T-667-86
Peter S. Laframboise (requérant)
c.
La Reine (intimée)
RÉPERTORIE: LAFRAMBOISE C. R.
Division de première instance, juge Joyal—
Toronto, 22 mai; Ottawa, 2 juillet 1986.
Impôt sur le revenu — Saisies — Modification apportée à la
Loi et prévoyant une nouvelle règle restreignant le droit du
Ministre de recouvrer des impôts impayés — Une exception
prévoit que le Ministre peut prendre des mesures immédiates
lorsque l'octroi d'un délai au contribuable pourrait compro-
mettre le recouvrement — Étendue du pouvoir discrétionnaire
du Ministre — Il incombe au Ministre de justifier son action
immédiate — Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72,
chap. 63, art. 225 (mod. par S.C. 1985, chap. 45, art. 115),
225.1 (ajouté, idem, art. 116), 225.2 (ajouté, idem), 226.
La cotisation du contribuable, qui ne semblait pas avoir
d'emploi, a été établie le 18 février 1985 et fixée au montant de
85 129,06 $, calculé à partir d'un revenu net de 184 929 $. Une
enquête menée par la division des Enquêtes spéciales de Revenu
Canada a permis de constater que le contribuable avait fait
l'acquisition d'une voiture de 13 700 $ et d'un bateau de plai-
sance de 15 500 $, qu'il avait transféré 65 000 $ à un ami ou
associé et qu'il avait essayé de transporter aux États-Unis
14 000 $ cachés sous sa voiture. Il détenait également 13 000 $
dans un compte de banque. Le contribuable a été arrêté le 28
janvier 1986 et accusé de complot en vue de faire le trafic de
stupéfiants.
Jugeant que le recouvrement des impôts impayés pourrait
être compromis s'il octroyait un délai au contribuable et se
fondant sur le paragraphe 225.2(1) de la Loi, le Ministre a
ordonné en février 1986 la saisie immédiate de certains biens du
contribuable.
Il s'agit d'une requête en révision de l'ordre donné, fondée
sur le paragraphe 225.2(3) de la Loi.
Jugement: la requête devrait être rejetée.
Le pouvoir de prendre des mesures immédiates de recouvre-
ment est une exception à une modification récente apportée à la
Loi de l'impôt sur le revenu (article 225.1) restreignant le
pouvoir du Ministre de recouvrer des impôts impayés qui sont
déterminés par une cotisation, jusqu'à ce qu'une décision finale
soit rendue quant à l'impôt payable. Cette modification se
distingue nettement des règles qui, pendant longtemps, ont été
appliquées en matière d'impôt.
Le paragraphe 225.2(3) prévoit une audience où sont exposés
les motifs en cause et où il incombe au Ministre de justifier
l'ordre qu'il a donné.
Le Ministre disposait de motifs suffisants pour donner l'ordre
en cause. La nature même de la cotisation soulève des doutes
raisonnables selon lesquels le contribuable n'aurait pas géré ses
affaires d'une façon orthodoxe. Pris ensemble, les facteurs qui
suivent permettaient au Ministre d'exercer ses pouvoirs: la
tentative de passer illégalement de l'argent aux États-Unis, le
retrait d'une somme en espèces d'une banque, la déclaration du
contribuable qui a dit à un policier avoir caché l'argent et que
la police ne le trouverait jamais, et l'échange d'argent comptant
contre des actifs corporels.
Le paragraphe 225.2(1) est libellé d'une manière souple qui
donne une très grande latitude au Ministre, latitude plus large
que celle qui existe lorsqu'il s'agit d'une saisie avant jugement:
le paragraphe 225.2(1) prévoit que le Ministre peut prendre des
mesures immédiates «[lorsqu']il est raisonnable de croire que
l'octroi à un contribuable d'un délai pour payer le montant
d'une cotisation établie à son égard compromettrait le recouvre-
ment de ce montant». Le pouvoir conféré au Ministre a une
portée plus étendue que celle qui existe dans les injonctions
Mareva, de sorte que les critères examinés dans ces cas ne sont
pas déterminants pour ce qui est de l'ordre du Ministre.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Erie Mfg. Co. (Can.) Ltd. v. Rogers (1981), 24 C.P.C.
