A-88-85
La Reine (appelante) (défenderesse)
c.
Carole Sylvestre (intimée) (demanderesse)
RÉPERTORIÉ: SYLVESTRE C. R. (C.A.F.)
Cour d'appel, juges Pratte, Marceau et Lacombe
— Montréal, 16 juin 1986.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et
sécurité — Appel formé contre une décision de la Division de
première instance rejetant une requête en radiation de la
déclaration au motif qu'elle ne révèle aucune cause raisonna-
ble d'action — L'intimée a été licenciée des Forces armées
pour homosexualité — Elle réclame des dommages-intérêts et
demande l'annulation, pour cause de discrimination, de cette
décision et des ordonnances administratives en vertu desquelles
elle a été prise — Dans les décisions rendues avant l'entrée en
vigueur de la Charte, il a été statué que les rapports entre la
Couronne et les militaires ne sauraient donner lieu à quelque
recours que ce soit devant les tribunaux civils — L'entrée en
vigueur de la Charte ne donne pas à l'action de l'intimée le
support juridique qui, auparavant, lui aurait manqué — Rejet
de la prétention fondée sur l'art. 7 de la Charte — Il est
douteux que le droit à la liberté comprenne celui d'être
homosexuel — De toute façon, le licenciement de l'intimée n'a
pas porté atteinte à sa liberté d'être homosexuelle — Si
l'intimée a été privée de quelque chose, c'est seulement de son
droit d'être dans les Forces armées (à supposer qu'elle possède
ce droit) — Le licenciement de l'intimée n'a pas porté atteinte
au droit à la sécurité que lui garantit l'art. 7 de la Charte —
Appel accueilli — Charte canadienne des droits et libertés, qui
constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 7, 15.
Forces armées — Licenciement pour homosexualité —
Appel formé contre une décision de la Division de première
instance rejetant une requête en radiation de la déclaration au
motif qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action — Le
licenciement de l'intimée était-il illégal et discriminatoire à
son égard? — Dans une décision rendue avant l'entrée en
vigueur de la Charte, il a été statué que les rapports entre la
Couronne et les militaires ne sauraient donner lieu à quelque
recours que ce soit devant les tribunaux civils — Il n'a
nullement été porté atteinte au droit à la liberté et à la sécurité
garantit par l'art. 7 de la Charte — Appel accueilli — Charte
canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7, 15.
Pratique — Plaidoiries — Requête en radiation — Appel
formé contre une décision de la Division de première instance
rejetant une requête en radiation d'une déclaration au motif
qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action — Forces
armées — Licenciement pour homosexualité — L'intimée
poursuit la Couronne en s'appuyant sur l'art. 7 de la Charte —
La déclaration ne révèle aucune cause raisonnable d'action
L'entrée en vigueur de la Charte ne donne pas à l'action de
l'intimée le support juridique qui, auparavant, lui aurait
manqué — Appel accueilli — Charte canadienne des droits et
libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R-U.), art. 7, 15.
JURISPRUDENCE
DÉCISION EXAMINÉE:
Gallant c. La Reine du chef du Canada (1978), 91
D.L.R. (3d) 695 (C.F. P' inst.).
AVOCATS:
Jean-Marc Beaudry et James Mabbutt pour
l'appelante (défenderesse).
Suzanne Paradis pour l'intimée (demande-
resse).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelante (défenderesse).
Jutras & Associés, Drummondville (Québec),
pour l'intimée (demanderesse).
Voici les motifs du jugement de la Cour pro-
noncés en français à l'audience par
LE JUGE PRATTE: Cet appel est dirigé contre
une décision de la Division de première instance
[[1984] 2 C.F. 516] rejetant.une requête en radia
tion d'une déclaration au motif qu'elle ne révèle
aucune cause raisonnable d'action.
Nous sommes tous d'avis qu'il est manifeste, dès
lors que l'on a examiné la déclaration déposée par
l'intimée et le droit applicable, que cette déclara-
tion ne révèle aucune cause d'action et que, en
conséquence, le premier juge aurait dû la radier.
L'intimée était membre des Forces armées jus-
qu'à ce que les autorités mettent fin à son service
militaire le 2 mars 1983 pour le seul motif qu'elle
avait admis être homosexuelle. Elle prétend que
cette décision est illégale et que le sont également
les ordonnances administratives en vertu desquel-
les elle a été prise. En conséquence, elle demande
que cette décision et ces ordonnances soient annu-
lées et elle réclame, en plus, des dommages-inté-
rêts.
Le premier juge a semblé reconnaître que, avant
l'entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de
1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.)] et de la Charte [Charte cana-
dienne des droits et libertés, qui constitue la Partie
I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.)] qu'elle contient, cette action n'avait
aucune chance de réussir parce qu'il était alors
établi, comme le disait monsieur le juge Marceau
dans Gallant c. La Reine du chef du Canada
(1978), 91 D.L.R. (3d) 695 (C.F. 1 r inst.), «que la
Couronne n'était nullement engagée contractuelle-
ment avec les membres des Forces armées, que
celui qui s'enrôle prend un engagement unilatéral
en contrepartie duquel la Reine n'assume aucune
obligation, et que les rapports entre celle-ci et ses
militaires, en tant que tels, ne sauraient donner
lieu à quelque recours devant les tribunaux civils».
Si le premier juge a néanmoins rejeté la requête
en radiation, c'est qu'il a jugé que l'entrée en
vigueur de la Charte pouvait donner à l'action de
l'intimée le support juridique qui, auparavant, lui
aurait manqué. C'est là, à notre avis, qu'il s'est
trompé.
L'intimée, vu la date de son licenciement, ne
peut invoquer l'article 15 de la Charte. Elle fonde
donc son recours seulement sur l'article 7 qui lui
garantit le droit «à la vie, à la liberté et à la
sécurité».
Suivant l'intimée, le droit à la liberté que pro-
tège l'article 7 comprend le droit d'être homo-
sexuelle. Il s'ensuit, dit-elle, que son licenciement
était illégal. La réponse à cette prétention, outre
qu'il est douteux que l'article 7 ait une portée aussi
large, c'est que la décision et les ordonnances
attaquées n'ont aucunement porté atteinte à la
liberté de l'intimée d'être homosexuelle. Si cette
décision et ces ordonnances l'ont privée de quelque
chose, c'est seulement de son droit d'être dans les
Forces armées (à supposer qu'elle possède ce
droit). Cette prétention doit donc être rejetée.
L'intimée a aussi soutenu que la décision et les
ordonnances qu'elle attaque contrevenaient à l'ar-
ticle 7 pour une autre raison, savoir, qu'elles por-
taient atteinte à son droit à la sécurité puisque, en
conséquence de cette décision, elle avait été privée
d'un emploi rémunérateur. Il s'ensuit, suivant elle,
que la décision mettant fin à son service militaire
aurait dû être prise en observant «les principes de
justice fondamentale", ce qui n'a pas été fait.
Il nous paraît clair que cet argument doit lui
aussi être rejeté. Même si l'article 7 doit recevoir
une interprétation large et libérale, on ne saurait
dire, à notre avis, que la simple décision de licen-
cier un militaire en soit une qui porte atteinte à sa
sécurité.
L'appel sera donc accueilli, la décision attaquée
sera cassée et la requête en radiation présentée par
l'appelante sera accordée et, en conséquence, la
déclaration de la demanderesse-intimée sera
radiée, le tout avec dépens tant en première ins
tance qu'en appel.
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