T-1226-84
Bryan Osborne (demandeur)
c.
La Reine représentée par le Conseil du Trésor
(défenderesse)
T-1239-84
William James Millar (demandeur)
c.
La Reine représentée par le Conseil du Trésor
(défenderesse)
T-1636-84
Randy Barnhart, Linda Camponi, Michael Cas-
sidy, Ken Clavette et Heather Stevens (deman-
deurs)
c.
La Reine représentée par le Conseil du Trésor du
Canada et Commission de la Fonction publique
(intimées)
RÉPERTORIÉ: OSBORNE C. CANADA (CONSEIL DU TRÉSOR)
Division de première instance, juge Walsh—
Ottawa, 7, 8, 9, 10 et 11 avril; 22 août 1986.
Fonction publique — L'art. 32 de la Loi sur l'emploi dans la
Fonction publique limite les activités politiques des fonction-
naires — Il leur interdit de travailler pour ou contre un
candidat ou un parti — Cette interdiction contrevient-elle à la
Charte des droits? — Trois actions aux faits différents ont été
entendues en même temps — Un fonctionnaire a été élu
délégué au congrès à la direction du Parti libéral — Son
superviseur l'a informé qu'il se verrait imposer une sanction
s'il ne démissionnait pas de son poste de délégué — L'art. 32
permet d'assister à des réunions politiques — D'autres fonc-
tionnaires désiraient travailler pour l'élection d'un candidat en
faisant des déclarations publiques ou en collant des enveloppes
— Demande présentée en vue d'obtenir un jugement déclara-
toire portant que l'art. 32 est inopérant ainsi qu'une injonction
interdisant à la Commission de la Fonction publique de l'ap-
pliquer — Les activités politiques en cause sont de second plan
— Le message dans lequel les commissaires de la Commission
de la Fonction publique ont interprété l'art. 32 n'a pas plus de
force exécutoire qu'un bulletin d'interprétation de la Loi de
l'impôt sur le revenu — La Commission a-t-elle agi correcte-
ment en réglementant des droits démocratiques et politiques
dans des directives administratives plutôt que dans des dispo
sitions législatives accessoires pouvant faire l'objet d'un
examen minutieux par le Parlement et les tribunaux? — Un
règlement pourrait-il clarifier la définition dumot «travailler»
qui figure à l'art. 32 ou une interprétation de celui-ci par les
tribunaux est-elle nécessaire? — Les activités -projetées des
demandeurs étaient-elles permises par la Charte et ceux-ci
ont-ils été empêchés de s'y engager en raison de l'interpréta-
tion donnée à l'art. 32 par la Commission? — La clause
limitative de la Charte s'applique-t-elle? — Les principes
dégagés dans l'arrêt Fraser s'appliquent — Les éléments de
preuve relatifs aux lois et règlements de la fonction publique
dans d'autres juridictions ne sont pas concluants parce que le
degré de liberté varie — Difficulté d'établir une distinction
entre les activités politiques reliées à l'emploi et celles qui ne
le sont pas — Les activités politiques des demandeurs n'ont
pas eu d'incidence néfaste sur leur capacité d'accomplir leur
travail — La règle de neutralité politique dans la fonction
publique exige l'imposition de restrictions aux activités politi-
ques partisanes — Principe des nominations et des promotions
d'après le mérite — Conséquences néfastes du favoritisme
politique — Les ministres se fondent sur le travail des fonc-
tionnaires — L'art. 32 n'établit aucune discrimination contre
un fonctionnaire particulier — On a fait valoir que le mot
travailler» est dépourvu de sens en raison de son imprécision
— Ce mot n'est pas suffisamment vague pour qu'il soit permis
de conclure que tout l'article est inopérant — Nécessité que le
tribunal détermine en quoi consiste le travail pour un parti —
Il ne faut pas restreindre plus d'activités qu'il n'est nécessaire
pour préserver la tradition de neutralité politique — Il est
douteux que le fait de voter à titre de délégué pour le choix
d'un chef équivaille à travailler pour un candidat — Un
fonctionnaire ne peut agir à titre de scrutateur pour un parti à
un bureau de vote — Il ne doit pas faire connaître publique-
ment son opinion quant au parti qui présente la meilleure
politique sur les questions relatives aux femmes — Il lui est
permis de poser des questions à des réunions politiques con-
tradictoires — Il peut coller des enveloppes mais non solliciter
le vote des électeurs — Le critère de proportionnalité dégagé
dans l'arrêt Oakes s'applique pour déterminer si les moyens
adoptés à l'art. 32 sont raisonnables et si leur justification
peut se démontrer aux fins de l'art. 1 de la Charte — Le
maintien de la neutralité politique dans la fonction publique
est un objectif important — La restriction apportée aux activi-
tés politiques constitue une limite raisonnable dont la justifi
cation peut se démontrer dans le cadre d'une société démocra-
tique — Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C.
1970, chap. P-32, art. 32, 33 — Charte canadienne des droits
et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle
de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.), art. 1, 2b),d), 15 — Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.).
art. 52(1).
Droit constitutionnel — Charte des droits — Libertés fon-
damentales — Disposition législative limitant les activités
politiques des fonctionnaires — Il leur est interdit de travailler
pour ou contre un candidat — Y a-t-il violation des art. 2b) et
2d) de la Charte? — Suivant un principe fondamental de la
Constitution canadienne, la fonction publique doit être politi-
quement neutre — Les ministres font confiance aux conseils
fournis par les fonctionnaires et sur lesquels ils doivent se
fonder — La disposition législative en cause restreint la liberté
d'expression et, dans une moindre mesure, la liberté d'associa-
tion — Le mot «travailler» n'est pas suffisamment vague pour
qu'il soit permis de conclure que tout l'article est inopérant —
Nécessité que le tribunal détermine en quoi consiste le travail
pour un parti — La Cour a déterminé quelle activité était
acceptable — Charte canadienne des droits et libertés, qui
constitue la Partie I de la Loi constitutionnellé de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 2b),d) — Loi sur l'emploi dans la Fonction publique,
S.R.C. 1970, chap. P-32, art. 32.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à
l'égalité — Disposition législative limitant les activités politi-
ques des fonctionnaires — Ordre donné à un fonctionnaire de
ne pas assister à titre de délégué à un congrès à la direction
d'un parti — A-t-il été porté atteinte au droit du fonctionnaire
à la même protection et au même bénéfice de la loi que
garantit la Charte? — L'art. 15(1) de la Charte ne s'applique
pas — L'art. 32 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction
publique n'établit aucune discrimination contre des fonction-
naires particuliers — Charte canadienne des droits et libertés,
qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 15 — Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C.
1970, chap. P-32, art. 32.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Clause limita-
tive — Disposition législative limitant les activités politiques
des fonctionnaires — L'objectif recherché est le maintien de la
neutralité politique de la fonction publique — L'objectif est-il
suffisamment important pour justifier la suppression de droits
protégés par la Constitution? — Les moyens adoptés sont-ils
raisonnables et leur justification peut-elle se démontrer? —
Critère de proportionnalité énoncé par le juge en chef Dickson
dans l'arrêt Oakes — La disposition attaquée est maintenue
par application de l'art. 1 de la Charte même si elle contre-
vient aux droits garantis par les art. 2b) et d) ou 15 — Charte
canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 2b),d), 15 — Loi sur
l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-32,
art. 32.
Élections — Disposition législative interdisant aux fonc-
tionnaires de travailler pour ou contre un candidat ou un parti
politique à une élection — Les droits garantis par la Charte
sont-ils violés? — La disposition attaquée est maintenue par
application de l'art. 1 de la Charte — Un fonctionnaire peut
coller des enveloppes ou assister à titre de délégué à un
congrès à la direction d'un parti — Il ne peut solliciter des
votes, parler en public ou agir comme scrutateur pour un parti
— Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1 — Loi sur
l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-32,
art. 32.
Il s'agit d'une action visant à obtenir un jugement déclara-
toire portant que l'article 32 de la Loi sur l'emploi dans la
Fonction publique est inopérant parce qu'il contrevient aux
alinéas 2b) et d) et à l'article 15 de la Charte. Le paragraphe
32(1) interdit aux fonctionnaires de travailler pour ou contre un
candidat ou un parti politique. Le paragraphe 32(2) prévoit
qu'une personne ne contrevient pas au paragraphe (1) pour le
simple motif qu'elle assiste à une réunion politique ou qu'elle
verse de l'argent à la caisse d'un parti politique ou d'un
candidat.
Tous les demandeurs sauf un sont fonctionnaires fédéraux.
Deux de ceux-ci se sont vu refuser la permission d'assister à
titre de délégués au congrès à la direction du Parti libéral. Pour
ce qui est de la troisième action, Cassidy est député et les autres
demandeurs désiraient travailler pour celui-ci dans leurs
moments libres. Leurs activités consistaient à solliciter des
votes, à agir à titre de scrutateur, à coller des enveloppes, à
installer des pancartes et à accomplir d'autres actes de ce genre.
Jugement: l'article 32 est valide mais la Cour rend un
jugement déclaratoire portant que certaines activités politiques
sont autorisées par celui-ci.
Cassidy n'aurait pas dû être constitué codemandeur puisqu'il
n'est qu'indirectement touché par l'article 32. Les actions dans
lesquelles on invoque la Charte pour faire déclarer inopérant
l'article 32 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique ne
devraient être intentées que par les fonctionnaires qui sont visés
directement par celui-ci. Il faut non seulement que justice soit
rendue mais qu'on ait l'impression qu'elle l'a été. Il ne faut pas
que l'on puisse croire que des considérations politiques jouent,
au cours de procédures judiciaires, dans la décision rendue.
Les principes directeurs et les motifs énoncés dans l'arrêt
Fraser c. Commission des relations de travail dans la Fonction
publique pour justifier les restrictions apportées s'appliquent à
l'espèce. Il faut établir un équilibre entre la liberté d'expression
de l'employé et le désir du gouvernement de maintenir une
fonction publique impartiale et efficace.
De très nombreux éléments de preuve ont été produits sur ce
qui est fait dans d'autres pays démocratiques afin d'établir une
comparaison pour déterminer si les droits énoncés dans les
autres articles de la Charte peuvent faire l'objet de limites
raisonnables prescrites par la loi. Les résultats obtenus à partir
de ces éléments de preuve ne sont pas concluants étant donné
que le degré de liberté et les traditions politiques varient-
largement dans les différentes juridictions. Si de tels éléments
de preuve étaient produits chaque fois que l'article 1 de la
Charte est en cause, les tribunaux seraient submergés d'élé-
ments de preuve ce qui entraînerait des procès inutilement
longs.
Il existe au Canada une règle de neutralité politique dans la
fonction publique qui exige que l'on impose certaines restric
tions aux activités politiques partisanes. Cela conduit au main-
tien du principe des nominations et des promotions d'après le
mérite par opposition aux conséquences néfastes du favoritisme
politique, contribue à inspirer confiance au public lorsqu'il
s'agit pour les fonctionnaires d'exercer leurs tâches d'une
manière équitable et impartiale et aux ministres élus lorsqu'ils
font appel aux conseils fournis par les fonctionnaires et sur
lesquels ils doivent se fonder. En s'engageant dans la fonction
publique, le fonctionnaire devrait comprendre que la neutralité,
requise en matière politique entraînera nécessairement une
certaine restriction de ses activités politiques partisanes même
si cela limite quelque peu sa liberté de parole ou d'association.
Ces restrictions devraient être aussi peu nombreuses que possi
ble pour permettre d'atteindre l'objectif de la neutralité politi-
que. C'est ce que vise l'article 32 bien que son libellé quelque
peu général nécessite une interprétation judiciaire lorsqu'on
l'applique à des cas précis d'activités politiques.
Le paragraphe 15(1) de la Charte ne s'applique pas. Si on
considère l'ensemble de la fonction publique comme une caté-
gorie d'emploi à l'égard de laquelle il est nécessaire d'apporter
une certaine restriction aux activités politiques, l'article 32 de
la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique n'établit aucune
discrimination contre un fonctionnaire en particulier même si
on étend le mot «discrimination» au-delà des catégories prévues
de façon précise au paragraphe 15(1).
L'interdiction prévue à l'alinéa 32(1)a) impose certaines
limites à la liberté d'expression des demandeurs et peut-être,
quoique dans une moindre mesure, à leur liberté d'association.
Le paragraphe 32(2) vient toutefois tempérer cette interdiction.