132 (H.C. Ont.); Chitel et al. v. Rothbart et al. (1982),
39 O.R. (2d) 513 (C.A.).
AVOCATS:
John I. Laskin et C. Medland pour le
requérant.
P. A. Vita, c.r. et M. J. B. Wood pour
l'intimée.
PROCUREURS:
Davies, Ward & Beck, Toronto, pour le
requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE JOYAL: Il s'agit d'une requête en révi-
sion d'un ordre du ministre du Revenu national,
donné en application du paragraphe 225.2(1)
[ajouté par S.C. 1985, chap. 45, art. 116] de la Loi
de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, chap. 148
(mod. par S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 1), et ses
modifications. Ce recours est issu de certaines
modifications à la Loi de l'impôt sur le revenu
adoptées par le Parlement en 1985 et qui ont pour
effet de limiter le pouvoir du ministre du Revenu
national de recouvrer des impôts impayés qui sont
déterminés par une cotisation, jusqu'à ce qu'une
décision finale soit rendue quant à l'impôt payable.
Ces modifications figurent à l'article 225 de la
Loi de l'impôt sur le revenu et elles ont été
décrétées [les articles 225.1 et 225.2] dans S.C.
1985, chap. 45, article 116.
Le paragraphe 225.1(1) prévoit des règles
détaillées qui restreignent le droit du Ministre de
recouvrer des impôts impayés. Ces règles se distin-
guent nettement de celles qui, pendant longtemps,
ont été appliquées en matière d'impôt, et elles
visent à réduire de façon importante le droit du
Ministre de recouvrer un impôt impayé tant que
les divers moyens d'appel n'ont pas été épuisés.
Voici le texte dudit paragraphe:
225.1 (1) Lorsqu'un contribuable est redevable du montant
d'une cotisation établie en vertu de la présente loi (appelé
«montant impayé» au présent paragraphe), à l'exception d'un
montant payable en vertu du paragraphe 227(9), le ministre,
pour recouvrer le montant impayé, ne peut, avant le 90e jour
suivant la date de mise à la poste de l'avis de cotisation,
a) entamer une poursuite devant un tribunal;
b) attester le montant impayé, conformément au paragraphe
223(1);
c) exiger qu'une personne fasse un paiement, conformément
au paragraphe 224(1);
d) exiger qu'une institution ou personne visée au paragraphe
224(1.1) fasse un paiement, conformément à ce paragraphe;
e) exiger la retenue du montant impayé par déduction ou
compensation, conformément à l'article 224.1;
f) exiger qu'une personne remette des deniers, conformément
au paragraphe 224.3(1);
g) donner un avis, délivrer un certificat ou donner un ordre,
conformément au paragraphe 225(1).
Malgré ces restrictions, les nouvelles modifica
tions comportent néanmoins une exception. Cel-
le-ci figure au paragraphe 225.2(1) et permet au
Ministre de prendre des mesures de recouvrement
immédiates lorsqu'il est raisonnable de croire que
l'octroi à un contribuable d'un délai pour payer le
montant d'une cotisation établie à son égard com-
promettrait le recouvrement de ce montant.
Voici le libellé du paragraphe 225.2(1):
225.2 (1) Par dérogation à l'article 225.1, lorsqu'il est raison-
nable de croire que l'octroi à un contribuable d'un délai pour
payer le montant d'une cotisation établie à son égard compro-
mettrait le recouvrement de ce montant, et que le ministre, par
avis signifié à personne ou envoyé en recommandé à la dernière
adresse connue du contribuable, en a avisé celui-ci et lui a
ordonné de verser immédiatement tout ou partie de ce montant,
le ministre peut prendre immédiatement des mesures visées aux
alinéas 225.1(1)a) à g) à l'égard de tout ou partie de ce
montant.
Dans de telles circonstances, le Ministre peut
donc, au moyen d'un ordre, exiger le paiement
immédiat de la cotisation d'impôt établie et enga-
ger des procédures de recouvrement qui lui
seraient autrement interdites.
Le contribuable n'est toutefois pas sans recours.
