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A-855-85
Chambre des communes (requérante) c.
Conseil canadien des relations du travail et Alliance de la Fonction publique du Canada (intimés)
RÉPERTORIÉ: CHAMBRE DES COMMUNES C. CONSEIL CANA- DIEN DES RELATIONS DU TRAVAIL
Cour d'appel, juges Pratte, Hugessen et Lacom- be -Ottawa, 20 et 21 janvier et 23 avril 1986.
Relations du travail - Employés de la Chambre des com munes - Demande en vue de l'annulation d'une ordonnance accréditant l'Alliance de la Fonction publique comme agent négociateur - La Partie V du Code canadien du travail ne s'applique pas à ces employés - La Chambre des communes n'exploite pas une «entreprise fédérale» ainsi que l'exige la Partie V - La Chambre des communes n'est pas une «per- sonne» et n'est pas donc un «employeur» au sens de l'art. 107(1) - Il y a lieu de croire que ces employés sont des fonctionnaires à l'emploi de la Couronne et sont donc sous- traits au régime de la Partie V conformément à l'art. 109(4) - Le Conseil a outrepassé sa compétence - Demande accueillie - Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L- I, art. 2 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 28, art. 49), 107(1) (mod. par S.C. 1972, chap. 18, art. I), 108 (mod., idem), 109(4) (mod., idem) - Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1), art. 17, 37, 44, 71, 80 - Loi sur le Sénat et la Chambre des communes, S.R.C. 1970, chap. S-8, art. 4 - Loi sur la Chambre des communes, S.R.C. 1970, chap. H-9, art. 18 (mod. par S.C. 1985, chap. 39, art. 1) - Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-32 - Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-35 - Acte pour mieux assurer l'efficacité du service civil du Canada, en pourvoyant à la retraite, en certains cas particuliers, des personnes qui y sont employées, S.C. 1870, chap. 4, art. 9 - Loi sur la pension de la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-36, art. 2 - Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, chap. F-10, art. 2 - Loi sur l'indemnisation des employés de l'État, S.R.C. 1970, chap. G-8, art. 2(1) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 47, art. 21) - Loi sur le Bureau des traductions, S.R.C. 1970, chap. T-13, art. 4(1) - Loi sur les restrictions salariales du secteur public, S.C. 1980-81-82-83, chap. 122, art. 3(1) Loi sur la saisie-arrêt et la distraction de pensions, S.C. 1980-81-82-83, chap. 100 (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 171) - L'Acte du Service Civil du Canada, 1868, S.C. 1868, chap. 34 - Loi de 1908 modifiant la Loi du service civil, S.C. 1908, chap. 15, art. 3(2), 45 - Loi du Service civil, 1918, S.C. 1918, chap. 12, art. 34 - Loi sur le service civil, S.C. 1960-61, chap. 57, art. 72 - Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes visant les différends de travail, S.C. 1948, chap. 54, art. 53 - Loi 2 de 1984-85 portant affectation de crédits, S.C. 1984, chap. 16 - Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28.
Il s'agit d'une demande fondée sur l'article 28 et visant la décision du Conseil canadien des relations du travail d'accrédi- ter l'Alliance de la Fonction publique comme agent négociateur de tous les employés affectés aux services généraux de la Chambre des communes. La requérante, la Chambre des com munes, prétend que la Partie V du Code canadien du travail ne s'applique pas aux employés soumis à son contrôle et que le Conseil a excédé sa compétence en rendant cette décision.
Arrêt: La demande devrait être accueillie.
Le juge Pratte: La Partie V du Code s'applique aux employés «dans le cadre d'une entreprise fédérale». La question est de savoir si le Parlement exploite une entreprise fédérale. On a cité la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Conseil canadien des relations du travail et autre c. Yellowknife, [1977] 2 R.C.S. 729, il a été jugé que le Code canadien du travail s'appliquait aux employés des corporations municipales des Territoires du Nord-Ouest. On a établi des points communs entre les deux affaires. Toutefois, malgré ces points communs, la situation de la Chambre des communes est fondamentalement différente de celle d'une corporation munici- pale. Pour remplir ses obligations, une corporation municipale doit exercer diverses activités ne différant pas de celles des sociétés privées. Les activités de la Chambre sont d'une autre nature: elles sont accessoires à l'exécution de son unique tâche, qui consiste à participer au processus législatif; pour cette raison, elles ne peuvent pas être assimilées à celles des employeurs du secteur privé. Étant donné cette distinction importante, il ne peut être inféré de la décision rendue dans l'affaire Yellowknife que les activités de la Chambre des com munes sont englobées dans les expressions «entreprise, affaire ou ouvrage de compétence fédérale» ou «entreprise fédérale».
La conclusion selon laquelle la Partie V du Code ne s'appli- que pas aux employés de la Chambre des communes se trouve renforcée par l'historique du Code canadien du travail et des lois relatives au service civil. C'est la Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes visant les différends du travail de 1948 qui a précédé la Partie V du Code. Cette Loi prévoyait, ainsi que le fait la Partie V actuelle, l'accréditation d'agents négociateurs et la négociation collective obligatoire. Une nou- velle Loi sur le service civil a été adoptée en 1961. Bien que cette Loi ne s'appliquât pas aux employés de la Chambre des communes, elle conférait à la Chambre des communes le pouvoir d'appliquer l'une quelconque de ses dispositions à ses fonctionnaires. On supposait que, si la Partie V du Code s'appliquait aux employés de la Chambre des communes, il s'ensuivrait nécessairement que la Loi de 1948 leur était égale- ment applicable. Ce serait absurde que le Parlement, après avoir accordé aux employés de la Chambre des communes le droit à la négociation collective obligatoire en 1948, ait donné à leurs employeurs en 1961 le pouvoir discrétionnaire de les priver de ce droit. On devrait éviter de prêter une telle intention au Parlement.
L'application du Code à la Chambre des communes oblige- rait celle-ci à se conformer aux décisions du ministre du Travail et aux règlements du gouverneur en conseil et pourrait conduire à un affrontement entre, d'une part, la Chambre et son prési- dent et, d'autre part, le Conseil canadien des relations du travail et la Cour. Il faudrait éviter une telle situation.
