A-368-85
Chef Garnet Boyer, pour son propre compte et
pour celui de tous les autres membres de la bande
indienne Batchewana (appelants)
c.
La Reine du chef du Canada et 488619 Ontario
Inc. faisant affaire sous la dénomination Alcor
Developments (intimées)
RÉPERTORIÉ: BOYER c. R. (C.A.F.)
Cour d'appel, juges Heald, Marceau et MacGui-
gan—Toronto, 4 mars; Ottawa, 26 mars 1986.
Peuples autochtones — Terres — Bail d'un terrain d'une
réserve indienne conclu entre la Couronne et une société onta-
rienne en vertu de l'art. 58(3) de la Loi sur les Indiens — L'art.
58(3) autorise le Ministre à louer, à la demande de tout Indien,
la terre d'une réserve dont celui-ci est en possession légitime
— Le Ministre n'est pas tenu d'obtenir le consentement de la
bande avant la passation du bail prévu à l'art. 58(3) — Terres
mises de côté à l'usage de la bande ou de ses membres — Les
restrictions imposées au droit que possède un membre de la
bande sur la parcelle de terrain qui lui est attribuée ne
concernent pas l'usage auquel est affectée cette parcelle de
terrain — Par l'attribution d'une parcelle de terrain, le droit â
l'usage de ce terrain et au profit qu'il peut procurer, de
collectif qu'il était, devient un droit individuel — La Couronne
n'est assujettie à aucune obligation de fiduciaire à l'égard de
la bande — L'intérêt de la bande est «suspendu» — Le droit
transféré temporairement est le droit à l'usage d'un terrain,
droit qui appartient individuellement à l'Indien qui en a la
possession — Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, chap. I-6, art.
2, 20, 25, 28, 29, 37, 58, 81.
Droit constitutionnel — Indiens — La question est de savoir
si la location d'une terre d'une réserve en vertu de l'art. 58(3)
de la Loi sur les Indiens nécessite le consentement de la bande
— Distinction établie entre les droits collectifs de la bande et
les droits individuels du locataire — Lesquels ont préséance?
— Recours au préambule de la Constitution — La Constitu
tion canadienne ressemble à celle du Royaume-Uni, où «le
droit à la liberté individuelle fait partie de la constitution» —
Lorsque la Constitution canadienne accorde exceptionnelle-
ment la primauté aux droits collectifs, elle le dit expressément
— La Charte constitue une affirmation fondamentale des
droits et libertés de l'individu — Loi sur les Indiens, S.R.C.
1970, chap. I-6, art. 58 — Loi constitutionnelle de 1867, 30
& 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5]
(mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, n° 1), art.
93, 133 — Charte canadienne des droits et libertés, qui
constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 15, 16 22, 23, 29.
En l'espèce, appel est interjeté d'une décision de la Division
de première instance qui a rejeté une demande pour obtenir un
jugement déclaratoire portant que le bail d'un terrain faisant
partie d'une réserve, bail conclu entre la Couronne à titre de
locateur et une société ontarienne à titre de locataire, à la suite
d'une demande faite conformément au paragraphe 58(3) de la
Loi sur les Indiens, est nul et ne doit avoir aucun effet. Le
paragraphe 58(3) accorde au Ministre le pouvoir de louer au
profit de tout Indien, à la demande de celui-ci, la terre dont ce
dernier est en possession légitime sans que celle-ci soit cédée.
La question est de savoir si le Ministre était tenu d'obtenir le
consentement de la bande ou de son conseil avant la passation
du bail.
Arrêt: l'appel devrait être rejeté.
Les appelants soutiennent que la disposition applicable est
l'alinéa 58(1)b), qui exige le consentement de la bande lorsque,
dans une réserve, un terrain inculte ou inutilisé est loué, et qu'il
doit être négativement inféré que le paragraphe 58(3) s'appli-
que uniquement aux terrains déjà mis en valeur et utilisés.
Il est manifeste que le terrain en question n'était pas utilisé,
le terme «usage» impliquant une certaine occupation, utilisation
ou exploitation. Le bail ne pouvait être consenti qu'en vertu du
paragraphe 58(3). Aucun motif ne semblait justifier le recours
au concept de l'inférence négative pour définir le champ d'ap-
plication des deux dispositions. Le paragraphe 58(3) s'applique
lorsqu'une demande est faite par l'Indien qui est en possession
légitime du terrain, alors que l'alinéa 58(1)b) concerne les
situations où le possesseur légitime du terrain se désintéresse de
son usage. Le bail en l'espèce entre dans la première catégorie.
Subsidiairement, les appelants soutiennent que le consente-
ment est requis en vertu du paragraphe 58(3) soit parce qu'il
découle implicitement et nécessairement du contexte, soit par
l'effet de l'obligation fiduciaire de la Couronne à l'endroit de la
bande.
En ce qui concerne le premier volet de cet argument, ils
prétendent que, selon l'économie de la Loi, l'intérêt du locataire
dans sa parcelle du terrain de la réserve est subordonné à
l'intérêt communautaire de la bande elle-même. Le droit que
possède un membre de la bande sur la parcelle de terrain qui lui
est attribuée, même si en principe il est irrévocable, est soumis
à un grand nombre de restrictions formelles, telles que l'inter-
diction de céder son droit à la possession ou de louer son terrain
à une personne qui n'est pas membre de la bande. Cependant,
toutes ces restrictions n'ont qu'un seul but: empêcher que la fin
poursuivie par la mise de côté du terrain—l'utilisation de
celui-ci par la bande et ses membres—soit contrecarrée.
Aucune de ces restrictions ne concerne l'usage pouvant être fait
du terrain ou le bénéfice pouvant en être tiré. Par l'attribution
d'une parcelle de terrain faisant partie d'une réserve, le droit à
l'usage de ce terrain et au profit qu'il peut procurer, de collectif
qu'il était, devient le droit individuel et personnel du locataire.
L'intérêt de la bande, entendu dans son sens technique et
juridique, a disparu ou, à tout le moins, a été suspendu.
L'économie de la Loi ne serait pas respectée si le paragraphe
58(3) était interprété comme s'il contenait les termes «avec le
consentement de la bande».
Les appelants ont cité l'arrêt Guerin et autres c. La Reine et
autre, [1984] 2 R.C.S. 335 pour démontrer que la Couronne
était soumise à des obligations de fiduciaire. Toutefois, les
circonstances entourant une concession à bail en vertu du
paragraphe 58(3) sont entièrement différentes de celles qui ont
donné lieu aux obligations de fiduciaire dans l'affaire Guerin.
