A-1418-84
Banque de Commerce Canadienne Impériale
(requérante)
c.
Marc Boisvert, ès qualité d'arbitre siégeant en
vertu des dispositions de l'article 61.5 du Code
canadien du travail et Jacqueline Chayer
(intimés)
RÉPERTORIÉ: BANQUE DE COMMERCE CANADIENNE IMPÉ-
RIALE C. BOISVERT
Cour d'appel, juges Marceau, MacGuigan et
Lacombe—Montréal, 27 janvier; Ottawa, 3 avril
1986.
Relations du travail — Congédiement injuste — Demande
d'examen de la décision de l'arbitre portant que le congédie-
ment est injuste — La Banque a renvoyé l'employée après
l'arrestation du concubin de celle-ci pour des vols commis à la
Banque — L'arbitre a ordonné à la Banque de payer une
indemnité égale au salaire perdu — Les parties avaient au
préalable convenu que seule la légitimité de la plainte serait
débattue — Demande accueillie — L'omission d'entendre les
parties sur la question des mesures de redressement viole la
règle audi alteram partem — L'arbitre a commis une erreur en
statuant que pour qu'il existe une cause juste de congédiement
l'intimée devait avoir commis un acte illégal — Tout acte de
l'employée incompatible avec l'exercice régulier ou loyal de ses
fonctions constitue une cause suffisante — Le mariage ou la
cohabitation avec une personne particulière peut, dans certains
cas, créer une cause juste de congédiement — La nature et les
exigences de l'emploi rendaient la cohabitation continue avec
un voleur incompatible avec les fonctions exercées — La
Banque avait, en vertu du contrat de travail, le droit de
congédier l'employée parce que celle-ci s'était engagée à éviter
de se conduire de façon préjudiciable aux intérêts et à la
réputation de la Banque — Examen de la question du congé-
diement administratif et du conflit d'intérêts — Code canadien
du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art. 61.5 (édicté par S.C.
1977-78, chap. 27, art. 21; mod. par S.C. 1980-81-82-83,
chap. 47, art. 27; 1984, chap. 39, art. 11), 122(1) (mod. par
S.C. 1977-78, chap. 27, art. 43).
Contrôle judiciaire — Demandes d'examen — Relations du
travail — Demande d'examen de la décision de l'arbitre
portant que le congédiement est injuste — Employée congédiée
du poste de cadre qu'elle occupait à la Banque après l'arresta-
tion de son concubin pour vols commis dans des banques —
Demande accueillie — La décision de l'arbitre rendue confor-
mément à l'art. 61.5 du Code peut faire l'objet d'un examen
prévu à l'art. 28 malgré la clause privative de l'art. 61.5(10) —
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art.
28 — Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L- I, art.
61.5(10) (édicté par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 21).
Il s'agit d'une demande d'examen de la décision d'un arbitre
portant que le congédiement de l'intimée Chayer était injuste.
La Banque a congédié l'intimée du poste de cadre que celle-ci
occupait à l'une de ses succursales montréalaises après l'arres-
tation de son concub n pour deux vols qualifiés commis à la
même succursale de la Banque à Saint-Lambert. Chayer a
déposé une plainte en vertu de l'article 61.5 du Code canadien
du travail. L'arbitre ordonné à la Banque de payer à son
ancienne employée un indemnité égale au salaire qu'elle avait
perdu même si, dès le départ, les parties avaient convenu que
seule la question de la égitimité de la plainte serait débattue.
L'arbitre est parti du p incipe que la «cause juste» dont il est
question à l'article 61.5 implique la nécessité de la responsabi-
lité personnelle du salari ». Il a ensuite résumé les témoignages
pour montrer qu'il n'existait aucune preuve que la plaignante
avait révélé à l'homme avec lequel elle vivait des informations
confidentielles concernant les mesures de sécurité. Il a statué
qu'il ne pouvait y avoir de conflit d'intérêts sans une faute
précise de la part de l'employée et que le simple fait de vivre
avec une personne ne pouvait constituer une telle faute. L'arbi-
tre a rejeté la suggestion qu'il s'agissait d'un congédiement
administratif car un congédiement n'est administratif que dans
des circonstances très particulières mettant en cause soit la
capacité physique d'un salarié à accomplir son travail soit son
incompétence.
Arrêt: la requête devrait être accueillie.
Le juge Marceau: Le raisonnement de l'arbitre est sans
valeur parce qu'il est fondé sur une prémisse fausse. L'article
61.5 a modifié le droit de congédiement en vue d'éviter l'arbi-
traire de l'employeur et d'assurer une continuité de l'emploi. Il
n'existe plus qu'un droit de congédiement «juste», ce qui veut
dire un congédiement qui se rattache à une cause objective,
réelle et sérieuse, indépendante des incompatibilités d'humeur,
des convenances ou des mésintelligences purement personnelles,
et se présente comme une mesure prise exclusivement pour
assurer le bon fonctionnement de l'entreprise. Aller au-delà de
cela, comme l'a fait l'arbitre, est erroné. Bien qu'il soit difficile
de justifier un congédiement fondé sur l'article 61.5, il est
possible de le faire en dehors des cas d'incompétence ou d'inca-
pacité ou de faute grave de l'employé.
Si le recours de l'article 61.5 n'était ouvert que dans les cas
de congédiements disciplinaires, la proposition de l'arbitre, qui
consiste à dire que tout congédiement non fondé sur un acte
fautif de l'employé est injuste, serait irréfutable. On ne saurait
punir quelqu'un pour autre chose qu'un acte qu'il a lui-même
commis. Mais depuis son introduction dans le Code, le recours
de l'article 61.5 a servi à des employés mis à pied pour des
motifs autres que disciplinaires. Le «congédiement administra-
tif» est le congédiement non disciplinaire que l'employeur peut
justifier par l'incompétence ou l'incapacité physique ou mentale
de l'employé, et le «conflit d'intérêts» est depuis longtemps
présenté comme motif justifiant un renvoi. Toute résiliation
unilatérale du contrat de travail par l'employeur est visée par
l'article 61.5, la seule exception étant la cessation d'emploi des
employés devenus superflus.
La justification invoquée par la Banque satisfaisait aux
exigences de l'article 61.5 même si la situation en l'espèce n'en
était pas une de conflit d'intérêts. Cette notion de conflit
d'intérêts s'applique plutôt aux situations où l'employé s'adonne
à des activités qui sont extérieures et parallèles à celles qu'il
exerce dans le cadre de son travail mais qui viennent en conflit
avec elles. Cependant, l'employé peut perdre une qualité ou un
attribut qui pouvait raisonnablement être considéré comme
nécessaire à l'exercice de l'emploi de sorte qu'il en résulte chez
l'employeur une perte de confiance telle que des relations
normales employeur-employé ne pourraient plus se poursuivre.
Il n'est pas utile d'examiner, dans une action fondée sur
l'article 61.5 du Code, la question de savoir si la Banque aurait
dû verser une certaine indemnité pour tenir lieu de préavis.
Le juge MacGuigan (avec l'appui du juge Lacombe): Il se
pose une question préliminaire quant à l'effet de la clause
privative du paragraphe 61.5(10) du Code canadien du travail.
Suivant le paragraphe 122(1) du Code, aucune décision du
Conseil canadien des relations du travail ne peut être révisée
par la Cour fédérale si ce n'est conformément à l'alinéa 28(1)a)
de la Loi sur la Cour fédérale en cas seulement de manque-
ment à la justice naturelle, d'excès de compétence ou de refus
d'exercer celle-ci. Les intimés ont allégué que la clause priva-
tive du paragraphe 61.5(10) pouvait offrir aux arbitres la
même immunité que celle dont jouit le Conseil à l'égard du
contrôle judiciaire en vertu des alinéas 28(1)b) et c). Une
décision contraire a déjà été rendue sur cette question dans
-
l'affaire La Pioneer Grain Co. Ltd. c. Kraus, [1981] 2 C.F. 815
(C.A.).
L'arbitre a commis une erreur de droit quant au redresse-
ment accordé. Dans l'arrêt Corporation Dicom c. Petit, juge-
ment en date du 21 novembre 1984, Cour d'appel fédérale,
A-413-84, non encore publié, la Cour a statué qu'un arbitre qui
omet d'entendre les parties sur la question des mesures de
redressement viole la règle de justice naturelle audi alteram
partem. En l'espèce, l'arbitre est tombé dans le même piège.
Pour cette seule lacune, l'affaire doit être renvoyée devant
l'arbitre.
Il a été établi dans l'affaire Pearce v. Foster (1886), 17
Q.B.D. 536 (C.A.) que «l'employeur a le droit de congédier son
employé qui agit de façon incompatible avec l'exercice régulier
ou loyal de ses fonctions». Il n'est pas nécessaire de prouver que
l'employeur a subi un préjudice réel. Le préjudice virtuel suffit.
Il importe peu que les faits de l'espèce tombent à l'intérieur des
limites ordinaires d'un conflit d'intérêts ou pas puisqu'il suffi-
rait qu'ils établissent une incompatibilité avec les devoirs de
l'intimée envers son employeur.
Le droit applicable peut se résumer par le principe suivant: le
mariage ou la cohabitation avec une personne particulière peut,
dans certains cas, créer une cause juste de congédiement; tout
dépendra d'une analyse approfondie de la situation et plus
particulièrement de la nature et des exigences de l'emploi
concerné.
L'arbitre a commis une erreur en concluant que la cause
juste de congédiement exigeait que l'intimée ait commis un acte
illégal ou contraire à la loi. Si tel était le critère applicable,
plusieurs des cas de conflit d'intérêts seraient éliminés. Le
critère applicable à la détermination de la faute consiste à
déterminer si les actes de l'employé sont «incompatible[s] avec
l'exercice régulier ou loyal de ses fonctions».
En l'espèce, l'employeur est une banque qui reçoit des objets
de valeur qu'elle doit garder en sécurité et qu'elle doit s'efforcer
à tout prix de protéger du vol. À partir de février 1980, la
cohabitation de la plaignante avec une personne reconnue
coupable de vol la plaçait dans une situation d'incompatibilité
avec ses devoirs envers son employeur. Les activités illégales de
son concubin constituaient une menace pour tous les établisse-
ments financiers. Comme elle occupait un poste-clé, la plai-
gnante était directement au courant des mesures de sécurité de
la Banque pour laquelle elle travaillait et, indirectement, de
celles d'autres banques. Vivant en relations aussi étroites avec
son concubin, elle pouvait, même par mégarde, laisser échapper
un détail utile à un esprit criminel éveillé. Il faut considérer que
les actes criminels du concubin de la plaignante étaient claire-
ment visibles aux yeux de celle-ci qui a trahi ses obligations
envers son employeur en continuant de fréquenter un tel crimi-
nel. Il ne faut rien de plus pour qu'il y ait incompatibilité avec
les intérêts de son employeur. En vertu du contrat de travail qui
la liait à son employeur, la plaignante s'était engagée à se
comporter de façon honnête et loyale et à éviter de se conduire
de façon préjudiciable aux intérêts et à la réputation de la
Banque. Dans ces circonstances, la Banque avait également, en
vertu du contrat, le droit de mettre fin sans préavis à l'emploi
de la plaignante.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
La Pioneer Grain Co. Ltd. c. Kraus, [1981] 2 C.O. 815
(CA.); Corporation Dicom c. Petit, jugement en date du
21 novembre 1984, Cour d'appel fédérale, A-413-84, non
encore publié; Pearce v. Foster (1886), 17 Q.B.D. 536
(C.A.); Bursey v. Acadia Motors Ltd. (1980), 28 N.B.R.
