A-855-85
Chambre des communes (requérante)
c.
Conseil canadien des relations du travail et
Alliance de la Fonction publique du Canada
(intimés)
RÉPERTORIÉ: CHAMBRE DES COMMUNES C. CONSEIL CANA-
DIEN DES RELATIONS DU TRAVAIL
Cour d'appel, juges Pratte, Hugessen et Lacom-
be -Ottawa, 20 et 21 janvier et 23 avril 1986.
Relations du travail - Employés de la Chambre des com
munes - Demande en vue de l'annulation d'une ordonnance
accréditant l'Alliance de la Fonction publique comme agent
négociateur - La Partie V du Code canadien du travail ne
s'applique pas à ces employés - La Chambre des communes
n'exploite pas une «entreprise fédérale» ainsi que l'exige la
Partie V - La Chambre des communes n'est pas une «per-
sonne» et n'est pas donc un «employeur» au sens de l'art.
107(1) - Il y a lieu de croire que ces employés sont des
fonctionnaires à l'emploi de la Couronne et sont donc sous-
traits au régime de la Partie V conformément à l'art. 109(4) -
Le Conseil a outrepassé sa compétence - Demande accueillie
- Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L- I, art. 2
(mod. par S.C. 1976-77, chap. 28, art. 49), 107(1) (mod. par
S.C. 1972, chap. 18, art. I), 108 (mod., idem), 109(4) (mod.,
idem) - Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3
(R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5] (mod. par la Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi
constitutionnelle de 1982, n° 1), art. 17, 37, 44, 71, 80 - Loi
sur le Sénat et la Chambre des communes, S.R.C. 1970, chap.
S-8, art. 4 - Loi sur la Chambre des communes, S.R.C. 1970,
chap. H-9, art. 18 (mod. par S.C. 1985, chap. 39, art. 1) - Loi
sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap.
P-32 - Loi sur les relations de travail dans la Fonction
publique, S.R.C. 1970, chap. P-35 - Acte pour mieux assurer
l'efficacité du service civil du Canada, en pourvoyant à la
retraite, en certains cas particuliers, des personnes qui y sont
employées, S.C. 1870, chap. 4, art. 9 - Loi sur la pension de
la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-36, art. 2 - Loi
sur l'administration financière, S.R.C. 1970, chap. F-10, art. 2
- Loi sur l'indemnisation des employés de l'État, S.R.C.
1970, chap. G-8, art. 2(1) (mod. par S.C. 1980-81-82-83,
chap. 47, art. 21) - Loi sur le Bureau des traductions, S.R.C.
1970, chap. T-13, art. 4(1) - Loi sur les restrictions salariales
du secteur public, S.C. 1980-81-82-83, chap. 122, art. 3(1)
Loi sur la saisie-arrêt et la distraction de pensions, S.C.
1980-81-82-83, chap. 100 (mod. par S.C. 1980-81-82-83,
chap. 171) - L'Acte du Service Civil du Canada, 1868, S.C.
1868, chap. 34 - Loi de 1908 modifiant la Loi du service civil,
S.C. 1908, chap. 15, art. 3(2), 45 - Loi du Service civil, 1918,
S.C. 1918, chap. 12, art. 34 - Loi sur le service civil, S.C.
1960-61, chap. 57, art. 72 - Loi sur les relations industrielles
et sur les enquêtes visant les différends de travail, S.C. 1948,
chap. 54, art. 53 - Loi n° 2 de 1984-85 portant affectation de
crédits, S.C. 1984, chap. 16 - Loi sur la Cour fédérale,
S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28.
Il s'agit d'une demande fondée sur l'article 28 et visant la
décision du Conseil canadien des relations du travail d'accrédi-
ter l'Alliance de la Fonction publique comme agent négociateur
de tous les employés affectés aux services généraux de la
Chambre des communes. La requérante, la Chambre des com
munes, prétend que la Partie V du Code canadien du travail ne
s'applique pas aux employés soumis à son contrôle et que le
Conseil a excédé sa compétence en rendant cette décision.
Arrêt: La demande devrait être accueillie.
Le juge Pratte: La Partie V du Code s'applique aux employés
«dans le cadre d'une entreprise fédérale». La question est de
savoir si le Parlement exploite une entreprise fédérale. On a cité
la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans
l'affaire Conseil canadien des relations du travail et autre c.
Yellowknife, [1977] 2 R.C.S. 729, où il a été jugé que le Code
canadien du travail s'appliquait aux employés des corporations
municipales des Territoires du Nord-Ouest. On a établi des
points communs entre les deux affaires. Toutefois, malgré ces
points communs, la situation de la Chambre des communes est
fondamentalement différente de celle d'une corporation munici-
pale. Pour remplir ses obligations, une corporation municipale
doit exercer diverses activités ne différant pas de celles des
sociétés privées. Les activités de la Chambre sont d'une autre
nature: elles sont accessoires à l'exécution de son unique tâche,
qui consiste à participer au processus législatif; pour cette
raison, elles ne peuvent pas être assimilées à celles des
employeurs du secteur privé. Étant donné cette distinction
importante, il ne peut être inféré de la décision rendue dans
l'affaire Yellowknife que les activités de la Chambre des com
munes sont englobées dans les expressions «entreprise, affaire
ou ouvrage de compétence fédérale» ou «entreprise fédérale».
La conclusion selon laquelle la Partie V du Code ne s'appli-
que pas aux employés de la Chambre des communes se trouve
renforcée par l'historique du Code canadien du travail et des
lois relatives au service civil. C'est la Loi sur les relations
industrielles et sur les enquêtes visant les différends du travail
de 1948 qui a précédé la Partie V du Code. Cette Loi prévoyait,
ainsi que le fait la Partie V actuelle, l'accréditation d'agents
négociateurs et la négociation collective obligatoire. Une nou-
velle Loi sur le service civil a été adoptée en 1961. Bien que
cette Loi ne s'appliquât pas aux employés de la Chambre des
communes, elle conférait à la Chambre des communes le
pouvoir d'appliquer l'une quelconque de ses dispositions à ses
fonctionnaires. On supposait que, si la Partie V du Code
s'appliquait aux employés de la Chambre des communes, il
s'ensuivrait nécessairement que la Loi de 1948 leur était égale-
ment applicable. Ce serait absurde que le Parlement, après
avoir accordé aux employés de la Chambre des communes le
droit à la négociation collective obligatoire en 1948, ait donné à
leurs employeurs en 1961 le pouvoir discrétionnaire de les
priver de ce droit. On devrait éviter de prêter une telle intention
au Parlement.
