T-970-85
T-2130-85
Champion Truck Bodies Limited (demanderesse)
c.
La Reine du chef du Canada (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: CHAMPION TRUCK BODIES LTD. c. R.
Division de première instance, juge Strayer—
Ottawa, 26 juin et 4 juillet 1986.
Pratique — Communication de documents et interrogatoire
préalable — Interrogatoire préalable — Requête visant à
exclure le représentant de la défenderesse de l'interrogatoire
préalable du représentant de la demanderesse — Requête
rejetée — La Règle 465(20) donne compétence à la Cour —
Une partie, ou son représentant, est habilitée à comparaftre à
des procédures judiciaires sauf dans des circonstances inhabi-
tuelles — Ce principe s'applique d'autant plus dans le cas
d'interrogatoires préalables — Il est important que l'avocat
qui procède à l'interrogatoire préalable reçoive des directives
claires pendant ledit interrogatoire — Le genre de témoignage
acceptable à l'interrogatoire préalable et le but de celui-ci
réduisent la crainte de voir les témoins façonner leur témoi-
gnage en se fondant sur les témoignages des témoins de l'autre
partie — La preuve n'a pas révélé l'existence de circonstances
spéciales dont la présence est requise pour exclure un repré-
sentant — Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663,
Règle 465.
JURISPRUDENCE
DÉCISION EXAMINÉE:
Green c. R., [1980] 2 C.F. 524 (lie inst.).
AVOCATS:
Richard P. Bowles pour la demanderesse.
Judith McCann pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Hough & Bowles, Ottawa, pour la demande-
resse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE STRAYER: La demanderesse en l'es-
pèce et dans une autre action mettant en cause les
mêmes parties et portant le numéro de greffe
T-2130-85 a présenté une demande censément
fondée sur la Règle 465 [Règles de la Cour fédé-
rale, C.R.C., chap. 663] en vue d'obtenir une
ordonnance portant notamment que:
[TRADUCTION] ... la défenderesse ... n'a pas droit à ce que la
personne qu'elle a désignée pour être interrogée au préalable
soit présente à l'interrogatoire préalable du représentant de la
demanderesse.
Il ressort d'un affidavit joint à la demande que, le
jour choisi par les avocats pour l'interrogatoire du
représentant de la demanderesse, l'avocate de la
défenderesse était accompagnée d'un certain Ber-
nard Fournier qui était le représentant de la défen-
deresse devant être interrogé au préalable le lende-
main par l'avocat de la demanderesse. Celui-ci
s'est opposé à la présence de Fournier à l'interro-
gatoire du représentant de la demanderesse. L'in-
terrogatoire n'a pas eu lieu et l'avocat a présenté
les requêtes en cause, une dans chaque action. J'ai
rejeté les deux requêtes, prononcé de courts motifs
et indiqué que je rédigerais des motifs vu l'origina-
lité de cette question.
J'avais au départ certains doutes quant à ma
compétence pour donner de telles directives. J'ai
finalement eu la conviction que même si la Règle
465 ne contient aucune disposition expresse à cette
fin, il pouvait s'agir d'un cas où le représentant de
la demanderesse refusait d'être interrogé en pré-
sence de Fournier, ce qui obligeait la Cour à
déterminer en vertu de l'alinéa 465(20) si ce refus
reposait sur une «excuse raisonnable». J'ai égale-
ment tenu compte de l'affaire Green c. R., [1980]
2 C.F. 524 (1" inst.), dans laquelle le juge Maho-
ney a déterminé si un témoin expert avait le droit
d'être présent pour aider l'avocat dans l'interroga-
toire de la partie adverse.
Pour arriver à cette conclusion, j'ai présumé au
départ qu'un individu est normalement habilité à
comparaître lorsqu'il s'agit de procédures judiciai-
res auxquelles il est partie. Lorsque la partie n'est
pas une personne physique mais une société ou la
Couronne, elle a droit à la présence d'un représen-
tant. Fournier est le représentant de la défende-
resse en l'espèce.
Suivant mon interprétation de la jurisprudence,
il existe des exceptions à ce principe, mais elles
sont peu nombreuses et comportent des circons-
tances inhabituelles. Même lorsqu'une partie ou
son représentant doit comparaître comme témoin
au cours d'un procès et qu'une ordonnance est
rendue pour exclure les autres témoins avant leur
déposition, la Cour n'exclura normalement pas une
telle personne. Il en est ainsi bien que la pratique
consiste à rendre des ordonnances d'exclusion dès
qu'elles sont demandées. Cela indique manifeste-
ment l'importance que l'on attache au droit d'une
partie d'être présente et de donner des directives à
son avocat tout au long de l'affaire.
J'estime à certains égards qu'il est encore plus
important que le représentant d'une partie assiste
à l'interrogatoire préalable de la partie adverse. Il
est dans l'intérêt de la justice que les interrogatoi-
res préalables soient complets, ce qui veut dire que
les questions posées doivent être aussi pertinentes
que possible. Le but de l'interrogatoire est d'exa-
miner en profondeur les points soulevés dans les
plaidoiries écrites, de comprendre la position de la
partie interrogée au préalable et d'obtenir des
aveux de celle-ci et ce, dans le but de délimiter les
points en litige et de réduire le plus possible le
nombre des questions qui devront être tranchées au
procès. Tous ces éléments indiquent jusqu'à quel
point il est important que l'avocat qui procède à
l'interrogatoire préalable reçoive des directives
claires de son client pendant ledit interrogatoire.
La demanderesse allègue pour l'essentiel que la
présence du représentant de la défenderesse au
cours de l'interrogatoire de son représentant est
«inéquitable» parce qu'elle pourrait permettre au
premier de «façonner» son «témoignage» en fonc-
tion du «témoignage» du second. L'affidavit pro-
duit au soutien de la demande ne contient aucun
motif justifiant cette crainte qui est tout simple-
ment énoncée en termes généraux. J'estime que cet
énoncé n'est pas approprié pour deux motifs. Pre-
mièrement, je crois qu'il exagère le rôle de la
personne interrogée en sa qualité de «témoin». La
personne interrogée ne «témoigne» pas nécessaire-
ment en communiquant ses connaissances person-
nelles et ses observations comme le fait un témoin
au procès, mais son rôle est plutôt de faire part de
la position de la partie qu'elle représente. Il est
possible que cela ne constitue qu'une simple preuve
par ouï-dire. L'interrogatoire vise à faire connaître
non pas le témoignage que produira la personne
interrogée mais plutôt les faits qui sont pertinents
aux procédures et que l'autre partie connaît. À
mon avis, ces considérations réduisent considéra-
blement la crainte de voir les témoins d'un incident
particulier «façonner» leur témoignage en se fon
dant sur la déposition des témoins de l'autre partie.
Deuxièmement, pour les motifs énoncés plus haut
concernant l'importance de la présence du repré-
sentant de la partie aux côtés de l'avocat de cel-
le-ci, on ne peut absolument pas, à mon avis,
affirmer qu'une telle personne ne peut jamais
assister à l'interrogatoire de la partie adverse si
elle doit elle-même être interrogée plus tard. Il
faudrait des circonstances très spéciales pour justi-
fier l'exclusion de cette personne et les éléments de
preuve fournis par la demanderesse ne révèlent pas
en l'espèce l'existence de telles circonstances.
Pour ces motifs, j'ai rejeté les requêtes, les
dépens devant suivre l'issue de la cause. Évidem-
ment, ces motifs s'appliquent aussi à la requête
présentée dans l'affaire T-2130-85.
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