(2d) 361 (Q.B.); mod. par (1982), 35 N.B.R. (2d) 587
(C.A.); Clouston & Co., Ld. v. Corry, [1906] A.C. 122
(P.C.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
R. v. Arthurs, Ex p. Port Arthur Shipbuilding Co.,
[1967] 2 O.R. 49; 62 D.L.R. (2d) 342 (C.A. Ont.); Re
Granby (Ville de) and Fraternité des Policiers de Granby
Inc. (1981), 3 L.A.C. (3d) 443; Foot v. Eastern Counties
Timber Co. Ltd., [1972] 1 I.R.L.R. 83 (Brit. Ind. Trib.);
Skyrail Oceanic Ltd. v. Coleman, [1980] I.C.R. 596
(Brit. Empt. App. Trib.); infirmée par [1981] I.C.R. 864
(C.A.); Caldwell et autre c. Stuart et autres, [1984] 2
R.C.S. 603; Cindy Bosi v. Township of Michipicoten and
K.P. Zurby (1983), 4 C.H.R.R. D/1252 (Comm. d'enq.).
DÉCISIONS CITÉES:
Empey v. Coastal Towing Co. Ltd., [1977] 1 W.W.R.
673 (C.S.C.-B.); Tozer v. Hutchison (1869), 12 N.B.R.
540 (C.A.); Federal Supply and Cold Storage Co. of
South Africa v. Angehrn & Piel (1910), 80 L.J.P.C. 1.
AVOCATS:
Louis P. Bélanger pour la requérante.
André Aumais pour Jacqueline Chayer,
intimée.
PROCUREURS:
Stikeman, Elliott, Montréal, pour la requé-
rante.
Gurman, Marcovitch & Aumais, Montréal,
pour Jacqueline Chayer, intimée.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE MARCEAU: Cette demande est dirigée
contre une décision arbitrale rendue sous l'autorité
de l'article 61.5 du Code canadien du travail
[S.R.C. 1970, chap. L-1, édicté par S.C. 1977-78,
chap. 27, art. 21; mod. par S.C. 1980-81-82-83,
chap. 47, art. 27; 1984, chap. 39, art. 11], cet
article que le Parlement a adopté en 1978, en vue
d'assurer aux employés non syndiqués des entrepri-
ses sous sa juridiction une protection contre la
possibilité de congédiements injustes analogue à
celle que se réservent toujours les employés syndi-
qués dans leur convention collective. L'article (que
je préfère ne reproduire qu'en annexe à cause de sa
longueur, d'autant plus qu'il est inutile ici d'en
connaître toutes les dispositions) prévoit que sur la
plainte de l'employé «qui considère avoir été congé-
dié de façon injuste», le Ministre, au cas d'échec de
la médiation d'un inspecteur, peut désigner un
arbitre qui, si la plainte lui paraît fondée, choisira
et imposera le ou les remèdes qui lui paraîtront
appropriés, y compris celui de la réintégration. La
grande difficulté, mais aussi l'intérêt spécial de
cette demande dont la Cour est saisie, aujourd'hui,
vient de ce que sa solution exige, à mon sens, une
prise de position sur certains des aspects les moins
explorés et les plus mal définis de ce recours
nouveau, exorbitant du droit commun, qu'est le
recours pour congédiement injuste de l'article 61.5
du Code canadien du travail.
Les faits à la base du litige sont peu banals mais
non vraiment compliqués. Le 8 février 1980, cinq
individus, tête masquée et arme en main, faisaient
irruption dans une succursale de la Banque appe-
lante, subjuguaient non sans violence les occu
pants, s'emparaient des argents en caisse et pre-
naient la fuite. C'était le deuxième vol à main
armée, à la même succursale de la Banque, dans
l'espace de trois semaines et les employés purent
reconnaître les mêmes bandits que la première fois
conduits par le même chef de bande. Les nouveaux
indices, joints à ceux qui avaient déjà été recueillis,
permirent aux officiers de police alertés de confir-
mer les soupçons qu'ils entretenaient à l'égard d'un
certain Régis Beaulieu, criminel récidiviste, dont le
dossier comprenait déjà deux vols qualifiés. Les
policiers eurent l'idée de donner suite à leur soup-
çon et de tenter sans délai une descente au lieu de
résidence déjà repéré de celui qu'ils soupçonnaient.
Leur intuition les avait bien servis: au moment de
leur irruption dans l'appartement, Beaulieu et ses
quatre complices étaient en train de partager le
fruit de leur vol et les armes et autres accessoires
dont ils s'étaient servis pour opérer étaient à peine
camouflés. Les cinq hommes furent naturellement
mis sous arrêt et tous devaient éventuellement
plaider coupables. Il arriva cependant qu'au cours
de leur enquête, les policiers se rendirent compte
que l'appartement qu'habitait Beaulieu et où il
avait été appréhendé était en fait aussi l'apparte-
ment de Jacqueline Chayer, sa concubine avec
laquelle il vivait maritalement depuis plusieurs
années, et que cette Jacqueline Chayer était une
employée cadre de la Banque, où elle travaillait
comme comptable dans une succursale. Trois jours
plus tard, les supérieurs de Jacqueline Chayer
l'avisait que son travail auprès de la Banque ne
pouvait plus se poursuivre et que son engagement
était immédiatement résilié. Voilà pour les faits.
Passons aux procédures.
Protestant de son innocence et refusant de se
soumettre passivement à la réaction de son
employeur, Jacqueline Chayer décida de se préva-
loir du nouveau recours que les dispositions de
l'article 61.5 du Code du travail avait introduit en
1978. Elle formula une plainte auprès d'un inspec-
teur en disant qu'elle considérait avoir été congé-
diée d'une façon injuste. L'inspecteur naturelle-
ment ne pouvait qu'échouer dans sa médiation, et
le Ministre dut rapidement désigner un arbitre
pour entendre et disposer de la plainte. Au cours
de l'enquête, la Banque fit défiler une longue série
de témoins, dont trois experts en sécurité, pour
établir qu'étant donné sa grande vulnérabilité aux
vols à main armée, elle ne pouvait se permettre de
garder comme employée cadre, ce qui implique
une employée en tout temps informée de toutes les
ramifications du système de sécurité des succursa-
les, la concubine d'un voleur de banque apparem-
ment endurci, et chef de bande par surcroît. Un
conflit d'intérêts existait, soutint-elle, qui l'autori-
sait à mettre fin unilatéralement au contrat d'en-
gagement. L'arbitre ne fut nullement impres-
sionné: au terme de l'enquête, il déclara le
congédiement totalement injustifié et condamna la
Banque à payer à son ancienne employée une
indemnité équivalente au salaire qu'elle aurait
gagné au cours des 16 mois écoulés n'eût été sa
mise à pied, ajoutant que s'il n'ordonnait pas en
plus la réintégration c'était uniquement parce que
la plaignante elle-même avait déclaré n'en pas
vouloir. Il ne fait plus de doute, depuis l'arrêt de
cette Cour dans La Pioneer Grain Co. Ltd. c.
Kraus, [1981] 2 C.F. 815 (C.A.), que la décision
d'un arbitre en vertu de l'article 61.5 du Code du
travail reste pleinement soumise aux pouvoirs de
révision et de contrôle de l'article 28, malgré la
clause privative du paragraphe 61.5(10). Aussi, la
Banque ne tarda-t-elle pas à inscrire la présente
demande aux fins d'obtenir l'examen et l'annula-
tion de la décision de l'arbitre.
C'est naturellement à partir des motifs que l'ar-
bitre a donnés pour expliquer sa façon de voir et
appuyer ses conclusions que l'on peut juger de la
valeur de la décision. Ces motifs sont très élaborés,
étalés qu'ils sont sur plus de quarante pages, mais
je pense qu'il suffit, pour en apprécier la teneur et
être en mesure d'en discuter, d'en connaître les
grandes lignes et de voir clairement le raisonne-
ment fort simple qui s'y retrouve. L'arbitre part de
la prémisse que la «cause juste» de l'article 61.5 du
Code canadien du travail «implique la nécessité de
la responsabilité personnelle du salarié», et que la
meilleure définition qu'on en puisse donner est
celle retenue dans une affaire antérieure, R. v.
Arthurs, Ex p. Port Arthur Shipbuilding Co.,
[1967] 2 O.R. 49; 62 D.L.R. (2d) 342 (C.A. Ont.)
[à la page 55 O.R.; 348 D.L.R.] (per Schroeder
J.A.) et exprimée comme suit:
[TRADUCTION] Si un employé s'est rendu coupable d'un acte
dérogatoire grave, d'un manquement habituel à son devoir,
d'incompétence ou d'un comportement incompatible avec ses
fonctions ou préjudiciables aux affaires de l'employeur, ou s'il a
été désobéi volontairement aux ordres de l'employeur sur une
question importante, la loi reconnaît à l'employeur le droit de
congédier sommairement l'employé délinquant.
L'arbitre procède alors à un résumé des témoigna-
ges pour montrer qu'on n'en saurait déduire la
preuve que la plaignante aurait donné à son concu-
bin des informations confidentielles concernant les
mesures de sécurité: la Banque, dit-il, ne peut donc
pas l'accuser de participation aux vols. La Banque
ne peut pas non plus, poursuit l'arbitre, parler de
conflit d'intérêts car on ne saurait parler de conflit
d'intérêts sans un acte répréhensible précis du
salarié, un acte «qui constituerait une "miscon-
duct", une faute, un acte dérogatoire», et tel n'est
certes pas le seul fait pour la plaignante de vivre
avec l'homme qu'elle aime et qu'elle veut aider.
Lui adresser quelque reproche que ce soit serait
faire de la faute de son concubin sa faute à elle et
«ériger en dogme le principe de la responsabilité
pour la faute d'autrui». L'arbitre enfin rejette la
suggestion qu'il s'agirait d'un congédiement admi-
nistratif puisque, dit-il, un congédiement «est dit
administratif dans les circonstances très particuliè-
res, circonstances mettant en cause soit la capacité
physique d'un salarié à pouvoir accomplir son tra
vail, soit son incompétence» et rien de tel n'est
invoqué ici. Et ayant ainsi rejeté toutes les préten-
tions de la Banque, l'arbitre n'a aucune peine à
conclure à l'injustice flagrante du congédiement et
à la nécessité d'une réparation totale.