Le juge Hugessen: La Chambre des communes n'est pas un «employeur» suivant le sens donné à ce terme par le paragraphe 107(1) du Code canadien du travail, qui définit un employeur comme étant une «personne». Rien dans la Loi constitutionnelle de 1867 ou dans le droit, la coutume et les conventions constitu- tionnels ne confère à la Chambre la personnalité morale. Il n'y a aucune source doctrinale ou jurisprudentielle indiquant que la Chambre des communes puisse être une personne.
En outre, les employés concernés sont expressément exclus de la Partie V du Code. Selon le paragraphe 109(4), la Partie V «ne s'applique pas à l'égard des emplois au service de Sa Majesté du chef du Canada» hors les cas prévus à l'article 109. Il semble exister de sérieux indices que les employés en question sont, en réalité, des préposés de la Couronne. Premièrement, les hauts fonctionnaires de la Chambre sont des fonctionnaires de la Couronne qui sont nommés par décret du conseil. Ce sont eux qui, dans les faits, embauchent et dirigent les employés. Deuxièmement, les traitements et les avantages des employés sont prévus dans les diverses lois portant affectation de crédits qui accordent à «Sa Majesté certaines sommes d'argent pour le gouvernement du Canada». La Chambre des communes figure à l'annexe de ces lois sous la rubrique «Parlement». Finalement, quant à plusieurs aspects accessoires de leur emploi, les employés de la Chambre des communes ne semblent pas se distinguer des autres membres de la Fonction publique: ils travaillent dans des édifices appartenant à la Couronne, leurs outils de travail sont des biens publics et leurs chèques de paye proviennent du ministère des Approvisionnements et Services.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Gabias c. L'Assemblée législative de la province de Québec, 138-195, juge Casgrain, Cour supérieure du district de Québec, 3 mai 1965, non publiée.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Conseil canadien des relations du travail et autre c. Yellowknife, [1977] 2 R.C.S. 729; Alliance de la Fonc- tion publique du Canada c. Francis et autres, [1982] 2 R.C.S. 72.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Tone River, (Conservators of), v. Ash (1829), 109 E.R. 479 (K.B.); The Queen v. MacLean (1881), 8 R.C.S. 210; Kimmitt v. The Queen (1896), 5 R.C.E. 130.
DÉCISION CITÉE:
Newcastle (Duke of) v. Morris (1870), L.R. 4 H.L. 661. AVOCATS:
John D. Richard, c.r., Emilio Binavince et Russell Zinn pour la requérante.
Robert Monette et Dianne Pothier pour le Conseil canadien des relations du travail, intimé.
Andrew J. Raven et N. J. Schultz pour l'Al- liance de la Fonction publique du Canada, intimée.
James I. Minnes et Peter K. Doody pour la Bibliothèque du Parlement.
R. L. du Plessis, c.r. et Mark A. Audcent pour le Sénat du Canada.
Denis J. Power, c.r., pour l'Association natio- nale des employés et techniciens en radiodif- fusion (NABET).
Gérard Guay pour l'Association des employés du service de sécurité de la Chambre des communes.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour la requérante.
Ogilvy, Renault, Montréal, pour le Conseil canadien des relations du travail, intimé. Soloway, Wright, Houston, Greenberg, O'Grady, Morin, Ottawa, pour l'Alliance de la Fonction publique du Canada, intimée. Scott & Aylen, Ottawa, pour la Bibliothèque du Parlement.
Le Sénat du Canada pour son propre compte. Nelligan/Power, Ottawa, pour l'Association nationale des employés et techniciens en radiodiffusion (NABET).
Gérard Guay, Hull (Québec), pour l'Associa- tion des employés du service de sécurité de la Chambre des communes.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: La demande fondée sur l'article 28 en l'espèce vise la décision du Conseil canadien des relations du travail d'accréditer l'Al- liance de la Fonction publique comme agent négo- ciateur d'une unité comprenant:
... tous les employés affectés aux services généraux de la Chambre des communes du Canada fournissant les services de valet, de préposé aux ascenseurs, de répartition, de messager, de chauffeur, de nettoyage et d'entretien, d'entrepôt, de la prépa- ration des aliments, et du service à table, à l'exclusion des surveillants et ceux de niveau supérieur.
La requérante prétend que la Partie V du Code canadien du travail [S.R.C. 1970, chap. L-1] ne s'applique pas aux employés soumis à son contrôle et que, par conséquent, le Conseil a excédé sa compétence en rendant cette ordonnance.
La Chambre des communes a été créée par l'article 17 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appen- dice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1)], qui en a fait un des trois éléments constitutifs du Parlement:
17. Il y aura, pour le Canada, un Parlement composé de la Reine, d'une chambre haute appelée le Sénat et de la Chambre des communes.
L'article 4 de la Loi sur le Sénat et la Chambre des communes, S.R.C. 1970, chap. S-8', lui con- fère certaines attributions et certains privilèges:
4. Le Sénat et la Chambre des communes, respectivement, ainsi que leurs membres respectifs, possèdent et exercent
a) les mêmes privilèges, immunités et attributions que possé- daient et exerçaient, lorsque a été voté l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni, ainsi que ses membres, dans la mesure ils ne sont pas incompatibles avec ladite loi; et
b) les privilèges, immunités et attributions qui sont de temps à autre définis par une loi du Parlement du Canada, n'excé- dant pas ceux que possédaient et exerçaient, respectivement, à la date de cette loi, la Chambre des communes du Parle- ment du Royaume-Uni et ses membres.
Le droit d'avoir des employés fait partie de ces attributions. C'est en raison de cette attribution que la Loi sur la Chambre des communes, S.R.C. 1970, chap. H-9, modifiée [par S.C. 1985, chap. 39] 2 prévoit la création d'un Bureau de régie interne de la Chambre des communes chargé des questions financières et administratives intéressant la Chambre, «ses services et son personnel» et qu'elle prévoit également que peut être suspendu et démis pour motif d'inconduite et d'incompétence, tout «commis, fonctionnaire, messager ou autre préposé de la Chambre des communes».
Il est intéressant de noter que, alors que le président de la Chambre est élu par la Chambre conformément à l'article 44 de la Loi constitution- nelle de 1867, les autres officiers les plus impor- tants de la Chambre sont nommés par le gouver- neur en conseil par lettres patentes. C'est le cas du greffier, du greffier adjoint et du sergent-d'armes. Les autres employés de la Chambre, qui, aupara-
I Qui a été édictée pour la première fois en 1868: S.C. 1868, chap. 23, art. 1.
