T-342-82
Tomenson Inc. (demanderesse)
c.
La Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: TOMENSON INC. C. R.
Division de première instance, juge Rouleau—
Toronto, 22 octobre 1985; Ottawa, 2 mai 1986.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Déductions —
Montant versé par un courtier d'assurances pour l'acquisition
de listes de clients et de documents connexes d'un groupe
d'agences en faillite — Ce montant est-il déductible à titre de
dépense courante engagée en vue de faire produire un revenu
ou à titre de dépense de capital? — La contribuable a soutenu
qu'elle n'avait pas acquis un achalandage ou une entreprise en
activité — Entérinement de la nouvelle cotisation — Accrois-
sement de l'ensemble des sources de revenu de l'entreprise —
Bénéfice durable — Indices selon lesquels il s'agissait d'une
opération en capital: (1) le prix négocié par la contribuable
avec le syndic de faillite était fondé sur les commissions
perçues pendant quatre ans; (2) le rapport des vérificateurs
indiquait que les dépenses reliées à l'acquisition des listes
devaient être déduites des revenus pendant une période de
quatre ans; (3) l'adjonction de certains associés du groupe en
faillite éliminait la concurrence — Loi de l'impôt sur le
revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 18(1)b).
La demanderesse est un courtier d'assurances de Toronto,
qui a des succursales à travers le Canada. Le groupe d'agences
d'assurances O'Bryan, qui exerçait ses activités en Alberta et
en Colombie-Britannique, éprouvait des difficultés financières.
Ce groupe avait perdu sa crédibilité au point de ne plus être en
mesure de négocier les contrats d'assurance de ses clients avec
les souscripteurs. La demanderesse se préoccupait des consé-
quences néfastes de cette situation sur l'industrie des assurances
dans son ensemble. Au début, Tomenson n'a pas donné suite
aux démarches effectuées en vue d'une fusion ou de l'acquisi-
tion du groupe O'Bryan, mais plus tard elle a convenu d'acheter
des listes de clients de certains bureaux du groupe. La deman-
deresse devait percevoir les créances à recouvrer et remettre au
syndic de faillite 30 % du revenu tiré des commissions nettes.
Le syndic de faillite a vendu quelques-unes des listes de clients
à des concurrents de la demanderesse. Ceux-ci sollicitaient
également des clients dont le nom apparaissait sur les listes
acquises par la demanderesse.
En l'espèce, la question porte sur la classification de la
somme de 322 461 $ versée par la demanderesse pour l'acquisi-
tion des listes de clients et des documents connexes. La deman-
deresse soutient qu'il s'agissait d'une dépense courante engagée
en vue de faire produire un revenu et donc déductible du calcul
du revenu imposable. Elle prétend également ne pas avoir
acquis l'entreprise de courtage O'Bryan comme entreprise en
activité ni l'achalandage dont jouissait antérieurement le
groupe O'Bryan. A l'appui de la prétention du Ministre, selon
lequel la somme versée constituait un paiement à titre de
capital, on a soutenu que l'acquisition des listes de clients
représentait un atout supplémentaire pour l'entreprise de la
demanderesse et un avantage durable. Le Ministre a fait
remarquer qu'il y avait eu, premièrement, acquisition de docu
ments d'une grande valeur en plus des listes de clients et,
deuxièmement, adjonction d'employés-clés du groupe O'Bryan
afin de maintenir des relations d'affaires avec les anciens
clients.
Jugement: la nouvelle cotisation devrait être entérinée et
l'action rejetée.
Selon une certaine jurisprudence, pour pouvoir qualifier la
dépense litigieuse de capital, il est indispensable à la fois que le
vendeur ne soit plus un concurrent et que l'acheteur acquière
une entreprise en activité, ce qui comprend l'achalandage.
Étant donné que l'achalandage dépend de l'exploitation de
l'entreprise, il est difficile de conclure que l'acquisition de
quelques biens d'une entreprise en voie de liquidation comporte
l'acquisition de l'achalandage.
Pour classer les transactions sous les chefs de dépense ou de
capital, les tribunaux ont adopté le critère dit de «l'accroisse-
ment de l'ensemble des sources de revenu de l'entreprise» et le
critère dit du «bénéfice durable». Il fallait établir une distinc
tion entre l'acquisition des moyens de production et leur utilisa
tion. Une dépense ne peut pas être considérée comme une
dépense de capital si elle est valablement imputable sur les
recettes de l'année.
Dans la présenté faire, l'achat des listes de clients consti-
tuait une dépense de c pital dans la mesure où cela représentait
un bénéfice durable. Etant donné que l'achat des listes de
clients et des documents connexes formait l'essence même des
activités d'un agent d'assurances, la contribuable devait présen-
ter des preuves concluantes pour que la somme déboursée par
elle soit considérée comme une dépense courante. Plusieurs
indices amenaient à qualifier la transaction d'opération en
capital. Notamment, l'entente intervenue entre la demanderesse
et le syndic de faillite était fondée sur les commissions à
percevoir sur les contrats d'assurance négociés au cours d'une
période de quatre ans. Tout incitait à conclure que les listes de
clients étaient considérées comme un bien susceptible d'engen-
drer des profits. Le rapport des vérificateurs de la demande-
resse mentionnait que les dépenses reliées à l'acquisition des
listes de clients devaient être déduites des revenus au cours
d'une période de quatre ans. Par conséquent, la demanderesse
ne pouvait pas soutenir que la somme versée avait engendré un
gain entièrement absorbé dans l'année d'imposition pendant
laquelle la dépense avait été engagée. \
L'adjonction d'anciens associés du groupe O'Bryan fournis-
sait un autre indice pour conclure que la transaction était une
opération en capital. Ceux-ci étaient menacés d'une faillite
personnelle et, en convenant d'acquitter leurs obligations finan-
cières personnelles, la demanderesse éliminait la concurrence de
ces personnes.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Cumberland Investment Ltd. c. La Reine (1975), 75
DTC 5309 (C.A.F.); Inland Revenue Commissioners v.