Je dois dire incidemment qu'en décidant sur le
champ des remèdes à imposer, l'arbitre oubliait
l'entente intervenue au départ et acceptée par lui à
l'effet que seule la légitimité de la plainte serait
débattue en un premier temps, la question de la
réparation adéquate, si elle devait se présenter,
devant faire l'objet d'une audition subséquente. En
autant qu'elle impose le paiement d'une indemnité,
la décision a donc été rendue sans plein respect des
règles de justice naturelle (Corporation Dicom c.
Petit, décision du 21 novembre 1984, Cour d'appel
fédérale, A-413-84, encore inédite; permission d'en
appeler refusée: [1985] 1 R.C.S. vii): elle ne peut
certes à cet égard tenir. Mais c'est quant à ses
conclusions sur la légitimité de la plainte qu'il nous
importe, pour le moment, de la considérer.
Ainsi, en exposant sa façon de voir, l'arbitre
rejette bien la possibilité à son avis d'appliquer aux
faits de l'espèce des notions comme celles de «con-
flit d'intérêts» et de «congédiement administratifs»,
mais il s'arrête à cela parce que l'argumentation de
la Banque l'y forçait, comme en passant et par
surcroît. Le véritable fondement de la position
qu'il adopte se trouve tout entier dans sa proposi
tion de départ, soit que, hors les cas d'incapacité
physique et mentale, est injuste au sens de l'article
61.5 du Code, et donc sujet à sanction, tout licen-
ciement d'un employé non fondé sur un acte répré-
hensible et fautif dont l'employé se serait rendu
coupable. Cette proposition juridique est-elle
valide? Si elle l'est, alors le raisonnement est inat-
taquable et la conclusion que l'arbitre en tire ne
peut qu'être maintenue, car le reste n'est qu'appré-
ciation de preuve dans laquelle cette Cour n'a pas
à s'immiscer. Je ne pense pas d'ailleurs que la
Banque ait jamais eu la naïveté de se croire capa
ble de démontrer que l'intimée avait dévoilé les
mesures de sécurité en vigueur dans ses succursales
ou avait autrement facilité la commission des vols
(de toute façon c'est devant les tribunaux criminels
qu'elle aurait alors agi) et personne, je suppose, ne
penserait soutenir un instant que le fait de vivre
avec un criminel constitue en soi un acte répréhen-
sible. Si au contraire cette proposition juridique de
départ de l'arbitre n'est pas valide, alors le raison-
nement est erroné et ne peut, comme tel, appuyer
la conclusion. Aussi est-ce là la question majeure
que ce pourvoi pose.
Il est banal de rappeler que l'introduction, en
1978, du recours de l'article 61.5 du Code a consti-
tué une étape tout à fait majeure dans la transfor
mation qu'a connue le droit du travail applicable
aux entreprises fédérales depuis l'époque où il se
présentait encore comme un droit d'inspiration
purement libérale fondé sur le dogme de l'autono-
mie de la volonté. Sans doute le droit de l'em-
ployeur de mettre fin à l'engagement de son
employé était déjà loin d'être sans condition (préa-
vis, indemnité de départ) et la jurisprudence de
droit commun n'hésitait plus à faire usage de la
théorie de l'abus des droits pour sanctionner l'exer-
cice intempestif par lui du droit de licencier. Mais
une fois le recours de l'article 61.5 en place, il
n'était certes plus possible de présenter comme
auparavant le droit de résiliation comme étant de
l'essence même du contrat de travail à durée indé-
terminée; il n'était plus question non plus de parler
à ce sujet de liberté des conventions car les disposi
tions nouvelles étaient dites d'ordre public' et, par
' Par l'effet du paragraphe 28(1) [mod. par S.C. 1977-78,
chap. 27, art. 3] applicable à toutes les dispositions de la Partie
III du Code dont fait partie l'article 61.5, lequel paragraphe se
lit comme suit:
28. (1) La présente Partie et tous ses règlements d'applica-
tion s'appliquent nonobstant toute autre loi ou quelque cou-
tume, contrat ou accord. Cependant, rien dans la présente
Partie ne doit s'interpréter comme atteignant les droits ou
avantages qu'a acquis un employé aux termes de quelque loi,
coutume, contrat ou accord qui lui sont plus favorables que
ceux que la présente Partie lui attribue.
conséquent, non affectées par les termes des con-
trats d'engagement. Et plus spectaculaire encore,
non seulement n'était-il plus question pour l'em-
ployeur de songer à mettre fin à volonté à l'enga-
gement de son employé, il pouvait même à l'avenir
se voir imposer d'autorité un employé qu'il ne
voudrait pas. Tout employé congédié injustement
(s'il ne faisait pas partie de la direction au sens du
paragraphe 27(4)) avait maintenant un moyen
d'obtenir, en plus d'une indemnisation pécuniaire
complète, la réintégration dans son emploi. La loi
ne définissait pas la notion de congédiement
injuste mais c'était une notion non inconnue de la
jurisprudence de droit commun que la pratique,
s'est-on sans doute dit, pourrait préciser. (Voir les
remarques de I. Christie dans son livre Employ
ment Law in Canada, Toronto, Butterworths,
1980, pages 379 et s. et celles de C. G. Simmons
dans son étude The Experience of the Unjust
Dismissal Section, under Section 61.5 in The
Canada Labour Code 1978-1981, publiée par le
Centre de relations industrielles de l'Université
Queen's de Kingston, en 1981.)
La proposition de départ de l'arbitre, dont il
s'agit de vérifier le bien-fondé, constitue, on peut le
voir, une prise de position ferme sur le contenu de
cette notion de congédiement injuste à laquelle
l'article 61.5 se réfère. Selon lui, tout congédie-
ment non fondé sur un acte répréhensible et fautif
de l'employé est injuste. Si le recours de l'article
61.5 n'était ouvert que dans les cas de congédie-
ments disciplinaires—comme pourrait, à première
vue, le laisser supposer l'utilisation du mot «congé-
diement» qui, en langage courant, évoque d'abord
(tout comme le terme anglais «dismissed» d'ail-
leurs) l'idée de sanction, de mise à la porte—la
proposition de l'arbitre serait à sa face même
irréfutable. On ne saurait discipliner et punir quel-
qu'un pour autre chose qu'un acte qu'il a commis
lui-même et qu'on peut lui reprocher. Mais il est
clair que la pratique et la jurisprudence ne l'ont
jamais vu ainsi. Depuis son introduction au Code,
le recours de l'article 61.5 a servi à des employés
mis à pied pour d'autres motifs que des motifs
disciplinaires. C'est justement à propos de ces
plaintes d'employés congédiés pour des motifs
autres que disciplinaires qu'ont été développées ces
notions de congédiements administratifs et de con-
flits d'intérêts dont la décision de l'arbitre fait état.
Le «congédiement administratif», d'après ce que je
comprends de la jurisprudence arbitrale, c'est le
congédiement non disciplinaire que l'employeur
peut justifier, notamment, à partir de l'état d'in-
compétence ou d'incapacité physique ou mentale
de l'employé, et le «conflit d'intérêts» est depuis
longtemps reconnu et présenté comme motif justi-
ficatif d'un renvoi. Il me semble acquis aujourd'hui
que toute résiliation unilatérale par l'employeur du
contrat de travail qui l'unissait à son employé
tombe sous le coup de l'article 61.5, la seule
exception étant la cessation d'emploi des employés
devenus superflus réglementée précédemment au
Code de façon expresse. Ainsi ressort toute la
portée de la proposition de l'arbitre: en dehors des
cas d'incompétence et d'incapacité, l'absence de
faute personnelle de l'employé (impliquée, d'après
lui, même dans la notion de conflit d'intérêts)
suffirait à conférer à un licenciement un caractère
abusif et injuste. C'est là une proposition à laquelle
je ne puis souscrire.
Je ne vois rien dans la loi, en effet, qui permet
de penser qu'en introduisant le recours de l'article
61.5, le Parlement voulait accorder à un employé
d'un an de service un droit sur son emploi qui soit
si absolu qu'on est porté à penser à un quasi-droit
de propriété (puisqu'il peut obtenir sa réintégra-
tion), et dont l'effet serait non seulement la sécu-
rité d'emploi mais la quasi-suppression des droits
et de la liberté de l'employeur. Je n'ai aucune
hésitation à dire que le nouveau recours de l'article
61.5 a laissé loin derrière lui le recours traditionnel
de droit commun et sa technique de l'abus. Le
droit lui-même de licenciement a été complètement
modifié en vue d'éviter l'arbitraire de l'employeur
et d'assurer une continuité de l'emploi. Il n'existe
plus qu'un droit de licenciement «juste», ce qui
veut dire, sans doute, un licenciement qui se ratta-
che à une cause objective, réelle et sérieuse, indé-
pendante des incompatibilités d'humeur, des con-
venances ou des mésintelligences purement
personnelles, et se présente comme une mesure
prise exclusivement pour assurer le bon fonctionne-
ment de l'entreprise. Mais je crois qu'aller au-delà
de ça, comme le fait l'arbitre, est, dans l'état
actuel du droit, sans fondement et erroné. La
justification de l'article 61.5 est sans doute extrê-
mement exigeante mais elle reste possible, à mon
sens, en dehors des cas d'incompétence ou d'inca-
pacité ou de faute grave de l'employé.
Ainsi, le raisonnement sur la base duquel l'arbi-
tre a refusé d'admettre que le renvoi dans les
circonstances pouvait être justifié m'apparaît sans
valeur parce que fondé sur une prémisse fausse. Il
se pourrait, il est vrai, que sa conclusion soit,
malgré tout, la bonne, et que de fait la justification
invoquée par la Banque serait en elle-même incon-
ciliable avec les exigences de l'article 61.5. L'er-
reur de l'arbitre aurait alors été sans conséquence.
Mais je ne crois pas que ce soit le cas. La Banque
a montré, par preuve d'experts, les problèmes que
lui aurait causés le maintien du contrat d'emploi
de l'intimée et le risque que cela aurait représenté
pour une institution comme la sienne. L'arbitre a
bien reconnu la force de cette preuve, mais c'est
uniquement son approche qui l'empêchait de la
considérer. «Je comprends», écrit-il au terme de sa
décision (page 37), «les problèmes que peut vivre la
Banque ... (mais), ces problèmes, la Banque doit
les supporter si elle n'a rien à reprocher à la
Plaignante». Je suis d'avis que la justification invo-
quée par la Banque rencontrait les exigences de
l'article 61.5. Je vois mal qu'on puisse parler de
conflit d'intérêts, comme le suggéraient les procu-
reurs de la Banque dans leur effort pour faire
entrer leur cas dans une classification reconnue. Il
me semble préférable de réserver cette notion de
conflit d'intérêts à ces situations où l'employé
s'adonne à des activités qui sont extérieures et
parallèles à celles qu'il exerce dans le cadre de son
travail mais qui viennent en conflit ou en concur
rence avec elles. Mais on peut, je pense, parler de
la disparition chez l'employé d'une qualité ou d'un
attribut qui pouvait raisonnablement être consi-
déré comme nécessaire à l'exercice de l'emploi, de
sorte qu'est résultée chez l'employeur une perte de
confiance telle que des relations normales
employeur-employé ne pouvaient plus se poursui-
vre. Il m'apparaît clair en lisant les remarques de
l'arbitre sur les témoignages entendus que si son
interprétation de la loi avait été celle que je consi-
dère la bonne, il aurait certes reconnu que la cause
objective, réelle et sérieuse requise par l'article
61.5 était effectivement présente, et je crois inutile
de lui retourner le dossier uniquement pour vérifier
la justesse de cette impression de ma part.
