre
aussi dans cette catégorie en raison de ses faits. La
question juridique en cause consistait cependant à
déterminer s'il y avait eu abus de procédure étant
donné que le défendeur avait été poursuivi à la fois
pour des infractions au Code criminel [S.R.C.
1970, chap. C-34] et pour des infractions à la
discipline du pénitencier. Statuant qu'il n'y avait
pas eu abus de procédure vu que les deux actions
constituaient des procédures distinctes, c'est-à-dire
qu'il n'y avait pas double incrimination, la cour a
fait le commentaire suivant à la page 36:
[TRADUCTION] Pour établir ce qui constitue une infraction, il
faut examiner les dispositions légales et déterminer, en ce qui a
trait aux lois fédérales, si l'allégation est soumise à une cour
compétente pour connaître d'un acte criminel ou d'une infrac
tion punissable après déclaration sommaire de culpabilité. Dans
le cas de lois provinciales, il faut déterminer si l'allégation est
soumise à une cour compétente pour connaître d'une infraction
qui peut entraîner une mise en accusation en vertu des disposi
tions du Offence Act, R.S.B.C. 1979, chap. 305. [C'est moi qui
souligne.]
En toute déférence, je ne pense pas que la
compétence de la cour soit le critère applicable car
celui-ci doit être plus étroitement lié à la nature ou
à l'essence de la réclamation. De toute manière, un
tel critère appliqué à une action en confiscation en
matière de douane intentée devant la Cour fédé-
rale ne serait pas concluant parce que l'article 3 de
la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e
Supp.), chap. 10, prévoit:
3. Le tribunal de common law, d'equity et d'amirauté du
Canada existant actuellement sous le nom de Cour de l'Échi-
quier du Canada est maintenu sous le nom de Cour fédérale du
Canada, en tant que tribunal supplémentaire pour la bonne
application du droit du Canada, et demeure une cour supé-
rieure d'archives ayant compétence en matière civile et pénale.
[C'est moi qui souligne.]
Dans les affaires Belcourt, Boron et Caisse
Populaire Laurier, il s'agissait (sans aucun doute
possible) d'une procédure criminelle. Dans les
causes Belcourt et Boron, il fallait déterminer
quand une accusation est censée avoir été portée
(au moment du dépôt de la dénonciation, de la
mise en accusation ou avant). Il s'agissait de déter-
miner si l'accusé avait été jugé dans un délai
raisonnable après que l'accusation eut été portée.
Dans l'affaire Caisse Populaire Laurier, la cour
devait statuer s'il y avait lieu de suspendre l'ins-
truction d'une action intentée au civil par la Caisse
contre ledit défendeur en attendant la décision sur
une accusation portée au criminel contre le défen-
deur et découlant des mêmes faits. L'affaire por-
tait sur les règles applicables lorsqu'une accusation
a été portée et sur l'effet que celle-ci aurait, le cas
échéant, sur l'action parallèle intentée au civil
entre particuliers. Dans ces trois affaires, une
poursuite avait été intentée au criminel. Il n'était
pas question de la portée du terme «inculpé»
comme c'est le cas en l'espèce. On doit donc
considérer que tous les commentaires faits dans ces
affaires pour confirmer que l'article 11 ne s'appli-
que qu'aux procédures criminelles ne constituent
que des opinions incidentes.
J'estime que les décisions rendues dans les affai-
res Wooten et Bowen sont plus utiles. Il y était
question de procédures engagées en vertu de la Loi
sur l'immigration de 1976 [S.C. 1976-77, chap.
52] et il fallait déterminer si le fait de contraindre
une personne à se présenter à une enquête et à y
témoigner contrevient à l'alinéa 11 c) de la Charte.
Dans ces deux affaires, les cours ont statué qu'on
n'avait pas abrogé l'alinéa 11c). Pour arriver à
cette conclusion, elles ont mis l'accent sur la
nature de l'enquête et non pas sur la compétence
de la cour ni uniquement sur le genre de procédure
employée pour trancher le litige 18 . Elles ont statué
que le but d'une enquête en matière d'immigration
était de déterminer le statut d'une personne en
vertu de la Loi sur l'immigration de 1976 et non
pas de l'accuser d'une infraction et de lui infliger
une peine en conséquence.
