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T-1056-83
John G. Sheldrick (demandeur)
c.
La Reine (défenderesse)
Division de première instance, juge Strayer— Ottawa, 22 et 31 janvier 1986.
Fonction publique Le contrat de travail du demandeur a été prolongé pour une période de deux ans à compter du soixante-cinquième anniversaire de ce dernier Il a été illégalement mis fin au contrat avant l'expiration de la période de prolongation en vertu de l'art. 28(11) du Règlement La cessation d'emploi «pour seule raison d'âge» prévue à l'art. 28(11) signifie la cessation d'emploi pour incompétence attri- buable à l'âge Il a été mis fin au contrat de travail du demandeur en raison de l'existence d'un surplus de personnel
Cessation d'emploi non visée par l'art. 28(11) Intérêt accordé à compter de la date du jugement seulement Règlement sur la pension de la Fonction publique, C.R.C., chap. 1358, art. 28(2),(4),(11) Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-32, art. 24 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 35, 40
Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, chap. C-38, art. 3 Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 475 Loi sur l'intérêt, S.R.C. 1970, chap. I-18.
Déclaration des droits L'allégation portant que l'art. 28(11) du Règlement permet le renvoi du demandeur pour le seul motif qu'il est âgé de plus de 65 ans porte atteinte au droit à l'égalité devant la loi garanti par les art. lb) et 2 de la Déclaration canadienne des droits Aucun objectif fédéral régulier Application de l'arrêt MacKay c. La Reine, [1980j 2 R.C.S. 370 Aucune contravention à l'art. 15 de la Charte car il n'était pas en vigueur lorsque les événements se sont produits Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III, art. 1 b), 2 Règlement sur la pension de la Fonction publique, C.R.C., chap. 1358, art. 28(2),(4),(11) Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 15.
Il s'agit en l'espèce d'un mémoire spécial demandant à la Cour de déterminer si on s'est conformé à la loi en mettant fin à un contrat de travail. Le contrat de travail du demandeur dans la Fonction publique a été prolongé avant le soixante-cin- quième anniversaire de celui-ci. Il y a cependant été mis fin avant la fin de la période de prolongation, en vertu du paragra- phe 28(11) du Règlement sur la pension de la Fonction publi- que. Il a par la suite été révélé que le véritable motif pour lequel on avait mis fin au contrat était la nécessité de réduire les années-personnes en raison de la fusion de ministères.
Jugement: le demandeur a gain de cause.
Diverses lois ont considérablement amoindri le pouvoir dis- crétionnaire de renvoi de la Couronne. L'article 28 du Règle- ment sur la pension de la Fonction publique prévoit comment l'emploi d'une personne peut être prolongé après l'âge de 65 ans. Le paragraphe 28(11) permet de mettre fin à un emploi qui a été prolongé après que son titulaire a dépassé l'âge de 65 ans à condition que ce soit «pour seule raison d'âge». Cela
signifie qu'une telle personne peut être renvoyée pour incompé- tence attribuable à l'âge. L'interprétation de la défenderesse qui consiste à dire que le seul motif requis pour mettre fin à l'emploi est que l'employé soit âgé de plus de 65 ans équivau- drait à porter atteinte au droit à «l'égalité devant la loi» et ce, en violation de l'alinéa lb) et de l'article 2 de la Déclaration canadienne des droits. Une loi qui établit des distinctions défavorables à une certaine catégorie de personnes satisfait à l'exigence de «d'égalité devant la loi» si elle a été adoptée pour un «objectif fédéral régulier». À la lumière de l'arrêt MacKay c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 370, une telle mesure ne viserait un objectif fédéral régulier que s'il était raisonnablement évident que la possibilité de renvoyer, pour n'importe quel motif ou sans motif, toute personne âgée de plus de 65 ans une fois qu'elle a reçu un préavis de 90 jours, constitue une exigence réelle de gestion. Aucun élément de preuve tendant à établir ce fait n'a été soumis. De plus, il a été mis fin à l'emploi du demandeur en raison d'un surplus de personnel et, par consé- quent, cette cessation d'emploi n'est pas visée par les critères prescrits au paragraphe 28(11).