Le mot «travailler» n'est pas suffisamment vague pour qu'il soit
permis de conclure que tout l'article est inopérant. Une telle
conclusion écarterait toutes les limites apportées aux activités
politiques des fonctionnaires alors qu'il a été reconnu qu'une
certaine limite est souhaitable et nécessaire. En l'absence d'une
modification législative ou d'un règlement, il faut que le tribu
nal détermine en quoi consiste le travail pour un parti politique
ou au nom d'un tel parti. Il ne faudrait pas faire de généralisa-
tions quant aux activités politiques que l'article 32 restreint et
celles qu'il permet. Comme il faut donner une interprétation
libérale, on ne devrait pas restreindre plus d'activités qu'il n'est.
nécessaire pour préserver la tradition de neutralité politique. Il
existe un large éventail d'activités auxquelles on peut se livrer
mais comme il a été dit dans l'arrêt Neil Fraser, le degré de
modération dont on doit faire preuve dépend du poste et de la
visibilité du fonctionnaire.
Vu qu'il est permis à un fonctionnaire d'assister à une
réunion politique, l'élection de ce dernier à titre de délégué au
congrès à la direction d'un parti ne contrevient pas à l'alinéa
32(1)a). Le droit d'un fonctionnaire d'assister à des réunions
politiques n'exige pas qu'il y garde le silence mais comporte
plutôt le droit de participer aux débats concernant l'élaboration
des politiques. Il ne peut cependant faire aux médias des
déclarations publiques de nature partisane verbalement ou par
écrit, et attirer ainsi l'attention du public à titre de membre
actif d'un parti politique. Les mots «travailler pour ou contre un
parti politique ou ... travailler au nom d'un tel parti» équiva-
lent à l'expression «activités politiques partisanes». Il s'ensuit
que le fonctionnaire ne devrait pas agir à titre de scrutateur
pour son parti à un bureau de vote.
La liberté d'un fonctionnaire d'exprimer ses opinions person-
nelles sur des questions publiques n'est pas restreinte tant que
ces opinions ne constituent pas une attaque contre une politique
comme dans l'arrêt Fraser. Mais lorsqu'il exprime son opinion
sur le parti qui présente la meilleure politique (en l'espèce, sur
les questions concernant les femmes) et qu'il travaille pour
celui-ci, il enfreint l'article 32.
Le fait pour un fonctionnaire de parler à titre de citoyen aux
réunions politiques contradictoires et de poser des questions sur
des sujets de politique générale est permis et découle du droit
d'assister à des réunions politiques. Bien que la nature des
questions posées, ainsi que le candidat auquel elles sont adres-
sées, puisse indiquer quel parti il appuie, ce serait restreindre
indûment ses droits que de l'empêcher de poser des questions de
ce genre. Il s'agit là d'une activité tout à fait différente de celle
de faire des discours politiques au nom d'un candidat.
Des activités comme coller des enveloppes et adresser du
courrier pourraient sembler constituer du travail au nom d'un
parti politique, mais ce serait donner une interprétation trop
large au paragraphe 32(1) que de conclure que ce travail serait
interdit par celui-ci. Par contre, ledit paragraphe 32(1) interdi-
rait de distribuer des circulaires électorales ou d'aller voir des
électeurs à leur domicile au nom d'un candidat car cela pour-
rait entraîner la discussion d'opinions politiques partisanes avec
des citoyens.
Compte tenu des deux critères fondamentaux qui, d'après
l'arrêt R. c. Oakes, doivent être suivis lorsqu'on applique
l'article 1 de la Charte, le maintien de la confiance du public
dans l'impartialité des fonctionnaires constitue un objectif suffi-
samment important pour justifier que la Loi impose une limite
à leurs activités politiques même si cela supprime des droits
protégés par la Constitution. Les restrictions apportées par la
disposition attaquée aux droits garantis par la Charte ne con-
treviennent pas au triple critère de proportionnalité dégagé par
le juge en chef Dickson dans l'arrêt Oakes. L'article 32 a un
lien rationnel avec l'objectif en question et est conçu pour
l'atteindre. Si on tient compte en particulier du paragraphe
32(2) et de l'alinéa 32(1)b), ledit article porte atteinte aussi
peu que possible à la liberté de pensée, de croyance, d'opinion
et d'expression prévue à l'alinéa 2b) de la Charte et à la liberté
d'association prévue à l'alinéa 2d). Même si l'article 32 de la
Loi sur l'emploi dans la Fonction publique porte atteinte aux
droits que les alinéas 2b) et 2d) ou l'article 15 de la Charte
garantissent aux fonctionnaires en tant qu'individus, ses dispo
sitions sont prescrites par une règle de droit, dans des limites
qui sont raisonnables et dont la justification peut se démontrer
dans le cadre d'une société libre et démocratique, de sorte que
l'article 1 de la Charte peut s'appliquer.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Fraser c. Commission des relations de travail dans la
Fonction publique, [1985] 2 R.C.S. 455; R. c. Oakes,
[1986] 1 R.C.S. 103; MacKay c. La Reine, [1980] 2
R.C.S. 370; Smith, Kline & French Laboratories Limited
c. Procureur général du Canada, [1986] 1 C.F. 274;
(1985), 7 C.P.R. (3d) 145 (1'° inst.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Fraser v. Nova Scotia (Attorney General), jugement en
date du 10 juin 1986, SH 54592, non encore publié;
Luscher c. Sous-ministre, Revenu Canada, Douanes et
Accise, [1985] 1 C.F. 85; 17 D.L.R. (4th) 503 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S.
295; Re Ontario Public Service Employees Union et al.
and Attorney -General for Ontario (1980), 31 O.R. (2d)
321 (C.A.); United Public Workers v. Mitchell, 330 U.S.
75 (1946).
AVOCATS:
John P. Nelligan, c.r. et Dougald E. Brown
pour les demandeurs Osborne et Millar.
Jeffry House et Patricia File pour les deman-
deurs Barnhart, Camponi, Cassidy, Clavette
et Stevens.
Duff Friesen, c.r. et Graham R. Garton pour
les défenderesses intimées.
PROCUREURS:
Nelligan/Power, Ottawa, pour les demandeurs
Osborne et Millar.
Jeffry House, Toronto, pour les demandeurs
Barnhart, Camponi, Cassidy, Clavette et
Stevens.
Le sous-procureur général du Canada pour
les défenderesses intimées.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Les parties ont consenti à ce
que ces trois actions soient entendues en même
temps car, bien que les faits en cause dans chacune
soient nécessairement quelque peu différents, le
redressement demandé est le même dans chaque
cas, l'objet de ce redressement étant de rendre
inopérant l'article 32 de la Loi sur l'emploi dans
la Fonction publique parce qu'il contrevient aux
alinéas 2b) et 2d) de la Charte canadienne des
droits et libertés [qui constitue la Partie I de la
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de
1982 sur-le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]. Un
exposé conjoint des faits a été déposé dans les deux
premières actions, la troisième reposant quant aux
faits sur les admissions faites dans les plaidoiries
écrites, et un recueil de documents a été produit
comme pièce utilisable dans les trois actions. Voici
le texte des paragraphes (1), (2) et (3) de l'article
32 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publi-
que, S.R.C. 1970, chap. P-32:
32. (1) Il est interdit à tout sous-chef et, sauf selon que
l'autorise le présent article, à tout employé
a) de travailler pour ou contre un candidat à une élection à la
Chambre des communes, à la Législature d'une province ou
au Conseil du territoire du Yukon ou des territoires du
Nord-Ouest, ou de travailler au nom d'un tel candidat, ainsi
que de travailler pour ou contre un parti politique ou de
travailler au nom d'un tel parti; ou
b) d'être candidat à une élection mentionnée à l'alinéa a).
(2) Une personne ne contrevient pas au paragraphe (1) pour
le seul motif qu'elle assiste à une réunion politique ou qu'elle
verse, à titre de contribution, de l'argent pour la caisse d'un
candidat à une élection mentionnée à l'alinéa (1)a) ou qu'elle
verse de l'argent à la caisse d'un parti politique.
(3) Nonobstant toute autre loi, sur demande que lui a
présentée un employé, la Commission peut, si elle est d'avis
que, par rapport à la Fonction publique, l'efficacité de l'em-
ployé, dans le poste qu'il occupe alors, n'aura pas à souffrir du
fait qu'il aura été candidat à une élection mentionnée à l'alinéa
(1)a), accorder à l'employé un congé sans traitement pour lui
permettre de demander à se faire présenter comme candidat et
d'être candidat à cette élection, pour une période se terminant
le jour où les résultats de l'élection sont officiellement déclarés
ou à la date antérieure comme peut le demander l'employé s'il a
cessé d'être un candidat.
Dans le cas Osborne, la preuve a révélé qu'il est
fonctionnaire fédéral et travaille à la Direction de
l'actuariat du département des Assurances, qu'il
réside à Kars (Ontario) et est membre de l'associa-
tion libérale de Nepean-Carleton. Aux environs du
24 avril 1984, l'association l'a élu délégué au
congrès à la direction du Parti libéral du Canada
qui devait avoir lieu à Ottawa du 12 au 16 juin
1984. Peu après son élection, M. Osborne a été
informé verbalement par son superviseur, M. R.
M. Hammond qui est surintendant des assurances,
qu'il se verrait imposer une sanction disciplinaire
s'il ne démissionnait pas de son poste de délégué; le
31 mai 1984, M. Hammond lui a ordonné par écrit
de démissionner de son poste de délégué pour le
motif que sa participation au congrès à titre de
délégué équivaudrait à une activité politique parti-
sane. Le 5 juin 1984, M. Hammond a transmis au
président de la Commission de la Fonction publi-
que, M. Edgar Gallant, une copie de la lettre qu'il
avait envoyée à M. Osborne. Dans l'intervalle, une
élection partielle a été déclenchée dans la circons-
cription de Nepean-Carleton et M. Osborne a
mentionné à M. Hammond qu'il songeait à briguer
la candidature libérale dans cette circonscription
auquel cas il s'adresserait à la Commission de la
Fonction publique pour obtenir un congé confor-
mément à l'article 32 de la Loi. Dans sa lettre, M.
Hammond fait remarquer que l'objectif de M.
Osborne était de faire approuver sa demande de
congé avant le congrès à la direction du parti de
façon à pouvoir y assister comme délégué. Le 6
juin, M. Osborne a officiellement demandé un
congé sans traitement à compter du 13 juin.
Dans une lettre respectueuse et modérée qu'il a
envoyée à M. Hammond le 7 juin, M. Osborne a
indiqué qu'il n'était pas d'accord pour dire que ses
activités de délégué seraient incompatibles avec
son emploi. Il y souligne très ouvertement que l'un
des motifs pour lesquels il cherche à obtenir le
congé prévu au paragraphe 32(3) est d'avoir l'oc-
casion de participer au congrès à la direction du
parti et qu'il espère que la Commission de la
Fonction publique accueillera sa demande avant
ledit congrès bien qu'il ignore s'il obtiendra dans la
circonscription un soutien suffisant pour être pré-
senté comme candidat. Il s'engage à ne pas partici-
per au congrès en tant que délégué à moins qu'un
congé ne lui soit accordé avant la clôture de la
période d'inscription comme délégué et, dans le cas
où sa demande de congé serait rejetée, il s'engage
sans enthousiasme à démissionner de son poste de
délégué.
Après avoir écrit à son conseiller juridique pour
lui indiquer qu'elle avait besoin de renseignements
additionnels sur la nature du travail du requérant
et de l'avis du sous-chef afin de déterminer si
l'efficacité de M. Osborne dans le poste qu'il occu-
pait aurait à souffrir s'il devenait candidat et après
avoir reçu une lettre de M. Hammond lui indi-
quant que tel ne serait pas le cas, la Commission
de la Fonction publique a officiellement accordé
au demandeur un congé sans traitement à compter
de la fermeture des bureaux le 12 juin 1984.
Le 22 juin 1984, M. Osborne a officiellement
informé par écrit le président de la Commission de
la Fonction publique qu'à la suite de nombreuses
discussions avec les membres de l'association de la
circonscription et d'autres personnes, il avait
conclu qu'il ne bénéficiait pas d'appuis suffisants
pour obtenir la nomination et qu'il y renonçait
donc. Il a par conséquent demandé qu'il soit mis
fin à son congé le plus tôt possible et, espérait-il,
pas plus tard qu'à la fermeture des bureaux le 25
juin 1984; s'il était mis fin à son congé, il s'enga-
geait à ne pas chercher à obtenir la nomination ni
à travailler pour ou contre un parti politique ou un
candidat. Sa demande a été accueillie et il a été
dûment mis fin à son congé le 27 juin 1984.
Dans les procédures qu'il a engagées le 6 novem-
bre 1984, Osborne invoque les articles 2 et 15 de la
Charte canadienne des droits et libertés et le
paragraphe 32(2) de la Loi sur l'emploi dans la
Fonction publique en vue d'obtenir un jugement
déclaratoire portant que son employeur n'était pas
habilité ou n'était pas fondé en droit à lui interdire
de participer comme délégué au congrès à la direc
tion du parti, qu'on l'a illégalement privé de cette
chance et de ce fait, qu'on a porté atteinte au droit
à la même protection et au même bénéfice de la loi
que lui garantit la Charte.