Dans ce cas-là, l'intérêt de la bande avait été confié au Ministre
à la suite de la cession à la Couronne de terrains non attribués
faisant partie d'une réserve, et c'était cet intérêt qui était
concerné au moment de l'aliénation subséquente des terrains.
En l'espèce, aucune aliénation n'est envisagée et le droit trans-
féré temporairement est le droit à l'usage d'un terrain, droit qui
appartient individuellement à l'Indien qui en a la possession.
Aucun intérêt de la bande n'est touché. L'obligation du Minis-
tre, suivant le paragraphe 58(3), se limite à ce que prévoit la
loi, et ne s'étend pas à l'intérêt de la bande. Vu la structure de
la Loi et la clarté du libellé de son paragraphe 58(3), on ne peut
pas dire que le Ministre est obligé d'obtenir le consentement de
la bande avant de consentir un bail comme celui dont il est
question. La Loi accorde à chaque membre de la bande une
certaine autonomie dans l'exercice de son esprit d'entreprise et
la mise en valeur de son terrain.
Le juge MacGuigan: Les affaires sur lesquelles se fondent les
appelants ne décident pas du point en litige. Dans l'arrêt The
Queen v. Devereux, [1965] R.C.S. 567, on a eu recours au
paragraphe 58(3), qualifié d'«exception» au principe général
dicté par l'approche communautaire, pour consentir le bail d'un
terrain cultivé et utilisé, de sorte que la conclusion n'est pas
considérée comme un précédent qui lie le tribunal. Les arrêts
Guerin et autres c. La Reine et autre, précité, et Kruger c. La
Reine, [1986] 1 C.F. 3 (C.A.), confirment l'existence d'une
obligation de fiduciaire, qui vise à empêcher que les Indiens ne
se fassent exploiter par des tiers.
Lorsque les lois, la doctrine et la jurisprudence restent impré-
cises sur la question de savoir s'il faut, par analogie, donner
primauté aux droits de la collectivité ou à ceux de l'individu, on
doit avoir recours au préambule de la Loi constitutionnelle de
1867, qui dit que le Canada sera régi par «une constitution
semblable dans son principe à celle du Royaume-Uni», où «le
droit à la liberté individuelle fait partie de la constitution». Au
Canada, la liberté de l'individu prévaut sur les besoins de la
collectivité. Lorsque la Constitution canadienne, accorde excep-
tionnellement la primauté aux droits collectifs, elle le dit
expressément. La Charte canadienne des droits et libertés
constitue une affirmation fondamentale des droits et libertés de
l'individu. En l'absence de dispositions législatives contraires,
les droits individuels seront censés avoir primauté sur les droits
collectifs.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S.
335; (1985) 55 N.R. 161.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
The Queen v. Devereux, [1965] R.C.S. 567; Kruger c. La
Reine, [1986] 1 C.F. 3; (1985), 17 D.L.R. (4th) 591
(C.A.); Saumur v. City of Quebec, [1953] 2 R.C.S. 299;
Switzman v. Elbling and Attorney -General of Quebec,
[1957] R.C.S. 285.
DÉCISION CITÉE:
R. c. Smith, [1981] 1 C.F. 346 (C.A.).
AVOCATS:
W. B. Henderson pour les appelants.
W. J. A. Hobson, c.r., pour la Reine, intimée.
T. F. Baxter pour 488619 Ontario Inc.,
intimée.
PROCUREURS:
LaForme, Henderson, Jones, Toronto, pour
les appelants.
Le sous-procureur général du Canada, pour
la Reine, intimée.
Henry M. Lang, c.r., Sault Ste. Marie (Onta-
rio), pour 488619 Ontario Inc., intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU: En l'espèce, appel est inter-
jeté d'un jugement de la Division de première
instance [juge Cullen, T-846-84, 25 mars 1985,
encore inédit] qui a rejeté une demande formée
par un chef indien et les autres membres de sa
bande pour obtenir un jugement déclaratoire por-
tant que le bail d'un terrain faisant partie d'une
réserve, bail conclu entre Sa Majesté et une société
ontarienne censément en vertu des pouvoirs confé-
rés par la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, chap.
I-6, est nul et ne doit avoir aucun effet. La portée
de cet appel et la difficulté qu'il présente ne ressor-
tent pas à l'évidence puisque ses faits ne posent pas
réellement de problème et qu'il requiert simple-
ment l'interprétation d'un court paragraphe de la
Loi. Cependant, la disposition contenue dans ce
paragraphe est non seulement fondamentale d'un
point de vue pratique, mais encore elle concerne
une des caractéristiques principales de l'économie
de cette Loi et, étonnamment, elle n'a, à ce jour,
fait l'objet d'aucune étude détaillée par une auto-
rité judiciaire.
Cette disposition, qu'il est essentiel de compren-
dre pour régler le litige en l'espèce, se trouve au
paragraphe 58(3) de la Loi. Ce paragraphe devant
se lire et s'analyser en conjonction avec les disposi
tions des autres paragraphes de cet article, je cite
ce dernier intégralement:
58. (1) Lorsque, dans une réserve, un terrain est inculte ou
inutilisé, le Ministre peut, du consentement du conseil de la
bande,
a) améliorer ou cultiver le terrain et employer des personnes
à cette fin, autoriser et prescrire la dépense de telle partie des
fonds de capital de la bande qu'il juge nécessaire à l'amélio-
ration ou à la culture, y compris l'achat du bétail, des
machines ou du matériel ou l'emploi de la main-d'oeuvre qu'il
estime nécessaire;
b) si le terrain est en la possession légitime d'un particulier,
accorder la location de ce terrain à des fins de culture ou de
pâturage ou à toute fin se trouvant au profit de la personne
qui en a la possession; et
c) si le terrain n'est pas en la possession légitime de quelque
particulier, accorder la location dudit terrain, au profit de la
bande, à des fins de culture ou de pâturage.
(2) A même les montants provenant de l'amélioration ou de
la culture de terrains selon l'alinéa (1)b), un loyer raisonnable
est versé au particulier en possession légitime des terrains ou
une partie de ceux-ci, et le solde en est porté au crédit de la
bande. Toutefois, lorsque des améliorations sont apportées à des
terrains occupés par un particulier, le Ministre peut déduire, du
loyer payable à ce particulier sous le régime du présent para-
graphe, la valeur de ces améliorations.