L'argument soulevé quant à la Charte ne peut être examiné, les événements en cause s'étant produits avant l'entrée en vigueur de l'article 15.
Le paragraphe 28(11) n'outrepasse pas les pouvoirs du gou- verneur en conseil qui est autorisé à fixer l'âge général de retraite et à prescrire les conditions en vertu desquelles un emploi peut être prolongé au-delà de cet âge. Il faut établir une distinction avec l'arrêt R. c. Robertson, [1972] C.F. 796 (C.A.), parce que le Règlement en question dans cette affaire concernait le renvoi avant l'âge de 65 ans. Le paragraphe 28(11) traite de la prolongation de l'emploi après l'âge normal de retraite.
Suivant les articles 35 et 40 de la Loi sur la Cour fédérale, l'intérêt sur le jugement n'est payable qu'à compter de la date de celui-ci. Il n'y a aucune stipulation contractuelle ni aucune disposition législative habilitante prévoyant le paiement d'un intérêt avant jugement.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
MacKay c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 370; Commission ontarienne des droits de la personne et autres c. Munici- palité d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202.
DISTINCTION FAITE AVEC:
R. c. Robertson, [1972] C.F. 796 (C.A.).
DÉCISIONS MENTIONNÉES:
Eaton c. La Reine, [1972] C.F. 185 (1" inst.); Corpex (1977) Inc. c. La Reine du chef du Canada (Requête et nouvelle audition), [1982] 2 R.C.S. 674.
AVOCATS:
R. J. Kealey, c.r. pour le demandeur. R. P. Hynes pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Kealey & Lafrange, Ottawa, pour le deman- deur.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STRAYER: Les parties se sont enten- dues pour présenter un mémoire spécial des points à décider conformément à la Règle 475 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663]. Elles deman- dent à la Cour de déterminer, à la lumière d'un exposé conjoint des faits, si on s'est conformé à la loi en mettant fin au contrat de travail liant le demandeur et la défenderesse.
Faits
Voici l'essentiel des faits sur lesquels les parties se sont entendues. Le demandeur a commencé à travailler pour la défenderesse au ministère de l'Industrie et du Commerce en novembre 1965. Il a eu 65 ans le 14 décembre 1981. Avant cette date, c'est-à-dire en mai 1981, la suite de discussions entre le demandeur et des fonctionnaires du minis- tère, le contrat de travail du demandeur a été prolongé pour une période de deux ans à compter du 14 décembre 1981. Le demandeur a d'abord été informé verbalement de cette décision par M. R. M. Hammond, directeur de la direction des servi ces financiers dont le demandeur était directeur adjoint. On lui a ensuite montré une note de service du chef des services administratifs de la direction du Personnel du ministère de l'Industrie et du Commerce adressée à M. Hammond en date du 16 juin 1981 et dont voici un extrait:
[TRADUCTION] ... nous avons le plaisir de vous informer que la prolongation de l'emploi de M. Sheldrick au-delà de 65 ans a été approuvée pour une période de deux ans, soit du 14 décembre 1981 au 13 décembre 1983 inclusivement.
Toutefois, dans une note de service datée du 6 mai 1982 que lui a fait parvenir le sous-ministre, le demandeur a été informé qu'il cesserait d'être employé au ministère de l'Industrie et du Com merce le 27 août 1982. Le sous-ministre a expres- sément invoqué le paragraphe 28 (11) du Règle- ment sur la pension de la Fonction publique [C.R.C., chap. 1358] dans cette lettre, mais il ne s'est pas attardé sur les motifs de la cessation
d'emploi. Cependant, le sous-ministre a par la suite fait connaître ces motifs dans une lettre qu'il a adressée au demandeur le 18 octobre 1982. Tout en disant regretter la cessation d'emploi, il a déclaré:
[TRADUCTION] Malheureusement, vu la nécessité de réduire la taille de nos effectifs par suite de la fusion MEER/MIC, je n'ai pas eu d'autre choix.