Le demandeur William James Millar est fonc-
tionnaire fédéral et travaille à Winnipeg (Mani-
toba) comme agent commercial à la Direction des
affaires indiennes et inuit du ministère des Affai-
res indiennes et du Nord; il réside à Balmoral
(Manitoba) et est membre de l'association libérale
de Selkirk -Interlake. Aux environs du 25 avril
1984, l'association l'a élu délégué au congrès du
Parti libéral devant être tenu à Ottawa du 12 au
16 juin 1984. Aux environs du 14 mai 1984, M. J.
Brown, directeur régional de la Direction du per
sonnel, lui a donné par écrit l'autorisation de parti-
ciper au congrès à titre de délégué; toutefois, le
demandeur a reçu, aux environs du 6 juin 1984,
une autre lettre provenant cette fois de J. B.
Campbell, directeur général régional des Affaires
indiennes et inuit de la région du Manitoba; ce
dernier a fait savoir qu'en raison d'un appel télé-
phonique qu'il avait reçu du bureau du sous-minis-
tre au sujet de l'interprétation juridique des droits
des fonctionnaires de participer à des activités
politiques, M. Millar devait, dans les 24 heures,
indiquer par écrit qu'il n'était plus délégué au
congrès ou il encourrait une sanction disciplinaire.
Cette lettre renferme aussi des excuses pour les
inconvénients causés à M. Millar. Dans une lettre
datée du 10 mai 1984, M. Brown, qui agissait
suivant les conseils transmis par télex par W. A.
Bernard, directeur du Personnel de la Division des
relations de travail et de la sécurité du Ministère,
avait à l'origine informé M. Millar qu'il devait
abandonner cette activité. Ce refus initial, annulé
par la lettre du 14 mai portant qu'aucune mesure
disciplinaire ne serait prise puisque Millar avait
été choisi comme délégué, et suivi de l'exigence
soudaine le 6 juin qu'il démissionne de son poste de
délégué, résultait manifestement d'un examen plus
approfondi du problème à un niveau hiérarchique
supérieur et peut aussi avoir été influencé par le
refus de permettre à M. Osborne d'être délégué.
Une telle attitude serait nécessaire pour assurer la
cohérence des lignes de conduite suivies partout au
Canada. Dans une lettre qu'il a fait parvenir à M.
Brown le 25 avril 1984, M. Millar s'est opposé
énergiquement à un communiqué diffusé par la
Commission de la Fonction publique dans le
numéro de février 1984 de DIALOGUE EXPRESS en
ce qui concerne le point de vue de la Commission
quant aux droits politiques des fonctionnaires. Des
copies de cette lettre ont été envoyées notamment
au président du Parti libéral du Canada et à sept
ministres du Cabinet. Dans une lettre bien sentie
transmise en date du 7 juin 1984 au directeur
intérimaire des services du Personnel du ministère
des Affaires indiennes et du Nord, région du
Manitoba, le demandeur réitère une nouvelle fois
ses objections et s'oppose en particulier à l'ultima-
tum de 24 heures qui lui été adressé. Il indique
toutefois dans cette lettre qu'il a assisté la veille à
une réunion politique afin d'informer l'exécutif de
comté qu'il a été contraint de démissionner de son
poste de délégué, ajoutant qu'il avait agi ainsi sous
la contrainte et la menace. Dans les procédures
qu'il a engagées le 18 octobre 1985, il invoque lui
aussi les articles 2 et 15 de la Charte canadienne
des droits et libertés et le paragraphe 32(2) de la
Loi sur l'emploi dans la Fonction publique en vue
d'obtenir un jugement déclaratoire portant que son
employeur n'était pas habilité ou n'était pas fondé
en droit à lui interdire de participer en tant que
délégué au congrès à la direction du parti ainsi
qu'un jugement déclaratoire portant que l'article
32 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publi-
que est inopérant.
Dans la troisième action, cinq demandeurs sont
en cause dont Michael Cassidy qui, en qualité de
député, n'est évidemment pas fonctionnaire mais
qui, à l'époque où les procédures ont été engagées,
c'est-à-dire le 9 août 1984, était candidat du Nou-
veau Parti Démocratique dans la circonscription
d'Ottawa Centre. Les demandeurs Barnhart, Cam-
poni, Clavette et Stevens désiraient travailler pour
lui, après leurs heures de travail seulement, dans
leurs moments libres. Barnhart travaillait au
ministère des Affaires indiennes et du Nord; il
prétend qu'il n'a pas à rencontrer le public dans le
cadre de son travail qui consiste à contrôler l'envi-
ronnement dans les réserves indiennes afin d'assu-
rer que les nouveaux développements ne créent pas
de dangers pour l'environnement. Camponi tra-
vaille au Bureau des revendications des autochto-
nes du ministère des Affaires indiennes et du
Nord. Son travail consiste à effectuer des recher-
ches dans les archives du Ministère et des ministè-
res qui l'ont précédé au sujet de l'histoire des
relations entre ledit Ministère et des bandes
indiennes particulières. Dans sa déclaration, elle
affirme qu'elle est particulièrement concernée par
la place que les femmes occupent dans la société
canadienne et qu'elle aimerait, pendant ses heures
de loisir seulement, faire part à ses amis et à ses
voisins de son opinion quant au parti politique qui
possède le meilleur programme d'action sur les
questions touchant les femmes.
Le demandeur Clavette travaille comme commis
au ministère de la Défense nationale; son travail
comporte la préparation de rapports d'accidents et
de graphiques exposant les tendances dans l'appro-
visionnement d'articles tels que stylos à bille,
papier, vêtements, etc. Il est président du Conseil
du travail d'Ottawa et s'intéresse énormément aux
questions relatives aux droits des travailleurs à leur
lieu de travail et ailleurs. Il aimerait parler au nom
du parti politique de son choix pendant les périodes
d'élection et travailler, en dehors de ses heures de
travail seulement, pour les candidats qui soutien-
nent des positions favorables aux droits des travail-
leurs ainsi que discuter des questions d'orientation
générale comme les coupures dans les services
sociaux.
La demanderesse Stevens travaille comme aide-
archiviste aux Archives publiques du Canada, Col
lection nationale des cartes et plans; son travail
consiste à acquérir pour la collection des cartes,
des plans et d'autres articles de cartographie et à
les rendre accessibles au public, ainsi qu'à aider les
autres employés à obtenir les cartes et plans
demandés par le public ou les autres bureaux du
gouvernement. Elle souhaite, en dehors des heures
de travail, participer à domicile ou au bureau de la
campagne du parti qu'elle appuie à des activités
consistant à mettre des documents dans des enve-
loppes et à adresser la correspondance.
Pour ce qui est du demandeur Cassidy, qui
faisait campagne dans une circonscription où un
nombre important de votants sont fonctionnaires,
il prétend que sa campagne électorale dépend en
partie de la participation de bénévoles qui accep-
tent de solliciter des votes, d'agir à titre de scruta-
teur, de remplir des enveloppes, d'installer des
pancartes et de s'engager dans des activités du
même genre. Lorsqu'il a été mis au courant des
directives de la Commission de la Fonction publi-
que, il a écrit à ladite Commission pour s'opposer à
celles-ci et lui demander de les retirer, ce qu'elle
n'a toutefois pas fait. Les requérants invoquent les
alinéas 2b) et 2d) de la Charte canadienne des
droits et libertés pour affirmer que l'article 32 de
la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique viole
la liberté d'expression et d'association, et ils
demandent un jugement déclaratoire portant que
ledit article est inopérant ainsi qu'une injonction
interdisant à la Commission de l'appliquer.
Les défenses ne sont pas identiques dans tous les
cas, mais dans l'ensemble les défenderesses sou-
tiennent que la Charte canadienne des droits et
libertés n'a pas été violée parce que les activités
prohibées par l'article 32 de la Loi sur l'emploi
dans la Fonction publique consistent à travailler
pour un parti politique ou un candidat, ce qui ne
porte pas atteinte au droit d'association ou de
réunion pacifique avec une ou d'autres personnes.
On fait valoir que, suivant un principe fondamen-
tal de la Constitution canadienne, la fonction
publique doit être impartiale et politiquement
neutre. L'entrée dans la Fonction publique du
Canada et le départ de celle-ci comportent des
droits, avantages, obligations et responsabilités qui
sont exercés par choix et qui n'existent que pen
dant la durée de l'emploi. On soutient que l'autori-
sation de participer à des réunions politiques
accordée aux fonctionnaires par le paragraphe
32(2) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction
publique ne leur confère pas le droit d'assister en
tant que délégué aux congrès à la direction d'un
parti politique et que de plus, l'article 15 de la
Charte n'est pas violé car il n'est pas porté atteinte
au droit des fonctionnaires à la même protection et
au même bénéfice de la loi. On allègue en outre
que si on conclut qu'il y a contravention, cela
entraîne l'application de l'article 1 de la Charte et
que l'on peut justifier, dans le cadre d'une société
libre et démocratique, les limites raisonnables
apportées à la liberté d'expression des personnes
qui deviennent fonctionnaires pour assurer l'en-
tière neutralité de la fonction publique et protéger
l'intérêt public. On prétend que les limites prescri-
tes par l'article 32 sont raisonnables au regard de
la common law et de la Charte, compte tenu du
droit de la Couronne en sa qualité de gouverne-
ment du Canada et d'employeur de faire en sorte
que ses employés n'agissent pas contrairement à
ses intérêts et à ses responsabilités, du fait qu'il est
souhaitable que l'on puisse considérer que la fonc-
tion publique fournit des conseils et des services
loyaux et impartiaux au public et au gouvernement
en place, de la nécessité que le recrutement et
l'avancement dans la fonction publique reposent
sur le mérite, indépendamment de toute apparte-
nance politique, et du fait que la tâche assignée à
la fonction publique doit être remplie d'une
manière hautement professionnelle et que l'harmo-
nie doit être maintenue en milieu de travail.
Je doute qu'il soit souhaitable que Michael Cas-
sidy, qui n'est pas lui-même fonctionnaire, soit
constitué codemandeur dans la troisième action
puisqu'il n'est qu'indirectement touché par l'article
32 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publi-
que qui l'empêche d'engager des fonctionnaires
pour travailler pour lui pendant sa campagne élec-
torale. Il semblerait préférable que les actions dans
lesquelles on invoque la Charte pour faire déclarer
inopérant l'article 32 de la Loi sur l'emploi dans
la Fonction publique ne soient intentées que par
les fonctionnaires qui sont visés directement par
celui-ci. M. Cassidy a évidemment le droit, que ce
soit comme député ou comme particulier, de cher-
cher à promouvoir publiquement une libéralisation
des activités politiques qui peuvent être exercées
par les fonctionnaires. On affirme souvent qu'il
faut non seulement que justice soit rendue mais
qu'on ait l'impression qu'elle l'a été, et il est
essentiel qu'on ne puisse pas croire que des consi-
dérations d'ordre politique jouent de quelque façon
au cours de procédures judiciaires dans la décision
qui doit être rendue. La Couronne n'a toutefois pas
cherché à faire radier M. Cassidy comme deman-
deur et comme il n'est pas seul à intenter une
action pour la violation présumée des droits qui lui
sont conférés par la Charte et que l'action serait
instruite sur le même fondement, qu'il soit ou non
constitué demandeur, une telle requête aurait été à
toutes fins pratiques inutile.
Que ce soit par coïncidence ou à dessein, et
j'aurais tendance à opter pour la première hypo-
thèse, toutes ces affaires comportent ce qu'on
pourrait appeler des activités politiques de second
plan et dans les deux premières affaires, l'activité
mettait en cause des membres du Parti libéral, ce
qui a pour effet de mettre un terme à toute
insinuation suivant laquelle seul un parti politique
particulier préconise la libéralisation des droits
politiques des fonctionnaires demandée dans ces
procédures.
J'ai déjà mentionné le message adressé aux
fonctionnaires fédéraux dans le numéro de février
1984 de DIALOGUE EXPRESS dans lequel les com-
missaires de la Commission de la Fonction publi-
que du Canada essayaient d'interpréter l'article 32
et auquel le demandeur Millar s'est opposé énergi-
quement. Bien que la Commission ait indubitable-
ment émis ce communiqué dans l'intention louable
d'essayer de clarifier la confusion née de l'imposi-
tion de restrictions aux droits politiques des fonc-
tionnaires fédéraux, ledit communiqué, si utile
soit-il, n'a pas plus de force exécutoire qu'un bulle
tin d'interprétation de la Loi de l'impôt sur le
revenu [S.C. 1970-71-72, chap. 63] ou d'autres
lois. L'article 33 de la Loi sur l'emploi dans la
Fonction publique habilite la Commission à établir
les règlements qu'elle juge nécessaires à l'applica-
tion et à la mise en oeuvre de la Loi, mais le
bulletin en cause n'a pas été adopté par décret
comme doit l'être un règlement. Le Comité mixte
permanent du Sénat et de la Chambre des commu
nes sur les Règlements et autres textes réglemen-
taires s'est opposé énergiquement à ce bulletin
dans une lettre adressée le 5 juin 1984 à Edgar
Gallant, président de la Commission de la Fonc-
tion publique; il y affirmait que la réglementation
d'une question aussi délicate que les droits politi-
ques et démocratiques de l'individu, même sous le
couvert de règles d'interprétation, ne doit pas se
faire dans des directives administratives et toute
restriction ou interprétation définitive de ces droits
devrait être formulée dans des dispositions législa-
tives accessoires pouvant faire l'objet d'un examen
minutieux par les tribunaux et le Parlement. La
lettre se poursuit comme suit:
[TRADUCTION] Même si nous reconnaissons que les limites
applicables en l'espèce sont prescrites par la loi, nous tendons à
croire que toute interprétation définitive de l'article 32 de la
Loi sur l'emploi dans la Fonction publique devrait aussi être
formulée dans un texte législatif afin de satisfaire aux normes
fixées dans la Charte canadienne des droits et libertés.
