T-794-85
Fred Harold Mitchell (requérant)
c.
Tom Crozier en sa qualité de directeur intérimaire
de l'établissement d'Elbow Lake, Allan Guinet en
sa qualité de président de l'extérieur du tribunal
disciplinaire de l'établissement Kent et le Comité
régional des transfèrements, Service correctionnel
du Canada, région du Pacifique (intimés)
Division de première instance, juge McNair—
Vancouver, 3 juin 1985; Ottawa, 3 février 1986.
Pénitenciers — Détenu condamné pour avoir commis trois
infractions disciplinaires graves — Transfèrement à un éta-
blissement de plus haut niveau de sécurité — Annulation du
transferement et réattribution de la classification de sécurité
minimale — Le défaut d'inclure les faits reprochés dans les
motifs donnés pour le transferement d'urgence constitue un
refus de donner l'occasion au détenu de les réfuter — Obliga
tion d'agir équitablement — Les Directives du commissaire
exigent qu'on donne un avis des motifs du transferement —
Aucun droit pour le détenu d'avoir des copies des documents
défavorables contenus au dossier parce que cela imposerait
aux autorités pénitentiaires une tâche trop lourde que ne
justifie aucune norme raisonnable de justice fondamentale —
Les règles relatives au transferement sont destinées à assurer
des réactions rapides dans des situations d'urgence — Aucun
droit à la tenue devant le comité d'une audience en présence de
l'intéressé — Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C.,
chap. 1251, art. 14, 38 (mod. par DORS/80-209, art. 2),
38.1(1),(2) (édicté par DORS/80-209, art. 3), 39g),h),k) — Loi
sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, art. 13(3) — Loi
sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 18.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et
sécurité — Détenu accusé et condamné pour trois infractions
disciplinaires graves entraînant comme sanction la perte de sa
réduction de peine méritée — Le détenu croyait que les
infractions étaient mineures et a refusé de lire les actes d'accu-
sation — Le tribunal disciplinaire a rejeté la demande de
représentation par avocat faite après que deux des infractions
graves eurent été examinées — Confirmation des condamna-
tions pour deux des infractions graves — Aucune violation de
l'art. 7 de la Charte — L'art. 7 ne crée pas un droit absolu à
l'assistance d'un avocat dans toutes les procédures en matière
de discipline: Howard c. Établissement Stony Mountain,
[1984] 2 C.F. 642; (1985), 57 N.R. 280 (C.A.) — Le défaut
d'exercer son droit à l'assistance d'un avocat découle du
propre comportement du requérant — Charte canadienne des
droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitu-
tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.), art. 7.
Requête présentée en vue d'obtenir un certiorari annulant la
condamnation du requérant pour trois infractions à la discipline
ainsi que les peines qui lui ont été imposées en conséquence, et
la décision de le transférer à un établissement de plus haut
niveau de sécurité. Le requérant, qui est un détenu, a été accusé
d'avoir commis deux infractions «graves» et d'avoir menacé des
fonctionnaires de l'établissement. Le requérant a décidé de ne
pas lire les actes d'accusation qui indiquaient que les deux
premières infractions étaient qualifiées de «graves». Il n'a
demandé la présence d'un avocat que lorsqu'est venu le temps
pour le tribunal disciplinaire d'examiner la troisième accusa
tion. Sa demande a été rejetée et il a été reconnu coupable et
condamné pour les trois accusations. En raison de la nature des
accusations et de son comportement général, le requérant a été
transféré d'urgence d'un établissement à sécurité minimale à un
établissement à sécurité maximale. Il a reçu signification d'un
avis de transfèrement l'informant de son droit de présenter des
observations écrites, mais il a refusé de le signer. L'avis de
transfèrement portait que les motifs du transfèrement étaient
que des accusations avaient été portées contre le requérant et
que celui-ci avait commis des abus et avait proféré des menaces
à l'égard du personnel. Le requérant a par la suite été transféré
à un établissement à sécurité moyenne. Le Comité régional des
transfèrements a confirmé le transfèrement d'urgence en se
fondant uniquement sur les allégations contenues dans l'avis de
transfèrement. Le requérant objecte que la décision de le
reclasser a été prise sur le fondement d'autres documents
concernant sa conduite générale dont il n'a pas été avisé. Ces
documents additionnels décrivaient le requérant comme un
«escroc» et comme une personne faisant une consommation
excessive de drogues et d'alcool. Les questions à se poser sont
les suivantes: (1) la décision de transférer le requérant et de le
reclasser était-elle inévitablement entachée de nullité par suite
du refus d'accorder à celui-ci l'occasion de s'y opposer, compte
tenu du fait que le Comité régional des transfèrements s'est
fondé sur des documents qui n'ont pas été mis à la disposition
dudit requérant; et (2) en refusant au requérant la présence
d'un avocat à l'audience portant sur les deux infractions graves,
a-t-on violé l'article 7 de la Charte ou contrevenu à l'obligation
d'agir équitablement imposée par la common law.
Jugement: la décision rendue sur le transfèrement d'urgence
du requérant doit être annulée et la classification de sécurité
minimale est réattribuée au requérant. La condamnation pour
les deux infractions «graves» est confirmée. Vu la décision
rendue dans l'affaire Howard c. Établissement Stony Moun
tain, [1984] 2 C.F. 642; (1985), 57 N.R. 280 (C.A.), les parties
ont convenu que les sentences imposées au requérant ainsi que
sa déclaration de culpabilité sur l'accusation d'avoir proféré des
menaces devraient être annulées.
Les fonctionnaires chargés de la discipline carcérale ont
l'obligation d'agir équitablement dans l'exercice de leurs fonc-
tions administratives, comme la décision de transférer un
détenu. Les tribunaux ne devraient intervenir dans une telle
décision que lorsqu'il est très évident, compte tenu de tous les
éléments, que le détenu n'a pas été traité équitablement. Les
Directives du commissaire, qui n'ont pas force de loi mais qui
formulent la procédure à suivre, exigent qu'un détenu soit
immédiatement informé par écrit des motifs de son transfère-
ment et de son droit de présenter des objections écrites. Lesdits
motifs de transfèrement devraient donner au détenu suffisam-
ment d'information pour lui permettre de présenter des objec
tions par écrit. En l'espèce, l'avis de transfèrement ne renfer-
mait que l'essentiel des accusations et ne mentionnait
aucunement les points de démérite imputables à la détériora-
tion de la conduite du détenu. Ces allégations faisaient partie
du dossier de transfèrement d'urgence au même titre que les
infractions à la discipline et entrent donc dans la catégorie de
questions à l'égard desquelles il faut donner des motifs écrits.
