T-1531-85
Holachten Meadows Mobile Home Park Ltd.
(demanderesse)
c.
La Reine du chef du Canada et Bande indienne de
Lakahahmen (défenderesses)
Division de première instance, juge Dubé—Van-
couver, 9 et 15 janvier 1986.
Compétence — Cour fédérale — Division de première ins
tance — Requête visant à obtenir une ordonnance annulant la
résiliation d'un bail consenti à la demanderesse — La Cour
fédérale a compétence pour annuler la résiliation, mais un
jugement déclaratoire ne peut être obtenu par voie de requête
— Requête rejetée.
Propriétaire et locataire — Requête visant à obtenir une
ordonnance annulant la résiliation d'un bail consenti à la
demanderesse — Bail résilié par suite du non-paiement du
loyer et des taxes — Défaut admis — Renvoi aux trois critères
énoncés dans l'ouvrage The Law of Real Property de Megarry
et Wade, dont un tribunal doit tenir compte pour replacer le
locataire dans la même position malgré la résiliation —
Examen de la jurisprudence anglaise et canadienne — Il ne
suffit pas que la demanderesse paie le loyer et les taxes dus
ainsi que les dépenses pour que le bail soit remis en vigueur —
La Cour doit examiner le comportement du preneur pour
déterminer s'il a violé l'entente — La demanderesse a violé
plusieurs clauses — Requête rejetée — Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10 — Règles de la
Cour fédérale, C.R.C., chap. 663.
Equity — Résiliation d'un bail par suite du non-paiement
du loyer et des taxes — La demanderesse cherche à échapper à
la résiliation en payant le loyer et les taxes dus ainsi que les
dépenses — La Cour doit examiner la conduite du preneur
afin de déterminer s'il se présente avec la conscience tranquille
— La demanderesse a violé plusieurs clauses — Requête
rejetée.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Dennaoui v. Green Gables Fine Foods Ltd. (1974), 47
D.L.R. (3d) 609 (C.S.N.-E.); Pacific Salmon Industries
Inc. c. La Reine, [1985] 1 C.F. 504 (1" inst.); Western
Mortgage Development Corporation v. H. & D. Invest
ments Ltd. and Jardine Holdings Ltd., jugement en date
du 6 août 1982, Cour suprême de la Colombie-Britanni-
que, H822074, non publié; Shiloh Spinners Ltd. v. Har-
ding, [1973] A.C. 691 (H.L.); Gleneagle Manor Ltd. et
al. v. Finn's of Kerrisdale Ltd. et al. (1980), 116 D.L.R.
(3d) 617 (C.S.C.-B.); Re Jeans West Unisex Ltd. and
Hung et al. (1975), 9 O.R. (2d) 390 (H.C.).
DÉCISION ÉCARTÉE:
Gill v. Lewis, [1956] 1 All E.R. 844 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Comtab Ventures Ltd. c. R. du chef du Can. (1984), 35
Alta. L.R. (2d) 230 (C.F. I'° inst.).
AVOCATS:
D. B. Hyndman pour la demanderesse.
George C. Carruthers pour la défenderesse, la
Reine du chef du Canada.
P. G. Voith et D. I. Schneiderman pour la
défenderesse, Bande indienne de Lakahah-
men.
PROCUREURS:
Freeman & Company, Vancouver, pour la
demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse, la Reine du chef du Canada.
Davis & Company, Vancouver, pour la défen-
deresse, Bande indienne de Lakahahmen.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE DUBÉ: Dans la présente requête, la
demanderesse sollicite une ordonnance annulant la
résiliation d'un bail de 50 ans qui lui a été consenti
le 1er juin 1977 par le ministre des Affaires indien-
nes et du Nord canadien, en sa qualité de représen-
tant de Sa Majesté la Reine, sur un terrain situé
dans la réserve indienne de Holachten en
Colombie-Britannique.
Sa Majesté a résilié le bail en février 1985 par
suite du non-paiement du loyer et des taxes. Pour
les fins de la présente requête, la demanderesse
reconnaît qu'à l'époque, elle manquait à ces deux
obligations.
Il est bien établi que, suivant la common law, le
locataire qui ne possède aucun autre moyen de
défense peut encore échapper à la résiliation en
demandant redressement après avoir versé le loyer
dû. Comme l'a indiqué la Cour suprême de la
Nouvelle-Écosse dans l'affaire Dennaoui v. Green
Gables Fine Foods Ltd. (1974), 47 D.L.R. (3d)
609 (C.S.N.-É.), à la page 613, Meggary & Wade
ont clairement énoncé les critères applicables dans
leur ouvrage The Law of Real Property.