Muller & Co.'s Margarine, Limited, [1901] A.C. 217
(H.L.); Burian, W. J., et al c La Reine, [1976] CTC 725
(C.F. 1" inst.); La Reine c. Baine, Johnstone & Company
Limited (1977), 77 DTC 5394 (C.F. 1' ° inst.); British
Insulated and Helsby Cables v. Atherton, [1926] A.C.
205 (H.L.); Hinton (Inspector of Taxes) v Maden and
Ireland Ltd, [1959] 1 W.L.R. 875 (H.L.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Partykan, M.S. v. M.N.R. (1980), 80 DTC 1475
(C.R.I.); Harbord Investments Ltd. v. M.N.R. (1970), 70
DTC 1488 (C.A.I.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Sun Newspapers Ltd. v. Federal Commissioner of Taxa
tion (1938), 61 C.L.R. 337 (H.C. Austr.); Hallstroms
Pty. Ltd. v. Federal Commissioner of Taxation (1946),
72 C.L.R. 634 (H.C. Austr.); Comr. of Taxes v. Nchanga
Consolidated Copper Mines Ltd., [1964] A.C. 948
(P.C.); Vallambrosa Rubber Co., Limited, v. Inland
Revenue, [ 1910] S.C. 519; Tucker (Inspector of Taxes) v
Granada Motorway Services Ltd, [1979] 2 All ER 801
(H.L.).
DÉCISION CITÉE:
Canada Starch Co. v. Minister of National Revenue,
[1969] 1 R.C.E. 96; (1968), 68 DTC 5320.
AVOCATS:
S. E. Edwards, c.r. et I. V. B. Nordheimer
pour la demanderesse.
J. Paul Malette et Nancy J. Ross pour la
défenderesse.
PROCUREURS:
Fraser & Beatty, Toronto, pour la demande-
resse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE ROULEAU: Il s'agit d'une action inten-
tée par la demanderesse qui conteste la nouvelle
cotisation faite par la défenderesse pour l'année
d'imposition 1975. Le litige porte sur la nature
d'un versement de 322 461 $ effectué par la
demanderesse pour l'acquisition de listes de clients
d'agences d'assurances I.A.R.D. La demanderesse
soutient que ce versement constituait une dépense
dûment déductible dans le calcul de son revenu
imposable. La défenderesse prétend qu'il s'agissait
d'une dépense de capital, qui n'est donc pas déduc-
tible dans le calcul du revenu imposable. Les deux
parties invoquent l'alinéa 18(1)b) de la Loi de
l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63 et
ses modifications, en vigueur en 1975:
18. (1) Dans le calcul du revenu du contribuable, tiré d'une
entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas
déductibles:
b) une somme déboursée, une perte ou un remplacement de
capital, un paiement à titre de capital ou une provision pour
amortissement, désuétude ou épuisement, sauf ce qui est
expressément permis par la présente Partie;
La demanderesse Tomenson Inc. est un courtier
d'assurances ayant son siège social à Toronto et
des succursales à travers le Canada. Elle exerçait
ses activités dans onze bureaux à travers le pays,
notamment à Edmonton, Calgary, Vancouver et
Prince George dans l'Ouest canadien. En 1975,
elle a acquis du groupe d'agences d'assurances
O'Bryan des listes de clients ainsi que leurs dos
siers pour un certain nombre de ses bureaux situés
en Colombie-Britannique et en Alberta. Dans sa
déclaration pour l'année d'imposition 1975, elle a
déduit de son revenu les sommes versées pour
l'acquisition de ces listes. Le Ministre a procédé à
une nouvelle cotisation et a conclu qu'il s'agissait
d'une dépense de capital.
Le groupe O'Bryan était formé des personnes
morales suivantes, qui n'étaient pas étroitement
liées entre elles: J.T. O'Bryan & Co., une société
de la Colombie-Britannique, J.T. O'Bryan Com
pany, une société distincte de l'Alberta, et de
l'actif de la Bass Insurance Agencies Limited; au
total, elles dirigeaient environ seize bureaux dans
les deux provinces de l'Ouest.
Durant l'année 1974, il était notoire dans l'in-
dustrie des assurances que J.T. O'Bryan & Co.
éprouvait des difficultés financières. À cause de la
réputation dont la demanderesse jouissait dans le
domaine, à la suite de l'acquisition de nombreuses
autres agences dans le passé, le groupe O'Bryan
avait fait des démarches auprès d'elle au début de
1974 en vue d'une fusion ou d'une acquisition
éventuelle. Cette offre a été refusée. Le président
de la compagnie demanderesse a témoigné que la
direction était d'avis qu'à cette époque, la compa-
gnie n'avait pas le personnel qualifié suffisant ni
les fonds disponibles pour acquérir une autre
entreprise importante. A la mi-novembre 1974, en
raison des graves problèmes financiers auxquels
faisait face le groupe O'Bryan et à la demande de
l'un des dirigeants de la demanderesse, qui se
trouvait au bureau de Vancouver, celle-ci a rééva-
lué sa position. Elle se préoccupait grandement des
répercussions d'une faillite sur l'industrie dans son
ensemble. À cette époque-là, le groupe O'Bryan
avait perdu sa crédibilité ainsi que son crédit
auprès des souscripteurs et n'était plus en mesure
de négocier les contrats d'assurance de ses clients.