Rien non plus dans la preuve n'indique que le requérant a été
promptement informé de la décision finale de le reclasser. Le
requérant n'avait pas droit à des copies des documents défavo-
rables contenus dans son dossier parce que cela imposerait aux
autorités pénitentiaires une tâche impossible que ne pourrait
justifier aucune norme raisonnable de justice fondamentale ou
d'impartialité en matière de procédure. Les règles relatives au
transfèrement visent à assurer des réactions rapides lorsque
surviennent des situations urgentes et parfois périlleuses. Le
requérant n'avait pas le droit de comparaître en personne
devant le Comité. L'ensemble du processus de transfèrement et
de reclassement ne repose que sur un examen.
La déchéance de la réduction de peine méritée porte atteinte
au droit à la liberté garanti par l'article 7 de la Charte. D'après
l'arrêt Howard, l'article 7 n'a toutefois pas créé un droit absolu
à l'assistance d'un avocat dans toutes les procédures en matière
de discipline. Bien que, suivant le principe général établi dans
l'arrêt Howard, il semblerait que le requérant avait le droit
d'être représenté par avocat puisqu'il était possible qu'il y ait
déchéance de sa réduction de peine méritée, il faut décider de
ce droit en tenant compte des circonstances particulières du cas.
Le malentendu sur la nature des accusations portées contre le
requérant a découlé du comportement de ce dernier. Le requé-
rant aurait dû être au courant qu'il avait le droit de demander à
être représenté par avocat mais il a choisi de ne pas le faire. Il
n'a pas été porté atteinte à son droit à la liberté garanti par
l'article 7 de la Charte.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Howard c. Établissement Stony Mountain, [1984] 2 C.F.
642; (1985), 57 N.R. 280 (C.A.).
DÉCISIONS MENTIONNÉES:
Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de
Matsqui (N° 2), [1980] 1 R.C.S. 602; (1979), 106
D.L.R. (3d) 385; 50 C.C.C. (2d) 353; Butler c. La Reine
et autres (1983), 5 C.C.C. (3d) 356 (C.F. lre inst.);
Magrath c. R., [1978] 2 C.F. 232 (1"e inst.); Bruce c.
Yeoman, [1980] 1 C.F. 583; (1979), 49 C.C.C. (2d) 346
(Pe inst.); Bruce c. Reynett, [1979] 2 C.F. 697; [1979] 4
W.W.R. 408; 48 C.C.C. (2d) 313 (1" inst.); R. v. Chester
(1984), 5 Admin. L.R. 111 (H.C. Ont.).
AVOCATS:
Patricia A. Sasha Pawliuk pour le requérant.
Mary A. Humphries pour les intimés.
PROCUREURS:
Legal Services of British Columbia pour le
requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MCNAIR: Le requérant, un détenu
purgeant une peine de quinze ans de pénitencier, a
présenté une requête fondée sur l'article 18 de la
Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2° Supp.),
chap. 10] en vue d'obtenir des brefs de certiorari
annulant sa condamnation pour trois infractions à
la discipline prévues au Règlement sur le service
des pénitenciers [C.R.C., chap. 1251] ainsi que les
peines qui lui ont été imposées en conséquence, et
la décision du Comité régional des transfèrements
de le transférer à un établissement de plus haut
niveau de sécurité. Les motifs invoqués dans l'avis
de requête sont les suivants:
[TRADUCTION] a) Le président de l'extérieur de l'établissement
Kent a outrepassé sa compétence ou agi sans avoir le pouvoir de
le faire lorsqu'il a fait défaut de permettre au requérant d'être
représenté par avocat devant le tribunal disciplinaire, ce qui
contrevient à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et
libertés, aux principes de justice naturelle et à l'obligation
d'agir équitablement prévue par la common law;
b) Après avoir rendu un verdict de culpabilité, le président de
l'extérieur de l'établissement Kent n'a pas permis au requérant
de faire valoir quelque argument que ce soit relativement à la
sentence appropriée, ce qui contrevient à l'article 7 de la Charte
canadienne des droits et libertés, aux principes de justice
naturelle et à l'obligation d'agir équitablement prévue par la
common law;
c) Le Comité régional des transfèrements a outrepassé sa
compétence ou agi sans avoir le pouvoir de le faire lorsqu'il a
fait défaut de fournir au requérant les motifs de son transfère-
ment à un établissement de plus haut niveau de sécurité ou de
lui donner l'occasion de réfuter lesdits motifs avant que soit
rendue la décision de le transférer, ce qui contrevient à la Loi
sur les pénitenciers, au Règlement sur le service des péniten-
ciers, à la Directive du commissaire n° 600-2-04.1, l'article 7
de la Charte canadienne des droits et libertés, aux principes de
justice naturelle et à l'obligation d'agir équitablement prévue
par la common law;
d) Pour tout autre motif que l'avocat peut invoquer et que cette
Cour peut admettre.
Les avocates des parties se sont entendues pour
que les trois peines imposées à l'égard des trois
déclarations de culpabilité soient annulées. Elles
ont également convenu que, vu la décision récente
de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Howard
[Howard c. Etablissement Stony Mountain,
[1984] 2 C.F. 642; (1985), 57 N.R. 280 (C.A.)], il
faudrait aussi annuler la déclaration de culpabilité
du requérant sur l'accusation d'avoir proféré des
menaces et de s'être comporté de façon irrespec-
tueuse.
Cela faisait plus d'un an, en décembre 1984, que
le requérant était détenu à l'établissement à sécu-
rité minimale de niveau S-2 d'Elbow Lake dans la
province de Colombie-Britannique. Par suite d'in-
cidents survenus le 24 décembre 1984, Mitchell a
été accusé de trois violations du Règlement sur le
service des pénitenciers, c'est-à-dire:
1) d'avoir omis de se présenter au compte obligatoire de
midi;
2) d'avoir fermé à clef la porte de sa cellule alors qu'il s'y
trouvait, et
3) d'avoir proféré des menaces et de s'être comporté de façon
irrespectueuse.
