A-274-84
La Reine (appelante)
c.
The Capital Life Insurance Company (intimée)
RÉPERTORIÉ: CAPITOL LIFE INSURANCE CO. c. R. (C.A.F.)
Cour d'appel, juges Urie, Mahoney et Stone—
Ottawa, 25, 26, 27, 28 février et 7 mars 1986.
Pratique — Preuve — Ouï-dire — Appel d'une décision de
la Division de première instance selon laquelle l'intimée n'a
pas exploité une entreprise au Canada — Le juge de première
instance a exclu les éléments de preuve obtenus d'une compa-
gnie affiliée et présentés au dirigeant désigné au cours de son
interrogatoire préalable, les réponses fournies en exécution des
engagements pris pendant l'interrogatoire préalable et les
réponses fournies par le dirigeant aux questions se rapportant
aux pratiques de la société affiliée — Il y a eu erreur de droit,
mais l'appelante n'a subi aucun préjudice — Lorsqu'aucune
objection n'est soulevée pendant l'interrogatoire préalable d'un
dirigeant de société, il faut tenir pour acquis que les renseigne-
ments obtenus d'une société affiliée sont connus de la société et
qu'ils ne constituent pas du ouï-dire — Le voile de l'anonymat
des sociétés qui empêche la libre circulation de renseignements
entre des sociétés affiliées est une fiction.
Pratique — Preuve — Preuve d'expert relativement au droit
étranger — L'admission du témoignage d'un avocat du Colo-
rado relativement au droit de cet État ne constitue pas une
erreur — Explication de l'arrêt Westgate v. Harris, 119291 4
D.L.R. 643 (C.A. Ont.) — Les conclusions du témoin s'ap-
puient sur une lettre d'opinion énonçant les faits et les pré-
somptions à la base desdites conclusions, jointe à la loi du
Colorado et citant de nombreuses décisions des tribunaux
américains — L'importance à accorder à un témoignage d'ex-
pert ressortit à l'appréciation du juge des faits — Les conclu
sions de fait tirées de la preuve ne contiennent pas d'erreur —
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 482.
Impôt sur le revenu — Non-résidents — Appel d'une déci-
sion de la Division de première instance selon laquelle l'inti-
mée n'a pas exploité une entreprise au Canada et n'est pas
assujettie à l'impôt — Bien que titulaire d'un permis canadien,
l'intimée n'a pas ouvert de bureaux, n'a pas nommé de ven-
deurs et n'a pas sollicité de clients au Canada — Le juge de
première instance n'a pas commis d'erreur dans les conclusions
de faits ou dans l'application du droit aux faits — Appel
rejeté — Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap.
63 — Loi de 1943 sur la Convention relative à l'impôt entre le
Canada et les Etats-Unis d'Amérique, S.C. 1943-44, chap. 21
— Loi sur les compagnies d'assurance étrangères, S.R.C. 1970,
chap. I-16.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Westgate v. Harris, [1929] 4 D.L.R. 643 (C.A. Ont.).
DÉCISION CITÉE:
Monarch Marking Systems, Inc. c. Esselte Meto Ltd.,
[1984] 1 C.F. 641 (1" inst.).
AVOCATS:
L. P. Chambers, c.r. et Robert W. McMechan
pour l'appelante.
Guy Du Pont pour l'intimée.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelante.
Verchère, Noël & Eddy, Montréal, pour
l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Appel est interjeté d'une
décision de la Division de première instance
(1984), 84 DTC 6087, dans laquelle il a été statué
que l'intimée, un non-résident du Canada, n'avait
pas exploité une entreprise au Canada en 1976 et
que, de ce fait, elle n'était pas assujettie à l'impôt
en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C.
1970-71-72, chap. 63]. Compte tenu de cette con
clusion, le juge de première instance n'avait pas à
décider si les bénéfices commerciaux réalisés par
l'intimée en 1976 étaient exempts d'impôt en vertu
de la Loi de 1943 sur la Convention relative à
l'impôt entre le Canada et les Etats-Unis d'Amé-
rique, S.C. 1943-44, chap. 21. La question complé-
mentaire de la répartition de ces bénéfices com-
merciaux entre le Canada et les États-Unis n'a pas
été soulevée.
En 1976 l'intimée, une compagnie d'assurance
constituée au Colorado, était titulaire d'un permis
canadien délivré en vertu de la Loi sur les compa-
gnies d'assurance étrangères, S.R.C. 1970, chap.