Dans sa lettre, le Comité examine ensuite les
directives.
La défenderesse va jusqu'à prétendre que même
un règlement établi en bonne et due forme ne
pourrait clarifier l'article 32 car il aurait pour effet
de définir le terme «travailler» employé à l'article
32 alors qu'il appartient aux tribunaux d'interpré-
ter ledit article ou au législateur de définir par des
dispositions modificatives ce que signifie précisé-
ment le terme «travailler» («engage in work») figu-
rant dans cet article. Il est vrai que le paragraphe
32(2) définit certaines activités qui ne contrevien-
nent pas à l'alinéa 32(1)a); il existe toutefois
beaucoup d'autres activités à caractère politique,
dont quelques exemples nous sont fournis en l'es-
pèce, pour lesquelles il est nécessaire de déterminer
si elles consistent à travailler au sens de l'article,
ce qui ne peut être fait d'une manière définitive
dans un simple bulletin émis par la Commission de
la Fonction publique même s'il ne fait aucun doute
que les cadres s'inspireront de celui-ci comme ils
l'ont fait en prohibant les activités illustrées dans
ces affaires, tant et aussi longtemps que cette
question ne sera pas tranchée par les tribunaux ou
déterminée par des règlements valides.
La Cour doit statuer sur trois points en litige:
1. L'article 32 de la Loi sur l'emploi dans la
Fonction publique est-il inopérant parce qu'il con-
trevient aux alinéas 2b) et d) ou à l'article 15 de la
Charte canadienne des droits et libertés?
2. Les activités projetées par les demandeurs cons-
tituent-elles des activités permises par ces articles,
activités dans lesquelles on a empêché ceux-ci de
s'engager en raison de l'interprétation donnée à
l'article 32 par la Commission?
3. Dans l'éventualité où la Cour conclurait que la
prohibition de ces activités a enfreint l'un ou l'au-
tre de ces articles, s'agit-il néanmoins d'activités
qui peuvent être visées par les «limites qui soient
raisonnables et dont la justification puisse se
démontrer dans le cadre d'une société libre et
démocratique» dont il est question à l'article 1 de
la Charte?
Certaines décisions importantes de la Cour
suprême et d'autres cours de ce pays peuvent nous
éclairer sur ces questions même si elles portaient
sur des points litigieux différents et qu'elles ne
concernaient pas les droits politiques des fonction-
naires fédéraux et la restriction qui leur est impo
sée par l'article 32 de la Loi sur l'emploi dans la
Fonction publique.
Trois arrêts de la Cour suprême font autorité et
sont utiles à cet effet. Dans le premier arrêt,
Fraser c. Commission des relations de travail
dans la Fonction publique, [1985] 2 R.C.S. 455, il
s'agit d'une action intentée avant l'adoption de la
Charte, qui a confirmé la suspension et le congé-
diement d'un chef de groupe au service de Revenu
Canada qui a critiqué ouvertement et sans remords
les politiques du gouvernement en matière de con
version au système métrique et l'adoption d'une
nouvelle Constitution, bien qu'aucune de ces mesu-
res ne - touchât directement le Ministère où il tra-
vaillait. En rendant son jugement qui confirmait la
décision arbitrale qui avait aussi été confirmée par
la Cour d'appel fédérale [[1983] 1 C.F. 372], le
juge en chef Dickson a dit aux pages 466 468:
L'arbitre a reconnu qu'il faut établir un équilibre entre la
liberté d'expression de l'employé et le désir du gouvernement de
maintenir une fonction publique impartiale et efficace. Il a dit:
[C]est qu'il incombe au fonctionnaire de faire preuve de
modération dans ses déclarations contre la politique du gou-
vernement. Sous-jacente à cette idée est une préoccupation
légitime, soit que la Fonction publique et ses membres admi-
nistrent et appliquent les politiques et les programmes du
gouvernement d'une manière impartiale et efficace. Toute
personne qui entre dans la fonction publique est censée savoir
qu'elle s'engage par le fait même à modérer ses paroles et ses
actes contre la politique du gouvernement. De plus, il est
reconnu qu'une telle modération peut très bien ne pas être
exigée de l'employé qui travaille dans un secteur moins en
vue de la société canadienne.
En d'autres termes, le fonctionnaire est tenu de faire preuve
d'un certain degré de modération dans ses actions relatives aux
critiques des politiques du gouvernement, de sorte que la fonc-
tion publique soit perçue comme impartiale et efficace dans
l'accomplissement de ses fonctions. Il ressort implicitement des
motifs de l'arbitre que le degré de modération dont on doit faire
preuve dépend du poste et de la visibilité du fonctionnaire.
À mon avis, l'arbitre a correctement identifié les principes
applicables et les a bien appliqués aux circonstances de l'espèce.
Pour ce qui est de l'équilibre à respecter, il faut tout d'abord
tenir compte de la proposition selon laquelle il est permis aux
fonctionnaires de s'exprimer dans une certaine limite sur des
questions d'intérêt public. Les fonctionnaires ne peuvent être,
pour employer l'expression appropriée de M. Fraser [TRADUC-
TION] «les membres silencieux de la société». Il y a trois raisons
à cela.
Premièrement, notre système démocratique est profondément
ancré sur une discussion libre et franche des questions d'intérêt
public et profite de cette discussion. En règle générale, tous les
membres de la société devraient être autorisés à participer à
cette discussion et même encouragés à le faire.
Deuxièmement, il faut tenir compte de la croissance qu'a
connue le secteur public—fédéral, provincial, municipal—à
titre d'employeur au cours des dernières décennies. Une inter
diction générale de toute discussion publique sur toute question
d'intérêt public par tous les fonctionnaires aurait tout simple-
ment pour effet de priver beaucoup trop de gens de leurs droits
démocratiques fondamentaux.
Troisièmement, à ce stade, le bon sens entre en jeu. Une
règle absolue interdisant toute participation et discussion publi-
que par tous les fonctionnaires aurait pour effet d'interdire des
activités qu'aucune personne sensée dans une société démocrati-
que ne voudrait interdire. Peut-on sérieusement soutenir qu'une
conductrice d'autobus municipal ne devrait pas pouvoir assister
à une réunion du conseil municipal pour protester contre une
décision en matière de zonage qui a un effet sur la rue où elle
habite? Un commis provincial ne devrait-il pas pouvoir mani-
fester dans une foule un dimanche après-midi pour protester
contre une décision du gouvernement provincial réduisant le
financement d'une garderie ou d'un refuge pour les mères
célibataires? Et de toute évidence un commissionnaire fédéral
pourrait prendre la parole à une réunion de la légion pour
protester contre ce qu'il perçoit comme un manque d'appui du
fédéral à l'égard des anciens combattants. Ces exemples, et de
nombreux autres qu'on pourrait imaginer, démontrent qu'une
interdiction absolue des critiques des politiques du gouverne-
ment par les fonctionnaires ne serait pas judicieuse.
Toutefois, il est par ailleurs également évident que la liberté
de parole ou d'expression n'est pas une valeur absolue et
inconditionnelle. Il faut tenir compte de certaines autres
valeurs. Quelquefois ces autres valeurs viennent compléter la
liberté de parole et ajouter à celle-ci. Toutefois, dans d'autres
situations elles sont en conflit. Lorsque cela se produit, la
liberté de parole peut être réduite si la valeur qui est en conflit
avec elle est puissante. Ainsi, par exemple, nous avons des lois
qui traitent de la diffamation écrite et verbale, des propos
séditieux et du blasphème. Nous avons également des lois qui
imposent des restrictions à la presse afin, par exemple, d'assu-
rer un procès équitable ou de protéger la vie privée des mineurs
ou des victimes d'agressions sexuelles.
Dans le présent pourvoi, il est nécessaire d'établir un équili-
bre de ce genre. Les fonctionnaires jouissent d'une certaine
liberté pour critiquer le gouvernement. Toutefois il ne s'agit pas
d'une liberté absolue. Si l'on prend un exemple, alors qu'il est
évident qu'il ne serait pas «raisonnable» qu'un gouvernement
provincial congédie un commis provincial qui a manifesté dans
une foule un dimanche après-midi pour protester contre les
politiques provinciales en matière de garderie, il est également
évident que le même gouvernement aurait un «motif raisonna-
ble» de congédier le sous-ministre des Affaires sociales qui
aurait pris la parole vigoureusement contre les mêmes politi-
ques au même rassemblement.
Il dit aux pages 470 et 471:
Comme l'a souligné l'arbitre, il existe un motif important à
l'appui de cette règle générale de loyauté, savoir l'intérêt du
public vis-à-vis de l'impartialité réelle et apparente de la fonc-
tion publique. Les avantages qui découlent de cette impartialité
ont été bien décrits par la commission MacDonnell. Bien que la
description se rapporte aux activités politiques des fonctionnai-
res au Royaume-Uni, elle touche à des valeurs qui s'appliquent
à la fonction publique au Canada:
[TRADUCTION] D'une manière générale, nous croyons que si
les restrictions relatives aux activités politiques des fonction-
naires devaient être levées, cela aurait probablement deux
conséquences. Le public pourrait cesser de croire, comme
nous pensons qu'il le fait maintenant avec raison, en l'impar-
tialité de la fonction publique permanente; et les ministres
pourraient cesser de sentir la confiance bien méritée qu'ils
possèdent à l'heure actuelle dans l'appui loyal et fidèle de
leurs fonctionnaires; en fait, ils pourraient être portés à
examiner à fond les paroles et les écrits de leurs subordonnés
et à choisir pour occuper des postes de confiance, seulement
ceux dont ils savent qu'ils partagent les mêmes sympathies
politiques.
Si tel était le cas, le système de recrutement par concours
public constituerait seulement une barrière fragile contre le
népotisme ministériel au cours de toutes les années de service
sauf au début; la fonction publique cesserait en fait d'être un
organisme impartial, apolitique, capable de loyaux services
envers tous les ministres et les partis; le changement aurait
rapidement des effets sur l'opinion que le public se fait de la
fonction publique et le résultat serait destructif à l'égard de
ce qui est sans aucun doute, à l'heure actuelle, l'un des plus
grands avantages de notre système administratif et l'une des
traditions les plus honorables de notre vie publique.
Voir les alinéas 10 et 11 du chap. 11 du Comité MacDonnell
cité dans Re Ontario Public Service Employees Union and
Attorney -General for Ontario (1980), 31 O.R. (2d) 321
(C.A.), à la p. 329.
À mon avis, il existe au Canada une tradition semblable en
ce qui a trait à notre fonction publique. La tradition met
l'accent sur les caractéristiques d'impartialité, de neutralité,
d'équité et d'intégrité. Une personne qui entre dans la fonction
publique ou une qui y est déjà employée doit savoir, ou du
moins est présumée savoir, que l'emploi dans la fonction publi-
que comporte l'acceptation de certaines restrictions.
Même si cette affaire concerne la question de la
liberté d'expression et non le fait de «travailler
pour ou contre un candidat à une élection . .. ou
... au nom d'un tel candidat» comme c'est le cas
du litige fondé sur l'article 32, les mêmes motifs et
principes directeurs énoncés quant aux restrictions
s'appliquent à l'espèce.
Les demandeurs ont invoqué l'arrêt R. c. Big M
Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295
afin d'obtenir une interprétation large ou un
examen de l'objet de la Charte. Cette affaire
concernait la Loi sur le dimanche [S.R.C. 1970,
chap. L-13] et le juge Dickson [tel était alors son
titre] a dit à la page 344:
Cette Cour a déjà, dans une certaine mesure, énoncé la façon
fondamentale d'aborder l'interprétation de la Charte. Dans
l'arrêt Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, la Cour a
exprimé l'avis que la façon d'aborder la définition des droits et
des libertés garantis par la Charte consiste à examiner l'objet
visé. Le sens d'un droit ou d'une liberté garantis par la Charte
doit être vérifié au moyen d'une analyse de l'objet d'une telle
garantie; en d'autres termes, ils doivent s'interpréter en fonc-
tion des intérêts qu'ils visent à protéger.