La demande qu'a présentée à cette époque le sous-ministre au Conseil du Trésor en vue de faire considérer le 30 décembre 1981 comme date de la retraite de M. Sheldrick, mesure qui lui serait bénéfique en ce qui a trait à sa pension, vient confirmer que le véritable motif pour lequel on a mis fin à l'emploi de M. Sheldrick était l'existence d'un surplus de personnel. Cette note de service produite en preuve porte notamment:
[TRADUCTION] J'ai pris connaissance du cas de M. Sheldrick en mai 1982 lorsque nous avons commencé à avoir une idée plus précise de l'importance des coupures de personnel que nous aurions à effectuer au MEER/MIC. Après avoir pris conscience de cet état de chose, nous avons commencé à réduire notre effectif de personnel vacataire et à n'approuver la prolongation des emplois d'une durée spécifiée que lorsque les besoins des opérations le justifiaient clairement. Nous avons aussi examiné le cas de M. Sheldrick et décidé qu'étant donné le nombre de personnes disponibles aux services financiers du MEER et du Mic, ses services n'étaient plus requis pour la bonne marche des opérations. Par conséquent, ... je l'ai informé que ... son emploi prendrait fin le 27 août 1982.
Suivant le mémoire spécial, [TRADUCTION] «le demandeur reconnaît» que la prolongation de son emploi au-delà de l'âge de 65 ans constituait [TRA- DUCTION] «la continuation de son emploi de fonc- tionnaire». Je présume que cela signifie que la défenderesse adopte elle aussi ce point de vue. On s'accorde également pour dire qu'on a mis fin à l'emploi du demandeur en vertu du paragraphe 28(11) du Règlement sur la pension de la Fonc- tion publique, C.R.C., chap. 1358. La défende- resse soutient dans le mémoire spécial
[TRADUCTION] ... [qu']on a légalement mis fin à l'emploi du demandeur, conformément au paragraphe 28(11) du Règle- ment sur la pension de la Fonction publique .. .
C'est donc dire que la défenderesse invoque uni- quement ce paragraphe pour se justifier, en droit, d'avoir mis fin à l'emploi.
Le demandeur prétend que les discussions qui ont précédé sa mise à la retraite et la confirmation que son emploi serait prolongé pour une période de deux ans équivalaient à un contrat de travail liant
les parties pour les deux années suivantes, et il affirme que le paragraphe 28 (11) ne conférait pas le pouvoir de mettre fin à son emploi. Les parties se sont par conséquent entendues pour dire dans l'exposé spécial que:
[TRADUCTION] La question soumise à la Cour est celle de savoir si la défenderesse a mis fin illégalement au contrat de travail liant les parties et, le cas échéant, si la défenderesse doit payer l'intérêt réclamé.
Les parties sont également d'accord sur le montant des dommages-intérêts que je devrais accorder si je me prononçais en faveur du demandeur. Toutefois, elles ne s'entendent pas sur l'intérêt qui devrait être payé, le cas échéant, soit à titre d'intérêt avant jugement soit à titre d'intérêt après jugement.
Conclusions
Les dispositions pertinentes du Règlement sur la pension de la Fonction publique sont les paragra- phes 28(2),(4) et (11) dont voici le texte:
28... .
(2) Sous réserve du présent article, un contributeur et un sous-ministre cessent d'être employés dans la Fonction publique en atteignant l'âge de 65 ans.
(4) Un contributeur qui a atteint l'âge de 65 ans et à l'égard de qui est autorisé le paiement d'un traitement calculé à un taux annuel qui ne dépasse pas le taux annuel maximum de rémunération d'un fonctionnaire de la haute direction I peut continuer d'être employé dans la Fonction publique jusqu'à ce qu'il atteigne l'âge de 70 ans, si, avant la date le contribu- teur cesserait d'être ainsi employé, le sous-chef de son minis- tère, avec l'autorisation expresse ou générale du ministre com- pétent, approuve, en la forme prescrite par le Ministre, que le contributeur continue d'être ainsi employé.