2 La première Loi sur la Chambre des communes a été édictée en 1868: S.C. 1868, chap. 27.
vaut, étaient engagés par les comités de la Cham- bre, sont maintenant engagés par le greffier et le sergent-d'armes et soumis à leur surveillance en demeurant, naturellement, soumis aux directives du Bureau de régie interne et du président.
La disposition sousmentionnée, qui a figuré dans nos recueils de lois de 1870 jusqu'à 1953, est révélatrice de l'importance accordée par le Parle- ment lui-même à ces attributions de la Chambre à l'endroit de ses employés. Une loi édictée en 1870 prévoyait la pension à être versée aux personnes employées dans le service civil'. L'article 9 de cette Loi la rendait applicable aux officiers et serviteurs permanents du Sénat et de la Chambre des communes; il était libellé en partie comme suit: (c'est moi qui souligne)
9. Les dispositions qui précèdent s'appliqueront ... aux officiers et serviteurs permanents du Sénat et de la Chambre des Communes, lesquels, pour les fins du présent acte, seront réputés former partie du service civil du Canada, en sauvegar- dant, toutefois, les droits et les privilèges légaux de l'une ou l'autre chambre en ce qui concerne la nomination ou la démis- sion de ses officiers et serviteurs ou d'aucun d'eux.
Les employés de la Chambe ne sont donc pas des fonctionnaires ordinaires. Il est clair, par exemple, que ni la Loi sur l'emploi dans la Fonc- tion publique, S.R.C. 1970, chap. P-32 ni la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publi- que, S.R.C. 1970, chap. P-35 ne leur est applica ble. Lorsqu'une loi traitant des fonctionnaires publics s'applique à ces employés, elle le dit expressément ".
Il est bien établi que le Parlement possède la compétence législative lui permettant de rendre la Partie V du Code canadien du travail applicable
3 S.C. 1870, chap. 4, art. 9 [intitulé Acte pour mieux assurer l'efficacité du service civil du Canada, en pourvoyant à la retraite, en certains cas particuliers, des personnes qui y sont employées]. Le chapitre 24 des Statuts révisés de 1927 ainsi que le chapitre 50 des Statuts révisés de 1952, qui ont tous deux été abrogés par S.C. 1952-53, chap. 47, art. 38, contenaient une disposition semblable à celle de l'article 9 de cette Loi.
4 Voir: Loi sur la pension de la Fonction publique, S.R.0 1970, chap. P-36, art. 2; Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, chap. F-10, art. 2; Loi sur l'indemnisation des employés de l'État, S.R.C. 1970, chap. G-8, par. 2(1) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 47, art. 21); Loi sur le Bureau des traductions, S.R.C. 1970, chap. T-13, par. 4(1); Loi sur les restrictions salariales du secteur public, S.C. 1980-81-82-83, chap. 122, par. 3(1); Loi sur la saisie-arrêt et la distraction de pensions, S.C. 1980-81-82-83, chap. 100 (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 171).
aux employés de la Chambre. La seule question soulevée dans ces procédures consiste à savoir s'il l'a effectivement fait.
En vertu de l'article 108 [mod. par S.C. 1972, chap. 18, art. 1], la Partie V du Code
108.... s'applique aux employés dans le cadre d'une entre- prise fédérale ...
À l'intérieur de l'article 2 [mod. par S.C. 1976-77, chap. 28, art. 49], les expressions «entre- prise, affaire ou ouvrage de compétence fédérale» ou «entreprise fédérale» sont définies de la façon suivante:
2. Dans la présente loi
«entreprise, affaire ou ouvrage de compétence fédérale» ou «entreprise fédérale» signifie tout ouvrage, entreprise ou affaire ressortissant au pouvoir législatif du Parlement du Canada, y compris, sans restreindre la généralité de ce qui précède:
a) tout ouvrage, entreprise ou affaire réalisé ou dirigé dans le cadre de la navigation et des expéditions par eau (internes ou maritimes), y compris la mise en service de navires et le transport par navire partout au Canada;
b) tout chemin de fer, canal, télégraphe ou autre ouvrage ou entreprise reliant une province à une ou plusieurs autres, ou s'étendant au-delà des limites d'une province;
e) toute ligne de navires à vapeur ou autres, reliant une province à une ou plusieurs autres, ou s'étendant au-delà des limites d'une province;
d) tout service de transbordeurs entre provinces ou entre une province et un pays autre que le Canada;
e) tout aéroport, aéronef ou ligne de transport aérien;
f) toute station de radiodiffusion;
g) toute banque;
h) tout ouvrage ou entreprise que le Parlement du Canada déclare (avant ou après son achèvement) être à l'avantage du Canada en général, ou de plus d'une province, bien que situé entièrement dans les limites d'une province; et
i) tout ouvrage, entreprise ou affaire ne ressortissant pas au pouvoir législatif exclusif des législatures provinciales;
Si ce n'était de la décision rendue par la Cour suprême dans l'affaire Conseil canadien des rela tions du travail et autre c. Yellowknife, [1977] 2 R.C.S. 729, je n'aurais aucune hésitation à dire que la Chambre des communes n'exploite pas une entreprise, une affaire ou un ouvrage et que, en conséquence, ses employés ne sont pas employés «dans le cadre d'une entreprise fédérale». En effet, la Chambre exécute la tâche que lui a confiée la Constitution, c'est-à-dire qu'elle participe au pro- cessus législatif. Cette tâche ne constitue pas, à mon avis, l'exploitation d'une entreprise, d'une
affaire ou d'un ouvrage. Le Parlement n'exploite pas une entreprise, une affaire ou un ouvrage de compétence fédérale ou une entreprise fédérale; la Chambre, qui n'est rien d'autre qu'un des éléments du Parlement, ne le fait pas non plus.