I-16, et de permis délivrés par toutes les provinces
à l'exception de Terre-Neuve et de l'Île-du-Prince-
Édouard. Bien que titulaire de permis, elle a pris la
décision délibérée et documentée de ne pas ouvrir
de bureaux, ni de nommer de vendeurs ou de
solliciter autrement des clients au Canada. Elle
était l'une des 600 et quelques filiales de Gulf &
Western Industries Inc. Six de ces filiales, y com-
pris Associates Acceptance Company Limited, ci-
après appelée «Associates», étaient des compagnies
canadiennes. L'intimée avait émis cinq polices
d'assurance collective en faveur de résidents cana-
diens avant la fin de 1976. Le juge de première
instance a dit de trois d'entre elles qu'elles étaient
«des polices d'assurance-vie et d'assurance-maladie
entre employeur et employés» émises à des sociétés
affiliées pour le bénéfice de leurs employés et de
ceux de leurs filiales. Les détails relatifs à ces trois
polices n'ont pas été expressément soulevés par
l'appelante à l'appui du présent appel, et c'est la
dernière fois qu'il en sera expressément question.
Les deux autres polices étaient des polices collecti
ves d'assurance-crédit émises au nom d'Associates.
La police GR-67-205 se rapportait à des prêts
consentis par Associates sans garantie hypothé-
caire. Aux termes de cette police, l'emprunteur
avait droit à une garantie maximale de 20 000 $ en
cas de décès et de 250 $ par mois pendant la
période où il était incapable de gagner un revenu
pour cause de maladie ou d'accident. Toutes les
indemnités étaient versées à Associates et étaient
imputées au prêt. Le prêteur recouvrait le coût de
l'assurance grâce à une clause distincte prévue
dans la demande de prêt. La police GA-67-269
s'appliquait aux prêts garantis par hypothèque et
les limites de la garantie étaient les mêmes. La
garantie n'était pas optionnelle, pas plus que la
clause n'était distincte et identifiable. Il ne fait pas
de doute qu'en bout de ligne, c'est l'emprunteur et
non Associates qui payait.
Outre la proposition principale, à laquelle je
reviendrai, aux termes de laquelle le juge de pre-
mière instance aurait prononcé des conclusions de
fait erronées, deux erreurs de droit sont également
alléguées. Premièrement, le juge de première ins
tance se serait trompé en excluant certains élé-
ments de preuve que l'appelant a cherché à présen-
ter. Deuxièmement, il se serait trompé en
acceptant une preuve sous forme d'opinion relati-
vement au droit du Colorado et en fondant sa
décision sur celle-ci.
Les éléments de preuve qui auraient été erroné-
ment exclus se rapportent tous à la prétention de
l'appelante selon laquelle Associates était l'agent
de l'intimée relativement à la vente de l'assurance
à ses emprunteurs. La première catégorie de ces
éléments, composée des pièces D-218 à D-223
inclusivement, est constituée de copies de «formu-
laires de prêt» qu'utilisent les agents de crédit
d'Associates relativement aux demandes de prêt.
Revenu Canada les avait obtenues d'Associates en
1979 et les avait présentées au dirigeant désigné
par l'intimée pour la représenter au cours de son
interrogatoire préalable. La deuxième catégorie
d'éléments exclus était constituée des réponses
fournies en exécution des engagements pris pour le
compte de l'intimée pendant l'interrogatoire préa-
lable. Encore une fois, les renseignements contenus
dans ces réponses ont été obtenus d'Associates, et
non de l'intimée et ils se rapportent aux formulai-
res de prêt. Les réponses fournies par le dirigeant
de l'intimée aux questions se rapportant aux prati-
ques d'Associates à l'égard des frais demandés aux
emprunteurs relativement à la couverture fournie
et au versement des primes à l'intimée constituent
la troisième catégorie d'éléments frappés d'exclu-
sion.
L'interrogatoire préalable s'était déroulé selon la
procédure normale qui veut que le dirigeant dési-
gné fournisse les renseignements demandés et que
l'intimée soit liée par ses réponses. Bien qu'aucune
objection en ce sens n'ait été présentée au cours de
l'interrogatoire préalable, le juge de première ins
tance a exclu cette preuve pour le motif qu'elle
constituait du ouï-dire en ce qui concerne l'intimée
et son dirigeant désigné. Le juge de première
instance a donné à l'appelante la possibilité d'ap-
peler à la barre un témoin d'Associates qui aurait
pu fournir une preuve originale quant aux docu
ments et aux pratiques de celle-ci, mais l'offre a
été rejetée.