De concert avec quelques-uns des principaux
souscripteurs, Tomenson Inc. a étudié la situation
dans le but ultime d'éviter que se produise un
désastre financier. En conséquence, on a convenu
de certaines mesures peu structurées selon lesquel-
les les nouvelles primes à percevoir par le groupe
O'Bryan étaient transférées à la demanderesse qui,
en retour, négocierait les assurances auprès des
souscripteurs. Tout cela visait à éviter la faillite, à
fournir une couverture aux clients et à sauvegarder
la réputation de l'industrie des assurances.
On ne pouvait pas procéder ainsi indéfiniment
et, après quelques semaines, un des vice-présidents
de Tomenson Inc. à Vancouver a rencontré les
dirigeants de J.T. O'Bryan et les souscripteurs, les
principaux créanciers, en vue d'élaborer un arran
gement et de présenter une proposition aux créan-
ciers. Une entente a été conclue, et les services
d'un syndic de faillite de la firme Clarkson Gordon
& Co. ont été retenus pour surveiller la gestion.
Les états financiers du groupe O'Bryan indi-
quaient, au 31 décembre 1974, que celui-ci avait
des actifs et des fonds en banque totalisant environ
2 533 000 $, dont quelque 2 400 000 $ en espèces
ou en créances. Ses dettes s'élevaient à
4 500 000 $, dont quelque 3 775 000 $ consistaient
en des primes payables à des compagnies d'assu-
rances. Bien que les différentes sociétés du groupe
n'aient pas toutes fait faillite, il est évident que,
sans la proposition et sans le consentement des
souscripteurs, elles se seraient effondrées et les
clients assurés par le groupe O'Bryan auraient fait
face à de graves problèmes.
La demanderesse a convenu d'acheter les listes
de clients du groupe O'Bryan pour les opérations
effectuées par certains bureaux, soit trois en
Colombie-Britannique et deux en Alberta. Il
s'agissait notamment des bureaux les plus renta-
bles parmi les quelque seize bureaux exploités par
le groupe O'Bryan.
Dans une déclaration d'intention en date du 17
janvier 1975 (pièce P-2), la demanderesse s'est
engagée à acquérir les listes de clients, leurs dos
siers, les copies des polices d'assurance émises, les
fiches de déchéance des polices ainsi que d'autres
documents relatifs aux clients. Tomenson Inc.
devait percevoir les créances à recouvrer et verser
à l'avenir au syndic de faillite 30 % du revenu tiré
des commissions nettes (moins les ristournes de
commission) pour les années 1975, 1976, 1977 et
1978 sur toutes les nouvelles primes d'assurance et
les primes de renouvellement reçues des clients qui
continuaient de faire affaire avec elle. Tous ces
engagements faisaient partie de la proposition pré-
sentée par le syndic de faillite et ont été approuvés
ensuite par les créanciers ainsi que le tribunal.
D'autres listes ont été vendues par le syndic de
faillite à d'autres compagnies qui étaient des con-
currents de la demanderesse.
Le président de la compagnie demanderesse a
témoigné qu'en obtenant ces listes, celle-ci n'avait
pas acquis le droit exclusif de transiger avec les
clients, étant donné que des concurrents les sollici-
taient également.
La demanderesse s'est engagée à offrir un poste
à certains des associés et des employés. La proposi
tion présentée au syndic de faillite et aux créan-
ciers contient des détails au sujet de ces offres
(voir les pièces P-2 et D-3). Essentiellement, un
grand nombre des actionnaires du groupe O'Bryan
répondaient personnellement d'importantes
sommes d'argent. Par le biais de son offre, la
demanderesse incitait les différents associés à se
joindre à elle et, de ce fait, à réduire si ce n'est à
éteindre complètement leurs obligations personnel-
les.
Un certain nombre d'employés ont gardé leur
emploi, d'autres se sont lancés en affaires pour leur
propre compte et d'autres enfin ont été engagés
par d'autres courtiers. Certains sont restés pendant
quelque temps et sont partis par la suite. Aucune
clause de non-concurrence n'a été convenue avec
l'une quelconque des sociétés du groupe O'Bryan.
De tous les bureaux que les anciens propriétaires
avaient occupés, deux petits locaux seulement ont
été loués et la location a été renégociée directe-
ment avec les propriétaires, l'un à Port William et
l'autre à Prince George, où la demanderesse avait
déjà un bureau. Cependant, il fallait plus d'espace
à cause de l'accroissement du personnel.
Au cours des années suivantes, le syndic de
faillite a reçu environ 1 000 000 $ en raison de la
commission nette de 30 % provenant des primes de
la clientèle restée fidèle pendant cette période;
Tomenson Inc. a gardé 65 % des clients dont le
nom apparaissait sur les listes initiales.
Le président de la compagnie demanderesse a
témoigné que les contacts personnels et l'acquisi-
tion de listes de clients constituent la source du
succès dans le domaine des assurances I.A.R.D. et
qu'il est très important de connaître la date d'expi-
ration d'une police en vigueur pour déterminer si
l'on doit conserver la clientèle d'un assuré.
À partir de la preuve présentée, j'ai conclu que,
lors de l'acquisition d'une agence d'assurances en
activité, c'est la coutume dans le commerce de
payer de 1 à 1,5 fois le total des commissions
nettes d'une année.
Les principaux arguments de la demanderesse
L'essentiel de la thèse de la demanderesse est
que les sommes versées annuellement pour les
listes de clients constituaient une dépense courante
engagée en vue d'en tirer ou de faire produire un
revenu et ne constituaient donc pas un paiement à
titre de capital.