(11) Nonobstant toute disposition du présent article, le sous- ministre peut, n'importe quand, pour seule raison d'âge, mettre fin à l'emploi d'un contributeur qui a atteint l'âge de 65 ans, s'il donne au contributeur un préavis d'au moins 90 jours de cessation d'emploi.
Suivant le paragraphe (2), le demandeur aurait cessé d'être employé à 65 ans. Cependant, confor- mément au paragraphe (4), son emploi a été pro longé pour une période additionnelle de deux ans par suite d'une décision du sous-ministre. Ce fait n'est pas contesté. Il reste donc à déterminer si le paragraphe (11) confère le pouvoir de mettre fin à une période d'emploi à laquelle le demandeur avait par ailleurs droit en vertu du paragraphe (4).
Le demandeur a prétendu qu'on ne pouvait con- sidérer que ce Règlement permettant de mettre fin
n'importe quand à la prolongation d'un emploi constituait une condition du contrat et qu'il ne pouvait donc justifier qu'on y ait mis fin. Cet argument reposait sur l'allégation voulant que le demandeur ignorait que son emploi était prolongé en vertu du Règlement sur la pension de la Fonc- tion publique et qu'il n'était donc pas au courant de ce prétendu pouvoir de mettre fin à son emploi. Je ne suis pas convaincu que l'étendue des connais- sances du demandeur est un élément déterminant en ce qui concerne l'application de règles générales qui ont force de loi et qui s'appliquent à tout contrat de ce genre. Il n'est cependant pas néces- saire que j'examine cet argument plus en détail.
Le demandeur conteste également la validité ou l'applicabilité de ce Règlement; il affirme qu'il outrepasse les pouvoirs du gouverneur en conseil, qu'il est incompatible avec la Déclaration cana- dienne des droits [S.R.C. 1970, Appendice III] et qu'il contrevient à l'article 15 de la Charte cana- dienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]. L'avocat de la défenderesse s'est opposé à ce que l'on soulève ces questions parce qu'elles n'avaient pas été «plaidées». J'ai affirmé être d'avis que, peu importe si, dans une action ordinaire, ces questions devraient être plaidées conformément à la Règle 409, une fois que les parties ont décidé de ramener une question à un simple énoncé dans le mémoire spécial, elles sont liées par la généralité de la question qu'elles ont ainsi définie d'un commun accord. Comme je l'ai déjà dit, cette question consiste à déterminer si on «a mis fin illégalement» au contrat et, à mon avis, cela met virtuellement en cause l'interprétation et la validité de la disposition législative invoquée expressément par la défenderesse pour justifier ses actions en droit. L'avocat de la défenderesse a ensuite fait brièvement valoir que le demandeur ne pouvait contester la validité du Règlement puis- qu'il s'était prévalu des avantages qu'il confère. Selon moi, ce point n'est pas visé par la question de savoir si on «a mis fin illégalement» au contrat, sur laquelle se sont entendues les parties, car en sous- crivant à la question ainsi énoncée, la défenderesse se trouvait à admettre que la légalité des mesures qu'elle avait prises en vertu du paragraphe 28(11) était en litige et qu'aucune fin de non-recevoir n'empêchait le demandeur d'en contester la légalité.
L'avocat de la défenderesse a semblé aussi allé- guer que le paragraphe 28 (11) ne constituait que l'une des sources du pouvoir permettant de mettre fin à l'emploi du demandeur. Il a invoqué le prin- cipe de common law suivant lequel un employé de la Couronne n'occupe son poste qu'à titre amovible et qu'il est possible d'y mettre fin pour n'importe quel motif. Cette vision quelque peu archaïque de l'emploi dans la Fonction publique sous-entend que les préposés de la Couronne peuvent être renvoyés pour n'importe quel motif ou encore sans motif. Il convient d'abord de faire remarquer que, dans le cas du gouvernement canadien, les prérogatives de la Couronne à cet égard ont été consignées dans une disposition législative, l'article 24 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-32, qui porte:
24. Un employé occupe sa charge durant le bon plaisir de Sa Majesté sous réserve de la présente loi et de toute autre loi ainsi que des règlements établis sous leur régime et, à moins qu'une autre période ne soit spécifiée, pendant une période indéterminée.