L'application du Code à la Chambre des communes oblige-
rait celle-ci à se conformer aux décisions du ministre du Travail
et aux règlements du gouverneur en conseil et pourrait conduire
à un affrontement entre, d'une part, la Chambre et son prési-
dent et, d'autre part, le Conseil canadien des relations du
travail et la Cour. Il faudrait éviter une telle situation.
Le juge Hugessen: La Chambre des communes n'est pas un
«employeur» suivant le sens donné à ce terme par le paragraphe
107(1) du Code canadien du travail, qui définit un employeur
comme étant une «personne». Rien dans la Loi constitutionnelle
de 1867 ou dans le droit, la coutume et les conventions constitu-
tionnels ne confère à la Chambre la personnalité morale. Il n'y
a aucune source doctrinale ou jurisprudentielle indiquant que la
Chambre des communes puisse être une personne.
En outre, les employés concernés sont expressément exclus de
la Partie V du Code. Selon le paragraphe 109(4), la Partie V
«ne s'applique pas à l'égard des emplois au service de Sa
Majesté du chef du Canada» hors les cas prévus à l'article 109.
Il semble exister de sérieux indices que les employés en question
sont, en réalité, des préposés de la Couronne. Premièrement, les
hauts fonctionnaires de la Chambre sont des fonctionnaires de
la Couronne qui sont nommés par décret du conseil. Ce sont
eux qui, dans les faits, embauchent et dirigent les employés.
Deuxièmement, les traitements et les avantages des employés
sont prévus dans les diverses lois portant affectation de crédits
qui accordent à «Sa Majesté certaines sommes d'argent pour le
gouvernement du Canada». La Chambre des communes figure
à l'annexe de ces lois sous la rubrique «Parlement». Finalement,
quant à plusieurs aspects accessoires de leur emploi, les
employés de la Chambre des communes ne semblent pas se
distinguer des autres membres de la Fonction publique: ils
travaillent dans des édifices appartenant à la Couronne, leurs
outils de travail sont des biens publics et leurs chèques de paye
proviennent du ministère des Approvisionnements et Services.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Gabias c. L'Assemblée législative de la province de
Québec, n° 138-195, juge Casgrain, Cour supérieure du
district de Québec, 3 mai 1965, non publiée.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Conseil canadien des relations du travail et autre c.
Yellowknife, [1977] 2 R.C.S. 729; Alliance de la Fonc-
tion publique du Canada c. Francis et autres, [1982] 2
R.C.S. 72.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Tone River, (Conservators of), v. Ash (1829), 109 E.R.
479 (K.B.); The Queen v. MacLean (1881), 8 R.C.S. 210;
Kimmitt v. The Queen (1896), 5 R.C.E. 130.
DÉCISION CITÉE:
Newcastle (Duke of) v. Morris (1870), L.R. 4 H.L. 661.
AVOCATS:
John D. Richard, c.r., Emilio Binavince et
Russell Zinn pour la requérante.
Robert Monette et Dianne Pothier pour le
Conseil canadien des relations du travail,
intimé.
Andrew J. Raven et N. J. Schultz pour l'Al-
liance de la Fonction publique du Canada,
intimée.
James I. Minnes et Peter K. Doody pour la
Bibliothèque du Parlement.
R. L. du Plessis, c.r. et Mark A. Audcent
pour le Sénat du Canada.
Denis J. Power, c.r., pour l'Association natio-
nale des employés et techniciens en radiodif-
fusion (NABET).
Gérard Guay pour l'Association des employés
du service de sécurité de la Chambre des
communes.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour la
requérante.
Ogilvy, Renault, Montréal, pour le Conseil
canadien des relations du travail, intimé.
Soloway, Wright, Houston, Greenberg,
O'Grady, Morin, Ottawa, pour l'Alliance de
la Fonction publique du Canada, intimée.
Scott & Aylen, Ottawa, pour la Bibliothèque
du Parlement.
Le Sénat du Canada pour son propre compte.
Nelligan/Power, Ottawa, pour l'Association
nationale des employés et techniciens en
radiodiffusion (NABET).
Gérard Guay, Hull (Québec), pour l'Associa-
tion des employés du service de sécurité de la
Chambre des communes.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: La demande fondée sur
l'article 28 en l'espèce vise la décision du Conseil
canadien des relations du travail d'accréditer l'Al-
liance de la Fonction publique comme agent négo-
ciateur d'une unité comprenant:
... tous les employés affectés aux services généraux de la
Chambre des communes du Canada fournissant les services de
valet, de préposé aux ascenseurs, de répartition, de messager, de
chauffeur, de nettoyage et d'entretien, d'entrepôt, de la prépa-
ration des aliments, et du service à table, à l'exclusion des
surveillants et ceux de niveau supérieur.
La requérante prétend que la Partie V du Code
canadien du travail [S.R.C. 1970, chap. L-1] ne
s'applique pas aux employés soumis à son contrôle
et que, par conséquent, le Conseil a excédé sa
compétence en rendant cette ordonnance.
La Chambre des communes a été créée par
l'article 17 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30
& 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appen-
dice II, n° 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi
constitutionnelle de 1982, n° 1)], qui en a fait un
des trois éléments constitutifs du Parlement:
17. Il y aura, pour le Canada, un Parlement composé de la
Reine, d'une chambre haute appelée le Sénat et de la Chambre
des communes.
L'article 4 de la Loi sur le Sénat et la Chambre
des communes, S.R.C. 1970, chap. S-8', lui con-
fère certaines attributions et certains privilèges:
4. Le Sénat et la Chambre des communes, respectivement,
ainsi que leurs membres respectifs, possèdent et exercent
a) les mêmes privilèges, immunités et attributions que possé-
daient et exerçaient, lorsque a été voté l'Acte de l'Amérique
du Nord britannique, 1867, la Chambre des communes du
Parlement du Royaume-Uni, ainsi que ses membres, dans la
mesure où ils ne sont pas incompatibles avec ladite loi; et
b) les privilèges, immunités et attributions qui sont de temps
à autre définis par une loi du Parlement du Canada, n'excé-
dant pas ceux que possédaient et exerçaient, respectivement,
à la date de cette loi, la Chambre des communes du Parle-
ment du Royaume-Uni et ses membres.
Le droit d'avoir des employés fait partie de ces
attributions. C'est en raison de cette attribution
que la Loi sur la Chambre des communes, S.R.C.
1970, chap. H-9, modifiée [par S.C. 1985, chap.
39] 2 prévoit la création d'un Bureau de régie
interne de la Chambre des communes chargé des
questions financières et administratives intéressant
la Chambre, «ses services et son personnel» et
qu'elle prévoit également que peut être suspendu et
démis pour motif d'inconduite et d'incompétence,
tout «commis, fonctionnaire, messager ou autre
préposé de la Chambre des communes».