À l'appui de cette allégation, elle a soutenu que
tout ce qu'elle a acquis en vertu de son entente
avec le syndic de faillite, c'était un certain nombre
de listes de clients. Elle a prétendu plus particuliè-
rement que l'acquisition des listes ne lui a pas
donné le droit exclusif d'être la manda \ taire des
clients du groupe O'Bryan. De fait, la demande-
resse était obligée de solliciter les clients désignés
sur les listes en concurrence avec d'autres courtiers
d'assurances. Il a en outre été allégué que le
groupe O'Bryan n'était pas tenu par contrat d'ai-
der la demanderesse à conserver les clients ni de
s'abstenir de lui faire concurrence. Enfin, la
demanderesse soutient qu'elle n'a pas acquis l'en-
treprise de courtage d'assurance comme entreprise
en activité ni, par conséquent, l'achalandage dont
jouissait antérieurement le groupe O'Bryan.
La demanderesse a cité plusieurs arrêts et arti
cles à l'appui de sa thèse. La jurisprudence invo-
guée qui traitait expressément de listes de clients
consistait dans les arrêts Partykan, M.S. v.
M.N.R. (1980), 80 DTC 1475 (C.R.I.), et Har-
bord Investments Ltd. v. M.N.R. (1970), 70 DTC
1488 (C.A.I.).
Dans l'affaire Partykan (précitée), le contribua-
ble, qui était administrateur d'une compagnie d'as-
surances I.A.R.D., a quitté cette compagnie pour
fonder sa propre entreprise d'assurances et, ce
faisant, s'est dessaisi de ses actions de la compa-
gnie en retour d'une copie de la liste de ses clients
et de renseignements connexes relatifs à leurs poli
ces. Le contribuable n'a acheté ni l'achalandage ni
la compagnie en activité. Il est important de noter,
et c'est là une caractéristique qui distingue cette
affaire de l'espèce, que le contribuable et son
ancienne compagnie étaient tous deux libres d'es-
sayer de recruter les clients dont le nom apparais-
sait sur la liste, ayant en main les mêmes atouts: le
contribuable et la compagnie détenaient tous deux
les mêmes renseignements sur les clients dont le
nom apparaissait sur la liste achetée.
En l'espèce, il est clair que le groupe O'Bryan
était en voie de liquidation, avait renoncé à son
droit de propriété sur ses listes de clients et ne
faisait pas ouvertement concurrence à la demande-
resse en ce qui concerne les polices ou les listes
acquises par celle-ci. Il est également évident que
les concurrents n'ont pas joui des renseignements
portant sur la couverture offerte aux clients.
Dans l'affaire Harbord (précitée), une agence
d'assurances I.A.R.D. a acheté des listes de clients
et des copies de polices d'une autre agence d'assu-
rances. La contribuable n'a pas acheté l'autre
compagnie en tant qu'entreprise en activité. Ce
dernier point a joué un rôle décisif dans la décision
de la Commission d'appel de l'impôt selon laquelle
la dépense constituait une dépense d'entreprise
déductible, car elle avait été engagée en vue de
produire un revenu. Mais, est-il important de
noter, le vendeur a offert de ne pas exercer la
même activité pendant cinq ans dans la province
où la contribuable faisait affaire. Bien qu'il se soit
agi d'une offre à titre gratuit, la contribuable a
accepté tacitement la clause restrictive. L'achat de
la liste de clients a donc été la cause directe de
l'élimination effective d'un concurrent.
La décision Harbord (précitée) prête à la criti
que compte tenu de la décision rendue par la Cour
d'appel fédérale dans Cumberland Investment Ltd.
c. La Reine (1975), 75 DTC 5309 (C.A.F.). Bien
que les faits substantiels de ce cas puissent être
distingués de ceux de l'affaire Harbord, le juge
Thurlow [tel était alors son titre] a statué que
l'élimination effective d'un concurrent constituait
l'un des facteurs décisifs lorsqu'il s'agit de déter-
miner si l'acquisition d'une liste de clients repré-
sentait une dépense de capital (c'est-à-dire l'élimi-
nation d'un concurrent par absorption de la société
en tant qu'entreprise en activité). Néanmoins il n'a
pas mentionné que l'élimination de la concurrence
était le seul critère permettant de qualifier un
achat de dépense de capital.
Les principaux arguments de la défenderesse
En cotisant la demanderesse pour son année
d'imposition 1975, le ministre du Revenu national
a soutenu que le versement de 322 461 $ effectué
en 1975 constituait un paiement à titre de capital.
Il a fait valoir que la somme représentait un
paiement en vue d'acquérir l'entreprise de cour-
tage en assurances du groupe O'Bryan ainsi que
l'achalandage dont jouissait antérieurement le
groupe et que l'acquisition des listes de clients
constituait non seulement un atout supplémentaire
pour l'entreprise de la demanderesse mais aussi un
avantage durable pour la demanderesse.
Le Ministre a également prétendu que Tomen-
son Inc. avait acquis non seulement des listes de
clients mais également des renseignements perti-
nents relatifs à la couverture d'assurance, aux
notes de couverture, aux demandes d'assurance,
aux dates de renouvellement, etc. Là société a
engagé des employés-clés et des actionnaires du
groupe O'Bryan afin de maintenir des relations
d'affaires avec les anciens clients.
Conclusion
Bien que la défenderesse ait cité plusieurs arrêts
à l'appui de son allégation, j'estime que la décision
rendue par la Cour d'appel fédérale dans Cumber-
land (précitée) établit les critères applicables aux
affaires de ce genre.