Il existe une abondante jurisprudence confirmant que diverses lois ont considérablement amoindri ce pouvoir discrétionnaire de renvoi de la Couronne. Il suffit de dire, aux fins de la présente demande, que l'article 28 du Règlement sur la pension de la Fonction publique prévoit comment l'emploi d'une personne comme le demandeur peut être prolongé après l'âge de 65 ans et comment il peut y être mis fin. C'est le genre de règlement qui apporte expres- sément une réserve au principe général de l'article 24 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publi- que. Mis à part le sens clair de ces dispositions lorsqu'on les interprète en regard l'une de l'autre, la défenderesse admet dans le mémoire spécial que c'est au paragraphe 28 (11) qu'il faut trouver le fondement de sa décision de mettre fin à l'emploi.
La question principale consiste donc à détermi- ner si ce paragraphe permettait la mesure qui a été prise en l'espèce. La réponse à cette question dépend de l'interprétation qui doit être donnée au paragraphe 28(11). Ce paragraphe permet de mettre fin à un emploi qui a été prolongé après que son titulaire a dépassé l'âge de 65 ans et ce, à deux conditions: l'une est qu'on doit mettre fin à l'em- ploi «pour seule raison d'âge» et l'autre est que le sous-ministre doit donner à l'employé concerné un préavis d'au moins 90 jours de cessation d'emploi. Cette dernière condition est facile à comprendre,
ce qui n'est toutefois pas le cas de la première. Il me semble qu'elle prête à deux interprétations. La première, que la défenderesse semble avoir adop- tée, consiste à dire que le seul motif requis pour mettre fin à l'emploi est que l'employé soit âgé de plus de 65 ans. Comme, par définition, ce paragra- phe ne s'applique qu'aux personnes âgées de plus de 65 ans, cela signifierait que l'on peut mettre fin à leur emploi n'importe quand, sans autre justifi cation. Bref, suivant cette interprétation, toute per- sonne dont l'emploi est prolongé, conformément au paragraphe 28(4), après qu'elle a atteint 65 ans ne travaille que par tolérance et peut être renvoyée par simple caprice du sous-ministre. La deuxième interprétation possible à mon avis est qu'une telle personne peut être renvoyée pour incompétence attribuable à l'âge. Cela m'apparaît davantage plus compatible avec ce qui, selon moi, constitue le but des paragraphes 28(4) et (11), c'est-à-dire autoriser les personnes qui sont encore capables d'exercer leurs fonctions à continuer à travailler après qu'elles ont atteint 65 ans et ce, pour une période d'au plus cinq ans, à condition que le vieillissement ne diminue pas leurs capacités. Cela ne signifie pas qu'une telle personne ne pourrait pas être renvoyée pour un motif valable, comme la fraude à l'égard de son employeur, mais ce renvoi devrait s'effectuer sur le fondement d'autres dispo sitions applicables à tout membre de la Fonction publique. Il ne faut jamais perdre de vue qu'en l'espèce la défenderesse n'invoque que le paragra- phe 28(11) pour justifier la cessation d'emploi du demandeur.