Dans l'affaire Conseil canadien des relations du travail et autre c. Yellowknife, le Conseil canadien des relations du travail avait accrédité un syndicat comme agent négociateur d'une unité d'employés de la ville de Yellowknife, une corporation munici- pale des Territoires du Nord-Ouest constituée par le Parlement; cette décision du Conseil a été annu- lée par cette Cour [[1976] 1 C.F. 387] pour le motif que le Conseil avait excédé sa compétence puisque la ville de Yellowknife n'exploitait pas une entreprise, une affaire ou un ouvrage de compé- tence fédérale ou une entreprise fédérale au sens de l'article 2 du Code canadien du travail; la Cour suprême a infirmé cette décision et conclu que le Code du travail s'appliquait aux employés des corporations municipales des Territoires du Nord- Ouest. Le juge Pigeon a énoncé l'opinion de la majorité de la Cour. Il a tout d'abord noté que selon l'interprétation donnée au Code par notre Cour, les employés de corporations municipales, dans les Territoires, ne bénéficieraient pas de la législation sur les négociations collectives obliga- toires; à son avis, ce résultat était contraire au but fondamental de la Partie V, exprimé dans le préambule promulguant la loi de 1972 dans sa forme actuelle. Il a alors mentionné que le pouvoir du Parlement de légiférer à l'égard des employés des Territoires du Nord-Ouest ne fait aucun doute et que l'alinéa i) de la définition de «entreprise, affaire ou ouvrage de compétence fédérale» ou «entreprise fédérale» indique l'intention d'exercer ce pouvoir. Il s'est alors attaqué à la question de savoir si, dans le contexte du Code du travail, la définition de l'expression «entreprise, affaire ou ouvrage de compétence fédérale» englobe les acti- vités d'une corporation municipale; après avoir rappelé la page 736] que «la compétence en matière de travail relève du pouvoir législatif sur l'exploitation et non sur la personne de l'em- ployeur», il a dit la page 738]:
A mon avis, il ne faut pas chercher à donner un sens restreint à l'un quelconque des termes «ouvrage, entreprise ou affaire» tels qu'ils sont utilisés dans le Code du travail, de façon à exclure de leur domaine toutes les activités des corporations municipales. Certaines d'entre elles, tels les systèmes d'adduc- tion d'eau et d'égouts, relèvent indubitablement du concept
d'«ouvrage». D'autres, tels les services de sûreté ou sanitaires, ne peuvent pas être exclus du domaine de l'«entreprise» sans dénaturer l'expression, et le terme «affaire» a été défini comme [TRADUCTION] «presque tout ce qui est une occupation, par opposition à un plaisir—n'importe quel devoir ou occupation qui exige de l'attention ...» (le lord juge Lindley, dans Rolls v. Miller, à la p. 88). Il va sans dire que le terme «affaire» est souvent appliqué à des activités poursuivies sans but lucratif. A mon avis, essayer d'établir une distinction dépendant du fait qu'un employeur est une compagnie privée ou une administra tion publique, serait contraire à tout le concept de classification des employés, à des fins de compétence, en fonction du carac- tère de l'entreprise. D'autres considérations peuvent prévaloir si l'employeur est le gouvernement ou une compagnie gouverne- mentale et ceci est manifeste dans l'art. 109 du Code du travail. Cependant, c'est une question dont nous n'avons pas à nous occuper en l'espèce.
Il est incontestable qu'une grande partie de l'ar- gumentation développée par le juge Pigeon dans cette affaire tend à appuyer la prétention des intimés en l'espèce selon laquelle le Code du tra vail est applicable aux employés de la Chambre des communes. Tout d'abord, l'interprétation donnée au Code par la requérante a pour effet de faire refuser à la fois aux employés de la Chambre et à ceux du Sénat le bénéfice de la négociation collective obligatoire. En second lieu, le Parlement du Canada n'est pas moins compétent pour légifé- rer à l'égard des employés du Parlement qu'il ne l'est en ce qui concerne les employés des Territoi- res du Nord-Ouest. Troisièmement, les activités de la Chambre, comme celles des corporations muni- cipales, sont des activités sans but lucratif et l'on peut peut-être dire que la Chambre, dans un sens très large, constitue, comme les corporations muni- cipales, un pouvoir public.
En dépit de ces points communs, à mon avis, la situation de la Chambre est fondamentalement différente de celle d'une corporation municipale. Pour remplir ses obligations, une corporation municipale doit exercer diverses activités ne diffé- rant pas de celles des sociétés privées. Les activités de la Chambre sont d'une autre nature: elles sont toutes accessoires à l'exécution de son unique tâche, qui consiste à participer au processus légis- latif. Pour ce motif, les activités de la Chambre, contrairement à la plupart des activités d'une cor poration municipale, ne peuvent être assimilées à celles des employeurs du secteur privé. Étant donné cette distinction importante, je suis d'avis qu'il ne peut être inféré de la décision de la Cour suprême dans cette affaire que les activités de la
Chambre des communes sont englobées par les expressions «entreprise, affaire ou ouvrage de com- pétence fédérale» ou «entreprise fédérale». Au con- traire, j'ai tendance à considérer que ces expres sions, si on leur donne ce qui m'apparaît être leur sens ordinaire et évident, n'englobent pas les acti-
vités de la Chambre.
L'historique des lois relatives au service civil et du Code du travail me confirme dans cette opinion.
Nous mentionnerons tout d'abord les lois relati ves au service civil. La première de ces lois a été édictée en 1868 5 . Elle ne s'appliquait pas aux employés de la Chambre. Toutefois, quarante ans plus tard, le champ d'application de la Loi du service civil, qui était en vigueur à l'époque, a été élargi par la Loi de 1908 modifiant la Loi du service civil» de façon à inclure les employés de la Chambre des communes, du Sénat et de la Biblio- thèque du Parlement. Le paragraphe 3(2) et l'arti- cle 45 de cette Loi étaient à l'origine de cette modification:
3....
2. Ce qui, dans la présente loi et dans la Loi du service civil, se rapporte à la nomination, à la classification, aux traitements et à l'avancement s'applique aux officiers, commis et employés à titre permanent des deux chambres du Parlement et de la bibliothèque du Parlement.