(3) Le Ministre peut louer au profit de tout Indien, à la
demande de celui-ci, la terre dont ce dernier est en possession
légitime sans que celle-ci soit cédée.
(4) Nonobstant toute disposition de la présente loi, le Minis-
tre peut, sans cession,
a) disposer des herbes sauvages ou du bois mort sur pied ou
du chablis, et
b) avec le consentement du conseil de la bande, disposer du
sable, du gravier, de la glaise et des autres substances non
métalliques se trouvant sur des terres ou dans le sous-sol
d'une réserve, ou lorsque ce consentement ne peut être
obtenu sans obstacle ou retard indu, peut délivrer des permis
temporaires pour la prise du sable, du gravier, de la glaise et
d'autres substances non métalliques sur des terres ou dans le
sous-sol d'une réserve, renouvelables avec le consentement du
conseil de la bande seulement,
et le produit de ces opérations doit être porté au crédit des
fonds de bande ou partagé entre la bande et les Indiens
particuliers en possession légitime des terres selon les propor
tions que le Ministre peut déterminer.
Rappelons que, en vertu de la Loi sur les
Indiens, une réserve est «une parcelle de terrain
dont le titre juridique est attribué à Sa Majesté et
qu'Elle a mise de côté à l'usage et au profit d'une
bande» (article 2); que, même si l'administration
de la réserve et de l'argent qui en provient relève
du ministre des Affaires indiennes (ci-après appelé
«le Ministre»), le conseil élu de la bande au profit
de laquelle la réserve a été mise de côté possède
des pouvoirs de réglementation étendus relative-
ment à l'usage du terrain et aux activités à l'inté-
rieur de la réserve, pouvoirs qui s'apparentent plus
ou moins à ceux d'un conseil municipal (article
81); rappelons également que seuls les membres de
la bande ont le droit de résider sur la réserve
(article 28). On se souviendra aussi que, en prin-
cipe, «les terres dans une réserve ne doivent être
vendues, aliénées ni louées, ou il ne doit en être
autrement disposé, que si elles ont été cédées à Sa
Majesté par la bande à l'usage et au profit com-
muns de laquelle la réserve a été mise de côté»
(article 37), mais qu'un Indien peut être «légale-
ment en possession d'une terre dans une réserve» si,
«avec l'approbation du Ministre, possession de la
terre lui a été accordée par le conseil de la bande»
(article 20).
Il n'est pas nécessaire, pour comprendre la ques
tion sur laquelle porte l'appel en l'espèce et en
traiter, de connaître en détail les circonstances
dans lesquelles le litige est né. La cause a procédé
en Division de première instance sur la base d'un
exposé conjoint des faits où on peut trouver tous
les renseignements; je crois cependant pouvoir, ici,
ne décrire les faits que dans leurs grandes lignes,
quitte à ajouter des détails supplémentaires au
moment où je traiterai des différentes prétentions
des parties.
John Corbière est membre de la bande indienne
Batchewana, au profit de laquelle a été mise de
côté la réserve indienne n° 15A de Rankin Loca
tion. Il a été chef de la bande pendant de nombreu-
ses années au cours desquelles, paraît-il, la situa
tion s'est considérablement améliorée sur la
réserve. Corbière est en «possession légitime» d'une
parcelle de terrain située à l'intérieur de la réserve.
Celle-ci lui a été accordée en 1973 par le conseil de
la bande avec l'approbation du Ministre, et un
certificat de possession confirmant ses droits sur ce
terrain lui a été délivré par la suite. Bien que, au
moment de cette attribution, la terre fût en friche
et marécageuse, son emplacement le long de la
rivière St. Mary offrait de grandes possibilités de
mise en valeur. C'est certainement ce qu'envisa-
geait Corbière dès le départ, car, en 1980, il a
demandé au conseil de bande l'autorisation de
louer le terrain à une société qui le mettrait en
valeur, société dont lui-même et son épouse possé-
daient toutes les actions en circulation. Il avait
lui-même constitué cette société—la société numé-
rotée intimée—pour faciliter le financement. À ce
moment-là, une résolution accordant l'autorisation
demandée a été adoptée; toutefois, le projet de
Corbière étant encore peu défini, il restait beau-
coup à faire avant qu'il ne soit mis à exécution.
Diverses études, dont plusieurs portant sur la faisa-
bilité, étaient requises, le financement devait être
réglé, des décisions devaient être prises concernant
l'étendue et le genre de la mise en valeur. Au cours
des deux années qui ont suivi, Corbière a travaillé
à son projet, demeurant en contact constant avec
les fonctionnaires du ministère des Affaires indien-
nes (ci-après parfois appelé «le Ministère»). Finale-
ment, en avril 1982, considérant qu'il était prêt, il
a demandé au Ministre de consentir un bail de
terrain à sa société conformément au paragraphe
58(3) de la Loi. Un bail a été rédigé et envoyé au
conseil de la bande afin qu'il fournisse ses com-
mentaires. La bande a répondu en contestant au
Ministre le droit de contracter un tel bail sans son
consentement formel et a également formulé quel-
ques objections relativement à certains aspects du
projet de mise en valeur. Corbière a alors décidé
de modifier ses plans en remplaçant un complexe
d'habitation par une marina offrant des services
complets de sorte que, en septembre 1983, un bail
modifié permettant la réalisation du nouveau
projet a été envoyé au conseil de bande en même
temps qu'une demande sollicitant la remise de tout
commentaire supplémentaire éventuel avant le 1"
décembre. Le 24 novembre, le conseil a adopté une
résolution qui, comme la première, contestait le
droit du Ministre et désapprouvait formellement le
bail; puis, par l'intermédiaire de son avocat, il a
demandé une prorogation du délai qui lui avait été
fixé pour répondre. Le Ministère considérant qu'il
n'y avait pas lieu de tarder plus longtemps, le bail
a été conclu le 9 décembre 1983. Les procédures
en l'espèce ont été entamées en avril 1984.