Des copies des actes d'accusation relatifs aux
incidents allégués ont été dûment signifiées au
requérant. Ces documents indiquaient clairement
que les deux premières accusations étaient quali
fiées de «graves» et non de «mineures» dans la case
réservée à la détermination de la catégorie de
l'infraction. Quoi qu'il en soit, pour chacune des
trois accusations, Mitchell risquait de perdre sa
réduction de peine méritée. Dans un accès de
dépit, le requérant a décidé de ne pas lire les actes
d'accusation et les a jetés à la poubelle. En raison
de la gravité des accusations portées contre lui et
de son comportement général, le requérant a été
transféré d'urgence à l'établissement Kent un éta-
blissement de niveau S-6. On a mis en branle le
processus menant à la tenue d'une audience
disciplinaire.
Le 7 janvier 1985, d'autres copies des actes
d'accusation ont été signifiées au requérant qui a
encore une fois choisi de ne pas en prendre con-
naissance. Malgré cela, il prétend qu'il agissait en
toute bonne foi, sous l'impression que les deux
premières accusations étaient mineures.
Le 8 janvier 1985, le requérant a comparu
devant Allan N. Guinet, président de l'extérieur du
tribunal disciplinaire, qui a examiné les accusa
tions, dans l'ordre où elles ont été mentionnées
plus haut. Le requérant affirme maintenant que,
s'il s'était rendu compte que les deux premières
accusations étaient considérées graves, il aurait
demandé à un avocat de le représenter à l'au-
dience. Il a effectivement sollicité la présence d'un
avocat lorsqu'est venu le temps d'examiner la troi-
sième accusation, mais sa demande a été rejetée.
Le requérant a été reconnu coupable des trois
accusations et on lui a imposé la perte de cinq
jours de réduction de peine pour chacune des deux
premières accusations ainsi que vingt jours d'isole-
ment disciplinaire. Il a en outre perdu quinze jours
de réduction de peine méritée.
Comme je l'ai déjà dit, l'avocate des intimés a
concédé que la déclaration de culpabilité concer-
nant la troisième accusation d'infraction à la disci
pline, c'est-à-dire l'accusation d'avoir proféré des
menaces et de s'être comporté d'une manière irres-
pectueuse, doit être cassée parce qu'on a refusé au
requérant le droit d'être représenté par avocat et
qu'une nouvelle audience devra se tenir sur cette
accusation. Le requérant sollicite également l'an-
nulation des déclarations de culpabilité prononcées
à l'égard des autres accusations. J'ai déjà fait état
des motifs invoqués par le requérant.
C'est le directeur intérimaire d'Elbow Lake,
Tom Crozier, qui était chargé du transfèrement
d'urgence du requérant de l'établissement d'Elbow
Lake à l'établissement Kent aux environs de 14 h,
le 24 décembre 1984. Il ressort de son affidavit que
les autorités d'Elbow Lake ne voulaient pas que le
requérant y soit ramené.
Le jour de son arrivée à Kent, le requérant a
reçu signification d'un avis de transfèrement revê-
tant la forme habituelle. Ledit avis renfermait une
disposition permettant au requérant d'indiquer s'il
choisissait ou non de présenter des observations
écrites relativement à son transfèrement, ainsi
qu'un endroit réservé à sa signature. Dans son
affidavit, la personne qui a signifié l'avis a claire-
ment indiqué qu'elle a expliqué au détenu la
nature et les conséquences dudit avis et qu'elle lui
a donné l'occasion de le signer, mais que Mitchell
s'est montré agressif et a refusé de signer.
Le 15 janvier 1985, le requérant a été transféré
de l'établissement Kent à celui de Matsqui. Les
autorités pénitentiaires affirment que ce transfère-
ment s'est effectué à la demande du requérant, ce
que nie Mitchell. Dans son rapport au Comité
régional d'étude des demandes de transfert, Cro
zier a déclaré au paragraphe 6:
[TRADUCTION] 6. Je demande un transfèrement permanent
dans ce cas. Toutefois, à moins que M. Mitchell ne compro-
mette davantage sa situation pendant qu'il se trouve à Kent, je
serais d'avis de le placer à l'établissement de Matsqui.
Il importe peu que le transfèrement de l'établis-
sement à sécurité maximale de Kent à l'établisse-
ment à sécurité moyenne de Matsqui ait été effec-
tué à la demande du requérant ou des autorités
pénitentiaires.
Le 22 janvier 1985, Douglas R. McGregor, agis-
sant à titre de Comité régional des transfèrements,
a revu et confirmé la décision de transférer d'ur-
gence le requérant et de remplacer sa classification
à l'établissement d'Elbow Lake (S-2) par celle de
l'établissement de Matsqui (S-5). Le 6 mai 1985,
McGregor a préparé un affidavit dont les paragra-
phes pertinents sont ainsi rédigés:
[TRADUCTION] 3. C'est le vingt-deux janvier 1985 que j'ai pris
la décision de modifier la classification du requérant en l'en-
voyant de l'établissement d'Elbow Lake (S-2) à celui de Mats-
qui (S-5) bien que ce soit le quinze janvier 1985 que le
requérant a été transféré, à sa demande, de l'établissement
Kent à celui de Matsqui.
4. Le Comité régional des transfèrements a confirmé la recom-
mandation du directeur intérimaire, M. Crozier, de transférer
le requérant d'Elbow Lake en se fondant uniquement sur les
deux allégations contenues dans l'avis de transfèrement joint
comme pièce «F» à l'affidavit du requérant.
5. Le Comité régional des transfèrements a examiné les autres
documents soumis par le directeur intérimaire relativement au
reclassement du requérant et à la détermination du lieu appro-
prié pour son incarcération.
6. Avant de prendre la décision de reclasser le requérant, le
Comité régional des transfèrements avait reçu une copie de
l'avis de transfèrement mentionné au paragraphe 4 et qui laisse
voir que le requérant avait refusé de le signer tant qu'il n'aurait
pas les services d'un avocat.