Dans les circonstances, j'estime, en toute défé-
rence, que le juge de première instance a commis
une erreur en excluant cette preuve. Une partie qui
procède à l'interrogatoire préalable d'un dirigeant
de société a droit, du moins tant qu'aucune objec
tion n'est soulevée, d'engager le procès en tetu.nt
pour acquis que les renseignements pertinents
obtenus d'une société affiliée sont connus de la
société et qu'aucune objection ne sera soulevée à
leur égard au cours du procès et qu'ils ne seront
pas rejetés comme ouï-dire. Ce serait ignorer la
réalité du monde commercial que de maintenir la
fiction du voile impénétrable de l'anonymat des
sociétés qui empêcherait la libre circulation de
renseignements authentiques entre des sociétés
affiliées; voir Monarch Marking Systems, Inc. c.
Esselte Meto Ltd., [1984] 1 C.F. 641 (lie inst.).
Cela dit, j'estime que cette erreur ne justifie pas
l'annulation du jugement de première instance. La
totalité des documents et des réponses frappés
d'exclusion a été déposée devant la présente Cour
en appel. La pièce D-238, qui a été admise, est un
formulaire de prêt utilisé en Nouvelle-Écosse. Il
semble que cette pièce contient tous les renseigne-
ments figurant aux pièces D-218 à D-223 sur
lesquelles souhaitait s'appuyer l'avocat de l'appe-
lante. Rien dans les réponses exclues ne prouve ou
ne complète de manière significative la preuve
admise qui tend à prouver qu'Associates agissait
pour le compte de l'intimée, plutôt que pour son
propre compte, lorsqu'elle faisait affaire avec les
emprunteurs ou lorsqu'elle traitait des frais qui
leur étaient comptés au chef de la couverture
fournie. A mon avis, l'exclusion de cette preuve n'a
pas causé de préjudice à l'appelante; le résultat
n'aurait pas été différent si elle avait été admise.
L'autre erreur de droit alléguée se rapporte à
l'admission de la preuve d'expert relativement au
droit du Colorado. Le témoin expert, un avocat du
Colorado, a été accepté, sans opposition, à titre
d'expert relativement au droit du Colorado. L'ex-
posé de sa preuve sur examen en chef, déposé et
signifié conformément à la Règle 482 [Règles de
la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663], énonce les
conclusions suivantes:
a) Appelé à trancher les questions juridiques soulevées en
l'espèce, un tribunal du Colorado appliquerait le droit positif
du Colorado;
b) Appelé à trancher les questions juridiques soulevées en
l'espèce, un tribunal de l'Indiana appliquerait le droit positif
du Colorado;
c) En vertu du droit du Colorado, Associates Acceptance
Company Limited («Associates») était l'«assuré» aux termes
de la police d'assurance collective n° 67-205 (y compris
l'ensemble des annexes et des modifications) et de la police
d'assurance collective n° 67-269 (y compris l'ensemble des
annexes et des modifications) émises en faveur d'Associates
par The Capitol Life Insurance Company («Capitol» );
d) En vertu du droit du Colorado, les emprunteurs d'Associa-
tes n'avaient aucun droit à faire valoir ni aucune réclamation
à formuler contre Capitol en vertu ou par suite des polices
collectives d'assurance;
e) En vertu du droit du Colorado, il n'existait pas de rapports
mandant-mandataire entre Capitol et Associates relative-
ment à ces polices collectives ou à l'égard de toutes transac
tions s'y rapportant.
Une lettre d'opinion énonçant les faits et les pré-
somptions à la base des conclusions du témoin-
expert, jointe à la loi du Colorado et citant de
nombreuses décisions des tribunaux américains,
complète l'exposé susmentionné.
J'ajouterais, immédiatement et entre parenthè-
ses, que l'avocat du Colorado n'était pas expert
relativement au droit de l'Indiana et qu'il n'était
pas qualifié non plus pour formuler l'opinion énon-
cée à l'alinéa b). Le règlement du litige ne dépend
nullement de cette question.
Le juge de première instance ne s'est pas fondé
sur l'opinion exprimée au paragraphe a) pour con-
clure que le droit applicable était celui du Colo-
rado. Cette conclusion était fondée sur son appré-
ciation du droit canadien et des faits présentés en
preuve. Voir les pages 6096 et suivantes du recueil
précité. La seule conclusion qu'il a tirée du para-
graphe a) est qu'un tribunal du Colorado, s'il
entendait la cause, appliquerait le droit positif de
cet État.