Il est intéressant de noter que, alors que le
président de la Chambre est élu par la Chambre
conformément à l'article 44 de la Loi constitution-
nelle de 1867, les autres officiers les plus impor-
tants de la Chambre sont nommés par le gouver-
neur en conseil par lettres patentes. C'est le cas du
greffier, du greffier adjoint et du sergent-d'armes.
Les autres employés de la Chambre, qui, aupara-
I Qui a été édictée pour la première fois en 1868: S.C. 1868,
chap. 23, art. 1.
2 La première Loi sur la Chambre des communes a été
édictée en 1868: S.C. 1868, chap. 27.
vaut, étaient engagés par les comités de la Cham-
bre, sont maintenant engagés par le greffier et le
sergent-d'armes et soumis à leur surveillance en
demeurant, naturellement, soumis aux directives
du Bureau de régie interne et du président.
La disposition sousmentionnée, qui a figuré dans
nos recueils de lois de 1870 jusqu'à 1953, est
révélatrice de l'importance accordée par le Parle-
ment lui-même à ces attributions de la Chambre à
l'endroit de ses employés. Une loi édictée en 1870
prévoyait la pension à être versée aux personnes
employées dans le service civil'. L'article 9 de
cette Loi la rendait applicable aux officiers et
serviteurs permanents du Sénat et de la Chambre
des communes; il était libellé en partie comme suit:
(c'est moi qui souligne)
9. Les dispositions qui précèdent s'appliqueront ... aux
officiers et serviteurs permanents du Sénat et de la Chambre
des Communes, lesquels, pour les fins du présent acte, seront
réputés former partie du service civil du Canada, en sauvegar-
dant, toutefois, les droits et les privilèges légaux de l'une ou
l'autre chambre en ce qui concerne la nomination ou la démis-
sion de ses officiers et serviteurs ou d'aucun d'eux.
Les employés de la Chambe ne sont donc pas
des fonctionnaires ordinaires. Il est clair, par
exemple, que ni la Loi sur l'emploi dans la Fonc-
tion publique, S.R.C. 1970, chap. P-32 ni la Loi
sur les relations de travail dans la Fonction publi-
que, S.R.C. 1970, chap. P-35 ne leur est applica
ble. Lorsqu'une loi traitant des fonctionnaires
publics s'applique à ces employés, elle le dit
expressément ".
Il est bien établi que le Parlement possède la
compétence législative lui permettant de rendre la
Partie V du Code canadien du travail applicable
3 S.C. 1870, chap. 4, art. 9 [intitulé Acte pour mieux assurer
l'efficacité du service civil du Canada, en pourvoyant à la
retraite, en certains cas particuliers, des personnes qui y sont
employées]. Le chapitre 24 des Statuts révisés de 1927 ainsi
que le chapitre 50 des Statuts révisés de 1952, qui ont tous deux
été abrogés par S.C. 1952-53, chap. 47, art. 38, contenaient une
disposition semblable à celle de l'article 9 de cette Loi.
4 Voir: Loi sur la pension de la Fonction publique, S.R.0
1970, chap. P-36, art. 2; Loi sur l'administration financière,
S.R.C. 1970, chap. F-10, art. 2; Loi sur l'indemnisation des
employés de l'État, S.R.C. 1970, chap. G-8, par. 2(1) (mod.
par S.C. 1980-81-82-83, chap. 47, art. 21); Loi sur le Bureau
des traductions, S.R.C. 1970, chap. T-13, par. 4(1); Loi sur les
restrictions salariales du secteur public, S.C. 1980-81-82-83,
chap. 122, par. 3(1); Loi sur la saisie-arrêt et la distraction de
pensions, S.C. 1980-81-82-83, chap. 100 (mod. par S.C.
1980-81-82-83, chap. 171).
aux employés de la Chambre. La seule question
soulevée dans ces procédures consiste à savoir s'il
l'a effectivement fait.
En vertu de l'article 108 [mod. par S.C. 1972,
chap. 18, art. 1], la Partie V du Code
108.... s'applique aux employés dans le cadre d'une entre-
prise fédérale ...
À l'intérieur de l'article 2 [mod. par S.C.
1976-77, chap. 28, art. 49], les expressions «entre-
prise, affaire ou ouvrage de compétence fédérale»
ou «entreprise fédérale» sont définies de la façon
suivante:
2. Dans la présente loi
«entreprise, affaire ou ouvrage de compétence fédérale» ou
«entreprise fédérale» signifie tout ouvrage, entreprise ou
affaire ressortissant au pouvoir législatif du Parlement du
Canada, y compris, sans restreindre la généralité de ce qui
précède:
a) tout ouvrage, entreprise ou affaire réalisé ou dirigé dans le
cadre de la navigation et des expéditions par eau (internes ou
maritimes), y compris la mise en service de navires et le
transport par navire partout au Canada;
b) tout chemin de fer, canal, télégraphe ou autre ouvrage ou
entreprise reliant une province à une ou plusieurs autres, ou
s'étendant au-delà des limites d'une province;
e) toute ligne de navires à vapeur ou autres, reliant une
province à une ou plusieurs autres, ou s'étendant au-delà des
limites d'une province;
d) tout service de transbordeurs entre provinces ou entre une
province et un pays autre que le Canada;
e) tout aéroport, aéronef ou ligne de transport aérien;
f) toute station de radiodiffusion;
g) toute banque;
h) tout ouvrage ou entreprise que le Parlement du Canada
déclare (avant ou après son achèvement) être à l'avantage du
Canada en général, ou de plus d'une province, bien que situé
entièrement dans les limites d'une province; et
i) tout ouvrage, entreprise ou affaire ne ressortissant pas au
pouvoir législatif exclusif des législatures provinciales;
Si ce n'était de la décision rendue par la Cour
suprême dans l'affaire Conseil canadien des rela
tions du travail et autre c. Yellowknife, [1977] 2
R.C.S. 729, je n'aurais aucune hésitation à dire
que la Chambre des communes n'exploite pas une
entreprise, une affaire ou un ouvrage et que, en
conséquence, ses employés ne sont pas employés
«dans le cadre d'une entreprise fédérale». En effet,
la Chambre exécute la tâche que lui a confiée la
Constitution, c'est-à-dire qu'elle participe au pro-
cessus législatif. Cette tâche ne constitue pas, à
mon avis, l'exploitation d'une entreprise, d'une
affaire ou d'un ouvrage. Le Parlement n'exploite
pas une entreprise, une affaire ou un ouvrage de
compétence fédérale ou une entreprise fédérale; la
Chambre, qui n'est rien d'autre qu'un des éléments
du Parlement, ne le fait pas non plus.