À mon avis, il faut faire cette analyse et l'objet du droit ou de
la liberté en question doit être déterminé en fonction de la
nature et des objectifs plus larges de la Charte elle-même, des
termes choisis pour énoncer ce droit ou cette liberté, des
origines historiques des concepts enchâssés et, s'il y a lieu, en
fonction du sens et de l'objet des autres libertés et droits
particuliers qui s'y rattachent selon le texte de la Charte.
Comme on le souligne dans l'arrêt Southam, l'interprétation
doit être libérale plutôt que formaliste et viser à réaliser l'objet
de la garantie et à assurer que les citoyens bénéficient pleine-
ment de la protection accordée par la Charte. En même temps,
il importe de ne pas aller au delà de l'objet véritable du droit ou
de la liberté en question et de se rappeler que la Charte n'a pas
été adoptée en l'absence de tout contexte et que, par consé-
quent, comme l'illustre l'arrêt de Cour Law Society of Upper
Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357, elle doit être située
dans ses contextes linguistique, philosophique et historique
appropriés.
Le troisième arrêt auquel je renvoie est celui de
R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, qui concernait
la disposition de la Loi sur les stupéfiants [S.R.C.
1970, chap. N-1] portant inversion de la charge de
la preuve dans les cas de possession d'un stupé-
fiant. La Cour a statué que cette disposition est
inconstitutionnelle parce qu'elle viole la présomp-
tion d'innocence prévue à l'alinéa 11d) de la
Charte canadienne des droits et libertés. Exami-
nant l'application possible de l'article 1 de la
Charte, le juge en chef Dickson a dit aux pages
138 140:
Lorsqu'une preuve est nécessaire pour établir les éléments
constitutifs d'une analyse en vertu de l'article premier, ce qui
est généralement le cas, elle doit être forte et persuasive et faire
ressortir nettement à la cour les conséquences d'une décision
d'imposer ou de ne pas imposer la restriction. Voir: Law
Society of Upper Canada c. Skapinker, précité, à la p. 384;
Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, précité, à la
p. 217. La cour devra aussi connaître les autres moyens dont
disposait le législateur, au moment de prendre sa décision, pour
réaliser l'objectif en question. Je dois cependant ajouter qu'il
peut arriver que certains éléments constitutifs d'une analyse en
vertu de l'article premier soient manifestes ou évidents en soi.
Pour établir qu'une restriction est raisonnable et que sa
justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre
et démocratique, il faut satisfaire à deux critères fondamen-
taux. En premier lieu, l'objectif que visent à servir les mesures
qui apportent une restriction à un droit ou à une liberté
garantis par la Charte, doit être «suffisamment important pour
justifier la suppression d'un droit ou d'une liberté garantis par
la Constitution»: R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p.
352. La norme doit être sévère afin que les objectifs peu
importants ou contraires aux principes qui constituent l'essence
même d'une société libre et démocratique ne bénéficient pas de
la protection de l'article premier. Il faut à tout le moins qu'un
objectif se rapporte à des préoccupations urgentes et réelles
dans une société libre et démocratique, pour qu'on puisse le
qualifier de suffisamment important.
En deuxième lieu, dès qu'il est reconnu qu'un objectif est
suffisamment important, la partie qui invoque l'article premier
doit alors démontrer que les moyens choisis sont raisonnables et
que leur justification peut se démontrer. Cela nécessite l'appli-
cation d'«une sorte de critère de proportionnalité»: R. c. Big M
Drug Mart Ltd., précité, à la p. 352. Même si la nature du
critère de proportionnalité pourra varier selon les circonstances,
les tribunaux devront, dans chaque cas, soupeser les intérêts de
la société et ceux de particuliers et de groupes. À mon avis, un
critère de proportionnalité comporte trois éléments importants.
Premièrement, les mesures adoptées doivent être soigneusement
conçues pour atteindre l'objectif en question. Elles ne doivent
être ni arbitraires, ni inéquitables, ni fondées sur des considéra-
tions irrationnelles. Bref, elles doivent avoir un lien rationnel
avec l'objectif en question. Deuxièmement, même à supposer
qu'il y ait un tel lien rationnel, le moyen choisi doit être de
nature à porter «le moins possible» atteinte au droit ou à la
liberté en question: R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p.
352. Troisièmement, il doit y avoir proportionnalité entre les
effets des mesures restreignant un droit ou une liberté garantis
par la Charte et l'objectif reconnu comme «suffisamment
important».
Quant au troisième élément, il est évident que toute mesure
attaquée en vertu de l'article premier aura pour effet général de
porter atteinte à un droit ou à une liberté garantis par la
Charte; d'où la nécessité du recours à l'article premier. L'ana-
lyse des effets ne doit toutefois pas s'arrêter là. La Charte
garantit toute une gamme de droits et de libertés à l'égard
desquels un nombre presque infini de situations peuvent se
présenter. La gravité des restrictions apportées aux droits et
libertés garantis par la Charte variera en fonction de la nature
du droit ou de la liberté faisant l'objet d'une atteinte, de
l'ampleur de l'atteinte et du degré d'incompatibilité des mesu-
res restrictives avec les principes inhérents à une société libre et
démocratique. Même si un objectif est suffisamment important
et même si on a satisfait aux deux premiers éléments du critère
de proportionnalité, il se peut encore qu'en raison de la gravité
de ses effets préjudiciables sur des particuliers ou sur des
groupes, la mesure ne soit pas justifiée par les objectifs qu'elle
est destinée à servir. Plus les effets préjudiciables d'une mesure
sont graves, plus l'objectif doit être important pour que la
mesure soit raisonnable et que sa justification puisse se démon-
trer dans le cadre d'une société libre et démocratique.
Cet arrêt concerne principalement l'article 1 de
la Charte qui devra être examiné en l'espèce si l'on
conclut que l'article 32 de la Loi sur l'emploi dans
la Fonction publique contrevient à l'article 15 ou
aux alinéas 2b) ou d) de la Charte.
Les parties ont déposé des dossiers volumineux
et approfondis ainsi que des recueils de jurispru
dence, des textes de lois d'autres juridictions, des
extraits de manuels de doctrine et de documents
rédigés par des auteurs de ce pays et d'ailleurs et
un bon nombre de témoins experts sont venus
donner leur opinion. Beaucoup de ces documents et
témoignages concernaient l'interprétation de l'arti-
cle 1 au sujet duquel la Cour suprême semble être
d'avis qu'il sera nécessaire, dans la plupart des cas,
de fournir des éléments de preuve sur ce qui est
fait dans d'autres sociétés libres et démocratiques
afin d'établir une comparaison pour déterminer si
les droits et libertés énoncés dans les autres articles
de la Charte peuvent faire l'objet de limites raison-
nables prescrites par la loi (voir, par exemple,
l'arrêt Oakes, précité). On a par conséquent pro-
duit des éléments de preuve relatifs aux lois et
règlements régissant la fonction publique dans les
dix provinces du Canada, en Australie, en France,
en Allemagne de l'Ouest, au Japon, en Nouvelle-
Zélande, en Suède, en Suisse, au Royaume-Uni et
aux États-Unis ainsi que des rapports d'étude de
comités de réforme, de comités mixtes du Sénat et
de la Chambre des communes, de groupes de
travail et de commissions dans ces juridictions. Les
résultats obtenus à partir de ces éléments de
preuve ne sont pas concluants parce que le degré
de liberté varie largement dans les différentes juri-
dictions mentionnées. De plus, les traditions politi-
ques sont différentes d'un pays à un autre. Je
crains fortement que s'il devient nécessaire de
produire de tels éléments de preuve chaque fois
que l'article 1 de la Charte est en cause, les
tribunaux seront submergés d'éléments de preuve
souvent contradictoires et entraînant des procès
inutilement longs et la production de dossiers
volumineux.
Pour ce qui est de la question de l'interprétation
de l'article 32 de la Loi sur l'emploi dans la
Fonction publique à la lumière des articles 2 et 15
de la Charte, même s'il faut respecter les opinions
des experts et les textes de doctrine, le rôle de la
Cour est d'interpréter la loi telle qu'elle a été
rédigée et non pas de faire des considérations
philosophiques sur ce qui peut être souhaitable ou
non. Seul le législateur peut modifier la loi et les
tribunaux doivent se montrer vigilants afin de ne
pas essayer, par voie d'interprétation judiciaire,
d'étendre la portée de celle-ci au-delà de ce que le
législateur semble avoir voulu dire.
Il est difficile d'établir une distinction nette
entre des critiques ou des activités politiques
reliées à l'emploi et celles qui ne le sont pas. Dans
l'arrêt Fraser (précité), le juge en chef a dit à la
page 469:
Un emploi dans la fonction publique comporte deux dimen
sions, l'une se rapportant aux tâches de l'employé et à la
manière dont il les accomplit, l'autre se rapportant à la manière
dont le public perçoit l'emploi.
Se penchant sur la question de l'empêchement
d'accomplir un travail, il a dit aux pages 472 et
473:
En ce qui a trait à l'empêchement d'accomplir le travail précis,
je crois que selon la règle générale la preuve directe de l'inci-
dence néfaste devrait être exigée. Toutefois cette règle n'est pas
absolue. On peut déduire qu'il y a eu incidence néfaste lorsque,
comme en l'espèce, la nature du poste du fonctionnaire est à la
fois importante et délicate et lorsque comme en l'espèce, le
fond, la forme et le contexte de la critique du fonctionnaire est
extrême. En l'espèce, la déduction de l'arbitre, savoir que la
conduite de M. Fraser pouvait ou allait susciter des inquiétu-
des, de la gêne ou de la méfiance de la part du public à l'égard
de son aptitude à accomplir ses fonctions, n'était pas
déraisonnable.
Si on examine l'incidence néfaste dans un sens plus large, je
suis d'avis qu'une preuve directe n'est pas nécessairement
exigée. Les traditions et les normes contemporaines de la
fonction publique peuvent constituer des éléments de preuve
directe. Toutefois elles peuvent également être des éléments
d'étude, d'argumentation écrite et orale, de connaissance géné-
rale de la part d'arbitres qui ont l'expérience du secteur public
et enfin, de déductions raisonnables par ces derniers. Un arbitre
peut déduire qu'il y a une incidence néfaste d'après l'ensemble
de la preuve si des éléments de preuve indiquent un type de
conduite qui peut raisonnablement l'amener à conclure qu'elle
est de nature à diminuer l'efficacité du fonctionnaire.
Dans les cas sous étude, rien ne laisse supposer
qu'il y a eu incidence néfaste sur la capacité des
demandeurs d'accomplir leur travail par suite des
activités dans lesquelles ils se sont engagés ou dans
lesquelles ils avaient l'intention de s'engager. En
fait, le demandeur Osborne a plus tard obtenu une
promotion et ce, malgré un changement de gouver-
nement, le parti qu'il soutenait ayant été défait. De
plus, la question de l'empêchement d'accomplir un
travail ne se pose qu'au paragraphe 32(3) qui
concerne l'octroi d'un congé à un fonctionnaire
pour qu'il se présente comme candidat à une
élection.
Pour appuyer l'argument suivant lequel il n'y a
pas eu discrimination à l'égard des demandeurs en
contravention de l'article 15 de la Charte, on a
invoqué l'arrêt MacKay c. La Reine, [ 1980] 2
R.C.S. 370, où le juge McIntyre a dit à la page
406:
Il me paraît incontestablé que le Parlement a le pouvoir de
légiférer de façon à viser un groupe ou une catégorie de la
société plutôt qu'un autre sans nécessairement enfreindre pour
autant la Déclaration canadienne des droits. Le problème se
soulève cependant lorsque l'on tente d'établir un fondement
acceptable à la définition de ces catégories distinctes, et la
nature de la loi particulière en cause. Dans ce contexte, égalité
ne doit pas être synonyme de simple application universelle.
Bien des circonstances et conditions différentes touchent des
groupes différents ce qui dicte des traitements différents. La
question à résoudre dans chaque cas est celle de savoir si
l'inégalité qui peut être créée par la loi vis-à-vis d'une catégorie
particulière—ici les militaires—est arbitraire, fantaisiste ou
superflue, ou si elle a un fondement rationnel et acceptable en
tant que dérogation nécessaire au principe général de l'applica-
tion universelle de la loi pour faire face à des conditions
particulières et atteindre un objectif social nécessaire et
souhaitable.