Comme je l'ai indiqué au début, le redressement
sollicité en l'espèce est un jugement déclaratoire
portant que le bail conclu le 9 décembre 1983, par
Sa Majesté la Reine représentée par un représen-
tant dûment autorisé du ministère des Affaires
indiennes et du Nord canadien, ainsi que la société
488619 Ontario Inc., faisant affaire sous la déno-
mination Alcor Developments, est nul et ne doit
avoir aucun effet. Selon la prétention des deman-
deurs appelants, le motif pour lequel le bail serait
ainsi nul et sans aucun effet est que ni la bande ni
son conseil n'y ont consenti. Les défenderesses
intimées contestent la prétention suivant laquelle
un consentement était requis et elles soutiennent à
titre subsidiaire que, quoi qu'il en soit, un tel
consentement a été donné.
Il convient, afin de pouvoir porter toute notre
attention à la question sur laquelle l'espèce porte
réellement, de régler immédiatement le sort de
l'argument subsidiaire présenté par les intimées,
selon lequel il y avait, en fait, eu consentement. Le
document justificatif invoqué est évidemment la
résolution passée en 1980 par le conseil de la
bande paraissant donner à Corbière, alors chef de
la bande, l'autorisation de louer son terrain à sa
société. A mon avis, ce point de vue est insoutena-
ble. La résolution de 1980 était, tout au plus, un
énoncé de principe pouvant être considéré comme
une sorte de consentement à la location du terrain
mais ne pouvant, évidemment, pas être interprété
comme constituant un consentement à un bail en
particulier. Le consentement, lorsqu'il est requis,
ne peut certainement pas être un consentement de
principe uniquement mais il doit être éclairé et
porter sur un objet précis. La résolution de 1980
ne peut être considérée comme approuvant le bail
passé le 9 décembre 1983. Je n'entretiens aucun
doute sur le fait que la seule question dont il doit
être décidé en l'espèce est celle de savoir si le
consentement de la bande ou de son conseil était
nécessaire à la validité de ce bail.
Pour appuyer leur prétention suivant laquelle le
consentement était, en fait, requis, les appelants
présentent deux arguments subsidiaires qui seront
examinés successivement.
(1) Selon le premier argument, la seule disposi
tion de la Loi permettant au Ministre de passer un
bail comme celui dont il est question en l'espèce
figure à l'alinéa 58(1)b), où le consentement de la
bande est formellement et expressément exigé. Le
paragraphe 58(3), en vertu duquel le Ministre
prétendait agir, en fait ne s'appliquerait pas.
Pour plus de commodité, je citerai à nouveau les
parties pertinentes de l'article 58:
58. (1) Lorsque, dans une réserve, un terrain est inculte ou
inutilisé, le Ministre peut, du consentement du conseil de la
bande,
b) si le terrain est en la possession légitime d'un particulier,
accorder la location de ce terrain à des fins de culture ou de
pâturage ou à toute fin se trouvant au profit de la personne
qui en a la possession; et
(3) Le Ministre peut louer au profit de tout Indien, à la
demande de celui-ci, la terre dont ce dernier est en possession
légitime sans que celle-ci soit cédée.
Selon cet argument, la disposition applicable
serait l'alinéa 58(1)b) plutôt que le paragraphe
58(3) car le terrain loué n'était pas utilisé et il doit
être en quelque sorte négativement inféré que le
paragraphe 58(3) s'applique uniquement aux ter
rains déjà mis en valeur et utilisés. Je suis entière-
ment d'accord avec la proposition voulant que le
terrain n'ait pas été utilisé; je ne partage pas le
point de vue du juge de première instance selon
lequel le travail de défrichage effectué sur une
partie du terrain et les études de faisabilité relati
ves à celui-ci constituaient un usage au sens de
l'article; selon moi, le terme «usage» implique une
certaine occupation, utilisation ou exploitation.
Toutefois, en l'espèce, aucun motif ne me semble
nous justifier d'avoir recours à un moyen d'inter-
prétation aussi extraordinaire qu'une prétendue
inférence négative. Il n'est absolument pas néces-
saire de chercher au-delà de la lettre le champ
d'application de chacune de ces deux dispositions.
En effet, le paragraphe 58(3) ne s'applique que
lorsqu'une demande est faite par l'Indien qui est en
possession légitime du terrain alors que l'alinéa
58(1)b), de toute évidence, ne concerne que les
situations où le possesseur légitime du terrain se
désintéresse de son usage. C'est d'ailleurs pourquoi
le paragraphe 58(2) d'une part, prévoit la possibi-
lité pour le Ministre lui-même d'apporter des amé-
liorations au terrain et, d'autre part, dit que, dans
tous ces cas, une partie seulement des montants
obtenus, calculés en fonction d'un loyer raisonna-
ble, seront versés au possesseur légitime. Je n'ai
aucune hésitation à dire que l'alinéa 58(1)b)
n'était pas applicable en l'espèce: le bail ne pouvait
être consenti qu'en vertu du paragraphe 58(3).
(2) Le second argument, que les appelants ont
soulevé dans l'éventualité où le paragraphe 58(3)
serait déclaré applicable, est formé de deux propo
sitions distinctes: selon eux, le consentement liti-
gieux est requis en vertu de cette disposition soit
parce qu'il découle implicitement et nécessaire-
ment du contexte, soit par l'effet de l'obligation
fiduciaire de la Couronne à l'endroit de la bande.
a) Dans le premier volet de ce second argument,
les appelants soutiennent encore une interprétation
qui ferait abstraction du sens apparent des termes
utilisés par le Parlement. Il est vrai que la jurispru
dence comporte quelques exemples d'interprétation
où un tribunal a pris sur lui de corriger le libellé
d'une disposition en y ajoutant un élément man-
quant ou en retranchant ce qui s'y trouvait redon-
dant. Cependant, ces exemples fort rares présen-
tent tous des cas où les erreurs de rédaction étaient
tout à fait évidentes et où il ressortait clairement
du contexte que le libellé n'exprimait pas de façon
juste ou complète la volonté du législateur (voir: E.
A. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd.,
pages 128 et suivantes). Rien ne laisse croire
qu'une erreur de rédaction ait été commise en
l'espèce. Un examen du contexte étroit à l'intérieur
duquel s'inscrit la disposition ne conduit certes pas
naturellement à la conclusion que l'absence de
mention du consentement de la bande au paragra-
phe 58(3) est due à un oubli. Ainsi qu'il a déjà été
mentionné, trois des quatre paragraphes de l'arti-
cle 58, soit le premier, le troisième et le quatrième
paragraphes, traitent de situations diverses dans
lesquelles le Ministre a le pouvoir de conclure des
ententes touchant les terrains de la réserve, alors
que le second paragraphe complète tout simple-
ment le premier, et il n'est fait mention du consen-
tement de la bande que dans deux de ces paragra-
phes: ce contraste est si frappant qu'il ne saurait
être passé inaperçu. Et, si l'on place cette disposi
tion dans un contexte plus large, l'on n'est, à mon
avis, pas davantage justifié de croire que, considé-
rée littéralement, elle ne s'inscrit pas dans l'écono-
mie de la Loi. Ceci m'amène à traiter de l'argu-
ment principal des appelants.