[TRADUCTION] Dans Law of Real Property, 3 0 éd. (1966),
les auteurs Megarry et Wade affirment à la p. 666:
Même lorsque le locataire ne possède aucun autre moyen de
défense, il peut toujours échapper à la résiliation en demandant
redressement. On recourt beaucoup à ce pouvoir qui revêt une
grande importance pour les locataires et qui restreint considéra-
blement le pouvoir de résiliation conféré au propriétaire par la
common law.
a) La demande. Suivant l'equity, un droit de reprise de
possession ne constituait qu'une garantie pour le paiement du
loyer, de sorte que
(i) si le locataire payait le loyer dû;
(ii) si le locataire payait toutes les dépenses que le proprié-
taire avait dû engager; et
(iii) s'il était juste et équitable d'accorder un redressement,
l'equity replacerait le locataire dans la même position malgré la
résiliation du bail.
La demanderesse soutient qu'il lui suffit de
verser le loyer et les taxes dus ainsi que toutes les
dépenses pour que le bail soit remis en vigueur. En
revanche, les défenderesses prétendent que, le
redressement demandé étant un recours en equity,
la cour doit également examiner si la preneur n'a
pas, par sa conduite, violé l'entente. A mon avis,
suivant la jurisprudence anglaise et canadienne,
c'est le point de vue des défenderesses qui est le
bon. En fait, c'est ce que prévoit le troisième
critère de Megarry suivant lequel on doit se
demander [TRADUCTION] «s'il était juste et équi-
table d'accorder un redressement».
La demanderesse s'appuie principalement sur
l'arrêt Gill v. Lewis, [1956] 1 All E.R. 844 (C.A.),
où le lord juge Jenkins a dit, à la page 852:
[TRADUCTION] À titre de conclusion générale, j'estime que
le rôle de la cour, lorsqu'elle exerce sa compétence en equity,
consiste, sauf dans des circonstances exceptionnelles, à accorder
un redressement lorsque le montant total du loyer et des frais
en souffrance a été acquitté et (de façon générale) à ne tenir
aucun compte des autres motifs de plainte que le propriétaire
peut avoir contre le locataire. La question consiste à se deman-
der si, à supposer que tout soit payé, le propriétaire n'aura pas
été indemnisé entièrement; la cour est d'avis que s'il obtient la
totalité du loyer et des frais, il reçoit alors tout ce à quoi il a
droit en ce qui concerne le loyer, et les considérations de bris de
contrat étrangères à la question n'ont, généralement parlant,
aucune pertinence.
D'autres tribunaux n'ont pas souscrit à ce point
de vue. Ils ont scruté la conduite du locataire afin
de déterminer s'il se présentait à la cour d'equity
avec la conscience tranquille.
Dans Shiloh Spinners Ltd. v. Harding, [1973]
A.C. 691 (H.L.), lord Wilberforce de la Chambre
des lords a dit, à la page 723:
[TRADUCTION] Je souscrirais pleinement au principe suivant:
il reste encore vrai aujourd'hui que l'equity demande aux
individus d'exécuter les marchés qu'ils ont conclus et qu'elle ne
les laissera pas s'en libérer en effectuant un paiement non
stipulé par contrat. Toutefois, il est conforme à ces principes de
réaffirmer le droit des cours d'equity, dans des cas appropriés
et restreints, d'annuler la résiliation pour violation d'une stipu
lation ou condition lorsque le but premier du marché est de
garantir un résultat déterminé qui pourra effectivement être
atteint lorsque l'affaire sera soumise à la cour, et lorsque la
disposition qui prévoit la résiliation a été ajoutée afin d'assurer
que ce résultat soit atteint. Le terme «appropriés» implique
l'examen de la conduite de la personne qui revendique le
redressement, particulièrement afin de savoir si son manque-
ment était volontaire, de la gravité des violations et de l'écart
entre la valeur du bien pour lequel la résiliation est demandée
et le préjudice causé par la violation.
Dans Gleneagle Manor Ltd. et al. v. Finn's of
Kerrisdale Ltd. et al. (1980), 116 D.L.R. (3d) 617
(C.S.C.-B.), le juge Locke de la Cour suprême de
la Colombie-Britannique, invoquant l'affaire Gill
v. Lewis (précitée) et de nombreuses autres déci-
sions, a statué que la cour doit non seulement tenir
compte du défaut du locataire de payer le loyer
lorsque celui-ci est exigible, mais aussi de l'ensem-
ble de son comportement.
Dans Re Jeans West Unisex Ltd. and Hung et
al. (1975), 9 O.R. (2d) 390 (H.C.), le juge Good-
man de la Haute Cour de justice de l'Ontario a
statué que lorsque le locataire a violé plusieurs
stipulations, outre celle qui concerne le paiement
du loyer et des taxes, la cour ne devrait pas exercer
son pouvoir discrétionnaire en faveur du locataire.