45. Chaque fois que les articles 5, 8, 10 (alinéa b du premier paragraphe), 21, 22, 23, 24, 26 (paragraphe 2), 32, 33, 36 et 37 (paragraphe 4) de la présente loi ou sous l'autorité de la Loi du service civil, autorisent ou prescrivent quelque chose qui est à effectuer par le Gouverneur en conseil ou par voie de décret du conseil, cette chose, lorsqu'il s'agit des officiers, commis et employés de la Chambre des communes ou du Sénat, doit se faire par la Chambre des communes ou par le Sénat, selon le cas, par voie de résolution, et lorsqu'il s'agit des officiers commis et employés de la bibliothèque du Parlement ou de ceux des autres officiers, commis ou employés qui sont sous la direction commune des deux chambres du Parlement, doit se faire par les deux chambres du Parlement par voie de résolu- tion, ou, si cette chose est nécessaire pendant la vacance du Parlement, par le Gouverneur en conseil, subordonnément à la ratification des deux Chambres, à la session prochaine.
Cette situation, selon laquelle la plupart des dispositions de la Loi du service civil étaient appli- cables aux employés du Parlement, a été prolongée
5 L'acte du Service Civil du Canada, 1868, S.C. 1868, chap. 34.
6 S.C. 1908, chap. 15, par. 3(2) et art. 45.
par l'effet de l'article 34 de la Loi du Service civil, 1918' et a subsisté jusqu'en 1961. La nouvelle Loi sur le service civil qui a été adoptée' au cours de cette année-là ne s'appliquait pas aux employés de la Chambre des communes, du Sénat et de la Bibliothèque du Parlement mais conférait à la Chambre des communes et au Sénat le pouvoir d'appliquer l'une quelconque de ses dispositions à leurs fonctionnaires, commis et employés. L'article 72 de cette Loi, dont, à ce qu'on nous a dit, le Sénat et la Chambre ne se sont jamais prévalus, était ainsi libellé:
72. (1) Le Sénat et la Chambre des communes peuvent, de la manière que prescrivent les paragraphes (2) et (3), appliquer l'une quelconque des dispositions de la présente loi aux fonc- tionnaires, commis et employés des deux Chambres du Parle- ment et de la Bibliothèque du Parlement.
(2) Toutes les mesures relatives aux fonctionnaires, commis et employés du Sénat ou de la Chambre des communes, que le Sénat ou la Chambre des communes en vertu du paragraphe (1) ou que le gouverneur en conseil en vertu de l'une quelcon- que des dispositions de la présente loi, rendue applicable à ceux-ci par le paragraphe (1), sont autorisés à prendre ou tenus de prendre, doivent être prises par le Sénat ou la Chambre des communes, selon le cas, par voie de résolution ou, si ces mesures sont nécessaires alors que le Parlement ne siège pas, par le gouverneur en conseil, sous réserve de ratification du Sénat ou de la Chambre des communes, selon le cas, à la session suivante.
(3) Toutes les mesures relatives aux fonctionnaires, commis et employés de la Bibliothèque du Parlement et aux autres fonctionnaires, commis et employés, placés sous l'autorité con- jointe des deux Chambres du Parlement, que le Sénat ou la Chambre des communes en vertu du paragraphe (1), ou que le gouverneur en conseil en vertu de l'une quelconque des disposi tions de la présente loi, rendue applicable à ceux-ci par le paragraphe (1), sont autorisés à prendre ou tenus de prendre, doivent être prises par les deux Chambres par voie de résolu- tion, ou, si ces mesures sont nécessaires alors que le Parlement ne siège pas, par le gouverneur en conseil, sous réserve de ratification des deux Chambres à la session suivante.
(4) Rien dans la présente loi ne peut s'interpréter comme restreignant les privilèges dont jouissent les fonctionnaires, commis et employés du Sénat, de la Chambre des communes ou de la Bibliothèque du Parlement, relativement à leur rang et préséance, ou à la présence, aux heures de bureau, aux congés, ou à la poursuite, alors que le Parlement ne siège pas, d'occupa- tions qui leur procurent un traitement ou une rémunération supplémentaires.
La Loi de 1961 est demeurée en vigueur jusqu'en 1967, alors qu'elle a été remplacée par la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique 9 et la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique 10 , qui ne s'appliquent pas aux employés
S.C. 1918, chap. 12.
8 S.C. 1960-61, chap. 57.
9 S.C. 1966-67, chap. 71, maintenant S.R.C. 1970, chap. P-32.
10 S.C. 1966-67, chap. 72, maintenant S.R.C. 1970, chap. P-35.
du Sénat, de la Chambre et de la Bibliothèque du Parlement et ne contiennent aucune disposition semblable à celles de l'article 72 de la Loi de 1961.
L'ordonnance d'accréditation sur laquelle porte le litige en l'espèce a été prononcée par le Conseil en vertu de la Partie V du Code canadien du travail. La Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes visant les différends du travail de 1948", qui a précédé la Partie V du Code, pré- voyait, ainsi que le fait la Partie V actuelle, l'ac- créditation d'agents négociateurs et la négociation collective obligatoire. Le champ d'application de cette Loi était en tout point semblable à celui de la Partie V 12 . Si donc nous supposons, pour les fins de la discussion, que la Partie V actuelle s'applique aux employés de la Chambre des communes, il s'ensuit nécessairement que la Loi de 1948 leur était également applicable. En d'autres termes, une fois que la Loi de 1948 est entrée en vigueur, ces employés qui, jusque-là, avaient été régis par la Loi du service civil en ce qui concernait leur nomination, leur classification, leur salaire et leur
" S.C. 1948, chap. 54.
12 L'article 53 de cette Loi en définit le champ d'application de la manière suivante:
53. La Partie I de la présente loi s'applique à l'égard des travailleurs employés aux ouvrages, entreprises ou affaires qui relèvent de l'autorité législative du Parlement du Canada, ou relativement à l'exploitation de ces choses, y compris, mais non de manière à restreindre la généralité de ce qui précède:
a) les ouvrages, entreprises ou affaires exécutés ou exercés pour ou concernant la navigation et la marine marchande, intérieures ou maritimes, y compris la mise en service de navires et le transport par navires partout au Canada;
b) les chemins de fer, canaux, télégraphes et autres ouvra- ges et entreprises, reliant une province à une ou plusieurs autres provinces, ou s'étendant au delà des limites d'une province;
c) les lignes de vapeurs et autres navires reliant une province à une ou plusieurs autres provinces, ou s'étendant au delà des limites d'une province;
d) les bacs transbordeurs entre une province et une autre, ou entre une province et tout pays autre que le Canada;
e) les aérodromes, aéronefs et lignes de transport aérien;
f) les stations de radiodiffusion;
g) les ouvrages ou entreprises qui, bien que situés entière- ment dans les limites d'une province, sont, avant ou après leur exécution, déclarés par le Parlement du Canada à l'avantage général du Canada ou à l'avantage de deux ou plusieurs provinces; et
h) tous ouvrages, entreprises ou affaires qui ne relèvent point de la compétence législative exclusive de la législa- ture de quelque province;
et à l'égard des patrons de ces travailleurs dans leurs rapports avec ces derniers, ainsi qu'à l'égard des syndicats ouvriers et organisations patronales composés desdits travailleurs ou patrons.