Dans l'affaire Wooten, le juge MacDonald s'est
aussi fondé sur le fait que les procédures d'immi-
gration sont par leur nature civiles. Il a fait remar-
quer que l'alinéa [TRADUCTION] «11C) reconnaît
et confirme la différence historique qui existe entre
les procédures civiles et les procédures criminelles
en ce qui a trait à la contraignabilité» (à la page
516). Il s'est dit d'avis que [TRADUCTION] «l'art.
11C) n'est pas censé s'appliquer aux procédures
civiles».
En toute déférence, je ne suis pas d'accord pour
dire que la nature des procédures choisies peut,
dans tous les cas, être déterminante. Je reconnais
que l'article 11 était clairement censé s'appliquer
aux procédures engagées, comme l'ont dit les avo-
cats, devant les tribunaux ordinaires de juridiction
criminelle. Mais, il faut dire en même temps que
l'article 11 ne se limite pas expressément aux
procédures criminelles. La note marginale qui
accompagne l'article 11 de la Charte indique
«Affaires criminelles et pénales». Bien qu'elle
revête la forme d'une procédure civile, il est mani-
feste que la présente action est pénale. Elle diffère
des enquêtes faites en application de la Loi sur
l'immigration, dont il était question dans les affai-
res Wooten et Bowen.
's L'accent mis sur le but de la réclamation correspond â
l'analyse faite par O. Hood Phillips dans son traité intitulé A
First Book of English Law, (6' éd., 1970), aux pp. 247 et 248,
où il essaie d'établir la différence entre les infractions criminel-
les et les délits civils.
Mais ce qui est plus important à mon avis et qui
constitue en fait l'élément crucial de l'espèce, c'est
que les articles 180 et 192 de la Loi sur les
douanes prévoient des méthodes parallèles pour
obtenir le paiement des amendes qu'on cherche à
imposer: l'une consiste en la mise en accusation ou
la déclaration sommaire de culpabilité devant les
tribunaux ordinaires de juridiction criminelle (ce à
quoi peut s'ajouter la confiscation), l'autre est la
«confiscation présumée» par voie d'une action en
recouvrement d'une dette engagée devant la Cour
fédérale (jumelée en l'espèce à une réclamation
des droits et taxes non payés). Je ne peux admettre
que le droit de la Couronne de choisir la procédure
qu'elle suivra devrait déterminer les droits consti-
tutionnels du défendeur.
J'ajouterai que je ne suis pas d'accord avec la
demanderesse qui affirme qu'étant donné que le
fardeau de la preuve incombe aux défenderesses en
vertu de l'article 248 de la Loi sur les douanes, la
procédure n'est pas visée par l'article 11. Il s'agit
selon moi d'un [TRADUCTION] «argument sans
fondement». Si la procédure de «confiscation pré-
sumée» est régie par l'alinéa 11c), l'alinéa 11d)
devrait alors s'appliquer lui aussi. Je ne trouve pas
convaincant l'argument suivant lequel on devrait
considérer que l'action n'est pas visée par l'alinéa
11c) parce que le législateur fédéral a imposé aux
défenderesses une disposition inversant la charge
de la preuve et, par conséquent, a prescrit (ou a
essayé de prescrire) dans la loi que l'alinéa 11d) ne
s'applique pas.
On a invoqué la décision du juge Rouleau dans
l'affaire R. c. Taylor, [1985] 1 C.F. 331 (i re inst.),
aux pages 339 et 340, où il a qualifié les articles de
la Loi de l'impôt sur le revenu [S.R.C. 1952, chap.
148 (mod. par S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 1)]
prévoyant des pénalités de procédures civiles et
non de procédures quasi pénales. Cette décision ne
portait pas sur la Charte; elle concernait l'interpré-
tation statutaire de la Loi de l'impôt sur le revenu
et la question de savoir quelle partie, de la deman-
deresse ou du défendeur, devait présenter sa
preuve en premier. On me demande de conclure à
partir de cette décision que l'article 11 de la
Charte ne s'applique qu'aux procédures criminelles
ordinaires. Je ne suis pas disposée à le faire. Je
souligne également que cette Cour a rendu des
décisions qui indiquent tout le contraire: Russell c.
Radley, [1984] 1 C.F. 543 (i re inst.) (infraction à
la discipline dans les pénitenciers); Cutter (Can.)