Dans l'affaire Smith, Kline & French Laborato
ries Limited c. Procureur général du Canada,
[1986] 1 C.F. 274; (1985), 7 C.P.R. (3d) 145 (lr»
inst.), le juge Strayer a dit aux pages 318 et 319
C.F.; à la page 194 C.P.R.:
Je ne crois pas qu'on ait pu vouloir que toute distinction que
crée une mesure législative entre des citoyens ou des catégories
de citoyens doive automatiquement être considérée comme de
la «discrimination» au sens du paragraphe 15(1) et donc, qu'il y
ait immédiatement renversement du fardeau de la preuve sur
les épaules de celui qui préconise la mesure législative afin qu'il
la justifie en vertu de l'article 1. C'est le rôle des assemblées
législatives d'établir des distinctions et ce, pour quantité de
raisons, et il est inconcevable que chacune d'entre elles puisse
faire reporter sur le gouvernement ou sur quiconque s'appuyant
sur une mesure législative de ce genre, le fardeau d'en démon-
trer «la justification ... dans le cadre d'une société libre et
démocratique». Cela aurait pour effet de confier aux tribunaux
un pouvoir décisionnel ainsi qu'un fardeau qui seraient inaccep-
tables tant pour eux que pour les assemblées législatives.
Il est reconnu qu'il existe une règle de neutralité
politique dans la fonction publique.
Après avoir invoqué la citation de la Commis
sion MacDonnell (énoncée plus haut dans l'arrêt
Fraser), la Cour d'appel de l'Ontario dit à la page
330 de l'affaire Re Ontario Public Service
Employees Union et al. and Attorney -General for
Ontario (1980), 31 O.R. (2d) 321:
[TRADUCTION] Dans le résumé de ses conclusions, le comité
Masterman a dit que «la neutralité politique de la fonction
publique est une caractéristique fondamentale du système
démocratique britannique et qu'elle est essentielle pour assurer
son fonctionnement efficace. Il faut la maintenir même si
certaines personnes qui choisissent de devenir fonctionnaires
doivent à cette fin perdre une partie de leur liberté politique.»
Un comité qui s'est penché ultérieurement sur cette question au
Royaume-Uni (le comité Armitage) a produit en 1978 un
rapport allant dans le même sens.
Il est évident qu'il existait à l'époque de la Confédération une
règle quant à la neutralité politique des préposés de la Cou-
ronne et que le fondement de cette règle est resté le même au
cours des années qui ont suivi. Il importe peu en pratique que
cette règle ait été pleinement respectée à l'époque. Comme je
l'ai dit plus tôt, il ne faut pas considérer l'avantage social
présenté par les dispositions législatives mais plutôt le fait qu'il
existait historiquement une telle règle en 1867.
Kenneth Kernaghan, professeur de science poli-
tique et d'administration à l'Université Brock et
auteur de nombreuses publications sur les droits
politiques des fonctionnaires, a été cité comme
témoin expert par la défenderesse. Examinant la
question de la neutralité politique de la fonction
publique, il a énoncé six principes importants:
[TRADUCTION] 1. La politique et l'orientation politique sont
distinctes de l'administration de sorte que les hommes politi-
ques prennent des décisions administratives que les fonctionnai-
res se contentent d'exécuter.
2. La nomination et la promotion des fonctionnaires reposent
sur le mérite plutôt que sur leur appartenance à un parti
politique ou sur les contributions qu'ils lui versent.
3. Les fonctionnaires ne participent pas à des activités politi-
ques partisanes.
4. Les fonctionnaires n'expriment pas publiquement leur point
de vue sur les politiques ou l'administration du gouvernement.
5. Les fonctionnaires conseillent leurs ministres en privé et sous
le sceau de la confidentialité et, en retour, les ministres protè-
gent l'anonymat des fonctionnaires en acceptant publiquement
la responsabilité pour les mesures prises par leur ministère.
6. Faisant abstraction de la philosophie et des programmes du
parti au pouvoir ainsi que de leurs opinions personnelles, les
fonctionnaires exécutent loyalement les décisions politiques qui
sont prises; par conséquent, les fonctionnaires bénéficient de la
sécurité d'emploi tant qu'ils respectent la loi et exécutent
efficacement leurs tâches.
M. Kernaghan affirme que ces principes sont
interdépendants de sorte que la modification de
l'un d'eux peut avoir un effet important sur les
autres. Dans l'ensemble, les autres experts ont
admis qu'il s'agissait de principes raisonnables
bien qu'il soit parfois nécessaire de s'en écarter
comme dans le cas de nominations directes par le
Cabinet dans des domaines techniques où il faut
rechercher les talents particuliers d'un individu
plutôt que de procéder par nominations au mérite
seulement. Font aussi exception à ces règles les
fonctionnaires dont la nature de l'emploi exige
qu'ils expriment leurs opinions, comme c'est le cas
du chef du Bureau de la main-d'oeuvre féminine
pour reprendre l'exemple avancé par le témoin
expert Whittaker.
Il est aussi intéressant de souligner les propos de
la Cour suprême des États-Unis dans l'arrêt
United Public Workers v. Mitchell, 330 U.S. 75
(1946), la page 102:
[TRADUCTION] Le Congrès a décidé que la présence d'em-
ployés de l'État, qu'il s'agisse d'employés professionnels ou de
personnel administratif, dans les rangs des travailleurs de partis
politiques est néfaste. Dans la mesure od le pouvoir constitu-
tionnel examiné est concerné, les différences qui peuvent exister
entre le personnel administratif de l'État et les professionnels
qui travaillent pour lui sont minimes. Pour le Congrès, l'identi-
fication de ces différences et l'importance qu'il faut leur atta-
cher ne sont que des détails. Nous ignorons si le nombre
d'employés fédéraux croîtra ou décroîtra ni s'il deviendra de
plus en plus nécessaire de réglementer leurs activités politiques
ou le contraire. Le pouvoir constitutionnel de réglementation
appartient au Congrès et non aux tribunaux.
Nous avons dit que le Congrès peut réglementer le comporte-
ment politique des employés de l'État «dans des limites raison-
nables» même si cette réglementation empiète dans une certaine
mesure sur des activités politiques non restreintes. Il appartient
principalement au Congrès de déterminer dans quelle mesure il
est nécessaire de réglementer les activités politiques des
employés de l'État. Les tribunaux n'interviendront que lorsque
cette réglementation va au-delà de la conception que l'on a en
général du pouvoir du gouvernement. Cette conception évolue
en fonction de la pratique, de l'histoire et des changements
intervenus dans le domaine de l'éducation et dans les conditions
économiques et sociales.
L'affaire Fraser v. Nova Scotia (Attorney Gene
ral), numéro de greffe SH 54592, dans laquelle le
jugement a été rendu en Nouvelle-Écosse le 10
juin 1986, bien après que la présente affaire eût
été plaidée, présente un intérêt considérable étant
donné qu'elle traite directement des droits politi-
ques des fonctionnaires de cette province. Il est
préférable d'utiliser l'intitulé Frank Fraser pour
distinguer cette décision de celle rendue par la
Cour suprême du Canada dans l'arrêt Neil Fraser
auquel j'ai déjà fait référence. Dans cette affaire,
le juge Grant a examiné en détail les droits confé-
rés aux fonctionnaires par la Civil Service Act de
la Nouvelle-Écosse, S.N.S. 1980, chap. 3, et a
déterminé si les paragraphes 34(2) et (3) ainsi que
l'alinéa 35c) de cette loi étaient incompatibles avec
les droits garantis par les articles 2, 3 et 15 de la
Charte canadienne des droits et libertés et, de ce
fait, inopérants. Il a examiné dans son jugement
les déclarations d'éminents constitutionnalistes et
les précédents jurisprudentiels importants, notam-
ment les arrêts R. c. Big M Drug Mart Ltd. et
autres, R. c. Oakes et Fraser c. Commission des
relations de travail dans la Fonction publique que
j'ai déjà invoqués. Il a inclus des tableaux conte-
nant une analyse comparative des mesures régle-
mentant l'activité politique dans les diverses pro
vinces canadiennes, il s'est penché sur les positions
adoptées en Grande-Bretagne, notamment sur le
rapport Masterman, et aux Etats-Unis en étudiant
notamment la Hatch Act [An Act to prevent per
nicious political activities, 53 Stat. 1147], et il a
examiné en détail les opinions d'expert émises par
le professeur Kernaghan qui a également été cité
comme témoin en l'espèce.
Le juge a exprimé son point de vue quant à
l'effet de la Charte sur diverses activités comme le
fait de prendre la parole à des réunions politiques,
la présence à ces réunions, les frais d'adhésion, les
contributions versées à un parti politique, la candi-
dature, les affiches et pancartes, la sollicitation de
votes, les passages à la radio et à la télévision, la
rédaction des programmes d'action, la sollicitation
de fonds, le fait de détenir un poste dans l'organi-
sation d'un parti, et quant à la possibilité d'établir
des catégories auxquelles certaines restrictions
s'appliqueraient comme c'est le cas en Angleterre.
Il a conclu que les paragraphes 34(2) et (3) et
l'alinéa 35c) de la loi de la Nouvelle-Ecosse con-
treviennent aux droits garantis aux requérants par
les alinéas 2b), 2c), 2d), l'article 3 et le paragraphe
15 (1) de la Charte des droits et libertés et sont
incompatibles avec ceux-ci et sont, par conséquent
inopérants en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi
constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982
sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]. Il main-
tient toutefois l'exécution de sa décision pendant
l'appel, le cas échéant.
En ce qui concerne toutefois les conclusions de
ce jugement, il faut signaler que les articles en
question de la Civil Service Act de la Nouvelle-
Ecosse sont beaucoup plus restrictifs que l'article
32 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publi-
que du Canada dont il est question en l'espèce. Ces
articles de la loi de la Nouvelle-Écosse sont libellés
ainsi:
[TRADUCTION] 34 ...
(2) Il est interdit à tout sous-chef et à tout employé de
travailler pour un parti politique à l'occasion d'une élection ou
de verser, à titre de contribution, ou de recevoir de l'argent
destiné à la caisse d'un tel parti ou d'utiliser de quelque façon
de l'argent à cette fin.
(3) Toute personne qui enfreint le présent article s'expose à
être congédiée de la Fonction publique.
35 Un employé, autre qu'un sous-chef ou un employé qui
occupe un poste ou une classification mentionnés dans les
règlements, peut être candidat à une élection municipale ou
scolaire, ou travailler activement en faveur d'un candidat à une
telle élection si
a) sa candidature, ses services ou ses activités n'entravent pas
l'exercice de ses fonctions;
b) sa candidature, ses services ou ses activités n'entrent pas
en conflit avec les intérêts de Sa Majesté du chef de la
province;
c) sa candidature, ses services ou ses activités ne se rappor-
tent pas à un parti politique fédéral ou provincial ou ne sont
pas financés par lui.
Dans son affidavit, Frank Fraser a soutenu que,
en raison de cette loi, il ne pouvait pas:
[TRADUCTION] (1) être membre d'un parti politique provincial
ou fédéral;
(2) se joindre aux membres de ce parti pour les activités de
celui-ci;
(3) assister aux réunions et aux assemblées de ce parti;
(4) participer à l'élaboration des politiques et des plates-formes
électorales de ce parti;
(5) exprimer ses opinions en public sur des questions politiques;
(6) verser des contributions financières à ce parti;
(7) faire de la sollicitation au nom de ce parti;
(8) faire campagne pour ce parti;
(9) tenter d'obtenir l'investiture de ce parti à une élection
générale provinciale ou fédérale et, s'il était désigné comme
candidat, se présenter à l'élection.
On se rendra compte facilement qu'en raison du
paragraphe 32(2) de la Loi fédérale, les allégations
1, 2, 3 et 6 sont inapplicables et qu'en raison du
paragraphe (3), l'allégation 9 ne s'applique pas.
Avant d'aborder plus précisément les questions à
trancher dans la présente espèce, on pourrait men-
tionner ce qui s'est fait en Grande-Bretagne, où la
fonction publique se divise en trois groupes pour ce
qui concerne les activités politiques:
[TRADUCTION] 1. Le groupe libre de toute restriction en
matière politique, se composant des ouvriers de l'industrie, qui
sont libres de s'adonner à toute activité politique y compris celle
d'être candidats à une élection au Parlement (bien qu'ils doi-
vent démissionner de la fonction publique s'ils sont élus).
2. Le groupe soumis à des restrictions en matière politique, se
composant de tous les employés occupant un poste supérieur à
celui de cadre administratif, ainsi que des cadres administratifs
eux-mêmes et de certaines catégories connexes telles que les
agents d'information, à qui sont interdites les activités politi-
ques au niveau national, mais qui peuvent demander la permis
sion de participer à des activités politiques au niveau local.
3. Le groupe intermédiaire, se composant de tous les autres
employés, principalement des commis et des copistes, lesquels
peuvent demander la permission de participer à des activités
politiques au niveau national ou local mais ne peuvent pas être
candidats à une élection au Parlement.
