A-1393-84
Northern Telecom Limited (appelante) (défende-
resse)
c.
Reliable Electric Company et Reliable Communi
cations & Power Products Ltd. (intimées)
(demanderesses)
Cour d'appel, juge en chef Thurlow, juges Heald
et Stone—Ottawa, 28 et 30 janvier 1986.
Brevets — Pratique — Appel formé à la suite du rejet d'une
requête pour détails — Déclaration alléguant qu'il y a eu
contrefaçon des revendications du brevet, ou subsidiairement,
que la défenderesse a imité les éléments essentiels de l'inven-
tion décrite dans le mémoire descriptif et revendiquée, contre-
faisant ainsi le brevet — Appel accueilli — La déclaration
subsidiaire se rapporte à quelque chose de différent — L'appe-
lante a droit d'obtenir une brève description de ce que com-
prend le passage en question et de savoir en quoi les «éléments
essentiels» different dû texte des revendications — Les «élé-
ments essentiels» de l'invention constituent une question de fait
— Le juge de première instance a suivi les arrêts McMaster,
Nitschke et Larimer et autre c. Tamglass O.Y. et autre (1981),
55 C.P.R. (2d) 69 (C.F. 1'e inst.) et Ermanco Inc. et autre c.
Rexnord Canada Ltd. (1982), 67 C.P.R. (2d) 176 (C.F. 1fe inst.)
— Distinction faite avec l'affaire McMaster, la Cour n'étant
pas, non plus, d'accord avec celle-ci — La décision rendue
dans l'affaire Ermanco, qui est fondée sur l'arrêt McMaster, a
été écartée.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
McPhar Engineering Co. of Canada Ltd., The v. Sharpe
Instruments Ltd. et al., [ 1956-60] R.C.E 467.
DISTINCTION FAITE AVEC:
McMaster, Nitschke et Larimer et autre c. Tamglass
0.Y. et autre (1981), 55 C.P.R. (2d) 69 (C.F. l'° inst.).
DÉCISION ÉCARTÉE:
Ermanco Inc. et autre c. Rexnord Canada Ltd. (1982),
67 C.P.R. (2d) 176 (C.F. P' inst.).
AVOCATS:
Joan Clark, c.r. et C. Ross Carson pour l'ap-
pelante (défenderesse).
T. Gary O'Neill pour les intimées (demande-
resses).
PROCUREURS:
Ogilvy, Renault, Montréal, pour l'appelante
(défenderesse).
Gowling & Henderson, Ottawa, pour les inti-
mées (demanderesses).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF THURLOW: Il s'agit d'un
appel formé contre une ordonnance de la Division
de première instance rejetant la demande présen-
tée par l'appelante en vue d'obtenir une ordon-
nance enjoignant aux intimées de donner des
détails sur ce qui est désigné au paragraphe 10 de
la déclaration modifiée comme étant [TRADUC-
TION] «les éléments essentiels de l'invention décrite
dans le mémoire descriptif et revendiquée dans les
revendications 1, 2, 7 et 8» du brevet canadien
numéro 1 029 084.
Le brevet s'intitule «Protecteur de ligne pour
circuit de communications». Son mémoire descrip-
tif indique que l'invention se rapporte au genre de
protecteurs de ligne qui sont situés entre l'équipe-
ment de commutation du central téléphonique et
l'équipement de commutation intérieur et qu'ils
servent à protéger l'équipement intérieur contre les
dommages pouvant résulter de la surtension et de
la surintensité des lignes extérieures.
Il est mentionné au paragraphe 6 de la déclara-
tion qu'en raison de l'octroi du brevet, les intimées
possèdent le droit exclusif de fabriquer, de cons-
truire, d'utiliser et de vendre aux autres pour leur
usage les protecteurs de ligne dont la description
correspond à celle que l'on trouve dans les revendi-
cations 1, 2, 7 et 8 du brevet. Il est allégué au
paragraphe 7 que l'appelante a, sans le consente-
ment ou l'autorisation des intimées, fabriqué et
vendu au Canada des protecteurs de ligne comme
ceux qui sont décrits au paragraphe 6. Les protec-
teurs de ligne en question sont identifiés par huit
numéros de modèle particuliers. Il est allégué au
paragraphe 8 que ces protecteurs de ligne possè-
dent, en tout ou en partie, les diverses caractéristi-
ques de l'invention définie dans les revendications
1, 2, 7 et 8 du brevet. On lit aux paragraphes 9 et
10:
[TRADUCTION] 9. En raison des actes énoncés au paragraphe 7,
la défenderesse NORTHERN a empiété sur les droits que possè-
dent les demanderesses aux termes des lettres patentes cana-
diennes numéro 1 029 084. Plus précisément, la défenderesse
NORTHERN a contrefait les revendications 1, 2, 7 et 8 des
lettres patentes canadiennes numéro 1 029 084.