Dans l'affaire Conseil canadien des relations du
travail et autre c. Yellowknife, le Conseil canadien
des relations du travail avait accrédité un syndicat
comme agent négociateur d'une unité d'employés
de la ville de Yellowknife, une corporation munici-
pale des Territoires du Nord-Ouest constituée par
le Parlement; cette décision du Conseil a été annu-
lée par cette Cour [[1976] 1 C.F. 387] pour le
motif que le Conseil avait excédé sa compétence
puisque la ville de Yellowknife n'exploitait pas une
entreprise, une affaire ou un ouvrage de compé-
tence fédérale ou une entreprise fédérale au sens
de l'article 2 du Code canadien du travail; la Cour
suprême a infirmé cette décision et conclu que le
Code du travail s'appliquait aux employés des
corporations municipales des Territoires du Nord-
Ouest. Le juge Pigeon a énoncé l'opinion de la
majorité de la Cour. Il a tout d'abord noté que
selon l'interprétation donnée au Code par notre
Cour, les employés de corporations municipales,
dans les Territoires, ne bénéficieraient pas de la
législation sur les négociations collectives obliga-
toires; à son avis, ce résultat était contraire au but
fondamental de la Partie V, exprimé dans le
préambule promulguant la loi de 1972 dans sa
forme actuelle. Il a alors mentionné que le pouvoir
du Parlement de légiférer à l'égard des employés
des Territoires du Nord-Ouest ne fait aucun doute
et que l'alinéa i) de la définition de «entreprise,
affaire ou ouvrage de compétence fédérale» ou
«entreprise fédérale» indique l'intention d'exercer
ce pouvoir. Il s'est alors attaqué à la question de
savoir si, dans le contexte du Code du travail, la
définition de l'expression «entreprise, affaire ou
ouvrage de compétence fédérale» englobe les acti-
vités d'une corporation municipale; après avoir
rappelé [à la page 736] que «la compétence en
matière de travail relève du pouvoir législatif sur
l'exploitation et non sur la personne de l'em-
ployeur», il a dit [à la page 738]:
A mon avis, il ne faut pas chercher à donner un sens restreint
à l'un quelconque des termes «ouvrage, entreprise ou affaire»
tels qu'ils sont utilisés dans le Code du travail, de façon à
exclure de leur domaine toutes les activités des corporations
municipales. Certaines d'entre elles, tels les systèmes d'adduc-
tion d'eau et d'égouts, relèvent indubitablement du concept
d'«ouvrage». D'autres, tels les services de sûreté ou sanitaires,
ne peuvent pas être exclus du domaine de l'«entreprise» sans
dénaturer l'expression, et le terme «affaire» a été défini comme
[TRADUCTION] «presque tout ce qui est une occupation, par
opposition à un plaisir—n'importe quel devoir ou occupation
qui exige de l'attention ...» (le lord juge Lindley, dans Rolls v.
Miller, à la p. 88). Il va sans dire que le terme «affaire» est
souvent appliqué à des activités poursuivies sans but lucratif. A
mon avis, essayer d'établir une distinction dépendant du fait
qu'un employeur est une compagnie privée ou une administra
tion publique, serait contraire à tout le concept de classification
des employés, à des fins de compétence, en fonction du carac-
tère de l'entreprise. D'autres considérations peuvent prévaloir si
l'employeur est le gouvernement ou une compagnie gouverne-
mentale et ceci est manifeste dans l'art. 109 du Code du
travail. Cependant, c'est une question dont nous n'avons pas à
nous occuper en l'espèce.
Il est incontestable qu'une grande partie de l'ar-
gumentation développée par le juge Pigeon dans
cette affaire tend à appuyer la prétention des
intimés en l'espèce selon laquelle le Code du tra
vail est applicable aux employés de la Chambre
des communes. Tout d'abord, l'interprétation
donnée au Code par la requérante a pour effet de
faire refuser à la fois aux employés de la Chambre
et à ceux du Sénat le bénéfice de la négociation
collective obligatoire. En second lieu, le Parlement
du Canada n'est pas moins compétent pour légifé-
rer à l'égard des employés du Parlement qu'il ne
l'est en ce qui concerne les employés des Territoi-
res du Nord-Ouest. Troisièmement, les activités de
la Chambre, comme celles des corporations muni-
cipales, sont des activités sans but lucratif et l'on
peut peut-être dire que la Chambre, dans un sens
très large, constitue, comme les corporations muni-
cipales, un pouvoir public.
En dépit de ces points communs, à mon avis, la
situation de la Chambre est fondamentalement
différente de celle d'une corporation municipale.
Pour remplir ses obligations, une corporation
municipale doit exercer diverses activités ne diffé-
rant pas de celles des sociétés privées. Les activités
de la Chambre sont d'une autre nature: elles sont
toutes accessoires à l'exécution de son unique
tâche, qui consiste à participer au processus légis-
latif. Pour ce motif, les activités de la Chambre,
contrairement à la plupart des activités d'une cor
poration municipale, ne peuvent être assimilées à
celles des employeurs du secteur privé. Étant
donné cette distinction importante, je suis d'avis
qu'il ne peut être inféré de la décision de la Cour
suprême dans cette affaire que les activités de la
Chambre des communes sont englobées par les
expressions «entreprise, affaire ou ouvrage de com-
pétence fédérale» ou «entreprise fédérale». Au con-
traire, j'ai tendance à considérer que ces expres
sions, si on leur donne ce qui m'apparaît être leur
sens ordinaire et évident, n'englobent pas les acti-
vités de la Chambre.
L'historique des lois relatives au service civil et
du Code du travail me confirme dans cette
opinion.
Nous mentionnerons tout d'abord les lois relati
ves au service civil. La première de ces lois a été
édictée en 1868 5 . Elle ne s'appliquait pas aux
employés de la Chambre. Toutefois, quarante ans
plus tard, le champ d'application de la Loi du
service civil, qui était en vigueur à l'époque, a été
élargi par la Loi de 1908 modifiant la Loi du
service civil» de façon à inclure les employés de la
Chambre des communes, du Sénat et de la Biblio-
thèque du Parlement. Le paragraphe 3(2) et l'arti-
cle 45 de cette Loi étaient à l'origine de cette
modification:
3....
2. Ce qui, dans la présente loi et dans la Loi du service civil,
se rapporte à la nomination, à la classification, aux traitements
et à l'avancement s'applique aux officiers, commis et employés
à titre permanent des deux chambres du Parlement et de la
bibliothèque du Parlement.