promotion, ont été soustraits à l'application de cette Loi et se sont vu accorder le droit à la négociation collective obligatoire, droit qui était alors refusé à tous les autres fonctionnaires. Dans ces circonstances, on se serait attendu à ce que la nouvelle Loi sur le service civil entrée en vigueur en 1961 ne s'applique aucunement à ces employés. En effet, ses dispositions sont incompatibles avec la négociation collective obligatoire. Ce n'était tou- tefois pas le cas puisque, ainsi que je l'ai déjà mentionné, la Loi sur le service civil de 1961 a conféré à chacune des Chambres le pouvoir d'ap- pliquer l'une quelconque des dispositions de la Loi à ses employés. Le Parlement aurait donc, après avoir accordé aux employés des deux Chambres le droit à la négociation collective obligatoire en 1948, donné à leurs employeurs le pouvoir discré- tionnaire de les priver de ce droit en 1961. À mon avis, l'on devrait éviter de prêter une intention aussi absurde au Parlement.
Selon moi, tout ceci démontre que le Parlement n'a jamais eu l'intention que la Loi sur les rela tions industrielles et sur les enquêtes visant les différends du travail de 1948 s'applique aux employés de la Chambre. Il s'ensuit qu'il n'a jamais, non plus, eu l'intention que la Partie V du Code canadien du travail s'applique à ces employés.
Le Parlement aurait évidemment pu soustraire expressément les employés de la Chambre et du Sénat à l'application de ces lois. Le motif pour lequel il n'a pas jugé nécessaire de le faire est toutefois facile à comprendre. Le principe suivant lequel l'abrogation d'un privilège du Parlement ou de ses membres ne peut se faire qu'au moyen d'une disposition expresse inscrite dans une loi est bien établi 13 . Or, les parlementaires considèrent, à tort ou à raison, que le droit de la Chambre et du Sénat de nommer et de contrôler les membres de leur personnel fait partie de leurs privilèges 1 ''.
" Newcastle (Duke of) v. Morris (1870), L.R. 4 H.L. 661.
14 Voir: S.C. 1870, chap. 4, art. 9, cité ci-haut la page 377] après la note de bas de page numéro 3.
Beauchesne, Règlement annoté et formulaire de la Chambre des communes du Canada (4' éd.), p. 337, art. 446:
446. Le contrôle et la direction des fonctionnaires de la Chambre appartiennent aussi complètement aux privilèges de la Chambre que la réglementation de ses propres opérations dans ses murs. Ces fonctionnaires sont assujetis à des règles et ordres de la Chambre qui font partie de la réglementation
(Suite à la page suivante)
Je conclurai par deux observations. Tout d'abord, l'application du Code à la Chambre des communes obligerait celle-ci à se conformer, dans bien des cas, aux décisions du ministre du Travail et aux règlements du gouverneur en conseil; cette conséquence me semble difficilement conciliable avec l'indépendance de la Chambre. En second lieu—et cette observation est la plus importante— l'application du Code à la Chambre conduirait, dans bien des cas, à un affrontement entre, d'une part, la Chambre et son président et, d'autre part, le Conseil et la Cour; une telle situation doit certainement être évitée.
J'accueillerais la demande, j'annulerais l'ordon- nance attaquée et je renverrais la question devant le Conseil pour qu'il en soit décidé en tenant pour acquis que la Partie V du Code canadien du travail ne s'applique pas aux employés de la Chambre des communes.
LE JUGE LACOMBE: Je souscris à ces motifs.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE HUGESSEN: J'ai eu l'avantage de lire les motifs de jugement de mon collègue le juge Pratte.
(Suite de la page précédente)
de ses opérations et qui relèvent tout autant de ses privilèges que l'institution des comités, la conduite de la chose publique et la conduite des Chambres en général, y compris les actes de l'Orateur lui-même dans l'exercice de ses fonctions.
Maingot, Parliamentary Privilege in Canada (1982), p. 157 (l'auteur place au rang des privilèges de la Chambre le droit de celle-ci de nommer et de [TRADUCTION] «diriger» les membres de son personnel).
La situation n'est guère différente au R.-U. Voir: G. F. Lock, «Labour Law, Parliamentary Staff and Parliamentary Privi lege» (1983), 12 Industrial Law Journal 28. Voir, également, le Hansard du 29 octobre 1975 (H.C. Deb. (U.K.) Vol. 898, col. 1694), dans lequel il est dit que, lors de la présentation à la Chambre de certaines modifications à l'Employment Pro tection Bill et à d'autres lois relatives au travail, modifica tions qui avaient pour effet d'étendre l'application de ces lois au personnel de la Chambre, le speaker adjoint a attiré l'attention de la Chambre sur le fait que ces modifications concernaient un privilège.
Je suis d'accord avec lui de manière générale et plus particulièrement avec son opinion suivant laquelle, si j'ai bien compris, il ressort d'une inter- prétation normale de la Partie V du Code canadien du travail qu'il n'a jamais été dans l'intention du législateur que cette Partie, tout comme la Loi qui l'a précédée, la Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes visant les différends du travail 15 , s'applique aux employés dont l'accrédita- tion est contestée en l'espèce, c'est-à-dire le person nel de la Chambre des communes. Comme cette opinion permet à elle seule de statuer sur la pré- sente demande fondée sur l'article 28, en temps normal je n'en dirais pas davantage. Cependant, étant donné l'importance de la question et surtout ses dimensions constitutionnelles, il m'apparaît opportun de mentionner très brièvement deux arguments supplémentaires qui, selon moi, com- mandent également un résultat identique.