10. Subsidiairement, la défenderesse NORTHERN s'est appro-
prié les éléments essentiels de l'invention qui est décrite dans le
mémoire descriptif et revendiquée dans les revendications 1, 2,
7 et 8 des lettres patentes canadiennes numéro 1 029 084 et a
donc empiété sur les droits que possèdent les demanderesses en
vertu des revendications 1, 2, 7 et 8 des lettres patentes
canadiennes numéro 1 029 084.
Au vu de cette plaidoirie, il me semblerait évi-
dent qu'en mentionnant les éléments essentiels de
l'invention décrite dans le mémoire descriptif et
revendiquée dans les revendications en litige, le
paragraphe 10, qui est plaidé subsidiairement, pré-
tend viser quelque chose de différent de ce qui est
affirmé au paragraphe 9 et que l'appelante a droit
à la fois d'obtenir une brève description de ce que
comprend le passage «les éléments essentiels de
l'invention qui est décrite dans le mémoire descrip-
tif et revendiquée dans les revendications 1, 2, 7 et
8» et de savoir en quoi les «éléments essentiels»
diffèrent du texte des revendications. Le deman-
deur doit décrire avec minutie à la personne qu'il
poursuit le droit qu'il prétend pouvoir revendiquer
et que, selon lui, le défendeur a enfreint. Ce prin-
cipe de plaidoirie s'applique dans une action pour
contrefaçon de brevet tout comme il s'applique
dans une action pour violation de tout autre genre
de droit.
Le défendeur n'est pas tenu de répondre à autre
chose qu'à ce qui est soutenu contre lui. Il est en
droit de savoir quel droit on lui reproche d'avoir
enfreint, et on ne peut l'obliger à essayer de le
découvrir au moyen d'une affirmation vague
accompagnée d'une indication de l'endroit où il
peut le trouver.
Il est évidemment important de savoir ce que
sont les «éléments essentiels» de l'invention, car
c'est de leur imitation dont se plaignent les inti-
mées. C'est également une question de fait, non de
droit. Voir l'arrêt McPhar Engineering Co. of
Canada Ltd., The v. Sharpe Instruments Ltd. et
al.' où le président Thorson déclarait:
[TRADUCTION] Et puisqu'il y a contrefaçon dès qu'on imite les
éléments essentiels de l'invention, il devient alors nécessaire de
déterminer quels sont ces éléments essentiels, ce qui est une
question de fait.
Par contre, si le contenu du paragraphe 10 se
retrouve parmi les assertions du paragraphe 9,
l'assertion du paragraphe 10 ne constitue pas un
' [1956-60] R.C.É. 467, la p. 537.
moyen subsidiaire comme on le dit l'être, et ce
paragraphe est redondant et embarrassant pour
l'appelante. Je ne crois pas qu'il puisse être consi-
déré comme non préjudiciable ou que sa prétendue
innocuité soit une raison pour ne pas le radier.
Aussi longtemps qu'il apparaît dans la déclaration,
il représente une assertion dont l'appelante doit
tenir compte et qu'elle doit trouver le moyen de
réfuter, ce qui pourrait bien entraîner des recher-
ches et des dépenses susceptibles de se révéler
superflues ou inutiles ou les deux à la fois.
En rejetant la demande de l'appelante, le juge
de première instance a invoqué et suivi le raisonne-
ment exposé dans deux autres jugements rendus en
Division de première instance, soit celui du juge
Marceau dans l'affaire McMaster, Nitschke et
Larimer et autre c. Tamglass O.Y. et autre 2 et
celui du juge Walsh dans l'affaire Ermanco Inc. et
autre c. Rexnord Canada Ltd. 3
Le texte de la décision rendue dans l'affaire
McMaster n'indique la présence, dans la déclara-
tion, d'aucun paragraphe qui puisse se comparer
même en gros au paragraphe 10 de la déclaration
en question et, quoi qu'il en soit, la demande
soumise au juge Marceau n'était pas une requête
pour détails relativement à un paragraphe de ce
genre ni ne s'y rapportait autrement. Après avoir
exposé un certain nombre de paragraphes de la
déclaration, dont les paragraphes 9, 11 et 12, le
juge a dit au sujet de ces trois paragraphes [aux
pages 70 et 71]:
Selon moi, la cause d'action des demanderesses est valablement
et suffisamment révélée par ces paragraphes, qui donnent les
éléments importants du système en cause ainsi que l'essentiel de
l'invention revendiquée dans le brevet et qu'on dit avoir été
contrefaite. Les allégations contenues dans ces paragraphes
sont loin d'être du type de celles qui ont été critiquées dans les
jugements bien connus de la Cour de l'Échiquier dans Dow
Chemical Co. v. Kayson Plastics & Chemicals Ltd. (1966), 47
C.P.R. 1; 33 Fox Pat. C. 167; [1967] 1 R.C.É. 71; et Union
Carbide Canada Ltd. v. Canadian Industries Ltd. (1969), 60
C.P.R. 223; [1969] 2 R.C.É. 422. Selon moi, elles indiquent
sans équivoque l'essentiel des droits qu'on fait valoir et que les
défenderesses auraient violés: je ne crois pas qu'il fallait ajouter
quoi que ce soit. Exiger des demanderesses qu'elles donnent de
plus amples détails dans ces paragraphes les amènerait à
reproduire intégralement de grandes parties des revendications
des brevets, ce qui serait complètement inutile, ou qui les
obligerait à interpréter ces revendications, ce qui serait évidem-
ment inadmissible. J'estime que les défenderesses n'ont pas
besoin des détails qu'elles demandent pour leur permettre de
2 (1981), 55 C.P.R. (2d) 69 (C.F. 1" inst.).