Le 28 mai 1985, McGregor a préparé un
deuxième affidavit afin de clarifier le premier.
Voici les affirmations pertinentes de cet affidavit
supplémentaire:
[TRADUCTION] 4. À la suite de l'incident du 24 décembre 1984,
lorsque M. Mitchell a été transféré à l'établissement Kent, il a
automatiquement perdu le niveau de sécurité qu'il possédait à
Elbow Lake en raison de son comportement à cet endroit. Du
fait de son transfert à Kent, son niveau de sécurité est passé à
S-6, soit celui des établissements à sécurité maximale. J'ai
confirmé la décision de M. Crozier de transférer M. Mitchell à
l'établissement Kent en me fondant uniquement sur les deux
allégations contenues dans l'avis de transfèrement joint comme
pièce «F» à l'affidavit du requérant.
5. Après avoir reçu de M. Crozier les documents de transfère-
ment joints comme pièces «G», «H» et «I» à l'affidavit que ce
dernier a fait sous serment le 26 avril 1985, et après avoir pris
note des recommandations de M. Crozier suivant lesquelles M.
Mitchell pourrait être placé à l'établissement de plus bas niveau
de sécurité de Matsqui, j'ai décidé de reclasser M. Mitchell au
niveau S-5 et de le placer à l'établissement de Matsqui.
Le requérant a été informé le 24 décembre 1984
des raisons de son transfèrement d'urgence ainsi
que des motifs invoqués au soutien de cette
décision:
[TRADUCTION] Conformément à l'article 13 du Règlement sur
le service des pénitenciers, j'ai recommandé que le Comité
régional des transfèrements examine votre cas en vue d'un
transfèrement à l'établissement Kent (Matsqui) pour les motifs
suivants:
— des accusations ont été portées contre vous;
— vous avez commis des abus et vous avez proféré des menaces
à l'égard du personnel de l'établissement d'Elbow Lake le
24-12-1984.
Deux raisons ont été données au requérant qui a
choisi de ne pas y répondre. Les autres raisons, qui
concernaient probablement davantage le reclasse-
ment du requérant, se trouvent au paragraphe 2 du
rapport présenté par Crozier au Comité régional
d'étude des demandes de transfert. Ce paragraphe
est ainsi rédigé:
[TRADUCTION] Le comportement de M. Mitchell s'est dété-
rioré récemment et des détenus rapportent maintenant qu'il a
usé d'intimidation envers divers détenus et fait pression sur eux
soit dans le but de se procurer de la drogue ou de l'argent, soit
dans le but d'harceler de présumés informateurs ou des détenus
qu'il n'aime tout simplement pas. Nous croyons que M. Mit-
chell a consommé de la drogue le 21-12-1982.
Le requérant a objecté que la décision de le
reclasser, qu'il s'agisse d'un reclassement en deux
étapes comme l'a soutenu l'avocate des intimés
d'abord du niveau S-2 au niveau S-6 pour ensuite
revenir au niveau S-5 ou encore d'un reclassement
en une seule étape, d'Elbow Lake à Matsqui, a été
prise sur le fondement d'un rapport récapitulatif
sur l'évolution du cas et d'autres documents con-
cernant sa conduite générale qui ont été soumis
par M. Crozier au Comité régional des transfère-
ments et dont il n'a été nullement avisé. Pour
l'essentiel, ces documents additionnels décrivaient
le requérant comme un «escroc» et un «bandit qui
use de violence pour arriver à ses fins» dans ses
rapports avec le personnel et les autres détenus
d'Elbow Lake, ainsi que comme une personne fai-
sant une consommation excessive de drogues et
d'alcool. Les documents indiquaient en outre qu'on
avait retiré au requérant son poste de cantinier
parce qu'on le soupçonnait de fraude et d'avoir
tripoté les comptes. Le rapport de Crozier susmen-
tionné résume l'essentiel de ces faits.
À mon avis, la question de la perte de réduction
de peine et de la déchéance de la réduction de
peine méritée n'est plus en litige et elle est devenue
à toutes fins pratiques théorique et inexistante
puisque les avocates ont convenu que les trois
peines devraient de toute façon être annulées.
Selon moi, il ne reste plus que deux questions
importantes à se poser, savoir: (1) en refusant au
requérant le droit d'être représenté par avocat à
l'audience portant sur les deux accusations d'in-
fractions graves et flagrantes qu'il a, par erreur,
qualifiées d'accusations mineures d'inconduite,
a-t-on violé l'article 7 de la Charte canadienne des
droits et libertés [qui constitue la Partie I de la
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] ou
contrevenu à l'obligation d'agir équitablement
imposée par la common law; et (2), la décision de
transférer le requérant et de le reclasser était-elle
inévitablement entachée de nullité par suite du
refus d'accorder au requérant l'occasion de s'y
opposer, compte tenu particulièrement du fait que
le Comité régional des transfèrements s'est fondé
sur des documents qui n'ont pas été divulgués au
requérant ni mis à sa disposition. Je me propose
d'examiner ces questions dans l'ordre inverse, mais
je voudrais auparavant faire état brièvement des
dispositions législatives et de la procédure prescrite
qui semblent avoir une incidence particulière sur
ces questions.
Le paragraphe 13(3) de la Loi sur les péniten-
ciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, autorise le transfère-
ment des détenus à tout pénitencier au Canada. La
Loi habilite le gouverneur en conseil à édicter des
règlements relatifs notamment à la garde, au trai-
tement, à la formation, à l'emploi et à la discipline
des détenus. Sous réserve de la Loi et des règle-
ments édictés sous le régime de celle-ci, le commis-
saire peut établir des règles, connues sous le nom
de Directives du commissaire, concernant l'organi-
sation, l'entraînement, la discipline, l'efficacité,
l'administration et la direction judicieuse du Ser
vice correctionnel ainsi que la garde, le traitement,
la formation, l'emploi et la discipline des détenus
et la direction judicieuse des pénitenciers.
Ces directives n'ont pas force de loi, mais il faut
néanmoins considérer qu'elles énoncent les lignes
de conduite prescrites en matière de procédure lors
de l'application du processus administratif à la
question particulière à laquelle il s'attache.