Ltd. c. Baxter Travenol Laboratories of Can. Ltd.
(1984), 3 C.I.P.R. 143 (C.A.F.) (procédures d'ou-
trage au tribunal). Voir aussi: R. v. Cohn (1984),
15 C.C.C. (3d) 150 (C.A. Ont.), en particulier aux
pages 160 et 161. En outre, le raisonnement du
juge Sinclair dans l'affaire Re Lazarenko and Law
Society of Alberta (1983), 4 D.L.R. (4th) 389
(B.R. Alb.) est instructif même si le résultat de
cette affaire est contraire à la tendance générale-
ment suivie dans la jurisprudence dans les affaires
Belhumeur, Re James et Wigglesworth (voir plus
haut page 12).
Par conséquent, je conclus que, dans les circons-
tances de l'espèce, l'alinéa 11c) s'applique aux
procédures engagées devant la Cour fédérale, du
moins en ce qui concerne la «confiscation
présumée».
Limites raisonnables prévues par une règle de droit
La demanderesse soutient que les lois fiscales
entrent dans une catégorie à part et que des procé-
dures qui ne sont pas normalement sanctionnées
sont nécessaires et appropriées pour que l'on puisse
statuer sur les infractions auxdites lois. Cet argu
ment se fonde sur l'article premier de la Charte
qui prévoit que les garanties constitutionnelles qui
y sont prévues
1. ... ne peuvent être restreint[e]s que par une règle de
droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justifi
cation puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et
démocratique.
Même si l'argument de la demanderesse (dans
la mesure où il concerne tous les aspects de toutes
les lois fiscales) est peut-être trop général, j'estime
qu'il est bien fondé pour ce qui est de l'interroga-
toire préalable que l'on cherche à faire subir aux
membres de la direction des deux sociétés défende-
resses en l'espèce. Les avocats des défenderesses
affirment que la décision de la Cour suprême dans
R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103 énonce les
critères applicables. Le juge en chef Dickson dit
aux pages 138 et 139:
En premier lieu, l'objectif que visent à servir les mesures qui
apportent une restriction à un droit ou à une liberté garantis
par la Charte, doit être «suffisamment important pour justifier
la suppression d'un droit ou d'une liberté garantis par la
Constitution» ... Il faut à tout le moins qu'un objectif se
rapporte à des préoccupations urgentes et réelles dans une
société libre et démocratique, pour qu'on puisse le qualifier de
suffisamment important.
En deuxième lieu, dès qu'il est reconnu qu'un objectif est
suffisamment important, la partie qui invoque l'article premier
doit alors démontrer que les moyens choisis sont raisonnables et
que leur justification peut se démontrer. Cela nécessite l'appli-
cation d'aune sorte de critère de proportionnalité»: R. c. Big M
Drug Mart Ltd., précité, à la p. 352. Même si la nature du
critère de proportionnalité pourra varier selon les circonstances,
les tribunaux devront, dans chaque cas, soupeser les intérêts de
la société et ceux de particuliers et de groupes. À mon avis, un
critère de proportionnalité comporte trois éléments importants.
Premièrement, les mesures adoptées doivent être soigneusement
conçues pour atteindre l'objectif en question. Elles ne doivent
être ni arbitraires, ni inéquitables, ni fondées sur des considéra-
tions irrationnelles. Bref, elles doivent avoir un lien rationnel
avec l'objectif en question. Deuxièmement, même à supposer
qu'il y ait un tel lien rationnel, le moyen choisi doit être de
nature à porter ale moins possible» atteinte au droit ou à la
liberté en question: R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p.
352. Troisièmement, il doit y avoir proportionnalité entre les
effets des mesures restreignant un droit ou une liberté garantis
par la Charte et l'objectif reconnu comme «suffisamment
important».
Premièrement, la limite apportée au droit de ne
pas être contraint de témoigner constitue manifes-
tement «une règle de droit» si on lit l'article 252 de
la Loi sur les douanes en corrélation avec les
dispositions de la Loi sur la Cour fédérale et les
Règles, en particulier la Règle 465. Deuxième-
ment, les objectifs visés par les mesures législatives
sont importants pour l'Etat dans son ensemble et
sont au moins au nombre de deux: la perception de
revenus et la règlementation du mouvement des
marchandises d'un côté à l'autre des frontières
pour diverses raisons de prévention telles que la
protection économique des industries locales. Dans
Allardice c. R., [1979] 1 C.F. 13 (1re inst.), le juge
Dubé a dit à la page 22:
Évidemment, la Loi sur les douanes ne vise pas à faciliter
l'entrée de marchandises étrangères au Canada. Elle vise effec-
tivement un double but: la protection de l'industrie canadienne
et l'accroissement du revenu fiscal. Le paragraphe 2(3) prescrit
l'interprétation libérale la plus propre à assurer la protection du
revenu. En voici le libellé:
2....