Les appelants disent que, selon l'économie de la
Loi sur les Indiens, l'intérêt d'un locataire, tel
Corbière, dans sa parcelle du terrain de la réserve
est subordonné à l'intérêt communautaire de la
bande elle-même, et l'attribution de droits de pos
session à des membres de la bande ne supprime pas
l'intérêt reconnu de cette dernière dans la mise en
valeur des terrains accordés. De plus, ajoutent les
appelants, la règle veut que les non-Indiens ne
puissent obtenir la possession de terrains faisant
partie d'une réserve que si ces terrains ont été
cédés par la bande et, sauf pour certaines fins
déterminées énoncées dans la Loi, le Ministre ne
possède pas le pouvoir d'autoriser l'usage ou l'oc-
cupation de terrains appartenant à la réserve par
un non-Indien sans le consentement de la bande ou
de son conseil. Toujours selon les appelants, si le
paragraphe 58(3) était interprété littéralement et
rendu applicable à tout terrain, exploité ou non, les
principes susmentionnés pourraient être écartés et
l'économie de la Loi elle-même s'en trouverait
mise en échec; selon eux, c'est précisément ce qui
se produirait en l'espèce puisque le bail est fait en
faveur d'une corporation qui constitue une entité
non indienne, quelle que soit la qualité de ses
actionnaires.
Je crains que ma compréhension de l'économie
de la Loi sur les Indiens ne corresponde pas entiè-
rement à celle des appelants. J'ai déjà mentionné
certains articles de la Loi qui définissent les termes
et expressions employés au paragraphe 58(3). En
fait, c'est à l'intérieur de ces articles et de quelques
autres que se présentent les caractéristiques fonda-
mentales de la Loi relativement aux terrains fai-
sant partie d'une réserve. Ces caractéristiques me
semblent être les suivantes. La bande à l'usage et
au profit de laquelle une «parcelle de terrain» a été
cédée par Sa Majesté possède sans doute un intérêt
dans ces terrains puisqu'elle a le droit de les
occuper et de les posséder. C'est un intérêt qui
appartient à la bande en tant que collectivité, aussi
le droit à l'occupation et à la possession, essence
même de cet intérêt, est-il un droit collectif. Cet
intérêt peut s'éteindre si la bande le cède volontai-
rement à la Couronne ou s'il y a expropriation
pour des fins publiques; il ne peut cependant pas
faire l'objet d'une aliénation. La bande peut toute-
fois, par l'intermédiaire de son conseil, attribuer,
avec l'approbation du Ministre, des parcelles de
terrain faisant partie de sa réserve à des membres
de la bande. Ce droit que possède un membre de la
bande sur la parcelle de terrain qui lui est attri-
buée et qui se trouve en sa possession légitime,
même s'il est, en principe, irrévocable, demeure
soumis à un grand nombre de restrictions formel-
les. Le membre n'a pas le droit de céder son droit à
la possession ou de louer son terrain à une per-
sonne qui n'est pas membre (article 28); il ne peut
non plus l'hypothéquer, puisque les terres en ques
tion ne sont assujetties à aucune saisie sous le
régime d'un acte judiciaire (article 29); il peut
également se voir forcé d'en disposer s'il cesse
d'avoir droit de résider sur la réserve (article 25).
Il ne fait aucun doute que chacune de ces restric
tions a pour effet de rendre le droit d'un Indien en
possession légitime très différent de celui d'un
propriétaire possédant la propriété absolue selon la
common law. Il doit cependant être noté que
toutes ces restrictions n'ont qu'un seul but: empê-
cher que la fin poursuivie par la mise de côté du
terrain, c'est-à-dire l'utilisation de celui-ci par la
bande et ses membres, soit contrecarrée. Aucune
de ces restrictions concerne l'usage pouvant être
fait du terrain ou le profit pouvant en être tiré. Le
terrain faisant partie de la réserve, son usage est,
naturellement, toujours assujetti aux lois provin-
ciales d'application générale et aux règlements de
zonage édictés par le conseil de bande, comme
c'est le cas pour tout terrain situé dans une munici-
palité à l'intérieur de laquelle des règlements de
zonage sont en vigueur; cependant, outre cela, je
ne vois ni comment ni pourquoi l'Indien en posses
sion légitime d'un terrain situé à l'intérieur d'une
réserve pourrait être empêché de l'exploiter à sa
guise. Rien dans la Loi ne pourrait être considéré
comme [TRADUCTION] «assujettissant» son droit à
un autre droit du même type appartenant simulta-
nément au conseil de bande. Selon moi, par l'«at-
tribution» d'une parcelle de terrain faisant partie
d'une réserve, le droit à l'usage de ce terrain et au
profit qu'il peut procurer, de collectif qu'il était,
devient le droit individuel et personnel du loca-
taire. L'intérêt de la bande, entendu dans son sens
technique et juridique, a disparu ou, à tout le
moins, a été suspendu. Puisque telle est ma con
ception de l'économie de la Loi, non seulement
suis-je en désaccord avec la prétention suivant
laquelle les principes qu'elle applique exigent que
le paragraphe 58(3) soit interprété comme s'il
contenait les termes «avec le consentement de la
bande», mais encore je suis d'avis que ces principes
ne seraient pas respectés si c'était le cas. (Sur la
nature du droit à la possession du locataire et sur
l'économie du régime foncier prévu à la Loi, voir
les commentaires des juges Judson et Cartwright
dans l'affaire The Queen v. Devereux, [1965]
R.C.S. 567 et, également, ceux du juge Le Dain
dans l'affaire R. c. Smith, [1981] 1 C. F. 346
(C.A.), à la page 406, une décision qui a été
infirmée en appel pour des motifs se rapportant à
une toute autre question.)
b) Dans le second volet de leur argument vou-
lant qu'un bail consenti en vertu du paragraphe
58(3) ait exigé le consentement de la bande, les
appelants parlent [TRADUCTION] d'«un accessoire
des obligations fiduciaires de la Couronne décou-
lant de la nature profonde du titre indien», et
citent la décision rendue par la Cour suprême dans
l'affaire Guerin et autres c. La Reine et autre,
[1984] 2 R.C.S. 335.