45. Chaque fois que les articles 5, 8, 10 (alinéa b du premier
paragraphe), 21, 22, 23, 24, 26 (paragraphe 2), 32, 33, 36 et 37
(paragraphe 4) de la présente loi ou sous l'autorité de la Loi du
service civil, autorisent ou prescrivent quelque chose qui est à
effectuer par le Gouverneur en conseil ou par voie de décret du
conseil, cette chose, lorsqu'il s'agit des officiers, commis et
employés de la Chambre des communes ou du Sénat, doit se
faire par la Chambre des communes ou par le Sénat, selon le
cas, par voie de résolution, et lorsqu'il s'agit des officiers
commis et employés de la bibliothèque du Parlement ou de ceux
des autres officiers, commis ou employés qui sont sous la
direction commune des deux chambres du Parlement, doit se
faire par les deux chambres du Parlement par voie de résolu-
tion, ou, si cette chose est nécessaire pendant la vacance du
Parlement, par le Gouverneur en conseil, subordonnément à la
ratification des deux Chambres, à la session prochaine.
Cette situation, selon laquelle la plupart des
dispositions de la Loi du service civil étaient appli-
cables aux employés du Parlement, a été prolongée
5 L'acte du Service Civil du Canada, 1868, S.C. 1868,
chap. 34.
6 S.C. 1908, chap. 15, par. 3(2) et art. 45.
par l'effet de l'article 34 de la Loi du Service civil,
1918' et a subsisté jusqu'en 1961. La nouvelle Loi
sur le service civil qui a été adoptée' au cours de
cette année-là ne s'appliquait pas aux employés de
la Chambre des communes, du Sénat et de la
Bibliothèque du Parlement mais conférait à la
Chambre des communes et au Sénat le pouvoir
d'appliquer l'une quelconque de ses dispositions à
leurs fonctionnaires, commis et employés. L'article
72 de cette Loi, dont, à ce qu'on nous a dit, le
Sénat et la Chambre ne se sont jamais prévalus,
était ainsi libellé:
72. (1) Le Sénat et la Chambre des communes peuvent, de la
manière que prescrivent les paragraphes (2) et (3), appliquer
l'une quelconque des dispositions de la présente loi aux fonc-
tionnaires, commis et employés des deux Chambres du Parle-
ment et de la Bibliothèque du Parlement.
(2) Toutes les mesures relatives aux fonctionnaires, commis
et employés du Sénat ou de la Chambre des communes, que le
Sénat ou la Chambre des communes en vertu du paragraphe
(1) ou que le gouverneur en conseil en vertu de l'une quelcon-
que des dispositions de la présente loi, rendue applicable à
ceux-ci par le paragraphe (1), sont autorisés à prendre ou tenus
de prendre, doivent être prises par le Sénat ou la Chambre des
communes, selon le cas, par voie de résolution ou, si ces
mesures sont nécessaires alors que le Parlement ne siège pas,
par le gouverneur en conseil, sous réserve de ratification du
Sénat ou de la Chambre des communes, selon le cas, à la
session suivante.
(3) Toutes les mesures relatives aux fonctionnaires, commis
et employés de la Bibliothèque du Parlement et aux autres
fonctionnaires, commis et employés, placés sous l'autorité con-
jointe des deux Chambres du Parlement, que le Sénat ou la
Chambre des communes en vertu du paragraphe (1), ou que le
gouverneur en conseil en vertu de l'une quelconque des disposi
tions de la présente loi, rendue applicable à ceux-ci par le
paragraphe (1), sont autorisés à prendre ou tenus de prendre,
doivent être prises par les deux Chambres par voie de résolu-
tion, ou, si ces mesures sont nécessaires alors que le Parlement
ne siège pas, par le gouverneur en conseil, sous réserve de
ratification des deux Chambres à la session suivante.
(4) Rien dans la présente loi ne peut s'interpréter comme
restreignant les privilèges dont jouissent les fonctionnaires,
commis et employés du Sénat, de la Chambre des communes ou
de la Bibliothèque du Parlement, relativement à leur rang et
préséance, ou à la présence, aux heures de bureau, aux congés,
ou à la poursuite, alors que le Parlement ne siège pas, d'occupa-
tions qui leur procurent un traitement ou une rémunération
supplémentaires.
La Loi de 1961 est demeurée en vigueur jusqu'en
1967, alors qu'elle a été remplacée par la Loi sur
l'emploi dans la Fonction publique 9 et la Loi sur
les relations de travail dans la Fonction
publique 10 , qui ne s'appliquent pas aux employés
S.C. 1918, chap. 12.
8 S.C. 1960-61, chap. 57.
9 S.C. 1966-67, chap. 71, maintenant S.R.C. 1970, chap.
P-32.
10 S.C. 1966-67, chap. 72, maintenant S.R.C. 1970, chap.
P-35.
du Sénat, de la Chambre et de la Bibliothèque du
Parlement et ne contiennent aucune disposition
semblable à celles de l'article 72 de la Loi de 1961.
L'ordonnance d'accréditation sur laquelle porte
le litige en l'espèce a été prononcée par le Conseil
en vertu de la Partie V du Code canadien du
travail. La Loi sur les relations industrielles et
sur les enquêtes visant les différends du travail de
1948", qui a précédé la Partie V du Code, pré-
voyait, ainsi que le fait la Partie V actuelle, l'ac-
créditation d'agents négociateurs et la négociation
collective obligatoire. Le champ d'application de
cette Loi était en tout point semblable à celui de la
Partie V 12 . Si donc nous supposons, pour les fins de
la discussion, que la Partie V actuelle s'applique
aux employés de la Chambre des communes, il
s'ensuit nécessairement que la Loi de 1948 leur
était également applicable. En d'autres termes,
une fois que la Loi de 1948 est entrée en vigueur,
ces employés qui, jusque-là, avaient été régis par la
Loi du service civil en ce qui concernait leur
nomination, leur classification, leur salaire et leur
" S.C. 1948, chap. 54.