(3) Toutes les expressions et dispositions de la présente loi
ou de toute loi relative aux douanes doivent recevoir, suivant
leurs véritables sens, intention et esprit, l'interprétation équi-
table et libérale la plus propre à assurer la protection du
revenu et la réalisation des objets pour lesquels la présente loi
ou cette loi a été édictée.
Il faut examiner les objectifs de la disposition en
cause, soit l'obligation de répondre à l'interroga-
toire préalable, dans le cadre de la mesure législa-
tive où elle se situe, c'est-à-dire un système d'impo-
sition fondé sur la déclaration volontaire et
l'autocotisation. On a cité à cet égard une décision
de la Cour suprême des États-Unis: United States
v. Bisceglia, 420 U.S. 141 (1975). Voici le texte
des pages 145 et 146:
[TRADUCTION] ... nos structures fiscales reposent sur un
système de déclaration volontaire. Bien sûr, la loi oblige les
contribuables à faire de telles déclarations, mais le gouverne-
ment compte sur la bonne foi et l'intégrité de chaque contribua-
ble potentiel pour qu'il divulgue honnêtement tous les rensei-
gnements pertinents à l'impôt qu'il doit payer. Il serait
néanmoins naïf de ne pas tenir compte du fait que certaines
personnes essaient de déjouer le système et que les fraudeurs
fiscaux ne sont pas faciles à identifier. C'est pourquoi § 7601
donne au Service du revenu intérieur [Internat Revenue Ser
vice] un mandat général pour faire enquête et vérifier les
déclarations des «personnes qui peuvent être assujetties» à
l'impôt et en outre, § 7602 lui confère le pouvoir «d'examiner
tous les livres, documents, registres ou toutes les autres données
qui peuvent être utiles ... [et d'assigner] toute personne ayant
en sa possession ... des livres de comptabilité ... pertinents ou
importants pour une telle enquête». Par la force des choses, le
pouvoir d'enquête ainsi conféré ne se limite pas aux situations
où il existe une cause probable, au sens traditionnel, de croire
qu'il y. a violation des lois fiscales. United States v. Powell, 379
U.S. 48 (1964). Le but des lois n'est pas d'accuser mais de faire
enquête. Même si de telles enquêtes entraînent indiscutable-
ment une certaine atteinte à la vie privée, elles sont essentielles
pour l'existence de notre système de déclaration volontaire et
les solutions de rechange possibles pourraient très bien compor-
ter des intrusions beaucoup moins agréables dans les résidences,
les entreprises et les registres.
Nous reconnaissons qu'il peut y avoir un emploi abusif du
pouvoir conféré aux personnes chargées du recouvrement de
l'impôt comme c'est le cas de tout pouvoir. La solution ne
consiste toutefois pas à restreindre ce pouvoir de manière à
diminuer l'efficacité du système fédéral d'imposition dont le but
est de faire en sorte que les contribuables paient ce que le
Congrès exige et d'empêcher que des personnes malhonnêtes
échappent au paiement de l'impôt, entraînant ainsi des charges
plus lourdes pour les contribuables honnêtes.