Les accusations ont été portées en vertu des
dispositions suivantes de l'article 39 du Règlement
sur le service des pénitenciers:
39. Est coupable d'une infraction à la discipline, un détenu
qui
g) se comporte, par ses actions, propos ou écrits, d'une façon
indécente, irrespectueuse ou menaçante envers qui que ce
soit;
h) délibérément désobéit ou omet d'obéir à quelque règle-
ment ou règle régissant la conduite des détenus;
k) commet un acte propre à nuire à la discipline ou au bon
ordre de l'institution;
L'article 38 [mod. par DORS/80-209, art. 2] du
Règlement prévoit:
Mesures disciplinaires
38. (1) Il incombe au chef de chaque institution de maintenir
la discipline parmi les détenus incarcérés dans cette institution.
(2) Un détenu n'est puni que
a) sur l'ordre du chef de l'institution ou d'un fonctionnaire
désigné par le chef de l'institution; ou
b) sur l'ordre d'un tribunal disciplinaire.
(3) Si un détenu est trouvé coupable d'un manquement à la
discipline, la peine consiste, sauf en cas d'infraction flagrante
ou grave, en la perte de privilèges.
(4) Le détenu qui commet une infraction flagrante ou grave
à la discipline est passible de l'une ou plusieurs des peines
suivantes:
a) de la perte de la réduction statutaire de peine ou de la
réduction de peine méritée, ou des deux;
b) de l'interdiction de se joindre aux autres pendant une
période d'au plus trente jours;
c) de la perte de privilèges.
Le paragraphe 38.1(1) [édicté par DORS/80-
209, art. 3] prévoit la création d'un tribunal disci-
plinaire et porte:
Tribunal disciplinaire
38.1 (1) Le Ministre peut nommer une personne pour prési-
der un tribunal disciplinaire.
(2) La personne nommée selon le paragraphe (1) doit
a) diriger l'audition;
b) consulter, en la présence du détenu accusé, deux fonction-
naires désignés par le chef de l'institution;
c) déterminer l'innocence ou la culpabilité du détenu accusé
qui comparaît devant elle; et
d) à la suite d'un verdict de culpabilité, ordonner l'imposition
de la peine qu'elle juge appropriée, conformément au présent
règlement.
Le code de conduite et de procédure applicable à
un tribunal disciplinaire est exposé dans diverses
directives du commissaire et il est inutile de s'at-
tarder aux règles de procédure qu'elles renferment.
C'est le droit à la représentation par avocat qui est
en cause en l'espèce. L'annexe «A» de la Directive
du commissaire n° 213 portait:
12. DIVERS
a. Il est déjà arrivé qu'un prévenu ait demandé, officiellement
ou officieusement, d'être représenté par un avocat. Dans
de tels cas, il faut avertir le prévenu qu'il n'a pas droit
d'être représenté par un avocat à son audience.
Cette directive a été abrogée par la Directive du
commissaire n° 600-7-03.1 en date du 31 août
1984 dont voici un extrait:
La représentation est accordée à la demande de l'accusé uni-
quement lorsque le président considère que cette représentation
est nécessaire à une audience équitable.
Le résultat en est sensiblement le même.
Des instructions régionales sont également
publiées, à l'occasion, en vertu des Directives du
commissaire. L'Instruction régionale 600-2-04 est
pertinente en ce qui concerne le reclassement du
requérant; en voici les dispositions applicables:
5. Le reclassement en vertu de la présente instruction englobe
tout le processus suivant:
a. déplacement initial (provisoire) du détenu lorsqu'une
situation d'urgence est pressentie;
b. documentation du cas justifiant le placement dans un
établissement de plus haut niveau de sécurité;
c. examen du Comité régional d'étude des demandes de
transfert;
d. décision finale rendue pour chaque cas et communica
tion de la décision au détenu intéressé. [C'est moi qui
souligne.]
8. a. Le Comité régional d'étude des demandes de transfert
doit, avant la fin du mandat de quatorze (14) jours,
rendre une décision, à savoir reclassifier le détenu, ou le
retourner à l'établissement d'où il a été transféré .. .
Aux fins de l'espèce, la référence au Comité
régional d'étude des demandes de transfert s'appli-
que mutatis mutandis au Comité régional des
transfèrements. En outre, il ressort très clairement
de l'Instruction régionale que tous les documents
relatifs à un détenu faisant l'objet d'un transfère-
ment d'urgence et d'un reclassement doivent être
transmis au Comité régional des transfèrements
aux fins de son examen. Ce fait est corroboré par
l'article 14 du Règlement sur le service des péni-
tenciers qui porte:
14. Le dossier d'un détenu doit être soigneusement examiné
avant qu'une décision ne soit prise relativement à la classifica
tion, première ou nouvelle, ou au transfert du détenu.
À mon avis, il faut considérer que le terme
«reclassement» vise l'ensemble du processus de
transfèrement d'urgence, l'examen des documents
relatifs au cas, l'examen par le Comité régional des
transfèrements et la décision finale du Comité de
confirmer le transfèrement et de reclasser ou non
le détenu. Le requérant insiste sur le fait qu'on ne
lui a pas donné l'occasion de s'opposer convenable-
ment à son reclassement lorsque la décision a été
prise pour la première fois et lorsqu'on a refusé de
lui communiquer les documents concernant son cas
et sur lesquels le Comité s'est fondé pour effectuer
son examen et rendre sa décision finale. Bref, il
prétend que le Comité a omis de l'informer correc-
tement de l'essentiel des faits qu'on lui reprochait,
contrevenant ainsi au principe de justice fonda-
mentale ou, subsidiairement, à l'obligation d'agir
équitablement imposée par la common law, ce
qu'on pourrait à juste titre appeler en l'espèce
[TRADUCTION] «l'impartialité en matière de
procédure».
On a publié, le ler novembre 1984, une instruc
tion ou directive provisoire concernant les transfè-
rements involontaires de détenus. Les motifs à
l'origine de cette instruction sont expliqués comme
suit dans le paragraphe introductif:
Récemment, on a dû faire face à plusieurs problèmes concer-
nant le procédé des transferts involontaires de détenus qui ne
sont pas informés des raisons de leur transfert. En conséquence,
la D.C. 600-2-04.1 «Transferts à l'intérieur du Canada» sera
modifiée afin de refléter les directives provisoires ci-dessous ...