12 L'article 53 de cette Loi en définit le champ d'application
de la manière suivante:
53. La Partie I de la présente loi s'applique à l'égard des
travailleurs employés aux ouvrages, entreprises ou affaires
qui relèvent de l'autorité législative du Parlement du Canada,
ou relativement à l'exploitation de ces choses, y compris,
mais non de manière à restreindre la généralité de ce qui
précède:
a) les ouvrages, entreprises ou affaires exécutés ou exercés
pour ou concernant la navigation et la marine marchande,
intérieures ou maritimes, y compris la mise en service de
navires et le transport par navires partout au Canada;
b) les chemins de fer, canaux, télégraphes et autres ouvra-
ges et entreprises, reliant une province à une ou plusieurs
autres provinces, ou s'étendant au delà des limites d'une
province;
c) les lignes de vapeurs et autres navires reliant une
province à une ou plusieurs autres provinces, ou s'étendant
au delà des limites d'une province;
d) les bacs transbordeurs entre une province et une autre,
ou entre une province et tout pays autre que le Canada;
e) les aérodromes, aéronefs et lignes de transport aérien;
f) les stations de radiodiffusion;
g) les ouvrages ou entreprises qui, bien que situés entière-
ment dans les limites d'une province, sont, avant ou après
leur exécution, déclarés par le Parlement du Canada à
l'avantage général du Canada ou à l'avantage de deux ou
plusieurs provinces; et
h) tous ouvrages, entreprises ou affaires qui ne relèvent
point de la compétence législative exclusive de la législa-
ture de quelque province;
et à l'égard des patrons de ces travailleurs dans leurs rapports
avec ces derniers, ainsi qu'à l'égard des syndicats ouvriers et
organisations patronales composés desdits travailleurs ou
patrons.
promotion, ont été soustraits à l'application de
cette Loi et se sont vu accorder le droit à la
négociation collective obligatoire, droit qui était
alors refusé à tous les autres fonctionnaires. Dans
ces circonstances, on se serait attendu à ce que la
nouvelle Loi sur le service civil entrée en vigueur
en 1961 ne s'applique aucunement à ces employés.
En effet, ses dispositions sont incompatibles avec
la négociation collective obligatoire. Ce n'était tou-
tefois pas le cas puisque, ainsi que je l'ai déjà
mentionné, la Loi sur le service civil de 1961 a
conféré à chacune des Chambres le pouvoir d'ap-
pliquer l'une quelconque des dispositions de la Loi
à ses employés. Le Parlement aurait donc, après
avoir accordé aux employés des deux Chambres le
droit à la négociation collective obligatoire en
1948, donné à leurs employeurs le pouvoir discré-
tionnaire de les priver de ce droit en 1961. À mon
avis, l'on devrait éviter de prêter une intention
aussi absurde au Parlement.
Selon moi, tout ceci démontre que le Parlement
n'a jamais eu l'intention que la Loi sur les rela
tions industrielles et sur les enquêtes visant les
différends du travail de 1948 s'applique aux
employés de la Chambre. Il s'ensuit qu'il n'a
jamais, non plus, eu l'intention que la Partie V du
Code canadien du travail s'applique à ces
employés.
Le Parlement aurait évidemment pu soustraire
expressément les employés de la Chambre et du
Sénat à l'application de ces lois. Le motif pour
lequel il n'a pas jugé nécessaire de le faire est
toutefois facile à comprendre. Le principe suivant
lequel l'abrogation d'un privilège du Parlement ou
de ses membres ne peut se faire qu'au moyen d'une
disposition expresse inscrite dans une loi est bien
établi 13 . Or, les parlementaires considèrent, à tort
ou à raison, que le droit de la Chambre et du Sénat
de nommer et de contrôler les membres de leur
personnel fait partie de leurs privilèges 1 ''.
" Newcastle (Duke of) v. Morris (1870), L.R. 4 H.L. 661.
14 Voir: S.C. 1870, chap. 4, art. 9, cité ci-haut [à la page 377]
après la note de bas de page numéro 3.
Beauchesne, Règlement annoté et formulaire de la Chambre
des communes du Canada (4' éd.), p. 337, art. 446:
446. Le contrôle et la direction des fonctionnaires de la
Chambre appartiennent aussi complètement aux privilèges de
la Chambre que la réglementation de ses propres opérations
dans ses murs. Ces fonctionnaires sont assujetis à des règles
et ordres de la Chambre qui font partie de la réglementation
(Suite à la page suivante)
Je conclurai par deux observations. Tout
d'abord, l'application du Code à la Chambre des
communes obligerait celle-ci à se conformer, dans
bien des cas, aux décisions du ministre du Travail
et aux règlements du gouverneur en conseil; cette
conséquence me semble difficilement conciliable
avec l'indépendance de la Chambre. En second
lieu—et cette observation est la plus importante—
l'application du Code à la Chambre conduirait,
dans bien des cas, à un affrontement entre, d'une
part, la Chambre et son président et, d'autre part,
le Conseil et la Cour; une telle situation doit
certainement être évitée.
J'accueillerais la demande, j'annulerais l'ordon-
nance attaquée et je renverrais la question devant
le Conseil pour qu'il en soit décidé en tenant pour
acquis que la Partie V du Code canadien du
travail ne s'applique pas aux employés de la
Chambre des communes.
LE JUGE LACOMBE: Je souscris à ces motifs.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE HUGESSEN: J'ai eu l'avantage de lire
les motifs de jugement de mon collègue le juge
Pratte.
(Suite de la page précédente)
de ses opérations et qui relèvent tout autant de ses privilèges
que l'institution des comités, la conduite de la chose publique
et la conduite des Chambres en général, y compris les actes
de l'Orateur lui-même dans l'exercice de ses fonctions.
Maingot, Parliamentary Privilege in Canada (1982), p. 157
(l'auteur place au rang des privilèges de la Chambre le droit
de celle-ci de nommer et de [TRADUCTION] «diriger» les
membres de son personnel).
La situation n'est guère différente au R.-U. Voir: G. F. Lock,
«Labour Law, Parliamentary Staff and Parliamentary Privi
lege» (1983), 12 Industrial Law Journal 28. Voir, également,
le Hansard du 29 octobre 1975 (H.C. Deb. (U.K.) Vol. 898,
col. 1694), dans lequel il est dit que, lors de la présentation à
la Chambre de certaines modifications à l'Employment Pro
tection Bill et à d'autres lois relatives au travail, modifica
tions qui avaient pour effet d'étendre l'application de ces lois
au personnel de la Chambre, le speaker adjoint a attiré
l'attention de la Chambre sur le fait que ces modifications
concernaient un privilège.
Je suis d'accord avec lui de manière générale et
plus particulièrement avec son opinion suivant
laquelle, si j'ai bien compris, il ressort d'une inter-
prétation normale de la Partie V du Code canadien
du travail qu'il n'a jamais été dans l'intention du
législateur que cette Partie, tout comme la Loi qui
l'a précédée, la Loi sur les relations industrielles
et sur les enquêtes visant les différends du
travail 15 , s'applique aux employés dont l'accrédita-
tion est contestée en l'espèce, c'est-à-dire le person
nel de la Chambre des communes. Comme cette
opinion permet à elle seule de statuer sur la pré-
sente demande fondée sur l'article 28, en temps
normal je n'en dirais pas davantage. Cependant,
étant donné l'importance de la question et surtout
ses dimensions constitutionnelles, il m'apparaît
opportun de mentionner très brièvement deux
arguments supplémentaires qui, selon moi, com-
mandent également un résultat identique.