En effet, le paragraphe 225.2(3) lui permet de
présenter une requête à un juge d'une Cour supé-
rieure ou de la Cour fédérale en vue de faire
annuler ou modifier l'ordre donné. Ce recours
donne lieu à une audience où sont exposés les
motifs en cause et où il incombe au Ministre de
justifier l'ordre qu'il a donné. Le juge peut alors
statuer sur la requête, soit en confirmant l'ordre,
soit en l'annulant ou en le modifiant et rendre
toute autre ordonnance qu'il juge indiquée. Un
juge peut donc examiner les motifs à partir des-
quels le Ministre a donné l'ordre en question et
décider s'ils sont de nature à justifier la mesure
exceptionnelle prise par le Ministre. Il s'agit par
conséquent d'une procédure de contrôle de l'exer-
cice des pouvoirs du Ministre qui, autrement,
seraient illimités.
Le requérant est un contribuable dont la cotisa-
tion a été établie le 18 février 1985. Le montant de
cette cotisation qui s'élève à 85 129,06 $ a été
calculé à partir d'un revenu net de 184 929 $.
Celle-ci faisait suite à une enquête menée par la
division des Enquêtes spéciales du Bureau d'impôt
de la région de Windsor, de Revenu Canada.
L'enquête a permis de constater que, même si le
contribuable ne semblait pas avoir d'emploi, ses
activités dénotaient un niveau de vie élevé; il a
notamment fait l'acquisition d'une voiture de
13 700 $ et d'un bateau de plaisance de 15 500 $, il
a effectué un transfert de 65 000 $ à un ami ou
associé et transporté aux États-Unis environ
14 000 $ cachés sous sa voiture. Le contribuable
détenait également quelque 13 000 $ dans un
compte de banque.
Les organismes chargés d'appliquer la loi
avaient également de bonnes raisons de s'interro-
ger au sujet du contribuable. Les responsables de
la section antidrogue de la Gendarmerie royale du
Canada se sont penchés sur ses activités, le soup-
çonnant de vivre du trafic de la drogue. Œuvrant
de pair avec la GRC, Revenu Canada a, pour sa
part, toujours défendu le principe selon lequel un
contribuable doit payer sa juste part d'impôt sur
son revenu, quelle que soit la source de celui-ci.
À la suite des enquêtes menées par les organis-
mes chargés d'appliquer la loi, le contribuable a
été arrêté le 28 janvier 1986 et accusé de complot
en vue de faire le trafic de stupéfiants, pour être
ensuite libéré sous caution. Quant à l'enquête
menée par Revenu Canada, elle a abouti à l'envoi
d'un long télex au Ministre en date du 14 février
1984; voici les éléments principaux de ce télex:
1. La cotisation proposée dont le montant a déjà
été mentionné;
2. Les motifs de la cotisation;
3. Les accusations criminelles portées contre le
contribuable;
4. Les motifs justifiant le recours aux dispositions
applicables lorsque le recouvrement est com-
promis, comme il a été expliqué auparavant;
5. Un état des biens à être saisis ou à l'égard
desquels des mesures de recouvrement
devraient être prises.
Les motifs justifiant le recours aux dispositions
applicables lorsque le recouvrement est compro-
mis, sont résumés dans quatre affidavits produits
pour le compte du Ministre.
Le premier affidavit est signé par M. H. A.
Diguer, un sous-ministre adjoint de Revenu
Canada; celui-ci y déclare que sa décision de
donner un ordre était fondée sur les renseigne-
ments obtenus dans le télex du 14 février 1986. On
a informé le contribuable de l'ordre en question
par courrier recommandé, le 18 février 1986; une
copie de cette lettre accompagnée d'une copie de
l'avis de cotisation et d'une copie du télex sont
jointes à l'affidavit à titre de pièces.
Le deuxième affidavit émane du constable R.
Reynolds de la Gendarmerie royale du Canada qui
déclare que, le 10 janvier 1986, il s'est rendu à la
frontière internationale située sur le pont Ambas
sador reliant Windsor (Ontario) à Détroit (Michi-
gan), où il a constaté que le service des douanes
américaines avait arrêté le contribuable et procédé
à la saisie de quelque 14 000 $ en devises cana-
diennes trouvés par les autorités américaines sous
la voiture de celui-ci.