Dans Western Mortgage Development Corpora
tion v. H. & D. Investments Ltd. and Jardine
Holdings Ltd. (inédit), C.S.C.-B., greffe de Van-
couver H822074, 6 août 1982, le juge Spencer de
la Cour suprême de la Colombie-Britannique a
clairement résumé, à la page 3, les principes fon-
damentaux en cause:
[TRADUCTION] Je me fonde tout d'abord sur le principe qu'il
faut, a priori, obliger les parties à s'en tenir aux conditions
stipulées dans le marché qu'elles ont conclu. Se superpose à ce
premier principe le pouvoir discrétionnaire de la cour d'annuler
la résiliation. Redressement ne devrait pas être accordé lors-
qu'on a fait montre d'un mépris évident à l'égard des obliga-.
tions contractuelles.
Je dois donc examiner le comportement du loca-
taire en l'espèce. Les affidavits non contestés
soumis en preuve par les défenderesses laissent très
clairement voir que la demanderesse était un mau-
vais locataire et qu'outre son défaut de payer le
loyer et les taxes, ce qu'elle a admis, elle a violé
plusieurs clauses du bail. La demanderesse a
enlevé quelque quarante chargements de gravier
par camion des lieux loués, ce qui était expressé-
ment interdit dans le bail. Elle n'a pas complété la
phase 1 des travaux comme elle devait le faire en
vertu du bail au plus tard le l er janvier 1983. La
phase 2 du développement prévu au bail devait
commencer au plus tard le ler janvier 1983. La
demanderesse n'a pas effectué de travaux impor-
tants.
Toujours suivant les affidavits, en mars 1985, le
parc de maisons mobiles était dans un état de
délabrement général: de nombreux véhicules aban-
donnés traînaient un peu partout, les routes étaient
mal entretenues, les systèmes d'aqueduc et d'égout
étaient inadéquats, il n'y avait aucun aménage-
ment paysager et le nombre des locataires dimi-
nuait de façon importante. Depuis ce temps, la
bande a pris en charge l'administration et l'exploi-
tation du parc de maisons mobiles et elle a dépensé
des sommes considérables afin d'en améliorer
l'état général.
Suivant les affidavits produits par plusieurs
locataires du parc, les conditions de vie y étaient
inacceptables, l'approvisionnement en eau étant
insuffisant, les fosses septiques n'étant pas entrete-
nues adéquatement et les routes et terrains se
trouvant dans un état d'abandon général. Les deux
défenderesses conviennent que le fait d'accorder le
redressement demandé par la demanderesse et de
lui remettre l'administration du parc de maisons
mobiles perpétuerait ces conditions inacceptables
et ce, au détriment du projet, de la bande indienne
et de la santé des locataires de maisons mobiles qui
s'y trouvent toujours.
Le redressement demandé est par conséquent
refusé.
Dès le début de l'audience, j'ai exprimé des
doutes quant à la compétence de la Cour d'accor-
der le redressement demandé par voie de requête.
Il est indubitable que la présente action visant à
obtenir un jugement déclaratoire contre la Cou-
ronne a été intentée à juste titre devant cette Cour,
mais ni la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970
(2 e Supp.), chap. 10] ni les Règles de la Cour
fédérale [C.R.C., chap. 663] ne prévoient expres-
' sément de redressement provisoire contre la résilia-
tion. Dans l'affaire Pacific Salmon Industries Inc.
c. La Reine, [1985] 1 C.F. 504 (1"e inst.) mon
collègue le juge Strayer fait remarquer avec perti
nence que «les jugements déclaratoires ne sau-
raient être demandés par voie de requête». Il pour-
suit (à la page 510):
... il semble que la requête vise à obtenir des décisions provisoi-
res, une telle requête ne reposant sur aucune autorité ...
Dans une autre décision rendue en 1984,
Comtab Ventures Ltd. c. R. du chef du Can.
(1984), 35 Alta. L.R. (2d) 230 (C.F. 1fe inst.), la
Cour s'est penchée sur un bail consenti à la Cou-
ronne par la demanderesse sur un immeuble utilisé
comme poste de facteurs à Calgary. La demande-
resse a intenté une action afin d'obtenir un juge-
ment déclaratoire portant résiliation du bail. Le
juge Strayer a dit, à la page 243:
Même si la compétence de la Cour d'annuler la résiliation du
bail n'a pas été mise en doute en l'espèce, j'estime qu'il est
prudent de confirmer que j'en suis venu à la conclusion que
cette compétence existe.
Après avoir examiné la Judicature Act of
Alberta [R.S.A. 1980, chap. J-1], la Loi sur la
Cour fédérale, Rhodes on Canadian Law of Land
lord and Tenant [5e éd., 1983] et l'affaire Den-
naoui (précitée), il a conclu [à la page 243] que «la
Cour fédérale a, en sa qualité de cour d'equity,
compétence pour annuler la résiliation du bail». Il
a donc accordé le redressement demandé, mais au
terme de l'audition d'une action et non de la
simple audition d'une requête visant à obtenir un
redressement provisoire.
La requête est donc rejetée avec dépens.
ORDONNANCE
La requête est rejetée avec dépens.
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