En premier lieu, je suis d'avis que la Chambre des communes n'est pas un «employeur» suivant le sens donné à ce terme par le paragraphe 107(1) du Code canadien du travail [mod. par S.C. 1972, chap. 18, art. 1], qui définit un employeur comme étant une «personne».
Je ne vois pas par quelle opération de l'esprit ou par quel effort d'imagination je pourrais considé- rer la Chambre comme étant une personne. Elle est une assemblée de personnes, quoique, à n'en pas douter, la plus importante au pays. Selon moi, rien dans la Loi constitutionnelle de 1867 ou dans le droit, la coutume et les conventions constitution- nels ne confère à la Chambre la personnalité morale. En fait, tout favorise l'opinion contraire. Il est de l'essence d'une corporation d'être perpé- tuelle. Cependant, la Chambre des communes est, de par sa nature même, une création éphémère, la Constitution lui prescrivant une durée de vie maxi- male de cinq ans. Au moment de sa dissolution, la Chambre cesse d'exister. C'est présumément pour cette raison que l'on a jugé nécessaire d'édicter une disposition législative spéciale (l'article 18 de la Loi sur la Chambre des communes 16 ) qui prévoit
15 S.C. 1948, chap. 54.
16 S.R.C. 1970, chap. H-9 (mod. par S.C. 1985, chap. 39, art. 1).
que le Bureau de régie interne, l'organisme chargé «des questions financières et administratives inté- ressant la Chambre des communes, ses services et son personnel» continue de fonctionner après la dissolution. Il n'existe aucune disposition sembla- ble en ce qui concerne la Chambre elle-même.
La doctrine et la jurisprudence laisseraient entendre que le Parlement pourrait être une corpo ration. Dans Halsbury ", on affirme:
[TRADUCTION] ... le Parlement est une corporation multiple formée du Souverain, des pairs ecclésiastiques et laïques et des communes.
Une source jurisprudentielle et une source doc- trinale sont citées au soutien de cette prétention. La première, Tone River, (Conservators of), v. Ash'$, n'étaye pas le point de vue adopté par le savant rédacteur d'Halsbury et ne semble pas avancer autre chose que l'argument voulant qu'une loi peut créer une corporation autant par voie de déduction qu'en termes exprès.
La seconde source est la deuxième édition de Cowell's Interpreter, publiée à Londres en 1727, l'on affirme:
[TRADUCTION] Sous le régime de la common law, le Parlement est une corporation temporelle formée du Roi, la tête; des pairs ecclésiastiques et laïques et des communes, le corps.
Cet exposé dans Cowell, bien que cela ne soit pas indiqué expressément, semble lui-même tirer son origine d'un renvoi plutôt ambigu dans Y.B. 14, Hen. VIII, à la page 3, qui, en langage moderne, se lirait à peu près comme suit:
g Jury est Corporation par le Common Law, comme le Parlement du Roi, et Seigneurs, et les Communes sont une Corporation
Un peu comme le treizième coup d'une horloge, le fait d'inclure le jury dans ce renvoi jette un doute sur tout le reste; je ne peux imaginer d'orga-
17 Laws of England, 4' éd., Londres, 1974, vol. 9, par. 1231. e (1829), 109 E.R. 479 (K.B.).
nisme plus éphémère ou moins investi des attributs ordinaires de la personnalité morale que le jury de la common law, qui n'a été créé qu'à une fin seulement et dont l'existence cesse dès que cette fin a été réalisée ou même plus tôt encore, si l'un de ses membres meurt.
Cependant, quel que soit le statut du Parlement, je ne connais aucune source doctrinale ou jurispru- dentielle indiquant que la Chambre des communes puisse être une personne.
Il en existe cependant pour soutenir la thèse contraire. Dans l'arrêt Gabias c. L'Assemblée législative de la province de Québec 19 , le deman- deur qui avait été expulsé de son siège à l'Assem- blée, sollicitait une injonction en vue d'empêcher l'Assemblée et ses fonctionnaires d'exécuter la résolution d'expulsion. Les procédures ont été reje- tées sur une question de droit préliminaire, l'ab- sence de personnalité juridique de la défenderesse étant l'un des motifs invoqués. Après avoir cité les articles 71 et 80 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui prévoient la constitution de la Législa- ture et de l'Assemblée législative du Québec sensi- blement dans les mêmes termes que ceux des articles 17 et 37 concernant le Parlement et la Chambre des communes du Canada, le juge Cas- grain a déclaré ce qui suit:
Il n'y a donc rien dans ces textes qui confère à l'Assemblée législative une entité juridique au sens de la loi ayant le droit d'ester en justice. Tout ce que dit la Constitution est que l'Assemblée législative est composée de 65 représentants du peuple (maintenant 95) qui se réunissent au moins une fois par année pour légiférer. Il s'agit d'un corps législatif qui n'a pas une personnalité juridique distincte de celle de chacun des membres qui le composent et qui, par conséquent, ne peut être poursuivi comme tel.
À mon avis, ce raisonnement s'applique tout
19 Jugement inédit en date du 3 mai 1965, Cour supérieure, district de Québec, de greffe 138-195. Je suis redevable au professeur Stephen A. Scott, de la Faculté de droit de l'Univer- sité McGill, de m'avoir fait parvenir un commentaire inédit sur cet arrêt renfermant le texte intégral du jugement en question. Bien que l'affaire ait été abondamment commentée dans la presse à l'époque, il est déplorable qu'elle n'ait pas, pour autant que j'aie pu m'en assurer, trouvé place dans quelque publication juridique établie.
autant, et même davantage encore, à la Chambre des communes 20 .
Je ne crois pas non plus que la décision dans l'Alliance de la Fonction publique du Canada c. Francis et autres 2' commande une conclusion dif- férente. Cette affaire portait sur une ordonnance d'accréditation accordée par le Conseil canadien des relations du travail à l'égard des employés d'un conseil de bande indienne. La Cour a conclu que le conseil de bande, même s'il n'était pas une per- sonne morale, était un employeur aux fins de la Partie V du Code canadien du travail. Selon l'in- terprétation que j'en fais, cette décision repose sur deux considérations principales, premièrement, sur le fait que le conseil de bande était une création de la loi dont les pouvoirs statutaires exigeaient l'em- bauche de personnel et, deuxièmement, sur le fait que, si le conseil de bande n'était pas l'employeur, personne d'autre ne pouvait l'être.