En premier lieu, je suis d'avis que la Chambre
des communes n'est pas un «employeur» suivant le
sens donné à ce terme par le paragraphe 107(1) du
Code canadien du travail [mod. par S.C. 1972,
chap. 18, art. 1], qui définit un employeur comme
étant une «personne».
Je ne vois pas par quelle opération de l'esprit ou
par quel effort d'imagination je pourrais considé-
rer la Chambre comme étant une personne. Elle
est une assemblée de personnes, quoique, à n'en
pas douter, la plus importante au pays. Selon moi,
rien dans la Loi constitutionnelle de 1867 ou dans
le droit, la coutume et les conventions constitution-
nels ne confère à la Chambre la personnalité
morale. En fait, tout favorise l'opinion contraire. Il
est de l'essence d'une corporation d'être perpé-
tuelle. Cependant, la Chambre des communes est,
de par sa nature même, une création éphémère, la
Constitution lui prescrivant une durée de vie maxi-
male de cinq ans. Au moment de sa dissolution, la
Chambre cesse d'exister. C'est présumément pour
cette raison que l'on a jugé nécessaire d'édicter une
disposition législative spéciale (l'article 18 de la
Loi sur la Chambre des communes 16 ) qui prévoit
15 S.C. 1948, chap. 54.
16 S.R.C. 1970, chap. H-9 (mod. par S.C. 1985, chap. 39,
art. 1).
que le Bureau de régie interne, l'organisme chargé
«des questions financières et administratives inté-
ressant la Chambre des communes, ses services et
son personnel» continue de fonctionner après la
dissolution. Il n'existe aucune disposition sembla-
ble en ce qui concerne la Chambre elle-même.
La doctrine et la jurisprudence laisseraient
entendre que le Parlement pourrait être une corpo
ration. Dans Halsbury ", on affirme:
[TRADUCTION] ... le Parlement est une corporation multiple
formée du Souverain, des pairs ecclésiastiques et laïques et des
communes.
Une source jurisprudentielle et une source doc-
trinale sont citées au soutien de cette prétention.
La première, Tone River, (Conservators of), v.
Ash'$, n'étaye pas le point de vue adopté par le
savant rédacteur d'Halsbury et ne semble pas
avancer autre chose que l'argument voulant qu'une
loi peut créer une corporation autant par voie de
déduction qu'en termes exprès.
La seconde source est la deuxième édition de
Cowell's Interpreter, publiée à Londres en 1727,
où l'on affirme:
[TRADUCTION] Sous le régime de la common law, le Parlement
est une corporation temporelle formée du Roi, la tête; des pairs
ecclésiastiques et laïques et des communes, le corps.
Cet exposé dans Cowell, bien que cela ne soit
pas indiqué expressément, semble lui-même tirer
son origine d'un renvoi plutôt ambigu dans Y.B.
14, Hen. VIII, à la page 3, qui, en langage
moderne, se lirait à peu près comme suit:
g Jury est Corporation par le Common Law, comme le Parlement
du Roi, et Seigneurs, et les Communes sont une Corporation
Un peu comme le treizième coup d'une horloge,
le fait d'inclure le jury dans ce renvoi jette un
doute sur tout le reste; je ne peux imaginer d'orga-
17 Laws of England, 4' éd., Londres, 1974, vol. 9, par. 1231.
e (1829), 109 E.R. 479 (K.B.).
nisme plus éphémère ou moins investi des attributs
ordinaires de la personnalité morale que le jury de
la common law, qui n'a été créé qu'à une fin
seulement et dont l'existence cesse dès que cette
fin a été réalisée ou même plus tôt encore, si l'un
de ses membres meurt.
Cependant, quel que soit le statut du Parlement,
je ne connais aucune source doctrinale ou jurispru-
dentielle indiquant que la Chambre des communes
puisse être une personne.
Il en existe cependant pour soutenir la thèse
contraire. Dans l'arrêt Gabias c. L'Assemblée
législative de la province de Québec 19 , le deman-
deur qui avait été expulsé de son siège à l'Assem-
blée, sollicitait une injonction en vue d'empêcher
l'Assemblée et ses fonctionnaires d'exécuter la
résolution d'expulsion. Les procédures ont été reje-
tées sur une question de droit préliminaire, l'ab-
sence de personnalité juridique de la défenderesse
étant l'un des motifs invoqués. Après avoir cité les
articles 71 et 80 de la Loi constitutionnelle de
1867, qui prévoient la constitution de la Législa-
ture et de l'Assemblée législative du Québec sensi-
blement dans les mêmes termes que ceux des
articles 17 et 37 concernant le Parlement et la
Chambre des communes du Canada, le juge Cas-
grain a déclaré ce qui suit:
Il n'y a donc rien dans ces textes qui confère à l'Assemblée
législative une entité juridique au sens de la loi ayant le droit
d'ester en justice. Tout ce que dit la Constitution est que
l'Assemblée législative est composée de 65 représentants du
peuple (maintenant 95) qui se réunissent au moins une fois par
année pour légiférer. Il s'agit d'un corps législatif qui n'a pas
une personnalité juridique distincte de celle de chacun des
membres qui le composent et qui, par conséquent, ne peut être
poursuivi comme tel.
À mon avis, ce raisonnement s'applique tout
19 Jugement inédit en date du 3 mai 1965, Cour supérieure,
district de Québec, n° de greffe 138-195. Je suis redevable au
professeur Stephen A. Scott, de la Faculté de droit de l'Univer-
sité McGill, de m'avoir fait parvenir un commentaire inédit sur
cet arrêt renfermant le texte intégral du jugement en question.
Bien que l'affaire ait été abondamment commentée dans la
presse à l'époque, il est déplorable qu'elle n'ait pas, pour autant
que j'aie pu m'en assurer, trouvé place dans quelque publication
juridique établie.
autant, et même davantage encore, à la Chambre
des communes 20 .
Je ne crois pas non plus que la décision dans
l'Alliance de la Fonction publique du Canada c.
Francis et autres 2' commande une conclusion dif-
férente. Cette affaire portait sur une ordonnance
d'accréditation accordée par le Conseil canadien
des relations du travail à l'égard des employés d'un
conseil de bande indienne. La Cour a conclu que le
conseil de bande, même s'il n'était pas une per-
sonne morale, était un employeur aux fins de la
Partie V du Code canadien du travail. Selon l'in-
terprétation que j'en fais, cette décision repose sur
deux considérations principales, premièrement, sur
le fait que le conseil de bande était une création de
la loi dont les pouvoirs statutaires exigeaient l'em-
bauche de personnel et, deuxièmement, sur le fait
que, si le conseil de bande n'était pas l'employeur,
personne d'autre ne pouvait l'être.