Je dirai tout d'abord que je saisis difficilement
la pertinence réelle de cet argument dans le con-
texte de l'action telle qu'intentée. Le remède
recherché ne consiste pas en une condamnation à
des dommages-intérêts mais en un jugement décla-
ratoire portant que le bail est nul et ne doit avoir
aucun effet. Je ne vois pas de quelle façon le
manquement du Ministre à ses obligations de fidu-
ciaire dans la conclusion d'un contrat rendrait nul
le contrat lui-même alors que toutes les exigences
juridiques relatives à sa passation ont été remplies.
Quoi qu'il en soit, je ne crois tout simplement pas
que la Couronne soit soumise à des obligations de
fiduciaire lorsqu'elle exerce le pouvoir conféré par
le paragraphe 58(3). Dans l'affaire Guerin, il était
question de terrains non attribués faisant partie
d'une réserve, terrains qui avaient été cédés à la
Couronne afin qu'elle consente à leur sujet un bail
à long terme ou vende ces terrains à des conditions
favorables à la bande. Selon mon interprétation du
jugement, c'est à cause de toutes ces circonstances
qu'il a pu être dit qu'une obligation de caractère
fiduciaire était née: en effet, l'intérêt même de la
bande avait été confié au Ministre lors de la
cession des terrains et était en jeu au moment de
leur aliénation. Lorsqu'un bail est consenti en
vertu du paragraphe 58(3), les circonstances sont
entièrement différentes: aucune aliénation n'est
envisagée et le droit qui sera transféré temporaire-
ment est le- droit à l'usage d'un terrain, droit qui
appartient individuellement à l'Indien qui en a
possession, et aucun intérêt de la bande ne peut
être touché (je répète qu'il va de soi que l'intérêt
dont je parle ici a un sens technique et juridique; il
est évident que, sur le plan moral, la bande peut
toujours être concernée par le comportement et
l'attitude de ses membres). Selon moi, l'obligation
du Ministre, lorsqu'il exerce les pouvoirs qui lui
sont conférés par le paragraphe 58(3), se limite,
pour ainsi dire, à ce que prévoit la loi: il ne peut
excéder le pouvoir qui lui est conféré, ce qu'il
ferait si, sous le couvert d'un bail, il procédait à ce
qui constituerait, à toutes fins pratiques, une alié-
nation du terrain (ce n'est certainement pas le cas
en l'espèce puisque la durée prévue pour le bail est
de 21 ans et que celui-ci ne comporte aucune
clause de renouvellement particulière); il ne peut
non plus tenir compte de considérations non perti-
nentes dans l'exercice de sa discrétion, ce qui serait
le cas s'il accordait de l'importance à quoi que ce
soit d'autre que le profit de l'Indien en possession
légitime à la demande duquel il agit. L'obligation
du Ministre ne concerne tout simplement pas la
bande.
La conclusion me semble évidente. Considérant
la structure de la Loi sur les Indiens et la clarté du
libellé de son paragraphe 58(3), il n'existe aucun
motif de croire que le Ministre est obligé d'obtenir
le consentement de la bande ou de son conseil
avant de consentir un bail comme celui dont il est
question en l'espèce. Il semble que cette Loi, dont
l'esprit paternaliste a fait l'objet de tant de criti
ques, ait néanmoins jugé bon d'accorder à chaque
membre de la bande une certaine autonomie, et
une indépendance relative à l'égard des dicta de
son conseil de bande dans l'exercice de son esprit
d'entreprise et la mise en valeur de son terrain.
Selon moi, l'appel en l'espèce est sans bien-fondé
et devrait être rejeté avec dépens.
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN: Je souscris à la décision
proposée par mon collègue le juge Marceau relati-
vement à l'appel en l'espèce ainsi qu'aux motifs
fondant cette décision. Mes commentaires ne font
donc que s'ajouter aux siens.
L'affaire en l'espèce pose le problème séculaire
des rapports entre la personne et l'État, transposé
dans le contexte restreint d'une communauté
indienne régie par la Loi sur les Indiens («la Loi»).
Les appelants contestent la validité d'un bail
auquel ont participé la Couronne en tant que
locateur et une société ontarienne numérotée en
tant que locataire. Ce bail a été passé au profit
d'un Indien en possession légitime du terrain en
question («le titulaire d'un billet de location») et à
la demande de ce dernier conformément au para-
graphe 58(3) de la Loi. Bien que les seuls action-
naires de la société numérotée soient le titulaire du
billet de location et son épouse, l'affaire a été
débattue dans l'optique selon laquelle le paragra-
phe 58(3) de la Loi permettait au Ministre de
consentir un bail à une personne ne possédant pas
la qualité d'Indien. La contestation du bail était
fondée uniquement sur l'allégation voulant que la
Couronne n'ait pas eu le droit de consentir un tel
bail sans le consentement de la bande indienne,
consentement qui n'avait pas été obtenu en
l'espèce.
Le titulaire du billet de location a reçu en 1973
un avis de droit de possession concernant les terres
en question; depuis, il les a fait défricher et arpen-
ter et a fait réaliser des études de faisabilité sur la
construction d'une marina offrant des services
complets. Les fonctionnaires du Ministère ayant
exprimé l'avis que la formule qui lui permettrait le
mieux d'atteindre ses objectifs d'aménagement
était celle de la location à une société, il a, le 6
avril 1982, sollicité un bail d'une durée de 21 ans.
Ce bail a été approuvé par le Ministre le 9 décem-
bre 1983.
Dans leur plaidoyer, les appelants ont reconnu
qu'il existait deux interprétations plausibles du
paragraphe 58(3): selon la première, qu'ils préten-
dent être la bonne sur le fondement du contexte de
l'ensemble de la Loi, le paragraphe 58(1), qui
exige le consentement du conseil de la bande,
s'appliquant à des terrains incultes ou inutilisés, les
pouvoirs que peut exercer sans consultation le
Ministre en vertu du paragraphe 58(3) ne doivent
concerner que les terrains cultivés ou utilisés. La
seconde interprétation, adoptée par le juge Cullen
lors du procès, veut que le paragraphe 58(3) s'ap-
plique à toute situation dans laquelle le titulaire
d'un billet de location présente une demande, par
opposition aux situations prévues au paragraphe
58(1) dans lesquelles l'initiative provient du
Ministre.