Dans l'affaire Cumberland (précitée), l'agence
d'assurances a acquis une entreprise en activité, la
liste des sous-agents du concurrent, les coordon-
nées des assurés, a obtenu l'inclusion d'une clause
de non-concurrence dans le contrat d'acquisition et
a payé un prix fondé sur le volume d'affaires.
Quoique les juges Thurlow et Urie aient fait
valoir des facteurs différents pour qualifier la
dépense litigieuse ,de dépense de capital, ils sem-
blent tous deux considérer que l'élimination de la
concurrence de la part du vendeur et l'acquisition
d'une entreprise en activité, qui comprendrait
l'achalandage, constituaient deux éléments dont la
présence était essentielle pour qu'il y ait dépense
de capital.
Par contre, la demanderesse allègue que le pré-
sent litige révèle que l'une des agences du groupe
O'Bryan était en faillite et que les autres auraient
sans doute également subi le même sort, n'eût été
la proposition. On ne peut pas soutenir que les
paiements effectués par la demanderesse ont éli-
miné un concurrent, ni prouver que l'achat de
quelques-unes des listes de clients a entraîné l'ab-
sorption du groupe O'Bryan en tant qu'entreprise
en activité, et qu'il y a ainsi une quelconque ces
sion de l'achalandage.
Dans l'arrêt Inland Revenue Commissioners v.
Muller & Co.'s Margarine, Limited, [1901] A.C.
217 (H.L.), lord Lindley a émis des remarques sur
le rapport existant entre la notion d'«achalandage»
et celle d'«entreprise en activité»; à la page 235, il a
précisé:
[TRADucTIoN] Comme bien, l'achalandage n'a aucune signi
fication si ce n'est en fonction d'un certain commerce, affaire
ou métier. Si je comprends bien, le mot englobe dans ce cas tout
ce qui ajoute une valeur à une entreprise en raison de son
emplacement, de son nom, de sa réputation, de sa clientèle, de
la mise en rapport avec les vieux clients et de l'absence conve-
nue de concurrence, ou de l'une quelconque de ces choses, et il
y en a peut-être d'autres qui ne me viennent pas à l'esprit. Dans
ce sens large, l'achalandage est indissociable de l'entreprise à
laquelle il ajoute de la valeur et, à mon avis, il existe lorsque
l'entreprise est en activité. [C'est moi qui souligne.]
L'achalandage semble dépendre de l'exploitation
de l'entreprise. Il est donc difficile d'accepter la
proposition selon laquelle l'acquisition de certains
biens d'une entreprise en voie de liquidation com-
porte l'acquisition de l'achalandage.
Les avocats de la demanderesse et de la défende-
resse ont essayé, par leurs allégations respectives,
de faire ressortir des faits certaines caractéristi-
ques qui permettraient de considérer la transaction
en cause comme soit une dépense, soit une somme
déboursée à titre de capital. Cela semble être une
tâche presque insurmontable. En effet, comme le
juge Collier l'a fait remarquer dans Burian, W. J.,
et al c La Reine, [1976] CTC 725 (C.F. l fe inst.),
relativement à la classification d'une somme
déboursée afin d'acquérir une liste de clients (à la
page 730):
Les expressions «achat d'une affaire en tant qu'entreprise en
marche», «achat d'achalandage» ou achat d'une «liste de clients»
ne clarifient pas le différend plus qu'elles n'en fournissent la
solution.
C'est tout particulièrement vrai lorsqu'il s'agit
d'une liste de clients acquise d'un groupe d'agences
en voie de liquidation. C'est une chose que d'utili-
ser certains termes pour parler de l'achat d'une
liste de clients; mais c'en est une autre que d'appli-
quer ces termes à l'achat de certaines listes de
clients d'une entreprise en voie de liquidation. Par
ailleurs, il est tout simplement impossible de ne pas
en tenir compte parce que la transaction concerne
une entreprise insolvable.
Il est donc pertinent d'examiner les principes
généraux énoncés dans plusieurs arrêts dans les-
quels les tribunaux ont défini des critères visant à
faire la distinction entre les dépenses d'exploitation
et les dépenses de capital.
La nature du capital
Une étude de la jurisprudence classant les tran
sactions sous les chefs respectifs de dépense et de
capital révèle que les tribunaux ont adopté soit le
critère dit de [TRADUCTION] «l'accroissement de
l'ensemble des sources de revenu de l'entreprise»
soit le critère dit du [TRADUCTION] «bénéfice
durable».
L'idée selon laquelle une dépense de capital est
faite dans le but d'acquérir un bien (matériel ou
immatériel) générateur en soi de revenus, c'est-à-
dire un bien dont découlent des revenus, vient de la
remarque incidente, maintenant bien connue, for-
mulée par le juge Dixon dans l'arrêt Sun Newspa
pers Ltd. v. Federal Commissioner of Taxation
(1938), 61 C.L.R. 337 (H.C. Austr.) (aux pages
359 et 360) où il a fait observer:
[TRADUCTION] La distinction entre les dépenses à titre de
capital et les dépenses à titre de revenu correspond à la
distinction entre l'entité, la structure ou l'organisation commer-
ciale établie en vue de réaliser des bénéfices et le mode de
fonctionnement auquel elle a recours pour toucher des recettes
régulières au moyen de dépenses régulières, la différence entre
ces dépenses et ces recettes constituant les bénéfices ou les
pertes de cette entité. La structure, l'entité ou l'organisation
commerciale peut adopter l'une quelconque d'une variété pres-
que infinie de formes et il peut être difficile de ramener à une
seule désignation toutes les formes possibles qu'elle peut revêtir
[...] Mais quelles que soient les différentes formes, matérielles
ou immatérielles, qu'elles puissent avoir, de telles sources de
revenus contiennent ou constituent ce qu'on a appelé un «bien
générateur de profits», selon l'expression de lord Blackburn
dans l'arrêt United Collieries Ltd. v. Inland Revenue Commis
sioners, (1930) S.C. 215, la p. 220. [C'est moi qui souligne.]