Le troisième affidavit est celui d'un autre cons
table de la GRC, N. Wentoniuk, qui déclare avoir
obtenu copie d'un reçu de retrait de la Banque
Toronto-Dominion pour la somme de 11 000 $,
daté du 10 février 1986 et signé par le contribua-
ble. Il ajoute que, vers le 10 février 1986, il a
interrogé le contribuable relativement au retrait et
que celui-ci a répondu: [TRADUCTION] «Il est en
ma possession, je l'ai caché, vous ne le trouverez
jamais.»
Le dernier affidavit a été rédigé pour le compte
du Ministre par G. Hooft de la section des enquê-
tes spéciales de Revenu Canada. C'est dans cet
affidavit que les divers biens du contribuable sont
décrits; des copies de documents attestant des
diverses opérations en cause y sont jointes à titre
de pièces. Parmi ces documents se trouve un acte
de vente grâce auquel le contribuable a vendu à ses
parents une propriété sise au 1419 chemin Prince à
Windsor moyennant une somme symbolique, la
prise en charge d'une hypothèque de 21 000 $ et
des copies de reconnaissances de dettes totalisant
la somme de 65 000 $ versée à un associé du
contribuable à des fins d'investissement.
Les arguments soulevés par le contribuable
contre ce qui semble, à première vue, constituer
des motifs raisonnables de donner l'ordre en ques
tion, sont énumérés dans son affidavit du 16 mai
1986, dont voici les principales données:
1. le contribuable est solidement enraciné dans la
ville de Windsor;
2. il est propriétaire d'une maison, son épouse
travaille et touche un salaire, ses parents vivent
à Windsor et, depuis un accident de travail
survenu le 30 juin 1984, il reçoit une indemni-
sation des accidents du travail s'élevant à 412 $
par semaine;
3. vers le 6 mai 1986, il a déposé un avis d'opposi-
tion relatif à sa cotisation;
4. au moment de sa mise en liberté en attendant
la tenue de son procès relatif aux accusations
criminelles, il a dû fournir une caution de
10 000 $ en espèces et de 60 000 $ en valeurs,
le tout étant assorti de la condition de demeu-
rer dans le comté d'Essex et de se présenter au
poste de police local tous les dimanches.
Le contribuable déclare en outre qu'il s'est tou-
jours conformé aux conditions afférentes à sa mise
en liberté et qu'il a l'intention de continuer de le
faire d'ici la tenue de son procès au criminel.
Une copie de l'avis d'opposition du contribuable
accompagne son affidavit. Les motifs qu'il invoque
consistent à dire qu'aucun motif n'a été donné
pour expliquer ou justifier le montant de la cotisa-
tion d'impôt ou les procédures d'exception enga
gées contre lui.
Compte tenu des éléments de preuve qui me sont
présentés, je n'hésite pas à conclure que, en date
du 18 février 1986, le Ministre disposait de motifs
suffisants pour donner l'ordre en cause. J'en viens
à la conclusion que la nature même de la cotisation
soulève des doutes raisonnables selon lesquels le
contribuable n'aurait pas géré ses affaires d'une
façon que nous pourrions qualifier d'orthodoxe. Il
est à craindre qu'à la suite du transfert de fonds
excédentaires à des fins d'investissement, par l'en-
tremise d'un tiers plutôt que directement, il serait
difficile de retrouver ces fonds ou de les récupérer.
Indépendamment du fait que le revenu du con-
tribuable a pu provenir d'activités criminelles, l'in-
cident qui s'est déroulé sur le pont Ambassador, le
retrait d'une somme en espèces de la Banque
Toronto-Dominion, la déclaration faite par le con-
tribuable à un policier et l'échange d'argent comp-
tant contre des actifs corporels sont des facteurs
qui, pris ensemble, permettaient selon moi au
Ministre d'exercer ses pouvoirs à ce moment
particulier.
Les avocats du contribuable ont demandé à la
Cour de conclure que l'affidavit présenté pour le
compte du Ministre était entaché d'irrégularités
graves. Invoquant les affaires Erie Mfg. Co. (Can.)
Ltd. v. Rogers (1981), 24 C.P.C. 132 (H.C. Ont.)
et Chitel et al. v Rothbart et al. (1982), 39 O.R.