Cette constatation me semble décisive. On pour-
rait fort bien penser, je sais, que même si un motif
valable de résiliation de contrat existait, la Banque
aurait dû verser une certaine indemnité pour tenir
lieu de préavis. Il s'agit là d'une question qui
pourrait peut-être se soulever dans le cadre d'un
recours de droit commun fondé sur la théorie de
l'abus de droit ou même sur le contrat d'emploi de
l'intimée qui prévoyait un préavis de trois mois au
cas de résiliation par la Banque sans «raison suffi-
sante et valable» (expression qui là, rattachée
expressément à l'idée de conduite préjudiciable,
pourrait peut-être s'interpréter dans le sens de
faute (le contrat est reproduit au dossier d'appel
aux pages 412 et 413)). Mais dans le cadre d'un
recours comme ici fondé sur l'article 61.5 du Code,
la question ne me paraît pas pertinente car l'arbi-
tre n'acquiert des pouvoirs de sanction que dans la
mesure où il peut constater que le licenciement
lui-même était injustifié.
Je suis donc d'avis que la Cour doit maintenir la
présente demande et annuler la décision de l'arbi-
tre et qu'elle devrait renvoyer l'affaire à ce dernier
pour qu'il la décide de nouveau en prenant pour
acquis que la requérante avait un motif valable
pour mettre fin à l'engagement de l'intimée et que,
partant, le licenciement de celle-ci n'était pas, dans
les circonstances, injuste au sens de l'article 61.5
du Code.
Annexe
CONGÉDIEMENT INJUSTE
61.5 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), une
personne
a) qui a terminé douze mois consécutifs d'emploi continu au
service d'un employeur, et
b) qui ne fait pas partie d'un groupe d'employés soumis à une
convention collective
peut formuler par écrit une plainte auprès d'un inspecteur dans
le cas où elle a été congédiée d'une façon qu'elle considère
injuste.
(2) Sous réserve du paragraphe (2.1), une plainte formulée
en vertu du paragraphe (1) doit l'être dans les quatre-vingt-dix
jours qui suivent la date du congédiement.
(2.1) Le Ministre peut prolonger le délai visé au paragraphe
(2) pour formuler la plainte prévue par le présent article
lorsque
a) la personne visée au paragraphe (1) a formulé, dans le
délai visé au paragraphe (2), la plainte écrite visée au
paragraphe (1) auprès du fonctionnaire gouvernemental
qu'elle croit être celui qui est habilité à recevoir la plainte; et
b) le fonctionnaire gouvernemental n'était pas habilité à cette
fin.
(3) Aucune plainte ne peut être examinée par un arbitre dans
le cadre du paragraphe (8) lorsqu'une des situations suivantes
se présente:
a) le plaignant a été mis à pied par suite de manque de
travail ou de la cessation d'une fonction;
b) une procédure de redressement est prévue ailleurs dans la
présente loi ou dans une autre loi du Parlement.
(4) La personne congédiée visée au paragraphe (1) ou un
inspecteur peut demander par écrit à l'employeur de lui faire
connaître au moyen d'une déclaration écrite les motifs du
congédiement, et l'employeur est alors tenu de fournir cette
déclaration à la personne qui le demande dans les quinze jours
qui suivent la demande.
(5) Dès qu'une plainte en vertu du paragraphe (1) a été
reçue, un inspecteur doit s'efforcer d'aider les parties à régler la
plainte ou désigner un autre inspecteur dans ce but et, dans le
cas où la plainte n'a pas été réglée dans un délai que l'inspec-
teur chargé de la régler juge raisonnable d'après les circons-
tances, et si la personne qui a formulé la plainte réclame par
écrit le renvoi de l'affaire à un arbitre en vertu du paragraphe
(6), l'inspecteur doit
a) informer le Ministre de l'échec de son intervention; et
b) transmettre au Ministre la plainte présentée en vertu du
paragraphe (1), jointe de toute déclaration écrite exposant
les motifs du congédiement conformément au paragraphe (4)
ainsi que les autres documents ou déclarations pertinents
qu'il a en sa possession.
(6) Le Ministre peut, dès qu'il a reçu le rapport conformé-
ment au paragraphe (5), désigner en qualité d'arbitre la per-
sonne qu'il juge appropriée pour entendre l'affaire en question
et en décider; il peut, en outre, renvoyer la plainte à l'arbitre
avec la déclaration écrite donnant les motifs du congédiement
qui fut remise conformément au paragraphe (4).
(7) Un arbitre à qui une plainte a été soumise conformément
au paragraphe (6)
a) doit l'examiner dans le délai que le gouverneur en conseil
peut déterminer par règlement;
b) doit établir sa propre procédure, permettre à chaque partie
d'exposer pleinement son point de vue et de lui présenter des
preuves, et prendre connaissance des renseignements reçus
conformément au paragraphe (6); et
c) détient à cet effet les pouvoirs que les alinéas 118a), b) et
c) attribuent au Conseil canadien des relations du travail
relativement à toute procédure engagée devant le Conseil.
(8) L'arbitre doit examiner le caractère injuste du congédie-
ment de la personne dont la plainte a été l'objet d'un renvoi en
vertu du paragraphe (6) et doit rendre une décision et expédier
une copie de sa décision et de ses motifs à chaque partie ainsi
qu'au Ministre.
(9) Lorsque l'arbitre décide conformément au paragraphe
(8) que le congédiement d'une personne a été injuste, il peut,
par ordonnance, requérir l'employeur
a) de payer à cette personne une indemnité ne dépassant pas
la somme qui est équivalente au salaire qu'elle aurait norma-
lement gagné si elle n'avait pas été congédiée;
b) de réintégrer la personne dans son emploi; et
c) de faire toute autre chose qu'il juge équitable d'ordonner
afin de contrebalancer les effets du congédiement ou d'y
remédier.
(10) Toute ordonnance de l'arbitre désigné en vertu du
paragraphe (6) est définitive et ne peut être mise en question
devant un tribunal ni revisée par un tribunal.
(11) Aucune ordonnance ne peut être rendue, aucun bref ne
peut être décerné ni aucune procédure ne peut être engagée, par
ou devant un tribunal, soit sous forme d'injonction, certiorari,
prohibition ou quo warranto, soit autrement, pour mettre en
question, reviser, interdire ou restreindre une activité exercée
par un arbitre en vertu du présent article.
(12) Toute personne concernée par une ordonnance d'un
arbitre en vertu du paragraphe (9), ou le Ministre, à la
demande de cette personne, peut, après l'expiration d'un délai
de quatorze jours à partir de la date de l'ordonnance ou de la
date d'exécution qui y est fixée, si celle-ci est postérieure,
déposer à la Cour fédérale du Canada une copie du dispositif de
l'ordonnance.
(13) Dès son dépôt à la Cour fédérale du Canada effectué en
vertu du paragraphe (12), une ordonnance d'un arbitre doit
être enregistrée à la Cour et cet enregistrement lui confère la
même force et le même effet que s'il s'agissait d'un jugement
émanant de la Cour et toutes les procédures y faisant suite
peuvent dès lors être engagées en conséquence.
(13.1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, définir,
aux fins de la présente Division, les absences qui sont réputées
ne pas avoir interrompu la continuité de l'emploi.
(14) Le présent article ne suspend ou ne modifie aucun
recours civil qu'un employé peut avoir contre son employeur.
(15) L'article 45 s'applique aux fins de la présente Division.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE MACGUIGAN: Il s'agit d'une demande
d'examen et d'annulation en vertu de l'article 28
d'une décision rendue par un tribunal d'arbitrage
de griefs ((de tribunal» ou «l'arbitre») selon le Code
canadien du travail. L'arbitre y a décidé qu'une
banque n'avait pas le droit de congédier une
employée cadre pour la seule raison qu'elle cohabi-
tait avec une personne se livrant à des activités
illégales contraires aux intérêts de la banque.
L'intimée Jacqueline Chayer («l'intimée») a été
engagée par la Banque de Commerce Canadienne
Impériale («la requérante» ou «la Banque») en
1974. Au moment de son congédiement le 11
février 1980, elle était cadre de la Banque, plus
spécifiquement adjointe au chef d'administration
d'une des succursales montréalaises de la Banque.
L'intimée fit la connaissance de Régis Beaulieu
en 1976 et cohabita avec celui-ci à partir du mois
de novembre de la même année. En avril 1977,
Beaulieu et l'intimée se fiançaient. Leur vie com
mune fut interrompue pendant 17 mois: pendant
que Beaulieu purgeait une peine de prison, de mai
1978 mars 1979, l'intimée retourna vivre chez
ses parents et ne repris sa vie commune avec
Beaulieu qu'à partir d'octobre 1979. L'intimée
continua toutefois de rendre visite à Beaulieu pen
dant qu'il purgeait sa peine.
Le passé de ce Beaulieu est pour le moins
chargé: condamné à dix mois de prison pour le vol
qualifié d'une «Villa du poulet» le 12 juillet 1977, il
sera condamné également à sept jours de prison
pour avoir eu, le 4 novembre 1977, huit cigarettes
de marijuana en sa possession; accusé d'avoir per-
pétré un vol qualifié le 15 novembre 1979 l'en-
contre d'un supermarché Steinberg, il sera libéré
de cette accusation à l'enquête préliminaire, faute
de preuves; au moment où l'intimée était congé-
diée, il était en outre accusé d'un troisième vol
qualifié commis le 23 novembre 1979. Beaulieu fut
remis en liberté grâce à la caution de l'intimée;
après le congédiement de l'intimée au printemps
1980, Beaulieu fut reconnu coupable de ce troi-
sième larcin et condamné à une peine de 15 mois
de prison.
Dans les premiers mois de 1980, la même suc-
cursale de la Banque, à St-Lambert, fut l'objet de
deux vols qualifiés commis à deux semaines d'in-
tervalle l'un de l'autre. À chaque occasion, plus de
6 000 $ furent ainsi volés. Lors du premier vol, le
25 janvier 1980, deux employés de la Banque
furent blessés par des plombs provenant de la
décharge d'un fusil à canon tronçonné.
Quelque sept à huit minutes après que le second
vol eut été commis, le 8 février 1980, les policiers
faisaient irruption au domicile de l'intimée. Ils
procédèrent alors à l'arrestation de cinq suspects,
dont Beaulieu, et à la saisie d'un revolver et d'une
carabine tronçonnée. Au moment de leur arresta-
tion, les suspects comptaient l'argent qu'ils allaient
se partager. L'intimée fut informée des événements
de la journée par deux policiers dès son retour à
son appartement.