La procédure précise à suivre a été exposée au
dernier paragraphe de l'instruction qui porte:
Si, en cas d'urgence, il est décidé de procéder au transfèrement
d'un détenu sans délai et sans préavis, les motifs écrits de ce
transfèrement doivent être rédigés, envoyés en même temps que
le détenu et remis à celui-ci à son arrivée à l'établissement
d'accueil. Les motifs écrits doivent être accompagnés d'un avis
écrit informant le détenu de son droit de soumettre des objec
tions écrites qui seront étudiées par le responsable de la déci-
sion. Toute objection du détenu doit être acheminée au respon-
sable désigné pour prendre la décision, qui doit faire en sorte
qu'une réponse écrite soit remise au détenu avant 10 jours
ouvrables, à partir de la date des objections.
Les fonctionnaires chargés de la discipline car-
cérale ont l'obligation d'agir équitablement dans
l'exercice de leurs fonctions administratives. La
décision de transférer un détenu d'un établisse-
ment à un autre est une question essentiellement
administrative et les tribunaux ne devraient inter-
venir que dans les rares cas où il est très évident,
compte tenu de tous les éléments, que le détenu
ainsi transféré n'a pas été traité équitablement.
Bien qu'il soit possible que l'adoption de la Charte
ait élargi l'éventail de ces éléments, elle n'a pas
changé le caractère administratif de la décision de
transférer et de reclasser un détenu, question qui
plus souvent qu'autrement doit être déterminée en
appliquant les principes de common law relatifs à
l'obligation d'agir équitablement. Même si, suivant
les règles prévues dans les Directives du commis-
saire, un détenu faisant l'objet d'un transfèrement
d'urgence doit être immédiatement informé par
écrit des motifs de son transfèrement et de son
droit de présenter des objections écrites dans les
quarante-huit heures au comité de transfèrement
ou de classement compétent, il n'est pas habilité de
plein droit à comparaître en personne devant le
comité relativement à son transfèrement et à son
reclassement. Il suffit que les motifs écrits de son
transfèrement indiquent les grandes lignes ou l'es-
sentiel des faits qu'on lui reproche de manière à lui
permettre de présenter des objections par écrit, et
qu'il soit par la suite informé par écrit, dans un
délai raisonnable, des motifs de la décision de
l'instance décisionnelle au terme de l'examen: voir
Martineau c. Comité de discipline de l'Institution
de Matsqui (No 2), [1980] 1 R.C.S. 602; (1979),
106 D.L.R. (3d) 385; 50 C.C.C. (2d) 353; Butler
c. La Reine et autres (1983), 5 C.C.C. (3d) 356
(C.F. 1fe inst.), par le juge Walsh à la page 361;
Magrath c. R., [1978] 2 C.F. 232 (1 'e inst.); Bruce
c. Yeoman, [1980] 1 C.F. 583; (1979), 49 C.C.C.
(2d) 346 (lie inst.); Bruce c. Reynett, [1979] 2
C.F. 697; [1979] 4 W.W.R. 408; 48 C.C.C. (2d)
313 (P° inst.); et R. v. Chester (1984), 5 Admin.
L.R. 111 (H.C. Ont.).
Le juge Collier a fait ce commentaire très perti
nent dans l'affaire Magrath c. La Reine, précitée,
à la page 255:
Je ne dis pas qu'un détenu ne peut jamais être en droit de
contester, pour manque d'équité, une décision de transfert prise
à son égard. Certaines circonstances pourraient faire naître un
tel droit. Je limite mon opinion à la question de préavis et au
droit à une quelconque audition.
Le requérant invoque surtout le fait qu'on aurait
dû lui fournir des copies du rapport récapitulatif
sur l'évolution du cas et de tous les autres docu
ments défavorables contenus dans son dossier ou
du moins, lui en donner un avis suffisant afin de
lui permettre de réfuter l'essentiel des faits qu'on
lui reprochait. À mon avis, cette prétention est tout
à fait inacceptable en ce qu'elle imposerait aux
autorités pénitentiaires une tâche longue et impos
sible que ne pourrait justifier aucune norme rai-
sonnable de justice fondamentale ou d'impartialité
en matière de procédure, sans compter les dangers
que pourrait entraîner la divulgation de renseigne-
ments confidentiels pour le personnel chargé de la
sécurité ou les détenus qui servent d'informateurs.
Les règles relatives au transfèrement et au reclas-
sement des détenus visent à assurer des réactions
rapides lorsque surviennent des situations urgentes
et parfois périlleuses, dans les cas où le temps est
généralement un facteur primordial. Qui plus est,
l'ensemble du processus de transfèrement et de
reclassement ne repose que sur un examen et à
mon avis, rien dans les présentes règles n'exige la
tenue d'une procédure présentant quelque affinité
avec une audience en présence de l'intéressé. Cela
étant, y a-t-il d'autres faits qui pourraient indiquer
la violation d'un quelconque droit? Selon moi, oui.
Le dossier monté contre Mitchell concernait
l'ensemble du processus de transfèrement d'ur-
gence et de changement de son niveau de sécurité.