3 (1982), 67 C.P.R. (2d) 176 (C.F. 1" inst.).
comprendre la position des demanderesses, de voir le fondement
de l'argumentation de l'autre partie et d'apprécier les faits sur
lesquels elles se fondent. Elles n'ont pas le droit d'obtenir ces
détails avant la production de leur défense. [C'est moi qui
souligne.]
Étant donné la conclusion du juge selon lequel
les paragraphes mentionnés donnaient les éléments
importants du système en cause ainsi que l'essen-
tiel de l'invention revendiquée dans le brevet, son
jugement ne me semble pas utile pour décider du
présent appel. Mais je crois que je dois dire qu'en
toute déférence, je ne comprends ni n'accepte la
thèse selon laquelle il serait inadmissible d'exiger
d'un demandeur d'interpréter ses revendications à
la première étape d'une procédure visant à faire
valoir ses droits en vertu d'un brevet. C'est indubi-
tablement le rôle du tribunal d'interpréter les
revendications au cours du procès en tenant
compte des éléments de preuve relatifs à l'état
antérieur de la technique et de déterminer ce
qu'elles comprennent, mais cela se produit à une
autre étape et constitue une tout autre question
que d'exiger du détenteur d'un brevet de décrire un
droit qu'il revendique même si cela l'oblige à
donner à ses revendications une interprétation qu'il
considère justifiée et qu'il incitera le tribunal à
adopter.
Dans l'affaire Ermanco, la situation se rappro-
chait beaucoup plus de celle qui a cours en l'es-
pèce; en effet, on tentait d'obtenir une ordonnance
pour détails relativement à une allégation selon
laquelle «subsidiairement la défenderesse a imité
les éléments essentiels de l'invention décrite dans le
mémoire descriptif et revendiquée dans lesdites
revendications 1 à 7». Pour statuer sur la demande
visant à obtenir des détails relativement à l'affir-
mation subsidiaire, le juge Walsh semble avoir
considéré l'opinion du juge Marceau dans l'affaire
McMaster, et plus particulièrement l'opinion au
sujet de laquelle j'ai exprimé mon désaccord,
comme forçant à conclure au rejet de l'ordon-
nance.
Le juge de première instance a dit à la page 180:
Je conclus que, d'après les faits de la présente instance, les
détails déjà fournis relativement à l'imputation de contrefaçon
littérale des revendications précises du brevet des demanderes-
ses sont tout ce qu'il faut ou qui peut être donné pour appuyer
le moyen subsidiaire reprochant à la défenderesse de s'être
approprié les éléments essentiels de l'invention. En effet, il
s'agit là d'une question de fait à trancher par la Cour après
examen des revendications du brevet et à la lumière des témoi-
gnages d'experts ou de toute autre preuve produite au cours de
l'audience. J'estime en outre qu'il serait inadmissible d'exiger
que les demanderesses, en fournissant des détails plus amples,
donnent leur propre interprétation de ce qui constitue l'essentiel
de l'invention.
En toute déférence, je ne puis partager cette
opinion ni convenir qu'il faille suivre la conclusion
ainsi tirée.
J'accueillerais l'appel, annulerais l'ordonnance
rendue par la Division de première instance et
ordonnerais la radiation du paragraphe 10 de la
déclaration modifiée, à moins que les demanderes-
ses ne fournissent et ne produisent d'ici trente
jours des détails sur ce qu'elles considèrent être les
éléments essentiels de l'invention décrite dans le
mémoire descriptif et revendiquée dans les reven-
dications 1, 2, 7 et 8 des lettres patentes canadien-
nes numéro 1 029 084, en indiquant en outre suc-
cinctement sous quels rapports les éléments
essentiels de l'invention décrite et revendiquée dif-
fèrent de ce qui est exposé dans lesdites
revendications.
L'appelante devrait recouvrer ses dépens en ce
qui concerne l'appel ainsi que la requête présentée
à la Division de première instance.
LE JUGE HEALD: Je suis d'accord.
LE JUGE STONE: Je suis d'accord.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.