Le 11 février 1980, l'intimée était mise en
demeure de démissionner, à défaut de quoi elle
serait congédiée. L'intimée refusa cet ultimatum et
fut immédiatement renvoyée. L'intimée déposa
une plainte pour congédiement injuste le 7 mars
1980 auprès du ministère fédéral du Travail, en
vertu du paragraphe 61.5(1) du Code canadien du
travail. La plainte fut renvoyée à l'arbitrage par le
ministre du Travail en vertu du paragraphe
61.5(6) dudit Code. C'est cette décision de l'arbi-
tre Boisvert qui fait l'objet de la demande d'exa-
men et d'annulation dont nous sommes saisis
aujourd'hui.
Voici la décision de l'arbitre en l'espèce:
Je dois ... m'interroger sur le caractère juste ou injuste du
congédiement de la Plaignante, et pour ce faire, je dois me
demander ce qui peut constituer une cause juste de congédie-
ment au sens de la loi.
Notion de «cause juste»
Cette notion de «cause juste» a très bien été cernée par le
professeur Palmer dans son volume intitulé Collective Arbitra
tion in Canada, lorsqu'il nous indique que la «cause juste»
implique la nécessité de la responsabilité personnelle du salarié.
Il s'exprime d'ailleurs comme suit à ce sujet:
[TRADUCTION] L'idée essentielle de la théorie de la cause
juste est que les employés ne peuvent être punis ou congédiés
qu'en raison de leurs fautes; l'employeur ne peut pas faire des
«exemples» en punissant des employés au hasard ou, s'il ne
réussit pas à découvrir un coupable précis parmi un groupe
d'employés, les punir tous.
[TRADUCTION] Comme il est souvent difficile pour l'em-
ployeur de déterminer avec exactitude l'identité des coupa-
bles, on peut estimer que souvent les employeurs ne tiennent
pas compte de cette notion. Cependant, la difficulté de la
chose n'excuse pas l'employeur d'éviter cette restriction: si on
ne peut différencier les employés à partir des faits, on ne peut
pas faire de distinctions entre eux au niveau des sanctions,
même si cela signifie que les fautifs s'en tirent. Ainsi, le
groupe qui a un mauvais rendement ne peut être puni
globalement; les coupables doivent être identifiés.
C'est donc dire que le droit du travail, tout comme le droit
pénal d'ailleurs, consacre l'irresponsabilité en ce qui a trait au
fait d'autrui. Ces remarques suivantes de M» Jacques Fortin,
dans son Traité de droit criminel s'appliquent, dès lors, à mon
avis, en droit du travail canadien:
Le Common Law de même que le droit canadien reconnais-
sent le principe de l'imputation personnelle du fait incriminé.
En effet, la responsabilité pénale ne s'attache à une personne
que pour son fait personnel. La règle du Common Law se
trouve énoncée dans un jugement de 1730:
[TRADUCTION] Il est incontestable qu'en matière pénale,
le patron n'est pas responsable des actes de son employé,
comme c'est le cas en matière civile; ils doivent tous deux
répondre de leurs propres actes et assumer les conséquen-
ces de leur conduite.
Et j'estime qu'en droit du travail, la plaignante ne peut être
reconnue responsable que pour ses propres actes, et non pas
pour des actes qu'elle n'aurait pas posés, pour les actes posés
par des tiers. La cause juste implique donc nécessairement un
fait personnel du salarié.
Et en ce sens, je suis d'accord avec la définition de la cause
juste citée par la Plaignante, définition donnée par la Cour
d'appel de l'Ontario dans l'affaire R. C. Arthurs, définition qui
est la suivante:
[TRADucTIoN] Si un employé s'est rendu coupable d'un acte
dérogatoire grave, d'un manquement habituel à son devoir,
d'incompétence ou d'un comportement incompatible avec ses
fonctions ou préjudiciable aux affaires de l'employeur, ou s'il
a désobéi volontairement aux ordres de l'employeur sur une
question importante, la loi reconnaît à l'employeur le droit de
congédier sommairement l'employé délinquant.
Et j'entends tout d'abord analyser la preuve pour déceler si
elle révèle que la Plaignante a posé personnellement un acte
quelconque justifiant son renvoi.
Analyse de la preuve
La preuve révèle que la Plaignante était une employée cadre,
employée qui avait connaissance, comme tout autre employé de
la banque, des mesures de sécurité adoptées par l'institution
pour contrer les vols qualifiés, vols qualifiés qui sont, selon les
témoignages des experts, la préoccupation majeure de toute
banque en matière de sécurité. Or, si la preuve révèle que la
Plaignante a été engagée en 1974, elle ne révèle pas qu'elle a
dévoilé à quiconque, pendant sa période d'emploi, une ou des
mesures de sécurité dont elle avait connaissance, ce qui sûre-
ment aurait constitué une faute passible de sanction ...
La preuve révèle donc que Beaulieu, en février 1980, avait
été condamné une seule fois pour un vol qualifié, et qu'il avait
une cause pendante devant les tribunaux. Et elle ne révèle pas
que la Plaignante a participé de quelque façon que ce soit à ces
divers délits. Et je tiens à préciser que ce n'est qu'au printemps
1980 que Beaulieu sera condamné pour le vol à main armée du
29 novembre 1979, soit après le congédiement de la Plaignante
par l'Intimée.
Or, la preuve révèle que Beaulieu commet deux vols qualifiés
dans une succursale de la Banque de Commerce, l'un vers la fin
janvier et l'autre le 8 février 1980. Elle ne révèle pas que la
Plaignante a eu connaissance de ces vols avant l'arrestation de
Beaulieu à l'appartement où le couple faisait vie commune. En
somme, et avec respect pour l'opinion contraire, la preuve ne
révèle pas que la Plaignante demeurait, en février 1980, avec
quelqu'un qui commettait des vols de banques [sic], mais elle
révèle que la Plaignante demeurait avec quelqu'un qui soudai-
nement, a commencé à faire des vols de banque, à l'insu de
cette dernière. Et je ne vois absolument pas quel acte fautif la
Plaignante a commis jusqu'alors.
Si la Banque avait le droit d'exiger une relation de confiance
absolue en matière de sécurité, de la part de la Plaignante,
aucune preuve n'a été faite à l'effet que la Plaignante a posé un
geste quelconque pour ne plus mériter cette confiance.
Peut-on soutenir que la façon dont Beaulieu a commis ses
vols qualifiés indique que la Plaignante lui a donné, même
involontairement, des informations confidentielles concernant
les mesures de sécurité?
J'aimerais préciser immédiatement qu'il est vrai, comme le
soutient l'Intimée, que le degré de preuve requis en droit du
travail n'est pas le même qu'en droit criminel, et qu'il lui suffit
de prouver les reproches qu'elle fait à la Plaignante par voie de
prépondérance de preuve. Mais cela ne signifie pas que l'Inti-
mée peut se satisfaire de soupçons. En droit du travail, une
preuve est une preuve, et un soupçon est un soupçon. En droit
du travail, comme en droit criminel, un millier de soupçons ne
peuvent jamais constituer une preuve valable.
Or, la Banque a fait une preuve devant moi sur la façon dont
Beaulieu avait commis ses crimes, mais, avec respect pour
l'opinion contraire, rien de concluant ne peut être tiré de cette
preuve, pour démontrer que la Plaignante lui a dévoilé, même
involontairement, des informations confidentielles. Cette preuve
ne peut amener un esprit logique à conclure raisonnablement
que la Plaignante a donné à Beaulieu, même involontairement,
quelqu'[sic]indication que ce soit sur les mesures de sécurité en
usage à la Banque.
Ainsi, je ne peux vraiment pas déduire sérieusement que la
Plaignante a dû dire à Beaulieu que les succursales étaient
équipées de caméras, du seul fait que ce dernier a commis un
vol qualifié en se déguisant. Je ne puis non plus déduire qu'elle
lui a dit que les salariés avaient instructions de ne pas résister
en cas de vol qualifié, du seul fait que ce dernier a tiré des
coups de feu. Je ne puis non plus déduire qu'elle lui a donné des
renseignements confidentiels du seul fait qu'il s'est attaqué à
une succursale où il n'y avait jamais eu de vols qualifiés
antérieurement, ou encore du seul fait qu'il ne s'est pas attardé
aux serrures chronométrées. Tous ces faits peuvent avoir été
acquis par l'examen préalable des lieux. S'ils peuvent éveiller
certains soupçons vis-à-vis la Plaignante, ils ne peuvent consti-
tuer une preuve digne de ce nom, pour relier de quelque façon
que ce soit, la Plaignante à la préparation de ces crimes.
Je ne peux non plus tirer une quelconque conclusion du fait
que Beaulieu se tenait, pendant le vol, à l'entrée du bureau du
gérant, c'est-à-dire à un endroit d'où il pouvait surveiller une
boîte signalant que l'alarme avait été donné [sic], ce qui
constituait un moyen de synchroniser sa fuite. Le témoin Pierre
Hainault, directeur du service de sécurité de la Banque, prétend
qu'il s'agissait là d'un fait tout à fait particulier à cette
succursale, fait particulier que la Plaignante, normalement, ne
connaissait pas, et n'a donc pas pu communiquer à Beaulieu.
En outre, je ne peux certes pas tenir compte du fait que la
Plaignante a emprunté $1,000.00 $ de la Banque, pendant la
période des fêtes 1979, pour soutenir sérieusement qu'elle avait
besoin d'argent, et qu'il s'agit là d'un motif pour lequel elle a
dû aider Beaulieu.
Enfin, même si j'accorde foi au témoignage du capitaine
Lambert, qui prétend que Beaulieu a dit au détective Salvas
que «Jacqueline me l'avait dit de me surveiller, que j'étais suivi
par la police», je ne peux déduire de ces seules paroles, rappor-
tées hors de leur contexte, que la Plaignante cautionnait les
gestes répréhensibles de Beaulieu. Ces paroles sont autant
compatibles avec le fait que la Plaignante avisait Beaulieu qu'il
était mieux de bien se conduire, qu'avec le fait qu'elle l'avisait
de mieux se surveiller pour commettre son larcin.
Si la preuve me révèle que la Plaignante aurait pu donner des
informations confidentielles à Beaulieu, (et que plusieurs fac-
teurs énumérés par le témoin Forgues s'appliquaient à elle),
cette même preuve ne me permet pas de conclure qu'elle a
donné, même involontairement, de tels renseignements. La
preuve ne révèle donc aucun acte fautif de la part de la
Plaignante.
Puis-je conclure que la relation de confiance entre la Banque
et la Plaignante est brisée à cause de l'existence d'un conflit
d'intérêts?