C'est cette question d'ordre administratif qui a été
soumise au Comité régional d'étude des demandes
de transfert afin qu'il l'examine et rende une déci-
sion finale. La formule d'avis de transfèrement
signifiée à Mitchell le 24 décembre 1984 pendant
qu'il se trouvait dans une cellule d'isolement ne
renfermait que l'essentiel des accusations visant les
trois infractions disciplinaires graves et flagrantes
et ne mentionnait aucunement les points de démé-
rite imputables à la détérioration de sa conduite à
laquelle Crozier a fait allusion dans le mémoire ou
rapport qu'il a adressé au Comité régional d'étude
des demandes de transfert. Ces allégations fai-
saient partie du dossier de transfèrement d'urgence
du requérant au même titre que les infractions à la
discipline, et entrent donc dans la catégorie des
questions à l'égard desquelles il faut préparer des
motifs écrits et les signifier au détenu au moment
de son arrivée à l'établissement d'accueil. De cette
manière, le détenu est raisonnablement informé de
l'essentiel du dossier monté contre lui et il lui
appartient alors de décider de présenter ou non par
écrit des arguments contraires. Mitchell n'a pas
présenté d'objections écrites en ce qui concerne les
infractions à la discipline, mais ce n'était là qu'un
élément du dossier. Quel inconvénient grave ou
encore quel préjudice aurait pu résulter de la
signification à Mitchell du rapport présenté au
Comité par le directeur intérimaire ainsi que de
l'avis de transfèrement ou, à défaut de cela, de
l'inscription sur l'avis d'une note faisant part de
l'essentiel du paragraphe 2 dudit rapport? Je ne
peux en voir aucun. A mon avis, l'une ou l'autre de
ces façons de procéder aurait permis de se confor-
mer aux normes d'équité prescrites par les obliga
tions que s'est lui-même imposé le commissaire en
matière de procédure.
On a violé d'une autre manière les obligations en
matière de procédure. Rien dans la preuve n'indi-
que que Mitchell a été promptement informé de la
décision finale du Comité régional des transfère-
ments de le reclasser. On a laissé entendre que son
avocat aurait reçu signification de l'avis à la fin de
mai ou en juin 1985, mais, à mon avis, c'était
beaucoup trop tard.
En outre, malgré le fait que le deuxième affida
vit de McGregor puisse laisser entendre le con-
traire, j'estime que le véritable problème de reclas-
sement qui retenait principalement l'attention du
Comité régional des transfèrements était celui du
reclassement de Mitchell du niveau de sécurité S-2
qu'il possédait à Elbow Lake au niveau S-5 à
Matsqui où il avait été transféré à partir de Kent,
le 15 janvier 1985.
Pour les motifs qui précèdent, je suis d'avis que
la décision finale du Comité régional des transfère-
ments au sujet du transfèrement d'urgence du
requérant et de son reclassement doit être annulée
et donc, qu'il faut automatiquement rétablir son
niveau de sécurité S-2 et le ramener sur le champ à
l'établissement d'Elbow Lake d'où il a été
transféré.
Cela m'amène au dernier point, c'est-à-dire la
question de savoir si le refus de permettre la
représentation par avocat à l'audience qui s'est
déroulée devant le tribunal disciplinaire relative-
ment aux deux premières accusations a porté
atteinte au droit du requérant à la liberté garanti
par l'article 7 de la Charte, qui est entré en
vigueur le 17 avril 1982 et qui porte:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor-
mité avec les principes de justice fondamentale.
Il est bien établi que la déchéance de la réduc-
tion de peine méritée d'un détenu porte atteinte au
droit à la liberté garanti par l'article 7 de la
Charte, aussi précaire ou restreint que puisse être
ce droit. L'avocate du requérant prétend que le
refus de permettre la représentation par avocat à
l'audience sur les deux premières accusations a
constitué une violation évidente de l'article 7 et elle
s'appuie particulièrement sur la décision récente de
la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Howard c.
Établissement Stony Mountain, [1984] 2 C.F.
642; (1985), 57 N.R. 280 (C.A.). En revanche,
l'avocate des intimés soutient que le motif fonda-
mental de l'arrêt Howard était la demande présen-
tée par l'intimé en vue d'obtenir l'assistance d'un
avocat et le rejet de cette demande, qu'en l'absence
d'une telle demande, il ne peut y avoir de refus
inéquitable, et que si Mitchell n'a pas saisi la
gravité des deux premières accusations, c'est parce
qu'il a omis ou refusé de les lire et non parce qu'il
ne les a pas comprises.
Le sommaire de l'arrêt Howard [dans le N.R.]
énonce avec précision le motif déterminant de la
décision [à la page 2801:
[TRADUCTION] Sommaire:
Un détenu a été accusé de plusieurs contraventions au Règle-
ment sur le service des pénitenciers. Ces accusations ont été
qualifiées de graves ou flagrantes et une déclaration de culpabi-
lité pouvait entraîner pour le détenu la perte définitive de sa
réduction de peine méritée. Le président du tribunal discipli-
naire des détenus a rejeté la demande présentée par le détenu
en vue d'être représenté par avocat à l'audience. Le détenu a
demandé une ordonnance de prohibition afin d'empêcher le
président du tribunal de poursuivre l'audience en l'absence de
son avocat. La Division de première instance de la Cour
fédérale a rejeté la demande du détenu qui a interjeté appel de
cette décision.
La Cour d'appel fédérale a accueilli l'appel et a statué que,
compte tenu des circonstances, l'article 7 de la Charte cana-
dienne des droits et libertés garantissait au détenu le droit à la
représentation par avocat. La Cour a jugé que la liberté du
détenu était en jeu et que le droit que lui garantit l'article 7 de
n'être privé du droit à sa liberté qu'en conformité avec les
principes de justice fondamentale exigeait, dans les circons-
tances, que le détenu puisse bénéficier de l'assistance d'un
avocat pour l'aider à présenter adéquatement sa cause.
La Cour était manifestement d'avis que l'article
7 de la Charte n'a pas créé un droit absolu à
l'assistance d'un avocat dans toutes les procédures
en matière de discipline carcérale.
Le juge en chef Thurlow a développé ce thème,
affirmant, aux pages 662 et 663 C.F.; à la page
292 N.R.:
Je suis d'avis que l'adoption de l'article 7 n'a créé aucun droit
absolu d'être représenté par avocat dans toute procédure de ce
genre. Il est sans aucun doute de la plus grande importance que
la personne dont la vie, la liberté ou la sécurité sont en jeu ait
l'occasion d'exposer sa cause aussi pleinement et adéquatement
que possible. Les avantages de l'assistance d'un avocat à cette
fin ne sont pas contestés. Cependant, ce qui est exigé c'est
l'occasion d'exposer la cause adéquatement et je ne crois pas
qu'on puisse affirmer qu'il n'existe pas de cas où une telle
occasion ne peut être fournie sans qu'il faille également accor-
der le droit d'être représenté par avocat à l'audition.