Dans l'arrêt Canada Starch Co. v. Minister of
National Revenue, [1969] 1 R.C.É. 96; (1968), 68
DTC 5320, il a été jugé que cette définition de la
dépense de capital s'applique à la Loi de l'impôt
sur le revenu du Canada.
Le juge Dixon a souligné la dichotomie qui
existe entre une dépense de capital et une dépense
d'exploitation. Dans ses motifs dissidents dans l'ar-
rêt Hallstroms Pty. Ltd. v. Federal Commissioner
of Taxation (1946), 72 C.L.R. 634 (H.C. Austr.),
à la page 647, il a écrit:
[TRADUCTION] ... [L]a différence entre les deux formes de
dépenses correspond à la distinction entre l'acquisition des
moyens de production et leur usage; entre l'établissement ou
l'extension de l'entreprise et son exploitation; [...] entre une
entreprise et l'effort soutenu de ceux qui en font partie. [C'est
moi qui souligne.]
Dans l'arrêt du Conseil privé Comr. of Taxes v.
Nchanga Consolidated Copper Mines Ltd., [1964]
A.C. 948, le vicomte Radcliffe a indiqué qu'il était
d'accord avec le critère énoncé par le juge Dixon
dans Sun Newspapers (précité) et Hallstroms
(précité) lorsqu'il a déclaré, à la page 960:
[TRADUCTION] Là encore, les tribunaux ont insisté sur l'im-
portance de distinguer entre les coûts afférents à la création, à
l'achat ou à l'agrandissement de la structure permanente (qui
ne signifie pas perpétuelle), dont le revenu doit être le produit
ou le fruit, et le coût du revenu lui-même ou de l'exécution des
opérations qui servent à le gagner. Sans doute s'agit-il là de la
distinction la plus claire que la loi par elle-même peut vraisem-
blablement apporter ... [C'est moi qui souligne.]
Le deuxième critère de classification qui a été
adopté par les tribunaux, à savoir le critère dit du
«bénéfice durable», vient de la décision rendue par
la Chambre des lords dans l'affaire British Insula
ted and Helsby Cables v. Atherton, [1926] A.C.
205, où le vicomte Cave, L.C., a énoncé, aux pages
213 et 214, le critère dit du «bénéfice durable»:
[TRADUCTION] Mais quand on fait des dépenses non seulement
une fois pour toutes, mais encore dans le but d'apporter un
élément d'actif ou un avantage pour le bénéfice durable d'un
commerce, je pense qu'il y a de très bonnes raisons (en l'ab-
sence de circonstances particulières conduisant à une conclu
sion contraire) de traiter une telle dépense comme si elle était à
juste titre imputable non pas au revenu mais au capital. [C'est
moi qui souligne.]
Bien que le vicomte Cave n'ait pas précisé la
signification de l'expression «bénéfice durable»,
dans ses remarques sur le critère dit d'«une fois
pour toutes» énoncé par lord Dunedin dans l'arrêt
Vallambrosa Rubber Co., Limited, v. Inland
Revenue, [1910] S.C. 519, la page 525, il a
effectivement décidé (à la page 213) que, nonob-
stant le mode de paiement forfaitaire adopté dans
l'acquisition d'un bien ou d'un avantage, un tel
paiement ne sera pas considéré comme une
dépense de capital si cette somme [TRADUCTION]
«était valablement imputable sur les recettes de
l'année».
On peut déduire de l'obiter dictum du vicomte
Cave que, si le bénéfice ou la valeur résultant de
l'acquisition d'un bien est utilisé au cours de l'an-
née où il a été acquis, ou au cours d'une période
d'au moins deux ans, le prix d'acquisition du bien
ou de l'avantage pourrait raisonnablement être
considéré comme une dépense d'exploitation.
Ce raisonnement a été suivi dans Hinton (Ins-
pector of Taxes) v Maden and Ireland Ltd, [ 1959]
1 W.L.R. 875, un arrêt de la Chambre des lords
dans lequel lord Reid, dans ses remarques sur la
ligne de démarcation entre une dépense d'exploita-
tion et une dépense de capital, a déclaré (à la page
886):
[TRADUCTION] Je ne prétends pas être un expert en matière de
méthodes comptables ou commerciales, et la seule différence
pratique qui me vient à l'esprit—aucune autre n'a d'ailleurs été
suggérée en l'espèce—est que, selon que vous considérez une
somme comme une dépense de capital ou comme une dépense
d'exploitation, vous ne la passez pas toute aux profits et pertes
l'année où elle a été déboursée ou vous ne la déduisez pas toute
du revenu d'une année dans le premier cas, alors que, dans le
second cas, vous la déduisez intégralement du revenu de l'année
où elle a été subie.
Je serais porté à croire que les livres comptables sont censés
refléter la réalité le plus fidèlement possible. Si vous achetez du
matériel qui a encore une valeur considérable à la fin de
l'année, je serais porté à croire que les livres comptables
devraient refléter cette valeur quelque part. Si le prix d'achat
est considéré comme une dépense de capital, il ne semble pas y
avoir de difficultés à passer ce prix aux profits et pertes d'année
en année à mesure que le matériel s'use ou devient dépassé,
mais si ce prix est considéré comme une dépense d'exploitation,
je ne sais quel poste des livres comptables devrait reproduire
l'année suivante la valeur permanente du matériel. Je n'insinue
pas que cette distinction est ou devrait être une règle rigide. Il
peut fort bien exister de bonnes raisons de ne pas suivre cette
règle dans des cas particuliers, mais en l'absence de tout indice
à cet effet, je suis enclin en l'espèce à aborder la question de
cette façon-là. [C'est moi qui souligne.]