De même, on permet au Royaume-Uni de procé-
der à des interrogatoires préalables approfondis en
matière fiscale malgré le fait qu'ils pourraient être
auto-incriminants. Dans l'affaire Customs and
Excise Comrs. v. Ingram, [1948] 1 All E.R. 927
(C.A.), le juge en chef lord Goddard a dit à la
page 929:
[TRADUCTION] À mon avis, la seule autre question que je
dois examiner est l'argument de l'avocat des défendeurs suivant
lequel la cour ne saurait ordonner la production de documents
qui peuvent incriminer la personne en cause. On ne peut, selon
moi, apporter une telle restriction en l'espèce. L'objet même des
articles de la Finance Act, 1946 qui portent sur cette question
est de conférer à la Couronne le pouvoir de faire enquête sur les
comptes d'une personne et de déterminer ainsi si elle fraude le
revenu en ne payant pas ce qu'elle doit. Il ne s'agit pas là, à
mon avis, d'un nouveau principe de droit. On prétend que cela
force la personne à s'incriminer ou lui impose l'obligation de
prouver qu'elle n'a pas commis d'infraction; mais c'est là l'effet
ordinaire de dispositions législatives destinées à protéger les
revenus de la Couronne, car on se rend compte que, en général,
le contribuable ou le sujet en cause doit avoir connaissance de
tous les renseignements pour qu'on lui impose l'obligation de
faire certaines choses qui pourraient avoir pour effet de l'incri-
miner...
Non seulement j'estime que le fait de soumettre
des personnes à un interrogatoire préalable en
l'espèce constitue un but suffisamment important
pour satisfaire aux critères dégagés par la Cour
suprême dans l'arrêt Oakes, mais je crois que les
moyens sont raisonnablement proportionnels aux
objectifs recherchés. Dans l'arrêt Oakes, précité, le
juge en chef Dickson a indiqué que «la nature du
critère de proportionnalité pourra varier selon les
circonstances». En l'espèce, les procédures sont de
nature civile; aucune peine d'emprisonnement n'est
prévue même si le montant des amendes est élevé.
On ne pourrait prétendre que ce qui est recherché
était «arbitraire ou inéquitable». Il n'est exigé des
défenderesses rien de plus que ce qui serait requis
d'une personne dans un litige ordinaire à caractère
commercial mettant aux prises des particuliers. Il
y a lien rationnel et proportionnalité entre les
effets et les objets de la mesure. Quoique l'on
puisse dire au sujet de certains autres aspects des
procédures de la «confiscation présumée» , effectuée
en vertu de la Loi sur les douanes, j'estime que les
dispositions soumettant les membres de la direc
tion des sociétés défenderesses à un interrogatoire
préalable sont des «limites raisonnables» apportées
au droit à la non-contraignabilité énoncé à l'alinéa
11c), «dont la justification [peut] se démontrer
dans le cadre d'une société libre et démocratique».
Membres de la direction d'une société
La distinction essentielle qui sert de fondement
à l'argumentation des avocats des défenderesses a
été établie par le juge Arnup dans l'affaire R. v.
Judge of the General Sessions of the Peace for the
County of York, Ex p. Corning Glass Works of
Canada Ltd. (1970), 3 C.C.C. (2d) 204 (C.A.
Ont.). Le juge a statué qu'un membre de la direc
tion qui est soumis à un interrogatoire préalable
parle [TRADUCTION] «au nom de» la société (il est
le porte-parole de la société) alors qu'en tant que
témoin au procès, ledit membre ne parle pas «au
nom de» la société 19 . On peut exiger qu'il témoigne
mais, à ce titre, il ne fait que ce qui est requis de
tout autre témoin. Ce n'est que sur le fondement
de cette distinction qu'on peut peut-être prétendre
que l'interrogatoire préalable des membres de la
direction des sociétés défenderesses contrevient
prima facie à l'alinéa 11c) de la Charte. Une
demande d'autorisation d'interjeter appel devant la
Cour suprême de la décision rendue dans l'affaire
Corning Glass a été rejetée le 26 janvier 1971
[[1971] R.C.S. viii].
L'affaire R. v. Paterson (N.M.) and Sons Ltd.,
[1979] 1 W.W.R. 5 (C.A. Man.) indique que
lorsqu'il s'agit d'une société à personne unique, il y
a exception à la règle énoncée dans l'affaire Cor
ning Glass. Toutefois, comme les avocats de la
demanderesse l'ont souligné lors de la première
audition de la présente requête, il ressort de la
preuve soumise que les membres de la direction en
cause en l'espèce n'entrent pas dans cette
catégorie.
Ainsi, le refus en l'espèce d'ordonner aux mem-
bres de la direction des sociétés de se présenter à
l'interrogatoire préalable aurait pour seul effet de
repousser leur témoignage jusqu'au procès.