À mon avis, les appelants ont entièrement raison
de soutenir que les termes de l'article 58 ne peu-
vent être interprétés sans tenir compte du contexte
global de la Loi. Si l'on examine l'objet de la Loi,
tel que le conçoivent les appelants, nous trouvons
le principe fondamental voulant qu'une réserve
doive être gardée intacte pour l'ensemble de la
bande en faisant abstraction de la volonté indivi-
duelle des titulaires de billets de location relative-
ment à l'emploi des terrains qui leur ont été attri-
bués. La Couronne a une obligation de fiduciaire à
l'égard de la bande dans son ensemble, obligation
qui ne pourrait être remplie si le paragraphe 58(3)
avait pour effet de permettre à la Couronne et au
titulaire d'un billet de location d'éviter le conseil
de bande en toutes circonstances. Un pouvoir aussi
illimité ne saurait protéger la collectivité indienne.
Les appelants soutiennent également que, de plus
en plus, il est reconnu que la culture autochtone
concerne la collectivité plutôt que les particuliers
et que la Loi devrait, autant que possible, être
interprétée dans ce sens.
Les restrictions imposées aux Indiens comme
individus en faveur de la collectivité sont bien
énoncées par le juge Judson dans l'arrêt The
Queen v. Devereux, [1965] R.C.S. 567, une déci-
sion sur laquelle s'appuient les appelants. Expri-
mant l'opinion de la majorité de la Cour, le juge
dit à la page 572:
[TRADUCTION] L'objet de la Loi sur les Indiens est de
conserver intactes pour des bandes d'Indiens les réserves mises
de côté pour elles sans tenir compte du désir d'un Indien en
particulier d'aliéner pour son propre bénéfice une partie quel-
conque de la réserve pour laquelle il peut détenir un billet de
location. C'est ce que prévoit le par. 28(1) de la Loi. Si le
recours prévu par l'art. 31 était limité, pour ce qui concerne les
terres possédées par le titulaire d'un billet de location, à des
actions intentées à la demande de ce titulaire, des accords, nuls
en vertu du par. 28(1), conclus entre le titulaire d'un billet de
location et un non-Indien pour l'aliénation de terres de réserve,
produiraient leurs effets et l'objet de la Loi serait contrecarré.
Les terres des réserves sont mises de côté pour la bande et ses
membres et ne peuvent être aliénées par ceux-ci sauf si des
dispositions de la Loi le permettent expressément et ce, même
lorsqu'elles sont attribuées à des Indiens sur une base person-
nelle. Le terme «réserve» désigne, par définition (al. 2(1)o)):
une parcelle de terrain dont le titre juridique est attribué à
Sa Majesté et qu'Elle a mise de côté à l'usage et au profit
d'une bande.
En vertu de l'al. 2(1)a), «bande» signifie un groupe d'Indiens
(i) à l'usage et au profit communs desquels, des terres, dont
le titre juridique est attribué à Sa Majesté, ont été mises
de côté .. .
En vertu de l'art. 18, les réserves doivent être détenues à l'usage
et au profit des Indiens. Elles ne sont assujetties à aucune saisie
sous le régime d'un acte judiciaire (art. 29). En vertu de l'art.
37, sauf dispositions contraires de la Loi, elles ne peuvent être
vendues, aliénées ni louées, ou il ne doit en être autrement
disposé que si elles ont été cédées à la Couronne par la bande à
l'usage et au profit communs de laquelle la réserve a été mise
de côté. Aucun droit de possession ou d'occupation d'une terre
n'est acquis par legs ou transmission sous forme de succession
par une personne non autorisée à résider dans une réserve (art.
50, par. (I)).
Une des exceptions à ce principe veut que le Ministre puisse
louer au profit de tout Indien, à la demande de celui-ci, la terre
dont ce dernier est en possession légitime sans que celle-ci soit
cédée (par. 58(3)). C'est en vertu de ce paragraphe que le
Ministre possédait le pouvoir de consentir au défendeur le bail
de dix ans qui a expiré le 30 novembre 1960. [C'est moi qui
souligne.]
Le juge Judson qualifie toutefois le paragraphe
58(3), dont il est question en l'espèce, d'«excep-
tion» au principe général dicté par l'approche com-
munautaire même dans le cadre de cette analyse
qui, si ce n'était le cas, pourrait appuyer la thèse
des appelants. Il est vrai que dans l'affaire Deve-
reux, on a eu recours à ce paragraphe pour consen-
tir le bail d'un terrain qui avait été cultivé et
utilisé, de sorte que la conclusion, que je considère
comme un jugement portant à la fois sur le droit et
les faits, n'est pas un précédent qui nous lie en
l'espèce; quoi qu'il en soit, en dernière analyse, le
raisonnement qui le sous-tend n'aide pas les appe-
lants, non plus que l'objet de la Loi ne fait lui-
même pencher la balance en leur faveur.
Les autres affaires citées par les appelants ne
décident pas non plus du point en litige. Les arrêts
Guerin et autres c. La Reine et autre, [ 1984] 2
R.C.S. 335; (1985), 55 N.R. 161 et Kruger c. La
Reine, [1986] 1 C.F. 3; (1985), 17 D.L.R. (4th)
591 (C.A.) appuient tous deux la proposition vou-
lant que la Couronne ait l'obligation fiduciaire ou
reconnue en equity d'agir au profit des Indiens
relativement aux terres indiennes. Cependant,
comme l'indique clairement le juge Dickson
(c'était alors son titre) aux pages 383 R.C.S.; 174
et 175 N.R. dans l'affaire Guerin, citée plus haut,
cette obligation vise à empêcher que les Indiens ne
se fassent exploiter:
Cette exigence d'une cession [à l'article 37] vise manifeste-
ment à interposer Sa Majesté entre les Indiens et tout acheteur
ou locataire éventuel de leurs terres, de manière à empêcher
que les Indiens se fassent exploiter.
Un bail relatif à des terres indiennes consenti au
profit et à la demande d'un Indien titulaire d'un
billet de location à une société dont les actionnai-
res sont tous Indiens, présente-t-il un tel danger
d'exploitation des Indiens que la Couronne ne
pourrait, seule, c'est-à-dire sans le consentement
du conseil de bande, le prévenir adéquatement?