En l'espèce, on peut donc conclure que, dans la
mesure où l'acquisition par la demanderesse de
certaines listes de clients du groupe O'Bryan,
cédées par le syndic de faillite, constitue un
accroissement de l'ensemble des sources de revenu
de l'entreprise de la demanderesse ou constitue un
bien d'un bénéfice durable au sens de l'obiter
dictum du vicomte Cave dans l'arrêt Atherton, le
prix d'achat n'est pas simplement une dépense
d'exploitation mais une dépense de capital au sens
de l'alinéa 18(1)b) de la Loi de l'impôt sur le
revenu.
Analyse de la transaction
Ainsi qu'il a déjà été mentionné, l'application
mécanique de notions telles que [TRADUCTION]
l'«achat d'une entreprise en activité», l'«existence
d'une clause restrictive», etc., n'aide pas à détermi-
ner si l'acquisition de listes achetées d'une entre-
prise en voie de liquidation constitue une dépense
de capital ou une dépense d'exploitation.
En effet, la jurisprudence indique que c'est le
fond et non la forme de l'opération considérée qui
importe pour déterminer la nature d'un débours.
Ainsi, dans l'arrêt La Reine c. Baine, Johnstone &
Company Limited (1977), 77 DTC 5394 (C.F. 1'
inst.), à la page 5396, le juge Addy a fait remar-
quer, en étudiant la question de savoir si l'achat
d'une liste de clients constituait ou non une
dépense de capital, que:
Lors de l'examen du litige on doit tenir compte de la nature de
l'opération et non pas seulement des mots utilisés par les parties
pour la décrire. [Souligné dans le texte original.]
En appliquant le droit aux faits relatifs à l'opé-
ration de la demanderesse, il convient de noter ce
que déclarait lord Wilberforce dans l'arrêt Tucker
(Inspector of Taxes) v Granada Motorway Servi
ces Ltd, [1979] 2 All ER 801 (H.L.), à la page
804:
[TRADUCTION] Il arrive souvent dans les cas qui soulèvent la
question de savoir si un paiement doit être considéré comme
une dépense d'exploitation ou comme une dépense de capital
que les indices soient contradictoires. En fin de compte, les
tribunaux ne peuvent faire beaucoup mieux que de se former
une opinion quant au côté où la balance penche. [C'est moi qui
souligne.]
Étant donné que l'achat de listes de clients ainsi
que des polices d'assurance pertinentes et d'autres
documents connexes constitue l'essence même des
activités d'un agent d'assurances, le contribuable
doit nécessairement mettre dans la balance des
preuves concluantes pour que la somme déboursée
par lui puisse être considérée comme une dépense
d'exploitation.
En examinant l'essence de l'opération intervenue
entre la demanderesse et le syndic de faillite, on
peut déceler plusieurs indices qui nous amènent à
la qualifier d'opération en capital au sens du cri-
tère dit du «bénéfice durable» ou du «bien généra-
teur de profits».
La demanderesse a acheté plusieurs listes de
clients pour une valeur convenue de 30 % des
commissions nettes tirées chaque année des nou-
velles polices d'assurance ainsi que des renouvelle-
ments négociés pour les clients inscrits sur ces
listes, pour la période de quatre ans commençant le
19 mars 1975 et se terminant le 29 avril 1979.
Ainsi, la demanderesse a choisi de déterminer la
valeur des listes de clients visées par l'entente
conclue avec le syndic de faillite sur la base d'une
disposition valable pour quatre ans selon laquelle
les listes étaient vendues contre 120 % des commis
sions nettes à venir—les paiements étant reportés
jusqu'à ce que les commissions réelles (profits)
pour chaque année soient constatées.
La demanderesse ne peut certainement pas sou-
tenir le contraire. Le mode de paiement choisi
reflétait son incapacité à prévoir si de fait les listes
de clients étaient une source possible de gains pour
l'avenir, puisqu'elle a proposé de verser 30 % des
revenus tirés des commissions nettes provenant des
polices des clients dont le nom apparaissait sur les
listes achetées, au cours de la période convenue de
quatre ans sur la base de commissions estimées à
7 000 000 $ (pièce D-3).
En effet, la demanderesse semble avoir utilisé un
multiple de capitalisation de 1,2 comme base pour
fixer la valeur des profits prévus ou possibles à
tirer de l'acquisition des listes. De fait, William E.
Toyne, président de la compagnie demanderesse, a
témoigné qu'il était courant, pour l'achat d'une
agence d'assurances, d'appliquer un multiple de
1,0 1,5 des gains éventuels de l'agence lors de la
présentation d'une offre d'acquisition.
Le mode de paiement proposé et convenu fournit
un indice ou au moins incite à conclure que les
listes de clients qui ont été achetées étaient consi-
dérées comme un bien susceptible d'engendrer des
profits.