Des témoins ont indiqué que cela semble fonction-
ner de façon satisfaisante. Il n'existe cependant pas
de classification de ce genre au Canada, et il
n'appartient pas à la Cour de dire s'il serait sou-
haitable ou non d'adopter une telle classification
au Canada; en fait, une telle division au sein de la
fonction publique entrerait peut-être en conflit
avec l'article 15 de la Charte en ce sens qu'elle
établirait une distinction entre les droits d'une
catégorie de fonctionnaires et ceux des autres.
De toute façon, je crois qu'il faut reconnaître
qu'il existe au Canada, comme en Grande-Breta-
gne, aux États-Unis et dans d'autres pays démo-
cratiques, une règle de neutralité politique dans la
fonction publique qui exige que l'on impose certai-
nes restrictions aux activités politiques partisanes.
Cela conduit au maintien du principe des nomina
tions et des promotions d'après le mérite par oppo
sition aux conséquences néfastes du favoritisme
politique, contribue à inspirer confiance au public
lorsqu'il s'agit pour les fonctionnaires d'exercer
leurs tâches d'une manière équitable et impartiale
et aux ministres élus lorsqu'ils font appel aux
conseils fournis par les fonctionnaires et sur les-
quels ils doivent se fonder. Bien que beaucoup de
temps ait été consacré à discuter des conséquences
néfastes possibles pour le fonctionnaire qui
s'adonne à des activités politiques partisanes, cet
argument n'a pas réussi à me convaincre. En s'en-
gageant dans la fonction publique, le fonctionnaire
doit ou devrait comprendre que la neutralité
requise en matière politique entraînera nécessaire-
ment une certaine restriction de ses activités politi-
ques partisanes même si cela limite quelque peu sa
liberté de parole ou d'association. Ces restrictions
devraient être aussi peu nombreuses que possible
pour permettre d'atteindre l'objectif de la neutra-
lité politique; c'est ce que vise l'article 32 bien que
son libellé quelque peu général nécessite une cer-
taine interprétation judiciaire lorsqu'on l'applique
à des cas précis d'activités politiques. Du point de
vue du fonctionnaire qui désire s'adonner à des
activités politiques partisanes, il me semble qu'il
doit craindre non seulement les conséquences d'un
manquement possible à la Loi mais aussi l'effet
que ses activités auront sur ses supérieurs et ses
chances d'avancement ou de promotion. On pour-
rait dire la même chose de la façon de se vêtir, de
la longueur ou de la couleur des cheveux, de
l'utilisation d'un langage vulgaire, ou d'autres
traits personnels distinctifs, qui peuvent tous être
permis par la Charte des droits mais qui influeront
certainement sur l'attitude de ses supérieurs et de
ses collègues à son égard. Que ce soit dans la
fonction publique ou dans le secteur privé, si un
employé persiste à adopter un comportement que
son employeur n'approuve pas, bien qu'il soit tout
à fait légal, c'est qu'il a choisi d'en subir les
conséquences. C'est pour cette raison que j'accorde
peu de poids à cet argument mais que je souligne
plutôt l'importance de maintenir la règle de la
neutralité politique dans la fonction publique pour
le bénéfice de la fonction publique dans son ensem
ble ainsi que le principe des nominations et des
promotions d'après le mérite et, en second lieu,
l'importance de la confiance que doivent avoir le
public et les différents ministres envers les fonc-
tionnaires qui doivent les servir.
Il convient ici de se reporter aux articles en
question de la Charte:
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique
également à tous, et tous ont droit à la même protection et au
même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimina
tion, notamment des discriminations fondées sur la race, l'ori-
gine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge
ou les déficiences mentales ou physiques.
2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes:
b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y
compris la liberté de la presse et des autres moyens de
communication;
d) liberté d'association.
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les
droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être res-
treints que par une règle de droit, dans des limites qui soient
raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le
cadre d'une société libre et démocratique.
Il ne me semble pas que le paragraphe 15(1)
puisse s'appliquer aux faits de l'espèce. Si on consi-
dère l'ensemble de la fonction publique comme une
catégorie d'emploi à l'égard de laquelle il est
nécessaire d'apporter une certaine restriction aux
activités politiques, l'article 32 de la Loi sur l'em-
ploi dans la Fonction publique n'établit aucune
discrimination contre un fonctionnaire en particu-
lier quant à l'application de la loi à son égard,
même si on étend le mot «discrimination» au-delà
des catégories prévues de façon précise audit para-
graphe 15(1). (Voir à ce sujet les citations tirées
des jugements rendus par le juge McIntyre dans
l'affaire Soldat R.C. MacKay et par le juge
Strayer dans l'affaire Smith, Kline & French
Laboratories Limited (précitées))
Pour atteindre leur objectif premier, qui vise à
faire déclarer l'article 32 inopérant en raison de
son incompatibilité avec la Charte par application
du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de
1982, les demandeurs doivent, à mon avis, se
fonder sur les alinéas 2b) ou d). L'interdiction,
prévue par l'alinéa 32(1)a), de travailler pour ou
contre un parti politique ou un candidat à une
élection impose sans aucun doute certaines limites
à leur liberté d'expression et peut-être, quoique
dans une moindre mesure, à leur liberté d'associa-
tion. Toutefois, le paragraphe (2) vient tempérer
cette interdiction en permettant d'assister à une
réunion politique et de verser, à titre de contribu
tion, de l'argent à la caisse d'un candidat ou d'un
parti politique.
Les demandeurs soutiennent que le mot «travail-
ler» utilisé au paragraphe 32(1) est suffisamment
vague pour qu'il soit permis de conclure que l'arti-
cle doit être inopérant parce qu'il est contraire à la
Charte; ils se fondent sur l'affaire Luscher c.
Sous -ministre, Revenu Canada, Douanes et
Accise, [1985] 1 C.F. 85; 17 D.L.R. (4th) 503
(C.A.) dans laquelle le juge Hugessen, en rendant
le jugement au nom de la Cour d'appel fédérale, a
déclaré aux pages 89 et 90 C.F.; à la page 506
D.L.R.:
À mon avis, l'une des caractéristiques primordiales d'une
limite raisonnable imposée par une règle de droit est qu'elle
doit être exprimée avec suffisamment de clarté pour qu'on
puisse l'identifier et la situer. Le seul fait qu'une limite soit
vague, ambiguë, incertaine ou assujettie à l'exercice d'un pou-
voir discrétionnaire suffit à en faire une limite déraisonnable. Si
un citoyen ne peut déterminer avec un degré de certitude
tolérable dans quelle mesure l'exercice d'une liberté garantie
peut être restreint, il est probable que cela le dissuadera
d'adopter certaines conduites qui, en fait, n'étant pas interdites,
sont licites. L'incertitude et l'imprécision sont des vices d'ordre
constitutionnel lorsqu'elles servent à restreindre des droits et
libertés garantis par la Constitution. Bien qu'il ne puisse jamais
y avoir de certitude absolue, une limite imposée à un droit
garanti doit être telle qu'il sera très facile d'en prévoir les
conséquences sur le plan juridique.
Cette affaire traitait cependant de la question
toujours difficile de définir ce qui est «immoral» ou
«indécent». Il a été décidé qu'un article du Tarif
des douanes [S.R.C. 1970, chap. C-41] interdisant
l'importation de livres de cette nature contrevient à
l'alinéa 2b) de la Charte, car ce n'est pas une
limite raisonnable au sens de l'article 1 étant
donné qu'elle est trop vague, ambiguë, incertaine
ou assujettie à l'exercice d'un pouvoir discrétion-
naire, et qu'elle ne peut donc pas constituer une
limite raisonnable. D'après les faits de l'espèce, je
ne crois pas que le mot «travailler» soit suffisam-
ment vague pour qu'il soit permis de conclure que
tout l'article est inopérant. Une telle conclusion
aurait pour effet d'écarter toutes les limites appor-
tées aux activités politiques des fonctionnaires lors-
qu'il a été reconnu qu'une certaine limite est sou-
haitable et nécessaire. Ce qu'il faut, c'est que le
tribunal détermine, en l'absence d'une modifica
tion législative ou d'un règlement adopté par
décret, en quoi consiste le travail pour un parti
politique ou au nom d'un tel parti.
Il est donc nécessaire à ce moment-ci d'exami-
ner si les activités projetées par les demandeurs
constituent des activités qui sont acceptables en
vertu de la Charte mais qui ont été limitées par
l'interprétation donnée par la Commission à l'arti-
cle 32. En interprétant l'article 32 de la Loi sur
l'emploi dans la Fonction publique, je n'ai pas
l'intention d'essayer de faire des généralisations
quant aux activités politiques qu'il restreint et aux
activités qui sont permises. Comme il faut donner
une interprétation libérale, on ne devrait pas res-
treindre plus d'activités qu'il n'est nécessaire pour
préserver la tradition de la neutralité politique. Il
existe un large éventail d'activités auxquelles on
pourrait se livrer et, comme il a été dit dans
l'affaire Neil Fraser, le degré de modération dont
on doit faire preuve dépend du poste et de la
visibilité du fonctionnaire. Je limiterai donc mes
conclusions aux faits des actions dont j'ai été saisi,
car une conclusion plus générale constituerait une
opinion incidente.
En ce qui concerne M. Osborne, il était manifes-
tement un membre actif de l'association libérale de
sa circonscription puisqu'il a été choisi comme
délégué au congrès à la direction du parti. Suivant
le paragraphe 32(2), il a le droit d'assister à des
réunions politiques ou de verser, à titre de contri
bution, de l'argent à la caisse d'un candidat ou du
parti. Lorsqu'il a appris qu'il ne pouvait pas être
délégué, il a contourné astucieusement le problème
en invoquant l'alinéa 32(1)b) de la Loi et en
demandant un congé afin de devenir candidat. Une
fois obtenue la permission nécessaire, il pouvait
alors participer au congrès à la direction du parti.
Bien que le futur chef du parti doive sans aucun
doute se porter candidat à une élection en temps et
lieu, je doute que le fait de voter à titre de délégué
pour le choix d'un tel chef équivaille nécessaire-
ment à travailler pour un candidat ou au nom d'un
candidat. Si M. Osborne avait par la suite travaillé
pour le candidat choisi en vue de l'élection par-
tielle dans sa circonscription, cela aurait nettement
été en contravention de l'alinéa 32(1)a), mais,
selon une interprétation large et généreuse des
droits qui lui sont garantis par l'alinéa 2b) de la
Charte et vu qu'il aurait certainement pu assister à
la réunion politique sans être délégué, je conclus
que son élection à titre de délégué au congrès à la
direction du parti ne porte pas atteinte à l'alinéa
32(1)a) de la Loi.
William James Millar est plus militant. Dans
son cas, il a d'abord été informé qu'il lui serait
permis d'être délégué, mais cette permission a été
annulée par la suite, ce qui fait ressortir que la
question doit être tranchée par le tribunal. La
décision rendue dans l'affaire Osborne s'appliquera
également à lui.
Quant au demandeur Cassidy, son désir d'em-
ployer des fonctionnaires pour travailler à un titre
ou à un autre dans le cadre de sa campagne
électorale a sans aucun doute été restreint. On a
soutenu que cela a entravé sa liberté d'association
avec eux et a donc porté atteinte à l'alinéa 2d) de
la Charte. Toutefois, je crois qu'il serait préférable
d'examiner cette question en se demandant si ce
n'était pas plutôt leur droit d'association avec lui
par le biais de leur travail dans le cadre de sa
campagne qui a été violé. Le résultat est le même.
Si l'article 32 limite indûment le droit d'associa-
tion de B avec A, il s'ensuit nécessairement qu'il y
a également violation du droit d'association de A
avec B.
Je vais maintenant traiter du cas des quatre
codemandeurs qui sont des fonctionnaires de sa
circonscription estimant qu'il y a eu atteinte aux
droits que leur garantit la Charte.
Le demandeur Barnhart indique qu'il aimerait
participer à des campagnes électorales à titre de
scrutateur pour le parti de son choix à un bureau
de vote donné et aider ce parti dans l'élaboration
de sa politique générale et de sa politique indus-
trielle. Dans le cadre de son travail, il surveille
l'environnement dans les réserves indiennes et pré-
sente des rapports et des recommandations aux
fonctionnaires du Ministère sur la façon appro-
priée de résoudre les questions qui influent sur les
conditions socio-économiques des Indiens. Rien
n'autorise à penser que sa capacité d'accomplir son
travail serait diminuée, mais, comme je l'ai déjà
mentionné, cette question n'est en litige dans
aucun de ces cas. Le paragraphe 32(2) lui permet
expressément d'assister à des réunions politiques et
de verser, à titre de contribution, de l'argent à la
caisse d'un candidat, et il est raisonnable de con-
dure que son droit d'assister à des réunions politi-
ques n'exige pas qu'il y garde le silence mais
implique plutôt le droit de participer aux débats
concernant l'élaboration des politiques s'il le
désire. Ce qu'il ne peut se permettre, c'est de faire
aux médias des déclarations publiques de nature
politique et partisane verbalement ou par écrit, et
d'attirer ainsi l'attention du public sur lui à titre de
membre actif d'un parti politique déterminé. Bien
que l'article 32 n'utilise pas le mot «partisan», il me
semble que les mots «travailler pour ou contre un
parti politique ou ... travailler au nom d'un tel
parti» équivalent à l'expression «activités politiques
partisanes». Il s'ensuit qu'il ne devrait pas agir à
titre de scrutateur pour le parti de son choix à un
bureau de vote.