La première interprétation possible dont j'ai fait état plus haut doit être rejetée pour un autre motif. À mon avis, une telle interprétation équivaudrait à porter atteinte au droit à «l'égalité devant la loi» et, suivant l'alinéa lb) et l'article 2 de la Déclaration canadienne des droits, je dois interpréter et appli- quer les lois fédérales de manière à ne pas restrein- dre un tel droit. Bien que, dans de nombreux cas, les tribunaux aient jugé qu'une loi qui établit des distinctions défavorables à une certaine catégorie de personnes satisfait à l'exigence de «l'égalité devant la loi» si elle a été adoptée pour un «objectif fédéral régulier», ils ont également reconnu que ce critère exige plus que la simple validité de la loi fédérale sur le plan du partage des pouvoirs. Comme l'a fait remarquer le juge McIntyre (avec l'appui du juge Dickson) dans l'arrêt MacKay c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 370, à la page 406:
La question à résoudre dans chaque cas est celle de savoir si l'inégalité qui peut être créée par la loi vis-à-vis d'une catégorie particulière—ici les militaires—est arbitraire, fantaisiste ou superflue, ou si elle a un fondement rationnel et acceptable en tant que dérogation nécessaire au principe général de l'applica- tion universelle de la loi pour faire face à des conditions particulières et atteindre un objectif social nécessaire et souhaitable.
Si on donnait au Règlement dont il est question en l'espèce l'interprétation que préconise l'avocat de la défenderesse, cela aurait pour effet que l'em- ployé qui a atteint l'âge de 65 ans et dont l'emploi a été prolongé pourrait, contrairement à tout autre fonctionnaire, être renvoyé n'importe quand et sans la moindre raison. Il m'apparaît, à la lumière des commentaires du juge McIntyre dans l'arrêt MacKay précité, qu'une telle mesure ne viserait un objectif fédéral régulier que s'il était raisonnable- ment évident que la possibilité de renvoyer, pour n'importe quel motif ou sans motif, toute personne âgée de plus de 65 ans une fois qu'elle a reçu un préavis de 90 jours, constitue une exigence réelle de la gestion de la Fonction publique. On peut trouver de nombreuses indications sur l'attitude à adopter à cet égard dans l'arrêt Commission onta- rienne des droits de la personne et autres c. Muni- cipalité d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, la Cour suprême du Canada devait examiner la vali- dité de la mise à la retraite obligatoire de deux pompiers en fonction de l'article 4 du Ontario Human Rights Code, R.S.O. 1970, chap. 318, qui interdit la discrimination fondée sur l'âge en matière d'emploi. Cet article permet une exception notamment [TRADUCTION] «lorsque l'âge ... constitu[e] une exigence professionnelle réelle du poste ou de l'emploi». La Cour suprême a affirmé que le critère applicable afin de déterminer si un critère comme l'âge constitue une exigence profes- sionnelle réelle comporte à la fois un élément subjectif et un élément objectif. L'élément subjec- tif concerne l'intention du soi-disant auteur de la discrimination. Quant à l'élément objectif, il nécessite, selon la Cour suprême, à la page 208, un examen afin de déterminer si le critère en question:
... [est] raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l'em- ployé, ses compagnons de travail et le public en général.
La Cour a conclu que la preuve n'avait pas établi que la retraite obligatoire à 60 ans était «raisonna- blement nécessaire».
À mon avis, ce critère «objectif» est analogue à celui qu'il faut utiliser pour déterminer si une loi fédérale en matière d'emploi porte atteinte à «l'égalité devant la loi» garantie par la Déclaration canadienne des droits. On ne m'a soumis aucun argument ni aucun élément de preuve tendant à établir qu'il est raisonnablement nécessaire qu'un fonctionnaire qui est autorisé à continuer à travail- ler après avoir atteint 65 ans puisse, contrairement à ses collègues qui n'ont pas encore atteint cet âge, être renvoyé pour n'importe quel motif ou sans motif. Je ne suis donc pas disposé à interpréter et à appliquer de cette manière le paragraphe 28 (11) du Règlement sur la pension de la Fonction publique.
En conséquence, je suis convaincu que la manière appropriée d'interpréter le paragraphe 28 (11) consiste à dire que cette disposition permet de mettre fin à un emploi lorsque son titulaire âgé de plus de 65 ans est incapable de s'acquitter adéquatement de ses fonctions pour des raisons attribuables à l'âge. De toute évidence, le deman- deur n'était pas dans cette situation et la défende- resse ne laisse pas entendre que c'était le cas. Il ressort de la correspondance échangée, ce qui n'est pas contesté, qu'il a été mis fin à l'emploi du demandeur en raison du surplus de personnel créé par la fusion de deux ministères du gouvernement. Par conséquent, cette cessation d'emploi n'est pas visée par les critères prescrits au paragraphe 28(11) et elle n'était donc pas autorisée par la loi.