Bien que, dans un certain sens, il soit possible de
dire que la Chambre des communes est une créa-
tion de la Loi constitutionnelle de 1867, je suis
d'avis qu'une telle qualification a pour consé-
quence de déprécier et la Chambre et la Constitu
tion. La Chambre est beaucoup plus qu'une créa-
tion de la Constitution: elle en est un élément
essentiel en plus d'être l'institution la plus impor-
tante de notre système de gouvernement libre et
démocratique. Pour sa part, la Constitution est
beaucoup plus qu'une loi: elle est la loi fondamen-
tale du pays.
Qui plus est, les employés visés par l'accrédita-
tion contestée en l'espèce ne sont pas dans la même
position que les employés du conseil de bande, qui
ne pouvaient avoir d'autre employeur. Au con-
traire, les membres du personnel de la Chambre
sont tout simplement, à mon avis, des employés de
la Couronne.
20 Je suis conscient que, si la Chambre n'a pas de personnalité
morale, il doit logiquement en découler qu'elle n'a pas qualité
pour comparaître à titre de requérante aux présentes procédu-
res. Ce point n'a toutefois pas été soulevé, et, comme il ne fait
aucun doute dans mon esprit qu'on accorderait qualité pour
agir à un haut fonctionnaire de la Chambre en vue d'intenter
des procédures tendant à l'annulation d'une ordonnance qui,
après tout, est nulle, je n'estime pas nécessaire de m'étendre
davantage sur cette question. Il n'est pas sans intérêt de signa-
ler que dans l'arrêt Gabias, précité, ce n'est pas l'Assemblée
mais le procureur général qui a comparu devant la Cour pour
solliciter l'annulation de la procédure.
21 [1982] 2 R.C.S. 72.
Cela m'amène au second motif supplémentaire
pour lequel je suis d'accord avec la conclusion que
propose le juge Pratte: à mon avis, non seulement
la Partie V [du Code canadien du travail] ne
s'applique pas aux employés concernés et la Cham-
bre n'est pas un employeur au sens du Code, mais
ceux-ci sont expressément exclus. La disposition
législative pertinente est le praragraphe 109(4)
[mod. par S.C. 1972, chap. 18, art. 1]:
109....
(4) Hors les cas prévus au présent article, la présente Partie
ne s'applique pas à l'égard des emplois au service de Sa Majesté
du chef du Canada.
Je reconnais que je m'aventure ici sur un terrain
glissant car, bien que la question ait été posée aux
parties lors de l'audition, aucune d'entre elles
n'était disposée à plaider que les membres du
personnel de la Chambre étaient des employés de
la Couronne et ce, pour une raison bien évidente.
Pour sa part, la Chambre fondait sa réclamation
sur un prétendu privilège et n'était pas disposée à
reconnaître aucun rôle à la Couronne en la
matière, alors que, pour les intimés, une suggestion
en ce sens serait suicidaire. Cependant, il me
semble exister de très sérieux indices que les
employés dont il est question en l'espèce sont, en
réalité, des préposés de la Couronne.
Premièrement, comme l'a souligné le juge
Pratte, les hauts fonctionnaires de la Chambre
sont des fonctionnaires de la Courrone qui sont
nommés par décret du Conseil. Ce sont eux qui,
dans les faits, embauchent et dirigent les employés.
Deuxièmement, les sommes nécessaires au paie-
ment des traitements et avantages de ces employés
sont prévues dans les diverses lois portant affecta
tion de crédits qui, évidemment, comme leur titre
l'indique, sont des lois «accordant à Sa Majesté
certaines sommes d'argent pour le gouvernement
du Canada». Sous la rubrique générale «Parle-
ment», le Sénat, la Chambre des communes et la
Bibliothèque du Parlement figurent à l'annexe de
ces lois suivant leur ordre alphabétique, tout
comme les autres ministères et organismes du
gouvernement 22.
22 Voir, par exemple, S.C. 1984, chap. 16 [Loi no 2 de
1984-85 portant affectation de crédits].
Finalement, quant à plusieurs aspects accessoi-
res de leur emploi, les membres du personnel de la
Chambre des communes ne semblent pas se distin-
guer des autres membres de la Fonction publique:
ils travaillent dans des édifices appartenant à la
Couronne, leurs outils de travail, qu'il s'agisse de
balais, de téléphones ou d'ordinateurs, sont des
bien publics et leurs chèques de paye proviennent
du ministère des Approvisionnements et Services.
Évidemment, ils ne sont pas visés par la Loi sur
l'emploi dans la Fonction publique et la Loi sur
les relations de travail dans la Fonction publique,
mais cela est tout simplement dû au fait que
l'application de ces Lois se limite à une liste (vaste
toutefois) d'éléments de la Fonction publique (voir
l'annexe I de la Loi sur les relations de travail
dans la Fonction publique).
Mes vues sur cette question ne sont pas inflé-
chies par des décisions telles que The Queen v.
MacLean (1881), 8 R.C.S. 210, et Kimmitt v. The
Queen (1896), 5 R.C.É. 130. Selon mon interpré-
tation de ces arrêts, ils n'étayent pas autre chose
que le simple argument suivant lequel la Couronne
ne peut être liée par un contrat conclu sans sa
connaissance par la Chambre ou l'un de ses
comités.
Je ne vois pas non plus en quoi la conclusion que
les employés sont, en fait, des employés de la
Couronne puisse porter atteinte de quelque façon
aux privilèges de la Chambre. Au contraire, il me
semble que l'un de ces privilèges est précisément
que la Chambre doit pouvoir diriger et contrôler
son personnel tout comme elle dirige et contrôle
ses fonctionnaires, le greffier et le sergent-d'armes,
même si techniquement ils sont des fonctionnaires
de la Couronne. À Westminster, le Parlement
siège dans un palais royal; pourtant, le privilège de
la Chambre est tel que la Souveraine elle-même ne
peut mettre le pied dans cette enceinte dont elle est
nommément propriétaire.
Peut-être est-il possible en l'espèce d'établir une
analogie avec le troisième élément fondamental du
gouvernement, le pouvoir judiciaire. Depuis des
centaines d'années, les tribunaux se sont eux aussi
préoccupés de sauvegarder leurs privilèges contre
toute incursion du pouvoir royal. Ils y sont parve
nus et ce, malgré le fait qu'ils siègent dans des
édifices appartenant à la Couronne et que les
employés de cette dernière sont à leur service. Si
les membres du personnel des cours de justice sont
des préposés de la Couronne, je ne vois aucune
raison, principe ou précédent exigeant qu'il en soit
autrement pour le personnel de la Chambre des
communes.
Pour ces motifs, je conclurais comme le juge
Pratte.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.