La Banque s'aperçoit sûrement de là fragilité de son argu
mentation, puisqu'elle plaide finalement, non pas que la Plai-
gnante a commis une quelconque faute, qu'elle a livré, même
involontairement, des informations confidentielles à son concu-
bin, mais plutôt qu'elle serait en conflit d'intérêts du seul fait de
vivre avec Beaulieu. Elle prétend que le seul fait pour un
employé de vivre avec quelqu'un qui a commis un vol qualifié,
la place dans une situation où il rompt le lien de confiance qui
l'unit à son employeur, sans qu'il soit besoin de prouver de faute
précise.
Or, avec respect pour cette opinion, elle ne peut être retenue.
Le conflit d'intérêts ne peut naître qu'à la suite d'un acte précis
posé par un salarié, acte qui, en soi, peut être considéré comme
une «misconduct», comme une faute de sa part. Il ne peut
cependant naître sans qu'un acte soit posé par un salarié. Il ne
peut naître par l'acte d'un tiers. C'est ainsi que les auteurs
Brown and Beatty définissent d'ailleurs le conflit d'intérêts:
[TRADUCTION] Il existe d'autres formes d'inconduite qui, en
présence de preuves suffisantes, ont été jugées comme
démontrant un manque de loyauté pour lequel un employé
peut être puni ou congédié à juste titre. Ainsi, des arbitres
ont statué que le fait de prendre ou d'utiliser sans autorisa-
tion des documents confidentiels appartenant à l'employeur,
lorsqu'il est simplement raisonnable pour l'employé de suppo-
ser que les documents étaient confidentiels, constitue un
comportement méritant une punition. En outre, l'employé qui
accepte de l'argent d'entrepreneurs avec lesquels son
employeur fait affaire, ou achète des marchandises au prix
du gros pour son usage personnel en utilisant le nom de la
compagnie, peut encourir des mesures disciplinaires.
A la base de tout conflit d'intérêts, il y a donc un acte
dérogatoire qui doit être posé par un salarié envers son
employeur. Or, dans le cas sous étude, j'ai beau chercher l'acte
dérogatoire, mais je ne le trouve pas. Et je ne peux prétendre
que constitue un acte dérogatoire le fait pour la Plaignante de
demeurer avec Beaulieu, après son incarcération, en 1979,
parce qu'elle l'aimait et voulait l'aider, sans nier à la Plaignante
le droit de mener, hors de son emploi, la vie affective qu'elle
croit juste, et sans nier à un individu qui a purgé une peine de
prison, et qui a payé ainsi sa dette envers la société, le droit de
refaire normalement sa vie.
Accepter au surplus l'argumentation de l'Intimée pourrait
conduire à des situations absurdes. S'il est vrai que la Plai-
gnante connaissait les mesures de sécurité de la Banque, et s'il
fallait croire qu'elle est en conflit d'intérêts du seul fait de vivre
avec un individu qui a déjà été condamné pour un vol à main
armée, il faudrait, tenir le même raisonnement pour un autre
employé dont le fils commet un vol qualifié, et pourquoi pas,
dont le cousin, ou l'ami intime commet un vol qualifié. Ce
serait ériger en dogme le principe de la responsabilité pour la
faute d'autrui.
De plus, s'il fallait retenir cette argumentation en cas de vol
qualifié, pourquoi ne l'étendrait-on pas aux autres crimes, tels
[sic] la fraude, l'introduction par infraction, etc. Et pourquoi ne
l'appliquerait-on pas aux commerces et autres institutions qui
ont, eux aussi, des mesures de sécurité confidentielles, tel un
commerce de bijouterie par exemple? On constate aisément
qu'un tel raisonnement pourrait conduire facilement à l'iné-
quité [sic] et à l'injustice pour un salarié qui, sans aucune faute
de sa part, a des amis ou des relations qui commettent des
crimes.
Donc, si la Plaignante n'a commis aucun geste fautif, elle ne
peut être en «conflit d'intérêts» du seul fait que son concubin a
commis un geste fautif.
L'Intimée a comparé la situation de la Plaignante à celle
d'un magistrat qui ne peut siéger dans une cause où l'un de ses
anciens clients est impliqué, non pas parce qu'il sera partial,
mais parce qu'il y a possibilité qu'il le soit. La comparaison est
habile, mais elle ne résiste pas à l'analyse. S'il est vrai qu'un
magistrat ne peut siéger dans une cause où sa parenté est
impliquée, dans une cause où l'un de ses anciens clients est
impliqué, c'est qu'il y a «misconduct» de sa part en posant le
geste contraire. En effet, la jurisprudence et la loi, ont établi
comme principe le fait qu'un magistrat ne peut siéger dans de
tels cas non pas parce que justice ne sera pas rendue, mais
parce qu'il faut que justice ait l'air d'être rendue. C'est le fait
de désobéir à cette norme de conduite qui équivaut, pour un
magistrat, à «misconduct». Cependant, dans la cause sous
étude, la Plaignante ne posait aucun geste illégal ou contraire à
la loi en demeurant avec Beaulieu, celui qu'elle aimait. Elle se
mettait peut être dans une situation où elle pouvait plus facile-
ment commettre une faute en dévoilant des mesures de sécurité
dont elle avait connaissance, mais elle ne commettait pas de
faute si elle ne les dévoilait pas.
Si l'Intimée a raison de prétendre comme le rappelait la Cour
d'appel dans l'affaire Control Data Canada Limitée vs Jean-
Paul Lalancette, que le contrat individuel de travail repose sur
la relation de confiance qui doit exister entre l'employeur et ,(
l'employé, et de prétendre également qu'un employeur peut se
départir d'un employé en qui il n'a plus confiance, encore
faut-il que la rupture alléguée du lien de confiance soit basée
sur des motifs légaux et acceptables, soit basée sur les agisse-
ments même [sic] du salarié. Or, dans la cause sous étude, la
rupture du lien d'emploi est basée non pas sur les agissements
de la Plaignante, mais sur ceux du concubin de la Plaignante, et
cette rupture est à mon avis illégale. En somme, le lien de
confiance devant exister entre un salarié et son employeur, ne
doit pas être rompu à cause du simple caprice de l'employeur,
mais doit reposer sur un acte ou une négligence du salarié ...
L'Intimée prétend cependant qu'il serait irréaliste et dérai-
sonnable pour moi d'annuler le congédiement de la Plaignante,
puisqu'une Banque a le droit de refuser d'employer une per-
sonne au courant de ses mesures de sécurité, et qui vit avec un
individu commettant des vols qualifiés. J'estime qu'il faut
cependant nuancer ces propositions. Si une Banque peut refuser
d'engager une personne qui, à son avis, représente un risque
pour sa sécurité, et si son droit de refus d'embauche peut n'être
soumis à aucune limite, il n'en va pas de même lorsqu'elle
désire congédier un employé qui bénéficie de la protection
offerte par la loi. Dans ce dernier cas, le droit de la Banque est
limité par l'exigence de la «cause juste» de congédiement,
«cause juste» que la Banque n'a pas réussi à prouver.
Je comprends les problèmes que peut vivre la Banque en
étant obligée de garder à son emploi une salariée dont le mari
ou le concubin a commis un vol qualifié. Mais ces problèmes
constituent le prix à payer pour éviter l'arbitraire en matière de
congédiement. Ces problèmes, la Banque doit les supporter si
elle n'a rien à reprocher à la Plaignante.
Puisque la Plaignante a été congédiée injustement, je dois dès
lors décider des mesures que j'estime justes pour compenser le
dommage qui lui a été causé.
Les mesures correctives demandées
C'est le paragraphe (9) de l'article 61.5 du Code canadien du
travail qui détermine l'ordonnance que je peux rendre contre un
employeur, en cas de congédiement injuste. Et ce paragraphe
est ainsi rédigé:
(9) Lorsque l'arbitre décide conformément au paragraphe
(8) que le congédiement d'une personne a été injuste, il peut,
par ordonnance, requérir l'employeur
a) de payer à cette personne une indemnité ne dépassant la
somme qui est équivalente au salaire qu'elle aurait normale-
ment gagné si elle n'avait pas été congédiée;
b) de réintégrer la personne dans son emploi; et
c) de faire toute autre chose qu'il juge équitable d'ordonner
afin de contrebalancer les effets du congédiement ou d'y
remédier.
Je désire préciser immédiatement que si la Plaignante avait
demandé la réintégration dans son emploi, j'aurais accédé à sa
requête. En fait, je n'ordonne pas de réintégration uniquement
parce que cette mesure n'est [pas] réclamée.
Cependant, la Plaignante a été traitée injustement, et il ne
serait pas équitable qu'elle subisse une perte monétaire quel-
conque à cause de ce congédiement. Vu l'injustice dont elle a
été victime, je crois donc nécessaire d'ordonner à l'Employeur
de la compenser pleinement pour tout le salaire perdu à cause
de son congédiement illégal, et de prévoir, en conséquence,
l'obligation pour la Banque de lui payer une indemnité égale au
salaire dont elle a été privée, de la date de son congédiement
jusqu'au 12 août 1981.. .
C'est pourquoi, j'accueille la plainte de la Plaignante;
je déclare qu'elle a été congédiée sans cause juste et
suffisante;
j'annule son congédiement;
j'ordonne à l'Employeur de la compenser pour le salaire
qu'elle a perdu, de la date de son congédiement au 12 août
1981, (date arrêtée par les parties, de consentement, comme
représentant la fin de tout quantum), déduction faites [sic],
bien entendu, des sommes d'argent qu'elle a gagné pour un
autre employeur pendant la même période, le tout portant
intérêt au taux légal;
et du consentement des parties, je réserve ma juridiction pour
décider de toute difficulté dans la détermination de l'indemnité
prévue au paragraphe précédent.
Les dispositions pertinentes du Code canadien
du travail sont les suivantes:
CONGÉDIEMENT INJUSTE
61.5 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), une
personne
a) qui a terminé douze mois consécutifs d'emploi continu au
service d'un employeur, et
b) qui ne fait pas partie d'un groupe d'employés soumis à une
convention collective
peut formuler par écrit une plainte auprès d'un inspecteur dans
le cas où elle a été congédiée d'une façon qu'elle considère
injuste.
(5) Dès qu'une plainte en vertu du paragraphe (1) a été
reçue, un inspecteur doit s'efforcer d'aider les parties à régler la
plainte ou désigner un autre inspecteur dans ce but et, dans le
cas où la plainte n'a pas été réglée dans un délai que l'inspec-
teur chargé de la régler juge raisonnable d'après les circons-
tances, et si la personne qui a formulé la plainte réclame par
écrit le renvoi de l'affaire à un arbitre en vertu du paragraphe
(6), l'inspecteur doit
a) informer le Ministre de l'échec de son intervention; et
b) transmettre au Ministre la plainte présentée en vertu du
paragraphe (1), jointe de toute déclaration écrite exposant
les motifs du congédiement conformément au paragraphe (4)
ainsi que les autres documents ou déclarations pertinents
qu'il a en sa possession.