(2d) 513 (C.A.), ainsi que d'autres décisions por-
tant sur les procédures d'injonction engagées dans
la célèbre affaire Mareva, ils ont fait valoir de
façon claire et convaincante que l'obligation qui
incombe au Ministre de justifier les mesures qu'il a
prises est très lourde, et que la Cour ne doit donner
son assentiment à de telles mesures que si ces
dernières reposent sur des motifs inattaquables. Ils
ont ajouté que, lorsqu'il s'agit d'un affidavit, les
règles de la preuve doivent être interprétées stricte-
ment; ils ont notamment soulevé le fait que l'affi-
davit de H. A. Diguer ne précisait pas si le dépo-
sant «était convaincu» de la justesse des
renseignements que l'enquêteur G. Hooft lui avait
communiqués par télex.
L'argument des avocats du contribuable pour-
rait être défendable si les éléments de preuve dont
je dispose se limitaient à ce seul affidavit. Mais,
comme les procureurs de la Couronne me l'ont
rappelé, j'ai le droit de prendre connaissance de
tous les éléments que renferment les autres affida
vits. Ceux-ci pourraient aussi faire l'objet d'une
savante analyse quant aux motivations profondes
du déposant, mais je trouve que, dans l'ensemble,
les éléments essentiels que renferment ces affida
vits ainsi que la preuve qu'ils apportent satisfont
aux critères établis et sont suffisamment étayés
pour justifier les mesures prises par le Ministre.
Je ferai par ailleurs remarquer que le pouvoir
conféré au Ministre par le paragraphe 225.2(1)
peut être exercé chaque fois «[qu']il est raisonna-
ble de croire que l'octroi à un contribuable d'un
délai pour payer le montant d'une cotisation éta-
blie à son égard compromettrait le recouvrement
de ce montant». Les conditions que comporte cette
expression sont suffisamment souples pour lui con-
férer, me semble-t-il, une portée plus étendue que
celle qui existe dans les injonctions Mareva. Lors-
qu'ils sont lus en corrélation, le mot «may» (peut)
et l'expression «raisonnable de croire» donnent une
très grande latitude au Ministre, latitude qui, selon
moi, n'existe pas lorsqu'il s'agit d'une saisie avant
jugement.
La logique et le bon sens me dictent qu'il doit en
être ainsi. Une action mettant en cause deux parti-
culiers ne peut équivaloir à un avis de cotisation
établi en application de la Loi de l'impôt sur le
revenu. L'équilibre qu'un tribunal doit assurer
n'est pas le même dans les deux cas. Lorsqu'un
litige met en cause des particuliers, le demandeur
doit présenter une preuve prima facie convain-
cante. Toutefois, lorsqu'il s'agit d'un avis de cotisa-
tion, le Ministre est libéré du fardeau de la preuve
et il appartient au contribuable de démontrer la
fausseté ou l'inexactitude de l'avis en engageant
des procédures d'appel. Il s'agit d'une sorte de
présomption que l'on ne retrouve pas en matière
contractuelle ou délictuelle. Dans ces domaines, il
existe toujours des incertitudes, de sorte que si la
Cour accorde une ordonnance Mareva trop facile-
ment, elle peut causer des dommages considérables
ou, à tout le moins, très vexatoires.
Je me dois aussi de faire remarquer que le
paragraphe 225.2(1) vise le cas où «l'octroi .. .
d'un délai pour payer le montant d'une cotisation
établie à son égard compromettrait le recouvre-
ment de ce montant» (c'est moi qui souligne),
libellé qui crée une présomption selon laquelle le
montant en cause est un montant «recouvrable»
immédiatement, à moins qu'un délai prévu par
l'article 225.1 ne soit accordé. Je conclus que,
même s'ils peuvent servir à guider la Cour lorsqu'il
s'agit de déterminer les règles applicables à un
ordre du Ministre, les critères établis dans les
procédures Mareva sont loin d'être déterminants
ou concluants.