Compte tenu des circonstances, même si j'avais
tort d'ordonner la tenue d'un interrogatoire préala-
ble, il ne serait pas approprié de refuser catégori-
quement la tenue d'un tel interrogatoire. La Cour
devrait utiliser le pouvoir que lui confère l'article
252 de la Loi sur les douanes pour adapter les
règles de procédure applicables. Les défenderesses
pourraient tout au plus faire l'objet d'une ordon-
nance leur enjoignant de présenter à l'interroga-
toire préalable la personne choisie parmi les mem-
bres de leur direction et indiquant que les
témoignages ainsi fournis ne «lient» pas la société.
Les réponses données auraient la même force pro-
bante que si elles avaient été obtenues au procès.
19 Même s'il peut être exagéré d'affirmer que les réponses
données au cours de l'interrogatoire préalable par un membre
de la direction d'une société «lient» cette dernière, étant donné
qu'il est toujours possible pour la société de présenter au procès
des éléments de preuve contredisant ce qui a été dit, cette
distinction est bien établie dans la jurisprudence. Je n'ai aucune
raison de croire que la position d'un membre de la direction
d'une société comparaissant au nom de celle-ci est différente en
vertu des Règles de la Cour fédérale de celle décrite par le juge
Arnup relativement aux règles de l'Ontario.
Est-il prématuré de statuer sur le litige?
Il reste un dernier argument à examiner. Les
avocats de la demanderesse ont invoqué l'arrêt de
la Cour d'appel Cutter (Can.) Ltd. c. Baxter Tra-
venol Laboratories of Can. Ltd. (1984), 3 C.I.P.R.
143 (C.A.F.). Dans cette affaire, on a tenté de
faire annuler une ordonnance de justification qui
enjoignait à certaines des défenderesses de prouver
pourquoi elles ne s'étaient pas rendues coupables
d'outrage au tribunal. L'ordonnance de justifica
tion a été attaquée pour le motif que l'affidavit
produit au soutien de la demande d'ordonnance
contenait des éléments de preuve se rapportant à
une procédure antérieure, ce qui, par conséquent,
contrevenait à l'article 13 de la Charte. La Cour
d'appel a statué qu'on pouvait comparer l'ordon-
nance de justification à une «assignation» et qu'à
ce stade des procédures, il était difficile de voir
comment on pouvait prétendre que l'affidavit ser-
vait à «incriminer» les défenderesses.
Parlant au nom de la Cour, le juge Urie a dit à
la page 153:
La preuve à l'appui des allégations d'outrage au tribunal doit
être présentée pendant l'audition relative à cette ordonnance.
Les éléments de preuve qui ont été soumis ou que l'on a tenté
de soumettre à l'appui de cette preuve peuvent alors être
contestés au motif qu'ils contreviennent à l'article 13, auquel
cas le juge de première instance aura à trancher la question.
Selon moi, on ne saurait parler d'élément de preuve incriminant
avant l'instruction. On attribuerait au verbe «incriminer» un
sens trop large en lui reconnaissant la portée extensive néces-
saire pour considérer incriminante la preuve sous forme d'affi-
davit. [C'est moi qui souligne.]
En l'espèce, la demanderesse allègue de même
qu'il ne peut y avoir d'élément de preuve incrimi-
nant avant le procès et qu'il serait prématuré de
statuer maintenant sur l'argument des défenderes-
ses.
Je ne peux pas souscrire à ce point de vue. Je ne
crois pas que la décision rendue dans l'affaire
Cutter s'applique en l'espèce. Elle ne peut s'appli-
quer de manière générale au point d'établir une
règle suivant laquelle une question portant sur la
Charte, notamment sur l'article 13 ou l'alinéa
1lc), ne devrait pas être tranchée au stade de
l'interrogatoire préalable. Celui-ci est davantage
relié au procès que ne l'est l'assignation qui donne
lieu à une ordonnance de justification. De plus, si
on étendait l'application de l'affaire Cutter comme
le demande la demanderesse, cela ne concorderait
pas avec la multitude de décisions antérieures" qui
ont traité des questions de privilège, de confisca
tion et d'amende au stade de l'interrogatoire
préalable.
Conclusion
Pour les motifs qui précèdent, je rendrai donc
une ordonnance enjoignant aux défenderesses de
présenter à l'interrogatoire préalable les personnes
désignées parmi les membres de leur direction.
20 Voir par exemple, The King v. Doull, [1931] R.C.É. 159 à
la p. 161.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.