(6) Le Ministre peut, dès qu'il a reçu le rapport conformé-
ment au paragraphe (5), désigner en qualité d'arbitre la per-
sonne qu'il juge appropriée pour entendre l'affaire en question
et en décider; il peut, en outre, renvoyer la plainte à l'arbitre
avec la déclaration écrite donnant les motifs du congédiement
qui fut remise conformément au paragraphe (4).
(7) Un arbitre à qui une plainte a été soumise conformément
au paragraphe (6)
a) doit l'examiner dans le délai que le gouverneur en conseil
peut déterminer par règlement;
b) doit établir sa propre procédure, permettre à chaque partie
d'exposer pleinement son point de vue et de lui présenter des
preuves, et prendre connaissance des renseignements reçus
conformément au paragraphe (6); et
c) détient à cet effet les pouvoirs que les alinéas 118a), b) et
c) attribuent au Conseil canadien des relations du travail
relativement à toute procédure engagée devant le Conseil.
(8) L'arbitre doit examiner le caractère injuste du congédie-
ment de la personne dont la plainte a été l'objet d'un renvoi en
vertu du paragraphe (6) et doit rendre une décision et expédier
une copie de sa décision et de ses motifs à chaque partie ainsi
qu'au Ministre.
(9) Lorsque l'arbitre décide conformément au paragraphe
(8) que le congédiement d'une personne a été injuste, il peut,
par ordonnance, requérir l'employeur
a) de payer à cette personne une indemnité ne dépassant pas
la somme qui est équivalente au salaire qu'elle aurait norma-
lement gagné si elle n'avait pas été congédiée;
b) de réintégrer la personne dans son emploi; et
c) de faire toute autre chose qu'il juge équitable d'ordonner
afin de contrebalancer les effets du congédiement ou d'y
remédier.
(10) Toute ordonnance de l'arbitre désigné en vertu du
paragraphe (6) est définitive et ne peut être mise en question
devant un tribunal ni revisée par un tribunal.
122. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente
Partie, toute ordonnance ou décision du Conseil est définitive et
ne peut être remise en question devant un tribunal ni revisée
par un tribunal, si ce n'est conformément à l'alinéa 28(1)a) de
la Loi sur la Cour fédérale.
Notre pouvoir d'examen et d'annulation pro-
vient du paragraphe 28 (1) de la Loi sur la Cour
fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10], qui se
lit comme suit:
28. (1) Nonobstant l'article 18 ou les dispositions de toute
autre loi, la Cour d'appel a compétence pour entendre et juger
une demande d'examen et d'annulation d'une décision ou
ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance de nature
administrative qui n'est pas légalement soumise à un processus
judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un office, une com
mission ou un autre tribunal fédéral ou à l'occasion de procédu-
res devant un office, une commission ou un autre tribunal
fédéral, au motif que l'office, la commission ou le tribunal
a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou à
autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une
erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du
dossier; ou
c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion
de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans
tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
Il se pose une question préliminaire quant à
l'effet de la clause privative du paragraphe
61.5(10) du Code canadien du travail. Il est évi-
dent, compte tenu du paragraphe 122(1) [mod.
par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 43] du Code,
qu'aucune décision du Conseil canadien des rela
tions du travail ne peut être révisée par notre Cour
si ce n'est conformément à l'alinéa 28(1)a) de la
Loi sur la Cour fédérale en cas seulement de
manquement à la justice naturelle, d'excès de com-
pétence ou de refus d'exercer celle-ci. Mais les
intimés ont soulevé la question de savoir si la
clause privative du paragraphe 61.5(10) du Code
pouvait offrir au moins la même immunité aux
arbitres que celle dont jouit le Conseil à l'égard de
l'examen judiciaire en vertu des alinéas 28(1)b) et
c). Nous avons déjà décidé cette question par la
négative dans l'affaire La Pioneer Grain Co. Ltd.
c. Kraus, [1981] 2 C.F. 815 (C.A.).
Il est tout de suite évident que l'arbitre a
commis une erreur de droit quant au redressement
accordé. Dans l'arrêt Corporation Dicom c. Petit,
n° de greffe A-413-84, notre Cour a décidé, le 21
novembre 1984, qu'un arbitre qui omet d'entendre
les parties sur la question des mesures de redresse-
ment viole la règle de justice naturelle audi alte-
ram partem, et que l'affaire doit donc lui être
soumise de nouveau sur ce point. Dans le cas
présent, l'arbitre est tombé dans le même piège:
bien que, au cours de l'audience, il ait explicite-
ment accepté une entente relative à la présentation
d'une autre plaidoirie au sujet des mesures de
redressement si elle devenait nécessaire, après qu'il
se fut prononcé sur la question de fond (dossier
d'appel, volume III, page 384), il a accordé un
redressement dès sa première décision, à savoir 18
mois de salaire, moins les sommes d'argent tirées
d'un autre emploi pendant la même période. Pour
cette seule lacune importante, l'affaire doit être
renvoyée devant l'arbitre.
Quant à la question de fond, le contrat, conclu le
22 juillet 1974 et ratifié de nouveau par l'intimée
le 13 septembre 1976, était ainsi libellé:
En considération de mon engagement par la Banque Cana-
dienne Impériale de Commerce (la «Banque»), par les présentes
je promets, m'engage et conviens solennellement:
1. de me comporter d'une façon honnête et fidèle...
2. d'observer le secret le plus absolu en ce qui a trait à toutes les
opérations et affaires de la Banque ..
8. qu'il pourra être mis fin à mon emploi:
d) à tout moment, que ce soit au cours de ma période
probatoire ou après celle-ci, par la Banque, sans préavis ni
appointements aux lieu et place, pour une raison suffisante et
valable, y compris, sans aucune restriction à ce qui précède,
une conduite préjudiciable aux intérêts et à la réputation de
la Banque...
La disposition contractuelle de la clause 8d)
permet le congédiement sans aucun préavis de
l'employé qui se comporte d'une façon préjudicia-
ble aux intérêts et à la réputation de la Banque. La
question de savoir si l'intimée s'est comportée
d'une façon préjudiciable aux intérêts et à la répu-
tation de la requérante ressemble beaucoup à la
question plus large soulevée par les faits, c'est-à-
dire savoir si le congédiement a été fait pour une
cause juste, échappant ainsi aux procédures de
l'article 61.5 du Code. Il est utile de poursuivre les
deux questions ensemble.
Lord Esher a bien établi dans l'arrêt Pearce v.
Foster (1886), 17 Q.B.D. 536 (C.A.), à la page
539, le critère général applicable aux motifs vala-
bles de congédiement:
[TRADUCTION] La règle de droit est que l'employeur a le
droit de congédier son employé qui agit de façon incompatible
avec l'exercice régulier ou loyal de ses fonctions. Les relations
entre l'employeur et l'employé supposent nécessairement que ce
dernier sera en mesure d'exécuter son travail convenablement
et loyalement, et si sa conduite l'en empêche, l'employeur peut
le congédier ... Il est impossible d'énumérer les circonstances
qui pourront empêcher un employé d'exercer ses fonctions
convenablement ou d'exécuter son travail de façon loyale. Cette
situation pourrait être illustrée tant par de nombreux faits qui
se sont déjà produits que par d'autres, encore virtuels, qui se
produiront un jour.
Il n'est pas nécessaire de prouver que l'employeur
a subi un préjudice réel. Le préjudice virtuel suffit:
Empey v. Coastal Towing Co. Ltd., [ 1977] 1
W.W.R. 673 (C.S.C.-B.); Tozer v. Hutchison
(1869), 12 N.B.R. 540 (C.A.). Ainsi que l'écrivait
le juge Meldrum dans l'affaire Bursey v. Acadia
Motors Ltd. (1980), 28 N.B.R. (2d) 361 (Q.B.), à
la page 369 (décision modifiée sur un autre point
en appel: (1982), 35 N.B.R. (2d) 587 (C.A.)):
[TRADUCTION] Rien dans la preuve n'indique que les conflits
d'intérêts potentiels nuisaient de quelque façon à la défende-
resse. Néanmoins, dans les situations de conflits d'intérêts, c'est
la règle applicable à la femme de César qui s'applique. Il ne
faut pas même prêter le flanc aux soupçons.
Il n'importe pas que le comportement de l'employé
visait à protéger seulement son propre intérêt et ne
cherchait pas à nuire à celui de son employeur:
Federal Supply and Cold Storage Co. of South
Africa v. Angehrn & Piel (1910), 80 L.J.P.C. 1;
Empey v. Coastal Towing Co. Ltd., précité.
Dans sa plaidoirie, la Banque nous a invités à
reconnaître que les faits au dossier établissaient
l'existence d'un conflit d'intérêts opposant l'inti-
mée à la Banque. Je suis d'avis que cette caractéri-
sation est trop restrictive: la seule question que
soulève le litige est de savoir si, pour reprendre les
mots de lord Esher, supra, «he does anything
incompatible with the due or faithful discharge of
his duty to his master» [«[l'employé] agit de façon
incompatible avec l'exercice régulier ou loyal de
ses fonctions»], cette incompatibilité pouvant être
établie par un nombre incalculable de situations. Il
importe peu que les faits de l'espèce tombent à
l'intérieur des limites ordinaires d'un conflit d'inté-
rêts ou pas puisqu'il suffirait qu'ils établissent une
incompatibilité avec les devoirs de l'intimée envers
son employeur.
La jurisprudence pertinente provient en grande
partie des arbitres. Dans la décision Re Granby
(Ville de) and Fraternité des Policiers de Granby
Inc. (1981), 3 L.A.C. (3d) 443, un arbitre a jugé
qu'une suspension disciplinaire était justifiée dans
les circonstances où un agent de police avait noué
des rapports sociaux avec une femme qui faisait
l'objet d'accusations criminelles pour lesquelles le
plaignant serait, selon toute probabilité, le princi
pal témoin de la poursuite. L'arbitre n'a toutefois
pas tranché la question de savoir si, dans d'autres
circonstances, le fait pour un agent de police de
fréquenter une personne qui a un casier judiciaire
constituerait un comportement incompatible avec
ses fonctions.
La décision de l'Industrial Tribunal britannique
rejetant la plainte de congédiement injuste d'une
commis est encore plus pertinente: Foot v. Eastern
Counties Timber Co. Ltd., [1972] 1 I.R.L.R. 83.
L'employeur exploitait un commerce d'entrepre-
neur en électricité, la plaignante s'occupant de la
paye ainsi que de la facturation. L'employeur con-
gédia la plaignante en lui versant deux semaines de
salaire à titre de préavis quand il appris que le
mari de la plaignante venait d'ouvrir les portes
d'un commerce en électricité à faible distance du
sien. Le tribunal reconnu qu'il n'était pas commer-
cialement sain pour un employeur de garder à son
service l'épouse d'un compétiteur alors que celle-ci
avait accès à des informations confidentielles au
sujet des affaires de son employeur. D'après l'In-
dustrial Tribunal, cette situation conflictuelle
constituait une raison substantielle justifiant le
congédiement de la plaignante et que, conséquem-
ment, elle n'avait pas été injustement congédiée.