Une fois qu'on a adopté cette position, il me semble que la
question de savoir si oui ou non une personne a le droit d'être
représentée par avocat dépendra des circonstances de l'espèce,
de sa nature, de sa gravité, de sa complexité, de l'aptitude du
détenu lui-même à comprendre la cause et à présenter sa
défense. Cette liste n'est pas exhaustive. Il s'ensuit donc, à mon
avis, que la question de savoir si la requête d'un détenu en vue
d'être représenté par avocat peut être légalement refusée ne
peut être considérée comme une question de discrétion, car il
s'agit d'un droit qui existe lorsque les circonstances sont telles
que la possibilité d'exposer adéquatement la cause du détenu
exige la représentation par avocat.
Le juge Pratte a souscrit aux motifs du juge en
chef.
Le juge MacGuigan a suivi une approche un peu
différente pour arriver au même résultat. Le juge a
fait remarquer que, même si la Charte canadienne
des droits et libertés ne crée pas de nouveaux
droits, elle introduit toutefois une perspective
incontestablement nouvelle qui pourra servir à
accroître la portée de ceux qui existent déjà. Il
s'est ensuite demandé si la Charte a étendu la
portée de l'exigence de «l'occasion adéquate» de
répondre à une accusation dans le contexte du
droit à l'assistance d'un avocat. Le juge MacGui-
gan a conclu, à la page 685 C.F.; à la page 305
N.R.:
L'article 7 exige qu'on accorde à un détenu le droit d'être
représenté par avocat lorsque le fait de refuser sa requête en ce
sens violerait son droit à la justice fondamentale. De l'aveu
général, l'existence de ce droit dépend des faits. Toutefois, ce
droit, lorsqu'il existe, n'est pas discrétionnaire si l'on entend par
ce terme que le président du tribunal a le pouvoir discrétion-
naire de le refuser. À mon avis, le pouvoir dont dispose le
président du tribunal n'empêche pas une cour exerçant son
pouvoir de contrôle d'examiner les faits et de substituer sa
propre décision à celle de ce dernier si elle est convaincue, à la
lumière des faits, qu'il s'agit d'un cas où la représentation par
avocat aurait dû être accordée afin d'assurer au détenu les
droits qui lui sont garantis par l'article 7.
Le juge a de plus fait ce commentaire significa-
tif à la page 688 C.F.; à la page 306 N.R.:
En dernière analyse, exception faite peut-être des situations
extrêmement simples, je ne peux imaginer de cas où l'éventua-
lité d'une perte de réduction de peine méritée n'entraînerait pas
la nécessité d'avoir recours aux services d'un avocat. En fait, la
probabilité qu'il faille faire appel aux services d'un avocat pour
se défendre adéquatement contre des accusations susceptibles
d'entraîner de telles conséquences est telle qu'à mon avis elle
équivaut en réalité à une présomption en faveur de la représen-
tation par avocat, et le président du tribunal se devrait de
justifier toute entorse à cette présomption.
Il semblerait donc, suivant le principe général
établi dans l'arrêt Howard, que le requérant avait
le droit d'être représenté par avocat à l'audience
tenue devant le tribunal disciplinaire puisqu'il était
possible qu'il y ait déchéance de sa réduction de
peine méritée. Toutefois, il faut décider du droit à
la représentation par avocat en tenant compte des
circonstances particulières du cas. Rien dans la
preuve n'indique que Mitchell était déficient
mental ou qu'il avait une intelligence ou une capa-
cité de compréhension réduites. En fait, tout indi-
que le contraire. Le tribunal disciplinaire a qualifié
de graves les trois accusations et rien dans le
dossier ne laisse entendre qu'il a établi une quel-
conque distinction, calculée ou non, en ce qui
concerne les deux prétendues accusations mineu-
res. Dans son affidavit, Mitchell admet:
[TRADUCTION] ... je croyais que ces deux accusations étaient
«mineures» et que je ne pouvais pas perdre ma réduction de
peine, et je n'ai pas demandé l'assistance d'un avocat. Si je
m'étais rendu compte qu'il s'agissait d'accusations «graves»,
j'aurais demandé l'assistance d'un avocat.
C'est son propre comportement et rien d'autre
qui est à l'origine de ce malentendu. À deux
reprises, le requérant à refusé de lire les accusa
tions et il a pris sur lui de les qualifier de mineures.
Le tribunal disciplinaire n'a rien fait ou dit qui
incitait à les considérer autrement que comme des
accusations graves. Le requérant était parfaite-
ment au courant, ou il aurait dû l'être, qu'il avait
le droit de demander à être représenté par avocat
en ce qui concerne les deux accusations dont il se
plaint, mais il a choisi de ne pas le faire. Compte
tenu des circonstances, en quoi a-t-on porté
atteinte à un droit garanti par la constitution? En
d'autres termes, peut-on considérer après coup que
l'omission d'un détenu accusé d'une infraction
d'exercer son droit de demander l'assistance d'un
avocat à l'occasion de procédures disciplinaires,
droit dont il était au courant ou aurait dû l'être
n'eût été de sa conduite, constitue une atteinte à
son droit à la liberté au sens de l'article 7 de la
Charte? Je ne le crois pas.
Pour ces motifs, je suis d'avis que les deux
condamnations prononcées en vertu des alinéas h)
et k) de l'article 39 du Règlement sur le service
des pénitenciers devraient être maintenues et non
pas annulées. La plainte relative à l'absence de
représentation par avocat sur la question de la
sentence n'est plus en litige et n'a donc point
besoin d'être examinée. On est d'accord pour que
les trois peines soient annulées et, à mon avis, la
question de la perte de quinze jours de réduction
de peine méritée est maintenant théorique. Si je
me trompe sur ce point, l'avocate du requérant
pourra alors présenter une demande visant à obte-
nir qu'on expose les motifs pour lesquels la
déchéance de la réduction de peine méritée ne
devrait pas être révoquée.
Bien que le requérant n'ait pas obtenu gain de
cause sur tous les points de sa requête, la Cour y a
néanmoins fait droit pour l'essentiel. Compte tenu
des circonstances, le requérant a droit aux dépens
de sa requête. Je rendrai donc une ordonnance
conforme aux présents motifs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.