Bien que, dans un certain sens, il soit possible de dire que la Chambre des communes est une créa- tion de la Loi constitutionnelle de 1867, je suis d'avis qu'une telle qualification a pour consé- quence de déprécier et la Chambre et la Constitu tion. La Chambre est beaucoup plus qu'une créa- tion de la Constitution: elle en est un élément essentiel en plus d'être l'institution la plus impor- tante de notre système de gouvernement libre et démocratique. Pour sa part, la Constitution est beaucoup plus qu'une loi: elle est la loi fondamen- tale du pays.
Qui plus est, les employés visés par l'accrédita- tion contestée en l'espèce ne sont pas dans la même position que les employés du conseil de bande, qui ne pouvaient avoir d'autre employeur. Au con- traire, les membres du personnel de la Chambre sont tout simplement, à mon avis, des employés de la Couronne.
20 Je suis conscient que, si la Chambre n'a pas de personnalité morale, il doit logiquement en découler qu'elle n'a pas qualité pour comparaître à titre de requérante aux présentes procédu- res. Ce point n'a toutefois pas été soulevé, et, comme il ne fait aucun doute dans mon esprit qu'on accorderait qualité pour agir à un haut fonctionnaire de la Chambre en vue d'intenter des procédures tendant à l'annulation d'une ordonnance qui, après tout, est nulle, je n'estime pas nécessaire de m'étendre davantage sur cette question. Il n'est pas sans intérêt de signa- ler que dans l'arrêt Gabias, précité, ce n'est pas l'Assemblée mais le procureur général qui a comparu devant la Cour pour solliciter l'annulation de la procédure.
21 [1982] 2 R.C.S. 72.
Cela m'amène au second motif supplémentaire pour lequel je suis d'accord avec la conclusion que propose le juge Pratte: à mon avis, non seulement la Partie V [du Code canadien du travail] ne s'applique pas aux employés concernés et la Cham- bre n'est pas un employeur au sens du Code, mais ceux-ci sont expressément exclus. La disposition législative pertinente est le praragraphe 109(4) [mod. par S.C. 1972, chap. 18, art. 1]:
109....
(4) Hors les cas prévus au présent article, la présente Partie ne s'applique pas à l'égard des emplois au service de Sa Majesté du chef du Canada.
Je reconnais que je m'aventure ici sur un terrain glissant car, bien que la question ait été posée aux parties lors de l'audition, aucune d'entre elles n'était disposée à plaider que les membres du personnel de la Chambre étaient des employés de la Couronne et ce, pour une raison bien évidente. Pour sa part, la Chambre fondait sa réclamation sur un prétendu privilège et n'était pas disposée à reconnaître aucun rôle à la Couronne en la matière, alors que, pour les intimés, une suggestion en ce sens serait suicidaire. Cependant, il me semble exister de très sérieux indices que les employés dont il est question en l'espèce sont, en réalité, des préposés de la Couronne.
Premièrement, comme l'a souligné le juge Pratte, les hauts fonctionnaires de la Chambre sont des fonctionnaires de la Courrone qui sont nommés par décret du Conseil. Ce sont eux qui, dans les faits, embauchent et dirigent les employés. Deuxièmement, les sommes nécessaires au paie- ment des traitements et avantages de ces employés sont prévues dans les diverses lois portant affecta tion de crédits qui, évidemment, comme leur titre l'indique, sont des lois «accordant à Sa Majesté certaines sommes d'argent pour le gouvernement du Canada». Sous la rubrique générale «Parle- ment», le Sénat, la Chambre des communes et la Bibliothèque du Parlement figurent à l'annexe de ces lois suivant leur ordre alphabétique, tout comme les autres ministères et organismes du gouvernement 22.
22 Voir, par exemple, S.C. 1984, chap. 16 [Loi no 2 de 1984-85 portant affectation de crédits].
Finalement, quant à plusieurs aspects accessoi- res de leur emploi, les membres du personnel de la Chambre des communes ne semblent pas se distin- guer des autres membres de la Fonction publique: ils travaillent dans des édifices appartenant à la Couronne, leurs outils de travail, qu'il s'agisse de balais, de téléphones ou d'ordinateurs, sont des bien publics et leurs chèques de paye proviennent du ministère des Approvisionnements et Services. Évidemment, ils ne sont pas visés par la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique et la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, mais cela est tout simplement au fait que l'application de ces Lois se limite à une liste (vaste toutefois) d'éléments de la Fonction publique (voir l'annexe I de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique).
Mes vues sur cette question ne sont pas inflé- chies par des décisions telles que The Queen v. MacLean (1881), 8 R.C.S. 210, et Kimmitt v. The Queen (1896), 5 R.C.É. 130. Selon mon interpré- tation de ces arrêts, ils n'étayent pas autre chose que le simple argument suivant lequel la Couronne ne peut être liée par un contrat conclu sans sa connaissance par la Chambre ou l'un de ses comités.
Je ne vois pas non plus en quoi la conclusion que les employés sont, en fait, des employés de la Couronne puisse porter atteinte de quelque façon aux privilèges de la Chambre. Au contraire, il me semble que l'un de ces privilèges est précisément que la Chambre doit pouvoir diriger et contrôler son personnel tout comme elle dirige et contrôle ses fonctionnaires, le greffier et le sergent-d'armes, même si techniquement ils sont des fonctionnaires de la Couronne. À Westminster, le Parlement siège dans un palais royal; pourtant, le privilège de la Chambre est tel que la Souveraine elle-même ne peut mettre le pied dans cette enceinte dont elle est nommément propriétaire.
Peut-être est-il possible en l'espèce d'établir une analogie avec le troisième élément fondamental du gouvernement, le pouvoir judiciaire. Depuis des centaines d'années, les tribunaux se sont eux aussi préoccupés de sauvegarder leurs privilèges contre toute incursion du pouvoir royal. Ils y sont parve nus et ce, malgré le fait qu'ils siègent dans des édifices appartenant à la Couronne et que les employés de cette dernière sont à leur service. Si
les membres du personnel des cours de justice sont des préposés de la Couronne, je ne vois aucune raison, principe ou précédent exigeant qu'il en soit autrement pour le personnel de la Chambre des communes.
Pour ces motifs, je conclurais comme le juge Pratte.
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