Le calcul de la contrepartie en fonction du total
des gains prévus pour la durée de l'entente conclue
avec le syndic de faillite fournit un deuxième
indice selon lequel le bien acquis était un actif
immobilisé. Ainsi qu'il a été mentionné dans le
rapport des vérificateurs de la demanderesse—
au 31 décembre 1975—les dépenses reliées à l'ac-
quisition des listes de clients (c'est-à-dire 30 % des
commissions nettes gagnées) devaient être déduites
des revenus afférents au cours des quatre années
de l'entente à mesure que ces sommes devenaient
payables. Bien que le report des revenus gagnés et
des dépenses afférentes engagées au cours du
même exercice financier comme moyen de déter-
mination du revenu net pour cette période ne soit
que l'application du principe de comptabilité géné-
ralement reconnu du [TRADUCTION] «rapproche-
ment», il importe de noter que la méthode utilisée
[TRADUCTION] «amortit effectivement le coût de
ces listes sur les quatre années pendant lesquelles
elles devaient servir». De fait, le prix d'acquisition
des listes de clients en 1975 devait être vérifié au
cours des exercices financiers à venir et être
réparti entre eux, une fois que les gains associés à
l'achat de ces biens étaient réalisés.
Par conséquent, la demanderesse ne peut pas
soutenir que la somme de 322 461 $ payable au
syndic de faillite en contrepartie des listes de
clients du groupe O'Bryan pour l'année d'imposi-
tion 1975 constituait une dépense d'exploitation
qui a engendré un gain entièrement absorbé dans
l'année d'imposition pendant laquelle la dépense a
été engagée.
Ainsi, dans la mesure où seulement une partie
du gain associé à l'acquisition en 1975 des listes de
clients a été absorbée dans cette année d'imposi-
tion, il est clair que l'entente intervenue entre la
demanderesse et le syndic de faillite a abouti à
l'achat d'un bien de «bénéfice durable» au sens du
critère énoncé par le vicomte Cave dans l'arrêt
Atherton (précité) et par lord Reid dans Hinton y
Maden (précité).
Un troisième indice selon lequel il s'agissait bien
d'une dépense de capital se dégage de la grande
importance que la demanderesse a accordée à l'ad-
jonction à son équipe d'un certain nombre d'an-
ciens actionnaires du groupe O'Bryan. La preuve
révèle qu'il était capital pour l'acquisition des listes
de clients de garder d'anciens associés du groupe
O'Bryan. Bien que la demanderesse ait escompté
des revenus de plusieurs millions de dollars en
commissions d'assurance au cours de la période
visée de quatre ans, cela ne pouvait se matérialiser
que grâce à la collaboration des anciens associés
du groupe O'Bryan choisis pour continuer de parti-
ciper aux opérations de la société (pièce D-3).
Comme l'a fait remarquer dans son témoignage
le président de la demanderesse, celle-ci visait
fortement à s'assurer la participation de certains
actionnaires du groupe O'Bryan. Dans le com
merce des assurances, les relations d'affaires se
maintiennent et s'accroissent grâce aux contacts
personnels avec les différents clients. À cette fin,
les agences d'assurances essayent d'engager des
agents qui possèdent aussi bien une bonne réputa-
tion qu'une solide compétence dans le domaine.
Il appert que l'adjonction d'employés-clés du
groupe O'Bryan qui était devenu insolvable consti-
tuait un facteur important pour que l'acquisition
des listes de clients et des polices d'assurance
connexes représente éventuellement une source de
revenus pour la société demanderesse.
En vue d'obtenir leurs services, la demanderesse
a offert—cette offre a par la suite été acceptée et
insérée dans l'entente intervenue entre la deman-
deresse et le syndic de faillite—de répartir entre
ces employés-clés dont elle voulait s'assurer la
collaboration 5 % (c'est-à-dire un sixième de 30 %)
des commissions nettes gagnées pendant la durée
de l'entente. Il importe de noter que les actionnai-
res auxquels tenait la demanderesse devaient per-
sonnellement un montant d'environ 875 000 $. De
fait, plusieurs des associés risquaient de devenir
insolvables. Ainsi, conformément à la proposition
de faillite (pièce D-6)—cette proposition consti-
tuait la base du plan de répartition des revenus
provenant des commissions nettes prévu dans l'en-
tente intervenue entre la demanderesse et le syndic
de faillite—un prêt ne devant pas dépasser
900 000 $ a été offert aux actionnaires sollicités du
groupe O'Bryan pour leur permettre de s'acquitter
de leurs dettes personnelles, prêt dont ils rembour-
seraient 100 000 $, le solde devant faire l'objet
d'une remise au cours des quatre ans prévus pour
l'entente. À son tour, la dette de 100 000 $ s'étein-
drait pendant la durée de l'entente conclue avec le
syndic de faillite, sur réception des 5 % de commis
sions nettes tirées des nouvelles polices d'assurance
et du renouvellement des polices des clients dont le
nom apparaissait sur les listes.
Une majorité importante des actionnaires dont
la participation était essentielle à l'acquisition des
listes ont accepté l'offre d'emploi de la demande-
resse, prouvant de la sorte le succès obtenu par cet
aspect de la proposition.
Certes, les anciens associés n'étaient pas tenus
par contrat d'accepter l'offre d'emploi de la société
demanderesse et de devenir ses employés, mais
leurs obligations financières personnelles ainsi que
le marché financier attrayant qui visait à réduire
sensiblement ces obligations ont fourni à la deman-
deresse un mécanisme efficace pour éliminer la
concurrence d'anciens associés du groupe O'Bryan
et le moyen d'acquérir ces personnes au profit du
groupe Tomenson.
Tous ces facteurs dans leur ensemble m'indi-
quent que la somme de 322 461 $ constituait un
paiement à titre de capital.
J'entérine par les présentes la nouvelle cotisation
faite par le ministre du Revenu national pour
l'année d'imposition 1975. L'action est rejetée avec
dépens.
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