Les avocats du contribuable ont également fait
mention d'un autre avis envoyé par Revenu
Canada et daté du 18 février 1986, qui réclamait
le paiement immédiat de la cotisation d'impôt
établie. Cet avis a été donné en application du
paragraphe 226(1) qui permet au Ministre d'exi-
ger le paiement lorsqu'il craint que le contribuable
soit sur le point de quitter le Canada. On m'a
demandé de conclure qu'il n'existait aucun motif
justifiant une telle crainte. L'affidavit du contri-
buable fait état de son enracinement familial à
Windsor, de l'emploi de son épouse, de la maison
dont il est propriétaire, l'ensemble de ces facteurs
dissipant tout doute raisonnable que pourrait avoir
le Ministre. Les avocats ont par ailleurs soutenu
que les conditions dont dépend la mise en liberté
du contribuable et qui exigent que celui-ci
demeure dans le comté d'Essex et se présente
régulièrement aux autorités locales, n'ont pas été
violées et que le contribuable n'avait pas l'intention
de le faire.
Ce point de vue pourrait être acceptable si ce
n'est que je doute qu'une décision du Ministre
prise en application de l'article 226 puisse être
révisée par un tribunal. Il semble qu'une telle
décision soit indépendante des pouvoirs conférés
par le paragraphe 225.2(1) et elle ne peut, par
conséquent, faire l'objet d'une révision en applica
tion du paragraphe 225.2(2). La question de savoir
si cela est imputable à une politique législative ou
à un oubli du législateur, n'est pas de mon ressort.
Tout ce que je peux dire, c'est que je ne suis pas
saisi de la question relative à la menace de quitter
le Canada, de sorte que je n'ai pas la compétence
requise pour déterminer si le Ministre avait ou non
des motifs raisonnables de soupçonner le contri-
buable de vouloir quitter le pays.
La Loi prévoit que lorsqu'une demande de cette
nature est présentée, un juge peut confirmer, annu-
ler ou modifier l'ordre du Ministre. Selon l'affida-
vit du contribuable, le Ministre a, à ce jour,
ordonné la saisie d'une somme de 1 700 $ détenue
à la Banque Toronto-Dominion et d'une voiture
Mustang 1975, de même que l'enregistrement d'un
privilège sur la maison du contribuable dont la
valeur nette est d'environ 35 000 $ et d'un autre
privilège sur la propriété transférée par le contri-
buable à ses parents pour une somme symbolique.
Même s'il traite longuement de la question de son
départ du Canada et nie que l'opération immobi-
lière mettant en cause ses parents n'a pas été
effectuée sans lien de dépendance, l'affidavit du
contribuable ne fournit pas beaucoup d'indications
à la Cour quant à l'étendue des inconvénients
causés à celui-ci par les procédures d'exécution
engagées en application des alinéas 225.1(1)a) à
g), en ce qui touche à ses besoins financiers
courants.
Dans le même ordre d'idées, le dossier n'indique
pas si des procédures de saisie-arrêt ont été enga
gées relativement aux sommes importantes con-
fiées par le contribuable à une tierce personne.
Je suis d'avis que, lorsque le Ministre exerce ses
pouvoirs d'exécution en application du paragraphe
225.1(1), obligation lui est faite de ne saisir que les
biens dont la valeur est à peu près égale à la
somme en péril. Là encore, le dossier ne révèle rien
sur ce sujet.
Dans de telles circonstances, j'hésiterais beau-
coup, à ce stade-ci, à modifier l'ordre du Ministre
et je m'en remettrais plutôt aux parties afin que
celles-ci procèdent aux ajustements nécessaires
pour atteindre les buts visés par les dispositions
applicables lorsque le recouvrement est compromis
et afin que le contribuable, en tant que tel, soit
malgré tout en mesure de gérer ses affaires, quelles
qu'elles soient.
Les avocats m'informent qu'à leur connaissance,
les nouvelles dispositions de la Loi de l'impôt sur
le revenu qui sont applicables lorsque le recouvre-
ment est compromis, n'ont pas encore été soumises
à l'examen des tribunaux. En pareilles circons-
tances, ceux-ci sont souvent tentés de déborder le
cadre de la question en litige dans une affaire et
finissent alors par se livrer à des spéculations d'une
valeur incertaine. Il se peut que je n'aie pas suffi-
samment résisté à cette tentation. J'admets seule-
ment que l'intérêt suscité, en l'espèce, par les
débats aux multiples aspects ont constitué une
tentation difficile à repousser.
L'ordre du Ministre est confirmé. Conformé-
ment aux dispositions du paragraphe 225.2(8),
aucuns dépens ne sont adjugés.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.