Le demandeur a prétendu que le paragraphe 28(11) contrevient à l'article 15 de la Charte. Il est évident que tous les événements en cause se sont produits avant l'entrée en vigueur de l'article 15, le 17 avril 1985. En conséquence, je ne peux examiner cet argument plus en détail.
Le demandeur a également soutenu que le para- graphe 28 (11) outrepasse les pouvoirs du gouver- neur en conseil, et il a cité comme précédent l'arrêt R. c. Robertson, [1972] C.F. 796 (C.A.). Dans cette affaire, la Cour d'appel a jugé invalide, parce qu'il outrepassait les pouvoirs du gouverneur en conseil, un autre paragraphe du Règlement qui visait à autoriser un sous-ministre à mettre fin, à sa discrétion, à l'emploi de personnes entrant dans
la catégorie des 60 65 ans. Cette disposition diffère du présent paragraphe 28(11) du Règle- ment. La disposition législative permettant l'adop-
tion de ce Règlement autorisait le gouverneur en conseil à fixer l'âge général de retraite et à pres- crire certaines conditions en vertu desquelles l'em- ploi pouvait être prolongé au-delà de cet âge. Au contraire, dans le paragraphe du Règlement dont il est question dans l'arrêt Robertson, le gouverneur en conseil avait voulu stipuler que, malgré l'âge général de retraite fixé à 65 ans, un sous-ministre pouvait décider de mettre fin à l'emploi d'une personne avant qu'elle ait atteint cet âge. Ce n'était pas ce que permettait le pouvoir de régle- mentation et la Cour d'appel a statué en ce sens. En l'espèce, le paragraphe 28(11) n'excède pas le pouvoir de réglementation puisqu'il permet de pro- longer l'emploi après l'âge normal de retraite.
Les parties ont convenu que si je me prononçais en faveur du demandeur quant au fond, ce que je fais, ce dernier aurait alors droit à une somme de 70 215,17 $ [ TRADUCTION] «plus les intérêts, s'il y a lieu». À mon avis, l'intérêt n'est payable qu'à compter de la date du jugement. Les articles 35 et 40 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10] m'empêchent d'accorder un inté- rêt avant jugement contre la Couronne à moins que le paiement d'un tel intérêt soit stipulé par contrat ou prévu par une loi. Voir, à titre d'exem- ples, les arrêts Eaton c. La Reine, [1972] C.F. 185 (ire inst.); et Corpex (1977) Inc. c. La Reine du chef du Canada (Requête et nouvelle audition), [1982] 2 R.C.S. 674. Même si, en vertu de l'article 3 de la Loi sur la responsabilité de la Couronne [S.R.C. 1970, chap. C-38], la Couronne fédérale peut être condamnée, dans le cadre d'actions en responsabilité, à verser un intérêt avant jugement lorsqu'un tel intérêt serait payable en vertu de la loi provinciale applicable au délit en question, il n'existe pas de tel pouvoir général en ce qui con- cerne les actions contractuelles du genre de celle qui nous intéresse. L'avocat du demandeur a été incapable de m'indiquer quelque stipulation con- tractuelle ou disposition législative habilitante pré- voyant le paiement d'un intérêt avant jugement dans les circonstances de l'espèce. Je pourrais, en vertu de l'article 40 de la Loi sur la Cour fédérale, fixer l'intérêt après jugement à un taux supérieur à celui prescrit par la Loi sur l'intérêt [S.R.C. 1970, chap. I-18]. Cependant, comme l'avocat du demandeur n'a pas présenté de demande explicite à cet effet et que je n'ai pas eu l'occasion d'enten- dre le pour et le contre sur ce que serait un taux approprié, je ne ferai donc aucune adjudication spéciale à cet égard.
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