La demanderesse Camponi travaille au Bureau
des revendications des autochtones du ministère
des Affaires indiennes et du Nord canadien; ses
fonctions consistent notamment à effectuer des
recherches historiques relativement à l'analyse des
revendications présentées par les autochtones
contre la Couronne et à faire des propositions en
vue de leur règlement. Elle déclare qu'elle s'inté-
resse tout particulièrement à la place des femmes
dans la société canadienne et aimerait faire con-
naître son opinion à ses amis et à ses voisins quant
au parti politique qui présente la meilleure politi-
que sur les questions relatives aux femmes; elle
voudrait notamment accomplir ce travail en dehors
des périodes électorales afin de s'assurer que des
politiques en faveur des femmes sont adoptées et
portées à l'attention du public. Son droit à la
liberté de parole sur cette question et sur d'autres
est naturellement protégé par l'alinéa 2b) de la
Charte, et elle peut prononcer tous les discours
qu'elle veut sur les droits des femmes en dehors de
ses heures de travail. Toutefois c'est lorsqu'elle
déclare qu'elle aimerait faire connaître son opinion
quant au parti politique qui présente la meilleure
politique sur les questions concernant les femmes
et travailler pour ce parti qu'elle contrevient à
l'article 32. Il s'agit sans aucun doute d'un travail
qui serait effectué au nom d'un parti politique. Sa
liberté d'exprimer ses opinions personnelles sur des
questions publiques n'est pas restreinte (à moins
évidemment que cela constitue une attaque publi-
que stridente contre une politique ou des program
mes publics comme dans l'affaire Neil Fraser),
mais, en exprimant de telles opinions en public,
elle ne doit pas s'identifier comme la représentante
d'un parti politique donné.
Le demandeur Clavette occupe un poste encore
moins en vue du public que n'importe lequel des
autres demandeurs, mais il est actif sur le plan
politique à titre de président du Conseil du travail
d'Ottawa et il a ainsi des idées bien arrêtées sur les
droits des travailleurs en milieu de travail et en
dehors de celui-ci. Il voudrait parler franchement
au nom du parti politique de son choix durant les
périodes électorales et travailler pour les candidats
qui appuient des positions améliorant les droits des
travailleurs et également parler en public sur des
questions de politique générale, tout particulière-
ment lors de réunions contradictoires. Encore une
fois, comme dans le cas de la demanderesse Cam-
poni, il est libre d'exprimer ses opinions sur les
questions qui l'intéressent, que ce soit en public ou
en privé, en dehors de ses heures de travail, mais,
lorsqu'il désire choisir le parti politique qui, à son
avis, exprime le mieux ses opinions et travailler
pour lui durant les campagnes électorales de façon
à s'identifier publiquement comme membre de ce
parti, il enfreint alors l'article 32 de la Loi. Le fait
de parler à titre de citoyen aux réunions politiques
contradictoires et de poser des questions aux can-
didats sur des sujets de politique générale semble-
rait être permis et découler de son droit d'assister à
des réunions politiques. Bien que la nature de ses
questions, ainsi que le candidat auquel elles sont
adressées, pourrait bien indiquer quel parti il
appuie, ce serait, à mon avis, restreindre indûment
ses droits que de l'empêcher de poser des questions
de ce genre. Il s'agit là d'une activité tout à fait
différente de celle de faire des discours politiques
au nom d'un candidat.
Enfin, la demanderesse Stevens a sans doute, à
titre d'aide-archiviste, plus de contacts avec le
public que les autres demandeurs, mais ce n'est pas
là la question importante. Elle déclare qu'elle vou-
drait travailler comme bénévole pour le parti de
son choix durant et après les campagnes électora-
les et participer à des activités comme celles de
coller des enveloppes et d'adresser du courrier.
Bien que cela puisse sembler constituer du travail
au nom d'un parti politique, j'estime que ce serait
donner une interprétation trop large au paragra-
phe 32(1) que de conclure que ce travail serait
interdit par celui-ci. Ce serait tout à fait différent
s'il s'agissait de distribuer des circulaires électora-
les ou d'aller voir des électeurs à leur domicile au
nom d'un candidat donné. Cela exige sans doute de
discuter d'opinions politiques partisanes avec le
citoyen en question, mais le simple fait de coller
des enveloppes ou d'adresser des lettres ne l'identi-
fierait pas auprès du public comme la représen-
tante d'un parti politique donné et pourrait même,
si elle était payée pour cette tâche, constituer
simplement un moyen de gagner un revenu d'ap-
point sans se soucier du parti pour lequel elle le
fait.
L'arrêt qui fait autorité sur l'application de
l'article 1 de la Charte, dont toutes les parties ont
traité assez longuement, est l'affaire Oakes, dans
laquelle le juge en chef Dickson a évoqué, aux
pages 138 et 139, les principes à suivre dans
l'application de l'article 1. Il a déclaré qu'il y a
deux critères fondamentaux, le premier étant que
les objectifs doivent être suffisamment importants
pour justifier la suppression d'un droit ou d'une
liberté garantis par la Constitution et que, pour en
arriver à une telle conclusion, la norme doit être
sévère afin que les objectifs peu importants ou
contraires aux principes qui constituent l'essence
même d'une société libre et démocratique ne béné-
ficient pas de cette protection. Le deuxième critère
est que, même lorsqu'il est reconnu qu'un objectif
est suffisamment important, il faut démontrer que
les moyens choisis pour l'atteindre sont raisonna-
bles et justifiés; cela nécessite l'application d'un
critère de proportionnalité qui pourra varier selon
les circonstances, les tribunaux étant tenus d'éta-
blir un équilibre entre les intérêts de la société et
ceux des individus et des groupes.
Étant donné qu'on ne conteste pas sérieusement
qu'il faille imposer une certaine limite aux activi-
tés politiques des fonctionnaires afin que le public
continue d'avoir confiance en leur impartialité
lorsqu'ils mettent en œuvre les politiques du gou-
vernement, il semble que ce soit un objectif suffi-
samment important pour justifier que la Loi
impose une limite de ce genre, même si cela sup-
primera nécessairement dans une certaine mesure
des droits et libertés protégés par la Constitution et
par la Charte.
Pour déterminer si on a satisfait au deuxième
critère, il faut prouver que les moyens adoptés à
l'article 32 sont raisonnables et que leur justifica-
tion peut se démontrer par l'application d'un cri-
tère de proportionnalité.
En ce qui concerne le critère de proportionna-
lité, le juge en chef Dickson a énoncé trois élé-
ments [aux pages 139 et 140]:
(1) Les mesures adoptées doivent être soigneuse-
ment conçues pour atteindre l'objectif en question.
Elles ne doivent être ni arbitraires, ni inéquitables,
ni fondées sur des considérations irrationnelles.
Bref, elles doivent avoir un lien rationnel avec
l'objectif en question.
(2) Même à supposer qu'il y ait un tel lien ration-
nel, le moyen choisi doit être de nature à porter «le
moins possible» atteinte au droit ou à la liberté en
question.
(3) Il doit y avoir proportionnalité entre les effets
des mesures restreignant un droit ou une liberté
garantis par la Charte et l'objectif reconnu comme
«suffisamment important».
Plus les effets préjudiciables d'une mesure sont
graves, plus l'objectif doit être important pour que
la mesure soit raisonnable et que sa justification
puisse se démontrer dans le cadre d'une société
libre et démocratique.
Compte tenu de ces éléments, je ne pense pas
que l'article 32 dans son ensemble soit arbitraire,
inéquitable ou fondé sur des considérations irra-
tionnelles, mais j'estime plutôt qu'il a un lien
rationnel avec l'objectif en question et est conçu
pour l'atteindre. En ce qui concerne le deuxième
élément, je crois qu'il est juste de dire que l'article
porte atteinte aussi peu que possible à la liberté de
pensée, de croyance, d'opinion et d'expression
prévue à l'alinéa 2b) de la Charte et à la liberté
d'association prévue à l'alinéa 2d). À ce sujet, bien
que cet article ait été adopté longtemps avant la
Charte, il est important de souligner que le para-
graphe (2) permet à un fonctionnaire d'assister à
une réunion politique ou de verser, à titre de
contribution, de l'argent à la caisse électorale d'un
candidat ou d'un parti politique et que l'alinéa
(1)b) lui permet d'être candidat à une élection
sous réserve seulement des dispositions du paragra-
phe (3) qui, encore une fois, ne semblent pas être
déraisonnables. La restriction porte uniquement
sur le travail pour ou contre un candidat à une
élection ou un parti politique ou au nom d'un tel
candidat ou d'un tel parti politique et, sans une
restriction de ce genre, il ne resterait rien pour
préserver la tradition de neutralité politique qui,
selon le juge en chef Dickson dans l'affaire Neil
Fraser (précitée), constitue une tradition cana-
dienne.
Il ne reste donc que le troisième élément à
examiner; suivant cet élément, plus les effets pré-
judiciables de la Loi sont graves dans la mesure où
ils restreignent des droits garantis par la Charte,
plus l'objectif doit être important pour que la Loi
soit raisonnable et que sa justification puisse se
démontrer dans le cadre d'une société libre et
démocratique. Sur cette question, je défendrais
également l'article 32 de la Loi par application de
l'article 1 de la Charte. Le maintien de la tradition
de l'impartialité politique dans la fonction publi-
que est un objectif très important et a été reconnu
comme tel par l'ensemble de la jurisprudence et de
la doctrine. Si, pour atteindre cet objectif, on
adopte une loi qui limite dans une certaine mesure
les activités politiques des fonctionnaires, l'objectif
l'emporte sur cette restriction. Dans l'affaire Neil
Fraser (précitée), le juge en chef Dickson a
déclaré en étudiant la question de la liberté abso-
lue de parler en public [à la page 4661:
Toute personne qui entre dans la fonction publique est censée
savoir qu'elle s'engage par le fait même à modérer ses paroles
et ses actes contre la politique du gouvernement.
Bien que cette affaire ne traite pas des activités
politiques partisanes et remonte à une époque
antérieure à l'adoption de la Charte, il me semble
que cette opinion s'applique en l'espèce. Dans le
même arrêt, le juge en chef Dickson dit [à la page
471], après avoir cité approbativement des décla-
rations faites par la Commission MacDonnell, en
Grande-Bretagne:
Une personne qui entre dans la fonction publique ou une qui y
est déjà employée doit savoir, ou du moins est présumée savoir,
que l'emploi dans la fonction publique comporte l'acceptation
de certaines restrictions.
En conclusion, j'estime que, même si l'article 32
de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique
porte atteinte aux droits que les alinéas 2b) et d)
ou l'article 15 et la Charte canadienne des droits
et libertés garantissent aux fonctionnaires en tant
qu'individus, les dispositions dudit article 32 sont
prescrites par une règle de droit, dans des limites
qui sont raisonnables et dont la justification peut
se démontrer dans le cadre d'une société libre et
démocratique, de sorte que l'article 1 de la Charte
peut s'appliquer.
Pour ce qui concerne les dépens, les demandeurs
Bryan Osborne et William James Millar, représen-
tés par le même avocat, ont réussi en partie en
obtenant un jugement déclaratoire selon lequel ils
auraient dû avoir le droit d'assister au congrès à la
direction du parti à titre de délégués, mais ils ont
échoué dans leur tentative de faire déclarer inopé-
rant l'article 32 de la Loi sur l'emploi dans la
Fonction publique. Je leur adjugerai cependant les
dépens, un seul mémoire de frais d'avocat et de
frais de préparation étant alloué, applicable aux
deux affaires.
Dans le cas de Randy Barnhart, Linda Cam-
poni, Michael Cassidy, Ken Clavette et Heather
Stevens, représentés par des avocats différents, les
demandeurs n'ont réussi qu'à obtenir un jugement
déclaratoire indiquant, parmi les activités projetées
qu'ils aimeraient entreprendre, celles qui sont
autorisées par l'article 32 de la Loi et celles qui ne
le sont pas. Toutefois, ils n'ont pas réussi à faire
déclarer l'article inopérant pour le motif qu'il va à
l'encontre de la Charte et ils ont également échoué
en ce qui concerne la deuxième question (qui a été
soulevée dans tous les cas) relativement à l'appli-
cation de l'article 1 de la Charte, s'il était devenu
nécessaire d'examiner cette question. Comme ils
n'ont obtenu gain de cause qu'en partie, il n'y aura
pas d'ordonnance quant aux dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.