L'argument de l'appelante vise donc essentielle-
ment les conclusions exprimées aux paragraphes
c), d) et e). Si j'ai bien compris cet argument,
comme les tribunaux du Colorado ne se sont pas
prononcés sur les questions précises sur lesquelles
le témoin a donné son opinion, ses conclusions
n'indiquent pas réellement l'état du droit du Colo-
rado, mais constituent uniquement son opinion sur
ce qu'il serait si les tribunaux de cet État avaient à
trancher ces questions.
L'appelante se fonde sur une décision qu'a
rendue la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire
Westgate v. Harris, [1929] 4 D.L.R. 643, par
l'entremise du juge d'appel Hodgins, à la page
647:
[TRADUCTION] Je pense qu'une preuve comme celle que j'ai
citée pèche par son manque de précision juridique et de renvois
à la doctrine et à la jurisprudence sur la question en litige, et
que l'opinion qui y est exprimée, parce qu'elle n'est pas fondée
sur le droit canadien mais sur celui des Etats-Unis, est tout à
fait hors propos, et constitue une tentative d'usurper les pou-
voirs du juge de première instance. La seule «opinion» d'un
avocat ne constitue pas une preuve du droit applicable—il doit
être en mesure de témoigner qu'il s'agit effectivement du droit
applicable. [C'est moi qui souligne.]
L'appelante fait totalement abstraction de l'impor-
tance du mot «seule» de la dernière phrase. Ainsi
que l'indique clairement le passage qui précède la
dernière phrase et l'exposé de la preuve litigieuse,
que je n'ai pas jugé nécessaire de reproduire, le
témoin en l'espèce, au cours de son interrogatoire
oral, a formulé une conclusion non motivée et
dépourvue de tout fondement doctrinal ou juris-
prudentiel. Dans ce contexte, la Cour n'a fait que
reprendre une règle de droit bien établie: l'impor-
tance à acccorder à un témoignage d'expert ressor-
tit à l'appréciation du juge des faits et une conclu
sion d'expert qui n'est pas adéquatement expliquée
et fondée peut à juste titre être considérée comme
n'ayant aucune force probante. La simple opinion
d'un avocat, si elle n'est pas fondée sur des référen-
ces législatives et jurisprudentielles, n'est pas
davantage susceptible de prouver le droit étranger
de façon qui satisfasse la Cour que, par exemple,
la simple opinion d'un évaluateur foncier, sans
mention de propriétés et de transactions compara-
bles, est susceptible de la convaincre de la valeur
d'une parcelle de terrain.
Il est malheureux que, tirée de son contexte
factuel la dernière phrase se soit attiré la désap-
probation de Wigmore; voir Wigmore on Evidence,
7 Wigmore, Evidence § 1953, note en bas de page
1. Il s'agirait d'une situation pour le moins surpre-
nante si l'opinion d'un avocat qualifié ne pouvait
établir, comme question de fait, le droit étranger.
L'arrêt Westgate v. Harris n'a pas posé ce prin-
cipe. Le juge de première instance n'a pas commis
d'erreur en acceptant le témoignage d'expert rela-
tivement au droit du Colorado.
Pour contester la décision du juge de première
instance, l'appelante a procédé à un examen sélec-
tif de la preuve dans le but de nous convaincre que
ses principales conclusions de fait étaient erronées.
À partir de son propre examen sélectif de la
preuve, l'intimée a essayé de démontrer que la
preuve administrée justifiait les conclusions pro-
noncées. Il est vrai qu'aucune question évidente de
crédibilité ne se pose en l'espèce et que nous
sommes probablement aussi bien placés que le juge
de première instance pour dégager les conclusions
de fait nécessaires. Toutefois, même dans cette
circonstance, une Cour d'appel n'est pas habilitée
à substituer ses vues à celles du juge de première
instance simplement parce qu'elle serait arrivée à
une conclusion différente; il lui faut conclure que
celui-ci a commis une erreur.
Je ne suis pas convaincu que le juge de première
instance a commis une erreur dans les conclusions
de fait qu'il a tirées de la preuve ou qu'il n'a pas
tenu compte d'un élément de preuve ayant un
rapport direct avec sa décision. A mon avis, il a
correctement appliqué le droit aux faits.
Je rejetterais le présent appel avec dépens.
LE JUGE URIE: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE STONE: J'y souscris également.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.