L'analyse que font les appelants de l'économie
de la Loi peut tout aussi bien conduire à la conclu
sion contraire. La restriction relative à l'aliénation
par les titulaires de billets de location des terres
qui leur sont attribuées ne vise elle-même que
l'aliénation au sens strict. Elle ne s'applique pas
aux permis d'un an accordés à des non-Indiens les
autorisant «à occuper ou utiliser une réserve, ou à
résider ou autrement exercer des droits sur une
réserve» (paragraphe 28(2)). Les parties recon-
naissent également qu'elle ne s'applique pas aux
baux plus longs consentis en vertu du paragraphe
58(3) relativement à des terres cultivées et utili
sées. Tout au plus peut-on dire en faveur de l'argu-
ment des appelants que la restriction relative à
l'aliénation des terres indiennes par des particu-
liers pourrait s'appliquer par analogie. La même
chose pourrait cependant être dite de l'absence de
restriction dans les situations inverses. En fait, ni
l'économie de la Loi ni la jurisprudence ne sont
déterminantes.
Faut-il donc, par analogie, donner primauté aux
droits de la collectivité ou à ceux de l'individu? À
mon sens, lorsque les lois et les précédents restent
imprécis sur le sujet, les tribunaux doivent s'en
rapporter au préambule de la Loi constitutionnelle
de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C.
1970, Appendice II, n° 5] (mod. par la Loi de 1982
sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de
la Loi constitutionnelle de 1982, n° 1)], qui dit que
le Canada sera régi par «une constitution sembla-
ble dans son principe à celle du Royaume-Uni».
Dans l'arrêt Saumur v. City of Quebec,
[1953] 2 R.C.S. 299, le juge Rand s'est permis de
dire, à la page 329:
[TRADUCTION] À proprement parler, les droits civils tirent
leur origine du droit positif; mais la liberté de parole et de
religion et l'inviolabilité de la personne sont des libertés primor-
diales qui constituent les attributs essentiels de l'être humain,
son mode nécessaire d'expression et la condition fondamentale
de son existence au sein d'une collectivité régie par un système
juridique. C'est en circonscrivant ces libertés par la création de
droits civils au bénéfice des personnes que leur exercice peut
léser, et grâce à la sanction du droit public, que le droit positif
intervient. Ce qui est fixé, c'est la façon de compartimenter ce
qu'il y a à l'intérieur de ce périmètre.
Dans un obiter dictum qu'il a prononcé dans l'ar-
rêt Switzman v. Elbling and Attorney -General of
Quebec, [1957] R.C.S. 285, le juge Abbott est allé
plus loin (à la page 328):
[TRADUCTION] Même si, naturellement, il n'est pas nécessaire
de trancher cette question aux fins du présent appel, puisqu'on
a déclaré que la constitution canadienne reposait sur les mêmes
principes que celle du Royaume-Uni, je suis également d'avis
que, dans l'état actuel de notre Acte constitutionnel, le Parle-
ment lui-même ne pourrait abroger ce droit de discussion.
L'approche du juge correspond à la tradition occi-
dentale que le philosophe français Jacques Mari-
tain a résumée succinctement dans L'Homme et
l'État, Paris, Presses universitaires de France,
1953, à la page 12, dans les termes suivants:
«l'homme n'est à aucun titre pour l'État. L'État est
pour l'homme.»
La conception de la liberté épousée par A. V.
Dicey, plus traditionnelle et plus restreinte, nous
conduirait à la même conclusion. Même si, selon
Dicey, la mesure de la liberté correspond à ce que
permet la loi, la Constitution anglaise se caracté-
rise par la manière dont les tribunaux préservent le
domaine traditionnel de la liberté. Dans Introduc
tion to the Study of the Law of the Constitution,
10e éd., 1959 (E. C. S. Wade), il dit à la page 201:
[TRADUCTION] Lorsque ... [comme c'est le cas en Angleterre]
le droit à la liberté individuelle fait partie de la constitution
parce qu'il est inhérent au droit commun du pays, ce droit peut
difficilement être abrogé sans qu'il en résulte un changement
radical dans les institutions et les usages de la nation.
Au Canada, la Constitution reposant sur les
mêmes principes que celle du Royaume-Uni, la
liberté de l'individu prévaut sur les besoins de la
collectivité.
En fait, la Constitution canadienne le dit expres-
sément lorsque, exceptionnellement, elle accorde la
primauté aux droits collectifs. Les droits que, «lors
de l'Union», possédait en matière d'éducation
«quelque classe particulière de personnes dans la
province» sont maintenus par l'article 93 de la Loi
constitutionnelle de 1867 et par l'article 29 de la
Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]. Les
droits linguistiques sont protégés par l'article 133
de la Loi de 1867 et par les articles 16 22 de la
Loi de 1982. L'article 15 de cette dernière Loi
protège les programmes de promotion sociale,
alors que les droits à l'instruction dans la langue de
la minorité sont garantis par l'article 23. La
Charte canadienne des droits et libertés [qui cons-
titue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.)] constitue une affirmation fonda-
mentale des droits et libertés de l'individu. En
somme, en l'absence de dispositions législatives
contraires, les droits individuels seront censés avoir
primauté sur les droits collectifs. Cette règle, en
l'absence de dispositions législatives contraires,
doit s'appliquer tant aux Indiens qu'aux autres
Canadiens.
Selon le dernier argument des appelants, la Loi
sur les Indiens doit s'interpréter en ayant à l'esprit
que la culture indienne accorde la primauté aux
droits collectifs. Le dossier ne contient malheureu-
sement aucune preuve qui établisse le bien-fondé
de cette prétention ni même aucune preuve se
rapportant à la culture indienne; il ne s'agit pas là
d'une question dont la Cour puisse simplement
prendre connaissance d'office.
En dernier lieu, il est très pertinent à l'espèce
que les pouvoirs accordés à la collectivité indienne
à l'alinéa 81g) soient en mesure de dissiper les
inquiétudes légitimes qu'elle pourrait entretenir à
l'idée d'un usage de ses terres qui lui serait préju-
diciable. Le fait que le conseil de la bande n'ait pas
choisi d'exercer les pouvoirs qu'il détient en
matière de zonage et qu'il ne puisse probablement
plus le faire ne justifie pas la création à son profit
d'un droit plus large qu'il pourrait faire valoir à
défaut d'avoir exercé les pouvoirs susmentionnés.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.