L'Employment Appeal Tribunal britannique en
vint à la même conclusion dans l'affaire Skyrail
Oceanic Ltd. v. Coleman, [1980] I.C.R. 596
(cassée par la Cour d'appel pour d'autres raisons:
[1981] I.C.R. 864), où l'employeur avait congédié
un agent aux réservations travaillant pour son
agence de voyages pour le seul motif que cette
employée venait d'épouser un homme employé aux
mêmes tâches par une agence de voyages rivale.
La cohabitation d'un homme et d'une femme
peut-elle jamais constituer une cause juste de con-
gédiement au Canada? La Cour suprême du
Canada a dû prendre en considération récemment
une question semblable dans l'affaire Caldwell et
autre c. Stuart et autres, [1984] 2 R.C.S. 603.
Une catholique enseignait dans une école catholi-
que et n'avait pas été réembauchée pour l'année
scolaire suivante en raison de son mariage civil
avec un divorcé, contrairement aux enseignements
de l'Église catholique. Étant donné qu'on alléguait
la discrimination fondée sur l'état matrimonial et
la religion en vertu d'une loi provinciale sur les
droits de la personne, la question n'était pas de
savoir si l'employée avait été congédiée pour une
cause juste mais plutôt si elle ne pouvait plus
répondre à une exigence réelle relative à son
emploi. Le juge McIntyre dit, au nom de la Cour
(aux pages 624 et 625):
À mon avis, considérant les choses objectivement et compte
tenu de la nature et des objectifs spéciaux de l'école, l'exigence
d'observance religieuse, y compris l'acceptation et l'observation
des règles de l'Église relatives au mariage, est raisonnablement
nécessaire pour assurer la réalisation des objectifs de l'école.
J'estime que ... l'exigence d'observance religieuse constitue
une exigence professionnelle réelle pour une enseignante catho-
lique employée dans une école catholique et que le non-respect
de cette exigence a pour effet de la priver de la protection ...
du Human Rights Code.
Bien que cette décision ne dise pas expressément
que sont une cause juste de congédiement les liens
du mariage, elle a pour effet de justifier le congé-
diement pour cette raison sur la base des faits
particuliers en cause. De fait, le juge McIntyre
remarquait qu'il pouvait y avoir chevauchement
des concepts concernés (à la page 622):
Il se peut que, dans de nombreuses occasions, la même conduite
ou caractéristique d'un employé constitue une cause raisonna-
ble de congédiement et ait en même temps pour effet de le
priver d'une qualification réelle. Dans cette mesure les deux
concepts peuvent se chevaucher .. .
Dans l'affaire Cindy Bosi v. Township of
Michipicoten and K.P. Zurby (1983), 4 C.H.R.R.
D/1252, une femme mariée s'étant vu refuser un
emploi de commis aux comptes pour une munici-
palité parce que son mari était également à l'em-
ploi de la municipalité comme agent de police, le
professeur Martin L. Friedland, siégeant à titre de
commission d'enquête, a jugé qu'il existait un con-
flit d'intérêts potentiel suffisamment sérieux pour
faire de l'état matrimonial une exigence profes-
sionnelle réelle même si l'état matrimonial, comme
motif illicite de discrimination, était considéré
dans l'optique du mariage à une personne en parti-
culier plutôt que du mariage en général.
J'estime que le droit applicable peut donc se
résumer dans le principe suivant: le mariage ou la
cohabitation avec une personne particulière peut,
dans certains cas, créer une cause juste de congé-
diement; tout dépendra d'une analyse approfondie
de la situation et plus particulièrement de la
nature et des exigences de l'emploi concerné.
En l'espèce, j'accepterais, sans me prononcer,
que l'arbitre avait raison de décider que la notion
de cause juste implique nécessairement le fait per
sonnel de l'employée:
... j'estime qu'en droit du travail, la plaignante ne peut être
reconnue responsable que pour ses propres actes, et non pas
pour des actes qu'elle n'aurait pas posés, pour les actes posés
par des tiers. La cause juste implique donc nécessairement un
fait personnel du salarié.
Cependant, il a décidé que l'employée en cause
n'avait commis ni d'acte ni de négligence
répréhensibles:
A la base de tout conflit d'intérêts, il y a donc un acte
dérogatoire qui doit être posé par un salarié envers son
employeur. Or, dans la cause sous étude, j'ai beau chercher
l'acte dérogatoire, mais je ne le trouve pas. Et je ne peux
prétendre que constitue un acte dérogatoire le fait pour la
Plaignante de demeurer avec Beaulieu, après son incarcération,
en 1979, parce qu'elle l'aimait et voulait l'aider . .. sans nier à
un individu qui a purgé une peine de prison, et qui a payé ainsi
sa dette envers la société, le droit de refaire normalement sa vie.
Cependant, dans la cause sous étude, la Plaignante ne posait
aucun geste illégal ou contraire à la loi en demeurant avec
Beaulieu, celui qu'elle aimait. Elle se mettait peut être dans une
situation où elle pouvait plus facilement commettre une faute
en dévoilant des mesures de sécurité dont elle avait connais-
sance, mais elle ne commettait pas de faute si elle ne les
dévoilait pas. [C'est moi qui souligne.]
Il ressort de ce passage que l'arbitre avait une
conception tout à fait erronée du droit. À son avis,
la juste cause de congédiement exigeait de la part
de l'intimée la perpétration d'un acte illégal ou
contraire à la loi. Si c'était là le critère applicable,
plusieurs cas de conflits d'intérêts seraient élimi-
nés. Cependant, le critère applicable à la détermi-
nation de la faute de l'employé est celui que lord
Esher a formulé et que nous avons déjà cité: il vise
les actes de l'employé qui sont «incompatible[s]
avec l'exercice régulier ou loyal de ses fonctions».
En l'espèce, l'employeur est une banque et reçoit
à ce titre, par voie de dépôt, des sommes d'argent
et d'autres objets de valeur qu'elle doit garder en
sûreté et qu'elle doit donc s'efforcer à tout prix de
protéger du vol. L'employée, qui, à titre de comp-
table, connaît les mesures de sécurité de la
Banque, se met en ménage, en novembre 1976,
avec un homme qui commet un vol en juillet 1977.
Durant son incarcération du ler mai 1978 au ler
mars 1979, elle lui rend visite en prison. Peut-être
hésite-t-elle à demeurer avec lui, car il s'écoule
plus de huit mois après sa libération avant qu'ils ne
recommencent à cohabiter, le 19 octobre 1979.
Moins d'un mois plus tard, il est accusé d'un vol
commis chez Steinberg le 15 novembre, bien qu'il
soit relâché pour manque de preuves au moment
de son enquête préliminaire, le 6 décembre. Il est
accusé par la suite d'avoir commis un autre vol le
29 novembre, pour lequel elle se porte caution (et
pour lequel il a été condamné en avril 1980).
Pour compléter le tout, il commet alors deux
vols à main armée contre une autre succursale de
la Banque employant l'intimée le 25 janvier et le 8
février 1980. Après le deuxième vol, la police le
prend sur le fait dans leur appartement en train de
partager le butin avec ses complices. En plus de
l'argent, les policiers découvrent des armes et des
munitions.
Que l'intimée ait ou non été au courant à
l'avance des vols perpétrés contre la Banque pour
laquelle elle travaillait (et l'arbitre a précisé que
rien dans la preuve ne l'indiquait), l'utilisation par
Beaulieu de leur appartement commun comme
centre des opérations indique qu'il faisait peu d'ef-
forts pour lui cacher ses activités. Quoi qu'il en
soit, au moins à partir de février 1980, la cohabita
tion de l'intimée avec Beaulieu la plaçait dans une
situation d'incompatibilité avec ses devoirs envers
son employeur. Même si les activités illégales de
Beaulieu n'avaient jamais été dirigées contre la
Banque pour laquelle travaillait l'intimée, elles
étaient de nature à constituer une menace cons-
tante pour toutes les institutions financières, y
compris la sienne. Comme elle occupait un poste-
clé, elle était directement au courant des mesures
de sécurité de la Banque pour laquelle elle travail-
lait, et indirectement, de celles d'autres banques.
Vivant en relations aussi étroites avec Beaulieu,
elle pouvait, même par mégarde, laisser échapper
un détail utile à un esprit criminel éveillé.
L'interprétation de l'arbitre selon laquelle Beau-
lieu était jusqu'en 1980 un criminel réhabilité
(«qui a purgé une peine de prison, et qui a payé
ainsi sa dette envers la société») et qui, de docteur
Jekyll s'est transformé en M. Hyde («quelqu'un
qui, soudainement, a commencé à faire des vols de
banque») n'est tout simplement pas plausible. Ses
actes criminels doivent être considérés comme
ayant été clairement visibles aux yeux de l'intimée,
et c'est seulement l'idée fixe de l'arbitre selon
laquelle, pour qu'il y ait faute de l'employée, il doit
y avoir la perpétration d'un acte contraire à la loi
qui l'a empêché de voir la situation telle qu'elle
était. Elle a trahi ses obligations envers son
employeur en continuant de fréquenter une per-
sonne aussi manifestement désireuse de jouer les
Robins des Bois pour son propre compte. Il ne faut
rien de plus pour qu'il y ait incompatibilité avec les
intérêts de son employeur.
Cette conclusion est surtout justifiée par les
obligations de l'intimée découlant du contrat d'em-
ploi même: selon lord James of Hereford dans
Clouston & Co., Ld. v. Corry, [1906] A.C. 122
(P.C.), à la page 129:
[TRADUCTION] ... le congédiement sera justifié si l'employé
commet un acte dérogatoire incompatible avec l'accomplisse-
ment des fonctions faisant partie de ses conditions d'emploi
explicites ou implicites.
En l'espèce elle s'est engagée à se comporter de
façon honnête et loyale et à éviter de se conduire
de façon préjudiciable aux intérêts et à la réputa-
tion de la Banque. Nous avons déjà vu que son
comportement était préjudiciable aux intérêts de la
banque; nul besoin de démontrer qu'il était préju-
diciable à la réputation de la Banque. Dans ces
circonstances la Banque a, en vertu du contrat,
également le droit de mettre fin à son emploi sans
préavis.
Les faits en l'espèce se sont produits avant
l'adoption de la Charte canadienne des droits et
libertés [qui constitue la Partie I de la Loi consti-
tutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.U.)]. De plus, l'intimée
n'a présenté aucun plaidoyer fondé sur l'applica-
tion de la liberté d'association prévue à l'alinéa la)
de la Déclaration canadienne des droits [S.R.C.
1970, Appendice III].
J'accueillerais donc la demande, annulerais la
décision de l'arbitre et renverrais la question
devant celui-ci en prenant pour acquis que l'inti-
mée, en se plaçant dans cette situation d'incompa-
tibilité avec les intérêts de son employeur, a fourni
une cause justifiant son congédiement sans préavis.
LE JUGE LACOMBE: Je suis d'accord.
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